Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 28 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération française des combustibles, carburants, et chauffage (FF3C) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 22 octobre 2022 modifiant l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que la décision contestée porte atteinte aux intérêts qu'elle entend défendre dès lors que les fournisseurs de fioul domestique et de Biofioul F30 risquent de perdre, à court terme, de nombreux utilisateurs finaux entraînant pour eux une perte financière importante, qu'elle porte atteinte à des intérêts publics en emportant des effets anticoncurrentiels, qu'elle empêche le maintien d'une offre de systèmes de chauffage attractive pour les consommateurs et enfin qu'elle nuit à la continuité de l'approvisionnement en électricité ;
- Aucune urgence ne justifie au contraire la poursuite de l'exécution de la décision litigieuse ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;
- la consultation préalable du public et le recueil de l'avis préalable des ministres chargés de l'économie et du budget n'ont pas eu lieu ;
- la saisine du Conseil supérieur de l'énergie a été irrégulière, le délai de quatorze jours francs n'ayant pas été observé et le rapport de présentation du texte étant lacunaire ;
- l'arrêté est entaché de défaut de base légale, l'article R. 221-18 du code de l'énergie étant lui-même illégal ;
- il méconnaît le principe d'égalité, la différence de traitement entre les chaudières au fioul et celles qui utilisent d'autres sources d'énergie fossile n'étant fondée sur aucun critère objectif ;
- il est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle ne permet pas de répondre aux objectifs de politique énergétique définis par les dispositions des articles L. 100-1 et L. 100-2 du code de l'énergie ;
- il porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté du commerce et de l'industrie en raison du préjudice financier, commercial et d'image causé à la filière du fioul domestique et au libre exercice de ses activités.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de l'énergie ;
- le code de justice administrative ;
Vu le code de justice administrative ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.
2. Il appartient au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative d'une demande tendant à la suspension d'une décision administrative, d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de cette décision sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence, qui doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celle-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. L'office du juge des référés, saisi de conclusions à fin de suspension, le conduit à porter sur l'urgence une appréciation objective, concrète et globale, au vu de l'ensemble des intérêts en présence, afin de déterminer si, dans les circonstances particulières de chaque affaire, il y a lieu d'ordonner une mesure conservatoire à effet provisoire dans l'attente du jugement au fond de la requête à fin d'annulation de la décision contestée.
3. Aux termes de l'article L. 221-8 du code de l'énergie : " Les certificats d'économies d'énergie sont des biens meubles négociables, dont l'unité de compte est le kilowattheure d'énergie finale économisé. Ils peuvent être détenus, acquis ou cédés par toute personne mentionnée aux 1° à 6° de l'article L. 221-7 ou par toute autre personne morale. Le nombre d'unités de compte est fonction des caractéristiques des biens, équipements, services, processus ou procédés utilisés pour réaliser les économies d'énergie et de l'état de leurs marchés à une date de référence fixe. Il peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées. / Les personnes qui acquièrent des certificats d'économies d'énergie mettent en place des dispositifs d'identification, d'évaluation et de gestion des risques permettant de détecter une obtention frauduleuse par la personne cédant les certificats, dans des conditions et selon des modalités précisées par décret en Conseil d'Etat. " L'article R. 221-18 du même code dispose : " Le volume des certificats d'économies d'énergie peut être pondéré en fonction de la nature des bénéficiaires des économies d'énergie, de la nature des actions d'économies d'énergie, des émissions de gaz à effet de serre évitées et de la situation énergétique de la zone géographique où les économies sont réalisées, dans des conditions arrêtées par le ministre chargé de l'énergie. / Pour la cinquième période mentionnée à l'article R. 221-1, le volume des certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des