La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

08/10/2024 | CEDH | N°001-236139

CEDH | CEDH, AFFAIRE MICHA ET AUTRES c. GRÈCE, 2024, 001-236139


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MICHA ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 13991/20)

ARRÊT


Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Blocage des terrains des requérantes depuis mars 2003 en raison d’un projet de modification du plan d’urbanisme prévoyant leur transformation en zone verte • Refus des autorités nationales de se conformer à l’arrêt du Conseil d’État rendant impossible l’obtention de l’annulation des décisions d’expropriation, la levée des restrictions frappant les terrains ou une requalification des biens en terrains constr

uctibles

Art 13 (+ Art 1 P1) • Absence d’un recours effectif pour contraindre l’administration à se conforme...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MICHA ET AUTRES c. GRÈCE

(Requête no 13991/20)

ARRÊT

Art 6 § 1 (civil) • Accès à un tribunal • Blocage des terrains des requérantes depuis mars 2003 en raison d’un projet de modification du plan d’urbanisme prévoyant leur transformation en zone verte • Refus des autorités nationales de se conformer à l’arrêt du Conseil d’État rendant impossible l’obtention de l’annulation des décisions d’expropriation, la levée des restrictions frappant les terrains ou une requalification des biens en terrains constructibles

Art 13 (+ Art 1 P1) • Absence d’un recours effectif pour contraindre l’administration à se conformer aux décisions judiciaires concernant les biens des requérantes

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

8 octobre 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Micha et autres c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Pere Pastor Vilanova, président,
Jolien Schukking,
Georgios A. Serghides,
Darian Pavli,
Peeter Roosma,
Ioannis Ktistakis,
Diana Kovatcheva, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête (no 13991/20) dirigée contre la République hellénique et dont trois ressortissantes de cet État, Mmes Eleni Micha, Athina Micha et Maria Liapi (« les requérantes »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 3 mars 2020,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement grec (« le Gouvernement »),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 septembre 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne le blocage des terrains des requérantes depuis le 24 mars 2003 en raison d’un projet de modification du plan d’urbanisme prévoyant la transformation de ces terrains en zone verte et du refus de l’administration de se conformer aux arrêts rendus à cet égard par les juridictions administratives.

EN FAIT

2. Les requérantes sont nées respectivement en 1965, 1970 et 1936 et résident à Athènes. La première requérante, Mme Eleni Micha, avocate de profession, a été autorisée, en vertu de l’article 36 § 5 a) du Règlement de la Cour, à assurer elle-même la défense de ses intérêts ; elle représente également les deux autres requérantes, Mmes Athina Micha et Maria Liapi. Le Gouvernement a été représenté par les déléguées de son agent, Mmes A. Dimitrakopoulou et O. Patsopoulou, assesseures auprès du Conseil juridique de l’État.

1. GENÈSE DE L’AFFAIRE

3. Les requérantes sont propriétaires de deux terrains de 250 m2 chacun situés dans le pâté de maisons no 188 du secteur dit « Kontopefko » de la commune d’Aghia Paraskevi. Mmes Eleni Micha et Athina Micha sont co‑propriétaires de l’un des deux terrains, et Mme Maria Liapi est la propriétaire de l’autre.

4. En 1998, le conseil municipal d’Aghia Paraskevi proposa une modification du plan d’urbanisme relatif au pâté de maisons no 188 du secteur « Kontopefko ». Était prévue la requalification des terrains des requérantes en espace vert et zone piétonne.

5. En 1999, le conseil municipal rejeta les objections des requérantes qui se plaignaient que la modification susmentionnée entraînait un blocage excessif de leurs propriétés. En même temps, le conseil municipal proposa une nouvelle modification du plan d’urbanisme : il s’agissait, d’une part, de reclasser la rue Trifyllias, jusqu’alors une voie communale, en voie relevant du plan d’urbanisme et, d’autre part, de scinder le pâté de maisons no 188 de façon que fût créé un nouveau pâté de maisons no 188A correspondant à la zone située entre les rues Trifyllias, Plapouta, Apodimon Ellinon et Kalamata, tandis que les terrains des requérantes continueraient de relever du pâté de maisons no 188.

6. Le 19 juin 2001, le Conseil de l’aménagement du territoire et de l’environnement de l’Attique (Συμβούλιο Χωροταξίας και Περιβάλλοντος – ΣΧΟΠ, ci-après « le CATEA ») émit sur le projet de modification du plan d’urbanisme un avis défavorable pour autant que ledit projet visait le pâté de maisons no 188, et un avis favorable quant au reclassement de la rue Trifyllias en voie relevant du plan d’urbanisme. Le Secrétaire général de la Région de l’Attique, entérinant l’avis du CATEA, rejeta le classement du pâté de maisons no 188 en espace vert et zone piétonne.

7. Le 13 septembre 2001, le ministre de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics, saisi d’une objection formée par la commune d’Aghia Paraskevi, annula la décision du Secrétaire général de la Région de l’Attique. Le ministre renvoya le dossier à la commune d’Aghia Paraskevi aux fins de réexamen.

