Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 26 juin et le 7 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Rouler Libre, MM. AL... AE..., AS... G..., B... AA..., W... AG..., W... U..., AT... Q..., B... AW..., S... AD..., Y... AP..., D... AF..., C... F..., M... AH..., T... J..., AU... AB..., AN... L..., N... AJ..., W...-AZ... AQ..., O... AC..., AX... J... A..., J...-AY... R..., AK... Z..., X... AO... et les sociétés Transport Première Classe VTC, Limo Premium Services, Trade Tour, Keemdeluxe, Transport RS et L VTC demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'intérieur ainsi qu'au secrétaire d'Etat chargé des transports de prendre, dans les quarante-huit heures suivant la lecture de l'ordonnance à intervenir, toutes mesures utiles afin de mettre un terme aux atteintes graves et disproportionnées à la vie des citoyens se déplaçant dans l'agglomération de Paris, générées par les interdictions de circulation et de stationnement de véhicules à moteur dans de nombreuses rues de la ville, ordonnées depuis le mois d'avril 2020, par la création de nouvelles pistes cyclables et par la piétonisation de plusieurs rues de Paris ;
2°) d'enjoindre au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'intérieur ainsi qu'au secrétaire d'Etat chargé des transports d'intervenir, dans les quarante-huit heures suivant la lecture de l'ordonnance à intervenir, auprès de la municipalité de Paris en vue de réclamer un réexamen de l'ensemble des mesures d'interdictions de circulation et de stationnement de véhicules à moteur dans de nombreuses rues de Paris, ordonnées depuis le mois d'avril 2020, de création de nouvelles pistes cyclables et de piétonisation de plusieurs rues de Paris ;
3°) d'ordonner à la ville de Paris de supprimer, dans les quarante-huit heures suivant la lecture de l'ordonnance à intervenir, l'ensemble des mesures d'interdictions de circulation et de stationnement de véhicules à moteur dans de nombreuses rues de Paris, ordonnées depuis le mois d'avril 2020, et notamment dans la rue de Rivoli, la rue Saint-Antoine, la rue du Faubourg-Poissonnière, la rue de Belleville, la rue des Petits-Champs et la rue Mouffetard, sans que cette énumération de rues ne soit limitative ;
4°) d'ordonner à la ville de Paris de supprimer, dans les quarante-huit heures suivant la lecture de l'ordonnance à intervenir, l'ensemble des mesures de création de nouvelles pistes cyclables mises en place depuis le mois d'avril 2020, et de supprimer les rues piétonnisées depuis ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- ils justifient d'une capacité et intérêt à agir ;
- la requête relève bien de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard, d'une part, au caractère encore préoccupant de la situation sanitaire, notamment la crainte d'une seconde vague de contamination par l'épidémie de covid-19, que les mesures contestées contribuent à faire perdurer et, d'autre part, à la nécessité, par conséquent, pour les usagers des voies de circulation de Paris et de l'agglomération parisienne de pouvoir choisir un mode de transport ne présentant pas un risque accru de contamination au virus ;
- les mesures d'urbanisme, notamment de restriction de la circulation des véhicules à moteur, la création de nombreuses pistes cyclables temporaires et la piétonisation de nombreuses rues dans d'importants axes de l'agglomération parisienne, prises par le maire de la ville de Paris et arbitrairement imposées, et la carence du Gouvernement à y mettre un terme constituent une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des usagers concernés et à leur liberté d'aller et venir, surtout des sociétés de transport requérantes ;
- les entraves à la circulation qui en résultent sont particulièrement préjudiciable aux automobilistes, en particulier aux professionnels ayant une activité de transport de passagers, exception faite des taxis, dès lors que d'importants axes de circulation qu'ils empruntent fréquemment ont été fermés à la circulation des voitures particulières et des VTC et de nombreuses autres rues ont été piétonisés ;
- l'usage des transports collectifs, tels que le réseau de métro ou bus, voire RER, et pour certains le vélo, auquel bon nombre d'automobilistes sont contraints, présente un risque sanitaire important dès lors que, d'une part, la fréquentation et l'exiguïté des transports en commun dont l'offre est, par ailleurs, inadaptée rendent difficile le bon respect des recommandations gouvernementales de distanciation sociale et, d'autre part, les activités cyclistes exposent leurs pratiquants à une contamination particulièrement accrue lorsqu'elles sont exercées de façon rapprochée ;
- la pratique du vélo que les mesures contestées favorisent entraîne une hausse importante du nombre d'accidents compte tenu, notamment, de la conception défectueuse et hâtive d'un certain nombre de pistes cyclables ;
