Vu le recours du Ministre délégué à l'Economie et aux Finances, ledit recours enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, le 13 mai 1977 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler un jugement en date du 2 février 1977 par lequel le Tribunal administratif de Versailles a accordé à la société Y... la décharge de l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des années 1966 et 1967 dans les rôles de la commune de T.... Vu le Code général des impôts ; Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du Code général des impôts : "1 ... le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises ..." ; que l'administration est en droit, sous le contrôle du juge de l'impôt, de réintégrer dans les bénéfices imposables les sommes correspondant à des pertes ou à des moins-values qui sont la conséquence d'opérations faites en dehors de la gestion commerciale normale de l'entreprise ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le sieur X..., actionnaire majoritaire de la société anonyme Y..., a acheté d'occasion le 23 février 1966 à la société Z... trois avions de tourisme de marque Piper, et respectivement de type "Aztec", "Apache" et "Comanche" pour un prix global de 480000 F ; que, par une convention en date du 31 mars suivant, l'intéressé a fait apport à la société Y... de ces trois avions, qui ont été alors estimés à une valeur globale de 870000 F, reconnue justifiée le 22 avril 1966 par le commissaire aux apports, et a reçu en contrepartie des actions d'apport émises à la faveur d'une augmentation de capital de la société décidée par l'Assemblée générale extraordinaire des actionnaires réunie le 30 avril 1966. Que la société Y... a revendu les avions de type "Comanche" et "Aztec" au cours de l'année 1966 et l'avion de type "Apache" au cours de l'année 1967, pour un prix global de 702575 F, ces opérations faisant ressortir une perte de 167425 F ; que, la comptabilité de la société ayant fait l'objet en 1969 d'une vérification qui a porté, en matière d'impôt sur les sociétés, sur les exercices clos en 1965, 1966 et 1967, le vérificateur a estimé que la valeur réelle des trois appareils à la date de l'apport ne pouvait être supérieure au prix auquel le sieur X... les avait lui-même achetés quelques semaines avant leur entrée dans l'actif social, et qu'il y avait lieu de déterminer les résultats de la société en tenant compte de cette valeur. Qu'en conséquence, eu égard aux dates et aux prix auxquels les avions avaient été revendus, l'administration a réintégré dans les bénéfices imposables de la société une somme de 260000 F au titre de l'année 1966 et une somme de 130000 F au titre de l'année 1967 ; que le Ministre fait appel du jugement en date du 2 février 1977 par lequel le tribunal administratif de Versailles a affirmé que l'estimation de la valeur de l'apport n'avait pas été excessive et, sans examiner les autres moyens de la demande de la société Y..., a accordé à celle-ci la décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés qui lui ont été assignées au titre des années 1966 et 1967 sur la base des rehaussements susmentionnés ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité du recours ni les moyens relatifs à la régularité de la procédure d'imposition soulevés par la société devant le tribunal administratif : Considérant, en premier lieu, que la Société Y... a produit en première instance d'une part deux attestations d'experts, dont le ministre ne conteste pas la compétence dans le domaine du matériel aéronautique, et d'autre part les doubles de quatre factures de ventes d'avions Piper intervenues en juin, juillet et août 1966. Qu'il ressort des énonciations convergentes de ces documents que la valeur globale de 870000 F qui a été retenue par la société pour l'estimation des avions apportés par le sieur X... était conforme aux prix pratiqués sur le marché en 1966 pour les avions Piper des mêmes types vendus d'occasion ; que ces justifications peuvent être tenues pour sérieuses et suffisantes nonobstant la circonstance alléguée par le ministre que les attestations produites ne précisent pas la date de mise en service des appareils qui auraient servi de termes de comparaison ;
Considérant, en deuxième lieu, que la valeur d'apport ainsi retenue par la société n'est pas contredite par le prix auquel elle a revendu les avions en 1966 et 1967 ; que ce prix n'apparaît pas anormal compte tenu de la dépréciation des appareils résultant du fait non contesté que la société les a beaucoup utilisés et a prélevé certains équipements et instruments de bord avant de les revendre, et qu'il ne saurait seulement s'expliquer par la circonstance invoquée par le ministre que la société Y... était devenue le distributeur direct et exclusif de la firme Piper et qu'elle aurait été ainsi en mesure de fournir certains services aux acheteurs d'avions de cette marque ;
Considérant, enfin, que, si le ministre fait état des relations de personnes et d'intérêts qui existaient entre la société Y... et la société Z..., et en admettant même que ces relations, non contestées par la société Y..., puissent contribuer à expliquer comment le sieur X... a pu acheter les avions litigieux à la société Z... en 1966 pour un prix nettement inférieur au prix du marché, cette circonstance est sans influence sur la sincérité des déclarations de la société Y... dès lors que celle-ci justifie que l'estimation qu'elle a faite desdits avions à la date de l'apport correspondait à leur valeur réelle ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le tribunal administratif a pu juger à bon droit que la société Y... avait fourni la preuve que l'estimation de la valeur des avions apportés par le sieur X... n'était pas excessive, et lui accorder, par voie de conséquence, la décharge des impositions contestées ; que dès lors, le ministre n'est fondé ni à demander, à titre principal, l'annulation du jugement attaqué, ni à solliciter, à titre subsidiaire, que soit ordonnée une expertise ;
DECIDE : Article 1er - Le recours susvisé du Ministre délégué à l'Economie et aux Finances est rejeté.