Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 13 février et 14 mai 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Marianne A, demeurant ... ; Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 12 décembre 2006 de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'il a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement du 5 avril 2005 du tribunal administratif de Lille en tant, d'une part, qu'il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique et moral qu'elle subit du fait de la discrimination dont elle fait l'objet comme auxiliaire de justice compte tenu de son handicap, et, d'autre part, qu'il a rejeté sa demande présentée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de condamner l'Etat à lui payer une somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts, augmentée des intérêts capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le pacte international de New York relatif aux droits civils et politiques ;
Vu la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 ;
Vu la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;
Vu le code de l'action sociale et des familles ;
Vu le code de la construction et de l'habitation ;
Vu la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, notamment son article 13 ;
Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;
Vu la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 ;
Vu le décret n° 2006-555 du 17 mai 2006 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Raphaël Chambon, Auditeur,
- les observations de la SCP Roger, Sevaux, avocat de Mme A et de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité,
- les conclusions de M. Cyril Roger-Lacan, Rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Roger, Sevaux, avocat de Mme A et à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A exerce la profession d'avocat depuis 1976 ; qu'elle est atteinte d'un handicap moteur qui s'est aggravé à la suite d'un accident survenu en mai 2001 et a pour conséquence qu'elle ne peut plus, depuis cette date, monter les escaliers de façon autonome et doit se déplacer le plus souvent en fauteuil roulant ; que Mme A, inscrite au barreau de Béthune, a sollicité la réparation des préjudices subis depuis son accident, qu'elle impute à une absence ou une insuffisance d'aménagements spécifiques lui permettant un accès adapté à certaines juridictions, situées dans le ressort de la cour d'appel de Douai, dans lesquelles elle exerce habituellement sa profession ; que par un jugement du 5 avril 2005, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une somme de 150 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis de ce fait ; que par un arrêt en date du 12 décembre 2006, la cour administrative d'appel de Douai a confirmé le rejet de la demande de la requérante ; que Mme A se pourvoit en cassation contre cet arrêt ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt en tant qu'il a écarté la responsabilité de l'Etat du fait de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux et européens de la France ainsi que la responsabilité pour faute de l'Etat :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 2 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail: 1. (...) / 2. Aux fins du paragraphe 1 : / (...) / b) une discrimination indirecte se produit lorsqu'une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d'entraîner un désavantage particulier pour des personnes d'une religion ou de convictions, d'un handicap, d'un âge ou d'une orientation sexuelle donnés, par rapport à d'autres personnes, à moins que : / (...) / ii) dans le cas des personnes d'un handicap donné, l'employeur ou toute personne ou organisation auquel s'applique la présente directive ne soit obligé, en vertu de la législation nationale de prendre des mesures appropriées conformément aux principes prévus à l'article 5 afin d'éliminer les désavantages qu'entraîne cette disposition, ce critère ou cette pratique. / (...) ; qu'aux termes de l'article 3 Champ d'application : 1. Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s'applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne : / a) les conditions d'accès à l'emploi, aux activités non salariées ou au travail (...) / (...) / c) les conditions d'emploi et de travail (...) / (...) ; qu'aux termes de l'article 5 Aménagements raisonnables pour les personnes handicapées : Afin de garantir le respect du principe de l'égalité de traitement à l'égard des personnes handicapées, des aménagements raisonnables sont prévus. Cela signifie que l'employeur prend les mesures appropriées, en fonction des besoins dans une situation concrète, pour permettre à une personne handicapée d'accéder à un emploi, de l'exercer ou d'y progresser, ou pour qu'une formation lui soit dispensée, sauf si ces mesures imposent à l'employeur une charge disproportionnée (...) ; enfin qu'aux termes de l'article 18 : Les Etats membres adoptent les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 2 décembre 2003 (...) / Pour tenir compte de conditions particulières, les Etats membres peuvent disposer, si nécessaire, d'un délai supplémentaire de 3 ans à compter du 2 décembre 2003, soit un total de 6 ans, pour mettre en oeuvre les dispositions de la présente directive relatives à la discrimination fondée sur l'âge et l'handicap. Dans ce cas, ils en informent immédiatement la Commission. (...) ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, créé par la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées : Les établissements existants recevant du public doivent être tels que toute personne handicapée puisse y accéder, y circuler et y recevoir les informations qui y sont diffusées dans les parties ouvertes au public. L'information destinée au public doit être diffusée par des moyens adaptés aux différents handicaps. / Des décrets en Conseil d'Etat fixent pour ces établissements, par type et par catégorie, les exigences relatives à l'accessibilité prévues à l'article L. 111-7 et aux prestations que ceux-ci doivent fournir aux personnes handicapées. (...) / Les établissements recevant du public existants devront répondre à ces exigences dans un délai, fixé par décret en Conseil d'Etat, qui pourra varier par type et catégorie d'établissement, sans excéder dix ans à compter de la publication de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. (...) ; qu'en application de ces dispositions législatives, le décret du 17 mai 2006 relatif à l'accessibilité des établissements recevant du public, des installations ouvertes au public et des bâtiments d'habitation et modifiant le code de la construction et de l'habitation a fixé au 1er janvier 2015 le délai au terme duquel les établissements existants doivent avoir été rendus accessibles ;
Considérant, enfin, qu'aux termes de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : Les avocats sont des auxiliaires de justice (...) ;
Considérant que, pour écarter le moyen tiré de l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, la cour a relevé que Mme A n'était pas fondée à invoquer la méconnaissance fautive des dispositions de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation issues de la loi du 11 février 2005, qui transposent sur certains points la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, dès lors que le délai fixé par les dispositions de cet article du code de la construction et de l'habitation et par le décret du 17 mai 2006 pris pour son application pour rendre accessibles les établissements existants n'était pas expiré, et que la circonstance que la directive 2000/78 n'était pas transposée à la date du 2 décembre 2003 n'était en tout état de cause pas à l'origine des préjudices invoqués par Mme A, dès lors que le délai raisonnable de dix ans ne serait pas écoulé même si la directive avait été transposée dès cette dernière date ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de rechercher au préalable si la directive 2000/78 fait peser des obligations sur l'Etat vis-à-vis des avocats handicapés qui exercent leur profession dans les bâtiments affectés au service public de la justice puis si, dans l'affirmative, en admettant que les dispositions de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation puissent être regardées comme contribuant à la mise en oeuvre de la directive sur ce point, l'Etat a respecté les obligations qui lui sont imparties par cette directive en instituant un délai de dix ans pour la réalisation d'aménagements permettant l'accès des personnes handicapées dans les établissements recevant du public, la cour administrative d'appel de Douai a commis une erreur de droit ; que la cour a commis une seconde erreur de droit en se fondant sur la seule circonstance que le délai de mise en accessibilité des établissements existants n'était pas expiré pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance fautive des dispositions de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, sans rechercher si l'Etat, en s'abstenant d'engager l'effort d'aménagement des palais de justice, avait fait preuve d'une inaction fautive au regard de l'obligation qui lui incombe de mettre progressivement aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées l'ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier judiciaire ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt en tant qu'il a écarté la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques :
