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22/05/2020 | FRANCE | N°440534

France | France, Conseil d'État, 22 mai 2020, 440534


Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 12, 14, 15 et 19 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 9 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) su

bsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre, dans un délai de 24 heures, de modifier ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, deux mémoires complémentaires et un mémoire en réplique, enregistrés les 12, 14, 15 et 19 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 9 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ;

2°) subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre, dans un délai de 24 heures, de modifier ce décret sur les points suivants :

- modification du dispositif pour circonscrire précisément le pouvoir des maires, qui doit s'exercer en prenant en compte uniquement les circonstances locales en lien avec le respect de la distanciation physique et les gestes barrière, qui doit tenir compte du principe d'adaptabilité et de proportionnalité en prévoyant le cas échéant des modulations horaires et journalières et qui doit prévoir un dispositif garantissant aux administrés la possibilité de saisir le maire et d'obtenir une décision dans un délai extrêmement court ;

- modification du dispositif pour prévoir que la dérogation du préfet doit être accordée sauf démonstration de circonstances locales rendant nécessaire le maintien de l'interdiction d'accès aux plages et prévoir un délai très court pour statuer ;

3°) mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête est recevable ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, premièrement, les dispositions contestées l'empêchent, comme l'ensemble de la population, de se rendre et de circuler sur les plages, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, après plus de deux mois de confinement, sans activité physique réelle, ni loisirs, dans un contexte législatif et règlementaire où la liberté de circuler est encore largement restreinte, et constituent ainsi un acte supplémentaire aggravant les atteintes actuelles aux libertés subies par les administrés, deuxièmement, à Deauville, où il réside, il n'existe aucun espace ouvert de loisirs, libre d'accès, autre que la plage et les espaces environnants, troisièmement, aucun intérêt public ne justifie une mesure générale à l'échelle nationale et, quatrièmement, en application de l'arrêté du préfet du Calvados du 14 mai 2020, l'accès à la plage de Deauville est encore excessivement contraint, non seulement à raison de la plage horaire très limitée d'accès autorisé, mais également en raison des usages prescrits ;

- les dispositions contestées portent une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir ;

- le principe d'interdiction d'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs dans les départements " verts " méconnaît les dispositions de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique et les règles générales régissant la légalité des mesures de police administrative qui imposent que celles-ci soient nécessaires et proportionnées dès lors que la nécessité d'interdire à l'échelle nationale l'accès aux plages n'est pas établie et que cette interdiction est disproportionnée ;

- la procédure de dérogation au principe d'interdiction est entachée d'incompétence négative dès lors que, par son imprécision, d'une part, elle place le maire en situation de pouvoir arbitrairement décider s'il saisit le préfet d'une proposition de dérogation ou, à tout le moins, de constituer un dossier ne pouvant que conduire à un refus préfectoral de dérogation, en méconnaissance de la liberté de circulation et du principe d'égalité devant la loi, et, d'autre part, elle attribue au préfet un pouvoir d'appréciation en pure opportunité, qui n'est enfermé dans aucun délai, en méconnaissance de l'article L. 3131-17 du code de la santé publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 mai 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que l'urgence n'est pas constituée et les moyens de la requête non fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;

- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;

- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été informées, sur le fondement de l'article 9 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, de ce qu'aucune audience ne se tiendrait et de ce que la clôture de l'instruction serait fixée le 20 mai 2020 à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais. " Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".

Sur les circonstances :

2. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par plusieurs arrêtés successifs.

3. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020 puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Par un décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, plusieurs fois modifié et complété depuis lors, le Premier ministre a réitéré les mesures précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Par un premier décret du 11 mai 2020, applicable les 11 et 12 mai 2020, le Premier ministre a abrogé l'essentiel des mesures précédemment ordonnées par le décret du 23 mars 2020 et en a pris de nouvelles. Enfin, par un second décret du 11 mai 2020, pris sur le fondement de la loi du 11 mai 2020 et abrogeant le précédent décret, le Premier ministre a prescrit les nouvelles mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.