8. Par une décision no 221/2001, le conseil municipal d’Aghia Paraskevi réitéra sa proposition de transformation du pâté de maisons no 188 en espace vert et zone piétonne.

9. Par la suite, D.M., qui était lui aussi propriétaire d’un terrain situé dans le pâté de maisons no 188 et y avait entamé des travaux de construction, forma une objection contre le projet de création d’un espace vert dans la zone en question. En mai 2002, le conseil municipal d’Aghia Paraskevi, à la suite d’un nouvel avis du CATEA, décida de modifier partiellement le projet initial de révision du plan d’urbanisme de telle façon que la propriété de D.M. ne fût pas affectée par cette révision.

10. Le 24 mars 2003, le Secrétaire général de la Région de l’Attique approuva la modification du plan d’urbanisme portant classement du pâté de maisons no 188 en espace vert et zone piétonne.

11. Le 17 mars 2005, la commune d’Aghia Paraskevi adopta le nouveau plan d’urbanisme. Les requérantes soutiennent que contrairement à ce que préconisait la décision susmentionnée du Secrétaire général de la Région de l’Attique, le nouveau plan ne tenait pas compte de ce qu’à la suite de la scission de la zone concernée, leurs terrains relevaient du pâté de maisons no 188 et non du pâté de maisons no 188A.

2. LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES ET LES ORGANES ADMINISTRATIFS COMPÉTENTS

12. Le 18 décembre 2003, les requérantes saisirent le Conseil d’État d’un recours en annulation contre la décision du Secrétaire général de la Région de l’Attique du 24 mars 2003.

13. Par un arrêt no 720/2015 du 4 mars 2015, le Conseil d’État annula la décision attaquée au motif que les formalités relatives à la publication de cette décision n’avaient pas été respectées.

14. Les requérantes tentèrent de vendre leurs terrains. Elles ne trouvèrent cependant pas d’acquéreur, au motif selon elles que les personnes éventuellement intéressées étaient rendues hésitantes par le blocage de leurs propriétés par la commune, une situation qui durait alors depuis une vingtaine d’années et qu’à leur sens la décision du Conseil d’État, même favorable, n’était pas à même de faire évoluer.

15. Les requérantes demandèrent alors aux autorités compétentes de lever le blocage et de leur accorder un permis de construire. Le 10 novembre 2017, elles envoyèrent à la mairie une sommation extrajudiciaire (εξώδικο) à cette fin. Le 7 décembre 2017, leur demande fut rejetée.

16. Le 2 février 2018, les requérantes saisirent le comité de trois membres du Conseil d’État chargé de surveiller l’exécution des arrêts de cette juridiction.

17. Par une décision no 13/2018 notifiée le 4 juin 2018 à la Région de l’Attique et le 19 juin 2018 à la commune d’Aghia Paraskevi, le comité constata que l’administration n’avait pas encore procédé à la réglementation du statut urbanistique des terrains litigieux et que, depuis l’arrêt no 720/2015, plus de trois ans s’étaient écoulés sans qu’eût été entamée une nouvelle procédure de modification du plan d’urbanisme visant à les déclarer constructibles. Le comité invita la commune à se conformer à l’arrêt du Conseil d’État dans un délai de trois mois. Plus précisément, il l’invita à déterminer si le classement en espace vert des terrains en question était justifié d’un point de vue urbanistique et, dans l’affirmative, à procéder à l’expropriation et au versement immédiat de l’indemnité correspondante, ou bien, dans la négative, à lever le blocage et à accorder un permis de construire.

18. Le 30 août 2018, la Région de l’Attique adressa au comité de trois membres un document dans lequel elle expliquait que l’adoption d’une nouvelle décision de modification du plan d’urbanisme relatif aux terrains litigieux n’était pas nécessaire étant donné que l’arrêt du Conseil d’État avait pour conséquence que le statut urbanistique de ces terrains revenait à son état antérieur, c’est-à-dire que le pâté de maisons no 188 était constructible.

19. De son côté, le 31 octobre 2018, la commune d’Aghia Paraskevi adressa au comité un document dans lequel elle confirmait son intention de bloquer les propriétés des requérantes en recourant non pas à une procédure de levée et de réimposition d’une expropriation, mais à une modification du plan d’urbanisme visant au classement de ces propriétés en espace vert, zone piétonne et jardin d’enfants, sous réserve que fût inscrite au budget la somme de 375 000 euros aux fins d’indemnisation des intéressées.

