Le Conseil constitutionnel a été saisi le 28 décembre 2015 par le Conseil d'État (décision n° 387277 du 23 décembre 2015), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Chérif Y., par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 modifié par l'article 12 de la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-530 QPC.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 ;
Vu la loi n° 64-1330 du 26 décembre 1964 portant prise en charge et revalorisation de droits et avantages sociaux consentis à des français ayant résidé en Algérie ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées les 19 janvier et 3 février 2016 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 19 janvier 2016 ;
Vu la lettre du 15 février 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Vu les observations en réponse produites pour le requérant par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites par le Premier ministre, enregistrées le 29 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me François Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour le requérant, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 15 mars 2016 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 susvisée dans sa rédaction résultant de la loi du 26 décembre 1964 susvisée : « Sous réserve de la subrogation de l'État dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française à la date de promulgation de la présente loi ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause de nationalité française à la même date, droit à pension.« Ouvrent droit à pension, les infirmités ou le décès résultant :
« 1° De blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements d'Algérie mentionnés à l'alinéa premier ;
« 2° De maladies contractées du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les événements précités ;
« 3° De maladies contractées ou aggravées du fait de mauvais traitements ou de privations subis en captivité en relation avec les mêmes événements.
« Sont réputés causés par les faits prévus à l'alinéa précédent les décès, même par suite de maladie, s'ils sont survenus pendant la captivité.
« Lorsque la blessure, l'accident, la maladie ou la mort sont dus à une faute inexcusable de la victime, ils ne donnent droit à aucune indemnité.
« Les personnes qui auront participé directement ou indirectement à l'organisation ou à l'exécution d'attentats ou autres actes de violence en relation avec les événements mentionnés à l'alinéa premier ou auront incité à les commettre seront, ainsi que leurs ayants cause, exclues du bénéfice des dispositions du présent article.
« Des règlements d'administration publique détermineront les dispositions nécessaires à l'application du présent article, et notamment les règles relatives au mode de calcul de la pension, à la date de son entrée en jouissance, ainsi qu'à l'attribution des allocations et avantages accessoires susceptibles d'y être rattachés ; ils fixeront en outre les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la nationalité française pourront être admises au bénéfice des dispositions du présent article » ;
2. Considérant que, selon le requérant, les dispositions contestées instaurent, en méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, une différence de traitement entre les personnes de nationalité française victimes d'attentats ou d'actes de violence survenus sur le territoire algérien entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 ainsi qu'entre leurs ayants droit de nationalité française, selon que ces personnes possèdent ou non cette nationalité à la date du 31 juillet 1963 ; qu'en outre, en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en instituant un droit à pension uniquement pour celles des personnes de nationalité française qui possèdent cette nationalité à la date de promulgation de la loi, méconnaîtraient le principe d'égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales, qui découle du douzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
3. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « à la date de la promulgation de la présente loi » et les mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit ;
5. Considérant que par l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963, le législateur a créé un régime d'indemnisation des personnes de nationalité française victimes de dommages physiques subis en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence, ainsi que de leurs ayants droit ; que, poursuivant un objectif de solidarité nationale, il a ainsi entendu garantir le paiement de rentes aux personnes ayant souffert de préjudices résultant de ces dommages ou à leurs ayants droit ; qu'au regard de l'objet de la loi, ces personnes ne sont pas dans une situation différente selon qu'elles possédaient ou non la nationalité française à la date de promulgation de la loi créant le régime d'indemnisation, dès lors qu'elles satisfont aux autres conditions posées par le législateur ; qu'en réservant le bénéfice de l'indemnisation aux personnes de nationalité française à la date de promulgation de cette loi, les dispositions contestées instaurent une différence de traitement qui n'est justifiée ni par une différence de situation ni par l'objectif de solidarité nationale poursuivi par le législateur ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions contestées, qui méconnaissent le principe d'égalité devant la loi, doivent être déclarées contraires à la Constitution ;
6. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;
7. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « à la date de la promulgation de la présente loi » et des mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement,
D É C I D E :
Article 1er.- Les mots « à la date de la promulgation de la présente loi » et les mots « à la même date » figurant au premier alinéa de l'article 13 de la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 sont contraires à la Constitution.
Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet à compter de la publication de la présente décision dans les conditions fixées par son considérant 7.
Article 3.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 22 mars 2016, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 23 mars 2016.