Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 novembre 2012 par le Conseil d'État (décision n° 361995 du 7 novembre 2012), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée par M. Laurent D., relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 145-2 du code de la sécurité sociale.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 29 novembre et 14 décembre 2012 ;
Vu les observations produites pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne et le médecin-conseil chef de service de l'échelon local de la Haute-Garonne par Me Dominique Foussard, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 29 novembre et 14 décembre 2012 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées les 29 novembre et 14 décembre 2012 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;
Me Madeleine Munier-Apaire pour le requérant, Me Foussard pour la caisse primaire d'assurance maladie de la Haute-Garonne et le médecin-conseil chef de service de l'échelon local de la Haute-Garonne, et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 8 janvier 2013 ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 145-2 du code de la sécurité sociale : « Les sanctions susceptibles d'être prononcées par la section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance ou par la section spéciale des assurances sociales du conseil national de l'ordre des médecins ou des chirurgiens-dentistes ou des sages-femmes sont :
« 1°) l'avertissement ;
« 2°) le blâme, avec ou sans publication ;
« 3°) l'interdiction temporaire ou permanente, avec ou sans sursis, du droit de donner des soins aux assurés sociaux ;
« 4°) dans le cas d'abus d'honoraires, le remboursement à l'assuré du trop-perçu ou le reversement aux organismes de sécurité sociale du trop-remboursé, même s'il n'est prononcé aucune des sanctions prévues ci-dessus.
« Les sanctions prévues aux 3° et 4° ci-dessus peuvent faire l'objet d'une publication.
« Si, pour des faits commis dans un délai de cinq ans à compter de la notification au praticien d'une sanction assortie du sursis et devenue définitive, la juridiction prononce la sanction mentionnée au 3°, elle peut décider que la sanction pour la partie assortie du sursis devient exécutoire sans préjudice de l'application de la nouvelle sanction.
« Est considérée comme non avenue une sanction, pour la partie assortie du sursis, lorsque le praticien sanctionné n'aura commis aucune nouvelle faute suivie d'une sanction dans le délai fixé à l'alinéa précédent.
« Les sanctions prévues au présent article ne sont pas cumulables avec les peines prévues à l'article L. 4124-6 du code de la santé publique lorsqu'elles ont été prononcées à l'occasion des mêmes faits. Si les juridictions compétentes prononcent des sanctions différentes, la sanction la plus forte peut être seule mise à exécution.
« Les décisions devenues définitives ont force exécutoire. Elles doivent, dans le cas prévu au 3° du premier alinéa, ou si le jugement le prévoit, faire l'objet d'une publication par les soins des organismes de sécurité sociale » ;
2. Considérant que, selon le requérant, en n'excluant pas l'application cumulative des dispositions de l'article L. 145-2 du code de la sécurité sociale et de celles de l'article L. 4124-6 du code de la santé publique et en permettant ainsi qu'un praticien soit poursuivi et sanctionné deux fois pour les mêmes faits par les chambres disciplinaires de l'ordre des médecins et par les juridictions du contentieux du contrôle technique de la sécurité sociale, le législateur a méconnu le principe « non bis in idem » ;
3. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée » ; que les principes ainsi énoncés ne concernent pas seulement les peines prononcées par les juridictions pénales mais s'étendent à toute sanction ayant le caractère d'une punition ; que le principe de la nécessité des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l'objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature disciplinaire ou administrative en application de corps de règles distincts devant leurs propres ordres de juridictions ; que, si l'éventualité que soient engagées deux procédures peut ainsi conduire à un cumul des sanctions, le principe de proportionnalité implique qu'en tout état de cause, le montant global des sanctions éventuellement prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé de l'une des sanctions encourues ;
4. Considérant que, d'une part, en vertu du premier alinéa de l'article L. 4121-2 du code de la santé publique, l'ordre des médecins « veille au maintien des principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement indispensables à l'exercice de la médecine » et à « l'observation, par tous leurs membres, des devoirs professionnels, ainsi que des règles édictées par le code de déontologie » ; qu'en vertu de l'article L. 4124-6 du même code, les peines que l'autorité disciplinaire compétente de l'ordre des médecins peut prononcer sont l'avertissement, le blâme, l'interdiction temporaire, avec ou sans sursis, ou l'interdiction permanente d'exercer une, plusieurs ou la totalité des fonctions de médecin, conférées ou rétribuées par l'État, les départements, les communes, les établissements publics, les établissements reconnus d'utilité publique ou des mêmes fonctions accomplies en application des lois sociales, l'interdiction temporaire d'exercer, avec ou sans sursis, pour une durée ne pouvant excéder trois ans et la radiation du tableau de l'ordre ;
5. Considérant que, d'autre part, dans le cadre du contentieux du contrôle technique, visant la recherche et le redressement de tout abus professionnel commis au préjudice de la sécurité sociale ou des assurés sociaux, l'article L. 145-1 du code de la sécurité sociale prévoit que « les fautes, abus, fraudes et tous faits intéressant l'exercice de la profession, relevés à l'encontre des médecins à l'occasion des soins dispensés aux assurés sociaux sont soumis en première instance à une section de la chambre disciplinaire de première instance des médecins. . . dite section des assurances sociales de la chambre disciplinaire de première instance et, en appel, à une section de la chambre disciplinaire nationale du conseil national de l'ordre des médecins. . ., dite section des assurances sociales du conseil national de l'ordre des médecins » ; que selon l'article L. 145-6 du même code, les juridictions de cet ordre, distinctes des chambres de discipline, comprennent, outre leur président, un nombre égal d'assesseurs, membres de l'ordre des médecins et d'assesseurs représentant les organismes de sécurité sociale ; que son article L. 145-2 définit le régime des sanctions relevant de ce contentieux ; qu'il prévoit notamment que les sanctions qui peuvent être infligées sont l'avertissement, le blâme, avec ou sans publication, l'interdiction temporaire ou permanente, avec ou sans sursis, du droit de donner des soins aux assurés sociaux et, dans le cas d'abus d'honoraires, le remboursement à l'assuré du trop-perçu ou le reversement aux organismes de sécurité sociale du trop-remboursé ;
6. Considérant qu'en vertu du neuvième alinéa de l'article L. 145-2 du code de la sécurité sociale, « les sanctions prévues par cet article ne sont pas cumulables avec les peines prévues à l'article L. 4124-6 du code de la santé publique lorsqu'elles ont été prononcées à l'occasion des mêmes faits » ; que, si les juridictions compétentes prononcent des sanctions différentes, seule la sanction la plus forte peut être mise à exécution ; que, par ces dispositions qui s'appliquent au cumul des sanctions disciplinaires prévues par les articles L. 4124-6 du code de la santé publique et L. 145-2 du code de la sécurité sociale quel que soit l'ordre dans lequel les procédures ont été engagées ou les condamnations prononcées, le législateur a assuré le respect des exigences constitutionnelles précitées ;
7. Considérant que l'article L. 145-2 du code de la sécurité sociale ne méconnaît aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; qu'il doit être déclaré conforme à la Constitution,
D É C I D E :
Article 1er.- L'article L. 145 2 du code de la sécurité sociale est conforme à la Constitution.
Article 2.- La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.
Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 17 janvier 2013, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, M. Jacques BARROT, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Hubert HAENEL et Pierre STEINMETZ.
Rendu public le 17 janvier 2013.