QUATRIÈME SECTION
AFFAIRE ESPÍRITO SANTO SILVA SALGADO c. PORTUGAL
(Requête no 30970/19)
ARRÊT
Art 6 § 1 (pénal) • Procès équitable • Contrôle juridictionnel d’une portée suffisante de la décision rendue par la Banque du Portugal (BdP), autorité administrative, contre le président du conseil d’administration d’une banque privée
Art 6 § 2 • Diverses déclarations publiques faites par le gouverneur de la BdP avant et après l’ouverture de la procédure administrative engagée contre le requérant par la BdP n’ayant pas porté atteinte à la présomption d’innocence de l’intéressé
Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.
STRASBOURG
3 décembre 2024
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Espírito Santo Silva Salgado c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :
Lado Chanturia, président,
Faris Vehabović,
Tim Eicke,
Lorraine Schembri Orland,
Ana Maria Guerra Martins,
Anne Louise Bormann,
Sebastian Răduleţu, juges,
et de Simeon Petrovski, greffier adjoint de section,
Vu :
la requête (no 30970/19) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Ricardo Espírito Santo Silva Salgado (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juin 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),
la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement portugais (« le Gouvernement »),
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 12 novembre 2024,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. L’affaire concerne l’atteinte alléguée au droit du requérant à un procès équitable et au respect de son droit à la présomption d’innocence, dans le cadre d’une procédure administrative ouverte contre lui par la Banque du Portugal (ci-après la « BdP »), en raison de diverses déclarations publiques faites par C.C., le gouverneur de la BdP, au moment des faits. Le requérant invoque l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention.
EN FAIT
2. Le requérant est né en 1944 et réside à Cascais. Il a été représenté par Me A. Squilacce, avocat à Lisbonne.
3. Le Gouvernement a été représenté par ses agents, M. Ricardo Bragança de Matos, procureur, et, à partir du 1er septembre 2024, M. Manuel Aires Magriço, lui aussi procureur.
1. Contexte de l’affaire
4. Le requérant fut, jusqu’au 20 juillet 2014, le président du conseil d’administration de la banque privée Banco Espírito Santo (« BES ») ainsi que du groupe Espírito Santo Financial Group, S.A. (« ESFG »). Constituée en 1937, la BES était l’une des principales banques commerciales au Portugal. Comme tout établissement bancaire, elle se trouvait sous la supervision de la BdP, la banque centrale du Portugal en vertu de l’article 102 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessous), de l’article 92 du régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (ci-après le « RGICSF » ‑ paragraphe 46 ci-dessous) et de l’article 3 de la loi organique de la BdP (paragraphe 45 ci-dessous).
5. Au moment des faits, la BES appartenait au Groupe Espírito Santo (« GES »), une structure de holdings en cascade sous le holding de la société Espírito Santo Control, S.A. (« ESC »), une société siégeant au Luxembourg et détenant environ 50 % des parts de la société Espírito Santo International (« ESI »), enregistrée elle aussi au Luxembourg. Entre 20 % et 49 % des actifs de la BES étaient détenus par l’ESFG, une société holding enregistrée au Luxembourg et détenue à 49 % par Espírito Santo Irmãos SGPS, une société enregistrée au Portugal qui, elle, était détenue à 100 % par Rio Forte Investments, S.A. (« Rio Forte »), cette dernière étant détenue à 100 % par la société holding mère ESI. La BES détenait, quant à elle, des parts directes ou indirectes dans diverses sociétés, telles que BES Luxembourg, BES London, formant ainsi le groupe BES (« GBES »).
6. Alors que la BES venait d’accuser une perte record de 3 577 millions d’euros à cause de son exposition à la dette du GES, le 3 août 2014, la BdP décida d’appliquer à son égard une mesure de résolution, en vertu de l’article 145-C du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous ; voir également, à cet égard, Freire Lopes (déc.), no 58598/21, §§ 6‑7 et 9-17, 31 janvier 2023). L’effondrement de la BES eut un important retentissement médiatique.
2. Les propos tenus par C.C.
1. Les déclarations faites au cours de la conférence de presse du 3 août 2014
7. Dans la soirée du 3 août 2014, les membres du conseil d’administration de la BdP (au moment des faits : C.C., P.N., J.R., J.G. et J.T.) donnèrent une conférence de presse pour annoncer l’application de la mesure de résolution. Cette conférence de presse fut diffusée en direct à la télévision et sur certaines radios du pays. Elle fit ensuite l’objet d’une importante couverture médiatique.
8. Au cours de cette conférence de presse, le gouverneur de la BdP, C.C., déclara ceci :
« (...)
Le conseil d’administration de la Banque du Portugal a décidé aujourd’hui d’appliquer à la [BES] une mesure de résolution. (...)
Je vais tout d’abord expliquer ce qui nous a mené jusqu’ici. Ensuite je soulignerai certaines des caractéristiques fondamentales de la mesure ainsi que ses implications. J’exposerai enfin les conclusions.
Comme il est de notoriété publique, la [BES] se trouve dans une grave situation de déséquilibre financier.
Le 30 juillet 2014, la [BES] a publié les résultats relatifs au premier semestre 2014, faisant apparaître une perte de 3 577 millions d’euros dont la quasi-totalité, à savoir 3 488 millions d’euros, se rapportait au deuxième trimestre 2014.
(...)
L’aggravation des résultats de la [BES] par rapport à ce qui était prévisible il y a environ deux semaines a pour origine un ensemble d’actes de gestion (...) gravement préjudiciables aux intérêts de la [BES] et manifestement contraires aux instructions (determinações) qui avaient été émises par la [BdP].
Je répète : l’aggravation des résultats a pour origine un ensemble d’actions qui violent, clairement, des instructions émises par la [BdP].
(...) ces derniers jours, la situation de la [BES] s’est rapidement et notablement aggravée.
(...)
De ce fait, la [BES] se trouve dans une situation où elle risque sérieusement et gravement d’être dans l’impossibilité de remplir à court terme ses obligations, et, par conséquent, de respecter les critères pour le maintien de l’autorisation d’exercice de son activité.
Vu l’importance qu’a la BES dans le système bancaire et dans le financement de l’économie portugais, le risque de cessation de paiement ou d’incapacité à honorer ses obligations entraîne un risque de contagion qui nuit à la stabilité du système financier national.
(...)
J’aimerais en finir par une note qui me paraît importante – je dirais même très importante – pour comprendre ce qui est arrivé à la [BES] pendant l’année qui vient de s’écouler. Le [GES], par le biais d’entités non financières non soumises à la supervision de la [BdP] – et ayant leur siège, le plus souvent, dans des juridictions difficiles d’accès – a mis en place un système de financement frauduleux entre les entreprises du groupe. L’expérience internationale montre que ce type de mécanisme est difficile à détecter avant qu’il n’entre en rupture, en particulier lorsque l’activité est développée dans une diversité de juridictions – je répète, ce type de mécanisme n’est normalement découvert que lorsqu’il entre en rupture. La [BdP] est parvenue à cerner une partie du problème (uma ponta do problema) parce qu’elle a réalisé une inspection qui est sortie du périmètre normal de la surveillance en faisant un audit des entreprises non financières qui étaient les clientes principales des banques. Cet exercice est appelé ETRICC 2[1]. Lorsque cette partie du problème a été cernée, en septembre 2013, je souligne, en septembre 2013, la [BdP] a initié une politique d’isolement des risques (« ring fencing ») de la [BES] relativement aux entreprises restantes du groupe, c’est-à-dire en tenant compte du risque qui pourrait résulter de ces mécanismes et schémas pour la banque. La [BdP] a imposé des limites qui visaient à sauvegarder la banque.
(...) »
2. L’interview donnée par C.C. à l’hebdomadaire Expresso publiée le 27 février 2016
9. Le 27 février 2016, l’hebdomadaire Expresso publia une interview de C.C. dont les parties pertinentes en l’espèce se lisaient comme suit :
« Expresso : Peut-on parler d’autorité morale de la [BdP] lorsqu’on sait que [des produits financiers] ont été vendus aux guichets de la BES alors que la [BdP] savait [déjà] que la BES avait falsifié ses comptes ?
C.C. : Non. En l’occurrence, c’est un établissement siégeant au Luxembourg qui était en cause, or celui-ci n’était pas contrôlé par nous. L’ESI n’est entrée dans le radar de la BdP que parce que dans le cadre d’une [opération de contrôle poussée] il avait été décidé de contrôler les grands clients des banques. Le 26 novembre 2013 nous avons constaté une augmentation du passif financier de l’ESI. Trois jours plus tard, nous avons demandé une explication détaillée à ce sujet. Le 3 décembre [2013] l’ESFG [Espírito Santo Financial Group] a informé la BdP que, pour des problèmes de nature comptable, il y avait des passifs et des actifs qui n’étaient pas enregistrés dans les 1,3 millions d’euros. À ce moment, on ne parlait ni d’un déficit de liquidités ni d’une quelconque falsification de comptes. (...) Le 31 janvier [2014], [le cabinet d’audit] KMPG a annoncé que l’ESI connaissait un déficit de liquidités s’élevant à 2,4 millions mais elle n’a décelé aucune situation de falsification de compte. (...) Le 28 mai [2014] il nous est rapporté pour la première fois qu’il y a eu falsification des comptes. Cette information ne nous est même pas rapportée par KPMG mais par une société d’avocats luxembourgeoise.
Expresso : Au milieu de ça, il y avait tous les jours des informations dans les journaux.
C.C. : Montrez-moi des informations fondées indiquant qu’il y avait falsification des comptes. La preuve n’arrive que le 28 mai.
(...) ».
3. L’interview donnée par C.C. à l’hebdomadaire Expresso publiée le 5 mars 2016
10. Le 5 mars 2016, l’hebdomadaire Expresso publia une nouvelle interview de C.C., dont les parties pertinentes en l’espèce se lisaient comme suit
« (...)
Expresso : Pourquoi n’avez-vous pas demandé que [le requérant] soit écarté en janvier 2014 lorsque la KPMG a remis le rapport qui montrait que les comptes de l’ESI n’allaient pas ?
C.C. : La KPMG ne dit pas qu’il y a falsification des comptes. Elle dit qu’il y a une entité en situation de faillite, ce qui n’est pas la même chose.
(...)
Expresso : à quel moment avez-vous perdu confiance en [le requérant] ?
C.C. : Fin mai 2014, le jour où j’ai reçu les informations qui montraient qu’il y avait falsification des comptes.
(...) ».