Considérant que Mme A soutenait devant la cour administrative d'appel que les difficultés pratiques résultant pour elle de l'inadaptation des locaux juridictionnels lui causaient un préjudice financier et moral justifiant que soit engagée la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ; que l'existence d'un préjudice résultant de l'inadéquation des locaux judiciaires au handicap de Mme A n'est de nature à engager la responsabilité sans faute de l'Etat que s'il présente un caractère grave et spécial dont la charge excède celle qu'il lui incombe normalement de supporter ; que, pour écarter les conclusions présentées par Mme A sur ce fondement, la cour a relevé que, si l'inadaptation de nombreux palais de justice au handicap de Mme A a rendu plus difficile, sans en empêcher la poursuite, l'exercice de sa profession en dépit des mesures prises par les autorités judiciaires pour réduire dans la mesure des moyens dont elles disposaient les obstacles rencontrés par l'intéressée, les préjudices économique et moral qu'elle invoque ne présentent pas le caractère anormal ouvrant droit à réparation sur le fondement d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques ; qu'en portant une telle appréciation, alors qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les juridictions du ressort de la cour d'appel de Douai dans lesquelles Mme A exerce sa profession d'avocat n'étaient en 2006, à la date à laquelle la cour a statué, pour la grande majorité d'entre elles, pas accessibles aux personnes handicapées à mobilité réduite et que seule la mise à sa disposition de l'aide de personnel d'accueil et de sécurité permettait à Mme A d'accéder aux lieux d'exercice de sa profession, et eu égard aux souffrances morales engendrées par ces grandes difficultés d'accès aux nombreux locaux juridictionnels dans lesquels elle exerce sa profession d'avocat, la cour a donné aux faits de l'espèce une inexacte qualification juridique ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative ;
Sur le règlement au fond du litige :
Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux et européens de la France :
Considérant qu'il résulte de la combinaison des articles 2, 3 et 5 précités de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000 et de l'article 3 également précité de la loi du 31 décembre 1971 que, si cette directive, qui concerne le cadre de l'emploi et du travail, impose à titre principal, en ce qui concerne les aménagements raisonnables à réaliser pour les personnes handicapées, des obligations aux employeurs, elle a également pour effet d'imposer à l'Etat, alors même qu'il n'est pas l'employeur des avocats, des obligations à l'égard de ces derniers lorsque ceux-ci, qui ont la qualité d'auxiliaire de justice et apportent un concours régulier et indispensable au service public de la justice, exercent une part importante de leur activité professionnelle dans des bâtiments affectés à ce service public ; qu'en particulier, l'Etat est tenu de prendre des mesures appropriées pour créer, en fonction des besoins dans une situation concrète, des conditions de travail de nature à permettre aux avocats handicapés d'exercer leur profession, sauf si ces mesures imposent une charge disproportionnée ; que ces mesures appropriées doivent inclure, en principe, l'accessibilité des locaux de justice, y compris celles des parties non ouvertes au public mais auxquelles les avocats doivent pouvoir accéder pour l'exercice de leurs fonctions ; que l'article 41 de la loi du 11 février 2005, qui a créé l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation, constitue une mesure qui contribue à la mise en oeuvre de la directive en ce qu'il met à la charge de l'Etat, nonobstant le fait qu'il n'est pas l'employeur des avocats, l'obligation de rendre accessible aux personnes handicapées la partie ouverte au public des locaux judiciaires ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que les autorités françaises ont demandé à bénéficier du délai supplémentaire de trois ans à compter du 2 décembre 2003 pour mettre en oeuvre les dispositions de la directive relatives à la discrimination fondée sur le handicap ; que la fixation d'un délai pour la réalisation des aménagements nécessaires n'est par ailleurs par elle-même pas incompatible avec les dispositions de la directive qui, si elles imposaient à la France d'adopter les dispositions législatives et réglementaires nécessaires avant le 2 décembre 2006, permettaient que soit laissé un délai raisonnable pour la réalisation des aménagements nécessaires pour que les établissements recevant du public existants respectent les exigences d'accessibilité aux personnes handicapées ; qu'eu égard à l'importance du patrimoine immobilier judiciaire, au grand nombre et à la diversité des édifices répartis sur l'ensemble du territoire national, aux contraintes spécifiques découlant de ce qu'une partie des bâtiments est ancienne et de ce que certains sont soumis à la réglementation sur les monuments historiques, et, enfin, au volume des engagements financiers nécessaires pour réaliser l'accessibilité de ces bâtiments aux personnes à mobilité réduite, le délai maximal de dix ans fixé par les dispositions de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et la date du 1er janvier 2015 arrêtée par le décret du 17 mai 2006 ne sont pas non plus incompatibles avec les objectifs de la directive, qui prescrivent de réaliser des aménagements raisonnables ; que par suite, Mme A n'est pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a écarté le moyen tiré de la méconnaissance par le législateur des dispositions de la directive 2000/78 ;
