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22/07/1980 | FRANCE | N°80-117

France | France, Conseil constitutionnel, 22 juillet 1980, 80-117


Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 26 juin 1980 par MM Maurice Andrieux, Gustave Ansart, Robert Ballanger, Paul Balmigère, Mme Myriam Barbera, MM Jean Bardol, Jean-Jacques Barthe, Alain Bocquet, Gérard Bordu, Daniel Boulay, Irénée Bourgois, Jacques Brunhes, Georges Bustin, Henry Canacos, Jacques Chaminade, Mme Angèle Chavatte, Jacqueline Chonavel, M Roger Combrisson, Mme Hélène Constans, MM Michel Couillet, César Depietri, Bernard Deschamps, Guy Ducoloné, André Duroméa, Lucien Dutard, Charles Fiterman, Mmes Paulette Fost, Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM Dominique Frelaut, Edmond

Garcin, Marceau Gauthier, Pierre Girardot, Mme Colette Goeur...

Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 26 juin 1980 par MM Maurice Andrieux, Gustave Ansart, Robert Ballanger, Paul Balmigère, Mme Myriam Barbera, MM Jean Bardol, Jean-Jacques Barthe, Alain Bocquet, Gérard Bordu, Daniel Boulay, Irénée Bourgois, Jacques Brunhes, Georges Bustin, Henry Canacos, Jacques Chaminade, Mme Angèle Chavatte, Jacqueline Chonavel, M Roger Combrisson, Mme Hélène Constans, MM Michel Couillet, César Depietri, Bernard Deschamps, Guy Ducoloné, André Duroméa, Lucien Dutard, Charles Fiterman, Mmes Paulette Fost, Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM Dominique Frelaut, Edmond Garcin, Marceau Gauthier, Pierre Girardot, Mme Colette Goeuriot, MM Pierre Goldberg, Georges Gosnat, Roger Gouhier, Mme Marie-Thérèse Goutmann, MM Maxime Gremetz, Georges Hage, Guy Hermier, Mme Adrienne Horvath, MM Marcel Houël, Parfait Jans, Jean Jarosz, Emile Jourdan, Jacques Jouve, Pierre Juquin, Maxime Kalinsky, André Lajoinie, Paul Laurent, Georges Lazzarino, Mme Chantal Leblanc, MM Joseph Legrand, Alain Léger, François Leizour, Daniel Le Meur, Roland Leroy, Raymond Maillet, Louis Maisonnat, Georges Marchais, Fernand Marin, Albert Maton, Gilbert Millet, Robert Montdargent, Mme Gisèle Moreau, MM Maurice Nilès, Louis Odru, Antoine Porcu, Vincent Porelli, Mmes Jeanine Porte, Colette Privat, MM Jack Ralite, Roland Renard, René Rieubon, Marcel Rigout, Emile Roger, Hubert Ruffe, André Soury, Marcel Tassy, André Tourné, Théo Vial-Massat, Lucien Villa, René Visse, Robert Vizet, Claude Wargnies, Pierre Zarka et par MM Paul Quilès, Raymond Forni, Christian Nucci, André Chandernagor, Jacques Santrot, Henri Emmanuelli, Joseph Franceschi, Louis Mermaz, André Delehedde, Jean Laborde, Philippe Marchand, Louis Mexandeau, Jacques-Antoine Gau, André Cellard, Joseph Vidal, Gilbert Faure, Pierre Jagoret, Claude Evin, François Autain, André Billardon, Gilbert Sénès, Alain Bonnet, René Gaillard, Mme Marie Jacq, MM Jean Laurain, Pierre Forgues, Martin Malvy, Michel Sainte-Marie, Roland Beix, Bernard Derosier, Daniel Benoist, Mme Edwige Avice, MM Louis Besson, Yves Tondon, Louis Darinot, Jacques Lavédrine, Maurice Pourchon, Jean Poperen, Charles Pistre, Jean Auroux, Jean-Pierre Chevènement, Gaston Defferre, Laurent Fabius, Guy Bêche, Louis Le Pensec, Michel Rocard, Robert Aumont, Pierre Joxe, Jean-Yves Le Drian, Michel Crépeau, Claude Wilquin, Henri Lavielle, François Abadie, Paul Duraffour, Claude Michel, Pierre Lagorce, Jacques Huyghues des Etages, Maurice Andrieu, Hubert Dubedout, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Cot, Raoul Bayou, Edmond Vacant, François Massot, députés, dans les conditions prévues à l'article 61 (alinéa 2) de la Constitution, du texte de la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, et, notamment, de son article 6 ;

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport.

