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26/06/2025 | CEDH | N°001-243820

CEDH | CEDH, AFFAIRE SEYDI ET AUTRES c. FRANCE, 2025, 001-243820


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SEYDI ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 35844/17)

ARRÊT

Art 14 (+ Art 8) • Allégations de discrimination lors de contrôles d’identité dans la rue • Décisions particulièrement motivées des juridictions internes ayant rempli leur obligation de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité • Existence d’un cadre juridique et administratif interne compatible avec les exigences conventionnelles visées • Absence de commencement de preuve que des attitudes discriminatoires fon

dées sur des motifs raciaux ont joué un rôle dans les contrôles d’identité de cinq des six requéra...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE SEYDI ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 35844/17)

ARRÊT

Art 14 (+ Art 8) • Allégations de discrimination lors de contrôles d’identité dans la rue • Décisions particulièrement motivées des juridictions internes ayant rempli leur obligation de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité • Existence d’un cadre juridique et administratif interne compatible avec les exigences conventionnelles visées • Absence de commencement de preuve que des attitudes discriminatoires fondées sur des motifs raciaux ont joué un rôle dans les contrôles d’identité de cinq des six requérants • Faisceau d’indices graves, précis et concordants de nature à créer une présomption de traitement discriminatoire à l’égard d’un des requérants que le Gouvernement n’est pas parvenu à réfuter

Art 13 + (Art 14+8) • Requérants ayant bénéficié d’un recours effectif devant les juridictions internes

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

26 juin 2025

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Seydi et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

María Elósegui, présidente,
Mattias Guyomar,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Gilberto Felici,
Andreas Zünd,
Diana Sârcu,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 35844/17) dirigée contre la République française et dont six ressortissants de cet État, MM. Mounir Seydi, Dia Abdillahi, Bocar Niane, Karim Touil, Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah, (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 mai 2017,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),

les observations communiquées par le Gouvernement et celles communiquées par les requérants,

les commentaires reçus de la Ligue des droits de l’homme (LDH) et du Défenseur des droits, que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,

les commentaires du Gouvernement sur les observations du Défenseur des droits,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 mai 2025,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne les contrôles d’identité, par les forces de l’ordre, dont les requérants, qui se présentent comme étant d’origine africaine ou nord-africaine, firent l’objet entre 2011 et 2012 et qu’ils qualifient de profilage racial ou « contrôles au faciès ». Ils invoquent l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8, l’article 13 de la Convention et l’article 2 du Protocole no 4.

EN FAIT

2. Les informations détaillées concernant les requérants, représentés par Me S. Ben Achour, avocat à Paris, figurent dans le tableau en annexe. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

1. Les circonstances de l’espèce
1. Le contrôle d’identité de M. Bocar Niane

3. Le 11 novembre 2011, entre 20 heures et 22 heures, en tout cas à une heure non précisément établie, à Saint-Ouen, M. Bocar Niane sortit à vive allure d’un immeuble, devant lequel ses deux sœurs l’attendaient. Il portait un pull avec une capuche relevée sur sa tête qui empêchait de distinguer son visage. Il fut contrôlé et fouillé par quatre policiers. Une réquisition du procureur de la République de Bobigny autorisant des contrôles d’identité avait été prise sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 2 du code de procédure pénale (CPP)[1], dit contrôles « sur réquisitions » (voir paragraphe 38 ci‑dessous) pour rechercher, sur la commune de Saint-Ouen, dans une zone très touchée par la délinquance, les auteurs de certaines infractions (infraction à la législation sur les étrangers, sur les stupéfiants et sur les armes) le 11 novembre 2011, entre 15 heures et 19 heures, puis le 12 novembre 2011, entre 21 heures et 1 heure. Toutefois, il ressort des décisions internes et des observations du Gouvernement devant la Cour que le contrôle d’identité de M. Bocar Niane était également fondé sur les dispositions de l’article 78-2 alinéa 1, dit contrôle « d’initiative » ou « de droit commun » (voir paragraphe 38 ci‑dessous).

4. Selon le requérant et l’une de ses sœurs, Mme Mariame Niane (voir paragraphe 19 ci-dessous), les policiers lui auraient demandé de se positionner contre un mur, contre lequel ils l’auraient maintenu tout en l’obligeant à écarter les jambes avant de procéder à une palpation de sécurité. Le requérant indique que les policiers l’auraient menacé de le « taser » pendant le contrôle, sans préciser l’origine de cet avertissement. Le Gouvernement n’indique pas dans ses observations devant la Cour être en possession d’éléments faisant état d’un quelconque incident pendant le contrôle. La version des policiers n’a pas été recueillie, ou du moins, n’a pas été communiquée à la Cour.

2. Le contrôle d’identité de M. Mounir Seydi

5. Une réquisition fut prise le 7 septembre 2011 par le procureur de la République de Lille sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 2 du CPP aux fins de rechercher les auteurs de certaines infractions (infractions en matière de vol et vol aggravé, recel et recel aggravé, infractions à la législation sur les armes et les explosifs, infractions à la législation sur les stupéfiants), étant précisé que l’opération devait se dérouler entre le 13 septembre et le 20 septembre 2011 de 11 heures à 17 heures dans différents quartiers de la ville. Le Gouvernement précise dans ses observations devant la Cour que les services de police avaient été alertés de la commission d’une infraction dans le centre-ville de Lille, qui avait été commis par « deux jeunes individus de type noir africain ».

6. Le 15 septembre 2011 vers 16 heures, M. Mounir Seydi fit l’objet d’un contrôle d’identité par un policier alors qu’il sortait d’une station de métro dans l’un des quartiers désignés par la réquisition du 7 septembre 2011, accompagné de son ami M. Siathone, de nationalité thaïlandaise.

7. La version des faits présentée par le requérant, corroborée par le témoignage produit par M. Siathone (voir paragraphe 19 ci-dessous), est la suivante : à la demande de l’agent de police, M. Mounir Seydi aurait présenté sa carte d’étudiant en école de commerce, le policier lui aurait demandé de quel genre d’école il s’agissait et s’il était porteur d’une arme blanche. Le policier se serait alors tourné vers M. Siathone pour lui demander sa pièce d’identité avant de lui dire que ce n’était plus nécessaire au moment où M. Siathone était en train de lui remettre sa carte d’identité. Le policier serait reparti en leur souhaitant une bonne journée. Le Gouvernement n’indique pas dans ses observations devant la Cour être en possession d’éléments faisant état d’un quelconque incident pendant le contrôle. La version des policiers n’a pas été recueillie, ou du moins, n’a pas été communiquée à la Cour.

3. Le contrôle d’identité de M. Dia Abdillahi

8. Le 12 février 2012, à Saint-Germain-en-Laye, les services de police furent alertés du fait qu’un vol en réunion avec violences avait eu lieu dans le centre-ville. Le Gouvernement précise dans ses observations devant la Cour que d’après les renseignements en sa possession, cette infraction avait été commise par deux personnes apparaissant comme étant d’origine nord‑africaine.

9. Le même jour, à Saint-Germain-en-Laye, à une heure non précisée, M. Dia Abdillahi fit l’objet d’un contrôle d’identité sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 1 du CPP (voir paragraphe 38 ci-dessous) alors qu’il rentrait à pied d’un bureau de poste avec son cousin, M. Manssouri. La version des faits présentée par le requérant et par M. Manssouri dans son témoignage (voir paragraphe 19 ci-dessous) est la suivante : quatre policiers en tenue civile situés à bord d’un véhicule banalisé auraient arrêté leur véhicule à la hauteur de M. Dia Abdillahi et de M. Manssouri et en seraient sortis. Les policiers les auraient encerclés et l’un d’eux aurait annoncé « contrôle de police », avant de procéder à leur fouille et à leur palpation. Le requérant aurait présenté ses papiers et les policiers auraient demandé qu’il vide ses poches et qu’il enlève un des deux pantalons qu’il portait, selon lui, en raison du froid, avant de le palper à nouveau. Relevant que M. Dia Abdillahi se trouvait à Saint-Germain-en-Laye alors qu’il résidait à Marseille, un des agents lui aurait dit : « Ah tu es en vacances, tu ne travailles pas ? Fais vite de trouver un travail parce que si Sarko passe tu ne pourras pas rester comme ça ». M. Manssouri ajoute notamment dans son témoignage que l’un des policiers aurait dit à M. Dia Abdillahi « Tu as un air de Ronaldinho, on te l’a jamais dit ? ». Le Gouvernement n’indique pas dans ses observations devant la Cour être en possession d’éléments faisant état d’un quelconque incident pendant le contrôle. La version des policiers n’a pas été recueillie, ou du moins n’a pas été communiquée à la Cour.

4. Les contrôles d’identité de MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah

10. Le 27 septembre 2011, vers 20 h 30, à Vaulx-en-Velin, dans une zone très touchée par la délinquance, MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah firent l’objet d’un contrôle d’identité par des agents de police alors qu’ils discutaient sur les escaliers de l’immeuble où réside M. Lyes Kaouah, sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 3 du CPP, qui prévoit les contrôles dits « d’ordre public » ou « préventifs » (voir paragraphe 38 ci-dessous). La version des faits présentée par les requérants dans leurs témoignages respectifs (voir paragraphe 19 ci-dessous) est la suivante : ils auraient été encerclés par quinze policiers, puis éblouis par leurs lampes torches. Lorsqu’ils demandèrent aux policiers de cesser, l’un d’eux aurait répondu « Pourquoi, tu es fragile ? ». M. Lyes Kaouah les aurait interrogés sur leur nombre et l’un des policiers lui aurait répondu « Vous, vous avez pas de couilles, quand on vient à trois vous faites les beaux, alors on vient à plusieurs pour vous montrer qui sont les plus forts ». MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah auraient décliné leur identité. M. Amine Mohamed Dif aurait fait l’objet d’une palpation du haut du corps aux chevilles, d’une fouille de ses poches, et de sa sacoche, qui aurait été vidée par un policier après qu’il eut présenté sa carte d’identité. M. Lyes Kaouah n’avait pas de document d’identité sur lui. Les policiers leur auraient souhaité une bonne soirée avant de repartir. Le Gouvernement n’indique pas dans ses observations devant la Cour être en possession d’éléments faisant état d’un quelconque incident pendant le contrôle. La version des policiers n’a pas été recueillie, ou du moins, n’a pas été communiquée à la Cour.

5. Les contrôles d’identité de M. Karim Touil

11. M. Karim Touil fit l’objet de trois contrôles d’identité dans le centre‑ville de Besançon en l’espace de dix jours.

12. Le premier se déroula le 22 novembre 2011. Ce jour-là vers 13 h 30, M. Karim Touil fut contrôlé par trois policiers aux abords de la Grande Rue, où il se trouvait avec son ami M. Omouri et une autre personne. La version des faits présentée par le requérant et par M. Omouri dans son témoignage (voir paragraphe 19 ci-dessous) est la suivante : M. Omouri et M. Karim Touil auraient tous deux subi une palpation des épaules aux pieds, auraient présenté leurs cartes d’identité puis seraient partis.

13. Une réquisition fut prise le 25 novembre 2011 par le procureur de la République de Besançon sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 2 du CPP aux fins de rechercher les auteurs de certaines infractions dans le centre-ville (infractions à la législation sur les stupéfiants, vols aggravés et infractions à la législation sur les armes et les explosifs) entre le 29 novembre et le 4 décembre 2011 de 14 heures à 20 heures.

14. Le 1er décembre 2011 à 13 h 30, accompagné de deux amis, MM. Chatelain et Guardado, le requérant fit l’objet d’un deuxième contrôle d’identité par trois policiers dans la rue. La version des faits présentée par M. Karim Touil et par MM. Chatelain et Guardado dans leurs témoignages (voir paragraphe 19 ci-dessous) est la suivante : en voyant les policiers arriver, M. Karim Touil dit « tiens le 22 », ce à quoi l’un des policiers aurait répondu « viens voir on va le contrôler celui-là il fait son malin », avant de déclarer « on connait vos codes de cités ». M. Chatelain aurait répondu qu’il ne vivait pas dans une cité, ce à quoi l’agent aurait répliqué « toi, ta gueule, reste là-bas » avant d’être saisi par l’épaule par l’un des policiers et mené de force dans l’entrée d’un immeuble, où sa carte d’identité aurait été contrôlée. Il lui aurait ensuite demandé d’enlever ses chaussures et aurait procédé à une palpation du requérant des pieds à la tête.

15. Le même jour, M. Karim Touil fit l’objet d’un troisième contrôle devant l’Hôtel de Ville, à 15 h 30, alors qu’il était avec plusieurs amis, MM. Esteve, Omouri, Guardado, Chatelain et Teneran. La version des faits présentée par le requérant et par MM. Chatelain, Omouri, Guardado, Istiak‑Boushaki et Serrault dans leurs témoignages (ces deux derniers ayant assisté à la scène de l’extérieur, M. Istiak-Boushaki, un proche de M. Karim Touil, étant arrivé alors que le contrôle de son groupe d’amis avait commencé et M. Serrault ne connaissant pas les intéressés mais ayant assisté au contrôle depuis une terrasse de restaurant (voir paragraphe 19 ci-dessous) est la suivante. Trois agents de police auraient aligné le requérant et ses amis contre le mur en déclarant « contrôle d’identité... fermez vos gueules », avant de procéder à leur fouille et à leur palpation. L’un d’eux aurait dit à M. Karim Touil : « T’es trop gros, faut maigrir, va faire du sport ». La situation aurait alors dégénéré et le ton serait monté entre les policiers et les individus faisant l’objet du contrôle. Un policier aurait giflé M. Karim Touil, ce que le Gouvernement confirme dans ses observations devant la Cour, puis, après des échanges verbaux, ce dernier aurait été emmené dans le fourgon de police et interpellé. La version des policiers n’a pas été recueillie, ou du moins, n’a pas été communiquée à la Cour.

2. la procédure interne : les recours en responsabilité pour fonctionnement défectueux du service public de la justice

16. Le 2 mars 2012, les six requérants adressèrent un courrier au ministre de l’Intérieur afin que leur soient communiqués sous quinzaine les motifs des contrôles dont ils avaient fait l’objet. Par six courriers du 16 mars 2012, le ministère répondit à chaque requérant qu’il allait saisir la direction générale de la police nationale aux fins de réalisation d’un examen approprié de la situation.

17. En l’absence de suite donnée, par actes du 11 avril 2012, les requérants assignèrent l’agent judiciaire de l’État, ci-après désigné par « l’Etat en défense », et le ministre de l’Intérieur devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, en vue de faire reconnaître la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice sur le fondement de l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire (COJ) (voir paragraphe 40 ci-dessous) en raison de contrôles de leur identité qu’ils considéraient comme étant discriminatoires.

18. Les policiers ayant procédé aux contrôles des requérants ne furent pas identifiés et aucune trace des contrôles ne fut gardée en l’absence de suite pénale.

19. A l’appui de leur demande, les requérants produisirent, d’une part, des témoignages, émanant de personnes étant pour la plupart des proches ayant assisté à leur contrôle d’identité (attestation de M. Siathone pour M. Mounir Seydi, attestation de M. Amine Mohamed Dif pour M. Lyes Kaouah et inversement, attestation de la sœur de M. Bocar Niane, Mme Mariame Niane, attestation de M. Manssouri pour M. Dia Abdillahi, et, enfin, pour M. Karim Touil, attestations de MM. Chatelain, Omouri, Guardado et Istiak-Boushaki) à l’exception de M. Serrault, qui n’était pas un proche mais un tiers ayant assisté à la scène, et, d’autre part, des rapports, études statistiques et analyses sociologiques dénonçant l’existence de contrôles d’identité discriminatoires en France.

1. Les jugements de première instance

20. Par six jugements du 2 octobre 2013 concernant chacun des six requérants, le TGI de Paris les débouta de leurs demandes, retenant à chaque fois les motifs suivants :

« [Le requérant], qui a fait l’objet d’un contrôle d’identité, doit être regardé comme ayant la qualité d’usager du service public de la justice (...)

Sur la responsabilité de l’État

En vertu des dispositions de l’article L. 141-1 du [COJ], « l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice. Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.

Il résulte de ces dispositions que l’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice dès lors que sont établis la commission d’une faute lourde, laquelle peut être constituée par une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, ou par un déni de justice.

[Le requérant] invoque une faute lourde.

Sauf dispositions contraires applicables au litige, en application des dispositions de l’article 9 du code de procédure civile, les parties ont la charge de prouver les faits nécessaires au succès de leurs prétentions.

(...)

Il appartient ainsi [au requérant] de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

S’il estime ainsi avoir fait l’objet (...) d’un contrôle d’identité fondé exclusivement sur son origine supposée et la couleur de sa peau, exclusif de tout élément objectif étranger à cette discrimination, et accompagné de gestes brutaux et de propos menaçants ou déplacés, il ne saurait être toutefois regardé comme rapportant la preuve qui lui incombe, en application des dispositions précitées de l’article 9 du code de procédure civile, des agissements dénoncés au moyen de la seule production [d’une ou plusieurs attestation(s)] et de divers rapports officiels, études statistiques ou analyses sociologiques lesquels, s’ils évoquent une situation portant atteinte aux droits fondamentaux des personnes et notamment au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion, le font de manière générale et impersonnelle et ne sont pas revêtus de la valeur probante suffisante pour établir, au cas présent, que [le requérant] a été lui-même victime, à titre personnel et dans les circonstances de temps et de lieu qu’il allègue, d’un comportement discriminatoire des forces de police.

Le [requérant] critique, au travers du contrôle dont il a fait l’objet, le régime juridique applicable à ce contrôle d’identité et notamment l’absence de garanties procédurales entourant sa mise en œuvre qui seraient de nature à assurer l’effectivité du respect des droits fondamentaux de la personne humaine.

Cette contestation est en réalité dirigée contre l’œuvre du législateur elle-même.

Or il n’appartient pas aux tribunaux de l’ordre judiciaire de se prononcer sur l’éventuelle responsabilité de l’État du fait de l’adoption d’une loi dont les dispositions feraient l’objet de discussions.

Il résulte de tout ce qui précède que l’irrégularité du contrôle d’identité dont a fait l’objet [le requérant], tant en ce qui concerne la réalité d’un acte intentionnel de discrimination que celle d’un comportement déplacé des forces de l’ordre, et par suite la faute lourde qui en aurait résulté à la charge du service public de la Justice, ne sont pas établies et que les demandes [du requérant] doivent être rejetées. »

2. Les arrêts d’appel

21. Chaque requérant releva appel du jugement le concernant. Le Défenseur des droits intervint dans chaque procédure. Par six arrêts du 24 juin 2015, la cour d’appel de Paris confirma les jugements du TGI. Les motifs communs aux six arrêts et rappelant les bases légales, et les principes fondamentaux issus de la jurisprudence et des textes internationaux et européens, sont les suivants :

« Considérant que le contrôle d’identité est l’injonction ou la sommation, faite à une personne physique par un agent de la force publique, fonctionnaire de police ou militaire de la gendarmerie, de justifier de son identité par tout moyen ;

Considérant que les conditions autorisant un agent de la force publique ou un militaire de gendarmerie à effectuer un contrôle d’identité sont définies par l’article 78-2 du [CPP] (...)

