Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 21 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de suspendre l'exécution du décret du 20 avril 2004 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités polonaises.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution du décret d'extradition est imminente, sa sortie de prison, prévue initialement le 24 mai, devant intervenir le 22 mai ;
- il est exposé, en cas de retour en Pologne, à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales tant en raison des persécutions dont il serait l'objet du fait de sa bisexualité que des conditions de détention déplorables dans les prisons polonaises ;
- il est exposé, en cas de retour en Pologne, à des poursuites pénales pour s'être engagé en France dans la Légion étrangère, en vertu de l'article 141 du code pénal polonais qui réprime tout engagement dans une armée étrangère sans autorisation des autorités polonaises ;
- son extradition porterait atteinte à son droit à demander l'asile politique en France, dès lors qu'il a formé un recours devant la Cour nationale du droit d'asile contre la décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du
19 mai 2021 et a droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à la lecture de la décision statuant sur ce recours, conformément à l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- son extradition serait de nature à emporter, pour lui, des conséquences d'une exceptionnelle gravité en raison de la fragilité de son état psychologique ;
- le système judiciaire polonais n'offre pas les garanties d'un procès équitable ;
- son extradition porterait une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, eu égard aux liens familiaux qu'il a tissés en France et aux efforts qu'il a déployés, durant son incarcération, en vue de préparer sa réinsertion ;
- son extradition porterait atteinte à l'intérêt supérieur de sa fille mineure.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 mai 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens du requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- la convention européenne d'extradition du 13 décembre 1957 ;
- la convention relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- la convention établie sur la base de l'article K3 du traité sur l'Union européenne, relative à l'extradition entre les Etats membres de l'Union européenne, signée à Dublin le 27 septembre 1996 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 3 de l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions administratives, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 23 mai 2021 à 17 heures 00.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. "
2. Il résulte de l'instruction que, par un décret du 20 avril 2004, le Premier ministre a accordé aux autorités polonaises l'extradition de M. B..., réclamé pour le jugement de faits qualifiés d'arrestation et de séquestration et d'homicide volontaire. Après l'intervention de ce décret, la remise de M. B... aux autorités polonaises n'a toutefois pas eu lieu en raison de la condamnation de l'intéressé, le 3 mars 2005, à une peine de vingt ans d'emprisonnement prononcée par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône pour violences ayant entraîné la mort avec l'intention de la donner et de l'exécution de cette peine en France. Le 22 février 2019, M. B... a demandé au Premier ministre d'abroger le décret d'extradition le concernant. Par une décision du 10 juin 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux sur la requête de l'intéressé tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet de cette demande, l'a annulée pour défaut de motivation, non sans avoir écarté au préalable le moyen de légalité interne articulé à son encontre. Le 20 juillet 2020, le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté la demande d'abrogation du décret d'extradition par une décision expresse. Dans l'imminence de sa sortie de prison, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement des dispositions citées ci-dessus de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution du décret du 20 avril 2004.
Sur les risques encourus en cas de remise aux autorités polonaises :
3. D'une part, M. B... soutient qu'il serait exposé au risque de subir des traitements contraires à ces stipulations en cas de retour en Pologne en raison de sa bisexualité. Toutefois, s'il fait état des discriminations à l'encontre des homosexuels dans ce pays, ses allégations récentes quant à sa prétendue bisexualité sont insuffisamment corroborées par l'instruction. Le récit vague et imprécis des circonstances qui l'auraient amené à quitter la Pologne, qui ne rejoint d'ailleurs pas entièrement celui qu'il a livré à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile, n'est étayé que par deux attestations établies en avril 2021 par le père et l'ex-femme de l'intéressé, dont la première est insuffisamment circonstanciée, et qui manquent l'une et l'autre de crédibilité.
4. D'autre part, si M. B... indique redouter les conditions de détention dans les prisons polonaises, qu'il affirme être particulièrement dégradées, il n'invoque, en dehors de son orientation sexuelle alléguée, aucun risque qui lui serait personnel. Dans ces conditions, le gouvernement français n'avait pas à rechercher, auprès des autorités polonaises, des assurances quant à ses conditions de détention.
5. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 ci-dessus que M. B... n'établit pas qu'il risquerait de subir, en cas d'extradition vers la Pologne, des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte, par ailleurs, du second alinéa de l'article 1er des réserves émises par la France lors de la ratification de la convention européenne d'extradition et des principes généraux du droit applicables à l'extradition, que l'extradition d'un étranger peut être refusée si elle est susceptible d'avoir des conséquences d'une gravité exceptionnelle pour la personne réclamée, notamment en raison de son âge ou de son état de santé. Si M. B... soutient qu'il se trouve dans une situation de grande fragilité psychologique, en raison notamment de la perspective imminente de son extradition vers la Pologne, et indique avoir plusieurs fois tenté de mettre fin à ses jours, ces allégations, qui ne sont étayées par aucun document médical probant, ne sauraient suffire à établir que l'exécution du décret d'extradition serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation du fait des conséquences d'une gravité exceptionnelle qu'elle serait susceptible d'emporter en raison de son état de santé.
