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09/07/2024 | CEDH | N°001-234268

CEDH | CEDH, AFFAIRE DELGA c. FRANCE, 2024, 001-234268


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DELGA c. FRANCE

(Requête no 38998/20)

ARRÊT


Art 7 • Nullum crimen sine lege • Condamnation pénale d’une présidente de région, pour discrimination à l’égard d’une commune, procédant d’une interprétation judiciaire inédite du droit interne non raisonnablement prévisible


Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

9 juillet 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.r>



En l’affaire Delga c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de ...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DELGA c. FRANCE

(Requête no 38998/20)

ARRÊT

Art 7 • Nullum crimen sine lege • Condamnation pénale d’une présidente de région, pour discrimination à l’égard d’une commune, procédant d’une interprétation judiciaire inédite du droit interne non raisonnablement prévisible

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

9 juillet 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Delga c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Lado Chanturia, président,
Mattias Guyomar,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Mykola Gnatovskyy,
Stéphane Pisani, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 38998/20) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet État, Mme Carole Delga (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 1er septembre 2020,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 7 de la Convention et de déclarer irrecevable la requête pour le surplus,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 mai 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne la prévisibilité, au sens de l’article 7 de la Convention, de la condamnation pénale de la requérante, présidente de la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, pour discrimination à l’égard d’une personne morale, la commune de Beaucaire, sur le fondement des articles 225-1 et 432-7 du code pénal.

EN FAIT

2. La requérante est née en 1971 et réside à Toulouse. Elle est représentée par Me P. Spinosi, avocat à Paris.

3. Le Gouvernement est représenté par D. Colas, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

4. La requérante est devenue présidente de la Région Occitanie/ Pyrénées‑Méditerranée le 13 décembre 2015.

1. Procédure pénale

5. Le 4 mai 2016, la commune de Beaucaire, située dans cette région, prise en la personne de son maire appartenant au Front national (aujourd’hui Rassemblement national), prit l’initiative de faire citer la requérante, sur le fondement des articles 225-1 et 432-7-1o du code pénal (CP, paragraphes 23 et 24 ci‑dessous), devant le tribunal correctionnel (TC) de Nîmes, du chef de discrimination à l’égard d’une personne morale en raison des opinions politiques pour avoir refusé de signer le contrat de ville présenté par cette commune.

6. Le contrat de ville est un instrument de contractualisation de la politique de la ville prévu par la loi no 2014-1750 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine (loi de 2014) visant à associer les différents acteurs publics concernés, notamment les régions et les communes. Aux termes de l’article 6 de cette loi, les contrats de ville « sont signés par les départements et les régions » (paragraphe 25 ci-dessous). Aux termes de l’article 432-7-1o du code pénal, la discrimination commise à l’égard d’une personne morale par une personne dépositaire de l’autorité publique est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste « à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi » (paragraphe 24 ci-dessous).

7. La plainte de la commune visait le refus de la requérante de signer le contrat tel qu’il avait été présenté au cours d’une séance plénière du Conseil régional du 15 avril 2016 et dans un communiqué publié par voie de presse le 20 avril 2016.

8. Lors de la séance du 15 avril 2016, la requérante exposait les éléments suivants :

« La seule raison pour laquelle la Région ne peut pour le moment signer le contrat de ville en l’état, c’est parce qu’il pose comme objectif la construction d’un lycée à Beaucaire. Or, en plein accord avec le rectorat, la Région construira bien un lycée dans le Gard, mais ce sera à l’ouest de Nîmes, là où les besoins en termes de pressions démographiques sont les plus forts ».

9. Dans l’édition du Midi Libre du 20 avril 2016, elle soutenait ceci :

« (...) si la région n’a pas signé le contrat de ville de Beaucaire, c’est parce que tout d’abord, c’est le seul contrat de ville de cette région qui n’a pas été élaboré de façon concertée. La région n’a été invitée en 2015 qu’à une seule réunion et nous avons vu en effet, apparaître dans cette convention le projet d’un lycée (...) ».