4. L’interview donnée par C.C. au journal Público publiée le 8 mars 2017
11. Le 8 mars 2017, le journal Público publia un interview de C.C. dans laquelle celui-ci affirmait ceci :
« (...) Comme vous pouvez imaginer, en octobre, novembre 2013 ou en janvier 2014, avoir en face de moi la famille Espírito Santo, comme cela est arrivé une fois, ou bien [le requérant] ou tous les autres, et leur dire en face Messieurs, vous n’avez pas l’honorabilité (idoneidade) nécessaire pour continuer à diriger un établissement, était une grande nouveauté pour eux et c’était aussi un acte affirmant avec force l’indépendance et les pouvoirs de la [BdP]. »
3. La procédure ouverte par la bdp
1. La procédure devant la BdP
1. L’ouverture de la procédure et l’enquête administrative préalable du Département de la vérification et de la répression des infractions administratives (Departamento de Averiguação e Ação Sancionatória, le « DAS »)
12. Le 21 octobre 2014 et le 10 mars 2015, le conseil d’administration de la BdP décida d’ouvrir deux enquêtes contre la BES, l’ESFG, le requérant et trois autres dirigeants de la BES (procédures nos 99/14/CO et 35/15/CO) pour actes frauduleux de gestion ruineuse (actos dolosos de gestão ruinosa) au détriment des déposants, des investisseurs et autres créanciers, désobéissance illégitime (desobediência ilegitima) à des instructions (determinações) de la BdP et violation des règles sur les conflits d’intérêts, faits survenus entre les années 2009 à 2014. Ces enquêtes furent jointes en une seule procédure à une date non précisée.
13. Des instructeurs du DAS de la BdP furent chargés de l’enquête et, le 25 novembre 2014 et le 24 avril 2018, le requérant fut entendu. Il se prévalut de son droit de garder le silence et se limita à lire une déclaration rédigée par ses soins.
2. Les réquisitions prononcées par le DAS le 5 juillet 2018
14. Le 5 juillet 2018, les instructeurs du DAS de la BdP formulèrent leurs réquisitions (acusação) contre le requérant pour :
. une infraction administrative de gestion ruineuse (gestão ruinosa), sur la base de l’article 211, alinéa l), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous), pour détournement de fonds vers des entités tierces, par l’émission et le placement de titres de la dette de la BES chez des clients de la BES au détriment des déposants, investisseurs et autres créanciers.
. cinq infractions administratives de désobéissance illégitime à des instructions de la BdP édictées spécifiquement au regard de la situation concrète, sur la base de l’article 211, alinéa o), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous) ;
. violation des règles sur les conflits d’intérêts, infraction prévue à l’article 85 du RGICSF et sanctionnable sur la base de l’article 211, alinéa i), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous).
15. Ces réquisitions furent portées à la connaissance du requérant qui fut invité à soumettre, dans un délai de trente jours, son mémoire en défense.
3. La demande de récusation et le jugement rendu le 6 décembre 2018 par le Tribunal de la concurrence, de la règlementation et de la supervision (« TCRS »)
16. Le 23 juillet 2018, le requérant forma auprès de la BdP une demande tendant à la récusation de tous les membres du conseil d’administration de la BdP (à la date de la demande, les membres du conseil d’administration étaient C.C., E.F., L.M.S., H.R., L.L.S. et A.S.) et à l’annulation des actes procéduraux pris dans le cadre de la procédure no 99/14/CO. Il demandait aussi la suspension de la procédure. Invoquant l’article 43 § 1 du code de procédure pénale (« CPP »), applicable conformément à l’article 41 § 1 du Régime général des infractions administratives (« RGCO » - paragraphes 43 et 48 ci-dessous), il alléguait qu’il existait des motifs de croire que l’impartialité des membres du conseil d’administration de la BdP ne pourrait pas être assurée. Il se fondait sur les déclarations faites par C.C. lors de l’annonce de la mesure de résolution le 3 août 2014 et à celles faites dans le cadre d’interviews données aux journaux Expresso les 27 février et 5 mars 2016 et Público le 8 mars 2017 (paragraphes 8‑11 ci‑dessus).
17. À une date non précisée, la demande de récusation fut transmise au TCRS.
18. Les 30 novembre et 6 décembre 2018, le TCRS tint une audience concernant la demande de récusation formulée par le requérant.
19. Par une décision du 6 décembre 2018, le TCRS rejeta la demande. Il estima qu’il y avait lieu d’appliquer l’article 43 du CPP (paragraphe 43 ci‑dessous), conformément à l’article 41 § 2 du RGCO (paragraphe 48 ci‑dessous), au motif que ni RGSI ni le RGCO ne comportaient la moindre disposition en matière de récusation. Quant au fond de la demande, se référant à l’arrêt Grande Stevens et autres c. Italie (nos 18640/10 et 4 autres, 4 mars 2014), il releva tout d’abord que la concentration des pouvoirs d’enquête et de décision entre les mains d’une autorité administrative ne portait pas atteinte au droit à un procès équitable tant qu’un contrôle de pleine juridiction était prévu par la suite. Pour ce qui était des déclarations litigieuses, il estima qu’elles ne concernaient que le gouverneur de la BdP et qu’elles ne pouvaient être imputées aux autres membres du conseil d’administration de la BdP. Le TCRS observa ensuite que, pour autant qu’il s’agissait des déclarations faites par C.C. durant la conférence de presse du 3 août 2014 (paragraphe 8 ci-dessus), il n’existait pas de motifs sérieux et graves permettant de mettre objectivement en doute son impartialité dans le cadre des procédures administratives ouvertes contre le requérant et plus particulièrement la procédure no 99/14/CO. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la décision du TCRS était ainsi libellée :
« 77. (...) la déclaration de résolution de la BES s’analyse en un acte de supervision bancaire qui n’a aucune incidence sur la mise en jeu des responsabilités dans le cadre des procédures administratives [ouvertes par la BdP]. Quant aux déclarations publiques faites par le président du conseil d’administration de la [BdP] au moment de l’annonce de la mesure de résolution et lors des interview accordées à titre personnel, elles ne reflètent pas la moindre orientation, manipulation ou subversion du procès équitable dans le cadre de la procédure administrative no 99/14/CO (...).
78. (...) à aucun moment de telles déclarations n’ont pu constituer un préavis obligatoire (pre-vinculação) par rapport aux faits reprochés au [requérant] au point d’anticiper l’examen de sa responsabilité administrative.
79. Au surplus, de tels actes ou de telles affirmations apparaissent absolument inoffensifs, marginaux et inutiles pour déterminer sa responsabilité administrative.
80. Il existe certes une certaine correspondance entre les circonstances entourant la supervision qui a abouti à l’acte administratif de résolution et l’ouverture d’une procédure administrative qui a pour origine l’enquête conduite sur une éventuelle gestion ruineuse, sur un financement illicite et sur le non-respect d’instructions, à la suite de l’audit annoncé au cours de la conférence du 3 août 2014.
81. [Cela] ne constitue pas pour autant une circonstance sérieuse ou grave. Il s’agit plutôt du résultat prévisible d’une activité administrative indépendante et de la concentration de fonctions entre les mains de la même autorité administrative.
(...)
87. (...) en faisant à la fin une allusion au système de financement frauduleux développé par le GES, [l’annonce du 3 août 2014] semble, [d’après nous], avoir dépassé ce qui était strictement nécessaire à la communication de la décision de résolution en ce sens qu’elle serait sortie des considérations financières à base de la résolution (...).
(...)
90. Malgré tout, nous estimons que le contenu de cette annonce n’est pas suffisant pour conclure à l’existence d’une apparence de parti pris (preconceito) quant à la culpabilité du requérant ni à une apparence externe d’anticipation de la décision finale des procédures administratives à venir, étant donné que le caractère exceptionnel de la mesure de résolution, l’impact financier et le contexte socio-politique qui était celui de la société portugaise en 2014 permettaient à l’annonce de la résolution de s’appuyer sur des éléments non techniques et moins concrets du point de vue discursif en ce qui concerne le cadre de l’intervention radicale opérée par la BdP au sein de celle qui était à ce jour la plus grande banque privée au Portugal.
(...)
92. Aussi, les excès argumentatifs qui ont été relevés n’indiquent pas, d’après nous, (...) que les garanties de la défense à faire valoir dans les éventuelles procédures administratives pussent être gravement et sérieusement compromises par l’intervention du gouverneur de la [BdP] dans cette même annonce du 3 août 2014.
93. En outre, force est de constater que la mention de la « violation claire des instructions émises par la [BdP] et la réalisation d’opérations de financement dans un système frauduleux », c’est-à-dire d’actes implicitement illicites, est formulée de manière vague et générique, sans qu’il y ait le moindre élément concret sur la culpabilité du requérant et sans qu’il puisse en être déduit en outre un parti pris (pre-juízo) qui préjugerait, déterminerait ou lierait (...) la décision collégiale à rendre dans le cadre de la procédure administrative.
(...)
104. (...) [c]ompte tenu du cadre dans lequel l’annonce de la mesure de résolution appliquée à la BES a été publiée, ainsi que des raisons qui en sont à l’origine, qui permettent de contextualiser les excès discursifs (excessos discursivos) mentionnés, auxquels il faut ajouter l’absence [au moment des faits] de toute procédure administrative ou d’indication quant au processus de supervision, on ne peut pas considérer qu’il y ait eu des répercussions publiques ni un retentissement médiatique susceptible, d’un point de vue objectif, de mettre en cause l’intervention du président du conseil d’administration de la [BdP] dans le cadre de l’organe collégial chargé de statuer sur la responsabilité administrative du requérant.
(...)
107. Quant aux déclarations faites aux journaux Expresso et Publico, le requérant (o requerente) se borne à souligner que le président du conseil d’administration de la [BdP] y a affirmé qu’il y avait eu une falsification des comptes dans la gestion du Groupe BES, que le requérant avait perdu la confiance de la [BdP] et qu’il lui avait été communiqué de vive voix qu’il avait perdu l’honorabilité nécessaire, des arguments qui permettaient de défendre la pertinence de ces décisions.
108. On peut certainement accepter que de [telles affirmations] peuvent s’analyser en un certain manque de réserve compte tenu de l’éventuelle répercussion ou incidence, dans le cadre des procédures administratives en cours ou des investigations du superviseur bancaire, des questions évoquées dans ces interviews qui portaient sur la gestion de la BES.
109. Nous ne pouvons ignorer que les interviews s’inscrivent dans le cadre du contrôle public des décisions de la [BdP] relativement à la mesure de résolution et à la perte d’honorabilité, lesquelles sont manifestement des questions d’intérêt public qui méritaient d’être explicitées à chacun.
