La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/07/2020 | FRANCE | N°441880

France | France, Conseil d'État, 21 juillet 2020, 441880


Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la directrice interrégionale des services pénitentiaires du Grand Ouest de le faire transférer de la maison d'arrêt de Brest à celle de Nantes dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2006192 du 3 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif

de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 16 juil...

Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à la directrice interrégionale des services pénitentiaires du Grand Ouest de le faire transférer de la maison d'arrêt de Brest à celle de Nantes dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2006192 du 3 juillet 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à Mme C... D..., son avocate, au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition de l'urgence est satisfaite, la décision litigieuse portant une atteinte grave et immédiate à sa situation, en ce qu'elle le place dans une situation de vulnérabilité, le prive de sa liberté d'aller et venir et fait obstacle à la préparation de sa défense en vue de l'audience prévue le 31 juillet 2020 au tribunal correctionnel de Nantes ;

- eu égard aux spécificités de la procédure de comparution immédiate et à l'impossibilité dans laquelle il se trouve de préparer efficacement sa défense depuis la maison d'arrêt de Brest, avec le concours de son avocate, en vue de l'audience prévue le 31 juillet 2020 à Nantes, il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à un procès équitable et aux droits de la défense ;

- elle est entachée d'une insuffisance de motivation en ce qu'elle se fonde sur la nécessité de prévenir la commission de nouveaux actes de violence à l'encontre du personnel pénitentiaire ou d'autres détenus, sans répondre à l'argument selon lequel la maison d'arrêt de Nantes comporte plusieurs bâtiments dont deux dits de détention ordinaire et sans préciser le taux d'occupation de la maison d'arrêt de Brest ni les conditions de fonctionnement de celle-ci ;

- l'ordonnance attaquée a inexactement apprécié sa situation, faute de faire mention de la spécificité de la procédure de comparution immédiate et en ce qu'elle retient qu'une simple communication à distance entre le prévenu et son avocat garantit le respect des droits de la défense ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale dès lors qu'il ne peut bénéficier d'aucune visite au sein de la maison d'arrêt de Brest ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une erreur d'appréciation de sa situation en ce qu'elle retient qu'il ne justifiait pas de ses relations actuelles avec Mme E..., alors qu'il produisait une attestation récente de cette dernière faisant état de la nature de leur relation ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure pénale dès lors que la décision contestée n'est pas accompagnée de l'accord de l'autorité compétente pour décider de son transfèrement et qu'il n'a pas été invité à faire valoir ses observations sur cette décision ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'une insuffisance de motivation, faute de répondre à ce dernier argument ;

- son maintien à la maison d'arrêt de Brest n'est pas justifié dès lors qu'il appartenait à l'administration pénitentiaire de mettre en oeuvre les moyens à sa disposition afin que soient garanti le respect de ses droits fondamentaux, soit en organisant une absence de contact avec le fonctionnaire victime de ses agissements au sein de la maison d'arrêt de Nantes, soit en faisant le choix d'une maison d'arrêt plus proche que celle de Brest, soit en le transférant au centre de détention de Nantes.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de procédure pénale ;

- le code des relations entre le public et l'administration

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. M. A... est placé en détention provisoire depuis le 10 juin 2020. Il a d'abord été incarcéré à la maison d'arrêt de Nantes avant d'être transféré, le 22 juin 2020, à la maison d'arrêt de Brest, sur décision de la directrice interrégionale des services pénitentiaires du Grand Ouest du 16 juin 2020. M. A... relève appel de l'ordonnance du 3 juillet 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la directrice interrégionale des services pénitentiaires du Grand Ouest de le faire transférer à la maison d'arrêt de Nantes, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard.

3. Aux termes de l'article D. 53 du code de procédure pénale : " Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article D. 52, les prévenus placés en détention provisoire sont incarcérés, pendant la durée de l'instruction, selon les prescriptions du mandat ou de la décision de justice dont ils font l'objet, à la maison d'arrêt de la ville où siège la juridiction d'instruction ou du jugement devant laquelle ils ont à comparaître / (...) Dans les cas prévus par les trois premiers alinéas, lorsque la maison d'arrêt n'offre pas des conditions d'accueil satisfaisantes en raison notamment de son taux d'occupation, ou des garanties de sécurité suffisantes, les prévenus sont incarcérés dans une autre maison d'arrêt ou un autre établissement spécialisé pour mineurs. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction que M. A... a été condamné à seize reprises entre 1992 et 2019, que sept de ses condamnations l'ont été pour des faits de violence. En 2017, alors qu'il était détenu à la maison d'arrêt de Nantes, il a donné à un surveillant un coup de tête ayant provoqué une fracture du nez et une blessure ayant nécessité quatre points de suture. Le transfert de M. A... de la maison d'arrêt de Nantes, où il était initialement incarcéré en vue de sa comparution le 31 juillet 2020, vers la maison d'arrêt de Brest a été décidé par l'administration pénitentiaire en vue de préserver l'ordre et la sécurité au sein de l'établissement nantais, compte tenu de ce que le surveillant blessé par M. A... en 2017 y est toujours en poste.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 22 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. (...) ". Aux termes de l'article 25 de la même loi : " Les personnes détenues communiquent librement avec leurs avocats ". Aux termes de l'article R. 57-6-5 du code de procédure pénale : " Le permis de communiquer est délivré aux avocats, pour les condamnés, par le juge de l'application des peines ou son greffier pour l'application des articles 712-6, 712 7 et 712-8 et, pour les prévenus, par le magistrat saisi du dossier de la procédure. / Dans les autres cas, il est délivré par le chef de l'établissement pénitentiaire ". Aux termes de l'article R. 57-6-6 du même code, relatif aux relations des personnes détenues avec leur défenseur : " La communication se fait verbalement ou par écrit. Aucune sanction ni mesure ne peut supprimer ou restreindre la libre communication de la personne détenue avec son conseil ". Il résulte de ces dispositions que les détenus disposent du droit de communiquer librement avec leurs avocats. Ce droit implique notamment qu'ils puissent, selon une fréquence qui, eu égard au rôle dévolu à l'avocat auprès des intéressés, ne peut être limitée à priori, recevoir leurs visites, dans des conditions garantissant la confidentialité de leurs échanges.