Considérant néanmoins que la mise en œuvre d’un contrôle d’identité fondée sur les dispositions de l’article 78-2 du [CPP], au-delà même de la question de sa légalité, doit avoir été opérée dans le respect des droits fondamentaux de la personne et donc du principe de l’égalité de traitement entre les personnes, sans discrimination tenant notamment à la race, l’apparence physique ou l’origine ;

Considérant que ce principe de non-discrimination est au cœur de la protection internationale des droits de l’homme ;

que dans le prolongement de la Déclaration Universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, il est consacré par la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 21 décembre 1965, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne du 7 novembre 2002, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ;

que la CJUE, en matière de discrimination, applique le droit de l’Union au regard des textes internationaux, nationaux et de la Convention Européenne des droits de l’Homme, rappelant que les États, non seulement doivent s’abstenir de discriminer mais ont également l’obligation de prendre toute mesure nécessaire afin d’éviter toute discrimination dont la CEDH a jugé dans l’arrêt Timishev contre Russie, du 13 décembre 2005, que « la discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement odieuse qui exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités (...) » ;

que tout autant ce principe de l’égalité de traitement et de son corollaire, celui de la non-discrimination est consacré en droit interne, par la Constitution de 4 octobre 1958 qui, en son article 1, dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », mais également par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et par l’alinéa 1 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, ces deux derniers textes ayant valeur constitutionnelle ;

Considérant dès lors que si le juge judiciaire, sur ces trois formes de contrôle d’identité : droit commun de l’alinéa 1, sur réquisition de l’alinéa 2, à titre préventif de l’alinéa 3, est amené à exercer son contrôle sur le respect par les autorités de police, des exigences légales et des limites fixées par le Conseil Constitutionnel, il lui appartient également, outre ce contrôle de la stricte légalité des contrôles d’identité opérés, de s’assurer que ceux-ci ont été exécutés dans le respect des droits fondamentaux de la personne, selon des critères objectifs, étrangers notamment, à la couleur de la peau et/ou l’origine des personnes contrôlées (...) »

22. Tous les arrêts d’appel conclurent à l’absence de discrimination envers les six requérants en relevant que la discrimination, condition nécessaire à la mise en œuvre de l’article L. 141-1 du COJ, n’était pas prouvée, tout en admettant la difficulté de rapporter la preuve en l’absence de procès-verbal, et ce, en dépit des statistiques invoquées.

23. L’arrêt de la cour d’appel concernant MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah se poursuit et conclut ainsi :

« Considérant que [le requérant] a fait l’objet d’un contrôle d’identité en application des dispositions de l’article 78-2 alinéa 3 du [CPP] ;

que cette mesure constitue une action de police administrative ;

Considérant que ce texte permet que soit contrôlée l’identité de toute personne, quel que soit son comportement, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens ;

que néanmoins dans sa décision du 5 aout 1993 le Conseil Constitutionnel a rappelé que l’autorité de police doit être en mesure de « justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle » et qu’il appartient au juge judiciaire, au demeurant quelle que soit la disposition dans le cadre de laquelle s’exerce le contrôle d’identité, « de veiller au respect intégral de l’ensemble des conditions de forme et de fond posé par le législateur » mais aussi de « censurer et de réprimer les inégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement a la réparation de leurs conséquences dommageables » ;

Considérant par ailleurs qu’au regard des principes fondamentaux résultant tant des normes internationales, qu’européennes que nationales, précédemment énoncées, tout contrôle d’identité, opéré sur des motifs discriminatoires tenant notamment à la race ou à l’origine, porterait fondamentalement atteinte au principe d’égalité de traitement et présenterait un caractère discriminatoire qu’il appartient donc au juge judiciaire de censurer ;

que cependant pour être pleinement effectif, un tel recours doit s’inscrire dans un régime juridique permettant la démonstration, par l’intéressé, des faits qu’il estime arbitraires ou abusifs ;

que la problématique au cas d’espèce résulte de ce que le contrôle litigieux n’a donné lieu à la rédaction d’aucun procès-verbal, qu’il n’a pas été enregistré, ni fait l’objet d’un récépissé ;

que telle qu’établie, la loi en matière de contrôle d’identité qui n’aboutit pas à la constatation d’une infraction, ne prévoit aucune obligation de traçabilité ;

que cette situation constitue dès lors une entrave au contrôle juridictionnel, susceptible en elle-même de priver la personne concernée de la possibilité de contester utilement la mesure en cause et son caractère éventuellement discriminatoire et va à l’encontre de la jurisprudence développée par la Cour européenne sur l’article 13 de la Convention européenne portant sur le droit à un recours effectif ;

Considérant que [le requérant] soutient en conséquence la nécessité d’un aménagement de la charge de la preuve, tel que l’a énoncé la Cour européenne dans diverses décisions (arrêts Natchova, Timishev, Salman) ;

(...)

Considérant qu’il demeure que pour être adéquate, la voie de recours au juge judiciaire nécessite dès lors que la preuve de l’atteinte aux droits de la personne et au principe d’égalité, puisse être rapportée, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes, l’autorité publique devant quant à elle démontrer le caractère justifié de la différence de traitement ;

Considérant qu’en l’espèce le contrôle litigieux s’inscrit dans la circonstance particulière qu’il a été exercé en un lieu notoirement connu pour être touché par la délinquance, notamment les violences aux personnes et le trafic de stupéfiants ;

que dans les jours précédents de nombreux véhicules automobiles avaient été incendiés, ces actes graves ayant nécessité le déploiement spécial dans le quartier d’une quinzaine de policiers, ce qui est confirmé par [M. Amine Mohamed Dif dans l’attestation qu’il a rédigée au profit de M. Lyes Kaouah] ;

que la dangerosité de cette zone constitue ainsi un fait objectif, rappelé notamment dans des articles de presse (Journal le Progrès, Site Internet) produits aux débats par l’agent judiciaire du Trésor qui justifie par conséquent le contrôle d’identité dont l’appelant a fait l’objet ;

Considérant par ailleurs qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir le caractère supposé discriminatoire de ce contrôle ;

que certes les statistiques d’ordre général sur lesquelles se fonde [le requérant] qui, contrairement à ce que soutient l’[Etat en défense], constituent un élément d’appréciation dont la cour doit tenir compte, révèlent qu’est « sur contrôlée » une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de juin 2010 ;

que néanmoins à elles seules elles ne peuvent constituer le faisceau d’indices graves, précis et concordants caractérisant le comportement discriminatoire que l’appelant impute aux forces de police ;

Considérant qu’il convient en conséquence de débouter [le requérant] de sa demande. »

24. L’arrêt de la cour d’appel concernant M. Mounir Seydi, M. Bocar Niane, M. Dia Abdillahi et M. Karim Touil (suite du paragraphe 21 ci-dessus) se poursuit ainsi :

« (...) que le Conseil Constitutionnel a rappelé dans sa décision du 5 août 1993 « qu’il revient à l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle de contrôler en particulier les conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les opérations de contrôle et de vérification d’identité » ;

Considérant que [le requérant] a fait l’objet d’un contrôle d’identité en application des dispositions de l’article 78-2 alinéa 2 du [CPP] ;

que cette mesure constitue une action de police judiciaire qui relève, contrairement à ce que soutient l’appelant, du domaine du service public de la justice dont celui-ci est ainsi devenu, quoiqu’il le conteste, un usager auquel l’article L. 141-1 du [COJ], qui concerne non seulement les actes effectués par les magistrats mais également ceux exécutés sur leurs directives et instructions mais aussi les opérations accomplies dans le cadre défini par le [CPP], ainsi que les enquêtes sur les crimes ou délits flagrants et les enquêtes préliminaires, ouvre une action lui permettant de rechercher la responsabilité de l’France en ce qu’il prévoit que « L’France est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice » ;

Considérant, certes que ce texte dispose que « (...) cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou un déni de justice », la faute lourde devant s’entendre comme une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi » ;

que néanmoins la jurisprudence apprécie cette notion en prenant en compte le devoir professionnel méconnu par l’agent qui en est l’auteur et les effets du dysfonctionnement pour la victime, au regard de ce qu’elle était en droit d’attendre du service public de la justice ;

Considérant qu’au regard des principes fondamentaux résultant tant des normes internationales, qu’européennes que nationales, précédemment énoncées, il est acquis qu’un contrôle d’identité, opéré sur des motifs discriminatoires fondés notamment sur la race ou l’origine, porterait fondamentalement atteinte au principe d’égalité de traitement que toute personne est légitimement en droit d’attendre du service public de la justice ;

qu’une violation aussi flagrante des droits fondamentaux de la personne ne peut dès lors que constituer une faute lourde engageant directement la responsabilité de l’France, de sorte que l’exigence posée par l’article L. 141-1 de l’organisation judiciaire tenant à la caractérisation de celle-ci ne constitue pas un obstacle à l’action dont dispose la personne qui s’en dit victime ;

Considérant cependant que pour être pleinement effectif, le recours au juge judiciaire tel que rappelé par le Conseil Constitutionnel, s’exerçant sur le fondement dudit article L. 141-1 doit s’inscrire dans un régime juridique permettant la démonstration, par l’intéressé, des faits qu’il estime arbitraires ou abusifs ;

Considérant que la problématique au cas d’espèce résulte de ce que le contrôle litigieux n’a donné lieu à la rédaction d’aucun procès-verbal, qu’il n’a pas été enregistré, ni fait l’objet d’un récépissé ;

que telle qu’établie, la loi en matière de contrôle d’identité qui n’aboutit pas à la constatation d’une infraction, ne prévoit aucune obligation de traçabilité ;

que cette situation constitue dès lors une entrave au contrôle juridictionnel, susceptible en elle-même de priver la personne concernée de la possibilité de contester utilement la mesure en cause et son caractère éventuellement discriminatoire et va à l’encontre de la jurisprudence développée par la Cour européenne sur l’article 13 de la Convention européenne portant sur le droit à un recours effectif ;

Considérant que l’appelant soutient en conséquence la nécessité d’un aménagement de la charge de la preuve, tel que l’a énoncé la Cour européenne dans diverses décisions (arrêts Natchova, Timishev, Salman) ;

(...)

Considérant néanmoins que pour être adéquate, la voie de recours ouverte par l’article L. 141-1 du [COJ], nécessite dès lors que la preuve de l’atteinte aux droits de la personne et au principe d’égalité, puisse être rapportée, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne, par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes, l’autorité publique devant quant à elle démontrer le caractère justifié de la différence de traitement ; »

25. Concernant M. Mounir Seydi, l’arrêt conclut :

« Considérant qu’en l’espèce, M. Mounir Seydi argue des statistiques d’ordre général, qui révèlent qu’est « sur contrôlée » une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de juin 2010 ;

que contrairement à ce que soutient l’[Etat en défense], ces données, par l’analyse précise qu’elles font de la situation de « sur contrôle d’identité » vécue par une certaine catégorie de la population, constituent un élément d’appréciation des circonstances ayant présidé au contrôle d’identité de M. Mounir Seydi ;

que cependant, à elles seules, elles ne peuvent constituer le faisceau d’indices graves, précis et concordants permettant de caractériser l’inégalité de traitement tirée de critères subjectifs dénoncée par l’appelant ;

que Μ. Mounir Seydi produit également aux débats une attestation délivrée par M. Siathone qui se trouvait en sa compagnie lors de son interpellation ;

que pour autant il ne résulte nullement de cette déclaration que l’appelant a fait l’objet d’un contrôle au faciès, quand bien même M. Siathone indique que « pendant le contrôle il y avait des passants qui n’ont pas été contrôlés », étant au demeurant observé que le témoin, lui-même de nationalité étrangère (thaïlandaise), n’a pas été interpellé ;

qu’en revanche M. Siathone décrit une opération qui s’est déroulée dans le calme et la courtoisie, les policiers étant repartis sans incident en souhaitant une bonne journée aux deux jeunes gens ;

que par ailleurs la régularité du contrôle dont M. Mounir Seydi a fait l’objet n’est pas sérieusement contestable au regard des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 78-2 du [CPP] dans le cadre duquel il s’est déroulé, sur les réquisitions précises du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille, tant en ce qui concerne les infractions à rechercher, notamment celles visées par les articles L. 3421-1 et suivants du code de la santé publique, que le cadre spatio-temporel (une semaine durant dans des quartiers strictement déterminés) dans lequel il devait se dérouler ;

qu’il n’apparaît donc pas que les faits dénoncés par M. Mounir Seydi présentent un caractère discriminatoire qui engagerait la responsabilité de l’France ;

Considérant dès lors que M. Mounir Seydi doit être débouté de sa demande ; »

26. Concernant M. Bocar Niane, l’arrêt conclut :

« Considérant que la régularité du contrôle dont M. Bocar Niane a fait l’objet n’est pas contestable au regard des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 78-2 du [CPP] dès lors qu’il s’est déroulé dans un quartier, celui de la cité Cordon à Saint-Ouen, touché par la délinquance, classé en zone de sécurité prioritaire en 2011, faisant régulièrement l’objet de réquisitions afin de contrôle prises par le Procureur de la République, notamment afin de lutter contre les trafics de drogue ;

que cette situation a suscité, comme l’a rappelé la presse, l’exaspération de la population en butte aux dealers et a donné lieu à une marche de protestation des habitants quelques jours après les faits litigieux ainsi qu’ à la visite du ministre de l’intérieur de l’époque ;

Considérant que c’est donc dans ce contexte de délinquance avérée et constante que s’est déroulé le contrôle d’identité de M. Bocar Niane ;

que celui-ci a été interpellé alors qu’il sortait en courant d’un immeuble et qu’il portait un vêtement qui dissimulait son visage ;

que ces circonstances qui certes à elles seules seraient insuffisantes pour justifier la mesure de contrôle en cause doivent cependant être appréciées par rapport à la situation qui vient d’être rappelée ;

qu’objectivement elles caractérisaient un comportement suspect, justifiant le contrôle de la personne concernée au regard des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 78-2 du [CPP] et de la protection de l’intérêt public dans lequel il s’inscrit ;

que par ailleurs il ne résulte pas du témoignage de la sœur M. Bocar Niane que les policiers en action ont agi en fonction de considérations, notamment raciales, autres que celles du comportement apparemment suspect de l’appelant dans le contexte précis de délinquance habituelle que connait le quartier de la cité Cordon ;

que dès lors les seules statistiques d’ordre général qui, contrairement à ce que soutient l’[Etat en défense], constituent un élément d’appréciation en ce qu’elles révèlent qu’est « sur contrôlée » une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de juin 2010, sont insuffisantes pour établir le caractère discriminatoire du contrôle litigieux susceptible d’engager la responsabilité de l’France, dénoncé par M. Bocar Niane ;

que celui-ci sera en conséquence débouté de ses demandes ; »

27. Concernant M. Dia Abdillahi, l’arrêt conclut :

« Considérant que la régularité du contrôle dont M. Dia Abdillahi a fait l’objet n’est pas contestable au regard des dispositions de l’alinéa 1 de l’article 78-2 du [CPP] dès lors qu’il s’est déroulé dans l’urgence, les policiers venant d’être avisés de la commission de faits graves, réalisés par deux individus dont la description pouvait a priori correspondre aux deux personnes interpelées ; que le contrôle litigieux a donc été opéré à partir de critères objectifs que sont la commission récente d’une infraction, le signalement des deux individus qui l’avaient perpétrée et la présence à proximité des lieux de M. Dia Abdillahi et de son ami M. Manssouri ;

que par ailleurs il ne résulte nullement des témoignages réciproques des deux intéressés que les policiers en action ont agi en fonction de considérations, notamment raciales, autres que celles tirées des éléments dont ils disposaient sur les circonstances de l’infraction qui venait d’être commise ; que des lors les seules statistiques d’ordre général qui, contrairement à ce que soutient l’[Etat en défense], constituent un élément d’appréciation en ce qu’elles révèlent qu’est « sur contrôlée » une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de juin 2010, sont insuffisantes pour établir le caractère discriminatoire du contrôle litigieux susceptible d’engager la responsabilité de l’France, dénoncé par M. Dia Abdillahi ;

que celui-ci sera en conséquence débouté de ses demandes ; »

28. Concernant M. Karim Touil, l’arrêt conclut :

« Considérant qu’en l’espèce, M. Karim Touil argue des statistiques d’ordre général, qui révèlent qu’est « sur contrôlée » une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par un rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de juin 2010 ;

que contrairement à ce que soutient l’[Etat en défense], ces données, par l’analyse précise qu’elles font de la situation de « sur contrôle d’identité » vécue par une certaine catégorie de la population, constituent un élément d’appréciation des circonstances ayant présidé au contrôle d’identité de M. Karim Touil ;

que cependant, à elles seules, elles ne peuvent constituer le faisceau d’indices graves, précis et concordants permettant de caractériser l’inégalité de traitement tirée de critères subjectifs dénoncée par l’appelant et doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve ;

Considérant sur l’interpellation du 22 novembre 2011, que M. Karim Touil produit une attestation délivrée par M. Omouri ;

Qu’il ne résulte cependant pas de ce témoignage que le contrôle aurait été effectué en raison de l’apparence physique de l’intéressé ou de son origine, ni qu’il a donné lieu de la part des forces de l’ordre à des propos discriminatoires ou injurieux ;

Considérant sur les contrôles du 1er décembre 2011, qu’il résulte des attestations délivrées par MM. Guardado et Omouri, amis de M. Karim Touil, ainsi que de celles de M. Serrault et de M. Istiak-Boushaki qui ont assisté à la scène que celui opéré à 15 h 30 s’est mal déroulé pour l’intéressé qui a subi l’agressivité verbale et même physique, par l’application d’une gifle, d’un des membres des forces de l’ordre en action ;

que pour autant aucun de ces témoignages ne permet de retenir que M. Karim Touil a fait l’objet « d’un contrôle au faciès » ou n’a eu à subir des propos à connotation raciste, laissant penser que seule son origine raciale aurait motivé son interpellation ;

que s’il est à déplorer que le CRS en cause se soit crû autorisé à faire une remarque sur la corpulence de M. Karim Touil en l’invitant à faire du sport, il n’apparaît cependant pas que cette particularité physique, au demeurant étrangère à l’origine raciale de l’intéressé, ait été à l’origine du contrôle d’identité de celui-ci ;

que pas davantage les témoignages recueillis ne caractérisent lors des opérations s’étant déroulées à 13 h 30 une pratique discriminatoire de la part des forces de police, alors même qu’il n’est d’ailleurs pas à exclure, à la lecture de la déclaration faite par M. Chatelain, que l’intéressé a été contrôlé pour avoir plaisanté en voyant les forces de police arriver en disant « tiens le 22 », le témoin rapportant qu’un des CRS aurait alors dit « Viens voir on va le contrôler celui-là il fait son malin » ;

Considérant, dès lors que la régularité des contrôles dont l’appelant a fait l’objet n’est pas sérieusement contestable au regard des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 78-2 du [CPP] dans le cadre duquel il s’est déroulé, sur les réquisitions précises du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Besançon, tant en ce qui concerne les infractions à rechercher, que le cadre spatio-temporel (des quartiers strictement déterminés) dans lequel il devait se dérouler, qu’il n’apparaît donc pas que les faits dénoncés par M. Karim Touil présentent un caractère discriminatoire qui engagerait la responsabilité de l’France ;

que M. Karim Touil doit être en conséquence débouté de sa demande. »

3. Les arrêts de cassation

29. Les requérants se pourvurent en cassation contre les arrêts de la cour d’appel.

30. Par six arrêts du 9 novembre 2016, la Cour de cassation rejeta les pourvois des requérants en excluant l’existence d’une faute lourde et d’une discrimination. Les motifs communs aux six arrêts sont les suivants :

« (...) Mais attendu que la faute lourde résultant d’une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, au sens de l’article L. 141-1 du [COJ], doit être regardée comme constituée lorsqu’il est établi qu’un contrôle d’identité présente un caractère discriminatoire ; que tel est le cas, notamment, d’un contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable ;

Qu’il appartient à celui qui s’en prétend victime d’apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement et laissant présumer l’existence d’une discrimination, et, le cas échéant, à l’administration de démontrer, soit l’absence de différence de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; »

31. Concernant M. Mounir Seydi, l’arrêt poursuit et conclut ainsi :

« (...) Attendu, d’abord, que l’arrêt constate que les études et informations statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d’identité effectués, selon des motifs discriminatoires, sur une même catégorie de population appartenant aux « minorités visibles », c’est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée ; qu’après avoir justement retenu que ces éléments sont, à eux seuls, insuffisants à laisser présumer une discrimination, l’arrêt énonce que le témoignage produit ne fait pas état de la différence de traitement invoquée par l’intéressé ; qu’ayant ainsi souverainement estimé que M. Mounir Seydi ne rapportait pas la preuve de faits de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination dans le choix de la personne, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a exactement déduit que la responsabilité de l’France ne pouvait être engagée pour ce motif ;

Attendu, ensuite, qu’en précisant qu’il résultait du même témoignage que l’opération s’était déroulée dans le calme et la courtoisie, elle a répondu aux conclusions prétendument délaissées critiquant le déroulement du contrôle ; »