20. Par une nouvelle décision no 45/2018 du 7 novembre 2018, le comité de trois membres constata que l’administration persistait à refuser de se conformer à l’arrêt no 720/2015 du Conseil d’État. Il enjoignit en conséquence à la commune d’Aghia Paraskevi et à la Région de l’Attique de verser aux requérantes la somme de 20 000 euros à titre de dédommagement. Il reprocha explicitement à la commune d’Aghia Paraskevi et à la région de l’Attique de n’avoir pas pris les mesures qu’exigeait sa décision no 13/2018. Il souligna en particulier que la commune d’Aghia Paraskevi devait engager la procédure de modification du plan d’urbanisme et établir un acte définitif par lequel elle déterminerait le caractère soit public, soit constructible des propriétés litigieuses et déciderait, partant, soit d’exproprier les requérantes contre versement d’une indemnisation, soit de libérer leurs terrains. Il nota que les documents de réponse de l’administration permettaient de conclure que ni la commune d’Agia Paraskevi, ni la Région de l’Attique n’avaient pris des mesures pour se conformer à la décision du Conseil d’État de la manière qui leur avait été spécifiquement indiqué. Le comité indiqua qu’en l’état, les revirements incessants de l’administration privaient les requérantes de la jouissance de leur droit de propriété puisque la conséquence automatique de la décision d’annulation du 4 mars 2015 du Conseil d’État devait être le retour du statut de planification des terrains litigieux à la situation antérieure, les classant en zone constructible, alors que ceux-ci demeuraient bloqués depuis le 24 mars 2003.

21. Pour autant, le service compétent de la commune d’Aghia Paraskevi persista dans son refus de délivrer un certificat de constructibilité, préalable indispensable à l’établissement d’un permis de construire. Le service avait certes, en novembre 2018, sollicité la Région aux fins de délivrance d’un tel certificat ; mais la Région répondit, le 8 juillet 2019, que la collecte des éléments nécessaires à la modification du plan d’urbanisme était en cours, indiqua qu’il appartenait aux requérantes de faire établir les plans topographiques utiles à cette fin, et précisa que la détermination du statut urbanistique des terrains échappait à sa compétence et relevait exclusivement de celle du service des constructions de la commune d’Aghia Paraskevi. Peu après, le service en question s’enquit de l’intention de la commune d’engager une procédure de modification du plan d’urbanisme relatif au pâté de maisons no 188. En juillet 2020, la commune d’Aghia Paraskevi entama une nouvelle procédure d’expropriation.

22. Dans leurs observations en date du 27 juillet 2021, les requérantes ont affirmé que les dispositions de la nouvelle loi no 4759/2020 (voir ci-dessous) n’avaient pas été appliquées dans leur cas. De son côté, le Gouvernement, dans ses observations complémentaires en date du 24 septembre 2021, a indiqué que la procédure nationale était pendante en raison de la complexité des faits et de l’implication de plusieurs autorités. Selon les éléments du dossier, les requérantes n’ont perçu ni une compensation pour le blocage de leur terrain en vue d’une expropriation, ni le dédommagement accordé par le comité de trois membres du Conseil d’État.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

23. Pour le droit et la pratique internes pertinents, la Cour renvoie aux arrêts Panagiotis Gikas et Georgios Gikas c. Grèce (no 26914/07, §§ 19-26, 2 avril 2009), Pialopoulos et autres c. Grèce (no 2) (no 40758/09, §§ 24-29, 7 septembre 2017), et Kapsili et autres c. Grèce [comité] (no 5805/14, §§ 30‑33, 18 mars 2021).

24. La loi no 4759/2020, entrée en vigueur le 9 décembre 2020, a introduit un nouveau recours, lequel apporte plusieurs améliorations dans la procédure d’expropriation. L’article 88 de cette loi prévoit, en cas de restriction prolongée au droit de propriété, la levée automatique de l’expropriation, sans qu’il soit nécessaire d’émettre un acte administratif d’annulation, et introduit aux fins de révocation d’une mesure d’expropriation des critères objectifs fondés sur le temps et ne nécessitant aucune interprétation supplémentaire. C’est ainsi qu’en application de cet article, l’expropriation est automatiquement annulée dès lors qu’est échu l’un de ces délais : a) quinze ans à compter de l’approbation du plan d’urbanisme par lequel l’expropriation a été initialement imposée ; b) cinq ans à compter de la ratification de l’acte d’exécution correspondant ; c) dix-huit mois à compter de l’adoption de la décision portant détermination de l’indemnité.

25. Cette loi limite également le pouvoir qu’a l’administration de requalifier les mêmes parcelles en ce qu’elle ne permet qu’une seule requalification et soumet en outre cette possibilité à la condition cumulative qu’il existe un motif urbanistique sérieux apte à justifier une telle décision et que le montant prévu pour l’indemnisation soit disponible.

26. Selon l’article 91 de cette loi, certaines expropriations sont exclues de la procédure susmentionnée. Il s’agit des expropriations strictement nécessaires à la planification urbaine, des expropriations soumises à des régimes de protection spéciaux tels qu’ils existent en matière de sauvegarde des forêts et des zones côtières, ou des mesures relatives à des propriétés transformées de facto en zones d’utilité publique.

27. La même loi a abrogé l’article 32 de la loi no 4067/2012, lequel exigeait que fussent fournis, lors d’une demande de modification du plan d’urbanisme, des documents techniques de planification urbaine, et a ainsi simplifié ce type de démarche. Depuis l’entrée en vigueur de ladite loi, les propriétaires qui souhaitent voir déclarer leur terrain constructible peuvent soumettre à cette fin une demande de modification du plan d’urbanisme sans avoir à présenter d’autres documents que ceux qui attestent leurs droits de propriété.