110. En outre, de telles affirmations, en elles-mêmes et au vu des circonstances relevées dans le cadre de la supervision, n’apparaissent pas fantaisistes ni dénuées de fondement argumentatif. Elles ne dénotent non plus une intention hostile ou malveillante à l’égard du requérant.
(...)
115. Ainsi, la présente demande de récusation, au vu des faits établis, ne fait ressortir aucun élément objectif susceptible d’infirmer l’apparence d’impartialité du président du conseil d’administration de la [BdP] dans le cadre de son intervention dans les procédures administratives pour infractions au RGICSF, notamment en ce qui concerne la procédure administrative no 99/14/CO et les faits litigieux.
(...)
117. (...) [l]es arguments invoqués et les faits établis ne nous permettent pas de conclure que la présomption d’impartialité de chacun des membres du conseil d’administration de la [BdP] puisse être mise en cause dans le traitement des procédures administratives en question, s’agissant du respect intégral des règles du procès équitable dans le cadre duquel d’amples garanties juridictionnelles, avec un recours de pleine juridiction, sont reconnues devant le Tribunal de la concurrence, de la réglementation et de la supervision.
(...) ».
20. À une date non précisée, le requérant interjeta appel de la décision du TCRS devant la cour d’appel de Lisbonne. Il arguait, entre autres, que le recours devait être admis dès lors qu’il soulevait une question nouvelle pour une meilleure application du droit au sens de l’article 73 § 2 du RGCO (paragraphe 48 ci-dessous). Il contestait l’appréciation qui avait été faite par le TCRS dans le cadre de la procédure engagée contre lui, jugeant que la nécessité d’annoncer au public l’adoption d’une mesure prudentielle ne justifiait pas l’atteinte portée au principe de la présomption d’innocence et, par voie de conséquence, à l’impartialité de l’organe chargé de statuer.
21. Par une décision du 11 février 2019, la cour d’appel de Lisbonne déclara le recours irrecevable au motif que les circonstances exceptionnelles de recevabilité du recours énoncées à l’article 73 § 2 du RGCO (paragraphe 48 ci-dessous) n’étaient pas remplies. Elle releva que la décision litigieuse portait non pas sur le fond de l’affaire mais sur une question procédurale, à savoir une récusation sur la base de l’article 43 § 1 du CPP (paragraphe 43 ci-dessous). À titre surabondant, elle considéra qu’il ne s’agissait pas d’une question nouvelle et qu’il existait une ample jurisprudence sur la récusation des juges.
4. La défense du requérant et l’instruction du dossier
a) La défense du requérant
22. Le 1er octobre 2018, le requérant présenta son mémoire en défense à l’aune des réquisitions qui avaient été formulées par le DAS contre lui (paragraphe 14 ci-dessus), dans lequel il arguait plusieurs irrégularités procédurales, contestait ces réquisitions, preuves à l’appui, et demandait par ailleurs l’audition de 19 témoins pour sa défense.
b) L’instruction du dossier
23. Le 20 juillet 2020, les fonctions de gouverneur de la BdP exercées par C.C. prirent fin, et il fut remplacé par M.C.
24. Au cours de l’enquête, les instructeurs entendirent les accusés et 58 témoins, tant de l’accusation que de la défense. Ils examinèrent également un ensemble de documents supplémentaires qui avaient été transmis par la BdP et la BES et sur lesquels le requérant avait préalablement eu la possibilité de se prononcer.
25. Le 21 août 2020, six rapporteurs du DAS établirent un rapport d’enquête, d’une longueur de 867 pages.
26. Le 2 septembre 2020, conformément à l’article 220 § 1 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous), le directeur du DAS établit une proposition de décision qu’il transmit au vice-gouverneur de la BdP, L.M.S., en sa qualité de responsable du DAS (paragraphe 49 ci-dessous).
5. La décision rendue par le conseil d’administration de la BdP le 8 septembre 2020
27. Le 8 septembre 2020, le conseil d’administration de la BdP rendit sa décision, conformément à l’article 213 § 2 du RGICSF (paragraphe 47 ci‑dessous) et à l’article 34 § 1 de la loi organique de la BdP (paragraphe 45 ci‑dessous). S’étant fondée sur le rapport et la proposition de décision du DAS (paragraphes 25 et 26 ci-dessus) et ayant procédé à une analyse approfondie de la structure du GES et du GBES et des membres des organes sociaux appartenant aux sociétés du groupe (paragraphe 5 ci-dessus), la BdP jugea établis l’ensemble des faits reprochés au requérant.
28. La BdP releva, entre autres, que la BES avait, le 3 août 2014, fait l’objet d’une mesure de résolution dont le préambule se lisait comme suit :
« (...)
Le 30 juillet 2014, la [BES] a divulgué (...) les résultats du [GBES] relatifs au premier semestre de 2014, faisant apparaître une perte de 3 577,3 millions d’euros. Les résultats divulgués le 30 juillet ont pour causes des actes de gestion gravement préjudiciables aux intérêts de la [BES] et le non-respect d’instructions de la [BdP] qui interdisaient d’accroître l’exposition à d’autres entités du GES.
(...) »
29. Pour ce qui est du chef tiré de l’article 211, alinéa l), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous), elle jugea établi que le requérant avait mis en place, par le biais d’une société financière suisse, un circuit fermé tendant au financement de la dette des sociétés appartenant au GES, en vendant des obligations financières de cette même société financière à des clients de la BES. Plus particulièrement, elle reconnut notamment que, en sa qualité de président du comité exécutif du BES, le requérant avait approuvé l’émission d’au moins 52 obligations financières de ce type. Elle nota que celles-ci avaient généré, au détriment de la BES, des plus-values en faveur de la société financière intermédiaire dès lors qu’elles étaient vendues à un prix plus élevé que le prix d’achat. Elle releva que ces plus-values avaient ensuite servi à payer la dette de sociétés du GES. Elle conclut que le requérant avait ainsi sacrifié le patrimoine de la BES, au détriment des déposants, investisseurs et autres créanciers de la BES, à son propre profit et au profit du GES, ce qui était constitutif de l’infraction administrative de gestion ruineuse visée à l’article 211, alinéa l), du RGICSF.
30. En ce qui concerne les chefs tirés de l’article 211, alinéa o), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous), la BdP releva que, en octobre 2013, elle avait lancé une opération ETRICC (paragraphe 8 ci-dessus) pour faire la lumière sur l’exposition des huit groupes bancaires nationaux à un ensemble de groupes économiques. Elle constata que cette opération avait permis de déceler l’exposition risquée de l’ESFG à la dette de l’ESI, qui s’élevait alors à près de 6 milliards d’euros. Elle observa que, pour remédier à la situation, le requérant avait, en sa qualité de président du conseil d’administration de l’ESFG ainsi que de président du conseil d’administration et de président du comité exécutif de la BES, reçu par écrit les instructions suivantes :
. éliminer l’exposition de l’ESFG et de la BES à la dette de l’ESI et créer un compte escrow pour garantir le paiement de leurs dettes (instructions données le 3 décembre 2013) ;
. interdiction d’accorder des financements de façon directe ou indirecte aux sociétés financières du GES ne faisant pas partie du GBES (instruction du 30 juin 2014) ;
. interdiction aux sociétés du GBES d’accorder des financements de façon directe ou indirecte aux sociétés non financières du GES (instruction du 14 février 2014) ;
. interdiction de vendre de façon directe ou indirecte des titres de dettes des sociétés du secteur non financier du GES à des clients au détail du groupe BES et de toute société de ce groupe (instruction du 4 juin 2014) ;
. renforcement des garanties entourant le financement accordé par l’ESFG à l’ESI.
Elle releva que ces instructions avaient été rappelées à plusieurs reprises à la BES par courrier mais que celle-ci ne les avaient pas respectées.
31. La BdP condamna le requérant à :
. une amende administrative (coima) de 2 000 000 euros (« EUR ») pour une infraction administrative de gestion ruineuse au détriment des déposants, investisseurs et autres créanciers de la BES, sur la base de l’article 211, alinéa l), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous), eu égard à l’extrême gravité des faits et des préjudices causés à la BES, ainsi qu’à ses clients, investisseurs et créanciers ;
. cinq amendes administratives d’un montant allant de 750 000 à 1 000 000 EUR pour cinq infractions administratives de désobéissance illégitime à des instructions de la BdP, sur la base de l’article 211, alinéa o), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous) ;
. une amende administrative de 750 000 EUR pour une infraction administrative de violation des règles sur les conflits d’intérêts visées aux articles 85 et 211, alinéa i), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous).
Conformément à l’article 19 du RGCO (paragraphe 48 ci-dessous), le conseil d’administration de la BdP fixa le montant de l’amende administrative globale à 4 000 000 EUR.
En outre, la BdP prononça contre le requérant, sur le fondement de l’article 212 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessous), les deux sanctions accessoires suivantes :
– la publication de la sanction définitive, et
– une incapacité d’exercer des fonctions sociales, de direction, de gestion ou d’administration dans un établissement de crédit ou une société financière pendant cinq ans.
Le requérant fut avisé de cette décision le 16 septembre 2020
2. Le recours formé par le requérant devant le TCRS contre la décision de la BdP
32. Le 12 octobre 2019, le requérant attaqua la décision de la BdP devant le TCRS. Dans le cadre du recours ainsi formé, il demandait la récusation de C.C. en sa qualité de gouverneur de la BdP.
33. Par une décision du 12 mars 2020, le TCRS rejeta la demande de récusation au motif qu’elle était tardive et inutile dès lors que C.C. n’était plus gouverneur de la BdP (paragraphe 23 ci-dessus).
34. À des dates non précisées, le TCRS tint 23 audiences au cours desquelles il entendit le requérant et les coaccusés ainsi que les témoins qui avaient été désignés par eux ainsi que par la BdP.
35. Le 11 janvier 2021, le TCRS ordonna la jonction de la procédure avec la procédure 87/14/CO qui était elle aussi en cours devant lui au motif que les faits visés par les procédures étaient liés.