10. La requérante signa le contrat de ville postérieurement à sa citation devant le tribunal correctionnel, à une date non précisée, en y apposant une réserve concernant trois projets de création à Beaucaire. Cette réserve était rédigée de la manière suivante :

« (...) la Région réitère la non-inscription de trois projets évoqués en partie 2 (chapitre 1 page 10) à savoir : la création d’un centre de formation et d’apprentissage, la création d’un lycée d’enseignement général et la desserte ferroviaire (...) qui ne correspondent pas à des besoins avérés du contrat de ville de la communauté de communes Beaucaire Terre d’Argence ».

11. Par un jugement du 14 décembre 2017, le TC déclara la citation de la requérante irrecevable en l’absence de production d’une délibération du conseil municipal autorisant le maire à ester en justice.

12. La commune de Beaucaire et la requérante relevèrent appel de ce jugement. Cette dernière demanda sa relaxe en faisant valoir que son refus était justifié par, d’une part, le fait qu’elle n’avait pas pu donner son avis sur les projets prévus, certains à la charge exclusive de la région, d’autre part, le défaut de concertation dans l’élaboration du contrat et, enfin, le caractère mal fondé de certaines réalisations prévues par celui-ci. Elle soutint que le défaut de signature immédiate ne résultait pas d’une intention discriminatoire. Elle ajouta que la commune ne pouvait pas se prévaloir d’un droit à la signature de la région, en l’absence d’élaboration concertée du contrat de ville, et précisa qu’elle avait informé le préfet de son intention de le signer sous réserve d’une clause de non-engagement de l’État et de la Région sur trois des opérations prévues, lequel lui avait donné son accord, de sorte qu’il n’y avait pas de refus de signer de sa part. Enfin, elle porta à la connaissance de la cour d’appel de Nîmes (CA) le rejet par le tribunal administratif (TA) de Nîmes, le 11 avril 2018, de la requête de la commune dirigée contre le refus implicite de signer le contrat de ville (paragraphes 21 et 22 ci-dessous).

13. Par un arrêt du 26 avril 2019, la CA réforma le jugement et condamna la requérante pour discrimination à 1 000 euros (EUR) d’amende ainsi qu’à l’indemnisation de la commune à hauteur de 7 000 EUR.

14. Pour entrer en voie de condamnation, elle releva d’abord que la commune était éligible au contrat de ville :

« (...) l’article 5 de la [loi de 2014] donne la définition de ce qu’est un quartier prioritaire (...) ; le décret du 30 décembre 2014 et le décret du 14 septembre 2015 désignent deux quartiers prioritaires de la politique de la ville à Beaucaire, le quartier de la Moulinelle et le centre-ville de Beaucaire ; »

15. Elle considéra ensuite que l’article 6 de la loi de 2014, prévoyant la signature du contrat de ville par la région (paragraphe 25 ci-dessous), était un texte clair :

« Que le processus d’élaboration de ces contrats de ville est défini par l’article 6 de la loi ; qu’il s’agit là d’un texte clair qui ne fait aucune référence à une approbation de la part de la région mais à une signature qui doit intervenir lorsque le contrat est finalisé ; qu’en l’espèce, il résulte des pièces produites par la partie civile que, s’agissant du contrat de ville Beaucaire Terre D’Argence, le cycle de réunions, menées sous l’égide de la communauté de communes a débuté le 24 novembre 2014 ; que par mail en date du 28 juillet 2015, le directeur général des services de la Communauté de communes Beaucaire Terre D’Argence adresse au maire de Beaucaire ainsi qu’aux quatre autres représentants de la ville, le contrat de ville Beaucaire Terre D’Argence 2015-2020 « après groupes de validation, apport des partenaires, correction des référents et validation de l’ensemble » ; qu’il s’exprime en ces termes : « je tenais à titre personnel à remercier celles et ceux qui ont contribué, par leur apport, à faire de ce document ce qu’il est aujourd’hui, à savoir le fruit d’un travail partenarial » ; que l’ensemble des partenaires va signer ce contrat ; que le 22 juin 2015, le Conseil régional Languedoc‑Roussillon affirmera que « les régions Languedoc-Roussillon et Midi Pyrénées seront signataires de 39 contrats de ville et participeront à la finalisation des engagements financiers des partenaires d’ici la fin de l’année 2015 » et que la ville de Beaucaire était citée dans cette délibération ; (...) ».

