LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 26 février 2021 par le Conseil d'État (décision n° 447219 du 24 février 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Stéphane R. et autre par Me Mathieu Coste, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-907 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l'article 156 du code général des impôts.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- le décret n° 2011-645 du 9 juin 2011 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
- le décret n° 2012-653 du 4 mai 2012 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
- le décret n° 2014-549 du 26 mai 2014 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
- le décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Coste, enregistrées le 19 mars 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour les requérants par Me Coste, enregistrées le 2 avril 2021 ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Coste pour les requérants et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 4 mai 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article 156 du code général des impôts dans ses rédactions résultant des décrets du 9 juin 2011, du 4 mai 2012, du 26 mai 2014 et du 3 juin 2015 mentionnés ci-dessus.
2. L'article 156 du code général des impôts, dans ces rédactions, prévoit que peuvent être déduites du revenu global notamment les pensions alimentaires versées à des enfants mineurs. Selon le deuxième alinéa du 2° de son paragraphe II :
« Le contribuable ne peut opérer aucune déduction pour ses descendants mineurs lorsqu'ils sont pris en compte pour la détermination de son quotient familial ».
3. Les requérants font valoir que, lorsqu'elles s'appliquent au parent prenant en charge un enfant mineur en résidence alternée qui verse, en sus, une pension alimentaire pour contribuer aux besoins de l'enfant pour la période où il réside chez l'autre parent, ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant les charges publiques. Ils soutiennent en effet que, dans ce cas, ce parent est privé de la possibilité de déduire cette pension alors que ne lui est attribuée, au titre de l'enfant, qu'une moitié de majoration de quotient familial.
4. Par ailleurs, ces dispositions méconnaîtraient également le principe d'égalité devant la loi. D'une part, ce parent ne bénéficierait que d'un avantage fiscal réduit par rapport au parent qui, ayant la charge principale de son enfant, se voit attribuer une majoration complète de quotient familial ou au parent qui, n'ayant ni une telle charge ni la charge partagée de l'enfant, peut déduire la pension alimentaire qu'il verse. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée. D'autre part, alors que le parent d'un enfant en résidence alternée ne peut pas déduire la pension alimentaire qu'il verse, cette dernière n'est pas imposable entre les mains du parent qui la reçoit. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre les deux parents d'un enfant en résidence alternée.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques :
5. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.
6. L'article 194 du code général des impôts détermine le nombre de parts de quotient familial à prendre en considération, pour la division du revenu imposable, en fonction de la situation et des charges de famille du contribuable. En cas de divorce, d'imposition séparée des époux ou des partenaires d'un pacte civil de solidarité, de rupture de ce pacte ou de séparation de fait, l'enfant mineur est considéré comme étant à la charge du parent chez lequel il réside à titre principal et lui ouvre droit à une majoration de quotient familial. L'enfant mineur en résidence alternée au domicile de chacun de ses parents séparés ou divorcés est, sauf disposition contraire, réputé être à la charge égale de l'un et l'autre. En ce cas, la majoration de quotient familial à laquelle l'enfant ouvre droit est attribuée pour moitié à chacun des parents.
7. En application du premier alinéa du 2° du paragraphe II de l'article 156 du code général des impôts, la pension alimentaire versée à un enfant mineur est déductible du revenu global. Les dispositions contestées prévoient toutefois que cette pension n'est pas déductible lorsque l'enfant est pris en compte pour la détermination du quotient familial du débiteur de la pension.
8. Le Conseil constitutionnel n'a pas un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.
9. En premier lieu, d'une part, l'attribution d'une majoration de quotient familial au titre d'un enfant atténue la progressivité de l'impôt sur le revenu d'un contribuable en fonction de sa situation et de ses charges de famille. D'autre part, la déduction d'une pension alimentaire versée à un enfant mineur prend en compte, dans la détermination du revenu imposable, les sommes versées par un parent pour la contribution à l'entretien et l'éducation d'un enfant. Dès lors, en refusant la déduction d'une pension lorsque le parent débiteur bénéficie déjà d'une majoration de quotient familial au titre du même enfant, le législateur a entendu éviter un cumul d'avantages fiscaux ayant le même objet.
10. En second lieu, si le parent qui a la charge partagée d'un enfant en résidence alternée ne peut pas, le cas échéant, déduire de ses revenus la pension alimentaire qu'il verse à l'autre parent, il bénéficie, en tout état de cause, de la moitié de la majoration de quotient familial.
11. Par conséquent, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques.
- Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi :
12. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.
13. En premier lieu, le législateur a entendu prendre en compte fiscalement la contribution d'un parent à l'entretien et l'éducation d'un enfant soit par la déduction de ses revenus de la pension qu'il verse à l'autre parent lorsque l'enfant a sa résidence principale chez ce dernier, soit par une majoration de son quotient familial quand il s'acquitte directement des dépenses nécessaires à l'entretien et à l'éducation de l'enfant qu'il accueille à son domicile de manière principale ou qu'il s'en acquitte directement pour moitié avec l'autre parent lorsqu'il accueille l'enfant de manière alternée.
14. Or, le parent dont l'enfant réside principalement ou de manière alternée à son domicile contribue de manière différente à l'entretien et l'éducation de l'enfant que le parent dont l'enfant réside de manière principale chez l'autre parent et à qui il verse une pension alimentaire qu'il peut déduire de son revenu.
15. Dès lors, en attribuant une majoration de quotient familial au parent ayant son enfant en résidence principale ou alternée sans lui permettre, le cas échéant, de déduire la pension alimentaire qu'il verse à l'autre parent, le législateur a établi une différence de traitement fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.
16. Au demeurant, ni la majoration de quotient familial ni la déduction d'une pension alimentaire n'ont pour objet d'attribuer un avantage fiscal qui compenserait exactement l'ensemble des dépenses engagées par un parent pour l'entretien et l'éducation d'un enfant.
17. En deuxième lieu, si, en règle générale, le principe d'égalité devant la loi impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n'en résulte pas pour autant qu'il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Les dispositions contestées ne créent, s'agissant de la prise en compte fiscale de la contribution à l'entretien et à l'éducation d'un enfant, aucune différence de traitement entre un parent dont l'enfant réside principalement à son domicile et un parent dont l'enfant y réside de manière alternée dès lors que ni l'un ni l'autre ne peut déduire la pension alimentaire que, le cas échéant, il verse à l'autre parent.
18. En dernier lieu, si la pension alimentaire versée par le parent d'un enfant en résidence alternée n'est pas imposable entre les mains du parent qui la reçoit, cette circonstance ne résulte pas des dispositions contestées mais de l'article 80 septies du code général des impôts.
19. Dès lors, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.
20. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Le deuxième alinéa du 2° du paragraphe II de l'article 156 du code général des impôts, dans ses rédactions résultant du décret n° 2011-645 du 9 juin 2011 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, du décret n° 2012-653 du 4 mai 2012 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, du décret n° 2014-549 du 26 mai 2014 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code et du décret n° 2015-608 du 3 juin 2015 portant incorporation au code général des impôts de divers textes modifiant et complétant certaines dispositions de ce code, est conforme à la Constitution.
Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 12 mai 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.
Rendu public le 14 mai 2021.