36. Le 30 septembre 2021, au bout d’une analyse critique de l’ensemble des moyens de preuve à la base de la décision de la BdP et s’étant fondé sur l’ensemble des éléments produits devant lui, le TCRS rejeta l’appel du requérant et confirma sa condamnation à une amende administrative globale de quatre millions d’euros pour les deux procédures administratives et aux deux sanctions accessoires appliquées par la BdP (paragraphe 31 ci-dessus). Il statua ainsi en tenant compte de la perte de trois milliards d’euros causée à la BES et du risque pour le système qui avait abouti à la mesure de résolution appliquée à son encontre. Quant aux infractions de non-respect des instructions qui avaient été données par la BdP, il retint notamment que le requérant était vice-président du conseil d’administration et président du comité exécutif de la BES et qu’il était aussi président du conseil d’administration et administrateur non exécutif de l’ESFG. Il releva que la BdP avait appliqué l’amende maximale prévue pour l’infraction de gestion ruineuse, ce qui, à ses yeux, était effectivement justifié compte tenu de la perte de milliards d’euros qu’il avait causée et du fait que le détournement de fonds litigieux avait duré, en toute opacité, pendant cinq ans. Il considéra aussi que l’intervention de l’État avait été nécessaire, ce qui avait également porté préjudice aux contribuables portugais. À cet égard il nota qu’aucun élément ne militait en faveur du requérant.
3. L’appel formé par le requérant devant la cour d’appel de Lisbonne
37. Le 20 octobre 2021 le requérant releva appel du jugement du TCRS devant la cour d’appel de Lisbonne. Il contestait l’amende administrative globale qui lui avait été appliquée, arguait de plusieurs nullités et plaidait l’illégalité de la décision du TCRS du 12 mars 2020 rejetant sa demande de récusation (paragraphe 33 ci‑dessus). Il sollicita la tenue d’une audience publique mais il fut débouté de sa demande au motif qu’il avait déjà été entendu par le TCRS et que le champ de l’appel était limité aux questions de droit relatives à des infractions administratives dans un domaine financier revêtant un caractère hautement technique.
38. Le 24 février 2022 la cour d’appel de Lisbonne débouta le requérant et confirma dans son intégralité le jugement rendu par le TCRS. En ce qui concernait le rejet de la demande de récusation du gouverneur C.C., elle releva, à titre surabondant, que la question n’avait eu aucune incidence sur le fond de la décision du TCRS, lequel avait statué en fait et en droit, avec production de preuves, sans aucune intervention de C.C.
4. Le recours constitutionnel du requérant
39. Par une décision sommaire rendue le 18 mai 2022 en formation de juge unique, le Tribunal constitutionnel déclara irrecevable un recours constitutionnel formé par le requérant. Le 14 juillet 2022, un comité de trois juges du tribunal constitutionnel confirma l’irrecevabilité de ce recours.
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. La Constitution
40. Les droits procéduraux en matière pénale sont énoncés à l’article 32 de la Constitution. Aux termes du paragraphe 10 de cet article, dans toute procédure relative à une infraction administrative, l’accusé dispose du droit à une audience et du droit de se défendre (direito de defesa).
41. L’article 102 de la Constitution dispose que la BdP est la banque centrale portugaise et qu’elle exerce ses fonctions conformément à la loi et aux textes internationaux qui lient l’État portugais.
2. Le code pénal (CP)
42. L’article 1 § 1 du CP se lit ainsi :
« Ne peut être réprimé pénalement que l’acte visé et déclaré punissable par une loi antérieure au moment où il a été commis. »
3. Le code de procédure pénale (CPP)
43. L’article 43 du CPP est ainsi libellé :
« 1. L’intervention d’un juge dans le cadre d’une procédure peut être récusée lorsqu’elle risque d’être considérée comme suspecte parce qu’il existe une raison sérieuse et grave de douter de son impartialité.
2. L’intervention d’un juge dans le cadre d’une autre affaire ou dans l’une des phases antérieures de la même procédure (...) peut constituer l’un des motifs de récusation au sens du paragraphe 1 du présent article.
3. La récusation peut être demandée par le ministère public, l’accusé, l’assistente ou les parties civiles.
4. Le juge ne peut se déclarer volontairement suspect (suspeito) mais il peut demander au tribunal compétent de récuser son intervention lorsque sont vérifiées les conditions énoncées aux paragraphes 1 et 2. »
4. Le Code de procédure administrative
44. Aux termes de l’article 32 § 1 du code de procédure administrative, les décisions des organes collectifs de l’administration publique sont prises à la majorité absolue des votes de membres présents à la réunion, sauf disposition légale ou réglementaire contraire.
5. La loi organique de la BdP
45. La loi no 5/98 du 31 janvier 1998 régit la loi organique de la BdP. Dans leur rédaction en vigueur au moment des faits, issue du décret‑loi no 142/2013 du 18 octobre 2013, les dispositions pertinentes cette loi se lisaient comme suit :
Article 3
« 1. La [BdP], en tant que banque centrale portugaise, a pour attribution principale le maintien de la stabilité des prix, compte tenu de la politique économique globale du Gouvernement.
(...) »
Article 17
« 1. La [BdP] supervise les établissements de crédit, les sociétés financières et autres entités qui leur sont sujettes, en établissant notamment des directives pour leur action (atuação) et pour assurer les services de centralisation des risques de crédit, et en adoptant également à leur égard des mesures d’intervention préventive et corrective conformément à la législation qui régit la supervision financière.
2. La [BdP] participe également, dans le cadre du mécanisme de surveillance unique, à la définition des principes, des normes et des procédures de surveillance prudentielle des établissements de crédit, et exerce cette supervision conformément à la législation applicable et selon les modalités prévues par celle-ci. »
Article 17-A § 1
« La [BdP] exerce les fonctions d’autorité de résolution nationale, ce qui comprend, outre les pouvoirs prévus dans la législation applicable, ceux d’élaborer des plans de résolutions, d’appliquer des mesures de résolution et d’ordonner l’élimination de tout obstacle à l’application de telles mesures, conformément à la législation applicable et dans les limites prévues par celle-ci. »
Article 27 § 7
« Le gouverneur et les autres membres du conseil d’administration jouissent d’une indépendance conformément aux Statuts du Système européen des banques centrales et de la Banque centrale européenne (SEBC/BCE). Ils ne peuvent solliciter d’instructions auprès des institutions communautaires, des organes de l’État (órgãos de soberania) ou de toute autre institution, ni en recevoir d’eux. »
Article 33
« 1. Le conseil d’administration est composé du gouverneur, qui le préside, par un ou deux vice-gouverneurs et par trois à cinq administrateurs.
2. Le mandat des membres du conseil d’administration dure cinq ans, il est renouvelable une fois pour la même durée par une résolution du Conseil des Ministres.
3. Les membres du conseil d’administration sont inamovibles (...) »
Article 34
« 1. Le conseil d’administration prend tous les actes qui sont nécessaires à la poursuite des objectifs de la [BdP] et qui ne relèvent pas de la compétence exclusive d’autres organes.
2. Le conseil d’administration peut déléguer (...) des pouvoirs à un ou plusieurs de ses membres ou à des employés de la [BdP] et autoriser la sous-délégation de ces pouvoirs en fixant, dans chaque cas, les limites respectives et les conditions. »
6. Le régime général des établissements de crédit et des sociétés financières (le « RGICSF »)
46. Le RGICSF a été approuvé par le décret-loi no 298/92 du 31 décembre 1992. Il régit l’accès aux établissements de crédit et aux sociétés financières, l’exercice par ceux-ci de leurs activités ainsi que leur supervision (article 1). Tout établissement de crédit est soumis à une autorisation de la BdP (article 16), qui est la banque centrale portugaise (article 92). En cette qualité, celle-ci surveille l’activité desdits établissements et des sociétés financières, en coopérant notamment avec les autorités qui sont rattachés au Système européen de surveillance financière (« SESF ») ou au Comité européen du risque systémique (« CERS » - article 93). Dans le cadre de cette mission, il lui revient plus particulièrement d’assurer le suivi de l’activité des établissements de crédit et de contrôler le respect des normes qui encadrent l’activité en question, d’émettre des instructions (determinações) pour remédier aux irrégularités détectées et de sanctionner les infractions commises (article 116).
47. Dans leur rédaction issue du décret-loi no 31-A/2012 du 10 février 2012, en vigueur au moment des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce du RGICSF se lisaient ainsi :
Article 85
Octroi de prêts à des organes sociaux
« 1. (...) les établissements de crédit ne peuvent accorder directement ou indirectement des prêts, sous quelque forme ou modalité que ce soit, y compris par la prestation de garanties, aux membres de ses organes d’administration ou de surveillance, ni à des sociétés ou autres personnes morales contrôlées directement ou indirectement par eux.
(...) ».
Article 93
Supervision
« 1. La supervision des établissements de crédits, des sociétés financières, des sociétés financières mixtes, plus particulièrement leur supervision prudentielle, y compris en ce qui concerne les activités qu’ils exercent à l’étranger, incombe à la [BdP], conformément à sa loi organique et au présent régime général.
(...)
3. La [BdP], dans l’exercice de ses compétences, évalue l’impact potentiel de ses décisions sur la stabilité du système financier de tous les autres États membres de l’Union européenne intéressés, en particulier dans des situations d’urgence, en tenant compte des informations dont elle dispose à chaque instant.
(...)
6. L’exercice des autres attributions légales de la [BdP] ne doit pas empiéter sur ni porter préjudice à l’exercice de ses pouvoirs légaux de supervision, notamment dans le cadre de l’Autorité bancaire européenne ou du Comité européen du risque systémique. »
Article 116
Procédure de supervision
« 1. Dans l’exercice de ses fonctions de supervision, il incombe spécialement à la [BdP] :
a) d’accompagner l’activité des établissements de crédit, des sociétés financières et des sociétés financières mixtes ;
b) de veiller au respect des normes qui régissent l’activité des établissements de crédit, des sociétés financières et des sociétés financières mixtes, notamment en examinant le respect des règles établies dans le présent régime ;
c) d’émettre des instructions spécifiques dirigées à des personnes morales ou physiques, notamment pour qu’elles adoptent un comportement déterminé, cessent une conduite déterminée ou s’abstiennent de la répéter pour permettre aux irrégularités détectées d’être réparées ;
(...)
e) d’émettre des recommandations ;
f) de réglementer l’activité des entités qu’elle supervise ;
g) de sanctionner les infractions.
2. La [BdP] peut exiger la réalisation d’audits spéciaux par une entité indépendante, désignée par elle, à la charge de l’établissement visé par l’audit. »
Article 145-A
Finalités des mesures de résolution
« La BdP peut appliquer, relativement à des établissements de crédits siégeant au Portugal, les mesures prévues au présent chapitre dans l’un quelconque des buts suivants :
a) Assurer la continuité de la prestation des services financiers essentiels ;
b) Prévenir le risque systémique ;
c) Sauvegarder les intérêts des contribuables et du Trésor Public ;
d) Préserver la confiance des épargnants. »
Article 145-C
Application de mesures de résolution
« 1. Lorsqu’un établissement de crédit ne satisfait pas, ou risque de ne pas satisfaire, aux exigences du maintien de l’autorisation d’exercice de son activité, la BdP peut appliquer les mesures de résolution suivantes, si cela est indispensable à la poursuite de l’un quelconque des objectifs visés à l’article 145-A :
a) Vente partielle ou totale de l’activité à un autre établissement autorisé à exercer l’activité en cause ;
b) Transfert, partiel ou total, de l’activité à une ou plusieurs banques relais.