32. Concernant M. Bocar Niane, l’arrêt poursuit et conclut ainsi :

« (...) Attendu, d’abord, que l’arrêt retient que la différence de traitement alléguée est contredite par des éléments objectifs, en ce que le contrôle est intervenu en application des dispositions de l’article 78-2, alinéa 1er du [CPP], dans un quartier marqué par la délinquance, en raison du comportement suspect de M. Bocar Niane qui sortait en courant d’un immeuble, le visage dissimulé ; que la cour d’appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, sans inverser la charge de la preuve, en a exactement déduit que le choix de la personne contrôlée ne présentait pas de caractère discriminatoire ;

Attendu, ensuite, qu’en ajoutant qu’il ne résultait pas du témoignage versé aux débats que les fonctionnaires de police auraient agi en fonction de considérations raciales, elle a répondu aux conclusions prétendument délaissées critiquant le déroulement du contrôle (...) »

33. Concernant M. Dia Abdillahi, l’arrêt poursuit et conclut ainsi :

« (...) Attendu, d’abord, qu’ayant souverainement estimé que la différence de traitement était justifiée par des éléments objectifs, en ce que la personne contrôlée répondait au signalement de l’un des suspects, la cour d’appel, qui a procédé aux recherches prétendument omises, sans inverser la charge de la preuve, en a exactement déduit que le choix de la personne contrôlée ne présentait pas de caractère discriminatoire ;

Attendu, ensuite, qu’en retenant qu’il ne résultait pas des témoignages que le comportement des fonctionnaires de police à l’égard de la personne contrôlée procédait de considérations, notamment raciales, autres que celles tirées des éléments dont ils disposaient sur les circonstances de l’infraction qui venait d’être commise, elle a répondu aux conclusions prétendument délaissées critiquant le déroulement du contrôle (...) »

34. Concernant M. Karim Touil, l’arrêt poursuit et conclut ainsi :

« (...) Attendu, d’abord, que l’arrêt constate que les études et informations statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d’identité effectués, selon des motifs discriminatoires, sur une même catégorie de population appartenant aux « minorités visibles », c’est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée ; qu’après avoir justement retenu que ces éléments sont, à eux seuls, insuffisants à laisser présumer une discrimination, l’arrêt énonce que ni les déclarations de M. Omouri, témoin du contrôle d’identité du 22 novembre, ni celles de MM. Chatelain, Omouri, Guardado, Serrault et Istiak-Boushaki, pour le contrôle ou l’interpellation du 1er décembre, ne font état de la différence de traitement invoquée par l’intéressé ;

qu’ayant ainsi souverainement estimé que M. Karim Touil ne rapportait pas la preuve de faits de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination dans le choix de la personne, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a exactement déduit que la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée pour ce motif ;

Attendu, ensuite, qu’en précisant que, si M. Karim Touil avait subi l’agressivité verbale et physique des fonctionnaires de police, ces éléments, étrangers à l’origine de l’intéressé, ne caractérisaient pas un comportement à connotation raciste, elle a répondu aux conclusions prétendument délaissées critiquant le déroulement du contrôle (...) »

35. Concernant MM. Amine Mohamed Dif et Kaouah, l’arrêt poursuit et conclut ainsi :

« (...) Attendu, d’abord, que l’arrêt constate que les études et informations statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d’identité effectués, selon des motifs discriminatoires, sur une même catégorie de population appartenant aux « minorités visibles », c’est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée ; qu’après avoir justement retenu que ces éléments sont, à eux seuls, insuffisants à laisser présumer une discrimination, l’arrêt énonce, par motifs propres et adoptés, que l’attestation versée aux débats ne fait pas état de la différence de traitement invoquée par l’intéressé ; qu’ayant ainsi souverainement estimé que [le requérant] ne rapportait pas la preuve de faits de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination dans le choix de la personne, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, en a exactement déduit que la responsabilité de l’État ne pouvait être engagée pour ce motif ;

Attendu, ensuite, qu’en ajoutant qu’aucun élément du dossier ne permettait de retenir le caractère supposé discriminatoire de ce contrôle, elle a répondu aux conclusions prétendument délaissées critiquant le déroulement du contrôle (...) »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE RELATIFS À L’AFFAIRE

1. Les éléments internes pertinents
1. Le droit et la jurisprudence internes au moment des faits
1. Le code de procédure civile

36. La disposition pertinente du code de procédure civile est la suivante :

Article 9

« Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. »

2. Le code pénal

37. La disposition pertinente du code pénal, dans sa version applicable à l’époque des faits, est la suivante :

Article 225-1

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, de l’état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’orientation sexuelle, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

3. Le code de procédure pénale

38. L’article 78-2 du CPP, créé par la loi no83-466 du 10 juin 1983, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux, est la suivante :

Article 78-2

« Les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1o peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l’égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :

-qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;

-ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;

-ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l’enquête en cas de crime ou de délit ;

-ou qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire.

Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions qu’il précise, l’identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d’identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes.

L’identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens.

(...) »

4. Le code de déontologie de la police nationale

39. Jusqu’au 1er janvier 2014, il existait un code de déontologie de la police nationale, dont les dispositions, ont, depuis cette date, été intégrées au code de la sécurité intérieure (voir paragraphe 45 ci-dessous). Les dispositions pertinentes du code, dans leur rédaction applicable à l’époque des faits, sont les suivantes :

Article 2

« La police s’acquitte de ses missions dans le respect de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois. »

Article 7

« Le fonctionnaire de la police nationale est loyal envers les institutions républicaines. Il est intègre et impartial ; il ne se départit de sa dignité en aucune circonstance.

Placé au service du public, le fonctionnaire de police se comporte envers celui-ci d’une manière exemplaire.

Il a le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions politiques, religieuses ou philosophiques. »

5. Le code de l’organisation judiciaire

40. La disposition pertinente du COJ dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux est la suivante :

Article L. 141-1

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.

Sauf dispositions particulières, cette responsabilité n’est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice. »

6. Le Conseil constitutionnel

41. Par une décision no 86-211 DC du 26 août 1986, le Conseil constitutionnel déclara la loi no 83-466 du 10 juin 1983 relative aux contrôles et vérifications d’identité ayant introduit notamment l’article 78-2 du CPP conforme à la Constitution pour les motifs suivants :

« (...) compte tenu en particulier du rôle confié à l’autorité judiciaire [et de] la conciliation devant être opérée entre l’exercice des libertés constitutionnellement reconnues et les besoins de recherche des auteurs d’infractions et de la prévention d’atteinte à l’ordre public, nécessaires, l’une et l’autre, à la sauvegarde des droits de valeur constitutionnelle ; Considérant d’autre part qu’il appartient aux autorités judiciaires et administratives de veiller au respect intégral des règles et garanties prévues par le législateur, ainsi qu’aux juridictions compétentes de censurer et de réprimer, le cas échéant, les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables (...) »

42. Par une décision no 93-323 DC du 5 août 1993, portant notamment sur l’article 78-2 alinéas 2 et 3 du CPP, le Conseil constitutionnel précisa que le fait qu’un contrôle d’identité peut ne pas être lié au comportement de la personne contrôlée ne pose pas de difficulté au regard de la Constitution. S’agissant en particulier de l’alinéa 3 de l’article 78-2 du CPP, le Conseil constitutionnel affirma que la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle et que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle :

« . SUR LE [DEUXIEME] ALINEA DE L’ARTICLE 78-2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE :

3. Considérant que cet alinéa prévoit un cas supplémentaire dans lequel peuvent être engagées des procédures de contrôle et de vérification d’identité, sur réquisitions écrites du procureur de la République pour la recherche et la poursuite d’infractions, dans des lieux et pour une période de temps qui doivent être précisés par ce magistrat ; qu’il indique que le fait que de tels contrôles d’identité révèlent des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes ;

4. Considérant que les auteurs de la saisine soutiennent que cette dernière précision méconnaît la liberté individuelle et sa protection par l’autorité judiciaire que garantit l’article 66 de la Constitution dès lors que la prise en compte d’infractions qui ne seraient pas énoncées a priori par le procureur de la République prive selon eux « l’autorité judiciaire de toute maîtrise effective de l’opération » ;

5. Considérant qu’il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties et, d’autre part, les besoins de la recherche des auteurs d’infractions, qui sont nécessaires l’un et l’autre à la sauvegarde de droits de valeur constitutionnelle ; qu’il incombe à l’autorité judiciaire, conformément à l’article 66 de la Constitution, d’exercer un contrôle effectif sur le respect des conditions de forme et de fond par lesquelles le législateur a entendu assurer cette conciliation ;

6. Considérant que le législateur a confié au procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire, la responsabilité de définir précisément les conditions dans lesquelles les procédures de contrôle et de vérification d’identité qu’il prescrit doivent être effectuées ; que la circonstance que le déroulement de ces opérations conduise les autorités de police judiciaire à relever des infractions qui n’auraient pas été visées préalablement par ce magistrat ne saurait, eu égard aux exigences de la recherche des auteurs de telles infractions, priver ces autorités des pouvoirs qu’elles tiennent de façon générale des dispositions du [CPP] ; que par ailleurs celles-ci demeurent soumises aux obligations qui leur incombent en application des prescriptions de ce code, notamment à l’égard du procureur de la République ; que, dès lors, les garanties attachées au respect de la liberté individuelle sous le contrôle de l’autorité judiciaire ne sont pas méconnues ; qu’ainsi le grief invoqué doit être écarté ;

. SUR LE [TROISIEME] ALINEA DE L’ARTICLE 78-2 DU CODE DE PROCEDURE PENALE :

7. Considérant que cet alinéa reprend des dispositions déjà en vigueur en vertu desquelles un contrôle d’identité peut être opéré, selon les mêmes modalités que dans les autres cas, pour prévenir une atteinte à l’ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens, en ajoutant la précision nouvelle selon laquelle peut être contrôlée l’identité de toute personne « quel que soit son comportement » ;

8. Considérant que les députés auteurs de la saisine soutiennent que cet ajout en conduisant à autoriser des contrôles d’identité sans que soient justifiés les motifs de l’opération effectuée, porte une atteinte excessive à la liberté individuelle en la privant de garanties légales ;

9. Considérant que la prévention d’atteintes à l’ordre public, notamment d’atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle ; que toutefois la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ; que s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public qui a motivé le contrôle ; que ce n’est que sous cette réserve d’interprétation que le législateur peut être regardé comme n’ayant pas privé de garanties légales l’existence de libertés constitutionnellement garanties ;

10. Considérant qu’il appartient aux autorités administratives et judiciaires de veiller au respect intégral de l’ensemble des conditions de forme et de fond posées par le législateur ; qu’en particulier il incombe aux tribunaux compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables ; qu’ainsi il revient à l’autorité judiciaire gardienne de la liberté individuelle de contrôler en particulier les conditions relatives à la légalité, à la réalité et à la pertinence des raisons ayant motivé les opérations de contrôle et de vérification d’identité ; qu’à cette fin il lui appartient d’apprécier, s’il y a lieu, le comportement des personnes concernées (...) »

7. La Cour de cassation

43. Par un arrêt du 13 septembre 2011 (Cass. Crim. no 11-90.079), la Cour de cassation prononça un non-lieu à renvoyer une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de l’alinéa 1er de l’article 78-2 du CPP, pour les motifs suivants :

« (...) Attendu que la [QPC] est ainsi rédigée :

« L’alinéa 1er de l’article 78-2 du [CPP] porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et, plus précisément, à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au droit à la liberté d’aller et venir, au droit à un recours effectif et au principe d’égalité devant la loi ? » ;

Attendu que la disposition contestée est applicable à la procédure et n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Mais attendu que la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil n’aurait pas encore eu à faire application, n’est pas nouvelle ;

Et attendu que, par décision 86-211 du 26 août 1986, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la loi du 3 septembre 1986 relative aux contrôles et vérifications d’identité, alors que celle-ci complétait notamment l’article 78-2 du [CPP], la rédaction du premier alinéa de cet article étant alors identique à sa rédaction actuelle sous réserve qu’à la place des mots « une ou plusieurs raisons susceptibles de soupçonner » figuraient les mots « un indice faisant présumer », la rédaction nouvelle étant destinée à reprendre dans la loi les termes utilisés par l’article 5 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et n’ayant pas changé la portée du texte modifié ; qu’il faut en déduire que l’alinéa premier de l’article 78-2 du [CPP] n’est pas contraire aux principes invoqués par le demandeur ; qu’en conséquence, la question posée ne présente pas à l’évidence un caractère sérieux ;

D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel (...) »

44. Dans des arrêts rendus le même jour que ceux concernant les requérants de la présente affaire, soit le 9 novembre 2016 (Cass. Civ. nos 15-25.873, 15-25.876 et 15-25.877), la Cour de cassation confirma l’existence d’une faute lourde pour trois contrôles d’identité considérés comme discriminatoires. Elle rejeta les pourvois formés par l’Etat en défense contre des arrêts de la cour d’appel de Paris, pour les motifs suivants :

« (...) Mais attendu que la faute lourde résultant d’une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, au sens de l’article L. 141-1 du [COJ], doit être regardée comme constituée lorsqu’il est établi qu’un contrôle d’identité présente un caractère discriminatoire ; que tel est le cas, notamment, d’un contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable ;

Qu’il appartient à celui qui s’en prétend victime d’apporter des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination, et, le cas échéant, à l’administration de démontrer, soit l’absence de différence de traitement, soit que celle-ci est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ;

Attendu, d’abord, que l’arrêt constate que les études et informations statistiques produites attestent de la fréquence de contrôles d’identité effectués, selon des motifs discriminatoires, sur une même catégorie de population appartenant aux « minorités visibles », c’est-à-dire déterminée par des caractéristiques physiques résultant de son origine ethnique, réelle ou supposée ; que, se fondant sur un témoignage, il retient que les opérations de contrôle ont visé, durant une heure trente, de façon systématique et exclusive, un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine ; que la cour d’appel en a souverainement déduit que [la personne concernée] apportait des éléments de nature à traduire une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination ;

Attendu, ensuite, que la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée, a souverainement estimé que l’[État en défense] ne démontrait pas en quoi ce contrôle d’identité était justifié par des circonstances objectives, étrangères à toute discrimination ; qu’elle en a exactement déduit que la responsabilité de la France se trouvait engagée sur le fondement de l’article L. 141-1 du [COJ] (...) »

2. Le droit et la jurisprudence internes postérieurs aux faits
1. Le code de la sécurité intérieure

45. Les dispositions pertinentes du code de la sécurité intérieure (CSI), qui n’existaient pas à l’époque des faits, applicables depuis le 1er janvier 2014, sont les suivantes :

Article R. 434-11

« Le policier et le gendarme accomplissent leurs missions en toute impartialité.

Ils accordent la même attention et le même respect à toute personne et n’établissent aucune distinction dans leurs actes et leurs propos de nature à constituer l’une des discriminations énoncées à l’article 225-1 du code pénal. »

Article R. 434-14

« Le policier ou le gendarme est au service de la population.

Sa relation avec celle-ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement.

Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération. »

Article R. 434-15

« Le policier ou le gendarme exerce ses fonctions en uniforme. Il peut être dérogé à ce principe selon les règles propres à chaque force.

Sauf exception justifiée par le service auquel il appartient ou la nature des missions qui lui sont confiées, il se conforme aux prescriptions relatives à son identification individuelle. »

Article R. 434-16

« Lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle.

Le contrôle d’identité se déroule sans qu’il soit porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l’objet.

La palpation de sécurité est exclusivement une mesure de sûreté. Elle ne revêt pas un caractère systématique. Elle est réservée aux cas dans lesquels elle apparaît nécessaire à la garantie de la sécurité du policier ou du gendarme qui l’accomplit ou de celle d’autrui. Elle a pour finalité de vérifier que la personne contrôlée n’est pas porteuse d’un objet dangereux pour elle-même ou pour autrui.

Chaque fois que les circonstances le permettent, la palpation de sécurité est pratiquée à l’abri du regard du public. »

Article R. 434-23

« La police nationale et la gendarmerie nationale sont soumises au contrôle des autorités désignées par la loi et par les conventions internationales.

Dans l’exercice de leurs missions judiciaires, la police nationale et la gendarmerie nationale sont soumises au contrôle de l’autorité judiciaire conformément aux dispositions du code de procédure pénale ».

2. La jurisprudence interne

a) Le Conseil constitutionnel

46. Dans une décision no 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, portant notamment sur les contrôles d’identité sur réquisitions de l’alinéa 2 de l’article 78-2 du CPP, le Conseil Constitutionnel rappela que la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle et qu’il appartenait au législateur d’assurer la conciliation entre d’une part la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions et d’autre part l’exercice notamment de la liberté d’aller et venir. Après avoir précisé que les réquisitions ne peuvent viser que des lieux et des périodes de temps déterminés, il constata que le deuxième alinéa de l’article 78-2 du CPP n’instituait par lui-même aucune différence de traitement et que la mise en œuvre des contrôles devait s’opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. Il précisa ce qui suit :

« En ce qui concerne le [deuxième] alinéa de l’article 78-2 et les dispositions contestées de l’article 78-2-2 du [CPP] :

15. Les dispositions contestées des articles 78-2 et 78-2-2 du [CPP] permettent que soient engagées des procédures de contrôle d’identité, sur réquisitions écrites du procureur de la République, pour la recherche et la poursuite d’infractions, dans des lieux et pour une période de temps qui doivent être précisés par ce magistrat.

(...)

. S’agissant du grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’aller et de venir :

18. Selon l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». Son article 4 proclame que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».

19. Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

20. L’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions peut justifier que soient engagées des procédures de contrôle d’identité. S’il est loisible au législateur de prévoir que les contrôles mis en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liés au comportement de la personne, la pratique de contrôles d’identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d’aller et de venir.

21. Les dispositions contestées autorisent les services de police judiciaire à contrôler l’identité des personnes quel que soit leur comportement, en tout lieu visé par les réquisitions écrites du procureur de la République.

22. Toutefois, en premier lieu, le législateur a confié au procureur de la République, magistrat de l’ordre judiciaire, le pouvoir d’autoriser de tels contrôles. Ces derniers ne peuvent être ordonnés qu’aux fins de recherche et de poursuite d’infractions.

23. En second lieu, il ressort des dispositions contestées que les réquisitions du procureur de la République ne peuvent viser que des lieux et des périodes de temps déterminés. Ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d’aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace.

24. Sous les réserves énoncées au paragraphe précédent, le grief tiré de la violation de la liberté d’aller et de venir doit être écarté.

. S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la procédure pénale :

25. Selon l’article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi ... doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». S’il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l’article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

26. Les dispositions contestées n’instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement dès lors que toute personne se trouvant sur les lieux et pendant la période déterminés par la réquisition du procureur de la République peut être soumise à un contrôle d’identité. En outre, la mise en œuvre des contrôles ainsi confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s’opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la procédure pénale doit être écarté.

. S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif :

27. Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il en résulte qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

28. En premier lieu, d’une part, la personne qui a fait l’objet d’un contrôle d’identité peut, en cas de poursuites pénales subséquentes à ce contrôle ou en cas de placement en rétention administrative, contester, par voie d’exception, la légalité de ce contrôle devant le juge judiciaire. D’autre part, même en l’absence de telles suites, la légalité d’un contrôle d’identité peut être contestée devant le juge judiciaire dans le cadre d’une action en responsabilité à l’encontre de l’État.

29. En second lieu, il appartient à l’autorité judiciaire de veiller au respect de l’ensemble des conditions de forme et de fond posées par le législateur pour l’application des dispositions contestées. En particulier, il incombe aux tribunaux compétents de censurer et de réprimer les illégalités qui seraient commises et de pourvoir éventuellement à la réparation de leurs conséquences dommageables.