pondérations n'excède pas 25 % du volume total des certificats délivrés au cours de cette période. / Le ministre chargé de l'énergie publie, chaque trimestre, sur son site Internet, le volume des certificats d'économies d'énergie délivrés au titre des pondérations. / Toute création ou extension d'une pondération ou toute modification du niveau d'une pondération fait l'objet d'un avis préalable des ministres chargés de l'économie et du budget. L'avis est réputé rendu à l'expiration d'un délai de deux semaines à compter de la transmission du projet d'arrêté par le ministre chargé de l'énergie. " Selon l'article R. 221-31 du même code : " Un arrêté du ministre chargé de l'énergie fixe les modalités d'application du présent chapitre. "
4. En application de ces dispositions, le ministre de la transition énergétique a, par arrêté du 22 octobre 2022, modifié l'arrêté du 29 décembre 2014 relatif aux modalités d'application du dispositif des certificats d'économies d'énergie. Il a notamment modifié l'article 3-6 de l'arrêté du 29 décembre 2014 pour prévoir des bonifications et des niveaux minimaux d'incitations financières spécifiques et temporaires pour le remplacement d'une chaudière au fioul par une pompe à chaleur, un système solaire combiné, une chaudière biomasse ou un raccordement à un réseau de chaleur alimenté majoritairement par des énergies renouvelables ou de récupération. Ces bonifications et niveaux minimaux d'incitations financières sont applicables aux opérations engagées jusqu'au 30 juin 2023 et achevées au plus tard le 31 décembre 2023. Il est également créé un article 3-7-6 définissant une bonification pour les opérations relevant de la fiche d'opération standardisée BAT-TH-116 " Système de gestion technique du bâtiment pour le chauffage, l'eau chaude sanitaire, le refroidissement/climatisation, l'éclairage et les auxiliaires " engagées jusqu'au 31 décembre 2023. Il supprime enfin, quel que soit le " Coup de pouce ", la condition quant au fait que l'équipement de chauffage remplacé n'est pas à condensation.
5. La fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C), syndicat professionnel représentant les entreprises d'énergies hors réseaux, les stations-services indépendantes et les entreprises de services associés au chauffage, demande la suspension de l'exécution de cet arrêté du 22 octobre 2022.
6. Pour estimer remplie la condition d'urgence, cette fédération soutient que les bonifications prévues par le dispositif pour le remplacement des chaudières au fioul par des équipements utilisant des sources d'énergies renouvelables sont extrêmement élevées et qu'en conséquence l'effet sur l'activité des entreprises qu'elle représente sera significatif, même si le dispositif mis en place, appelé " Coup de boost Fioul ", est limité dans le temps. Elle met en avant le caractère très incitatif des primes offertes aux ménages pour déposer une chaudière au fioul existante, primes qui peuvent être combinées avec d'autres aides de l'Etat, ainsi que le caractère très large du public visé, incluant les ménages aisés. Elle en déduit que le mécanisme instauré par l'arrêté litigieux aura un effet drastique sur la filière du fioul, détournant les ménages de l'achat de chaudières neuves, accélérant le rythme de remplacement des chaudières existantes fonctionnant au fioul et réduisant à néant tous les efforts et investissements réalisés par la filière pour promouvoir le Biofioul F30.
7. De telles considérations générales, qui ne reposent sur aucun élément précis ou circonstancié pouvant justifier de la réalité des conséquences avancées sur la filière, ne sont pas de nature à caractériser une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts que la fédération défend. Cette dernière ne saurait par ailleurs sérieusement soutenir, eu égard aux objectifs visés par le dispositif attaqué, qu'il y aurait au contraire urgence à suspendre le dispositif pour éviter qu'il soit porté atteinte aux intérêts publics que constitueraient le bon fonctionnement concurrentiel du marché, le développement d'une offre attractive pour les consommateurs ou la continuité de l'approvisionnement en énergie.
8. Il suit de tout ce qui précède que la requérante ne justifie pas que les effets de l'arrêté litigieux soient en l'espèce de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. Ses conclusions, y compris celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent donc être rejetées selon la procédure de l'article L. 522-3 du même code.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage.
Fait à Paris, le 9 décembre 2022
Signé : Damien Botteghi