2. Les mesures de résolution sont appliquées si la [BdP] considère qu’il n’est pas prévisible que l’établissement de crédit parvienne, dans un délai approprié, à exécuter les mesures nécessaires pour revenir aux conditions adéquates de solidité et de respect des ratios prudentiels.
3. Aux fins du paragraphe 1 du présent article, un établissement de crédit est réputé présenter un risque sérieux de ne pas satisfaire aux exigences du maintien de l’autorisation d’exercer son activité lorsque, parmi d’autres faits pouvant être retenus, dont la BdP appréciera la pertinence à la lumière des objectifs énoncés à l’article 145‑A, l’une des situations suivantes est constatée :
a) L’établissement de crédit a subi ou risque raisonnablement de subir à bref délai des pertes risquant de consommer son capital social ;
b) Le montant des actifs de l’établissement de crédit est devenu inférieur à celui de ses obligations ou risque raisonnablement de le devenir à bref délai ;
c) L’établissement de crédit se trouve dans l’impossibilité de remplir ses obligations ou risque raisonnablement de s’y trouver à bref délai.
4. L’application de mesures de résolution ne dépend pas de l’application préalable de mesures d’intervention correctrice.
5. L’application d’une mesure de résolution n’a aucune incidence sur la possibilité d’application, à tout moment, d’une ou de plusieurs mesures d’intervention correctrice. »
Article 211
Infractions spécialement graves
« Sont punies d’une amende d’un montant allant de 10 000 euros (EUR) à 5 000 000 EUR ou de 4 000 EUR à 2 000 000 EUR, selon qu’elle est appliquée à une personne morale ou à une personne physique, les infractions exposées ci-après.
i) Les infractions aux règles sur les conflits d’intérêts aux termes [de l’article 85] (...) ;
(...)
l) les actes frauduleux de gestion ruineuse (gestão ruinosa) des membres des organes sociaux préjudiciables aux déposants, investisseurs et autres créanciers ;
(...)
o) La désobéissance illégitime a des instructions (determinações) de la [BdP] dictées spécifiquement, aux termes de la loi, pour l’affaire individuelle considéré, ainsi que la pratique d’actes requérant légalement l’avis préalable de la Banque du Portugal, quand celle-ci a manifesté son opposition (...). »
Article 212
Sanctions accessoires
« 1. En complément des amendes administratives prévues à [l’article 211], les sanctions suivantes pourront être appliquées à l’auteur de l’infraction :
(...)
b) la publication par la BdP de la sanction définitive ;
c) lorsque l’accusé est une personne physique, l’incapacité d’exercer des fonctions sociales, d’administration, de direction ou de gestion dans un établissement de crédit ou une société financière, (...) pendant une durée allant de un à dix ans, dans les cas prévus à l’article 211.
(...)
2. Les publications indiquées au paragraphe précédent seront faites au Journal Officiel ou dans l’un des journaux les plus lus (...) du lieu de résidence [de l’auteur de l’infraction, s’il s’agit d’une personne physique]. »
Article 213
Compétence
« 1. La Banque du Portugal traite les infractions administratives prévues dans le présent texte et applique les sanctions correspondantes.
2. La décision relativement à l’affaire revient au conseil d’administration de la Banque du Portugal.
3. Au cours de la procédure de vérification (averiguação) ou d’instruction, la Banque du Portugal peut solliciter la collaboration des autorités policières ou de n’importe quels autres services publics ou autorités pour les besoins de la procédure. »
Article 220 § 1
Décision
« Après la réalisation des démarches de vérification et d’instruction nécessaires à la suite de la défense, le dossier de la procédure est soumis à l’entité chargée de statuer, accompagné d’un avis (parecer) sur les infractions qui doivent être considérées comme établies ainsi que sur les sanctions qui leur sont applicables.
(...) ».
Article 229
Tribunal compétent
« Le Tribunal de la concurrence, de la réglementation et de la supervision est le tribunal compétent pour connaître de tout recours, toute révision et toute exécution des décisions ou de toute autre mesure prise par la [BdP] dans le cadre d’une procédure administrative, légalement susceptibles de recours juridictionnel. »
Article 232
Application du régime général
« Le régime général des infractions administratives s’applique aux infractions prévues dans le présent chapitre, sauf disposition contraire. »
7. Le régime général des infractions administratives (« RGCO »)
48. Le décret-loi nº 433/82 du 27 octobre 1982 fixe le RGCO. Ses dispositions pertinentes en l’espèce sont libellées comme suit :
Article premier
« Une infraction administrative se définit par tout acte illicite et répréhensible prévu par la loi auquel est appliquée une sanction administrative. »
Article 18 § 1
Détermination de la sanction administrative
« La sanction administrative est déterminée en fonction de la gravité de l’infraction administrative, de la culpabilité de l’auteur de l’infraction, de sa situation économique et du bénéfice économique qu’il a retiré de l’infraction administrative. »
Article 19
Concours d’infractions administratives
« 1. Quiconque commet plusieurs infractions administratives est sanctionné d’une amende administrative [dont le montant ne peut dépasser] la limite maximale [correspondant à] la somme des amendes administratives fixées pour chacune des infractions en concours.
2. Le montant de l’amende administrative infligée ne peut dépasser le double de la limite maximale la plus élevée encourue pour les infractions administratives en concours.
3. Le montant de l’amende administrative infligée ne peut être inférieur à celui de l’amende la plus lourde encourue pour les infractions en concours. »
Article 41
Droit subsidiaire
« 1. Les dispositions régissant la procédure pénale s’appliquent, dûment adaptées, sauf si le présent texte en dispose autrement.
2. Dans la procédure d’application de la sanction administrative et des sanctions accessoires, les autorités administratives jouissent des mêmes droits et sont soumises aux mêmes obligations que les autorités compétentes en matière de procédure pénale, sauf si le présent texte en dispose autrement. »
Article 73
Décisions judiciaires susceptibles d’appel
« 1. Il est possible de faire appel devant la cour d’appel d’un jugement ou d’une décision judiciaire rendus (...) lorsque :
a) Une amende administrative d’un montant supérieur à 249,40 EUR a été appliquée à l’accusé ;
b) La condamnation de l’accusé comprend des sanctions accessoires ;
c) L’accusé a été acquitté ou la procédure a été clôturée lorsque l’autorité administrative a appliqué une amende administrative d’un montant supérieur à 249,40 EUR ou lorsque cette amende administrative a été réclamée par le ministère public ;
d) Le recours juridictionnel (impugnação judicial) [contre la décision administrative] a été rejeté ;
e) Le tribunal a statué par décision ordinaire (despacho) malgré l’opposition de l’appelant à cet égard.
2. Outre les cas mentionnés au paragraphe précédent, la cour d’appel peut, à la demande de l’accusé ou du ministère public, accepter l’appel formé contre le jugement lorsque cela s’avère manifestement nécessaire au regard du droit à la promotion de l’uniformité de la jurisprudence.
(...) »
Article 75 § 1
Étendue et effet du recours
« La deuxième instance ne peut connaître que des points de droit, sauf si le présent texte en dispose autrement. Sa décision n’est pas susceptible de recours. »
8. La décision no 909/2017 rendue leS 8 septembre et 3 octobre 2017
49. Par une décision du conseil d’administration de la BdP (no 909/2017) rendue les 8 septembre et 3 octobre 2017, le DAS fut mis sous la responsabilité de son vice-gouverneur, L.M.S., à qui il délégua, entre autres, les pouvoirs de désigner l’instructeur de toute procédure relative à une infraction administrative, de décider de la réalisation d’inspections ou de vérifications, d’émettre des instructions spécifiques dans le cadre des questions relevant du DAS et de vérifier si elles ont été respectées.
50. Par une décision du 21 novembre 2017, les pouvoirs susmentionnés furent sous-délégués au directeur du DAS, J.R., avec effet à compter du 21 juin 2016.
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 §§ 1 et 2 DE LA CONVENTION
51. Le requérant allègue que, compte tenu des propos tenus publiquement contre lui par le Gouverneur de la BdP (paragraphes 8-11 ci-dessus), sa cause n’a pas été examinée équitablement par un tribunal indépendant et impartial et que son droit à la présomption d’innocence a été méconnu, en violation de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention qui, en ses parties pertinentes en l’espèce, se lit ainsi :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...).
2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »
1. Sur la recevabilité
1. Sur l’exception d’incompatibilité ratione materiae du Gouvernement
a) Arguments des parties
1. Le Gouvernement
52. Le Gouvernement soulève une exception d’incompatibilité ratione materiae. Il estime que la procédure administrative menée par la BdP contre le requérant ne peut être qualifiée de « pénale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Se fondant sur les critères « Engel » (paragraphe 57 ci-dessous), il fait valoir que les infractions administratives pour lesquelles le requérant a été condamné ne relèvent pas du droit pénal selon le droit interne, celui-ci faisant une distinction claire entre les infractions pénales, qui incomberaient aux autorités judiciaires, et les infractions administratives, qui incomberaient aux autorités administratives indépendantes spécialisées dans le domaine en question. Il se réfère sur ce point à la décision Inocêncio c. Portugal ((déc), no 43862/98, CEDH 2001‑I). Il observe que le législateur a délibérément voulu ne pas attribuer de caractère pénal aux infractions administratives. Il expose que l’article 1 du CP (paragraphe 42 ci-dessus) définit ainsi l’infraction pénale par tout comportement visé et déclaré punissable alors que l’article premier du RGCO dispose qu’une infraction administrative est tout acte illicite et répréhensible prévu par la loi qui est punissable d’une sanction administrative (paragraphe 48 ci-dessus). Il ajoute que les normes procédurales applicables en matière d’infractions administratives sont distinctes de celles de la procédure pénale, même si, en cas de lacune, le CPP s’applique subsidiairement et de façon ponctuelle, comme le confirme selon lui la présente espèce en ce qui concerne la demande de récusation formulée par le requérant dans le cadre de la procédure engagée contre lui par la BdP (paragraphe 19 ci-dessus).