Sur la responsabilité pour faute de l'Etat du fait de l'insuffisante accessibilité des bâtiments judiciaires aux personnes handicapées :
Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le délai fixé par les dispositions de l'article L. 111-7-3 du code de la construction et de l'habitation et du décret du 17 mai 2006 n'expire que le 1er janvier 2015 ; d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que l'Etat a engagé depuis plusieurs années un programme visant à mettre progressivement aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées l'ensemble des bâtiments du patrimoine immobilier judiciaire ; que, dans le ressort de la cour d'appel de Douai, dans lequel exerce Mme A, le parc immobilier est composé de nombreux bâtiments répartis sur de multiples sites, dont plusieurs, anciens, présentent des difficultés d'accès pour les personnes handicapées, auxquelles le ministère de la justice s'efforce de remédier par la réalisation progressive d'opérations spécifiques qui demandent un effort financier notable ; qu'ainsi, les travaux d'aménagement ou de restructuration entrepris ont notamment permis qu'à Béthune, siège du barreau auquel Mme A est inscrite, et à Lens, où elle a son cabinet, un accès des personnes à mobilité réduite aux locaux des juridictions judiciaires soit assuré ; que les autorités judiciaires se sont par ailleurs efforcées, au-delà de l'adaptation du seul cadre bâti, de faciliter dans la mesure du possible l'accès de la requérante aux lieux d'exercice de sa profession, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu des dispositions de l'article 5 de la directive 2000/78, soit en réalisant des aménagements ponctuels, soit en mettant à sa disposition l'aide de personnel d'accueil et de sécurité, soit encore en déplaçant le lieu de l'audience pour lui permettre d'y participer ; qu'il résulte de ce qui précède que, malgré la lenteur des progrès réalisés, Mme A n'est pas fondée à soutenir qu'en procédant à l'étalement des travaux de réalisation de l'accessibilité aux personnes handicapées des locaux des palais de justice, l'Etat aurait méconnu les dispositions législatives et réglementaires lui imposant des obligations en ce domaine ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'article 19 de la loi du 30 décembre 2004, dont le contenu est désormais repris aux articles 2 et 4 de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations qui a abrogé cet article et qui transpose la directive 2000/43 du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique, a pour objet, comme cette dernière directive, la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique ; que Mme A, qui n'invoque aucune illégalité ayant un rapport avec des discriminations de cette nature, ne peut utilement invoquer la méconnaissance de cette loi pour établir une faute engageant la responsabilité de l'Etat ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 26 du pacte international relatif aux droits civils et politiques conclu à New York le 16 décembre 1966 : Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. ; que ces dispositions ne sont invocables que par les personnes qui soutiennent qu'elles sont victimes d'une discrimination au regard de l'un des droits civils et politiques reconnus par le pacte ; que Mme A, qui n'invoque qu'une discrimination indirecte dans l'accès à son travail, ne fait état d'aucun droit civil ou politique reconnu par le pacte et n'est par suite pas fondée à invoquer la méconnaissance de ces dispositions du pacte de New York ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a écarté les moyens tirés de l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat résultant de l'insuffisance des aménagements destinés à améliorer l'accessibilité des locaux judiciaires aux personnes handicapées à mobilité réduite dans le ressort de la cour d'appel de Douai ;
Sur la responsabilité sans faute de l'Etat pour rupture de l'égalité devant les charges publiques :
Considérant que la circonstance que Mme A ne soit pas usager mais auxiliaire du service public de la justice ne fait pas par elle-même obstacle à ce que la responsabilité de l'Etat soit engagée à son égard sur le fondement de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ; qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille s'est fondé sur le motif tiré de ce que Mme A n'était pas usager du service public pour rejeter les conclusions à fin d'indemnité présentées sur ce terrain par l'intéressée ;