Attendu que la plainte de la partie civile vise le refus de signer ce contrat, exprimé par [la requérante], lors d’un communiqué publié dans l’édition du Midi libre le 20 avril 2016 [paragraphe 8 ci-dessus], et en date du 15 avril 2016 [paragraphe 9 ci-dessus)] ;

Attendu que, comme il l’a été indiqué plus haut, (...) la région doit signer le contrat de ville sans qu’il soit prévu le moindre pouvoir d’appréciation de celle-ci ; que ce point est en concordance avec la nature même du contrat de ville qui ne crée aucun engagement mais ne constitue qu’une liste de besoins ; que la lecture de ce contrat de ville, versé aux débats, permet de constater qu’il a pour objet de prévoir la réalisation, avec l’État, [et les différents acteurs publics dont] la commune de Beaucaire [et] la région, d’actions ou d’opérations portant sur le développement économique et l’emploi, la cohésion sociale, le cadre de vie et le renouvellement urbain sur le territoire communal ; que ce document ne fait qu’énumérer des besoins exprimés et des objectifs définis en termes généraux et non chiffrés sans que des engagements financiers réciproques ne soient consentis par les parties ; que ce contrat n’emporte par lui-même aucune conséquence directe quant à la réalisation effective des actions ou opérations ; que, par conséquent, les motifs successifs donnés par [la requérante] pour refuser d’apposer sa signature sur ce contrat de ville sont inopérants, s’agissant tant du projet de construction d’un lycée, alors même que la Rectrice de l’académie de Montpellier faisait partie des signataires du contrat, et faut-il le rappeler qu’il ne s’agissait que de l’émission d’un souhait, que de l’allégation selon laquelle la région n’aurait pas été conviée à l’élaboration du contrat ; que ce point est démenti par les pièces versées aux débats : lettre en date du 10 novembre 2014 par laquelle le Préfet du Gard invite 33 destinataires dont le Président du Conseil régional Languedoc-Roussillon au premier comité de pilotage départemental des contrats de ville gardois (...), lettre en date du 14 janvier 2015 par laquelle le secrétaire général de Préfecture invite les destinataires dont le Président du Conseil régional Languedoc-Roussillon à prendre part à un séminaire de travail fixé le 6 février 2015 dont le programme porte notamment sur des échanges sur le développement économique, sur la cohésion sociale, sur la mise en commun des éléments des trois thèmes avec un référent des services de l’État, mail en date du 5 juin 2015 par lequel le directeur général des services de la communauté de communes Beaucaire Terre D’Argence transmet aux partenaires (...) la convocation à la réunion du groupe de travail « Cadre de vie » fixée au 15 juin 2015, étant précisé qu’à ce mail est joint le projet du contrat de ville ; qu’il se déduit de l’ensemble de ces éléments que [la requérante], en sa qualité de Présidente de région, a refusé à la commune de Beaucaire le bénéfice du droit à la signature du contrat de ville Beaucaire Terre D’Argence, alors même que ce contrat négocié durant 8 mois par l’ensemble des partenaires en toute légalité avait vocation à être signé, et que, comme indiqué plus haut les motifs invoqués ne sont pas recevables ; ».