53. Le Gouvernement observe ensuite que les dispositions du RGICSF visées en la présente espèce s’appliquent à une catégorie de personnes particulière : celles qui administrent ou dirigent des établissements de crédit ou des sociétés financières et qui ont placé ces entités de façon délibérée sous le contrôle de l’autorité administrative. Il explique que la procédure incombe à la BdP, une autorité administrative qui dispose, en vertu de l’article 17 de la loi organique de la BdP (paragraphe 45 ci-dessus), de pouvoirs de supervision, de régulation et de résolution, ainsi que, en vertu de l’article 213 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus), de pouvoirs répressifs dont le but est de protéger et garantir la confiance dans le système financier ainsi que de protéger les déposants, investisseurs et créanciers. Il en conclut que les sanctions administratives, contrairement aux sanctions pénales, ont une finalité non pas répressive, mais plutôt restauratrice, en ce qu’elles viseraient à la restauration et au rétablissement de la confiance dans le bon fonctionnement du secteur en cause.
54. Pour ce qui est du degré de sévérité des sanctions applicables aux infractions administratives, le Gouvernement relève qu’elles sont punies non pas d’une peine d’emprisonnement mais uniquement d’une amende administrative, et qu’elles sont donc de nature seulement pécuniaire. Il ajoute que le non-paiement de l’amende ne peut pas se substituer par une peine d’emprisonnement. Pour ce qui est de l’amende administrative appliquée au requérant, il note que, bien que 4 millions d’euros soit une somme impressionnante, on ne saurait oublier qu’en l’occurrence elle est proportionnée au dommage causé par la BES, évalué à trois milliards d’euros, qui a nui à la confiance du public et à la crédibilité des établissements de crédit. Il note, par ailleurs, qu’en l’espèce, les sanctions accessoires appliquées étaient limitées en ce qu’elles ne portaient que sur la capacité du requérant à exercer ses fonctions (paragraphe 31 ci-dessus), sans risque pour lui de privation de liberté.
55. Pour finir, le Gouvernement souligne que les sanctions administratives ne sont pas inscrites au casier judiciaire de l’intéressé.
2. Le requérant
56. Le requérant conteste l’exception du Gouvernement. Il estime que la procédure administrative engagée par la BdP concernait une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Pour étayer sa thèse, il relève que l’article 32 § 10 de la Constitution reconnaît que les garanties procédurales en matière pénale s’appliquent à toute procédure administrative engagée par une autorité administrative (paragraphe 40 ci‑dessus).
b) Appréciation de la Cour
1. Principes généraux
57. L’« accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 est une notion autonome (Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 122, 6 novembre 2018). Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’existence d’une « accusation en matière pénale » doit s’apprécier sur la base de trois critères, couramment dénommés « critères Engel » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22, et Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall c. Islande [GC], nos 68273/14 et 68271/14, § 75, 22 décembre 2020). Le premier de ces critères est la qualification juridique de l’infraction en droit interne, le second la nature même de l’infraction et le troisième le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé. Les deuxième et troisième critères sont alternatifs, et pas nécessairement cumulatifs. Cela n’empêche pas l’adoption d’une approche cumulative si l’analyse séparée de chaque critère ne permet pas d’aboutir à une conclusion claire quant à l’existence d’une accusation en matière pénale (voir, entre autres, Ezeh et Connors c. Royaume-Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 82, CEDH 2003‑X, Jussila c. Finlande [GC], no 73053/01, §§ 30‑31, CEDH 2006‑XIV, et Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall, précité, §§ 75, 77-78). Le fait qu’une personne n’encourt pas une peine d’emprisonnement n’est pas en lui-même déterminant aux fins de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la Convention car, comme la Cour l’a souligné à maintes reprises, la faiblesse relative de l’enjeu ne saurait ôter à une infraction son caractère pénal intrinsèque (Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 122, Gestur Jónsson et Ragnar Halldór Hall, précité, § 78, et Vegotex International S.A. c. Belgique [GC], no 49812/09, § 67, 3 novembre 2022).
2. Application de ces principes à la présente espèce
58. À l’aune des critères Engel exposés ci‑dessus, la Cour constate que la procédure qui s’est tenue devant la BdP n’était pas qualifiée de « pénale » en droit interne, ainsi que l’a d’ailleurs observé le Gouvernement (paragraphe 52 ci-dessus). Elle relève ensuite que la BdP est la banque centrale du Portugal, comme l’indiquent l’article 102 de la Constitution, l’article 3 de la loi organique de la BdP et l’article 92 du RGICSF (paragraphes 41, 45 et 47 ci-dessus). En cette qualité, selon l’article 17 § 2 de sa loi organique, la BdP participe, dans le cadre du mécanisme de surveillance unique, à la définition des principes, des normes et des procédures de surveillance prudentielle applicables aux établissements de crédit (paragraphe 45 ci-dessus). Elle est donc investie d’une mission d’intérêt général consistant en la sauvegarde de la stabilité du système financier en vue d’éviter toute répercussion sur le système (voir, à cet égard, Freire Lopes c. Portugal (déc.), no 58598/21, § 58, 31 janvier 2023), comme l’a aussi observé aussi le Gouvernement (paragraphe 53 ci‑dessus). Aux yeux de la Cour, il s’agit là d’intérêts généraux de la société normalement protégés par le droit pénal (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, § 96, 4 mars 2014, et Edizioni Del Roma Societa Cooperativa A.R.L. et Edizioni del Roma S.R.L. c. Italie, nos 68954/13 et 70495/13, § 41, 10 décembre 2020, avec les références qui y sont citées).
59. Pour ce qui est du degré de sévérité de la sanction, la Cour note que, si les infractions administratives en cause, qualifiées de « spécialement graves » par l’article 211 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus), n’étaient pas passibles d’une peine d’emprisonnement, ledit article, dans sa version en vigueur au moment des faits, prévoyait une amende administrative pouvant, en ce qui concerne les personnes physiques, aller de 4 000 EUR, à 2 000 000 EUR, pour chaque infraction administrative. Elle est d’avis qu’il s’agissait de sommes non négligeables. De plus, elle constate que cette amende administrative pouvait être assortie de sanctions accessoires, consistant notamment en une incapacité d’exercer des fonctions sociales, d’administration, de direction ou de gestion dans un établissement de crédit ou une société financière, sur la base de l’article 212 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus). Le caractère punitif des sanctions encourues dans le cadre de la procédure diligentée par la BdP paraît donc évident, de sorte que la Cour ne partage pas l’avis du Gouvernement selon lequel les sanctions administratives n’avaient que des fins restauratrices (paragraphe 53 in fine ci‑dessus).
60. À la lumière de l’ensemble de ces considérations, la Cour estime que les normes sur lesquelles se fondait la procédure en question poursuivaient un but à la fois préventif et répressif (comparer avec Grande Stevens et autres, précité, § 96, Edizioni Del Roma Societa Cooperativa A.R.L. et Edizioni del Roma S.R.L., précité, § 41, et Costa Santos c. Portugal (déc.), no 64144/14, § 61, 19 septembre 2023). La procédure engagée par la BdP contre le requérant portait donc sur une « accusation en matière pénale » dirigée contre l’intéressé, au sens autonome de cette notion dans le cadre de la Convention.
61. Eu égard aux observations qui précèdent, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement (paragraphe 52 ci‑dessus), l’article 6 § 1 étant en l’espèce applicable sous son volet pénal.
2. Autres motifs d’irrecevabilité
62. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.
2. Sur le fond
1. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du manque d’impartialité de la BdP
a) Arguments des parties
1. Le requérant
63. Le requérant allègue que les déclarations faites par C.C., le gouverneur de la BdP devant les organes de presse, avant l’ouverture de la procédure par la BdP et alors que celle-ci était en cours (paragraphes 8-11 ci-dessus), ont fait naître des doutes quant à l’indépendance et l’impartialité objective de la BdP, étant donné que ces déclarations faisaient mention des faits qui lui étaient reprochés.
64. Il observe que l’excès des propos tenus a été reconnu par le TCRSF dans sa décision relative à sa demande de récusation (paragraphe 19 ci-dessus). Il en conclut que son droit à un procès équitable a été méconnu.
2. Le Gouvernement
65. Le Gouvernement conteste l’allégation du requérant selon laquelle la BdP a manqué d’impartialité dans l’analyse de l’affaire engagée contre lui.
66. À titre préliminaire, il expose que la BdP est la banque centrale du Portugal et qu’en tant que telle, elle fait partie du Système européen des banques centrales (« SEBC »). Il note que le gouverneur et les membres du conseil d’administration sont désignés par le Conseil des Ministres, sur la proposition du ministre des Finances, après avoir été entendus par une commission parlementaire, et qu’ils sont indépendants, conformément à l’article 27 § 7 de la loi organique de la BdP (paragraphe 45 ci-dessus).
67. Pour ce qui est du déroulement de la procédure, il explique que c’est au conseil d’administration de la BdP que revient la décision d’ouvrir toute procédure pour infraction au RGICSF et que c’est lui aussi qui statue à l’issue de celle-ci, conformément à l’article 213 §§ 1 et 2 du RGICSF et à l’article 17 de la loi organique de la BdP (paragraphes 47 et 45 ci-dessus). Il observe que l’instruction du dossier est revenue au DAS sur la base d’une délégation des pouvoirs du membre du conseil d’administration compétent, qui a été suivie d’une sous-délégation par ce dernier aux dirigeants du DAS conformément à la délibération no 909/2017 et d’une décision rendue en novembre 2017 (paragraphes 49-50 ci-dessus). Il explique que, comme le dispose l’article 220 § 1 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus), après clôture de l’instruction et une fois exercés les droits de défense de l’intéressé, le dossier est transmis au conseil d’administration de la BdP accompagné d’un avis sur les infractions administratives considérées comme prouvées et sur les sanctions applicables. Il estime donc que le gouverneur n’intervient pas, en tant qu’organe de la BdP, dans la procédure administrative. Il en conclut que l’impartialité de la BdP était ainsi assurée, d’un point de vue tant objectif que subjectif. Sur ce dernier point, il observe que le gouverneur et les membres du conseil d’administration ont changé pendant que se déroulait la procédure dirigée contre le requérant devant la BdP (paragraphes 23 et 26 ci-dessus). Il observe à titre surabondant que les décisions de la BdP sont prises à la majorité absolue des votes des membres présents à la réunion, conformément à l’article 32 § 1 du code de procédure administrative (paragraphe 44 ci‑dessus).