30. Le grief tiré de la méconnaissance de l’atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif doit donc être écarté. (...) »

b) La cour d’appel de Paris

47. Dans trois arrêts rendus le 8 juin 2021 mentionnés par les parties dans leurs observations devant la Cour, la cour d’appel de Paris, infirmant trois jugements du tribunal de grande instance de Paris du 17 décembre 2018, retint la responsabilité de l’État pour une faute lourde commise dans le cadre d’une opération de contrôle d’identité gare du nord à Paris visant certains élèves d’une classe de collège en sortie scolaire, conduite d’une manière jugée discriminatoire. La cour d’appel fit droit aux demandes de trois élèves de la classe, adoptant notamment les motifs suivants :

« (...) Il en résulte que les contrôles concomitants d’un premier élève à sa descente du train et de deux autres élèves dans le hall de la zone des trains Thalys de la gare du Nord ont été opérés sur trois jeunes gens de sexe masculin faisant partie d’un groupe de 18 élèves dont 13 filles et que ceux-ci étaient d’origine comorienne, malienne et marocaine sans qu’il apparaisse, ainsi que relevé par les témoins, que des personnes non issues de « minorités visibles » provenant du même train aient été dans le même temps contrôlées.

Ces éléments constituent des indices de ce que les caractéristiques physiques des personnes contrôlées, notamment leur origine, leur âge et leur sexe, ont été la cause réelle du contrôle et mettent en évidence une différence de traitement laissant présumer l’existence d’une discrimination. Les contrôles sauf s’ils sont suivis d’une vérification d’identité ou d’une garde à vue ne sont pas comptabilisés et identifiés de manière précise et ne sont consignés nulle part de sorte qu’il n’en résulte aucune traçabilité.

La préfecture de police a expliqué qu’à l’époque des faits, la méthode d’interrogation des fichiers de la police ne permettait pas d’établir la liste des identités soumises au contrôle par une équipe en particulier, sauf à consulter les enregistrements radio, que les agents n’étaient pas équipés de caméras piéton et que la vidéo protection de la gare SNCF n’était conservée que 72 heures.

Cependant, alors que le ministre de l’intérieur a été saisi d’une demande de justification du motif du contrôle d’identité dans les cinq jours qui ont suivi ledit contrôle, la préfecture de police aurait dû s’empresser, pour répondre aux exigences de l’effectivité de l’enquête définies par la Cour européenne des droits de l’homme en cas d’allégation de discrimination raciale, de recueillir les témoignages des policiers et autres enregistrements audiovisuels et radio encore disponibles, ce qu’elle n’a pas fait s’agissant des enregistrements radio qui étaient ainsi qu’elle l’a reconnu dans sa réponse au Défenseur des droits, exploitables pendant 62 jours.

Le contrôle de M. A a été effectué par une équipe de policiers qui n’a pu être identifiée, les arrivées du Thalys, étant selon le commissaire divisionnaire de police, chef de la brigade des réseaux franciliens, propices à nombre de contrôles par différents services et aucune explication n’a pu être donnée sur les circonstances de ce contrôle.

Il est faux de soutenir que celui-ci était isolé puisque des élèves et les deux accompagnateurs l’ont vu se faire contrôler et l’agent judiciaire échoue à établir la preuve aussi bien d’une absence de différence de traitement que d’une différence de traitement justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En conséquence, le contrôle d’identité est jugé discriminatoire et constitue une faute lourde de l’État (...) »

c) Le Conseil d’État

48. Le 22 juillet 2021, une action de groupe devant le Conseil d’État visant à faire cesser les contrôles d’identité discriminatoires et à enjoindre aux autorités de prendre les mesures structurelles nécessaires à cette fin fut introduite par Amnesty International France et six autres associations, ainsi que par des personnes se disant victimes et témoins de contrôles d’identité discriminatoires.

49. Par une décision du 11 octobre 2023, le Conseil d’État rejeta leurs demandes, ne relevant pas de manquement de l’État à ses obligations au motif que s’il pouvait être tenu pour suffisamment établie l’existence d’une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés, ces contrôles ne revêtent pas un caractère « systémique » ou « généralisé ». Les extraits pertinents sont les suivants :

« 22. Les officiers de police judiciaire et les agents de police judiciaire doivent respecter, dans l’accomplissement de leurs missions, l’interdiction de procéder à des contrôles d’identité discriminatoires. La commission de tels contrôles est susceptible, dans chaque cas individuel, d’engager la responsabilité de la France devant le juge judiciaire. Il appartient à l’France de prendre toutes mesures administratives utiles d’ordre juridique, financier, technique ou organisationnel pour en prévenir ou limiter la survenance. Il revient au juge administratif, saisi d’une action de groupe tendant à la cessation d’un manquement allégué résultant d’une carence de la France dans la mise en œuvre de telles mesures, de rechercher tout d’abord si l’existence de contrôles d’identité discriminatoires se réduit à des cas isolés ou revêt une ampleur suffisante pour que soit établie une méconnaissance caractérisée de la règle de droit par l’France du fait de ses agents.

(...)

24. Ainsi qu’il a été dit au point 22, l’appréciation de la régularité des contrôles d’identité opérés sur le territoire relève de la compétence de l’autorité judiciaire en application de l’article 78-1 du code de procédure pénale. Il en résulte que la seule circonstance qu’un contrôle d’identité soit perçu comme discriminatoire par la personne qui en fait l’objet et, le cas échéant, par des observateurs extérieurs, ne permet pas d’établir avec certitude, en l’absence de décision du juge judiciaire, qu’il présente effectivement un tel caractère. Par ailleurs, le ministre de l’intérieur fait valoir en défense que le nombre des plaintes enregistrées auprès de l’autorité judiciaire ou sur les plateformes de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale pour des contrôles d’identité discriminatoires est extrêmement faible. Toutefois, il résulte de l’instruction, et notamment d’un rapport du déontologue du ministère de l’intérieur de juillet 2021, que ces données ne permettent pas de rendre compte de l’ampleur des contrôles d’identité susceptibles de recevoir une telle qualification, en raison notamment de la difficulté à en établir la preuve et de la résignation ou du manque d’information des victimes. Compte tenu de l’absence de traçabilité administrative des contrôles d’identité effectués sur le territoire et de l’impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs, l’ensemble des témoignages et rapports produits, notamment les études réalisées par le Défenseur des droits, permet de tenir pour suffisamment établie l’existence d’une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés. S’ils ne revêtent pas, comme le prétendent les requérantes, un caractère « systémique » ou « généralisé », de tels faits, qui créent un dommage pour les personnes qui y sont exposées, constituent une méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires définies à l’article 1er de la loi du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.

(...)

26. L’action en manquement dont le Conseil d’Etat a été saisi porte ainsi sur l’abstention des pouvoirs publics, soit, principalement, d’adopter des mesures dont il n’appartient pas au juge administratif de connaître, parce qu’elles touchent aux rapports entre les pouvoirs exécutif et législatif ou à la conduite des relations internationales, soit de refondre les dispositifs existants. Ces mesures visent en réalité à une redéfinition générale des choix de politique publique en matière de recours aux contrôles d’identité à des fins de répression de la délinquance et de prévention des troubles à l’ordre public, impliquant notamment des modifications des relations entre les forces de police et l’autorité judiciaire, le cas échéant par l’intervention du législateur, ainsi que l’évolution des relations entre la police et la population.

Elles relèvent donc de la détermination d’une politique publique et excèdent par suite, ainsi qu’il a été dit aux points 8 et 9, l’office du juge de l’action de groupe.

27. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la requête des associations Amnesty International France et autres doit être rejetée, y compris leurs conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. »

3. Documents internes pertinents
1. Le Défenseur des droits

50. En janvier 2017, le Défenseur des droits publia une enquête intitulée « Relations police/population : le cas des contrôles d’identité ». Réalisée au début de l’année 2016 en France métropolitaine, elle portait sur un échantillon représentatif de plus de 5 000 personnes et révélait notamment que 80 % des jeunes de 18-24 ans perçus comme noirs ou arabes/maghrébins rapportaient avoir été contrôlés au moins une fois par les forces de l’ordre dans les cinq années précédentes. Le Défenseur des droits précisa que l’enquête ne permettait pas de déterminer si cette sélection des populations contrôlées relevait en tant que telle d’un profilage racial, ni si une telle sélectivité permettait d’accroître l’efficacité des contrôles, mais il estima qu’elle rendait compte d’un traitement différencié des personnes selon leur âge et leur appartenance supposée à tels ou tels groupes sociaux. L’enquête précise notamment les éléments suivants :

« (...) Ainsi, la grande majorité de la population dit faire confiance à la police (82%). Le contrôle d’identité apparait comme une situation rarement expérimentée : 84% des personnes interrogées déclarent ne jamais avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (90% des femmes et 77% des hommes). Les personnes contrôlées rapportent généralement peu de comportements en contradiction avec la déontologie des forces de sécurité, comme le tutoiement (16%), la brutalité (8%), les insultes (7%) ou encore le manque de politesse (29%). Le manque d’explication sur les raisons du contrôle est plus fréquent (59%), alors même que ce dernier est davantage perçu comme légitime lorsque les forces de sécurité prennent le temps d’expliquer le motif du contrôle. Alors que pour la majorité des enquêtés, les relations police/population sont satisfaisantes, des groupes spécifiques de personnes rapportent des expériences plus contrastées. Les jeunes de 18‑25 ans déclarent ainsi 7 fois plus de contrôles que l’ensemble de la population et les hommes perçus comme noirs ou arabes apparaissent cinq fois plus concernés par des contrôles fréquents (c’est-à-dire plus de cinq fois dans les cinq dernières années). Si l’on combine ces deux critères, 80% des personnes correspondant au profil de « jeune homme perçu comme noir ou arabe » déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années (contre 16% pour le reste des enquêté.e.s). Par rapport à l’ensemble de la population, et toutes choses égales par ailleurs, ces profils ont ainsi une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés. Cette population spécifique témoigne également de relations plus dégradées avec les forces de l’ordre. Elle rapporte davantage avoir été tutoyée (40% contre 16% de l’ensemble), insultée (21% contre 7% de l’ensemble), ou brutalisée (20% contre 8% de l’ensemble) lors du dernier contrôle. Ces expériences négatives et la fréquence des contrôles sont associées à un faible niveau de confiance envers les forces de police.

Dernier constat : les personnes déclarant des manquements à la déontologie professionnelles lors des contrôles engagent très rarement des démarches pour faire reconnaître cette situation (5%), principalement parce que ces démarches sont considérées comme inutiles (...) À l’instar d’autres études fondées sur l’observation des pratiques de contrôles ou réalisées à l’échelle européenne, les résultats mettent en avant une concentration très importante, en France, des contrôles d’identité dans certains espaces et sur certains profils d’individus. Au sein de la population générale, si seulement 16% des personnes déclarent avoir été contrôlées dans les cinq dernières années, cette proportion atteint près de 40% parmi les jeunes de 18-24 ans. Les jeunes hommes du même âge perçus comme noirs ou arabes/maghrébins sont encore plus concernés puisque 80% d’entre eux rapportent avoir été contrôlés au moins une fois par les forces de l’ordre sur la même période.

Cette enquête ne permet pas de déterminer si cette sélection des populations contrôlées relève en tant que telle d’un profilage racial, ni si une telle sélectivité accroît l’efficacité des contrôles. Cependant, elle rend compte d’un traitement différencié des personnes selon leur âge et leur appartenance supposée à tels ou tels groupes sociaux.

Elle révèle également que la fréquence importante des contrôles auprès d’une catégorie de la population alimente, chez celles et ceux qui en font l’objet, un sentiment de discrimination et de défiance envers les institutions policières et judiciaires. Cette défiance tient également, plus encore que pour la population générale, à l’absence d’information donnée par les forces de l’ordre sur les raisons du contrôle (...) »

2. La Cour des comptes

51. Dans un rapport public thématique de décembre 2023 intitulé « Les contrôles d’identité – une pratique généralisée aux finalités à préciser », la Cour des comptes, sur saisine du Défenseur des droits, décrivit une « pratique massive inscrite dans un cadre juridique complexe », et releva précisément les éléments chiffrés suivants :

« Malgré les lacunes importantes de l’information disponible, la Cour s’est attachée à évaluer le nombre de contrôles d’identité menés chaque année. Il ressort de ces travaux que la gendarmerie nationale a contrôlé environ 20 millions de personnes en 2021, dont 8,3 millions au titre d’un contrôle routier. Pour sa part, la police nationale a réalisé de l’ordre de 27 millions de contrôles d’identité la même année, dont 6,6 millions de contrôles routiers. Le nombre de contrôles réalisés en 2021 en France approcherait donc 47 millions, soit en moyenne neuf contrôles par patrouille et par jour. Cette valeur ne présente pas d’écart significatif par rapport à la tendance observée depuis 2018. L’estimation réalisée par la Cour reste toutefois entachée de nombreuses incertitudes, à la hausse comme à la baisse, du fait du caractère indirect et peu consolidé des données exploitées, comme de divers biais qui les affectent.

Les travaux de la Cour confirment ainsi la place centrale des contrôles d’identité dans les actions de la police, et de la gendarmerie nationales relevant de la sécurité publique, tant par le nombre de contrôles réalisés chaque année, que par la multiplicité des objectifs auxquels ils répondent. Pourtant, malgré cette place centrale, les forces de sécurité ne se sont pas donné les moyens de recenser de manière exhaustive les contrôles réalisés ni d’en comprendre les motifs et d’en analyser les résultats. Cette situation est d’autant plus surprenante que la pratique des contrôles d’identité fait l’objet d’un débat de longue date dans l’opinion publique. Approfondir la connaissance quantitative des contrôles réalisés - leur nombre, mais également leur localisation géographique et leur fondement juridique - est donc fondamental pour bien mesurer les modalités d’exercice de cette pratique. »

52. La Cour des comptes formula les recommandations suivantes :

« 1. Assurer un recensement exhaustif des contrôles d’identité réalisés, notamment en s’appuyant sur les consultations de fichiers nationaux en mobilité ou sur les déclarations de fin de service (ministère de l’intérieur et des outre-mer).

2. Formaliser la doctrine d’emploi des contrôles d’identité et leurs finalités en matière de sécurité publique (ministère de l’intérieur et des outre-mer).

3. Décrire le déroulé standard d’un contrôle d’identité et les actes connexes qui peuvent ou doivent être mis en œuvre dans les guides pratiques à destination des policiers et des gendarmes (ministère de l’intérieur et des outre-mer).

4. Organiser périodiquement des séances de retour d’expérience avec l’encadrement de proximité en s’appuyant notamment sur des enregistrements issus des caméras‑piéton (ministère de l’intérieur et des outre-mer).

5. Informer les inspections générales des suites données par les services aux plaintes et aux signalements déposés sur les plateformes (ministère de l’intérieur et des outre‑mer).

6. Réaliser une nouvelle expérimentation d’enregistrement systématique des contrôles d’identité par les caméras-piéton (ministère de l’intérieur et des outre-mer).

7. Demander aux parquets d’enregistrer les réquisitions et les comptes rendus de leur mise en œuvre afin de permettre un suivi consolidé de leur nombre, de leur étendue et de leurs résultats (ministère de la justice).

8. Renforcer la formation aux actes métiers des contrôles d’identité dans le cadre des formations initiale et continue, notamment par le déploiement des stages obligatoires lors des passages de grades (ministère de l’intérieur et des outre-mer). »

3. Le rapport de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) sur les contrôles d’identité après avis du comité d’évaluation de la déontologie de la police nationale 2022-2023

53. Ce rapport, signé de la directrice de l’IGPN et publié en décembre 2023 releva les éléments suivants :

« Le contrôle d’identité est l’opération de police la plus pratiquée en France. Sans doute peut-on en dénombrer plusieurs dizaines de millions par an. Dans un contexte de défiance vis-à-vis de l’autorité de l’État, engager une réflexion sur les contrôles d’identité, de notre point de vue, grandit la police nationale et la conforte dans la transparence et à la légitimité de son action (...)

Il n’existe pas un, mais des contrôles d’identité avec des objectifs différents en fonction des territoires. Cette opération de police apparaît comme un outil incontournable pour atteindre de multiples objectifs cumulativement poursuivis, la préservation de l’ordre public immédiat, la détection d’auteurs d’infractions ou le suivi de personnes sources de menaces majeures.

Pour certains effectifs, et plus particulièrement dans certains quartiers, réaliser un contrôle d’identité est un moyen d’obtenir des informations sur des personnes qu’ils ne connaissent pas et qui semblent être « nouvelles » dans le quartier. Le contrôle sert donc à identifier des personnes au sein d’un groupe. Il est considéré comme un moyen d’analyser l’environnement dans lequel évoluent les policiers au quotidien et peut permettre ultérieurement des opérations de rapprochement judiciaire et ainsi de rechercher des personnes liées à des signalements.

De même, c’est lors des contrôles d’identité que les forces de l’ordre, en consultant le Fichier des Personnes Recherchées (FPR), peuvent identifier si la personne contrôlée est recherchée, fait l’objet d’une mesure de contrôle judiciaire ou d’interdiction de paraître, fait l’objet d’une fiche S et ainsi recueillir un maximum de renseignements sur la personne sans attirer l’attention (véhicule utilisé, comportement, tenue vestimentaire, personnes l’accompagnant...).

Le contrôle est également vu comme un moyen permettant aux effectifs de montrer qu’ils sont présents sur un espace. Ils contribuent à la visibilité de l’activité policière et visent à rassurer la population. Ils constituent également une réponse aux demandes des élus et des riverains se plaignant d’attroupements, de phénomènes de bandes ou de nuisances. Ainsi, par exemple, pour caractériser le délit d’occupation de partie commune (en l’espèce, souvent, le hall des immeubles), plusieurs contrôles d’identité du même individu seront nécessaires afin de prouver sa présence récurrente et stagnante sur les lieux, ainsi que les diverses nuisances l’accompagnant (déchets, tapage, salissures...).

Il apparaît que les contrôles sont principalement orientés par les signalements effectués par les victimes d’infractions ou par les messages reçus par le centre d’information et de commandement relayant les appels 17, avec les signalements physiques des individus. Ils sont également réalisés après étude des plaintes et des signalements enregistrés dans la main courante informatisée.

Le contrôle d’identité, quasi systématiquement associé à la palpation de sécurité, est aussi un moyen de révéler une infraction. Il est assimilé à un premier acte d’investigation judiciaire permettant de déboucher sur la constatation d’une infraction de port d’arme ou de détention de produits stupéfiants.

Enfin, c’est également le comportement d’une personne, son attitude au moment de croiser un équipage ou sa réaction face à une situation qui va être à l’origine du déclenchement du contrôle.

Les attroupements de jeunes en bas des immeubles des cités sensibles ou les zones de passage ou de vie des minorités ethniques sont une réalité et on ne peut reprocher à la police nationale d’y exercer ses missions au prétexte que toutes les personnes présentes ont des caractéristiques physiques ou vestimentaires que des observateurs ou elles-mêmes jugeront discriminatoires. Si la couleur de peau ne doit jamais être un critère de contrôle (sauf si la patrouille dispose d’un signalement particulier), on ne peut contraindre les effectifs policiers à ne contrôler que des individus de type caucasien au prétexte qu’un contrôle d’une personne de couleur serait systématiquement perçu comme discriminatoire. Un contrôle aléatoire, et donc non justifié par un quelconque comportement, doit pouvoir concerner n’importe qui, y compris les individus qui peuvent estimer être discriminés parce qu’appartenant à une certaine tranche d’âge, un certain sexe, parce que vivant dans certains quartiers ou encore parce qu’ils se rattachent à une minorité ethnique. »

2. Les éléments internationaux pertinents

La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe

54. Le 31 mars 2022, La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) du Conseil de l’Europe publia un rapport concernant la France dans lequel elle nota :

« (...) depuis l’adoption du cinquième rapport de l’ECRI sur la France, le 8 décembre 2015, des progrès ont été réalisés et des bonnes pratiques ont été élaborées dans un certain nombre de domaines, mais malgré les progrès accomplis, certains points demeurent préoccupants (...) les relations des forces de l’ordre avec la population, notamment les personnes issues de l’immigration ou appartenant à des groupes minoritaires, continuent d’être compromises par des agissements, voire des pratiques, de nature raciste ou discriminatoire, notamment dans le cadre des contrôles d’identité.

(...) Les autorités devraient introduire un dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par les forces de l’ordre, dans le cadre d’une politique visant à renforcer la confiance réciproque entre les forces de l’ordre et le public, et leur contribution à la prévention et la lutte contre toute discrimination, étant précisé que seules les recommandations de ce paragraphe feront l’objet d’un processus de suivi intermédiaire par l’ECRI au plus tard deux ans après la publication du présent rapport.