Sur la procédure législative :
1. Considérant que les dispositions du troisième alinéa de l'article 6 de la loi trouvent leur origine dans un amendement déposé par le Gouvernement en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale ; que cet amendement a reçu une nouvelle rédaction lors de la deuxième lecture devant le Sénat ; que le texte voté par le Sénat a été définitivement adopté, avec les autres dispositions de la loi, par l'Assemblée nationale en troisième lecture ;
2. Considérant que les auteurs des saisines font valoir que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel aurait été votée en méconnaissance des articles 42, alinéa 2, et de l'article 45, alinéa 1er, de la Constitution ainsi que de l'article 98-5° du règlement de l'Assemblée nationale.
3. Considérant que l'article 42, alinéa 2, de la Constitution, dispose : "Une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis" ; que l'article 45, alinéa 1er, dispose : "Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique" : que toutes les dispositions de la loi et notamment celles du troisième alinéa de l'article 6 qui, d'ailleurs, n'étaient pas étrangères à la protection et au contrôle des matières nucléaires, ont été votées successivement dans un texte identique par l'Assemblée nationale et par le Sénat ; qu'ainsi les prescriptions des articles 42 (alinéa 2) et 45 (alinéa 1er) de la Constitution ont été respectées ; que les dispositions des règlements des assemblées parlementaires n'ont pas valeur constitutionnelle ; que, dès lors, la loi a été délibérée et votée selon une procédure régulière ;
Sur l'ensemble du troisième alinéa de l'article 6 :
4. Considérant qu'aux termes du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent" ; qu'en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu'il a des limites, et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; que, notamment, s'agissant de la détention et de l'utilisation de matières nucléaires, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens, protection qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ;
5. Considérant que, sans d'ailleurs viser spécialement l'hypothèse de la grève, les dispositions du troisième alinéa de l'article 6 concernent les personnes physiques ou morales intervenant à quelque titre que ce soit dans les établissements où sont détenues des matières nucléaires définies à l'article 1er et qui auraient commis "une violation intentionnelle des lois et règlements et des instructions de l'exploitant ou de ses délégués, lorsqu'elle est susceptible de mettre en cause la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens" ; qu'en ce qui concerne les personnes physiques une telle violation intentionnelle peut "entraîner immédiatement, sans préjudice des sanctions pénales applicables, sans préavis ni indemnité, et après qu'aient été communiqués à la personne responsable les faits reprochés et que celle-ci ait présenté des observations, la suspension ou la rupture des liens contractuels ou statutaires au titre desquels ces personnes interviennent, nonobstant toute disposition contraire des statuts ou conventions qui leur sont applicables" ;
6. Considérant que, contrairement, à ce que soutiennent les auteurs des saisines, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de remettre aux autorités gouvernementales ou administratives et aux exploitants le soin de déterminer les faits pouvant entraîner au détriment de leurs auteurs la suspension ou la rupture des liens contractuels ou statutaires et, de ce fait, limiter l'exercice du droit de grève ; qu'en effet, si la violation des règlements en général ou des instructions de l'exploitant ou de ses délégués est une condition nécessaire, et ceci dans l'intérêt même des personnes à qui la loi est applicable, à la mise en jeu des dispositions du texte, cette violation n'est pas une condition suffisante ; qu'elle ne justifie la suspension ou la rupture des liens contractuels ou statutaires que si elle est intentionnelle et que si elle est susceptible de mettre en cause la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens. Qu'ainsi, indépendamment du contrôle que les juridictions compétentes pourraient exercer sur la régularité des règlements ou instructions visés par le texte, les dispositions précitées feraient obstacle à ce que la violation, même intentionnelle, d'un règlement ou d'une instruction de l'exploitant, permette l'application des dispositions du troisième alinéa de l'article 6 si ce règlement ou cette instruction n'intéresse pas la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens ;
7. Considérant, dès lors, que le troisième alinéa de l'article 6, qui n'apporte à l'exercice éventuel du droit de grève que les restrictions nécessaires à la sauvegarde des objets d'intérêt général qu'il vise, et qui ne comporte aucune délégation au profit du Gouvernement, de l'administration ou des exploitants du soin de réglementer l'exercice du droit de grève, est conforme à la Constitution ;
Sur les dispositions de l'article 6 concernant les personnes morales :
8. Considérant que, si les personnes morales visées par ces dispositions encourent "le retrait des autorisations administratives, la suspension ou la rupture sans préavis ni indemnité des conventions au titre desquelles ces personnes interviennent, nonobstant toute disposition contraire de ces conventions", ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires, ne font pas obstacle à ce que les personnes morales en question puissent se prévaloir des droits de la défense qui leur sont éventuellement reconnus par les lois, les règlements ou les principes généraux du droit ; qu'ainsi on ne saurait retenir l'allégation selon laquelle la loi aurait privé les personnes morales, en méconnaissance prétendue du principe d'égalité du droit, avant toute sanction, d'être informées des faits qui leur sont reprochés et de pouvoir présenter des observations ;
9. Considérant, enfin, qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen.