2. LES DÉVELOPPEMENTS AUXQUELS ONT DONNÉ LIEU DES AFFAIRES SIMILAIRES DEVANT LE COMITÉ DES MINISTRES

28. Par une résolution finale du 9 mars 2023 adoptée lors de la 1459e réunion de ses délégués (Beka-Koulocheri c Grèce, no 38878/03 et quatre autres, [Résolution CM/ResDH(2023)32](https://hudoc.exec.coe.int/eng?i=001-223771)), le Comité des Ministres a clôturé l’examen de plusieurs affaires d’expropriation, notant en particulier qu’avaient été prises des mesures individuelles ayant eu pour effet soit la levée des décisions d’expropriation conformément aux jugements internes en ce sens, soit le versement d’indemnités, soit encore l’acquisition par les autorités des biens concernés. Le Comité a néanmoins rappelé à cette occasion qu’il poursuivait, dans le cadre du groupe d’affaires Kanellopoulos, l’examen des mesures générales prises en pareille matière par les autorités et le suivi de la pratique appelée à s’établir par l’effet des amendements législatifs susmentionnés.

29. Les parties pertinentes en l’espèce de la décision [CM/Del/Dec(2023)1459/H46-10](https://hudoc.exec.coe.int/eng?i=CM/Del/Dec.2023.1459/H46-10F) rendue à cet égard le 9 mars 2023 se lisent ainsi :

« Les Délégués

1. rappelant que ce groupe d’affaires, dont le premier arrêt est devenu définitif en 2006, concerne le non-respect par les autorités (notamment locales et régionales) de jugements définitifs de tribunaux nationaux ordonnant la levée d’ordonnances d’expropriation de terres ou de charges foncières ainsi que l’absence de recours effectif pour assurer l’exécution de ces jugements ; (...)

En ce qui concerne les mesures générales (...)

4. se félicitent de l’adoption de la loi 4759/2020 prévoyant la levée automatique de l’expropriation pour les propriétés concernées sous certaines conditions objectives de temps et limitant le pouvoir de l’administration de réexproprier les parcelles de terrain, ainsi que de l’abolition de la législation qui imposait aux propriétaires fonciers de fournir des documents techniques concernant la planification urbaine ; notent également que cette législation a introduit un nouveau recours par lequel la partie intéressée peut tenter d’obtenir l’exécution des jugements nationaux ordonnant la levée des expropriations ;

5. compte tenu du fait que la réforme et le recours introduits n’ont pas encore été accompagnés d’une pratique établie conforme à la Convention, invitent les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir l’effectivité de ces mesures et à fournir des informations complètes sur leur mise en œuvre, y compris des données statistiques (si elles sont disponibles) ; invitent également les autorités à fournir des clarifications sur l’article 91 de la loi 4759/2020 qui prévoit des exceptions au champ d’application de la loi ;

6. notent avec intérêt la large diffusion des arrêts de la Cour et des décisions du Comité et invitent les autorités à poursuivre leurs efforts à cet égard en diffusant la présente décision auprès de toutes les autorités concernées, y compris les autorités locales et régionales, en vue de les sensibiliser à leur rôle dans le respect nécessaire du nouveau cadre juridique et de sa mise en œuvre rapide et complète ;

7. décident de poursuivre la surveillance des mesures requises sous l’affaire Kanellopoulos ; (...). »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

30. Les requérantes se plaignent du refus des autorités nationales de se conformer à l’arrêt no 720/2015 du Conseil d’État et de l’impossibilité qui en résulterait pour elles de voir lever le blocage de leurs propriétés. Elles invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, lequel est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

1. Sur la recevabilité

31. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes. Il argue que les requérantes auraient pu intenter, en vertu des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil grec, une action en indemnisation pour retard dans l’exécution de la décision du Conseil d’État.

32. Les requérantes rétorquent que l’action fondée sur les articles 105 et 106 de la loi du code d’accompagnement du code civil ne permet pas l’indemnisation des dommages découlant d’une expropriation de facto.

33. La Cour rappelle avoir déjà dit dans des cas similaires que le recours en question était dépourvu de pertinence pour le grief tiré de l’article 6 § 1 qu’elle doit examiner en l’espèce. N’ayant qu’un simple caractère indemnitaire, cette action ne permet pas aux intéressés de faire valoir en droit interne leurs prétentions quant à la levée d’une charge qui grève leur propriété et d’obtenir le rétablissement du status quo ante ([Kapsili et autres](https://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-208933), précité, § 49). Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement.

34. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

35. Les requérantes soutiennent que les autorités nationales n’ont pris aucune mesure apte à rétablir une situation conforme à l’arrêt du Conseil d’État et qu’à ce jour leurs terrains demeurent bloqués.