(...) Les agissements de membres de forces de l’ordre ont été dénoncés comme pouvant être considérés comme racistes, notamment dans le cadre de contrôles d’identité ou d’interpellations, visant des personnes noires, d’origine maghrébine, roms ou du voyage (...) La société civile dénonce le fait que les habitants de certains quartiers, plus densément peuplés de personnes perçues comme étant d’ascendance africaine ou arabe, fassent régulièrement l’objet de contrôles discriminatoires et de comportements abusifs à caractère raciste de la part des forces de l’ordre. Des contrôles plus fréquents, et surtout un plus grand recours à des amendes forfaitaires, ont été signalés pendant les périodes de confinement sanitaire de la population, au cours de l’année 2020. L’existence d’une « discrimination systémique » de la part des forces de l’ordre a été relevée par le Défenseur des droits dans une procédure qui a finalement abouti, en octobre 2020, à la condamnation de l’État pour « faute lourde » pour des violences policières, des contrôles d’identité injustifiés et des arrestations irrégulières de mineurs à Paris entre 2014 et 2016. En juillet 2021, six organisations de la société civile ont saisi le Conseil d’État pour discrimination raciale systémique. Elles demandent au Conseil d’État de constater le grave manquement de l’État consistant à laisser perdurer la pratique systémique des « contrôles au faciès », et d’enjoindre aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour y remédier, à savoir, en particulier, de revoir les directives de la police concernant les interactions avec le public et de mieux encadrer les contrôles d’identité, particulièrement ceux ciblant les mineurs, afin d’assurer qu’ils soient fondés sur un soupçon objectif et individualisé et qu’ils donnent lieu à un justificatif ainsi que de créer un mécanisme de plainte indépendant et efficace (...) »

55. Le Gouvernement français souhaita que son point de vue soit reproduit en annexe au rapport de l’ECRI. Dans ce cadre, il souligna notamment ce qui suit :

« (...) Le Gouvernement rappelle que les prérogatives des forces de sécurité intérieure en matière de contrôles d’identité sont strictement encadrées par des dispositions normatives afin de s’assurer qu’ils ne revêtent pas un caractère systématique et généralisé.

(...) La prévention des contrôles d’identité discriminatoires repose tant sur les obligations déontologiques des policiers et des gendarmes que sur le contrôle opéré par l’autorité judiciaire, en sa qualité de gardienne des libertés individuelles, à l’occasion de leur réalisation.

Par ailleurs, les dispositions réglementaires actuelles du [CSI], dont le non-respect est susceptible de constituer une faute disciplinaire, visent à prévenir tout contrôle d’identité discriminatoire (...)

Les policiers et les gendarmes portent en outre un numéro d’identification individuel propre à assurer une visibilité et une traçabilité des contrôles réalisés.

Toute personne qui s’estime victime d’un contrôle d’identité discriminatoire a la possibilité d’assigner l’[État en défense] en réparation de son préjudice moral, sur le fondement de l’article L. 141-1 du [COJ].

En effet, la Cour de cassation estime que constitue une faute lourde résultant d’une déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont elle est investie, le contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable (arrêt de la première chambre civile de la Cour de Cassation du 9 novembre 2016).

Enfin, toute personne qui estime avoir été victime d’une infraction commise par une personne dépositaire de l’autorité publique a également la possibilité de déposer plainte auprès des services de l’Inspection Générale de la Police Nationale (IGPN) ou de l’Inspection Générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN), qui exercent sur l’ensemble du territoire national une mission générale d’inspection des directions et des services de la DGPN et de la DGGN. À ce titre, elles diligentent, en toute indépendance, des enquêtes judiciaires, d’initiative ou sur instruction de l’autorité judiciaire, et contrôlent le suivi de la mise en œuvre des sanctions prononcées par ces autorités ayant pouvoir disciplinaire.

(...) Il pourrait être opportun de mentionner que les 2 162 saisines du Défenseur des droits relatives à la déontologie des forces de sécurité sont certes en augmentation de 10,4 % entre 2019 et 2020, mais ne représentaient que 2,6 % du total des dossiers reçus, soit 96.8941, pour un total estimé de 5 millions d’interventions conduites par les gendarmes et les policiers nationaux sur la même période.

(...) Le Gouvernement entend rappeler que dans son rapport mis en ligne le 15 octobre 2012 et qui a fait suite à une large concertation associant la puissance publique, les associations et la population et portant sur les contrôles d’identité, le Défenseur des droits proposait la mise en place, et le retour pour la police nationale, d’un numéro matricule permettant d’identifier les membres de forces de l’ordre présents sur la voie publique (...) Reprenant cette proposition, les autorités françaises ont décidé courant 2013 de rendre obligatoire le port pour chaque fonctionnaire de la police nationale et militaire de la gendarmerie nationale, sauf exceptions limitativement définies, d’un numéro issu d’un « référentiel des identités et de l’organisation » (RIO). Les dispositions de l’article R.434-15 du [CSI] rendent obligatoires le port du RIO.

En conséquence, et en complément du plan de déploiement des caméras piétons qui a entraîné la livraison de 30 000 de ces dispositifs dans les brigades de gendarmerie et les commissariats de police, il n’apparait pas nécessaire de créer ex nihilo un dispositif par ailleurs contournable, à l’instar de ceux mis en place lors de la pandémie de la COVID19.

(...)

Néanmoins, il pourrait être utile de rappeler que la remise d’un récépissé à toute personne contrôlée est une idée qui émerge régulièrement, depuis plusieurs années, mais qui n’a jamais abouti du fait des difficultés pratiques de mise en œuvre. Cette mesure alourdirait considérablement les tâches procédurales des policiers et gendarmes alors même que l’allègement des procédures tant judiciaires qu’administratives assumées aujourd’hui par les forces de l’ordre est un enjeu important.

De surcroît, ce récépissé, sans réelle portée antidiscriminatoire, nécessiterait la création d’un fichier des contrôles d’identité, seul outil permettant la traçabilité, l’évaluation de l’efficacité de cette mesure, la vérification des allégations de discrimination et la justification de la légalité des contrôles.

Si cet outil pourrait a posteriori établir des statistiques sur les volumes, le cadre et la localisation des contrôles, il ne permettrait pas pour autant de faire apparaître le caractère discriminatoire du contrôle, sauf à intégrer des données ethniques dans le traitement des données. Or, à ce jour, outre l’interdiction des contrôles d’identité discriminatoires, les statistiques ethniques sont également interdites par la loi « Informatique et libertés » de janvier 1978 (article 6 : « Il est interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique (...) »).

56. Dans ses conclusions sur la mise en œuvre des recommandations faisant l’objet d’un suivi intermédiaire adressées à la France et publiées le 19 février 2025, l’ECRI releva ce qui suit :

« Dans son rapport sur la France (sixième cycle de monitoring), l’ECRI recommandait aux autorités françaises d’introduire un dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par les forces de l’ordre, dans le cadre d’une politique visant à renforcer la confiance réciproque entre les forces de l’ordre et le public et leur contribution à la prévention et la lutte contre toute discrimination.

Les autorités ont informé l’ECRI que les mesures suivantes font partie des efforts déployés pour garantir le caractère non-discriminatoire des contrôles d’identité effectués par les forces de l’ordre : les obligations déontologiques énoncées dans le Code de la sécurité intérieure, la possibilité de signaler un manquement déontologique lors d’un contrôle d’identité par le biais de plusieurs dispositifs de signalement, le port systématique du numéro référentiel des identités et de l’organisation (RIO) des agents appartenant aux forces de l’ordre, ainsi que le port de caméras-piétons lors des « contrôles d’identité générant des tensions ». À cet égard, la remise d’un récépissé aux individus contrôlés – qui avait été évoqué à plusieurs reprises dans le passé comme moyen permettant d’assurer une traçabilité des contrôles d’identité – est, selon les autorités, difficilement praticable et pourrait avoir des effets contre-productifs.

En outre, des réflexions sur les contrôles d’identité avaient été menées au sein du Comité d’évaluation de déontologie de la police nationale (CEDPN), qui avaient débouché en 2023 sur un rapport remis par la directrice de l’Inspection générale de la police nationale aux autorités. Le rapport préconise notamment i) d’imposer que les motifs ayant conduit au contrôle d’identité soient systématiquement et obligatoirement annoncés à la personne contrôlée ; ii) de rendre obligatoire l’activation systématique des caméras-piétons lors d’un contrôle d’identité ; et iii) d’instaurer un dispositif de traçabilité des contrôles d’identité par le biais d’une case à cocher dans les fichiers les plus utilisés sur la voie publique indiquant que la consultation du fichier s’est faite dans le cadre d’un contrôle d’identité.

L’ECRI prend note des réflexions engagées. Cela étant, elle constate avec regret que les autorités n’ont toujours pas mis en place un dispositif efficace de traçabilité des contrôles d’identité par les forces de l’ordre. À cet égard, l’ECRI relève qu’à la suite de l’action de groupe initiée en 2021 (...), le Conseil d’État a estimé que l’existence d’une pratique de contrôles d’identité discriminatoires ne pouvait être regardée comme se réduisant à des cas isolés et a également relevé leur impact dommageable sur les personnes qui y sont exposées. Par ailleurs, il a fait remarquer « l’absence de traçabilité administrative des contrôles d’identité effectués sur le territoire et l’impossibilité qui en résulte de déterminer leur nombre et leurs motifs ». En 2023, la Cour des comptes a évalué, à titre d’ordre de grandeur et avec les réserves nécessaires, le nombre de contrôles d’identité réalisés par les forces de l’ordre en France en 2021, sur la voie publique ou à l’occasion d’un contrôle routier, à près de 47 millions.

L’ECRI rappelle que la mise en place d’un dispositif de traçabilité des contrôles d’identité devrait se faire en vue de renforcer la confiance réciproque entre les forces de l’ordre et le public. En outre, pour être efficace, ce dispositif devrait assurer une traçabilité pour toutes les personnes concernées, et non pas seulement pour les autorités. Une telle traçabilité est en effet indispensable afin de garantir aux personnes contrôlées la possibilité d’exercer leur droit à un recours effectif si elles estiment avoir fait l’objet de contrôles d’identité discriminatoires. Par ailleurs, l’ECRI rappelle également que les données collectées dans le cadre de ce dispositif devront être utilisées dans le seul but de prévenir et de lutter contre toute discrimination, tout en veillant au respect des normes internationales qui encadrent la collecte des données à caractère personnel.

Au vu de ce qui précède, l’ECRI conclut que sa recommandation n’a pas été mise en œuvre. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 combiné avec l’article 8 DE LA CONVENTION

57. Les requérants qualifient de profilage racial ou « contrôles au faciès » les contrôles d’identité dont ils ont fait l’objet, et qui seraient donc selon eux discriminatoires et porteraient atteinte à leur droit au respect de la vie privée. Ils invoquent les articles 8 et 14 de la Convention, ainsi libellés :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

58. La Cour précise que les requérants invoquent à l’appui d’une violation de l’article 14 non seulement l’article 8, mais aussi l’article 2 du Protocole no 4. Toutefois, à la lumière des arrêts rendus récemment en matière de profilage racial (Basu c. Allemagne, no 215/19, 18 octobre 2022, Muhammad c. Espagne, no 34085/17, 18 octobre 2022 et Wa Baile c. Suisse, nos 43868/18 et 25883/21, § 68, 20 février 2024), la Cour estime opportun d’examiner le présent grief sous l’angle de l’article 14 combiné seulement avec l’article 8 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Wa Baile, précité, § 60).

1. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties

59. Le Gouvernement exprime des doutes quant à l’applicabilité de l’article 8 de la Convention aux contrôles d’identité dénoncés par les requérants, soutenant que ces derniers ne démontrent pas pour quelles raisons la demande formulée par les forces de l’ordre de présenter leur pièce d’identité aurait porté atteinte à leur droit au respect de la vie privée.

60. Les requérants soutiennent au contraire que ces contrôles, puisqu’ils visent d’une manière générale très majoritairement des individus perçus comme noirs ou arabes, touchent à l’identité ethnique des personnes et sont donc constitutifs d’une ingérence dans la vie privée, exposant les personnes concernées au regard du public d’une manière humiliante affectant leur dignité, leur épanouissement personnel, leur vie sociale et, partant, leur vie privée. Les requérants ajoutent que ces contrôles sont par ailleurs très souvent accompagnés d’insultes, de propos désobligeants ou de menaces. Les requérants MM. Dia Abdillahi, Amine Mohamed Dif, Lyes Kaouah, Bocar Niane et Karim Touil précisent qu’ils ont également fait l’objet de fouilles à l’occasion du contrôle de leur identité, M. Karim Touil ajoute qu’il a subi trois contrôles en moins de dix jours et que le dernier s’est accompagné d’insultes de la part des policiers, de violence physique et d’une privation de liberté dans la mesure où il a été emmené dans un fourgon de police à l’issue du contrôle.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

61. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent (voir, parmi beaucoup d’autres, Şahin c. France [GC], no 30943/96, § 85, CEDH 2003‑VIII, et Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 112, 5 septembre 2017). L’application de l’article 14 n’implique pas nécessairement la violation préalable de l’un des droits matériels garantis par la Convention. Il faut, mais il suffit, que les faits de la cause tombent sous l’empire de l’un au moins des articles de la Convention (voir, parmi d’autres, Beeler c. Suisse [GC], no 78630/12, § 48, 11 octobre 2022 et Wa Baile, précité, § 68).

62. En ce qui concerne l’aspect « vie privée » de l’article 8, la Cour a déjà eu l’occasion de dire que cette notion est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive, et qu’elle peut parfois englober des aspects de l’identité physique et sociale d’un individu (Lacatus c. Suisse, no 14065/15, § 54, 19 janvier 2021, Glor c. Suisse, no 13444/04, § 52, CEDH 2009, Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I, et Beizaras et Levickas c. Lituanie, no 41288/15, § 117, 14 janvier 2020). La notion de vie privée recouvre également le droit au développement personnel et le droit d’établir et entretenir des rapports avec d’autres êtres humains et le monde extérieur (voir, par exemple, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71, CEDH 2007‑I, et A.‑M.V. c. Finlande, no 53251/13, § 76, 23 mars 2017). Le respect de ces droits est l’une des exigences fondamentales du « vivre ensemble » dans une société démocratique (S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, §§ 141-142, CEDH 2014 (extraits)). Il existe ainsi une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la « vie privée » (P.G. et J.H. c. Royaume‑Uni, no 44787/98, § 56, CEDH 2001‑IX, avec les références citées, Wa Baile, précité, §§ 69 et 70).

63. La Cour considère qu’un contrôle d’identité par les forces de police peut relever du champ de la vie privée de la personne soumise à ce contrôle et constituer en conséquence une ingérence dans la vie privée telle que protégée par l’article 8. En particulier, la Cour a considéré que le recours à des pouvoirs légaux de contrainte imposant à quiconque de se plier à une fouille minutieuse de sa personne, de ses vêtements ou de ses effets personnels est manifestement constitutif d’une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée. Ce n’est pas parce que la fouille est conduite en public que l’article 8 est inapplicable. En outre, le caractère public de la fouille peut dans certains cas aggraver ladite ingérence du fait de l’humiliation et de la gêne qui en résultent (voir Gillan et Quinton, précité, § 63, Basu, précité, § 22, Muhammad, précité, § 49, 18 octobre 2022).

64. Si la Cour a déjà dit que l’ingérence résultant du contrôle d’identité d’une personne appartenant à une minorité ethnique n’atteint pas nécessairement le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup du droit de cette personne au respect de sa vie privée, ce seuil est atteint si la personne concernée peut prétendre de manière défendable que c’est en raison de ses caractéristiques physiques ou ethniques qu’elle a fait l’objet du contrôle. Tel peut être le cas notamment lorsque la personne contrôlée soutient que le contrôle n’a porté que sur elle (ou sur des personnes présentant les mêmes caractéristiques qu’elle) alors qu’aucun autre motif propre à le justifier n’était apparent ou qu’il ressort des explications des agents qui l’ont mené qu’il était motivé par les caractéristiques physiques ou ethniques de la personne (Muhammad, précité, § 50, Basu, précité, § 25).

b) Application au cas d’espèce

65. La Cour note que les six requérants ont fait l’objet de contrôles d’identité sur la voie publique, dans la rue. Si les versions des requérants et du Gouvernement diffèrent s’agissant de certains contrôles quant aux gestes et propos tenus par les policiers, l’existence même des contrôles et les lieux dans lesquels ils se sont déroulés ne sont pas remis en question. Il ressort du dossier que les requérants MM. Dia Abdillahi, Amine Mohamed Dif, Lyes Kaouah, Bocar Niane et Karim Touil ont fait l’objet de fouilles, et que ce dernier a subi trois contrôles en l’espace de dix jours, dont l’un s’est, d’après les versions concordantes des parties et pour reprendre les termes employés par la cour d’appel (voir paragraphe 28 ci-dessus), « mal déroulé ».

66. D’après les requérants, ces contrôles n’ont été effectués qu’en raison de la couleur de leur peau, c’est-à-dire pour des motifs raciaux. Ils ajoutent que les contrôles d’identité effectués dans les conditions décrites aux paragraphes 3 à 15 ci-dessus ont eu de graves répercussions sur leur vie privée dans la mesure où ils se sont sentis stigmatisés et humiliés (voir Basu, précité, § 26).

67. Les contrôles d’identité, qui étaient susceptibles de porter atteinte à l’intégrité psychologique et à l’identité personnelle des requérants, ont eu nécessairement une incidence sur leur vie privée au sens de l’article 8 de la Convention (voir Muhammad, précité, § 51).

68. Des considérations qui précèdent, il résulte que les requérants peuvent prétendre de manière défendable que les contrôles d’identité dont ils ont fait l’objet étaient discriminatoires. Les contrôles d’identité en question relèvent donc du champ d’application de l’article 8. Dès lors, l’article 14 trouve à s’appliquer.

69. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

a) Les requérants

70. Les six requérants affirment avoir subi une discrimination sous forme de profilage racial et avoir établi l’existence d’une présomption de différence de traitement devant les juridictions internes, contrairement à ce que ces dernières ont jugé. Ils affirment avoir subi un traitement défavorable par rapport à celui réservé aux jeunes hommes non issus de minorités visibles dans une situation comparable. Cette situation aurait constitué pour chacun d’eux une discrimination que les juridictions françaises n’ont pas sanctionnée faute d’avoir procédé à un véritable aménagement de la preuve. Pour eux, aucune enquête à même d’explorer les possibles motifs racistes de ces contrôles n’a été menée et le niveau de preuve qui a été exigé d’eux était impossible à rapporter.

71. S’agissant particulièrement du régime de la preuve, les requérants rappellent que l’effectivité de la lutte contre les discriminations requiert une adaptation des règles, tant il est difficile pour les victimes de prouver qu’elles ont subi une discrimination, ce qui a été admis par la Cour de cassation dans ses arrêts du 9 novembre 2016. Les requérants déplorent cependant le fait que la Cour de cassation a exigé, pour qu’un commencement de preuve soit constitué, que les faits relatifs au contrôle révèlent l’existence d’une différence de traitement entre les requérants et d’autres personnes placées dans une situation comparable, alors que la plupart du temps, les contrôles se déroulent sans témoin et les personnes qui les subissent sont dans l’incapacité d’apporter un élément de comparaison.

72. Les requérants ajoutent que l’absence de traçabilité des contrôles prive les personnes contrôlées de tout élément de preuve directe et devrait être prise en compte dans l’appréciation du commencement de preuve. Ils affirment que les informations relatives à leurs contrôles d’identité étaient entre les seules mains des autorités et qu’il était impossible de démontrer que, sur une certaine période de temps, seules des personnes issues de minorités visibles avaient subi des contrôles, à la différence des personnes à la peau blanche. Ils considèrent que ces éléments étaient en revanche implicitement suggérés par les données statistiques et le contexte. Les requérants relèvent que le Gouvernement conteste la fiabilité et le caractère significatif des statistiques et rapports produits, sans toutefois apporter aucun élément qui permettrait de contrer ces données, et alors même que les juridictions internes les ont admises.