Décide :
Article premier :
La loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires est conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 80-117
Date de la décision : 22/07/1980
Loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires
Sens de l'arrêt : Conformité
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

Deux recours distincts de la part des députés communistes et socialistes

Recours des députés communistes

Conformément aux dispositions de l'article 61 de la Constitution nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires.

Nous estimons que l'article 4 de cette loi n'est pas conforme à la Constitution pour les raisons suivantes :

Le droit de grève est un droit fondamental reconnu par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958. Considérant cette règle constitutionnelle, le Conseil constitutionnel dans une décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, a déclaré non conforme à la Constitution des dispositions de la loi modifiant la loi n° 74-696 du 7 août 1974 aux motifs que... le législateur permet aux présidents de sociétés, lorsqu'une cessation concertée du travail empêche l'exécution du service normal afin de garantir que soit cependant assurée la généralité des missions dont il assigne l'accomplissement à ces sociétés de faire obstacle à l'exercice du droit de grève dans des cas où son interdiction n'apparaît pas justifiée au regard des principes de valeur constitutionnelle...

Si le législateur a pouvoir de limiter le droit de grève, il ne peut déléguer à quiconque le pouvoir de faire obstacle à l'exercice du droit de grève. Or en laissant la définition de règles de sécurité à "des instructions de l'exploitant ou de ses délégués", le législateur laisse la possibilité au dit exploitant de définir unilatéralement des règles faisant obstacle à l'exercice du droit de grève, sans être fondées quant à la sécurité. La définition de ces règles ne peut en conséquence relever que des lois des règlements et des conventions arrêtées entre l'exploitant et le personnel concernés et respectant le principe constitutionnel du droit de grève qui implique l'existence des moyens d'y avoir recours.

La discussion de l'article 4 est entachée d'autres irrégularités que les signataires portent à la connaissance du Conseil constitutionnel.

L'article 98 du règlement de l'Assemblée nationale stipule en son alinéa 5 que "les amendements et les sous-amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou s'agissant d'articles additionnels s'ils sont proposés dans le cadre d'un projet ou de la proposition...". Cette disposition n'a pas été respectée en ce qui concerne l'amendement n° 11 déposé par le Gouvernement en deuxième lecture du projet.