68. Le Gouvernement reconnaît que la BdP n’est pas un organe judiciaire. À cet égard, il note que l’entité qui décide d’ouvrir l’enquête et qui statue à l’issue de celle-ci est notamment la même. Cela étant dit, il estime que, dans le cadre de la procédure conduite devant la BdP, le requérant a bénéficié de garanties procédurales, qu’il a pu se défendre et qu’il a été entendu. Il ajoute que le requérant a ensuite bénéficié d’un contrôle effectif de pleine juridiction opéré par le TCRS. En effet, se référant à l’affaire A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie (no 43509/08, § 58, 27 septembre 2011) il relève que, conformément à l’article 229 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus), le requérant a pu attaquer la décision de la BdP en formant un recours devant le TCRS. Il constate que, après avoir opéré un contrôle de pleine juridiction, le TCRS, par un jugement du 30 septembre 2021, a statué en fait et en droit, après avoir tenu une audience publique qui s’est étalée sur 23 séances (paragraphes 34-36 ci-dessus) et qu’il a donc réexaminé l’ensemble des éléments de preuve produits par l’accusation et par la défense. Par ailleurs, il note que, comme le prévoyait l’article 75 § 1 du RGCO (paragraphe 48 ci‑dessus), le requérant a bénéficié d’un recours en deuxième instance devant la cour d’appel de Lisbonne qui a statué en droit par un arrêt du 24 février 2022 (paragraphe 38 ci-dessus). Il ajoute que le requérant a pu former un recours devant le Tribunal constitutionnel (paragraphe 39 ci-dessus).
b) Appréciation de la Cour
1. Observation préliminaire
69. En l’espèce, le requérant se plaint d’un manque d’impartialité de la BdP, une autorité administrative qui lui a infligé des sanctions administratives pour diverses infractions administratives sur la base de l’article 211, alinéas i), l) et o), du RGICSF (paragraphes 27-31 ci-dessus). La Cour n’estime pas nécessaire de déterminer si, eu égard aux déclarations litigieuses formulées par C.C. devant la presse (paragraphes 8-11 ci-dessus), la BdP a été ou non impartiale ou si les craintes du requérant étaient objectivement justifiées dans la présente espèce, ce pour les raisons suivantes. D’une part, comme le relève le Gouvernement sans que le requérant ne le conteste (paragraphe 67 ci‑dessus), C.C. n’a pas participé à l’adoption de la décision du 8 septembre 2020 du conseil d’administration de la BdP qui a statué sur l’accusation portée contre le requérant, puisque son mandat de gouverneur avait pris fin le 20 juillet 2020 (paragraphe 23 ci-dessus). D’autre part, le Gouvernement reconnaît que la BdP n’est pas un organe judiciaire (paragraphe 68 ci-dessus), autrement dit, un « tribunal » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Aussi, eu égard aux griefs soulevés par le requérant, en admettant même que la BdP ait manqué d’impartialité, la Cour estime que la question qui se pose en l’espèce est de savoir si la décision rendue par la BdP a fait l’objet d’un contrôle juridictionnel de pleine juridiction (voir, mutatis mutandis, Grande Stevens et autres, précité, §§ 138-140).
2. Principes généraux
70. La Cour rappelle que le respect de l’article 6 de la Convention n’exclut pas que, dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative (G.I.E.M. S.r.l. et autres c. Italie [GC], nos 1828/06 et 2 autres, § 254, 28 juin 2018, avec des références ultérieures). Il suppose cependant que la décision d’une autorité administrative ne remplissant pas elle-même les conditions de l’article 6 subisse le contrôle ultérieur d’un organe judiciaire de pleine juridiction (Čanády c. Slovaquie, no 53371/99, § 31, 16 novembre 2004, et A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, § 58, 27 septembre 2011). Parmi les caractéristiques d’un organe judiciaire de pleine juridiction figure le pouvoir de réformer en tous points, en fait comme en droit, la décision entreprise, rendue par l’organe inférieur. Cet organe doit notamment avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Silvester’s Horeca Service c. Belgique, no 47650/99, § 27, 4 mars 2004, A. Menarini Diagnostics S.r.l., précité, § 59, et European Air Transport Leipzig GmbH c. Belgique, nos 1269/13 et 4 autres, § 50, 11 juillet 2023).
71. Afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante au regard de l’article 6 § 1 de la Convention, il convient de prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet du litige ; b) les garanties procédurales existant dans le cadre de la procédure administrative soumise au contrôle juridictionnel ; c) l’office du juge, à savoir la méthode de contrôle, ses pouvoirs décisionnels et la motivation de sa décision, apprécié, dans le cadre de l’instance juridictionnelle en cause, eu égard la teneur du litige, aux questions qu’il soulève et aux moyens présentés à ce titre (European Air Transport Leipzig GmbH, précité, § 54).
3. Application à la présente espèce
72. La présente espèce concerne une décision de la BdP rendue le 8 septembre 2020 qui a condamné le requérant, en sa qualité de président du conseil d’administration de l’ESFG et de président du conseil d’administration de la BES (paragraphes 4-5 et 27 ci-dessus), pour des infractions administratives visées à l’article 211, alinéas i), l), o), du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus), à une amende administrative globale de quatre millions d’euros assortie de deux sanctions accessoires, à savoir la publication de la sanction définitive et une incapacité d’exercer des fonctions sociales, de direction, d’administration ou de gestion dans un établissement de crédit ou une société financière pendant cinq ans (paragraphes 27-31 ci‑dessus).
73. La Cour note que le requérant a pu attaquer la décision litigieuse de la BdP devant le TCRS, comme le permettait l’article 229 du RGICSF (paragraphes 32 et 47 ci-dessus ; voir, a contrario, Čanády, précité, § 32). Par un jugement du 30 septembre 2021, le TCRS a statué en fait et en droit sur le recours formé par le requérant contre la décision de la BdP en se penchant sur l’ensemble des moyens de preuve qui avaient fondé cette décision. Elle observe aussi que le TCRS a tenu plusieurs audiences dans le cadre desquelles il a entendu le requérant, ses coaccusés et les témoins de l’accusation et de la défense (paragraphes 34 et 36 ci-dessus ; voir également, a contrario, Ramos Nunes de Carvalho e Sá, précité, § 213). Le contrôle opéré par le TCRS n’était donc pas un contrôle de simple légalité, mais bien un contrôle de pleine juridiction qui a permis au requérant de faire examiner le bien-fondé de la condamnation et la proportionnalité des sanctions infligées par la BdP (paragraphe 36 ci-dessus ; comparer avec A. Menarini Diagnostics S.r.l., précité, § 66, et Edizioni Del Roma Societa Cooperativa A.R.L. et Edizioni del Roma S.R.L., précité, §§ 92-93).
74. La Cour observe que le requérant a ensuite bénéficié d’une deuxième voie de recours devant la cour d’appel de Lisbonne qui, conformément à l’article 75 § 1 du RGCO (paragraphe 48 ci-dessus) applicable conformément à l’article 232 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus), a statué sur les points de droit (paragraphes 37-38 ci-dessus).
75. Le requérant ne met pas en cause l’impartialité des organes judiciaires qui ont statué sur les recours qu’il a formés contre cette décision de la BdP (paragraphe 63 ci-dessus). De plus, leurs décisions apparaissent dûment motivées, y compris celle relative à la demande de récusation formée par le requérant, le TCRS ayant répondu à toutes les questions soulevées par l’intéressé (paragraphe 19 ci-dessus).
76. Les constatations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que, en ce qui concerne la décision que la BdP a rendue contre le requérant, ce dernier a bénéficié d’un contrôle juridictionnel d’une portée suffisante au regard de l’article 6 § 1 de la Convention (comparer avec A. Menarini Diagnostics S.r.l., précité, § 67).
77. Il n’y a donc pas eu violation de cette disposition en l’espèce.
2. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 2 de la Convention
a) Arguments des parties
1. Le requérant
78. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la présomption d’innocence qui aurait pour origine diverses déclarations faites par le gouverneur de la BdP, C.C., avant l’ouverture de la procédure administrative engagée contre lui par la BdP et alors que celle-ci était en cours.
79. Le requérant allègue notamment que, lors d’une conférence de presse organisée par la BdP le soir du 3 août 2014, au sujet de la mesure de résolution qui venait d’être appliquée à la BES (paragraphes 7-8 ci-dessus), C.C. a expressément mentionné les faits qui lui étaient reprochés, à savoir qu’il avait mis en place un système de financement frauduleux et qu’il n’avait pas respecté les instructions données par la BdP. Il considère que, en l’occurrence, même s’il existait un intérêt légitime à informer le public de la mesure exceptionnelle de résolution qui venait d’être prise par la BdP, le gouverneur de la BdP aurait dû faire preuve de prudence et de réserve. En bref, il estime que les déclarations faites par C.C. s’analysent objectivement en des partis pris exprimés publiquement quant à sa culpabilité, en violation de son droit à la présomption d’innocence.
80. Le requérant se plaint que C.C. ait tenu les mêmes types de propos à son égard dans le cadre de trois interviews données les 27 février et 5 mars 2016 à l’hebdomadaire Expresso et le 8 mars 2017 au journal Público (paragraphes 9-11 ci-dessus), alors que la procédure était en cours devant la BdP.
2. Le Gouvernement
81. Le Gouvernement conteste les allégations du requérant. Il estime que, en l’espèce, il faut tenir compte des circonstances qui ont amené C.C. à faire ces déclarations.
82. Ainsi, il observe que les premières déclarations ont été faites par C.C., en sa qualité de gouverneur de la BdP, au cours de la conférence de presse du 3 août 2014 (paragraphe 7 ci-dessus), alors qu’une mesure de résolution venait d’être appliquée à la BES par la BdP, au titre des pouvoirs que conférait à celle-ci l’article 17-A de la loi organique de la BdP (paragraphe 45 ci-dessus). Il souligne qu’une telle mesure était sans précédent au niveau national et qu’il existait un besoin impérieux d’informer le public des buts visés par cette mesure. Il renvoie à cet égard aux observations faites par la Cour au paragraphe 96 de la décision rendue dans l’affaire Freire Lopes, précitée. Il note aussi que ces déclarations ne concernaient aucun des faits qui étaient à l’origine de la procédure engagée par la BdP, laquelle n’a été ouverte que plus tard. Il explique que, en bref, ces déclarations provenaient de l’autorité chargée de la supervision bancaire et de l’application de toute mesure de résolution, et qu’elles visaient à rassurer le public et ainsi à préserver la confiance dans le système financier.
83. Pour ce qui est des déclarations faites dans le cadre des interviews pour l’hebdomadaire Expresso et le journal Público (paragraphes 9-11 ci-dessus), le Gouvernement observe qu’elles portaient sur la procédure d’appréciation de l’honorabilité des dirigeants de la BES conduite par la BdP en qualité d’autorité chargée de la supervision bancaire. D’après lui, C.C. n’a mentionné nulle part dans ces interviews la procédure administrative qui était alors en cours contre le requérant devant la BdP.