73. Les requérants estiment avoir apporté dans chaque cas un commencement de preuve d’un traitement différencié, sans que les autorités n’aient avancé de justification objective et raisonnable pour leur contrôle. Ils en déduisent qu’aucun critère autre que l’origine ethnique, réelle et supposée, n’a été utilisé par la police pour décider de les contrôler.

74. Dès lors qu’ils ont fait état avec suffisamment de précision du fait qu’ils ont été ciblés par les policiers, ce qui a été confirmé par des témoignages décrivant des propos dégradants ou déplacés, des insultes, fouilles, palpations, voire des violences, et qu’ils se réfèrent à des statistiques stables et significatives faisant état d’une pratique généralisée en France de profilage racial, les requérants soutiennent avoir subi des contrôles d’identité discriminatoires.

75. Ils déplorent également le fait qu’aucune explication ne leur a été donnée sur les motifs des contrôles dont ils ont fait l’objet, ni lors des contrôles, ni à la suite de la demande de justification adressée par leurs avocats (voir paragraphe 17 ci-dessus). Les autorités ont donné des explications a posteriori dans le cadre de la procédure judiciaire, sans jamais les étayer par des pièces probantes. Les requérants constatent que les justifications des contrôles ont même été changeantes au fil de la procédure pour certains d’entre eux.

76. Plus généralement, les requérants soutiennent que les autorités nationales manquent à leur obligation positive de mettre en place une législation suffisamment stricte, des procédures et des pratiques visant à empêcher toute discrimination dans le cadre des contrôles d’identité. Les requérants dénoncent l’existence d’un problème global en France : la police française contrôlerait l’identité des minorités visibles, dont ils font partie, de manière disproportionnée. Cette discrimination est pour eux, compte tenu de sa dimension systémique, à la fois directe et indirecte. Enfin, les requérants contestent l’affirmation du Gouvernement selon laquelle l’existence d’une discrimination directe suppose la démonstration de l’intention de discriminer.

b) Le Gouvernement

77. Le Gouvernement affirme que les requérants n’ont pas subi de différence de traitement et que les juridictions françaises ont bien contrôlé la légalité et la constitutionnalité des contrôles d’identité opérés par les autorités françaises dans les présentes affaires, en s’assurant qu’ils respectaient les principes d’égalité et de non-discrimination, tels que conçus par le droit français, le droit de la Convention et le droit international.

78. Le Gouvernement ajoute que c’est sur la base des faits précis de chaque affaire, sur le fondement de l’instruction et des éléments versés par les parties au dossier et soumis au contradictoire, que le juge judiciaire a estimé que les requérants n’avaient pas rapporté la preuve du caractère discriminatoire de leurs contrôles d’identité. Il ajoute que les requérants n’ont rencontré aucune difficulté pour prouver l’existence du contrôle dont ils ont fait l’objet et que les juridictions nationales se sont fondées sur leur version des faits avant d’aménager la charge de la preuve et de considérer qu’ils n’apportaient la preuve d’aucun fait de nature à faire présumer l’existence d’une différence de traitement.

79. Le Gouvernement note que les contrôles de MM. Bocar Niane, Mounir Seydi, Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah et Dia Abdillahi se sont déroulés sans incident mais concède que le contrôle de M. Karim Touil est singulier dans la mesure où il a été confronté à une action violente de la part d’un représentant des forces de l’ordre. Le Gouvernement relève cependant que les requérants n’allèguent d’aucune insulte raciste proférée par les policiers. S’agissant de M. Karim Touil, il ajoute que la cour d’appel a jugé, après une analyse précise des circonstances de l’affaire, que cette violence, si condamnable soit-elle, n’avait pas de motivation discriminatoire.

80. Le Gouvernement considère que le grief formulé par les requérants devant la Cour ne vise en réalité qu’une discrimination directe même s’ils allèguent avoir subi une discrimination à la fois directe et indirecte. Pour le Gouvernement, il ne suffit pas que les requérants aient fait l’objet d’un contrôle d’identité et qu’ils appartiennent au groupe qui subit de tels contrôles de manière disproportionnée pour qu’il en résulte une discrimination. De plus, le Gouvernement précise que la preuve d’une discrimination directe suppose de caractériser la motivation de l’auteur, et donc l’intention de discriminer.

81. Pour le Gouvernement, les rapports sur lesquels les requérants s’appuient, dont il critique pour certains les conclusions, ne sont pas assez fiables pour constituer un commencement de preuve au sens de la jurisprudence de la Cour. Il affirme qu’il n’a jamais nié l’existence de contrôles d’identité discriminatoires et leurs conséquences sur les personnes qui les subissent mais que ces situations demeurent exceptionnelles, qu’elles n’ont pas été démontrées en l’espèce et qu’il n’existe pas de défaillance systémique en France à ce sujet. Le Gouvernement rappelle que si la Cour n’est saisie que des affaires dans lesquelles le constat d’une discrimination n’a pas été retenu par les juridictions internes, la Cour de cassation a condamné l’État français pour des contrôles d’identité discriminatoires le 9 novembre 2016 (voir paragraphe 44 ci-dessus). Pour le Gouvernement, rien n’indique que les autorités françaises ne prennent pas les mesures nécessaires pour prévenir ou sanctionner des pratiques discriminatoires lorsque celles-ci sont constatées et rappelle que les contrôles sont encadrés et placés sous le contrôle du juge. Il rappelle que l’objet des présentes affaires n’est pas d’apprécier in abstracto la conventionalité du régime juridique général encadrant les contrôles d’identité en France.

82. En réponse aux observations formulées par le Défenseur des droits (voir paragraphe 84 ci-dessous), le Gouvernement affirme notamment qu’il n’y aurait pas que des avantages à instaurer un mécanisme de traçabilité, qui ne permettrait pas d’éradiquer la discrimination. Le Gouvernement considère que le Défenseur des droits passe sous silence les difficultés juridiques et opérationnelles liées à la mise en œuvre d’un tel mécanisme.

c) Observations des tiers intervenants

1. La LDH

83. La LDH souligne d’une part la nécessité d’exiger un lien avec le comportement de la personne ciblée par le contrôle pour éviter tout contrôle lié à la couleur de peau, les policiers disposant d’un pouvoir discrétionnaire dans leur choix, ce qui laisse libre cours à des contrôles discriminatoires. Elle soutient d’autre part qu’aucune mesure n’est prise par la France pour enrayer le problème structurel du profilage racial, et qu’un changement de la législation et notamment l’exigence d’un récépissé à chaque contrôle, en version papier pour éviter tout fichage, est nécessaire. Elle ajoute qu’il faudrait également mieux former les policiers.

2. Le Défenseur des droits

84. Le Défenseur des droits s’appuie sur ses différents travaux sur les contrôles d’identité, et notamment les éléments développés dans l’enquête nationale « Relations police/population : le cas des contrôles d’identité » (voir paragraphe 50 ci-dessus). Il souligne l’importance de la présente requête qui soulève pour la première fois devant la Cour, s’agissant de la France, la problématique des contrôles d’identité discriminatoires et notamment la question du cadre juridique de ces mesures, qu’il estime insuffisamment protecteur, et de leur mise en œuvre concrète. Le Défenseur des droits considère qu’il n’existe pas suffisamment de garanties pour protéger les individus d’actes abusifs ou arbitraires dans la mesure où les policiers ont recours à des critères « subjectifs » pour procéder aux contrôles requis de l’alinéa 2 de l’article 78-2 du CPP et préventifs de l’alinéa 3 qui peuvent être effectués quel que soit le comportement de la personne (par opposition aux contrôles dits « d’initiative » de l’alinéa 1 qui répondent à des critères « objectifs » liés au comportement de la personne). Le Défenseur des droits ajoute qu’il existe peu de mesures générales mises en place par les autorités visant à éradiquer le problème et qu’il n’a pas connaissance non plus de mesures individuelles prises à l’égard des policiers concernés par les décisions internes ayant conclu à l’existence de contrôles discriminatoires dans les autres cas non soumis à la Cour.

85. Sur la question de la preuve, le Défenseur des droits considère que le juge national fait peser un fardeau trop lourd sur les requérants, au risque de priver d’effectivité le principe de l’aménagement de la charge de la preuve. Il estime que le commencement de preuve devrait pouvoir résulter d’un faisceau d’indices concordants. Le Défenseur des droits dénonce également l’absence de traçabilité des contrôles d’identité et renvoie aux conclusions de la Cour des comptes dans son rapport de décembre 2023 (voir paragraphes 51 et 52 ci-dessus). Il rappelle que lorsqu’un contrôle d’identité ne donne pas lieu à une procédure, telle une vérification d’identité ou une garde à vue, aucun écrit n’est établi. Il n’existe donc aucune donnée officielle sur les circonstances entourant le déroulement du contrôle et les motifs le justifiant. Cette absence de traçabilité des contrôles d’identité est problématique pour le Défenseur des droits car elle empêche à la fois d’identifier leur fondement juridique et les raisons qui ont motivé les contrôles, de mesurer le recours aux contrôles d’identité, et, a fortiori, de révéler les pratiques abusives et discriminatoires et de les sanctionner.

86. Pour le Défenseur des droits, l’absence de trace écrite du contrôle place la personne contrôlée en grande difficulté pour prouver son caractère discriminatoire, sa légalité et son existence même et donc pour faire valoir utilement ses droits par un recours auprès des autorités compétentes. Il ajoute qu’il est en pratique difficile d’identifier les agents qui ont participé au contrôle et que les requérants qui chercheront à démontrer le caractère discriminatoire d’un contrôle d’identité en France seront confrontés à des obstacles très importants dans le cadre du recours L. 141-1 du COJ.

2. Appréciation de la Cour

a) Volet procédural : sur la violation alléguée de l’obligation de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité subis par les requérants

1. Principes généraux

87. La Cour renvoie aux principes généraux en la matière tels qu’ils ont été rappelés dans les affaires précitées Basu (§§ 31 à 35), Muhammad (§§ 64 à 68) et Wa Baile (§§ 89 à 92) dans lesquelles elle a rappelé notamment que le fait de traiter de manière différente, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables constitue une discrimination (Timichev c. Russie, nos 55762/00 et 55974/00, § 56, CEDH 2005-XII, et Willis c. France, no 36042/97, § 48, CEDH 2002‑IV). Pour la Cour, la discrimination raciale est une forme de discrimination particulièrement injuste qui, compte tenu de la dangerosité de ses conséquences, exige une vigilance spéciale et une réaction vigoureuse de la part des autorités. Celles-ci doivent recourir à tous les moyens dont elles disposent pour combattre le racisme et renforcer ainsi la conception démocratique de la société, dans laquelle la diversité ne doit pas être perçue comme une menace, mais comme une richesse (voir, mutatis mutandis, Timichev, précité, § 56, Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 145, CEDH 2005-VII, et Wa Baile, précité, § 90).

88. La Cour rappelle également que dès lors que la personne concernée peut prétendre de manière défendable qu’elle a fait l’objet d’un contrôle d’identité en raison de ses caractéristiques raciales et que l’ingérence résultant de l’acte litigieux satisfait aux conditions du seuil de gravité exposées ci‑dessus (voir paragraphe 64 ci-dessus) et relève donc du champ de l’article 8, l’obligation des autorités d’enquêter sur l’existence d’un lien possible entre des attitudes discriminatoires fondées sur des motifs raciaux et l’acte d’un agent de l’État relève de la responsabilité des autorités, en vertu de l’article 14 de la Convention, y compris lorsqu’il est combiné avec l’article 8 (Muhammad, précité, § 68).

89. La Cour précise enfin que les juridictions internes doivent motiver leurs décisions de manière suffisamment circonstanciée, afin notamment de lui permettre d’assurer le contrôle européen qui lui est confié (voir, mutatis mutandis, I.M. c. Suisse, no 23887/16, § 72, 9 avril 2019, et X c. Lettonie [GC], no 27853/09, § 107, CEDH 2013). Un raisonnement insuffisant des juridictions internes, sans véritable mise en balance des intérêts en présence, est contraire aux exigences de l’article 8 de la Convention (Platini c. Suisse (déc.), no 526/18, § 61, 5 mars 2020). Ces principes, élaborés en particulier sur le terrain de l’article 8, s’appliquent également, mutatis mutandis, à l’article 14 de la Convention (voir, dans ce sens, Danilenkov et autres c. Russie, no 67336/01, § 124, CEDH 2009 (extraits), Wa Baile, précité, § 92). La Cour doit donc rechercher si les tribunaux compétents ont dûment examiné l’allégation de profilage racial et s’ils ont rendu des décisions suffisamment motivées à cet égard (Wa Baile, précité, § 95).

2. Application au cas d’espèce

90. En l’espèce, la Cour note que les requérants ont tous emprunté la voie civile en exerçant le recours indemnitaire prévu par l’article L. 141-1 du COJ (voir paragraphe 40 ci-dessus) afin d’engager la responsabilité de l’État pour fonctionnement défectueux du service public de la justice en raison de contrôles d’identité, fouilles et palpations, parfois accompagnés de propos ou de gestes déplacés voire violents, dont ils allèguent qu’ils étaient discriminatoires car opérés sur la base de leur couleur de peau.

91. La Cour relève d’emblée que la procédure interne en cause en l’espèce se distingue de celles des affaires qui portent sur le même sujet, Muhammad, précitée (action pénale engagée par le requérant pour détention arbitraire et action administrative en responsabilité de l’État), Basu, précitée (action administrative en illégalité du contrôle d’identité engagée par le requérant) et Wa Baile, précitée (action pénale introduite à l’encontre du requérant pour refus d’obtempérer, qui a ensuite engagé à son tour une procédure administrative en déclaration d’illicéité du contrôle litigieux). En l’espèce, ce sont les juridictions civiles, saisies par les requérants, qui ont recherché, dans le cadre du régime probatoire prévu à l’article 9 du code de procédure civile (voir paragraphe 36 ci-dessus) si les comportements qu’ils dénonçaient étaient constitutifs ou non d’une faute lourde imputable à l’État au sens de l’article L. 141-1 du COJ. Il s’ensuit que les critiques que les requérants formulent quant à l’approche adoptée par les juridictions internes doivent être examinées à la lumière des spécificités des recours qu’ils ont choisis (voir, mutatis mutandis, Muhammad, précité, § 73).

92. La Cour relève à cet égard que la Cour de cassation, dans des arrêts rendus également le 9 novembre 2016 qui ne concernaient pas les six requérants de la présente requête (voir paragraphe 44 ci-dessus), a confirmé l’existence d’une faute lourde de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ pour des contrôles d’identité dont le caractère discriminatoire avait été reconnu par la cour d’appel. S’agissant de ces contrôles, il ressortait d’un témoignage que sur une période de quatre‑vingt‑dix minutes, la police avait exclusivement contrôlé des personnes d’origine africaine et nord-africaine, ce qui avait permis aux personnes contrôlées d’établir une présomption de traitement discriminatoire qui n’avait pas été réfutée par l’État en défense. La cour d’appel de Paris a également reconnu l’existence de contrôles d’identité discriminatoires constitutifs d’une faute lourde en 2021 (voir paragraphe 47 ci-dessus) en raison de contrôles à la gare du Nord à Paris opérés sur trois jeunes gens de sexe masculin faisant partie d’un groupe de dix-huit élèves dont treize filles, ceux-ci étant d’origine comorienne, malienne et marocaine sans qu’il apparaisse, ainsi que relevé par les témoins, que des personnes non issues de « minorités visibles » provenant du même train avaient été dans le même temps contrôlées. Ces arrêts, qui ont conduit à engager la responsabilité de l’État pour faute lourde sur le fondement de la reconnaissance d’une discrimination, démontrent, aux yeux de la Cour, l’efficacité du recours prévu à l’article L. 141-1 du COJ (voir paragraphes 44 et 47 ci-dessus) et l’effectivité des contrôles exercées par les juridictions internes.

93. La Cour déduit de ce qui précède, alors même que la caractérisation d’une faute lourde suppose d’établir l’existence d’une déficience avérée découlant d’un fait ou d’une série de faits traduisant l’inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi, que la voie de droit empruntée par les requérants pour obtenir la réparation des dommages consécutifs à leur contrôle d’identité était en principe adéquate.

94. Dans la présente affaire, la Cour constate que les requérants ont vu leurs demandes examinées successivement par le TGI, la cour d’appel et la Cour de cassation, qui ont adopté des solutions similaires dans des décisions concordantes après un examen attentif des éléments produits au soutien d’allégations de discrimination (voir paragraphes 20 à 35 ci-dessus).

95. La Cour relève en particulier que la cour d’appel et la Cour de cassation ont analysé les situations dénoncées à la lumière d’instruments internationaux prohibant la discrimination, notamment la Convention et la jurisprudence de la Cour. Elles ont admis dans un premier temps qu’un contrôle d’identité réalisé selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, serait discriminatoire et constitutif d’une faute lourde au sens de l’article L. 141-1 du COJ. Dans un deuxième temps, elles ont reconnu que l’absence de traçabilité des contrôles d’identité en France pouvait, d’une manière générale, constituer une entrave au contrôle juridictionnel susceptible de priver la personne concernée de la possibilité de contester utilement la mesure en cause et son caractère éventuellement discriminatoire, portant ainsi atteinte à l’article 13 de la Convention (voir paragraphes 21 et 35 ci-dessus). Dans un troisième temps, après avoir relevé que les requérants s’étaient heurtés à une telle difficulté, la cour d’appel et la Cour de cassation en ont déduit qu’il était nécessaire d’aménager la charge de la preuve. À cet égard, les juges internes ont considéré que les requérants pouvaient établir l’existence d’un commencement de preuve d’une différence de traitement caractérisant une présomption de discrimination par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes et ont ajouté que dans un tel cas, il revenait à l’autorité publique de démontrer le caractère justifié de la différence de traitement. Ce faisant, les juridictions internes ont adapté le régime probatoire aux difficultés inhérentes à la caractérisation de la preuve en matière de discrimination dans le respect de la jurisprudence de la Cour (voir paragraphes 107 et suivants ci-dessous).

96. S’agissant de la question du commencement de preuve caractérisant une présomption de discrimination, la Cour relève que les juridictions internes ont jugé que le faisceau de circonstances graves, précises et concordantes pouvait être constitué notamment par des rapports statistiques d’ordre général, par des circonstances de fait et de droit entourant les contrôles et par des témoignages de tiers ayant assisté aux contrôles, liés ou non à la personne contrôlée.

97. Dans ces conditions, la Cour considère que les juridictions internes se sont acquittées, dans le cadre de leur saisine et dans des décisions particulièrement motivées pour chacun des requérants, de leur obligation de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité dont ils ont fait l’objet (voir Muhammad, précité, § 75, a contrario, Basu, précité, § 37 et, a contrario, Wa Baile, précité, § 102). Les requérants ont ainsi bénéficié d’un examen attentif et effectif de leur allégation de profilage racial par les juridictions internes dont le cœur de l’analyse a reposé sur la recherche d’une attitude discriminatoire fondée sur l’appartenance à une minorité ethnique. La Cour en déduit, indépendamment des solutions retenues dans chaque cas d’espèce, que les juridictions internes ont fait une analyse équilibrée, objective et globale des cas qui leur étaient soumis, en tenant dument compte des spécificités liées à l’administration de la preuve en la matière. Toutefois, jugeant que, dans chaque cas d’espèce, aucun des témoignages produits ne mettait en évidence une différence de traitement, elles ont considéré que les éléments apportés ne suffisaient pas à établir que les requérants avaient été victimes, à titre personnel et dans les circonstances de temps et de lieu qu’ils alléguaient, d’un comportement discriminatoire de la part des forces de police.

98. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 dans son volet procédural quant à l’obligation de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité subis par les requérants.

b) Volet matériel : sur le caractère prétendument discriminatoire des contrôles d’identité

1. La question de l’existence d’un cadre juridique et administratif adéquat

α) Principes généraux

99. La Cour rappelle d’emblée que les États ont l’obligation positive d’assurer la jouissance effective des droits et libertés garantis par la Convention, et que cette obligation revêt une importance particulière pour les personnes qui appartiennent à des minorités, étant donné qu’elles sont plus exposées aux brimades (voir Beizaras et Levickas, précité, § 108). Une telle obligation revêt donc une importance accrue dans une affaire qui met en jeu l’article 14 de la Convention, lequel consacre l’interdiction de la discrimination (Wa Baile, précité, § 124). Dans des circonstances très différentes, la Cour a considéré que le droit national réglementant les opérations de police doit offrir un système de garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de force et même contre les accidents évitables (mutatis mutandis Natchova et autres, précité, § 97). Les policiers ne doivent pas être dans le flou lorsqu’ils exercent leurs fonctions : un cadre juridique et administratif doit définir les conditions limitées dans lesquelles les responsables de l’application des lois peuvent recourir à la force et faire usage d’armes à feu, compte tenu des normes internationales élaborées en la matière (mutatis mutandis Makaratzis c. Grèce [GC], no 50385/99, §§ 58-59, CEDH 2004-XI). La Cour réitère également que les représentants de la loi doivent être formés de manière adéquate pour être à même d’apprécier s’il est ou non absolument nécessaire d’utiliser les armes à feu (mutatis mutandis Natchova et autres, précité, § 97, Wa Baile, précité, § 126).

100. La Cour a déjà eu l’occasion de dire de manière générale que l’obligation positive la plus fondamentale imposée aux États consiste à mettre en place un cadre juridique et administratif qui leur permette de remplir leurs devoirs au regard de la Convention (Wa Baile, précité, § 125), en particulier pour protéger les personnes vulnérables (voir, par exemple s’agissant de la protection de l’article 8 à l’égard des enfants, F.O. c. Croatie, no 29555/13, § 91, 22 avril 2021).

β) Application au cas d’espèce

101. La Cour constate que les contrôles d’identité par les forces de l’ordre sont en France encadrés par l’article 78-2 du CPP, qui prévoit trois types de contrôles : les contrôles dits « d’initiative » de l’alinéa 1 qui répondent à un comportement de la personne contrôlée, les contrôles sur réquisition de l’alinéa 2 et les contrôles dits « préventifs » de l’alinéa 3 en cas de risque d’atteinte à l’ordre public (voir paragraphe 38 ci-dessus). Ceux prévus par le premier alinéa exigent une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre une infraction, ou qu’elle se prépare à commettre un crime ou un délit, ou qu’elle est susceptible de fournir des renseignements ou qu’elle a fait l’objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. Le deuxième alinéa repose sur des réquisitions du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d’infractions dans un cadre spatio-temporel défini, et enfin, le troisième alinéa, permet que soit contrôlée une personne pour prévenir une atteinte à l’ordre public.

102. L’article 78-2 du CPP, dont les dispositions ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel (voir paragraphes 41 et 42 ci-dessus) prévoit ainsi, aux yeux de la Cour, un cadre strict détaillant les différentes situations et conditions dans lesquelles il est possible, pour les forces de l’ordre, de procéder à des contrôles d’identité dans un but de prévention et de lutte contre les infractions. L’économie générale de cette disposition est de nature à permettre d’éviter le développement de pratiques de contrôles d’identité généralisée, discrétionnaire et sans cadre. Le Conseil constitutionnel a précisé à cet égard que l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions peut justifier que soient engagées des procédures de contrôle d’identité et que s’il est loisible au législateur de prévoir que les contrôles mis en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liés au comportement de la personne, une telle pratique généralisée et discrétionnaire serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d’aller et de venir (voir paragraphes 41 et 42 ci‑dessus).

103. La Cour relève également que le code de déontologie de la police nationale prévoyait déjà à l’époque des faits que les agents devaient exercer leur mission dans le respect de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, de la Constitution, des conventions internationales et des lois et se comporter d’une manière exemplaire dans le respect absolu des personnes (voir paragraphe 39 ci-dessus).

104. La Cour note que les garanties offertes par le cadre juridique interne ont été renforcées depuis les faits litigieux, l’article R. 434-11 du CSI (voir paragraphe 45 ci-dessus) ayant précisé les obligations déontologiques des agents de police et de gendarmerie en interdisant toute distinction dans l’exercice de leur mission de nature à constituer l’une des discriminations énoncées à l’article 225-1 du code pénal (voir paragraphe 37 ci-dessus). L’article R. 434-16 du CSI ajoute également que le policier ou le gendarme ne doit se fonder, lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle (voir paragraphe 45 ci-dessus).

105. La Cour considère que le cadre juridique et administratif interne applicable à l’époque des faits était déjà compatible avec les exigences conventionnelles de l’article 14 combiné avec l’article 8. Elle doit à présent analyser chaque contrôle d’identité de la présente requête afin de déterminer s’il révèle l’existence d’une discrimination subie par chaque requérant.

2. La question de la preuve d’une discrimination

α) Principes généraux

106. La Cour renvoie aux paragraphes 91 à 95 de l’arrêt Muhammad, et 131 à 133 de l’arrêt Wa Baile, précités, qui rappellent les principes généraux applicables en cas d’allégation de discrimination.

107. En particulier, la Cour rappelle qu’elle a dit à maintes reprises que, dans le cadre de son examen des affaires dont elle est saisie, elle applique généralement, pour ce qui est des preuves, le principe affirmanti incumbit probatio (le requérant doit prouver son allégation). Il incombe ainsi au requérant de démontrer qu’il se trouvait dans une situation comparable à celle d’autres personnes ayant reçu un traitement différent, eu égard à la nature particulière de son grief (Clift c. France, no 7205/07, § 66, 13 juillet 2010, et Fábián, précité, § 113). Quand un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (voir, par exemple, D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 177, CEDH 2007-IV).

108. Quant aux éléments susceptibles de constituer un tel commencement de preuve et, ainsi, de transférer la charge de la preuve à l’État défendeur, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, la preuve peut ainsi résulter d’un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants. En outre, le degré de conviction nécessaire pour parvenir à une conclusion particulière et, à cet égard, la répartition de la charge de la preuve sont intrinsèquement liés à la spécificité des faits, à la nature de l’allégation formulée et au droit conventionnel en jeu (ibidem, § 178, Wa Baile, précité, § 132).

109. Quant à la question de savoir si les données statistiques peuvent être considérées comme un moyen de preuve dans les affaires de discrimination où les faits litigieux révèlent l’existence d’une différence dans la mise en œuvre d’une mesure générale ou d’une situation de fait, la Cour s’appuie largement sur les statistiques produites par les parties pour établir l’existence d’une différence de traitement entre deux groupes (par exemple les hommes et les femmes) qui se trouvent dans une situation similaire (Zarb Adami c. Malte, no 17209/02, §§ 77-78, CEDH 2006-VIII, et D.H. et autres c. République tchèque, précité, § 180). Par ailleurs, elle peut aussi prendre en compte les rapports des organes de contrôle indépendants nationaux et internationaux qui se sont penchés sur la question pertinente (D.H. et autres, précité, § 191).

110. La Cour a néanmoins rappelé dans Di Trizio c. Suisse (no 7186/09, § 85, 2 février 2016) que les statistiques ne sont pas en elles-mêmes suffisantes pour révéler une pratique pouvant être qualifiée de discriminatoire.

β) Application au cas d’espèce

‒ Méthodologie

111. La Cour constate que des rapports et décisions d’instances nationales et internationales ont conclu que même si des cas de contrôles discriminatoires peuvent exister en France, ils ne s’inscrivent en rien dans le cadre d’un système généralisé (voir ci-dessus paragraphes 49, 50, 51, 54 et 83 et 84 s’agissant des observations des tiers intervenants). Le Conseil d’État en particulier a jugé qu’était suffisamment établie en France l’existence d’une pratique de contrôles d’identité motivés par les caractéristiques physiques, associées à une origine réelle ou supposée, des personnes contrôlées, qui ne peut être regardée comme se réduisant à des cas isolés, ajoutant que s’ils ne revêtent pas, comme le prétendaient les requérantes devant lui, un caractère « systémique » ou « généralisé », de tels faits, qui créent un dommage pour les personnes qui y sont exposées, constituent une méconnaissance caractérisée de l’interdiction des pratiques discriminatoires (voir paragraphe 49 ci-dessus). De tels constats sont avancés par les requérants pour étayer l’existence d’une présomption de traitement différencié, laquelle demeure bien entendu réfutable. La Cour ajoute qu’il ne faut pas perdre de vue que ces constats doivent être envisagés à la lumière d’une large représentation de personnes issues de minorités visibles dans les zones de sécurité prioritaire où les agents de police ont pour mission d’assurer la sécurité publique, en procédant notamment à des contrôles d’identité (voir sur ce point le rapport de l’IGPN au paragraphe 53 ci-dessus).

112. La Cour constate d’ailleurs que les juridictions internes, s’appuyant sur sa jurisprudence (voir paragraphe 107 ci-dessus) pour rechercher s’il existait, pour chaque requérant, un commencement de preuve de l’existence d’une différence de traitement constitué par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes, ont pris en compte les rapports et données statistiques produits avant de considérer qu’ils n’étaient pas en eux-mêmes suffisants pour caractériser l’existence d’une discrimination dans chaque cas d’espèce (voir paragraphes 21 à 35 ci-dessus).

113. La Cour, dont la seule préoccupation est de déterminer dans chaque cas qui lui est soumis si la demande qui a été faite au requérant de justifier de son identité était motivée par la couleur de sa peau ou en tous cas son appartenance supposée à une minorité visible, devra déterminer si pour chaque contrôle d’identité, dont l’existence n’est pas contestée par le Gouvernement même en l’absence de trace officielle enregistrée par les autorités, le requérant est parvenu à apporter un commencement de preuve individualisé d’avoir été traité différemment d’une personne placée dans une situation analogue ou comparable. La caractérisation de l’existence d’une telle présomption de discrimination n’est, aux yeux de la Cour, pas impossible à effectuer (voir paragraphe 92 ci-dessus).

114. La Cour précise à ce stade qu’en présence d’un cadre précis prévu par l’article 78-2 du CPP, qui n’institue en lui-même aucune différence de traitement, et qui prévoit que les contrôles doivent reposer sur des motifs objectifs ainsi qu’il a été vu plus haut (voir paragraphes 101, 102 et 103 ci‑dessus), la seule circonstance d’avoir fait l’objet d’un contrôle d’identité, même combiné à la fois avec la perception d’avoir été visé en raison de son origine supposée ou de sa couleur de peau, et avec des données statistiques tendant à refléter l’existence de profilage racial lors des contrôles d’identité en France, ne suffit pas à constituer, sans examen des circonstances de chaque contrôle, une présomption de discrimination.

115. La Cour rappelle que les juridictions internes ont recherché en l’espèce si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans ces contrôles d’identité (voir paragraphe 97 ci-dessus). Il lui revient à présent de déterminer, dans chaque cas concret, s’il existe une présomption de traitement discriminatoire à l’égard de chaque requérant et dans l’affirmative si le Gouvernement est parvenu ou non à la réfuter (Wa Baile, précité, § 136).

116. La Cour rappelle qu’elle a dit que, d’une part, le cadre juridique et administratif des contrôles d’identité en France ne révèle pas l’existence de défaillance structurelle (voir paragraphe 105 ci-dessus) et, d’autre part, que les juridictions internes ont adapté le régime probatoire aux difficultés inhérentes à la caractérisation de la preuve en matière de discrimination dans le respect de la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 95 ci-dessus).

117. Il revient à la Cour d’examiner dans chaque cas qui lui est soumis si les faits litigieux appréciés dans le contexte général prévalant en France, tant s’agissant des modalités dans lesquelles les contrôles ont été effectués que les circonstances environnantes les ayant entourés, caractérisent ou non l’existence d’une présomption de traitement discriminatoire. Dans pareille hypothèse, il appartient à la Cour de vérifier si l’État défendeur a établi l’existence d’éléments objectifs justifiant les contrôles et étrangers à toute discrimination.

‒ Les contrôles d’identité de MM. Bocar Niane, Mounir Seydi, Dia Abdillahi, Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah

M. Bocar Niane

118. Concernant M. Bocar Niane (voir paragraphes 3 et 4 ci-dessus), la Cour constate, ainsi que l’ont relevé les juridictions internes (voir paragraphes 26 et 32 ci-dessus) que le contrôle de son identité, opéré sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 1, s’est déroulé alors qu’il avait adopté un comportement pouvant apparaître comme suspect (capuche relevée empêchant de distinguer son visage et vive allure) dans le contexte d’un quartier touché par la délinquance, classé en zone de sécurité prioritaire faisant régulièrement l’objet de réquisitions prises par le procureur de la République. La Cour observe que ce contrôle d’identité s’inscrivait également dans le cadre d’une réquisition précise prise par le procureur de la République de Saint-Ouen sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 2 du CPP pour rechercher certaines infractions dans un cadre spatio‑temporel défini, dans ce même quartier. En outre, la Cour relève, dans la lignée des constatations des juridictions internes, que le témoignage produit par la sœur de M. Bocar Niane n’apporte aucun élément de comparaison et ne révèle pas l’existence d’une différence de traitement.

M. Mounir Seydi

119. Concernant M. Mounir Seydi (voir paragraphes 5, 6 et 7 ci-dessus), la Cour constate qu’outre le fait que les parties s’accordent pour affirmer que ce contrôle d’identité s’est déroulé sans difficulté, il entrait, ainsi que l’ont relevé les juridictions internes (voir paragraphes 25 et 31 ci-dessus) dans le cadre spatio-temporel défini par des réquisitions du procureur de la République de Lille prises pour rechercher les auteurs de certaines infractions sur la base de l’article 78-2 alinéa 2 du CPP, et s’inscrivait dans le cadre d’un signalement aux forces de police d’une infraction commise par une personne d’origine noir africaine. En outre, la Cour relève, dans la lignée des constatations des juridictions internes, que le témoignage produit par M. Siathone n’apporte aucun élément de comparaison et ne révèle pas l’existence d’une différence de traitement.

M. Dia Abdillahi

120. Concernant M. Dia Abdillahi (voir paragraphe 8 et 9 ci-dessus), contrôlé sur le fondement de l’article 78-2 alinéa 1 du CPP, la Cour constate ainsi que l’ont relevé les juridictions internes (voir paragraphes 27 et 33 ci‑dessus) que ce contrôle s’est opéré à la suite de la commission d’une infraction le jour même par des personnes dont le signalement pouvait correspondre à la description du requérant et de son ami M. Manssouri. Si les propos tenus par les policiers à l’occasion du contrôle (« Ah tu es en vacances, tu ne travailles pas ? Fais vite de trouver un travail parce que si Sarko passe tu ne pourras pas rester comme ça » et « Tu as un air de Ronaldinho, on te l’a jamais dit ? ») apparaissent, aux yeux de la Cour, peu appropriés lors d’un contrôle, elle relève, dans la lignée des constatations des juridictions internes, que le témoignage produit par M. Manssouri n’apporte aucun élément de comparaison et ne révèle pas l’existence d’une différence de traitement.

MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah

121. Concernant MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah (voir paragraphe 10 ci-dessus), contrôlés sur la base de l’article 78-2 alinéa 3 du CPP, la Cour constate, ainsi que l’ont relevé les juridictions internes (voir paragraphes 22 et 35 ci-dessus) que le contrôle s’est déroulé dans un contexte pouvant laisser présumer l’existence d’une menace à l’ordre public dans un quartier notoirement connu pour être touché par la délinquance, notamment les violences aux personnes et le trafic de stupéfiants, et que dans les jours précédents le contrôle, de nombreux véhicules avaient été incendiés et une quinzaine de policiers avait été spécialement déployée. En outre, la Cour relève, dans la lignée des constatations des juridictions internes, que les témoignages produits n’apportent aucun élément de comparaison et ne révèle pas l’existence d’une différence de traitement.

Conclusion

122. La Cour considère que dans les cinq contrôles d’identité examinés ci-dessus, qui reposaient tous sur au moins une base légale identifiée, les requérants n’ont pas apporté de commencement de preuve individualisé d’un traitement différencié à l’aide d’un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants à même de créer une présomption de traitement discriminatoire. La Cour ne peut donc pas considérer que le seuil d’exigence nécessaire à la caractérisation d’une présomption en faveur de la thèse selon laquelle les contrôles d’identité (fouilles et palpations comprises lorsqu’elles ont eu lieu) ont été effectués pour des motifs discriminatoires a été atteint (voir, a contrario, Wa Baile, précité, § 134).

123. La Cour précise qu’elle n’ignore pas que, hormis pour M. Mounir Seydi, les autres contrôles se seraient déroulés, d’après les requérants, dans un climat de vive tension, allant dans certains cas jusqu’à l’insulte ou la menace. La Cour ajoute qu’elle est consciente des difficultés liées au fait que les contrôles litigieux n’ont donné lieu à la rédaction d’aucun procès-verbal, n’ont pas été enregistrés, pas plus qu’ils n’ont fait l’objet d’un récépissé. Elle considère néanmoins, à l’instar des juridictions internes, qui ont procédé dans chaque cas à un contrôle particulièrement attentif des éléments de preuve qui leur étaient soumis (voir paragraphes 20 à 35 ci‑dessus), que les requérants ont failli à apporter un faisceau d’indices suffisamment graves, précis et concordants démontrant une différence de traitement.

124. En conclusion, après avoir apprécié tous les éléments en sa possession, la Cour considère, à l’instar des juridictions internes, qu’aucun commencement de preuve tangible n’a établi que des attitudes discriminatoires fondées sur des motifs raciaux ont joué un rôle dans les contrôles d’identité des requérants par les forces de police (Muhammad, précité, § 102).

125. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 à l’égard de M. Bocar Niane, M. Mounir Seydi, M. Dia Abdillahi et MM. Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah.

‒ Les trois contrôles d’identité de M. Karim Touil entre le 22 novembre et le 1er décembre 2011

126. S’agissant de M. Karim Touil, la Cour fait les constats suivants : en premier lieu, le requérant produit des statistiques d’ordre général révélant qu’est « sur contrôlée » une certaine catégorie de la population à laquelle il dit appartenir. En deuxième lieu, il a fait l’objet de trois contrôles d’identité en l’espace de dix jours, dont deux la même journée le 1er décembre 2011 (voir paragraphes 11 à 15 ci‑dessus). En troisième lieu, s’agissant du contrôle du 22 novembre 2011, aucune base légale n’a été avancée, que ce soit par l’État en défense dans le cadre de la procédure interne ou par le Gouvernement dans ses observations devant la Cour. En quatrième lieu, s’agissant du premier contrôle du 1er décembre 2011, si l’État en défense dans le cadre de la procédure interne et le Gouvernement dans ses observations devant la Cour ont avancé l’existence d’une base légale (article 78-2 alinéa 2 du CPP), la Cour constate qu’il ne rentrait pas dans le cadre temporel prescrit sur ce fondement par la réquisition du procureur de Besançon aux fins de rechercher les auteurs de certaines infractions dans le centre-ville entre le 29 novembre et le 4 décembre 2011 de 14 heures à 20 heures. S’agissant, en cinquième et dernier lieu du second contrôle du 1er décembre 2011 à 15 h 30, le seul effectué dans le cadre temporel d’une réquisition du Procureur de la République, la Cour constate qu’il ressort de plusieurs témoignages, dont l’un émane de M. Serrault, une personne n’appartenant pas au groupe d’amis du requérant, que ce dernier a subi, au cours de l’opération, des insultes, des propos déplacés sur sa corpulence et même de la violence physique de l’un des policiers (gifle). La cour d’appel a déploré ce geste violent, ainsi que les propos sur sa corpulence, sans pour autant sanctionner le contrôle d’identité au regard de son caractère discriminatoire (voir paragraphe 28 ci-dessus).

127. La Cour, s’écartant sur ce point de l’appréciation des juridictions internes, considère que bien que le requérant n’ait pas expressément invoqué un quelconque groupe de comparaison qui aurait été traité différemment lorsqu’il a été contrôlé, et même si les autres personnes qui l’accompagnaient ont également fait l’objet d’un contrôle d’identité, l’ensemble des circonstances décrites ci-dessus entourant les trois contrôles (voir paragraphes 11 à 15 et 126 ci-dessus), dont l’un a été réalisé en dehors de toute base légale, combinées à la fois entre elles et avec les rapports et données statistiques officiels dénonçant l’existence de cas de profilage racial dans les contrôles d’identité en France (voir paragraphe 111 ci-dessus), constituent un faisceau d’indices graves, précis et concordants de nature à créer une présomption de discrimination. À ce titre, la Cour précise qu’elle considère que l’expression « tiens le 22 » prononcée par le requérant en guise de provocation à l’occasion du premier contrôle du 1er décembre 2011, a pu attirer l’attention des policiers, mais que les réponses apportées par l’un d’eux « viens voir on va le contrôler celui-là il fait son malin et « on connait vos codes de cités » (voir paragraphe 14 ci-dessus) lui apparaissent stigmatisantes et déplacées.