36. Le Gouvernement défendeur cite les dispositions pertinentes de la Constitution grecque, les lois nos 3068/2002, 4067/2012, 4315/2004, 4342/2015 et les décrets présidentiels nos 18/1989 et 61/2004, concernant l’obligation de l’État de se conformer aux décisions judiciaires, la procédure de contrôle du respect par l’État des décisions judiciaires, la procédure de modification, à la suite d’une décision judiciaire de levée d’expropriation ou de déblocage d’une propriété, d’un plan d’urbanisme adopté par les autorités, et enfin les conditions de réimposition d’une expropriation ou d’une charge en matière d’urbanisme. Le Gouvernement se réfère également à la jurisprudence des juridictions internes, laquelle précise l’interprétation et l’application des dispositions susmentionnées et établit les règles et principes applicables en matière de désignation d’un bien immobilier comme espace public, de levée automatique d’une expropriation prononcée à des fins d’urbanisme, de modification d’un plan d’urbanisme par un acte explicite de l’autorité administrative compétente, de réglementation du statut urbanistique d’un bien immobilier et de réimposition d’une expropriation ou d’une charge pour des motifs urbanistiques. À la lumière de ces éléments et eu égard à la complexité et à l’importance que revêt selon lui la question de la réglementation du statut juridique et urbanistique des propriétés des requérantes, le Gouvernement considère qu’il n’y a pas eu de la part des autorités internes de retard délibéré, d’actes et d’omissions illégaux ou de violation de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

37. La Cour observe que la présente espèce relève d’une catégorie d’affaires qui soulèvent des questions sur lesquelles elle s’est déjà prononcée à maintes reprises (voir, à titre d’exemples, Pialopoulos et autres c. Grèce, no 37095/97, §§ 63-71, 15 février 2001, Beka-Koulocheri c. Grèce, no 38878/03, §§ 21-24, 6 juillet 2006, Rompoti et Rompotis c. Grèce, no 14263/04, §§ 22-30, 25 janvier 2007, Kanellopoulos c. Grèce, no 11325/06, §§ 23-27, 21 février 2008, Pechlivanidis et autres c. Grèce, no 48380/07, §§ 27-34, 18 février 2010, Panagiotis Gikas et Georgios Gikas, précité, §§ 32-40, et Kapsili et autres, précité, §§ 52-62).

38. Elle rappelle que le droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie. L’exécution d’un jugement, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du « procès » au sens de l’article 6. La Cour a déjà reconnu que la protection effective du justiciable et le rétablissement de la légalité impliquent l’obligation pour l’administration de se plier à un jugement ou arrêt prononcé par la plus haute juridiction administrative de l’État en la matière (voir l’arrêt Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, §§ 40 et suivants, Recueil des arrêts et décisions 1997-II). De surcroît, la Cour souligne depuis longtemps l’importance particulière que revêt l’exécution des arrêts de justice dans le contexte du contentieux administratif (Iera Moni Profitou Iliou Thiras c. Grèce, no 32259/02, § 34, 22 décembre 2005).

39. En l’espèce, la Cour observe que, en plus de diverses tentatives d’expropriation entreprises depuis le 24 mars 2003, les terrains des requérantes ont aussi fait l’objet de blocages sous la forme d’une série de décisions, de réaménagements et de requalifications adoptés par les différentes autorités locales et le Ministère de l’Environnement. Elle note qu’aussi bien l’arrêt no 720/2015 du 4 mars 2015 du Conseil d’État (paragraphe 13 ci-dessus) ordonnant l’annulation de la décision du Secrétaire général de la Région de l’Attique du 24 mars 2003 portant modification du plan d’urbanisme relatif aux terrains des requérantes et classement de ceux‑ci en espace vert et zone piétonne (deuxième expropriation, paragraphe 10 ci‑dessus), d’une part, que les décisions du comité de trois membres du Conseil d’État chargé de surveiller l’exécution des décisions (paragraphes 17 et suivants ci-dessus), d’autre part, sont restés infructueux. C’est ainsi que les requérantes se sont vu dans l’impossibilité d’obtenir l’annulation des décisions d’expropriation les visant, la levée des restrictions frappant leurs terrains ou une requalification de leurs biens en terrains constructibles. C’est là une situation qui dure depuis 2003 et qui, selon les éléments dont dispose la Cour, demeure inchangée à ce jour.

40. Au vu des éléments qui précèdent, la Cour estime que c’est à bon droit que les requérantes soutiennent que les autorités nationales ont omis de se conformer à la décision susmentionnée du Conseil d’État et méconnu par-là l’article 6 § 1 de la Convention. En conséquence, il y a eu violation de cette disposition.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

41. Les requérantes se plaignent de l’absence d’un recours effectif par lequel elles eussent pu contester le refus des autorités nationales de débloquer leurs propriétés malgré l’arrêt favorable du Conseil d’État, d’une part, et les décisions du comité de trois membres chargés de surveiller l’exécution des arrêts de cette juridiction, d’autre part. Elles invoquent l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellés :

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

1. Sur la recevabilité

42. Le Gouvernement soutient que les requérantes ont toujours la possibilité de demander réparation devant les tribunaux en vertu des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil et que leurs allégations ne constituent pas un grief défendable au sens de l’article 13 de la Convention.