84. Le Gouvernement est d’avis que l’ensemble des déclarations ont été faite avec toute la discrétion et la réserve que commandait le droit du requérant à la présomption d’innocence. Il cite à cet égard les arrêts Allenet de Ribemont c. France (10 février 1995, § 38, série A no 308), et Garycki c. Pologne (no 14348/02, § 69, 6 février 2007), et dit souscrire au raisonnement tenu par le TCRS dans son jugement du 6 décembre 2018 relatif à la demande de récusation qui avait été formée par le requérant dans le cadre de la procédure administrative visée en l’espèce (paragraphe 19 ci-dessus).
b) Appréciation de la Cour
1. Rappel des principes
85. La Cour rappelle que la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 § 2 figure parmi les éléments du procès pénal équitable exigé par l’article 6 § 1. Elle se trouve méconnue si une déclaration ou une décision officielle concernant un accusé reflète le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas encore été légalement établie. Il suffit, même en l’absence de constat formel, d’une motivation donnant à penser que le magistrat ou l’agent de l’État considère l’intéressé comme coupable, et l’expression prématurée d’une telle opinion par le tribunal lui-même bafoue incontestablement la présomption d’innocence (voir, parmi d’autres, Deweer c. Belgique, 27 février 1980, § 56, série A no 35, Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, §§ 27, 30 et 37, série A no 62, Allenet de Ribemont, précité, §§ 35-36, Daktaras c. Lituanie, no 42095/98, §§ 41-44, CEDH 2000‑X, et Matijašević c. Serbie, no 23037/04, § 45, CEDH 2006-X).
86. De plus, une distinction doit être faite entre les décisions ou les déclarations qui reflètent le sentiment que la personne concernée est coupable et celles qui se bornent à décrire un « état de suspicion ». Les premières violent la présomption d’innocence, tandis que les secondes ont été considérées comme non critiquables dans différentes situations examinées par la Cour (voir, notamment, Lutz c. Allemagne, 25 août 1987, § 62, série A no 123, et Leutscher c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 31, Recueil des arrêts et décisions 1996-II).
87. L’article 6 § 2 régit l’ensemble de la procédure pénale, « indépendamment de l’issue des poursuites » (Minelli, précité, § 30). Cependant, il n’est plus applicable, en principe, aux allégations éventuellement faites dans le cadre de l’infliction de la peine une fois que l’accusé a été jugé coupable (Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 35, CEDH 2001‑VII).
88. Par ailleurs, la liberté d’expression, garantie par l’article 10 de la Convention, comprend celle de recevoir et de communiquer des informations. L’article 6 § 2 ne saurait donc empêcher les autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours. En revanche, il requiert qu’elles le fassent avec toute la discrétion et toute la réserve que commande le respect de la présomption d’innocence (Allenet de Ribemont, précité, § 38).
89. La Cour considère que dans une société démocratique il est inévitable que le public soit informé lorsqu’une personne est accusée de faits graves d’inconduite dans l’exercice de ses fonctions (Arrigo et Vella c. Malte (déc.), no 6569/04, 10 mai 2005). Elle a reconnu que le fait que le requérant soit un personnage politique de premier plan au moment de l’infraction alléguée met les hauts fonctionnaires de l’État, dont le procureur général, dans l’obligation d’informer le public quant à l’infraction alléguée et à la procédure pénale qui s’ensuit. Cependant, cette circonstance ne saurait justifier qu’ils emploient n’importe quels termes dans leurs entretiens avec la presse (Butkevičius c. Lituanie, no 48297/99, § 50, CEDH 2002‑II (extraits)). La Cour a souligné l’importance du choix par les agents de l’État des termes qu’ils utilisent dans les déclarations qu’ils formulent avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction. Cela étant, le point de savoir si la déclaration d’un agent public constitue une violation du principe de la présomption d’innocence doit être tranché dans le contexte des circonstances particulières dans lesquelles la déclaration litigieuse a été formulée (voir, notamment, Adolf c. Autriche, 26 mars 1982, §§ 36-41, série A no 49, et Daktaras, précité, § 41). En toute hypothèse, les agents de l’État doivent s’abstenir d’exprimer des opinions pouvant s’analyser en des déclarations de culpabilité propres à inciter le public à croire la personne concernée coupable et à préjuger l’appréciation des faits par l’autorité judiciaire compétente (Butkevičius, précité, § 53, et Garycki, précité, § 70).
2. Application à la présente espèce
90. À titre liminaire, la Cour note que les propos litigieux ont été formulés dans un contexte où était largement médiatisé l’effondrement de l’une des plus importantes banques privées du pays qui venait de faire l’objet d’une mesure de résolution (paragraphe 6 ci-dessus). Elle estime que, en tant qu’ancien président du conseil d’administration de la BES (paragraphe 4 ci-dessus), il était prévisible que le requérant suscite l’intérêt des médias et du public en général (comparer avec Bavčar c. Slovénie, no 17053/20, § 109, 7 septembre 2023), notamment en ce qui concernait les procédures ouvertes par la BdP contre lui.
91. La Cour constate ensuite que les propos litigieux ont été formulés, non pas par un juge, mais par le gouverneur de la BdP, soit par le représentant d’une autorité publique. Tel qu’elle l’a déjà relevé ci-dessus (paragraphe 58 ci-dessus), en sa qualité de banque centrale, la BdP est chargée de superviser les établissements de crédit, conformément à l’article 17 § 1 de sa loi organique (paragraphe 45 ci-dessus). Dans ce cadre, il lui appartient notamment d’assurer le suivi de l’activité des établissements de crédit, de contrôler le respect des normes qui encadrent l’activité en question et d’émettre des instructions (determinações) pour pallier les irrégularités détectées. Elle dispose aussi de pouvoirs répressifs dès lors qu’elle peut sanctionner les infractions commises conformément à l’article 116 du RGICSF (paragraphe 47 ci-dessus) et du pouvoir d’adopter des mesures de résolution à tout établissement bancaire comme le prévoit l’article 17-A § 1 de sa loi organique (paragraphe 45 ci-dessus).
92. La Cour constate que la BdP a engagé plusieurs enquêtes administratives contre le requérant, jointes par la suite en une seule procédure (paragraphes 12 et 35 ci-dessus). L’intéressé se plaint d’une atteinte à son droit à la présomption d’innocence en raison de propos tenus par C.C. avant et après leur ouverture (paragraphe 78 ci-dessus).
93. Pour ce qui est des déclarations formulées avant l’ouverture de la procédure administrative, la Cour note qu’elles ont été faites lors d’une conférence de presse organisée par la BdP le 3 août 2014 pour annoncer au public la mesure de résolution que la BdP venait de prendre à l’égard de la BES (paragraphes 7-8 ci-dessus). Ces déclarations ont ainsi été faites deux mois avant l’ouverture de la procédure administrative dirigée contre le requérant, autrement dit avant la formulation d’une accusation au sens de l’article 6 § 1 de la Convention (voir, à cet égard, Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, §§ 110-111, 12 mai 2017). En l’occurrence, C.C. a, entre autres, déclaré que « [l]’aggravation des résultats de la BES (...) [avait] pour origine un ensemble d’actes de gestion (...) gravement préjudiciables aux intérêts de la [BES] et manifestement contraires aux instructions (determinações) qui avaient été émises par la [BdP] » et que le GES avait « mis en place un système de financement frauduleux entre les entreprises du groupe ». La Cour note qu’il s’agit de répétitions des informations qui figuraient dans le préambule de la mesure de résolution adoptée par la BdP (paragraphe 28 ci‑dessus). Ces propos n’étaient donc pas ceux de C.C. lui-même mais ceux figurant dans la décision de la BdP relative à la mesure de résolution appliquée à la BES (comparer avec Filat c. République de Moldova, no 11657/16, §§ 48-49, 7 décembre 2021). Certes, ils faisaient mention des infractions administratives pour lesquelles la BdP allait par la suite poursuivre le requérant (voir, mutatis mutandis, Ürfi Çetinkaya c. Turquie, no 19866/04, § 147, 23 juillet 2013). Cependant, force est de constater que les déclarations litigieuses ne faisaient aucune allusion au requérant en particulier et qu’elles étaient plutôt relatives à la situation de la BES en général puisqu’il s’agissait d’informer le public d’une mesure de résolution qui venait de lui être appliquée et sur les raisons qui étaient à l’origine de cette mesure. Aux yeux de la Cour, au moment où elles ont été formulées, ces déclarations n’étaient pas susceptibles d’inspirer au public le sentiment que le requérant avait commis les infractions administratives en question.
94. Pour ce qui est à présent des déclarations faites après l’ouverture de la procédure administrative par la BdP, la Cour observe qu’il s’agissait de propos tenus par C.C. au cours d’interviews accordées à l’hebdomadaire Expresso les 27 février et 5 mars 2016 et au journal Público le 8 mars 2017 (paragraphes 9‑11 ci‑dessus).
95. Elle note que les propos tenus à l’hebdomadaire Expresso font allusion à une « falsification de comptes » sans évoquer en particulier le requérant (paragraphes 9-10 ci-dessus). En revanche, ceux tenus au journal Público indiquaient précisément que le visé n’avait pas « l’honorabilité (idoneidade) nécessaire pour continuer à diriger un établissement » (paragraphe 11 ci-dessus). Cela étant dit, la Cour considère, avec le Gouvernement, que ces propos ne se rapportent pas aux chefs qui étaient retenus contre le requérant dans le cadre de la procédure administrative (paragraphe 83 ci-dessus) et qu’il s’agissait plutôt de réflexions faites sur la capacité de ce dernier à continuer à diriger la BES. Au demeurant, dans aucune des interviews en question C.C. n’a mentionné la procédure administrative qui était en cours contre le requérant devant la BdP (paragraphe 12 ci-dessus).
96. Au vu de ces constatations, la Cour estime que les déclarations litigieuses faites par C.C. en sa qualité de gouverneur de la BdP n’ont pas porté atteinte à la présomption d’innocence dont le requérant bénéficiait dans le cadre de la procédure ouverte contre lui par la BdP.
97. Il n’y a donc pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 3 décembre 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Simeon Petrovski Lado Chanturia
Greffier adjoint Président
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[1] ETTRICC est un acronyme pour exercice transversal de révision de l’imparité du portefeuille de crédit (Exercício Transversal de Revisão da Imparidade da Carteira de Crédito), lequel vise les principaux groupes bancaires nationaux