128. La charge de la preuve est donc transférée au Gouvernement. Or la Cour relève qu’il n’a apporté pour aucun des trois contrôles de justification objective et raisonnable au choix de viser M. Karim Touil.

129. Compte tenu de ce qui précède, la Cour, bien consciente des difficultés pour les agents de police de décider, très rapidement et sans nécessairement disposer d’instructions internes claires, s’ils sont confrontés à une menace pour l’ordre ou la sécurité publics (Wa Baile, précité, § 136), conclut qu’il existe, dans le cas de M. Karim Touil, une présomption de traitement discriminatoire à son égard et que le Gouvernement n’est pas parvenu à la réfuter.

130 Par conséquent, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 à l’égard de M. Karim Touil.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION À la lumière de l’article 14 combiné avec l’article 8

131. Les requérants se plaignent de n’avoir pas disposé d’un recours effectif leur permettant de faire examiner le grief qu’ils ont formulé sur le terrain de l’article 14 de la Convention combiné avec son article 8. Ils invoquent l’article 13 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1. Arguments des parties
1. Les requérants

132. Les requérants relèvent que le Gouvernement ne conteste pas l’existence d’un grief défendable. Ils rappellent que pour remplir les exigences de l’article 13 de la Convention, le recours allégué doit être effectif en pratique comme en droit et son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités et être capable de porter directement remède à la situation critiquée.

133. Ils soulignent que le Gouvernement cite les arrêts de la cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 pour caractériser l’existence d’un recours effectif, alors que la cour d’appel y a précisément fustigé l’absence de toute mesure prise par l’État pour assurer la traçabilité des contrôles. Pour les requérants, ces décisions, pour importantes qu’elles soient pour les victimes, sont isolées face à l’ampleur du phénomène du profilage ethnique et à la difficulté des victimes de faire valoir leurs droits. Le manque de preuve et l’absence de traçabilité des contrôles font partie des raisons qui, pour les requérants, expliquent le faible nombre de recours, qui apparaissent comme perdus d’avance et donc non effectifs.

2. Le Gouvernement

134. Le Gouvernement considère que les requérants avaient à leur disposition plusieurs voies de recours effectives pour faire valoir leurs griefs : sur le plan pénal, ils auraient pu citer les fonctionnaires de police auteurs des contrôles d’identité devant le tribunal correctionnel. Sur le plan civil, le Gouvernement rappelle l’existence et le fonctionnement de l’article L.141-1 du COJ. Il précise que le fait que l’État ait été condamné à plusieurs reprises pour des contrôles discriminatoires démontre qu’il s’agit d’un recours effectif.

135. Le Gouvernement souligne que les autres arrêts rendus par la Cour de cassation le 9 novembre 2016 et les arrêts de la cour d’appel de Paris du 8 juin 2021 établissent l’effectivité du recours.

2. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux

136. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils s’y trouvent consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne permettant d’examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et d’offrir un redressement approprié. L’objet de cette disposition est de fournir un moyen au travers duquel les justiciables puissent obtenir, au niveau national, le redressement approprié des violations de leurs droits garantis par la Convention, avant d’avoir à mettre en œuvre le mécanisme international de plainte devant la Cour (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000-XI). Toutefois, la protection offerte par l’article 13 de la Convention ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours, les États contractants jouissant d’une certaine marge d’appréciation pour honorer les obligations qu’elle leur impose (Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 146, CEDH 2004-XII). La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief fondé sur la Convention, mais le recours doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens notamment que son exercice ne doit pas être entravé d’une manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’État. Dans certaines conditions, c’est considérés dans leur ensemble que les recours offerts par le droit interne peuvent passer pour répondre aux exigences de l’article 13 (Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 218, 25 juin 2019). La Cour rappelle également que l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant (Kudła, précité, § 157).

2. Application au cas d’espèce

137. Eu égard à la conclusion à laquelle elle est parvenue au paragraphe 69 ci-dessus, la Cour estime que les requérants avaient des griefs défendables sous l’angle des articles 14 et 8 combinés. L’article 13 trouve donc à s’appliquer.

138. La Cour note que la cour d’appel et la Cour de cassation ont reconnu dans leurs arrêts (voir paragraphes 21 à 35 ci-dessus) que la loi en matière de contrôle d’identité ne prévoit aucune obligation de traçabilité et que cette situation constitue dès lors une entrave au contrôle juridictionnel, susceptible en elle-même de priver la personne concernée de la possibilité de contester utilement la mesure en cause et son caractère éventuellement discriminatoire, cette situation allant à l’encontre de la jurisprudence développée par la Cour sur l’article 13 de la Convention. La Cour note cependant que la cour d’appel a contrebalancé cette difficulté en aménageant la charge de la preuve, exigeant un commencement de preuve de différence de traitement pouvant être rapporté par un faisceau de circonstances graves, précises et concordantes, ce que les requérants ont failli à démontrer, l’autorité publique devant quant à elle, en tel cas, démontrer le caractère justifié de la différence de traitement (voir paragraphes 21 et 22 ci-dessus).

139. La Cour note que les requérants ont été en mesure de saisir le juge judiciaire aux fins de voir leurs doléances examinées quant aux comportements qu’ils reprochaient aux agents de police qui les avaient contrôlés. Le juge avait compétence pour se prononcer sur ces griefs et a procédé à leur examen à l’issue d’une procédure au cours de laquelle les requérants ont pu faire valoir tous leurs arguments. La Cour rappelle que l’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 de la Convention à la lumière de l’article 14 combiné avec l’article 8 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. Elle considère que le seul fait qu’ils aient été déboutés de leurs demande ne constitue pas en soi un élément suffisant pour juger du caractère « effectif ou non » du recours en question (voir, mutatis mutandis, Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 89, CEDH 2000-II). Eu égard à son raisonnement et à la conclusion à laquelle elle est parvenue s’agissant de l’obligation procédurale de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité subis par les requérants (voir paragraphes 90 à 98 ci-dessus), la Cour considère que les requérants ont eu droit à un recours effectif devant les juridictions internes (voir, a contrario, Wa Baile, précité, § 147).

140. Par conséquent, il n’y a pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 14 de la Convention.

3. Sur l’application de l’article 41 DE LA CONVENTION

141. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

142. Le requérant M. Karim Touil demande l’allocation de la somme de 5 000 euros (EUR) en réparation du dommage moral subi, l’expression d’excuses publiques et la diffusion large dans les médias français de la décision à venir et des excuses publiques. Il ne réclame aucune somme au titre des frais et dépens.

143. Le Gouvernement soutient que s’agissant de la somme demandée au titre du préjudice moral, le simple constat de la violation suffirait à indemniser le requérant et que si la Cour en venait à estimer que le simple constat de la violation est insuffisant, le montant devrait être ramené à de plus justes proportions.

144. En l’espèce, la Cour considère qu’eu égard à la violation constatée ci-dessus il est équitable d’accorder une somme de 3 000 EUR au requérant M. Karim Touil.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables ;
2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 dans son volet procédural quant à l’obligation de rechercher si des motifs discriminatoires ont pu jouer un rôle dans les contrôles d’identité des six requérants ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention dans son volet matériel quant à l’allégation du caractère discriminatoire des contrôles d’identité des requérants MM. Bocar Niane, Mounir Seydi, Dia Abdillahi, Amine Mohamed Dif et Lyes Kaouah ;
4. Dit, par six voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention dans son volet matériel quant à l’allégation du caractère discriminatoire du contrôle d’identité du requérant M. Karim Touil ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention ;
6. Dit, par six voix contre une, que l’État défendeur doit verser à M. Karim Touil, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention :

a) a) la somme de 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

7. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 juin 2025, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik María Elósegui
Greffier Présidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge S. Mourou-Vikström.

M.E.I.
V.S.

ANNEXE

Liste des requérants

Requête no 35844/17

No

|

Prénom NOM

|

Année de naissance

|

Nationalité

|

Lieu de résidence

---|---|---|---|---

1.

|

Mounir SEYDI

|

1991

|

français

|

Roubaix

2.

|

Dia ABDILLAHI

|

1990

|

français

|

Marseille

3.

|

Amine Mohamed DIF

|

1988

|

algérien

|

Vaulx-en-Velin

4.

|

Lyes KAOUAH

|

1989

|

français

|

Vaulx-en-Velin

5.

|

Bocar NIANE

|

1979

|

français

|

Saint-Ouen

6.

|

Karim TOUIL

|

1991

|

français

|

Besançon

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE MOUROU-VIKSTRÖM

[Original]

Je n’ai pas pu me joindre au vote majoritaire de la chambre qui a conclu à une non-violation de l’article 8 concernant six requérants, MM. Niane, Seydi, Abdillahi, Dif et Kaouah, mais a estimé qu’une violation de l’article 8 était caractérisée concernant M. Touil.

Le constat de non-violation aurait, à mon sens, dû être étendu à l’ensemble des requérants, et les critères auraient dû être resserrés, précisés au lieu d’être fluidifiés au risque d’affaiblir lourdement les exigences en matière probatoire.

Les allégations de « discrimination au faciès » lors des contrôles d’identité par les forces de police sont un sujet important scruté dans de nombreux États membres du Conseil de l’Europe. La preuve et son régime doivent rester au centre de ces questions.

La dimension politique ne doit pas être niée et il convient de rappeler que les contrôles d’identité sont un outil de protection de la sécurité publique nécessaire et efficace à la disposition des forces de l’ordre.

Elles doivent être traitées de manière rigoureuse et ne laisser place à aucune volatilité dans leur examen.

Mes divergences avec le raisonnement adopté par la chambre sont de deux ordres, et concernent à la fois, les critères généraux posés dans la présente affaire au regard des contrôles d’identité allégués discriminatoires, mais aussi, de manière plus spécifique, l’application de ces critères au cas concret de M. Touil.

I. Les critères applicables aux contrôles d’identité afin d’établir leur caractère discriminatoire

Devant une cour de justice, la discrimination, quel qu’en soit le ressort, se prouve, et ne peut se contenter de se ressentir.

Or, il semble, dans la présente affaire, que même si les principes posés par la jurisprudence de la Cour sont réaffirmés et appliqués à la situation de cinq des requérants, la différence de traitement initiale, et, in fine, la discrimination apparaissent soumises à des règles de preuve plus diffuses et moins rigoureuses, concernant, à tout le moins, l’un des requérants. Ainsi, s’agissant de M. Touil, le faisceau d’éléments examinés, sans exigence préalable d’un traitement différencié, permet, à lui seul, de caractériser une discrimination. Il s’agit là d’un glissement des critères porteur de conséquence en matière probatoire, ce qui n’est pas souhaitable.

La jurisprudence la Cour dans les affaires Muhammad c. Espagne, Wa Baile c. Suisse et Basu c. Allemagne

La Cour a exigé avec constance et rigueur, l’existence initiale d’une différence de traitement, préalable nécessaire à la démonstration de l’existence d’une discrimination (Muhammad, § 92, Wa Baile,§ 71, Basu, § 25). Cette approche semble aller de soi. En effet, comment concevoir une discrimination sans une référence comparative pour l’alimenter ?

Un traitement différencié en raison de la couleur de peau a des implications suffisamment graves pour qu’il soit exigé qu’il soit non seulement invoqué, mais également décrit et argumenté, notamment par référence comparative à d’autres personnes. Le grief défendable exige la démonstration d’un ciblage personnalisé reposant sur des caractéristiques physiques ou ethniques spécifiques (Basu, § 25)

Dans l’affaire Muhammad, le requérant insistait avec force sur le fait que « personne n’appartenant à la majorité de la population caucasienne » n’a été arrêté sur la même rue, avant, pendant ou après le contrôle d’identité dont il a fait l’objet. (§ 99)

De même dans l’affaire Basu, la Cour a relevé au titre des faits constants que « parmi les personnes présentes dans différents compartiments du wagon du train, les deux officiers de police n’avaient contrôlés que l’identité du requérant et de sa fille ». (§ 6)

Dans l’arrêt Wa Baile, le requérant indique « qu’aucun autre individu, parmi la foule de personnes – presque toutes blanches de peau selon lui – qui se rendaient au travail, n’a été soumis à un contrôle d’identité » (§ 8).

Or, aucun des requérants dans la présente affaire ne décrit de manière précise argumenté et concrète, une telle différence, sauf l’ami de M. Seydi qui a relevé qu’« il y avait des passants qui n’étaient pas contrôlés ».

Ainsi, le grief défendable était caractérisé dans les trois affaires de référence précitées par un traitement différencié que les requérants imputaient directement à leurs caractéristiques physiques visibles.

Quand bien même cette première condition de la différence de traitement serait caractérisée, elle n’est pas suffisante au regard de la jurisprudence de la Cour. Ainsi, un second critère est ajouté, à savoir, l’absence de motif au contrôle ou l’existence d’éléments pouvant être déduits des explications du policier et permettant d’établir que le contrôle reposait sur des motifs physiques ou ethniques.

Si un commencement de preuve caractérisant la présomption est établi, les autorités nationales doivent prouver que la différence de traitement était justifiée.

Tels sont les principes posés dans l’arrêt Muhammad et repris dans l’arrêt Wa Baile. Toutefois, dans la présente affaire Seydi et autres, la majorité de la chambre a décidé, dans l’un des cas, de ne pas exiger la preuve d’un traitement différencié en tant qu’élément préalable, et de donner plus de visibilité au critère du « faisceau d’éléments suffisamment graves, précis et concordants ».

Le critère du faisceau

La jurisprudence a posé dès l’arrêt Muhammad c. Espagne le critère du faisceau au titre des principaux généraux. Toutefois, dans l’application concrète, la référence à ce faisceau a été mise à distance, et ce, au profit de la preuve que le contrôle d’identité effectué par les policiers et l’interpellation était fondée sur l’attitude de l’intéressé et non sur une animosité condamnable envers une ethnie (v. Muhammad, § 99). Dans ce même arrêt, la Cour a de surcroît noté que les statistiques indiquant que les contrôles ethniquement discriminatoires étaient une pratique répandue chez les policiers espagnols devaient faire l’objet d’un examen critique pour pouvoir être considérées comme une preuve prima facie.

Par ailleurs, dans l’affaire Wa Baile, la référence au faisceau n’apparaît qu’accessoire, la violation étant fondée sur l’absence de motif valable au contrôle et l’impossibilité pour le gouvernement de prouver le contraire ou de de démontrer que d’autres personnes ont fait l’objet du même type de contrôle le même jour.

Or, dans la présente affaire, un glissement s’opère et la possibilité de faire du faisceau d’éléments le critère prépondérant permettant d’établir le commencement de preuve, tout en étant décorrélé de l’exigence d’une comparaison avec un autre groupe, se dessine.

Il faut bien reconnaître que la notion même de faisceau recouvre des éléments divers, sans ordre de priorité ni d’importance, si bien que le risque est que le sentiment d’être discriminé, prenne l’ascendant et remplace la preuve rigoureuse et objective de l’existence d’une discrimination.

Les juridictions internes ont noté que « les statistiques d’ordre général révèlent qu’est sur-contrôlée une population jeune, masculine, portant des vêtements qui sont ceux à la mode dans la jeune génération issue des quartiers défavorisés et appartenant aux minorités visibles, situation notamment dénoncée par le rapport de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance de juin 2010 ».

Toutefois, la référence à des données statistiques ne peut pas être un pilier intangible en matière de preuve, en étant présentées comme constantes et établies, et sans qu’il soit possible pour le gouvernement de les mettre en perspective et de les replacer dans un contexte. Envisagées comme un postulat de départ, elles deviennent un élément du débat non discutable. Or, le risque qui découle de ce postulat est d’ouvrir la voie à des débats éminemment politiques, dans un cadre qui doit rester strictement judiciaire. Le débat concernant les statistiques dites ethniques sera sans doute relancé. Face aux statistiques avancées, l’État, en défense, sera nécessairement amené à apporter ses propres données, ou bien à éclairer les statistiques qui lui sont opposées, en relevant soit que les zones où les contrôles ont principalement lieu sont des zones de sécurité prioritaire dans lesquelles un grand nombre d’habitants appartiennent à des minorités visibles, soit que, parmi les infractions que les forces de police doivent relever, sont largement représentées des infractions à la législation sur les étrangers, ce qui peut orienter les profils des personnes contrôlées.

II. Les contrôles d’identité de M. Touil

La majorité a estimé à la suite d’une analyse des trois contrôles d’identité dont M. Touil a fait l’objet qu’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 dans son volet matériel était constituée. Pour parvenir à ce constat, la chambre a pris en compte un certain nombre d’éléments combinés qu’elle a rattachés au faisceau d’indices précis graves et concordants. Or, l’élément central et premier qui est la différence de traitement se trouve être totalement absent de la démonstration entreprise par la majorité. Or, de même que les juridictions internes l’ont jugé, il ne peut pas être déduit de ces éléments une attitude discriminatoire de la part des policiers à l’encontre de M. Touil. Pourtant, par des arrêts rendus le même jour que ceux concernant les requérants de la présente affaire, la Cour de cassation avait confirmé l’existence d’une faute lourde pour trois contrôles d’identité dont elle a considéré qu’ils avaient été « réalisés selon des critères tirés de caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable », tout en exigeant que celui qui se prétend victime qu’il apporte des éléments de fait de nature à traduire une différence de traitement. Dans le cas précis, la Cour de cassation s’était fondée sur un témoignage pour retenir que « les opérations de contrôle avaient visé pendant une heure trente, de façon systématique et exclusive, un type de population en raison de sa couleur de peau ou de son origine ». Rien de tel n’est en l’espèce allégué.

A l’exception du 1er décembre 2011, les contrôles se sont déroulés dans le cadre des réquisitions du parquet ou en réponse à une provocation de la part de l’intéressé. Quoiqu’il en soit, le contrôle du 1er décembre, dont la base légale n’est pas connue, s’est déroulé sans incident et sans qu’une attitude discriminatoire ne soit invoquée ni étayée par de quelconques témoignages. S’agissant du contrôle du 1er décembre 2011 à 15 h 30, il convient de relever que les propos désobligeants sur la corpulence de M. Touil sont en effet déplacés, et que la gifle portée par un des policiers n’est pas acceptable ; toutefois, aussi regrettables et condamnables soient-ils, ces comportements ne peuvent en aucun cas être reliée à l’appartenance réelle ou supposée de M. Touil à une minorité visible. A l’inverse, il n’est pas contesté que lors de ce troisième contrôle l’ensemble du groupe constitué par les amis de M. Touil a fait l’objet d’un contrôle, sans qu’aucune allégation concernant l’origine des cinq autres personnes ne soit soulevée. Il s’agit d’un élément qui renforce la nature indiscriminée et générale du contrôle en question.

Il n’apparaît pas souhaitable qu’en se fondant sur des données statistiques constantes ayant valeur de postulat, des contrôles d’identité, fussent-ils répétés, tendus et accompagnés d’incidents, soient considérés comme discriminatoires, alors qu’aucun élément de nature à traduire une différence de traitement n’est apportée par des personnes qui allèguent subir une telle discrimination.

Le cas de M. Touil, loin d’être purement un cas d’espèce, ouvre la porte à une mode de preuve reposant sur une combinaison d’éléments parmi lesquels le traitement différencié n’est plus requis. Le risque est que la discrimination perde son essence et ne repose pas sur une preuve rigoureuse.

* * *

[1] Il est indifféremment fait référence dans les décisions internes, s’agissant des contrôles d’identité sur réquisition du procureur de la République, à l’alinéa 2 ou à l’alinéa 6 de l’article 78-2 du CPP


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-243820
Date de la décision : 26/06/2025
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable

Parties
Demandeurs : SEYDI ET AUTRES
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : Ben Achour, Slim

Origine de la décision
Date de l'import : 27/06/2025
Fonds documentaire ?: HUDOC

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