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10/12/2014 | FRANCE | N°381049

France | France, Conseil d'État, 8ème sous-section jugeant seule, 10 décembre 2014, 381049


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 10 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté de communes des Trois Frontières, représentée par son président, demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2014-207 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département du Haut-Rhin, d'autre part, la décision du ministre de l'intérieur du 31 mars 2014 rejetant son recours gracieux formé contre le décret ;

elle soutient que :

- le décret n'est pas suffisamment

motivé ;

- la consultation du conseil général a été irrégulière dès lors que le proj...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 10 juin 2014 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la communauté de communes des Trois Frontières, représentée par son président, demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret n° 2014-207 du 21 février 2014 portant délimitation des cantons dans le département du Haut-Rhin, d'autre part, la décision du ministre de l'intérieur du 31 mars 2014 rejetant son recours gracieux formé contre le décret ;

elle soutient que :

- le décret n'est pas suffisamment motivé ;

- la consultation du conseil général a été irrégulière dès lors que le projet qui lui a été soumis ne comportait de motivation ni sur les limites des nouveaux cantons ni sur l'absence de prise en compte des propositions formulées antérieurement par le président du conseil général ;

- le décret a été adopté au terme d'une procédure irrégulière faute pour le gouvernement d'avoir procédé à une concertation préalable avec les maires et présidents d'établissements publics de coopération intercommunale du département ;

- le décret est entaché d'incompétence négative, faute de procéder à la désignation des chefs-lieux de cantons ;

- le décret méconnaît le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage et le III de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales dès lors qu'il crée des cantons, notamment le canton de Saint-Louis (n° 14), dont la population est nettement supérieure à la moyenne départementale ;

- le décret est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il ne respecte pas les limites des structures intercommunales et des bassins de vie, la communauté de communes des Trois frontières étant scindée entre les cantons de Brunstatt (n° 2) et de Saint-Louis (n° 14) ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 octobre 2014, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la communauté de communes ne sont pas fondés ou sont inopérants.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2012-1479 du 27 décembre 2012 ;

- le décret n° 2013-938 du 18 octobre 2013 ;

- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mathieu Herondart, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

1. Considérant que l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version issue de la loi du 17 mai 2013, prévoit que : " I. - Les modifications des limites territoriales des cantons, les créations et suppressions de cantons et le transfert du siège de leur chef-lieu sont décidés par décret en Conseil d'Etat après consultation du conseil départemental qui se prononce dans un délai de six semaines à compter de sa saisine. A l'expiration de ce délai, son avis est réputé rendu. (...) III. - La modification des limites territoriales des cantons effectuée en application du I est conforme aux règles suivantes : a) Le territoire de chaque canton est défini sur des bases essentiellement démographiques ; / b) Le territoire de chaque canton est continu ; / c) Est entièrement comprise dans le même canton toute commune de moins de 3 500 habitants ; / IV. - Il n'est apporté aux règles énoncées au III que des exceptions de portée limitée, spécialement justifiées, au cas par cas, par des considérations géographiques ; ou par d'autres impératifs d'intérêt général " ;

2. Considérant que le décret attaqué a, sur le fondement de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales, procédé à une nouvelle délimitation des cantons du département du Haut-Rhin, compte tenu de l'exigence de réduction du nombre des cantons de ce département de 31 à 17 résultant de l'article L. 191-1 du code électoral ;

Sur la légalité externe du décret :

3. Considérant, en premier lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait au Premier ministre de mentionner dans le décret les raisons des choix opérés pour la création des nouveaux cantons ni les motifs pour lesquels l'avis du conseil général n'avait pas été suivi et pour lesquels des modifications avaient été apportées au projet soumis à l'assemblée départementale ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il est constant que le décret a été pris sur avis du conseil général du Haut-Rhin, émis le 20 décembre 2013, après examen du projet transmis par le préfet au président du conseil général le 18 novembre 2013 ; qu'il ressort des pièces du dossier que le président du conseil général a été destinataire du projet de décret, d'un rapport de présentation générale rappelant les principes qui ont été retenus pour déterminer les nouvelles limites cantonales, de cartes faisant apparaître les nouveaux cantons, les nouveaux cantons superposés aux anciens cantons, les nouveaux cantons et les limites des établissements publics de coopération intercommunale à compter du 1er janvier 2014, les cantons urbains pour les communes fractionnées ainsi que d'un tableau des nouveaux cantons mentionnant leur population et le nombre des communes et d'un tableau de répartition des communes par canton ; que ces éléments, alors même que le rapport de présentation aurait eu une portée générale, permettaient à l'assemblée départementale d'émettre un avis sur les modalités de mise en oeuvre de la nouvelle délimitation des cantons et de faire des propositions spécifiques pour le département ; qu'est sans influence sur la régularité de cette consultation la circonstance que le conseil général n'aurait été ni informé des raisons pour lesquelles le pouvoir réglementaire proposait de rattacher certaines communes à certains cantons ou n'aurait pas tenu compte des propositions formulées par le président du conseil général ou d'autres élus, ni destinataire de ces dernières ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de l'avis du conseil général doit être écarté ;