16. Elle en déduisit que la requérante ne pouvait pas ignorer que la différence de traitement entre la commune de Beaucaire et les autres communes n’était justifiée par aucun élément objectif pour en conclure que la discrimination était fondée sur l’appartenance politique du maire de la commune :

« (...) qu’il doit être ajouté que ce contrat de ville est le seul à ne pas avoir été signé par [la requérante] sur les 38 autres contrats de ville de la région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ; qu’il y a à l’évidence une différence de traitement entre la commune de Beaucaire et les autres communes ;

Attendu qu’en sa qualité de Présidente de Région, [la requérante] ne peut ignorer que les motifs allégués par elle au soutien de son refus de signature du contrat de ville ne sont pas recevables et que la différence de traitement entre la commune de Beaucaire et les autres n’est justifiée par aucun élément objectif, étranger à toute discrimination ;

Attendu que la partie civile prétend que ce comportement discriminant est dû à l’appartenance au parti Front National du maire de la commune de Beaucaire et de sa majorité ; que force est de constater que les pièces versées aux débats démontrent à l’évidence la détermination de [la requérante] à lutter contre le Front National et a en ostraciser ses membres ; qu’ainsi lors d’une assemblée plénière du Conseil régional en date du 4 janvier 2016, elle précise : « dans le combat politique, je ne lâcherai rien contre les idées d’extrême droite ... et je peux vous assurer que je serai une adversaire résolue et continue » ; que plus particulièrement à l’égard de J.S., lors d’une séance de réponses aux questions orales, le 15 avril 2016, elle s’est adressée à lui en ces termes : « vous me demandez de venir à Beaucaire, mais ce que je ferai, vous comprenez qu’il y a près de 5000 communes dans notre région. Des villes de plus de 15000 habitants, elles sont au nombre de 32 donc je suis chaque semaine sur le terrain, et je viendrai à Beaucaire, sans vous, pour rencontrer les chefs d’entreprise ... » ; qu’il y a là un aveu clair d’une volonté affirmée d’ostraciser le maire de Beaucaire en refusant même qu’il l’accueille dans sa ville ; que le refus de signature du contrat (...) s’inscrit à l’évidence dans ce même processus ; qu’en conséquence, la Cour déclarera [la requérante] coupable des faits qui lui sont reprochés ;

Attendu, sur la répression, que le casier judiciaire de [la requérante] ne comporte pas de condamnation et que la sanction qui sera prononcée a pour but de lui adresser un simple avertissement afin d’éviter que des convictions politiques ne viennent polluer des décisions dont dépendent le sort de nombreux citoyens ; (...) ».

17. Concernant l’action civile, la cour d’appel condamna la requérante à payer les sommes de 5 000 euros, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par la commune, prise en la personne de son maire, et de 2000 euros au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale (frais non payés par l’État et exposés par les parties civiles). Elle qualifia le préjudice de la manière suivante :

« le préjudice subi par la commune est réel, car dès lors que les besoins ne peuvent être actés, l’instruction de ces besoins ne peut être réalisée ; que si finalement, [la requérante] a accepté de signer ce contrat mais après y avoir insérer des additifs, le préjudice moral demeure d’avoir ainsi été stigmatisée vis-à-vis des autres communes sans compter le retard pris dans la mise en œuvre des divers projets de rénovation urbaine pour l’amélioration du cadre de vie ; »

18. La requérante se pourvut en cassation contre cet arrêt. A l’appui de son pourvoi, elle fit valoir que la cour d’appel avait à tort déduit du caractère inopérant des motifs invoqués pour justifier l’absence de signature du contrat de ville l’existence d’une discrimination punie par l’article 432-7 du code pénal en méconnaissance de cette disposition. Elle indiqua que « le simple fait de relever l’irrecevabilité des motifs avancés » pour justifier le refus de signature « est complètement inopérant pour caractériser le délit ». Elle soutint également que la cour d’appel n’avait pas valablement caractérisé l’existence de l’intention discriminatoire requise par ce texte dans la mesure où elle s’était fondée sur des faits étrangers à sa saisine concernant des propos tenus plusieurs mois avant les faits poursuivis alors que la caractérisation de l’infraction supposait la réunion, dans le même trait de temps, de l’élément matériel et de l’élément intentionnel.

