Le Conseil constitutionnel,
Saisi le 26 juin 1980 par MM Maurice Andrieux, Gustave Ansart, Robert Ballanger, Paul Balmigère, Mme Myriam Barbera, MM Jean Bardol, Jean-Jacques Barthe, Alain Bocquet, Gérard Bordu, Daniel Boulay, Irénée Bourgois, Jacques Brunhes, Georges Bustin, Henry Canacos, Jacques Chaminade, Mme Angèle Chavatte, Jacqueline Chonavel, M Roger Combrisson, Mme Hélène Constans, MM Michel Couillet, César Depietri, Bernard Deschamps, Guy Ducoloné, André Duroméa, Lucien Dutard, Charles Fiterman, Mmes Paulette Fost, Jacqueline Fraysse-Cazalis, MM Dominique Frelaut, Edmond Garcin, Marceau Gauthier, Pierre Girardot, Mme Colette Goeuriot, MM Pierre Goldberg, Georges Gosnat, Roger Gouhier, Mme Marie-Thérèse Goutmann, MM Maxime Gremetz, Georges Hage, Guy Hermier, Mme Adrienne Horvath, MM Marcel Houël, Parfait Jans, Jean Jarosz, Emile Jourdan, Jacques Jouve, Pierre Juquin, Maxime Kalinsky, André Lajoinie, Paul Laurent, Georges Lazzarino, Mme Chantal Leblanc, MM Joseph Legrand, Alain Léger, François Leizour, Daniel Le Meur, Roland Leroy, Raymond Maillet, Louis Maisonnat, Georges Marchais, Fernand Marin, Albert Maton, Gilbert Millet, Robert Montdargent, Mme Gisèle Moreau, MM Maurice Nilès, Louis Odru, Antoine Porcu, Vincent Porelli, Mmes Jeanine Porte, Colette Privat, MM Jack Ralite, Roland Renard, René Rieubon, Marcel Rigout, Emile Roger, Hubert Ruffe, André Soury, Marcel Tassy, André Tourné, Théo Vial-Massat, Lucien Villa, René Visse, Robert Vizet, Claude Wargnies, Pierre Zarka et par MM Paul Quilès, Raymond Forni, Christian Nucci, André Chandernagor, Jacques Santrot, Henri Emmanuelli, Joseph Franceschi, Louis Mermaz, André Delehedde, Jean Laborde, Philippe Marchand, Louis Mexandeau, Jacques-Antoine Gau, André Cellard, Joseph Vidal, Gilbert Faure, Pierre Jagoret, Claude Evin, François Autain, André Billardon, Gilbert Sénès, Alain Bonnet, René Gaillard, Mme Marie Jacq, MM Jean Laurain, Pierre Forgues, Martin Malvy, Michel Sainte-Marie, Roland Beix, Bernard Derosier, Daniel Benoist, Mme Edwige Avice, MM Louis Besson, Yves Tondon, Louis Darinot, Jacques Lavédrine, Maurice Pourchon, Jean Poperen, Charles Pistre, Jean Auroux, Jean-Pierre Chevènement, Gaston Defferre, Laurent Fabius, Guy Bêche, Louis Le Pensec, Michel Rocard, Robert Aumont, Pierre Joxe, Jean-Yves Le Drian, Michel Crépeau, Claude Wilquin, Henri Lavielle, François Abadie, Paul Duraffour, Claude Michel, Pierre Lagorce, Jacques Huyghues des Etages, Maurice Andrieu, Hubert Dubedout, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Cot, Raoul Bayou, Edmond Vacant, François Massot, députés, dans les conditions prévues à l'article 61 (alinéa 2) de la Constitution, du texte de la loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires, telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, et, notamment, de son article 6 ;
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Ouï le rapporteur en son rapport.
Sur la procédure législative :
1. Considérant que les dispositions du troisième alinéa de l'article 6 de la loi trouvent leur origine dans un amendement déposé par le Gouvernement en deuxième lecture devant l'Assemblée nationale ; que cet amendement a reçu une nouvelle rédaction lors de la deuxième lecture devant le Sénat ; que le texte voté par le Sénat a été définitivement adopté, avec les autres dispositions de la loi, par l'Assemblée nationale en troisième lecture ;
2. Considérant que les auteurs des saisines font valoir que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel aurait été votée en méconnaissance des articles 42, alinéa 2, et de l'article 45, alinéa 1er, de la Constitution ainsi que de l'article 98-5° du règlement de l'Assemblée nationale.