5. Considérant, en troisième lieu, qu'aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait de procéder, préalablement à l'intervention du décret attaqué, à une consultation des maires, élus ou présidents d'établissements publics de coopération intercommunale ;

Sur la légalité interne du décret :

6. Considérant, en quatrième lieu, que la circonstance que le décret attaqué se borne à identifier, pour chaque canton, un "bureau centralisateur" sans mentionner les chefs-lieux de canton est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de ce décret, qui porte sur la délimitation des circonscriptions électorales dans le département du Haut-Rhin ;

7. Considérant, en cinquième lieu, qu'il résulte des dispositions de l'article L. 3113-2 du code général des collectivités territoriales que le territoire de chaque canton doit être établi sur des bases essentiellement démographiques, qu'il doit être continu et que toute commune de moins de 3 500 habitants doit être entièrement comprise dans un même canton, seules des exceptions de portée limitée et spécialement justifiées pouvant être apportées à ces règles ; que ni ces dispositions, ni aucun autre texte non plus qu'aucun principe n'imposent au Premier ministre de prévoir que les limites des cantons, qui sont des circonscriptions électorales, coïncident avec les périmètres des établissements publics de coopération intercommunale, les limites des "bassins de vie" définis par l'Institut national de la statistique et des études économiques ou encore les limites des anciens cantons ; que, par suite, la communauté de communes ne saurait utilement soutenir que la nouvelle délimitation cantonale aurait méconnu ces différentes exigences et qu'elle nuirait à la bonne organisation des pouvoirs publics et des services publics ;

8. Considérant, en sixième lieu, que si la communauté de communes des Trois frontières est scindée entre les cantons de Brunstatt (n° 2) et de Saint-Louis (n° 14), ce dernier canton, qui regroupe au demeurant les treize communes de la communauté de communes de la Porte du Sundgau situées dans l'aire d'influence de l'agglomération de Saint-Louis, ne pouvait comprendre l'intégralité de la communauté de communes des Trois frontières sans contrevenir aux exigences démographiques résultant des dispositions législatives ; que le nouveau canton de Saint-Louis (n° 14) reprend le périmètre du canton d'Huningue dont toutes les communes font partie du "bassin de vie" de la commune de Saint-Louis ; que si la communauté de communes soutient que les communes de Bartenheim et Kembs auraient dû être rattachées au canton de Saint-Louis (n° 14), celles-ci, qui n'appartiennent pas au "bassin de vie" de Saint-Louis, ont été rattachées au canton de Brunstatt (n° 2) comme l'ensemble des communes de l'ancien canton de Sierentz ; que la communauté de communes requérante n'est, par suite, pas fondée à soutenir que le décret attaqué serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en ce qu'il ne respecte pas son périmètre ;

9. Considérant, enfin, que le décret attaqué réduit sensiblement l'écart entre la population du canton le moins peuplé et celle du canton le plus peuplé, qui était de 1 à 5,16 et qui passe de 1 à 1,43 et que la population moyenne par canton s'établit à 44 105 habitants ; que si, comme le soutient la requérante, le canton de Saint-Louis (n° 14) a une population supérieure de 18,58% à cette moyenne, il ressort des pièces du dossier que ces écarts sont justifiés par le souci de respecter la géographie du département et ne conduisent pas, en l'espèce, à méconnaître l'obligation, énoncée au a) du III de l'article L. 3113-2, de définir le territoire de chaque canton sur des bases essentiellement démographiques ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la requête de la communauté de communes des Trois frontières doit être rejetée ;

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la communauté de communes des Trois frontières est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes des Trois frontières et au ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : 8ème sous-section jugeant seule
Numéro d'arrêt : 381049
Date de la décision : 10/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 10 déc. 2014, n° 381049
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Mathieu Herondart
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 23/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2014:381049.20141210
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