43. Selon les requérantes, la non-exécution des décisions du Conseil d’État en leur faveur atteste de l’absence d’un recours effectif pour débloquer leurs biens.

44. La Cour observe que les requérantes se sont vu imposer des décisions d’expropriations et d’autres décisions administratives, de manière successive, malgré les décisions du Conseil d’État enjoignant l’administration à les indemniser – tant pour l’expropriation que pour le retard concernant l’inexécution de sa décision – ou à libérer leurs biens, ce qui n’eut jamais lieu. Dans ces conditions, rien ne permet de dire qu’une nouvelle demande d’indemnité pourrait réellement présenter des chances de succès. Cet argument du Gouvernement doit par conséquent être rejeté.

45. Quant à la nature défendable du grief, la Cour rappelle avoir déjà constaté que des pratiques comme celle en l’espèce pourraient permettre à l’administration grecque de parvenir à confisquer arbitrairement les biens des personnes en ordonnant des expropriations sans indemnisation dans le but de laisser s’enliser une situation à son profit pendant plusieurs années. Dans ces conditions, la Cour estime que les griefs des requérantes sont défendables aux fins de l’article 13 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 pour autant que le grief tiré de cette dernière disposition concerne l’absence d’un recours effectif pour faire constater la pratique litigieuse (Pialopoulos et autres (no 2), précité, §§ 50-51).

46. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2. Sur le fond

47. Les requérantes arguent de l’impossibilité juridique et pratique d’obtenir l’exécution des décisions en question.

48. Le Gouvernement considère que les requérantes ont bénéficié de voies de recours effectifs dans la mesure où elles ont obtenu des décisions en leur faveur émanant du Conseil d’État et du comité de trois membres de cet instance judiciaire. Plusieurs autorités nationales impliquées dans le cas des intéressées tentent de collaborer et de répondre à la complexité des aménagements nécessaires.

49. La Cour rappelle qu’elle s’est déjà prononcée à maintes reprises sur ce sujet dans la catégorie d’affaires qu’elle a évoquée ci-dessus, dans lesquelles – quelle que fût l’autorité concernée – la question du statut juridique des terrains des requérants était restée longtemps en suspens (voir par exemple Pialopoulos et autres (no 2), précité, §§ 46-58).

50. Elle ne relève en l’espèce – malgré les amendements législatifs mentionnés ci-dessus, lesquels n’ont pas été appliqués au cas des requérantes (paragraphes 23-29) – aucun élément ou argument qui pourrait la conduire à s’écarter des conclusions auxquelles elle est alors parvenue. En effet, dans cette affaire également, tels que constaté par ailleurs par le comité des trois membres du Conseil d’État à deux reprises en 2018, la décision d’annulation du 4 mars 2015 n’a pas été exécuté, par le biais de divers revirements administratifs, et les terrains litigieux sont restés bloqués depuis le 24 mars 2003, situation qui, d’après les éléments du dossier devant la Cour, perdure encore. Cette situation atteste de l’absence d’un recours effectif pour contraindre l’administration à se conformer aux décisions judiciaires concernant les biens des requérantes. Par conséquent, la Cour conclut à la violation de l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 1 du Protocole no 1.

3. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 41 et 46 DE LA CONVENTION
1. Article 41 de la Convention

51. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

52. Au titre du dommage matériel qu’elles estiment avoir subi, Mmes Elena Micha et Athina Micha demandent chacune 45 000 (EUR), et Mme Maria Liapi 90 000 EUR, sommes qui correspondent selon elles au manque à gagner résultant de la perte de valeur de leurs terrains bloqués. Elles présentent à l’appui de leurs prétentions à cet égard une estimation immobilière et une promesse d’achat. Par ailleurs, au titre du préjudice moral qu’elles disent avoir subi, les deux premières requérantes réclament chacune 20 000 EUR et la troisième requérante 25 000 EUR.

53. Le Gouvernement affirme que les requérantes peuvent toujours se prévaloir des articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil pour demander la compensation du dommage matériel résultant selon elles de ce qu’elles ne peuvent pas jouir de leurs biens. Il considère au demeurant que les prétentions des requérantes sont spéculatives et que le montant des sommes qu’elles réclament est excessif ; en conséquence, il invite la Cour à rejeter ces prétentions.

54. La Cour rappelle que la présente requête ne concerne pas la propriété des terrains, et que n’est pas spécifiquement en jeu l’article 1 du Protocole no 1. Par ailleurs, l’argument sur le manque à gagner causé par la perte de valeur des terrains que les requérantes font valoir au titre du dommage matériel ne concerne pas les griefs relatifs au refus de l’administration de se conformer à un arrêt de justice et à l’absence d’un recours à cet égard examinés dans le cas d’espèce (pour un contexte similaire, voir les arrêts précités Kanellopoulos (§ 37), Pechlivanidis et autres (§ 53), et Kapsili (§ 67), et les références qui y figurent). Il convient donc d’écarter cette partie de la demande.