Les premiers alinéas de l'article 4 adopté par le Sénat sont relatifs au vol de matières nucléaires et ne concernent en conséquence que des personnes physiques. Or l'amendement n° 11 concerne la violation intentionnelle de règles de sécurité : il s 'applique aux personnes morales et physiques. Son objet est à l'évidence sans rapport avec le texte adopté par le Sénat. Il constitue en conséquence un article additionnel. Au terme du règlement, alinéa précité, les articles additionnels ne peuvent être proposés que dans le cadre du projet ou de la proposition. L'article 108 dudit règlement précise en son alinéa 2 que "la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux Assemblées du Parlement n'ont pu Parvenir à un texte identique". En conséquence, il n'est pas conforme au règlement qu'un sous-article additionnel soit adopté par l'Assemblée. Cette procédure est par ailleurs contestable au regard des dispositions de l'article 45 de la Constitution qui prévoit en son 2ème alinéa que les projets et propositions de loi qui n'ont pas été adoptés "après deux lectures pour chaque Assemblée..." ou une lecture si le Gouvernement a déclaré l'urgence, ce qui n'était pas le cas. En raison de l'importance de cet amendement qui modifie la législation du travail, ce qui n'était pas l'objet du texte initial, il est permis d'appliquer la règle des 2 lectures à cette disposition particulière de la loi.

Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir déclarer non conforme à la Constitution l'article 4 du projet de loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires.

Recours des députés socialistes

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement le 25 juin 1980.

Nous estimons, en effet, que l'article 4 de cette loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants.

1. L'article 4 permet de limiter ou d'interdire le droit de grève selon des modalités contraires à la Constitution.

Selon le troisième alinéa de l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, des sanctions administratives peuvent être appliquées aux personnes physiques ou morales qui se seront rendues coupables d'une "violation intentionnelle (...) des lois et règlements et des instructions de l'exploitant ou de ses délégués" applicables dans les établissements où sont détenues des matières nucléaires lorsque cette violation peut mettre en cause la sûreté nucléaire, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens.

Telle qu'elle est rédigée, cette disposition, qui résulte d'un amendement proposé par le Gouvernement et modifié à l'initiative du Sénat, nous paraît pouvoir être utilisée pour faire obstacle au libre exercice du droit de grève par les personnels en fonction dans les installations nucléaires. Or, la Constitution ne permet pas d'apporter des limites au droit de grève dans les conditions prévues par l'article 4 de la loi en cause.

- La limitation ou l'interdiction doit être expressément prévue par la loi. Selon le Préambule de la Constitution de 1946, repris et confirmé par le Préambule de la Constitution de 1958, "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent".

Dans votre décision n° 79-105 DC du 15 juillet 1979, vous avez considéré que si le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, le Préambule de la Constitution a "habilité le législateur" à en tracer les limites "en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte".

Il résulte expressément des termes mêmes du Préambule et de la décision précisée que toute loi interdisant ou limitant le droit de grève doit le faire d'une manière claire et précise et non d'une manière indirecte ou allusive. En d'autres termes, les atteintes qui peuvent être portées au libre exercice du droit de grève doivent résulter d'une disposition législative les autorisant expressément et explicitant les motifs précis justifiant la réglementation édictée par le législateur. On se référera utilement, à cet égard, à la réglementation édictée par la loi n° 79- 634 du 26 juillet 1979 concernant les conditions d'exercice du droit de grève dans les organismes du service public de la radio-télévision.

Aussi, il apparaît que l'article 4 de la loi déférée au Conseil constitutionnel peut autoriser le pouvoir réglementaire à édicter des réglementations interdisant ou limitant le droit de grève sans que le législateur l'ait expressément autorisé à le faire après avoir inséré dans la loi les principes sur lesquels doit se fonder l'action du pouvoir réglementaire.

C'est pourquoi, en tant qu'il permet indirectement de porter atteinte au droit de grève en déléguant tous les pouvoirs à ce sujet à l'exécutif, le troisième alinéa de l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel ne nous paraît pas conforme à la Constitution.

- L'interdiction du droit de grève ne peut être laissée à l'appréciation d'une autorité incompétente. Dans sa décision précitée du 25 juillet 1979, le Conseil constitutionnel a souligné qu'il revenait au législateur - c'est-à-dire au Parlement

- d'édicter les conditions dans lesquelles il peut être porté atteinte au libre exercice du droit de grève, l'exécutif n'ayant que le pouvoir d'édicter les "modalités d'application" de ces conditions "conformément à la répartition des compétences opérée entre le domaine de la loi et celui du règlement par les articles 21, 34 et 37 de la Constitution".