19. Dans des observations complémentaires soumises à l’appui du pourvoi, la requérante précisa qu’il incombait à la Cour de cassation, dès lors qu’elle était saisie d’un pourvoi critiquant la manière dont les juges du fond avaient recherché, dans des propos tenus publiquement, une intention discriminatoire à raison de l’opinion politique, de vérifier que ces juges avaient pris en considération tous les éléments de contexte extrinsèques aux propos. Elle déplora en particulier que la cour d’appel n’ait pas fait mention de la lettre versée au débat par laquelle elle écrivait au préfet du Gard qu’elle était favorable à la signature du contrat litigieux sous réserve de la rédaction d’un additif ni, non plus, des subventions de la région perçues par la commune y compris après le prétendu refus discriminatoire. Elle conclut que la loi pénale devait être appliquée de manière à garantir une certaine liberté d’action à l’élu, sous peine de faire peser sur les élus, au mépris de la séparation des pouvoirs, un risque de poursuite pour discrimination en cas de décision contraire aux souhaits d’une collectivité gouvernée par des membres d’un autre parti politique.

20. Le 1er septembre 2020, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.

2. Procédure administrative

21. Parallèlement à la procédure pénale, par un courrier du 9 mai 2016, la commune de Beaucaire mit en demeure la région de signer le contrat de ville litigieux. En l’absence de réponse, elle présenta devant le TA de Nîmes une demande d’annulation de cette décision implicite de rejet.

22. Le 11 avril 2018, le TA rejeta cette requête au motif que le refus de signer le contrat de ville constitue un acte administratif insusceptible de recours :

« Considérant que (...) [le contrat de ville] se contente d’énumérer des besoins exprimés et des objectifs définis en termes généraux, sans que des engagements financiers réciproques soient consentis par les parties ; qu’ainsi, le contrat de ville dont il s’agit n’emporte par lui-même aucune conséquence directe quant à la réalisation effective des actions ou des opérations qu’il prévoit ; que, dans ces conditions, le refus de signer le contrat de ville en ce qui concerne les trois projets de création d’un lycée d’enseignement général, d’amélioration de la desserte ferroviaire de la ville et de création d’un centre de formation et d’apprentissage, doit être regardé comme un acte insusceptible de recours pour excès de pouvoir ; que les conclusions tendant à son annulation sont par suite irrecevables et ne peuvent être que rejetées ; (...) »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Les dispositions du code pénal

23. Aux termes de l’article 225-1 du code pénal, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux :

« (...)

Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’apparence physique, du patronyme, du lieu de résidence, de l’état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l’orientation ou identité sexuelle, de l’âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

24. Aux termes de l’article 432-7 du code pénal :

« La discrimination définie aux articles 225-1 et 225-1-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission, est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste :

1o À refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ;

(...) »

2. L’article 6 de la loi no 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine (LOI DE 2014) et la circulaire d’application de cette loi

25. Aux termes de l’article 6 de la loi de 2014, dans sa rédaction à la date des faits litigieux :

« I. ― La politique de la ville est mise en œuvre par des contrats de ville conclus à l’échelle intercommunale entre, d’une part, l’État et ses établissements publics et, d’autre part, les communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre concernés. Ces contrats sont signés par les départements et les régions.

(...) »

26. La circulaire du Premier ministre no 5729/SG du 15 octobre 2014 sur l’élaboration des contrats de ville nouvelle génération précise, en ces termes, le cadre de la nouvelle contractualisation :

« 1.1. Un contrat de ville porté par l’intercommunalité et fédérant l’ensemble des acteurs concernés par la politique de la ville

Comme le prévoit l’article 6 de la [loi de 2014], les nouveaux contrats de ville seront signés à l’échelle intercommunale entre, d’une part, l’État représenté par le préfet de département, et d’autre part, le président de l’Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) et les maires des communes concernées. La loi prescrit également leur signature par les Régions et les Départements, à tout le moins au titre de leurs compétences d’attribution et, le cas échéant, au titre d’engagements volontaires sur le renouvellement urbain et la cohésion sociale. Ces collectivités devront ainsi être associées étroitement et le plus en amont possible à l’élaboration et au suivi des contrats de ville, dans le cadre de la mobilisation de leurs compétences, au titre notamment de la formation professionnelle, du développement économique, des transports et de la mobilisation spécifique des fonds européens pour les Régions (...) ; »

27. Selon les informations fournies par le Gouvernement, le taux de signature effective des contrats de ville par les conseils régionaux était de 75 % dans un premier temps puis de 95 % par la suite (rapport de l’Observatoire de la politique de la Ville de 2016).