55. En revanche, la Cour admet que les requérantes doivent avoir subi un préjudice moral résultant notamment de la frustration provoquée par l’inexécution de la décision du Conseil d’État et de l’absence en droit interne d’un recours effectif par lequel elles auraient pu se plaindre du blocage de leurs terrains et faire valoir leurs droits à cet égard. Elle estime que les constats de violation auxquels elle est parvenue ci-dessus ne suffisent pas à réparer ce préjudice. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue à chacune des requérantes 10 000 EUR au titre du préjudice moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

2. Frais et dépens

56. Les requérantes réclament conjointement 1 756 EUR au titre des frais et dépens qu’elles disent avoir engagés dans le cadre de la procédure devant la Cour. Elles fournissent des pièces établissant qu’elles ont formé des demandes visant à obtenir la requalification de leurs biens en terrains constructibles ainsi que certains documents administratifs liés à ces démarches.

57. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette demande, qu’il estime injustifiée et dépourvue de lien de causalité avec les violations alléguées.

58. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux (voir, par exemple, Halet c. Luxembourg [GC], no 21884/18, § 214, 14 février 2023). En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer aux requérantes conjointement la somme de 1 500 EUR pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

2. Article 46 de la Convention

59. Les parties pertinentes de l’article 46 de la Convention sont ainsi libellées :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

60. Les requérantes considèrent que le blocage de biens par l’administration en raison de l’application de plans d’urbanisme ainsi que la non-exécution de décisions rendues en faveur des propriétaires par les tribunaux administratifs constituent un problème structurel en Grèce.

61. Le Gouvernement fait valoir des améliorations législatives en la matière et estime que dans le cas des requérantes, il est faux de dire que les autorités nationales soient restées inactives après la décision du Conseil d’État, les retards étant dus, selon lui, à la complexité des affaires relatives aux plans d’urbanisme.

1. Les principes généraux

62. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention, l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à inscrire dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (voir, parmi d’autres, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse [GC], no 53600/20, § 655, 9 avril 2024).

63. Il ressort clairement de la jurisprudence de la Cour que lorsqu’elle constate une violation découlant d’une situation à caractère structurel touchant un grand nombre de personnes, des mesures générales au niveau national s’imposent dans le cadre de l’exécution de ses arrêts (voir, par exemple, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 188-194, CEDH 2004-V, et Văleanu et autres c. Roumanie, nos 59012/17 et 27 autres, §§ 269-273, 8 novembre 2022).

64. La Cour rappelle à cet égard que les États ont l’obligation générale de remédier aux problèmes sous-jacents aux violations de la Convention, comme l’indique la Recommandation Rec(2004)6 du Comité des Ministres (Burmych et autres c. Ukraine (radiation) [GC], nos 46852/13 et 4 autres, § 110, 12 octobre 2017). Elle note en outre que les États contractants se sont réengagés, par une déclaration sans équivoque adoptée à l’occasion du Sommet des chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe qui s’est tenu à Reykjavík les 16 et 17 mai 2023, à résoudre les problèmes systémiques et structurels relevés par la Cour en matière de droits de l’homme et à assurer, en tenant compte de leur caractère contraignant, l’exécution pleine, effective et rapide des arrêts définitifs qu’elle rend. La Cour a le souci de faciliter le redressement rapide et effectif d’un dysfonctionnement constaté dans le système national de protection des droits de l’homme : ses arrêts ne servent pas uniquement à trancher les cas dont elle est saisie. Par conséquent, une fois qu’un tel défaut est constaté, il incombe aux autorités nationales, sous le contrôle du Comité des Ministres, de prendre, rétroactivement s’il le faut, les mesures de redressement nécessaires conformément au principe de subsidiarité, qui est à la base du système de la Convention, de manière que la Cour n’ait pas à réitérer son constat de violation dans une longue série d’affaires comparables (Yüksel Yalçınkaya c. Türkiye [GC], no 15669/20, §§ 416-418, 26 septembre 2023, Broniowski, précité, § 193, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 236, CEDH 2006-V, et E.G. c. Pologne et 175 autres affaires de la rivière Boug (déc.), no 50425/99, § 27, CEDH 2008 (extraits)).

65. La Cour rappelle aussi qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que possible la situation antérieure à celle-ci. Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis. Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même (Vlastaris c. Grèce, no 43543/14, § 45, 20 février 2020).