Or, si l'on admet que les dispositions de l'article 4 de la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires permettent l'interdiction ou la limitation du droit de grève, force est de constater que le législateur a très largement délégué ses compétences en la matière au pouvoir exécutif et l'a fait dans des conditions qui ne sont pas conformes à la Constitution puisqu'une telle délégation ne saurait s'opérer par une autre voie que celle des ordonnances de l'article 38 de la Constitution.

D'autre part, l'article 4 vise la "violation intentionnelle (...) des lois et règlements et des instructions de l'exploitant ou de ses délégués".

S'agissant tout d'abord de l'expression "règlements", on notera que ce terme permet de recouvrir toute une série d'actes du pouvoir exécutif. Or, la répartition des compétences rappelée dans votre décision précitée du 25 juillet 1979 conduit à considérer qu'en matière d'exercice du droit de grève, la réglementation ne peut résulter que de la loi et du décret à l'exclusion de toute autre forme de texte. C'est pourquoi en sanctionnant la violation des "règlements" l'article 4 méconnaît, en matière de droit de grève, les règles rappelées dans votre décision du 25 juillet 1979 et qui sont directement issues des articles 21 et 37 de la Constitution.

S'agissant ensuite de la violation des "instructions de l'exploitant ou de ses délégués", il convient de souligner que l'article 4 méconnaît également la même répartition des compétences. En effet, comme vous l'avez indiqué dans votre décision du 25 juillet 1979, la réglementation du droit de grève ne peut procéder que de la loi votée par le Parlement, et du décret, dont l'initiative revient au pouvoir exécutif et notamment au Premier ministre et au Gouvernement.

On voit mal, dans ces conditions, comment le législateur pourrait autoriser la réglementation du droit de grève à l'initiative de "l'exploitant ou de ses délégués" dans une installation nucléaire, le pouvoir exécutif n'ayant pas la possibilité de déléguer les attributions qui lui sont conférées par les articles 21 et 37 de la Constitution.

C'est pourquoi il apparaît que si l'article 4 de la loi qui vous est soumise doit permettre de réglementer ou de limiter l'exercice du droit de grève, cette réglementation ou cette limitation ne peut que procéder de règles édictées par des autorités incompétentes au regard des règles constitutionnelles applicables en la matière. Nous estimons donc que le troisième alinéa de l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel méconnaît les règles posés par les articles 21, 37 et 38 de la Constitution et doit donc être déclaré non conforme.

2. Le respect des droits de la défense n'est qu'imparfaitement assuré.

Selon les dispositions de l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel, la violation intentionnelle des dispositions relatives à la sûreté nucléaire peut donner lieu à des sanctions à l'égard des personnes physiques ou des personnes morales qui se rendent coupables de cette violation. Or, à l'inverse de ce qui est prévu en faveur des personnes physiques, les personnes morales peuvent être sanctionnées sans pouvoir disposer du droit de se défendre. En effet, seules les personnes physiques reçoivent communication des "faits reprochés" et peuvent présenter leur "observations" à leur sujet alors que cette obligation et cette faculté ne sont pas prévues en ce qui concerne les personnes morales.

Il ne nous paraît pas conforme à la Constitution de réserver le principe du droit à la défense aux seules personnes physiques et c'est pourquoi les sanctions prévues à l'égard des personnes morales dans l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel doivent être déclarées contraires à la Constitution en tant qu'elles peuvent être appliquées sans que la personne morale ait pu disposer du droit de prendre connaissance des griefs formules à son encontre et de formuler ses observations à leur sujet.

3. L'article 4 a été adopté en méconnaissance des règles constitutionnelles et réglementaires relatives à la procédure de présentation, de discussion et de vote des amendements.