3. Les travaux parlementaires

28. Lors des débats parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat en date des 22 novembre 2013 et 14 janvier 2014 relatifs au projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, la question de l’obligation ou non de signer les contrats de ville par les départements et les régions a été débattue. Devant les deux assemblées, à cette question, il fut répondu qu’une telle obligation serait contraire au principe de la libre administration des collectivités locales inscrit dans la Constitution. Les comptes rendus des débats comportent les développements suivants :

« (...) Pourquoi les départements et les régions, qui mettent en œuvre des politiques d’insertion et de formation professionnelle, des politiques sociales et culturelles, et travaillent donc évidemment sur la question de la politique de la ville, ne sont-ils pas « obligatoirement » signataires des contrats de ville ? L’amendement no 39 rectifié propose qu’ils le soient (...) Monsieur le ministre, quelle est votre opinion ? Faut-il ou non associer de façon obligatoire les régions et les départements aux contrats de ville ?

La parole est à M. F. P., rapporteur (...) : « J’aurais voulu donner un avis favorable à cet amendement, mais ce n’était malheureusement pas possible juridiquement. En effet, la disposition proposée est inconstitutionnelle : le principe de libre administration des collectivités territoriales ne permet pas d’obliger ces dernières – ni les organismes qui en dépendent – à signer un contrat de ville. Il s’agit d’un vrai sujet : on pourrait imaginer ou espérer l’application d’une telle mesure. Malheureusement – ou heureusement, selon le point de vue qu’on adopte sur le plan juridique -, ce n’est pas possible. C’est donc avec regret que la commission a donné un avis défavorable à cet amendement ».

La parole est à M. le ministre délégué chargé de la ville (...) François Lamy : Je partage l’avis du rapporteur. Néanmoins, j’ai signé une convention avec l’Association des régions de France et l’Association des départements de France : ces deux associations d’élus se sont engagées à ce que l’ensemble des collectivités concernées signent les contrats de ville.

(...) L’amendement no 39 est retiré. »

« M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques. (...) Comment les contrats de ville pourraient-ils ne pas être signés par les régions, alors qu’on utiliserait des fonds européens gérés par elles ? L’emploi du verbe « devoir » pose effectivement problème, car on ne peut pas contraindre une collectivité à signer le contrat. Néanmoins, on pourrait envisager de modifier la formulation de notre collègue (...) et d’employer les termes « peuvent être signés ».

(...) La parole est à M. le ministre délégué. M. François Lamy (...) Je partage totalement l’avis du président de la commission Daniel Raoul (...). À l’heure actuelle, environ un tiers des régions et un tiers des départements sont impliqués dans des contrats urbains de cohésion sociale. Cependant, je pense que toutes et tous devraient s’engager, d’ailleurs dans le cadre de leurs compétences propres. (...) Cela étant, je ne puis qu’en appeler à la sagesse de la Haute Assemblée, qui, par ailleurs, est aussi la représentation des collectivités territoriales. Du point de vue du Gouvernement, la Constitution ne permet pas d’obliger un département ou une région à signer un contrat de ville, même si je pense que tous doivent le faire. (...) »

4. La jurisprudence pertinente
1. Jurisprudence judiciaire

29. La notion de « droit accordé par la loi » au sens de l’article 432‑7‑1o du code pénal s’entend d’un droit existant et non éventuel, c’est-à-dire un droit auquel on peut d’emblée prétendre. Ainsi, le juge qui refuse la mise en liberté d’un inculpé étranger placé en détention provisoire ne se rend pas coupable du délit prévu à l’article 432-7-1o dès lors que cette personne ne présente pas les garanties nécessaires (Crim. 30 mars 1989, no 89-80416). De même, l’infraction prévue par cette disposition n’est pas constituée lorsque le refus porte sur un avantage prévu par la loi mais dont l’octroi relève de la libre appréciation de l’agent : il a ainsi été jugé, s’agissant d’un candidat au concours de l’École nationale d’administration, qui prétendait avoir été écarté en raison de ses opinions politiques exprimées dans ses copies, que « le droit de se présenter à un concours n’impliquait pas celui d’être admis » et que la notation des copies anonymes des candidats relevait de « l’appréciation souveraine des examinateurs » (Crim, 24 mars 1998, no 97-84.321).