6. M. A... fait valoir que son transfert à la maison d'arrêt de Brest, alors qu'il doit comparaître devant le tribunal correctionnel de Nantes le 31 juillet 2020, l'empêche de préparer efficacement sa défense, son avocate exerçant ses fonctions à Nantes et ne pouvant, alors qu'elle est rémunérée par l'aide juridictionnelle, se déplacer à Brest pour le rencontrer et parler de son dossier. Il soutient que ni les échanges téléphoniques, ni les correspondances avec son conseil, alors qu'il maîtrise mal le français, ne peuvent pallier l'absence d'échange verbal dans un parloir. Toutefois, s'il est constant que la maison d'arrêt de Brest est distante de trois cents kilomètres de la ville où M. A... doit comparaître et dans laquelle est établi le cabinet de son conseil, alors que l'article D. 53 précité du code de procédure pénale prévoit que tout prévenu placé en détention provisoire est en principe incarcéré dans la maison d'arrêt de la ville où siège la juridiction devant laquelle il doit comparaître, et que cette circonstance rend moins aisées les visites de ce conseil, il n'apparaît pas en l'état de l'instruction que cet éloignement de l'intéressé, qui est justifié en l'espèce par son comportement passé en détention et par la nécessité pour l'administration pénitentiaire de prévenir la commission de nouveaux actes de violence à l'encontre du personnel ou d'autres détenus, fasse obstacle à ce qu'il puisse utilement communiquer avec son avocate en vue de préparer sa défense. Par suite, alors qu'il n'apparaît pas que la sérénité dans l'établissement puisse être garantie en présence de M. A..., quelle que soit l'unité dans laquelle il serait affecté, et qu'il n'est pas davantage sérieusement contesté en appel que devant le juge du référé du tribunal administratif que les maisons d'arrêt plus proches de Nantes que celle de Brest présentent un taux d'occupation ou des conditions de fonctionnement qui n'auraient pas permis d'y affecter l'intéressé dans des conditions de sécurité satisfaisantes, il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que le maintien de l'intéressé en détention à la maison d'arrêt de Brest porterait une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

7. En deuxième lieu, les stipulations de l'article 8 de la même convention, qui garantissent le droit au respect de la vie privée et familiale, n'accordent pas aux détenus le droit de choisir leur lieu de détention et la séparation et l'éloignement du détenu de sa famille constituent des conséquences inévitables de ladite détention. Cependant, le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille au point que toute visite se révèle en réalité très difficile, voire impossible, peut, dans certaines circonstances spécifiques, constituer une ingérence dans la vie familiale du détenu, dès lors que la possibilité pour les membres de sa famille de lui rendre visite est un facteur essentiel pour le maintien de la vie familiale.

8. Si M. A... soutient que son déplacement à Brest le prive de la possibilité de recevoir la visite de sa compagne domiciliée à Nantes, eu égard aux faibles revenus dont celle-ci dispose, les éléments produits à l'instruction ne permettent pas davantage en appel que devant le juge des référés du tribunal administratif, d'attester de la nature des relations entretenues par l'intéressé avec Mme E..., ni que cette personne aurait effectivement cherché à lui rendre visite en détention. Par suite, il n'est pas établi, en l'état de l'instruction, que le maintien de M. A... en détention à la maison d'arrêt de Brest porterait, dans les circonstances de l'espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect de sa vie privée et familiale.

9. En dernier lieu, les circonstances, invoquées par M. A..., d'une part, que l'accord du procureur de la République à son transfert à Brest n'aurait pas été donné sous forme écrite, en méconnaissance des prescriptions de l'article D. 301 du code de procédure pénale, d'autre part, qu'il n'aurait pas été mis à même de faire valoir ses observations préalablement à l'intervention de cette décision ne sont pas, en tout état de cause, de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, de nature à justifier l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

10. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est manifestement pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés a rejeté la demande qu'il lui avait présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Il y a donc lieu de rejeter sa requête d'appel selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris ses conclusions présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du même code.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : la requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....

Copie en sera adressée au garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 441880
Date de la décision : 21/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 21 jui. 2020, n° 441880
Inédit au recueil Lebon

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:441880.20200721
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award