3. Considérant que l'article 42, alinéa 2, de la Constitution, dispose : "Une assemblée saisie d'un texte voté par l'autre assemblée délibère sur le texte qui lui est transmis" ; que l'article 45, alinéa 1er, dispose : "Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique" : que toutes les dispositions de la loi et notamment celles du troisième alinéa de l'article 6 qui, d'ailleurs, n'étaient pas étrangères à la protection et au contrôle des matières nucléaires, ont été votées successivement dans un texte identique par l'Assemblée nationale et par le Sénat ; qu'ainsi les prescriptions des articles 42 (alinéa 2) et 45 (alinéa 1er) de la Constitution ont été respectées ; que les dispositions des règlements des assemblées parlementaires n'ont pas valeur constitutionnelle ; que, dès lors, la loi a été délibérée et votée selon une procédure régulière ;
Sur l'ensemble du troisième alinéa de l'article 6 :
4. Considérant qu'aux termes du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958 : "le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent" ; qu'en édictant cette disposition, les constituants ont entendu marquer que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu'il a des limites, et ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte ; que, notamment, s'agissant de la détention et de l'utilisation de matières nucléaires, la reconnaissance du droit de grève ne saurait avoir pour effet de faire obstacle au pouvoir du législateur d'apporter à ce droit les limitations nécessaires en vue d'assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens, protection qui, tout comme le droit de grève, a le caractère d'un principe de valeur constitutionnelle ;
5. Considérant que, sans d'ailleurs viser spécialement l'hypothèse de la grève, les dispositions du troisième alinéa de l'article 6 concernent les personnes physiques ou morales intervenant à quelque titre que ce soit dans les établissements où sont détenues des matières nucléaires définies à l'article 1er et qui auraient commis "une violation intentionnelle des lois et règlements et des instructions de l'exploitant ou de ses délégués, lorsqu'elle est susceptible de mettre en cause la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens" ; qu'en ce qui concerne les personnes physiques une telle violation intentionnelle peut "entraîner immédiatement, sans préjudice des sanctions pénales applicables, sans préavis ni indemnité, et après qu'aient été communiqués à la personne responsable les faits reprochés et que celle-ci ait présenté des observations, la suspension ou la rupture des liens contractuels ou statutaires au titre desquels ces personnes interviennent, nonobstant toute disposition contraire des statuts ou conventions qui leur sont applicables" ;
6. Considérant que, contrairement, à ce que soutiennent les auteurs des saisines, ces dispositions n'ont ni pour objet ni pour effet de remettre aux autorités gouvernementales ou administratives et aux exploitants le soin de déterminer les faits pouvant entraîner au détriment de leurs auteurs la suspension ou la rupture des liens contractuels ou statutaires et, de ce fait, limiter l'exercice du droit de grève ; qu'en effet, si la violation des règlements en général ou des instructions de l'exploitant ou de ses délégués est une condition nécessaire, et ceci dans l'intérêt même des personnes à qui la loi est applicable, à la mise en jeu des dispositions du texte, cette violation n'est pas une condition suffisante ; qu'elle ne justifie la suspension ou la rupture des liens contractuels ou statutaires que si elle est intentionnelle et que si elle est susceptible de mettre en cause la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens. Qu'ainsi, indépendamment du contrôle que les juridictions compétentes pourraient exercer sur la régularité des règlements ou instructions visés par le texte, les dispositions précitées feraient obstacle à ce que la violation, même intentionnelle, d'un règlement ou d'une instruction de l'exploitant, permette l'application des dispositions du troisième alinéa de l'article 6 si ce règlement ou cette instruction n'intéresse pas la sûreté nucléaire des installations, la protection des matières nucléaires ou la sécurité des personnes et des biens ;
7. Considérant, dès lors, que le troisième alinéa de l'article 6, qui n'apporte à l'exercice éventuel du droit de grève que les restrictions nécessaires à la sauvegarde des objets d'intérêt général qu'il vise, et qui ne comporte aucune délégation au profit du Gouvernement, de l'administration ou des exploitants du soin de réglementer l'exercice du droit de grève, est conforme à la Constitution ;
Sur les dispositions de l'article 6 concernant les personnes morales :
8. Considérant que, si les personnes morales visées par ces dispositions encourent "le retrait des autorisations administratives, la suspension ou la rupture sans préavis ni indemnité des conventions au titre desquelles ces personnes interviennent, nonobstant toute disposition contraire de ces conventions", ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires, ne font pas obstacle à ce que les personnes morales en question puissent se prévaloir des droits de la défense qui leur sont éventuellement reconnus par les lois, les règlements ou les principes généraux du droit ; qu'ainsi on ne saurait retenir l'allégation selon laquelle la loi aurait privé les personnes morales, en méconnaissance prétendue du principe d'égalité du droit, avant toute sanction, d'être informées des faits qui leur sont reprochés et de pouvoir présenter des observations ;
9. Considérant, enfin, qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution de la loi soumise à son examen.
Décide :
Article premier :
La loi sur la protection et le contrôle des matières nucléaires est conforme à la Constitution.
Article 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.