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10/12/2014 | FRANCE | N°382506

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 10 décembre 2014, 382506


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 11 juillet et 6 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Soultzmatt-Wintzfelden, représentée par son maire, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-207 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département du Haut-Rhin et la décision du ministre de l'intérieur du 15 mai 2014 rejetant son recours gracieux formé contre le décret ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendr

e un nouveau décret portant délimitation des cantons dans le département du Haut-Rhin...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 11 juillet et 6 novembre 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Soultzmatt-Wintzfelden, représentée par son maire, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2014-207 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département du Haut-Rhin et la décision du ministre de l'intérieur du 15 mai 2014 rejetant son recours gracieux formé contre le décret ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre de prendre un nouveau décret portant délimitation des cantons dans le département du Haut-Rhin, la rattachant au canton de Guebwiller (n°7) ou de réexaminer sa demande d'une nouvelle délimitation cantonale en vue de la rattacher au canton n° 7 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du ministre de l'intérieur rejetant son recours gracieux est entachée d'incompétence ;

- le décret a été adopté au terme d'une procédure irrégulière faute pour le Gouvernement d'avoir procédé à une consultation préalable des communes concernées, en méconnaissance du paragraphe 6 de l'article 4 de la Charte européenne de l'autonomie locale du 15 octobre 1985 ;

- le décret méconnaît le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage et le III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'il accentue la disparité démographique entre les cantons de Guebwiller (n° 7) et de Wintzenheim (n°16) ;

- le décret est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que la commune de Soultzmatt-Wintzfelden, membre de la communauté de communes de Guebwiller, est rattachée au canton de Wintzenheim (n° 16) et non à celui de Guebwiller (n° 7) en contradiction avec le schéma départemental de coopération intercommunale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 octobre 2014, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la commune ne sont pas fondés ou sont inopérants.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- la Constitution ;

- la Charte européenne de l'autonomie locale ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n°2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Herondart, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Tiffreau, Marlange, de la Burgade, avocat de la commune de Soultzmatt-Wintzfelden.

1. Considérant que l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2013, prévoit que : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil départemental qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitant ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ; ou par d'autres impératifs d'intérêt général " ;

2. Considérant que le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département du Haut-Rhin, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons de ce département de 31 à 17 résultant de l'article L. 191-1 du code électoral ;

Sur les conclusions de la requérante dirigées contre la décision du ministre de l'intérieur du 15 mai 2014 rejetant son recours gracieux formé contre le décret attaqué :

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution " ; que les ministres chargés de l'exécution ont compétence pour signer ou contresigner les mesures réglementaires ou individuelles que comporte nécessairement l'exécution des actes en cause ; que, par suite, le ministre de l'intérieur, contresignataire du décret attaqué, était compétent pour statuer sur le recours gracieux de la requérante dirigé contre ce décret ;

4. Considérant, d'autre part, que Mme A...B..., signataire de la décision du 15 mai 2014 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté le recours gracieux formé par la commune requérante contre le décret attaqué, a été nommée secrétaire générale adjointe, directrice de la modernisation et de l'action territoriale à l'administration centrale du ministère de l'intérieur, à compter du 26 août 2013 par décret du 5 août 2013, publié le 6 août 2013 au Journal officiel ; qu'elle était en conséquence habilité à signer la décision critiquée en vertu de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 qui dispose qu' " à compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à compter du jour où cet acte prend effet, si ce jour est postérieur, peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / 1° Les secrétaires généraux des ministères, les directeurs d'administration centrale (...) " ; que, dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cette décision manque en fait ;

Sur la légalité externe du décret attaqué :

5. Considérant qu'aux termes du 6. de l'article 4 de la charte européenne de l'autonomie locale : " Les collectivités locales doivent être consultées, autant qu'il est possible, en temps utile et de façon appropriée, au cours des processus de planification et de décision pour toutes les questions qui les concernent directement. " ; que la délimitation des cantons d'un département, qui sont des circonscriptions électorales, ne concerne pas directement, au sens de ces stipulations, les communes de ce département ; qu'il est en outre constant que le décret attaqué a été pris sur avis du conseil général du Haut-Rhin, émis le 20 décembre 2013, après examen du projet transmis par le préfet au président du conseil général le 18 novembre 2013 ; que la commune n'est, par suite, pas fondée, en tout état de cause, à soutenir que le décret attaqué a été adopté en méconnaissance des stipulations conventionnelles précitées, faute d'avoir été précédé d'une consultation des collectivités directement concernées ;

Sur la légalité interne du décret attaqué :

6. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton, seules des exceptions de portée limitée et spécialement justifiées pouvant être apportées à ces règles ; que ni ces dispositions, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons coïncident avec les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale figurant dans le schéma départemental de coopération intercommunale ; que, par suite, la commune ne saurait utilement soutenir que la nouvelle délimitation cantonale aurait méconnu ces limites ;

7. Considérant que le rattachement de la commune de Soultzmatt-Wintzfelden, membre de la communauté de communes de la région de Guebwiller, au canton de Wintzenheim (n° 16), qui comprend notamment la commune d'Osenbach, se justifie par le fait que cette commune, qui a une population inférieure à 3 500 habitants et qui comprend une enclave au nord-ouest de la commune d'Osenbach, ne pouvait être fractionnée mais devait être comprise dans un même canton, ce qui interdisait son rattachement au canton de Guebwiller (n° 7), auquel appartiennent les autres communes de la communauté de communes de la Région de Guebwiller ; que la circonstance que cette enclave dans la commune d'Osenbach est constituée par une forêt dépourvue d'habitants n'est pas de nature à entacher le choix du pouvoir réglementaire d'une erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de l'exigence du critère de continuité territoriale ; qu'est également sans influence sur la légalité du décret attaqué la circonstance que la commune a été rattachée en 2012 à la communauté de communes de Guebwiller dont le territoire coïncidait avec l'ancien canton de Guebwiller, sans que le principe de continuité territoriale n'ait fait obstacle à ce rattachement ;

8. Considérant, enfin, que le décret attaqué réduit sensiblement l'écart entre la population du canton le moins peuplé et celle du canton le plus peuplé, qui était de 1 à 5,16 et qui passe de 1 à 1,43 et que la population moyenne par canton s'établit à 44 105 habitants ; que si, comme le soutient la commune, il demeure des écarts entre le canton de Guebwiller (n° 7) qui a une population inférieure de 17,11 % à cette population moyenne et celui de Wintzenheim (n° 16) qui a une population supérieure de 11,98% à cette même population moyenne, il ressort des pièces du dossier que l'écart résulte, en ce qui concerne le canton de Wintzenheim, de la nécessité de respecter la continuité territoriale de la commune et ne conduit pas, en l'espèce, à méconnaître l'obligation, énoncée au a) du III de l'article L. 3113-2, de définir le territoire de chaque canton sur des bases essentiellement démographiques ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de la commune de Soultzmatt-Wintzfelden doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la commune de Soultzmatt-Wintzfelden est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de Soultzmatt-Wintzfelden et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 382506
Date de la décision : 10/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 déc. 2014, n° 382506
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mathieu Herondart
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP TIFFREAU, MARLANGE, DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:382506.20141210
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