- en empêchant l'usage de l'automobile et en privilégiant le recours aux transports collectifs et au vélo, les mesures contestées sont incompatibles avec les recommandations gouvernementales de distanciation sociale prescrite par l'article 1er du décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 et portent atteinte à la santé publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient, en premier lieu, que le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître en premier ressort de cette requête, qui conteste en réalité la légalité d'arrêtés municipaux du maire de Paris, et, en second lieu, qu'aucune des conditions prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est remplie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juillet 2020, la ville de Paris conclut au rejet de la requête. Elle soutient que, d'une part, la requête est portée devant une juridiction incompétente pour en connaître, est irrecevable et, d'autre part, qu'elle ne remplit aucune des deux conditions prévues par l'article L. 521-2 du code de justice administrative.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 6 juillet 2020, MM. E... AM..., S... AR..., AV... H..., AI... P... et I... K... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de faire droit aux moyens et conclusions développés par les requérants. Ils soutiennent que, en premier lieu, leur intervention est recevable, en deuxième lieu, la condition d'urgence est également remplie en ce qui les concerne, enfin, les mesures contestées de restriction de la circulation des véhicules à moteur prises par le maire de la ville de Paris portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie et à la liberté d'aller et venir.
La requête a été communiquée à la ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre des solidarités et de la santé qui n'ont pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 7 juillet 2020 à 18 heures.
Considérant ce qui suit :
1. D'une part, aux termes de l'article L. 311-1 du code de justice administrative : " Les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences que l'objet du litige ou l'intérêt d'une bonne administration de la justice conduisent à attribuer à une autre juridiction administrative ". Aux termes de l'article R. 311-1 du même code : " Le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort :/ (...) 2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale. /6° Des recours (...) en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d'Etat (...) ".
2. D'autre part, aux termes de l'article R. 312-4 de ce code : " Les recours (...) en appréciation de légalité relèvent de la compétence du tribunal administratif territorialement compétent pour connaître de l'acte litigieux ". L'article R. 312-1 du même code dispose que : " Lorsqu'il n'en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée. (...) ".
3. Les requérants demandent, à titre principal, que soit ordonné à la ville de Paris de supprimer l'ensemble des mesures d'interdiction de circulation et de stationnement de véhicules à moteur, de création de nouvelles pistes cyclables et de piétonisation de plusieurs rues de Paris, décidées depuis le mois d'avril 2020 par la maire de la ville de Paris, et qu'il soit enjoint à diverses autorités de l'Etat de prendre dans les quarante-huit heures toutes mesures utiles pour mettre un terme aux atteintes graves et disproportionnées à la vie des citoyens générées par ces mesures. Ces mesures, prises dans le cadre de l'exercice par le maire de son pouvoir de police de la circulation et du stationnement sur les voies ouvertes à la circulation publique à l'intérieur des agglomérations, conformément aux dispositions de l'article L. 2213-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, n'entrent pas dans le champ du 2° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative et ne relèvent d'aucun des autres cas de compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort énumérés par cet article. Aucune autre disposition ne donnant compétence au Conseil d'Etat pour connaître en premier et dernier ressort de conclusions tendant à l'annulation de telles mesures, il y a lieu, en application de de l'article R. 351-1 du code de justice administrative, d'attribuer le jugement de la présente requête au tribunal administratif de Paris, dans le ressort duquel la mairie de la ville de Paris a son siège, compétent pour en connaître en vertu de l'article R. 312-1 du même code.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Le jugement de l'affaire est renvoyé au tribunal administratif de Paris.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Rouler Libre, première requérante dénommée, pour l'ensemble des requérants, au ministre de l'intérieur et à la ville de Paris.
Copie en sera adressée à MM. E... AM..., S... AR..., AV... H..., AI... P..., I... K..., à la ministre de la transition écologique et au ministre des solidarités et de la santé.