Sur l'office du juge des référés :

4. Dans l'actuelle période d'état d'urgence sanitaire, il appartient aux différentes autorités compétentes de prendre, en vue de sauvegarder la santé de la population, toutes dispositions de nature à prévenir ou à limiter les effets de l'épidémie. Ces mesures, qui peuvent limiter l'exercice des droits et libertés fondamentaux doivent, dans cette mesure, être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif de sauvegarde de la santé publique qu'elles poursuivent.

5. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1 et L. 521-2 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

6. La liberté d'aller et venir présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative cité au point 1.

Sur la demande en référé :

7. Pris notamment sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 mentionné au point 3 réglemente en son article 9 l'accès aux parcs, jardins et autres espaces verts aménagés, aux plages, plans d'eau et lacs, et aux marchés couverts ou non. Eu égard aux moyens qu'il invoque, M. B..., qui réside à Deauville et qui demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet article et, subsidiairement, d'enjoindre au Premier ministre de modifier cet article, doit être regardé comme ne contestant que les dispositions du II de cet article, aux termes duquel : " L'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs est interdit. Les activités nautiques et de plaisance sont interdites. Le préfet de département peut toutefois, sur proposition du maire, ou, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, du président de la collectivité, autoriser l'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs et les activités nautiques et de plaisance si sont mis en place les modalités et les contrôles de nature à garantir le respect des dispositions de l'article 1er et de l'article 7 ".

8. Si le requérant fait valoir que ces dispositions ne seraient pas nécessaires pour garantir la santé publique et seraient disproportionnées aux risques sanitaires, il résulte de l'instruction que le choix fait par le Premier ministre de poser en principe l'interdiction de l'accès aux plages, aux plans d'eau et aux lacs, tout en l'assortissant de la possibilité de déroger localement à cette interdiction à l'initiative des maires, a été dicté par le souci, pendant la première phase de déconfinement progressif, d'éviter les concentrations humaines, qui plus est statiques, caractéristiques de ces lieux, en période de printemps et au moment où, à l'interdiction de se déplacer pour motifs récréatifs à plus d'un kilomètre de son domicile, a été substituée la possibilité de se déplacer sans justification dans un rayon de cent kilomètres. Contrairement à ce que soutient le requérant, cette mesure d'interdiction sauf dérogation en fonction des circonstances locales, ne porte pas à la liberté d'aller et venir une atteinte de la nature de celles qui sont mentionnées à l'article L. 521-2 du code de justice administrative, compte tenu de l'impératif d'éviter la reprise de l'épidémie pendant la phase de déconfinement progressif, et nonobstant la circonstance que dans les zones du territoire classées en " vert ", l'accès aux parcs et jardins, qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques, soit autorisé. Si le requérant fait valoir que pendant la période de confinement l'interdiction d'accès aux plages relevait de l'initiative locale, et non pas d'une mesure nationale, cette différence s'explique, en tout état de cause, par l'interdiction générale qui était alors en vigueur de déplacement à plus d'un kilomètre de son domicile. La disposition introduisant la faculté pour le préfet, sur proposition du maire, de lever l'interdiction, le cas échéant en adaptant les conditions et horaires d'accès, ne porte pas davantage à la liberté d'aller et venir une atteinte de cette nature, dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu, elle subordonne de façon suffisamment précise la mise en oeuvre de cette dérogation, tant pour ce qui est du pouvoir d'initiative du maire, que pour ce qui est du pouvoir de décision du préfet, aux impératifs de santé publique tels qu'ils peuvent être évalués localement et dès lors que, en toute hypothèse, elle permet de déroger à une interdiction générale dont il a été dit qu'elle ne portait pas par elle-même une telle atteinte.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, que les conclusions à fin de suspension de l'exécution des dispositions contestées, ainsi que les conclusions présentées à titre subsidiaire, tendant à ce qu'il soit enjoint au Premier ministre de modifier les conditions dans lesquelles la dérogation qu'elles prévoient est exercée, et les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 440534
Date de la décision : 22/05/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 22 mai. 2020, n° 440534
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:440534.20200522
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