Sur la méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
7. M. B... soutient qu'en cas d'exécution du décret du 20 avril 2004 ayant accordé son extradition à la Pologne, les conditions dans lesquelles il viendrait à être jugé dans ce pays méconnaîtraient le droit de bénéficier d'une procédure impartiale et équitable, garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en l'exposant à " risque flagrant de déni de justice ". Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que, eu égard à la situation personnelle de l'intéressé, à la circonstance qu'il est poursuivi dans son pays d'origine pour homicide volontaire et séquestration et aux circonstances de fait ayant conduit à la demande d'extradition, qu'il existerait, à la date de la présente décision, des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourrait, en cas de remise aux autorités polonaises, un risque de violation grave du droit à un procès équitable du fait de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l'indépendance du pouvoir judiciaire en Pologne.
Sur la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant :
8. Une mesure d'extradition trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d'extradition dont la finalité est de permettre, dans l'intérêt de l'ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes se trouvant en France poursuivies à l'étranger pour des crimes ou des délits commis hors du territoire national que l'exécution, par les mêmes personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l'étranger pour de tels crimes ou délits, alors même qu'elle pourrait porter atteinte au droit au respect de la vie familiale de la personne dont l'extradition est demandée ou affecter la situation de ses enfants mineurs. En l'espèce, s'il résulte de l'instruction que M. B... s'est marié en prison le 14 septembre 2012, le requérant indique qu'il est séparé de sa femme après quatre ans de mariage, et n'a renoué avec elle que récemment. Si, d'autre part, il a reconnu une enfant de sexe féminin née le 10 juillet 2019, et apparaît être en lien avec cette enfant ainsi qu'avec sa mère, qui lui rendent régulièrement visite en prison, et fait valoir les efforts incontestables qu'il a fournis, durant son incarcération, pour se former, s'amender et préparer sa réinsertion sociale en France, son extradition vers la Pologne ne peut être regardée comme entachée, eu égard à l'ensemble des circonstances de fait invoquées, d'une méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur l'atteinte au droit d'asile :
9. Il résulte de l'instruction que M. B..., qui dit être entré en France en 1999, n'a présenté une demande d'admission au statut de réfugié que le 29 avril 2021. Cette demande a été rejetée par le directeur général de l'OFPRA le 19 mai 2021. L'intéressé a formé, contre cette décision, un recours actuellement pendant devant la Cour nationale du droit d'asile. S'il fait valoir qu'il bénéficie du droit de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce qu'il ait été statué sur ce recours, conformément aux articles L. 541-1 et L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, cette seule circonstance ne fait pas obstacle à ce que le Gouvernement français procède à son extradition. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi d'une contestation sur ce point, d'apprécier, au vu des éléments qui lui sont soumis et en faisant, le cas échéant, usage de ses pouvoirs d'instruction, si le requérant peut se prévaloir de la qualité de réfugié pour s'opposer à l'exécution du décret d'extradition. En l'espèce, M. B... n'invoque devant le Conseil d'Etat que les craintes de persécution dont il affirme être susceptible de faire l'objet en raison de sa bisexualité prétendue. Pour les raisons indiquées au 3, les risques d'atteintes graves auxquels il se dit exposé de ce chef en cas de retour dans son pays d'origine ne peuvent être tenus pour établis. Par suite, l'extradition du requérant vers la Pologne ne peut être regardée comme portant à son droit à demander son admission au statut de réfugié une atteinte grave et manifestement illégale.
Sur le risque de poursuites du fait de l'engagement du requérant dans la Légion étrangère :
10. Aux termes de l'article 14 de la convention européenne d'extradition du
13 décembre 1957 : " L'individu qui aura été livré ne sera ni poursuivi, ni jugé, ni détenu en vue de l'exécution d'une peine ou d'une mesure de sûreté, ni soumis à toute autre restriction de sa liberté individuelle, pour un fait quelconque antérieur à la remise, autre que celui ayant motivé l'extradition (...) ". Si M. B..., qui s'est engagé dans la Légion étrangère en France en avril 2000, fait valoir que le fait pour un citoyen polonais de s'engager, sans autorisation des autorités polonaises polonaise, dans une armée étrangère constitue une infraction pénale en Pologne en application de l'article 141 du code pénal polonais, cette infraction n'est pas au nombre de celles visées par la procédure d'extradition, de sorte que les craintes alléguées n'apparaissent pas justifiées.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'établit pas, en tout état de cause, que la mise à exécution du décret du 20 avril 2004 par lequel le Premier ministre a accordé son extradition aux autorités polonaises porterait une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Par suite, il y a lieu de rejeter sa requête, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.