2. Application de ces principes au cas d’espèce

66. La présente affaire est révélatrice des problèmes récurrents que posent, dans le système de l’État défendeur, les lacunes juridiques de l’ancienne législation et la pratique administrative relativement à la levée des blocages et à la modification des plans d’urbanisme. La Cour a constaté dans une multitude d’arrêts – rappelés par elle ci-dessus – que les victimes de ce type de blocage devaient déclencher, en vue de voir exécuter des décisions judiciaires qui leur étaient favorables, de lourdes procédures qui ne leur offraient aucune chance de succès. Dans ces conditions, le refus de l’administration de se conformer aux décisions judiciaires s’analyse en une expropriation de fait contre laquelle les particuliers n’ont en réalité aucun moyen effectif d’agir. En effet, le recours en dommages-intérêts prévu aux articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil ne constitue pas toujours un recours effectif contre un tel refus, et il ne peut, du reste, entraîner le déblocage de la propriété auquel devraient pourtant conduire, justement, les arrêts des juridictions administratives. En insistant auprès des particuliers pour qu’ils engagent une nouvelle procédure en vue d’une modification du plan d’urbanisme et qu’ils produisent à cette fin, à leurs frais, des plans topographiques du secteur concerné, les autorités aggravaient encore, dans le cadre juridique interne tel qu’il existait avant l’entrée en vigueur de la loi no 4759/2020, le blocage des biens des intéressés (voir, à titre d’exemples, les arrêts précités Pialopoulos et autres, Beka-Koulocheri, Rompoti et Rompotis, Kanellopoulos, Panagiotis Gikas et Georgios Gikas, Pechlivanidis et autres, Pialopoulos et autres (no 2), et Kapsili et autres).

67. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que le rétablissement des droits des requérantes tel que le prévoient les décisions du Conseil d’État et tel que l’exigent d’ailleurs les dispositions de la loi no 4759/2020 entrée en vigueur le 9 décembre 2020 placerait les intéressées dans une situation similaire à celle dans laquelle elles se seraient trouvées si la violation de la Convention n’avait pas eu lieu. À cet égard, la Cour note également que rien dans le dossier ne permet de dire que le dédommagement pour non-exécution de la décision judiciaire (paragraphe 20 ci-dessus) ait été versé aux requérantes, ni que la nouvelle législation susmentionnée ait été appliquée à leur cas.

68. Dans le contexte plus général que constituent les affaires de cette catégorie, la Cour observe avec intérêt l’accueil favorable réservé à la loi en question par le Comité des Ministres dans sa résolution finale du 9 mars 2023, adoptée lors de la 1459e réunion de ses délégués (Beka-Koulocheri c Grèce, no 38878/03 et quatre autres, Résolution CM/ResDH(2023)32), et note que le Comité des Ministres a déclaré qu’il poursuivait, dans le cadre du groupe d’affaires Kanellopoulos, l’examen des mesures générales prises en pareille matière par les autorités et le suivi de la pratique appelée à s’établir par l’effet des amendements législatifs susmentionnés (CM/Del/Dec(2023) 1459/H46‑10, paragraphes 28-29 ci-dessus).

69. Dans ce cadre, la Cour considère que les autorités nationales pourraient envisager, aux fins de mise en œuvre de la loi de 2020, des initiatives ex officio aptes à débloquer les biens placés dans une situation telle que celle dont les requérantes de l’espèce se plaignent à l’égard de leurs terrains. À ce sujet, la Cour note aussi avec intérêt qu’ont été adoptées – comme l’a relevé le Comité des Ministres au moment de clôturer son examen dans plusieurs affaires de cette catégorie (paragraphe 28 ci‑dessus) – des mesures individuelles ayant eu pour effet soit la levée des décisions d’expropriation conformément aux jugements internes en ce sens, soit le versement d’indemnités, soit encore l’acquisition par les autorités des biens concernés. De telles mesures peuvent naturellement avoir un caractère préventif et empêcher que des violations de la Convention ne soient à déplorer dans des affaires éventuellement à venir dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle loi.

70. En parallèle, il ne peut pas être exclu que de telles mesures, accompagnées d’une compensation déterminée comme en l’espèce en fonction de l’ampleur du retard observé dans l’exécution de la décision judiciaire nationale et tenant compte de l’absence d’un recours effectif à cet égard, pourraient aussi être utilement prises dans le cadre d’une démarche visant à résoudre les affaires pendantes devant les autorités nationales, voire devant la Cour, étant donné que la qualité de victime peut être évaluée à tout stade de la procédure (pour la question générale de l’appréciation d’un redressement individuel dans le cadre de l’examen de la qualité de victime, voir par exemple Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, §§ 115-130, CEDH 2010, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 179-216, CEDH 2006-V).

71. Eu égard à la complexité administrative et à la nature financière des questions en jeu, la Cour ne saurait se montrer plus précise ou prescriptive quant aux mesures que l’État défendeur peut mettre en œuvre pour se conformer de manière effective au présent arrêt. Compte tenu de la marge d’appréciation qui est accordée à l’État défendeur, la Cour estime que celui‑ci, avec l’assistance du Comité des Ministres, est mieux placé qu’elle pour déterminer précisément les mesures à prendre pour mettre fin à cette catégorie d’affaires. C’est donc au Comité des Ministres qu’il appartient de vérifier, à partir des informations fournies par l’État défendeur, que les mesures visant à assurer que les autorités internes se conforment aux exigences de la Convention ont été adoptées (Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres, précité, § 657).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 10 000 EUR (dix mille euros) à chacune des requérantes, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral ;
2. 1 500 EUR (mille cinq cents euros) conjointement aux requérantes, plus tout montant pouvant être dû par celles-ci à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 octobre 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan Blaško Pere Pastor Vilanova
Greffier Président


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award