Considérant qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur les demandes indemnitaires présentées par Mme A sur le terrain de la responsabilité sans faute devant le tribunal administratif ;
Considérant que si, pour des motifs légitimes d'intérêt général, l'Etat a pu étaler dans le temps la réalisation des aménagements raisonnables destinés à permettre de satisfaire aux exigences d'accessibilité des locaux des palais de justice aux personnes handicapées, le préjudice qui résulte des conditions de cet étalement dans le temps des mesures destinées à rendre accessibles les bâtiments concernés pour la requérante, avocate handicapée à mobilité réduite fréquentant régulièrement les locaux judiciaires, dont l'exercice de la profession a été rendu, de ce fait, plus difficile, sans que les mesures palliatives prises aient pu atténuer suffisamment les difficultés qu'elle rencontre, ne saurait, s'il revêt un caractère grave et spécial, être regardé comme une charge incombant normalement à l'intéressée ;
Considérant, en premier lieu, que Mme A n'établit pas que l'insuffisante accessibilité des tribunaux dans lesquels elle est amenée à exercer sa profession serait à l'origine, comme elle l'allègue, d'un transfert de clientèle à ses associés ou d'une perte de clientèle ; que, si elle fait état des sommes exposées au titre de l'assistance d'une tierce personne qui lui est nécessaire dans le cadre de ses activités professionnelles, un tel préjudice n'est pas en relation directe avec ses difficultés d'accès aux locaux affectés au service public de la justice ; que, par suite, Mme A n'est pas fondée à demander réparation du préjudice financier qu'elle invoque ;
Considérant en revanche, en second lieu, que le préjudice moral dont se prévaut Mme A en raison des troubles de toute nature que lui causent les conditions d'exercice de sa profession présente, eu égard, d'une part, à la multiplicité des locaux dans lesquels elle est amenée à exercer son activité et à la nécessité pour elle, du fait de ses obligations professionnelles, d'accéder à différentes parties de ces bâtiments, d'autre part, à la particularité de la fonction de l'avocat tenant à son rôle de représentation vis-à-vis tant de ses clients que des professionnels de la justice ainsi que, lors des audiences publiques, du public et au caractère pénible des situations régulièrement provoquées pour cette auxiliaire de justice par ses difficultés d'accès aux palais de justice, que ne pouvaient pas totalement pallier les mesures prises par les autorités judiciaires pour remédier à cette situation, enfin au nombre d'années pendant lesquelles elle a dû subir cette situation, un caractère grave et spécial dont la charge excède celle qu'il incombe normalement à l'intéressée de supporter ; qu'il résulte de l'instruction qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice subi par Mme A en évaluant ce dernier à une somme de 20 000 euros ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme A est fondée à demander l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lille du 5 avril 2005 en tant que ce jugement a rejeté sa demande et à demander que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité de 20 000 euros ;
Considérant que Mme A a droit aux intérêts au taux légal sur cette somme à compter de sa demande du 12 mai 2003 ; qu'elle a demandé la capitalisation des intérêts le 14 février 2007 ; qu'il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant, enfin, qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de l'Etat une somme de 7 500 euros à verser à Mme A au titre des frais exposés par elle, tant devant le Conseil d'Etat que devant la cour administrative d'appel de Douai et le tribunal administratif de Lille, et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 du jugement du tribunal administratif de Lille du 5 avril 2005 et l'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 12 décembre 2006 sont annulés.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à Mme A une somme de 20 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 12 mai 2003. Les intérêts échus le 14 février 2007 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A une somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Marianne A, à la ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés et au Premier ministre.
Copie en sera adressée pour information au ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, au ministre des affaires étrangères et européennes, au ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique et à la Haute autorité contre les discriminations et pour l'égalité.