Selon l'article 45 de la Constitution, la discussion d'un projet ou d'une proposition de loi peut faire l'objet de deux lectures afin que les Assemblées parviennent à l'adoption d'un texte identique, dès lors que le Gouvernement n'a pas déclaré l'urgence. Ce fut le cas pour la loi soumise au Conseil constitutionnel.

Le souci de parvenir à l'adoption d'un texte identique combiné avec les dispositions de l'article 42 de la Constitution selon lesquelles "une Assemblée saisie d'un texte voté par l'autre Assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis", conduit normalement à écarter tout article additionnel en seconde lecture.

Or, les dispositions du troisième alinéa de l'article 4 de la loi déférée au Conseil constitutionnel auraient normalement dû faire l'objet d'un article additionnel. Mais, comme elles ont été présentées par le Gouvernement, pour la première fois, devant l'Assemblée nationale saisie du texte en seconde lecture, le Gouvernement a dû renoncer à présenter un article additionnel et s'est contenté de présenter un amendement au texte de l'article 4 qui restait en discussion entre les deux Assemblées.

Toutefois, les amendements doivent être conformes aux prescriptions du règlement de l'Assemblée nationale et notamment à son article 98, alinéa 5, selon lequel "les amendements et les sous-amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent". Cette disposition doit être strictement respectée en seconde lecture afin d'éviter l'adoption d'amendements constituant en réalité des articles additionnels "déguisés".

Initialement, l'article 4 prévoyait des sanctions pénales à l'égard des personnes s'appropriant indûment certaines matières nucléaires et à l'égard de celles fournissant des renseignements inexacts en vue d'obtenir une autorisation irrégulière ou exerçant certaines activités sans autorisation. Il est évident que l'amendement·présenté par le Gouvernement, et qui constitue le troisième alinéa dudit article 4, ne saurait être considéré comme s'appliquant "effectivement au texte qu'il vise" puisque les dispositions incriminées n'ont aucun lien direct ou indirect avec celles du textes initial de l'article 4.

Dans ces conditions, et dès lors qu'il apparaît que la recevabilité de cet amendement du Gouvernement est douteuse au regard de l'article 98, alinéa 5 du règlement, la Présidence aurait normalement dû soumettre la question de la recevabilité à la décision de l'Assemblée nationale, conformément audit alinéa 5 de l'article 98. Tel n'a pas été le cas, et la discussion de cet amendement ayant été engagée, la Présidence n'a pu donner suite à l'exception d'irrecevabilité soulevée en séance par M. Pistre, député.

On peut s 'interroger sur le point de savoir à qui il appartient de prendre l'initiative de soulever l'irrecevabilité de l'article 98, alinéa 5, du règlement. Mais il paraît évident que cette initiative, si elle n'est pas interdite au Gouvernement ou à tout député, revient par priorité au Président de l'Assemblée nationale ou au Président de la séance dès lors que la question de la recevabilité doit être soulevée avant le commencement de la discussion du texte litigieux, c'est-à-dire, en fait, au moment où l'amendement est déposé sur le Bureau de la Présidence.

Dans ces conditions, et compte tenu des termes des articles 42 et 45 de la Constitution, et 98, alinéa 5, du règlement de l'Assemblée nationale, il apparaît que l'amendement d'où est issu le troisième alinéa de l'article 4 de la loi soumise au Conseil constitutionnel a été délibéré et adopté en violation des règles de la procédure législative et doit, de ce fait, être déclaré non conforme à la Constitution. Tels sont les motifs pour lesquels nous vous demandons de bien vouloir déclarer les dispositions du troisième alinéa de l'article 4 de la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires non conformes à la Constitution en tant qu'elles permettent d'interdire ou de réglementer l'exercice du droit de grève dans des conditions et selon des modalités irrégulières, qu'elles prévoient des sanctions sans garantir le droit à la défense et qu'elles ont été adoptées en méconnaissance des règles relatives à la procédure législative en matière d'amendement.


Références :

DC du 22 juillet 1980 sur le site internet du Conseil constitutionnel

Texte attaqué : Loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°80-117 DC du 22 juillet 1980
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1980:80.117.DC
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