30. Par ailleurs, la chambre criminelle a considéré que l’exercice du droit de préemption par un maire ne constitue pas le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi (Crim, 17 juin 2008, no 07-81666) :

« Attendu que, d’une part, la loi pénale est d’interprétation stricte ;

Attendu que, d’autre part, la discrimination prévue par l’article 432-7 du code pénal suppose, dans le premier cas visé par ce texte, le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi ;

(...) les époux Y..., qui avaient conclu un compromis de vente en vue de l’acquisition d’un bien immobilier (...), ont porté plainte et se sont constitués parties civiles contre G.X..., maire de la commune, au motif que celui-ci avait fait obstacle à la réalisation de la vente en exerçant de façon abusive le droit de préemption lui ayant été délégué (...) ; que G. X..., renvoyé devant le tribunal correctionnel sur le fondement du délit prévu par l’article 432-7 du code pénal, a été déclaré coupable de cette infraction par les premiers juges (...) ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l’arrêt énonce qu’en raison de la consonance du nom des acheteurs laissant supposer leur origine étrangère ou leur appartenance à l’islam, G. X..., en sa qualité de maire, a commis une discrimination en refusant aux parties civiles le droit d’acquérir la propriété d’un immeuble et de fixer librement le lieu de leur résidence ;

Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’exercice d’un droit de préemption, fût-il abusif, ne saurait constituer le refus du bénéfice d’un droit accordé par la loi au sens de l’article 432-7 du code pénal, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés ; »

2. Jurisprudence administrative

31. Selon la jurisprudence administrative, le contrat de ville n’emporte par lui-même aucune conséquence directe quant à la réalisation effective des actions ou opérations qu’il prévoit et ne peut donc pas être regardé comme un acte faisant grief susceptible de recours (Cour administrative d’appel Douai, 17 mai 2000, no 97DA01074, Cour administrative d’appel Douai, 9 novembre 2021, no 20DA01109).

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

32. La requérante se plaint de sa condamnation pour discrimination, sur le fondement de l’article 432-7-1o du code pénal. Elle soutient que cette condamnation n’était pas prévisible, en violation de l’article 7 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. (...) »

1. Sur la recevabilité

33. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes ainsi que du défaut manifeste de fondement de la requête.

34. En premier lieu, il soutient que la requérante n’a pas soulevé de grief tiré de la violation de l’article 7 de la Convention et de l’imprévisibilité du comportement incriminé à l’article 432-7-1o du CP ou de sa condamnation devant la Cour de cassation. Il fait valoir qu’elle s’est contentée d’invoquer le défaut de caractérisation de l’intention discriminatoire et, partant, de l’élément moral de l’infraction qui lui était reprochée.

35. En second lieu, le Gouvernement demande à la Cour de déclarer la requête irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il soutient que la requérante cherche à remettre en cause, selon lui, l’appréciation souveraine des juridictions internes qui ont pourtant rendu des décisions motivées, dans le respect du contradictoire, au regard des prescriptions de la disposition litigieuse.

36. La requérante rétorque qu’elle a développé, au moins en substance, devant la Cour de cassation, un moyen tiré de l’interprétation extensive et imprévisible de l’article 432-7-1o du CP. Elle renvoie à cet égard à son mémoire ampliatif (paragraphe 18 ci-dessus) et à ses observations complémentaires (paragraphe 19 ci-dessus).

37. Elle soutient par ailleurs que la violation de l’article 7 de la Convention est caractérisée, de sorte qu’il y a lieu d’écarter l’argument du Gouvernement tiré de l’irrecevabilité de la requête pour défaut manifeste de fondement.

38. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes a pour finalité de permettre à un État contractant d’examiner, et ainsi de prévenir ou redresser, la violation de la Convention qui est alléguée contre lui. Certes, il n’est pas toujours nécessaire que la Convention soit explicitement invoquée dans la procédure interne : il suffit que le grief soit soulevé « au moins en substance ». Cela signifie que le requérant doit avancer des arguments juridiques d’effet équivalent ou similaire fondés sur le droit interne, de manière à permettre aux juridictions nationales de redresser la violation alléguée. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, pour permettre véritablement à un État contractant de prévenir ou de redresser la violation alléguée, il faut, afin de déterminer si le grief porté devant la Cour a effectivement été soulevé auparavant en substance devant les autorités internes, tenir compte non seulement des faits mais aussi des arguments juridiques du requérant. En effet, « il serait contraire au caractère subsidiaire du dispositif de la Convention qu’un requérant, négligeant un argument possible au regard de la Convention, puisse devant les autorités nationales invoquer un autre moyen pour contester une mesure litigieuse, et par la suite introduire devant la Cour une requête fondée sur l’argument tiré de la Convention » (Humpert et autres c. Allemagne [GC], nos 59433/18 et 3 autres, § 151, 14 décembre 2023 et la référence citée).

39. En l’espèce, la Cour note que la requérante a soutenu devant la cour d’appel de Nîmes qu’en s’opposant à la signature immédiate du contrat litigieux, elle n’avait pas refusé le bénéfice d’un droit auquel la commune de Beaucaire pouvait prétendre (paragraphe 12 ci-dessus). Elle relève également que, devant la Cour de cassation, elle a fait valoir que son comportement n’entrait pas dans le champ d’application de l’article 432-7-1o du code pénal dès lors qu’il n’était pas fondé sur des motifs discriminatoires (paragraphe 18 ci-dessus). Elle a par ailleurs soutenu qu’en la condamnant, la cour d’appel avait appliqué la loi pénale d’une manière extensive aux dépens du libre débat politique (paragraphe 19 ci-dessus).

40. Des pièces du dossier, la Cour déduit que la requérante a bien contesté, devant les juridictions internes, une interprétation extensive et imprévisible de son point de vue du délit de discrimination prévu par l’article 432-7-1o du code pénal. Il s’ensuit qu’elle doit être regardée comme ayant invoqué, devant les juges internes, un moyen correspondant au moins en substance au grief tiré de la violation de l’article 7 soulevé devant elle, les mettant ainsi à même de redresser la violation de la Convention alléguée. Dans ces conditions, elle considère que l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non‑épuisement des voies de recours internes doit être rejetée.

41. Par ailleurs, et contrairement au Gouvernement, la Cour considère que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

42. Constatant que le grief n’est pas irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) La requérante

43. La requérante ne conteste pas l’accessibilité de l’article 432-7-1o du code pénal mais le caractère imprévisible de son application en l’espèce. Elle fait valoir que sa condamnation résulte d’une interprétation extensive de la notion de « droit accordé par la loi » prévue par cette disposition alors que, selon la jurisprudence, cette notion serait d’interprétation stricte (paragraphe 30 ci-dessous).

44. En premier lieu, s’agissant de l’élément matériel de l’infraction, la requérante soutient qu’il résulte de l’article 6 de la loi de 2014, tel qu’éclairé par les travaux parlementaires, que la signature des contrats de ville par les conseils régionaux n’est pas obligatoire et ne constitue pas un « droit » au bénéfice des communes. Outre le principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, fermement rappelé lors de ces travaux, d’autres éléments viendraient, selon elle, encore conforter cette interprétation du texte.

45. D’une part, ce dernier distinguerait les parties dont la signature est requise pour les contrats de ville, à savoir les préfets et les communes ou établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), de celles dont les signatures seraient seulement encouragées, soit les régions, départements et autres partenaires. Le nombre avancé par le Gouvernement de contrats de ville valablement conclus et mis en œuvre sans la signature des régions (paragraphe 27 ci-dessus) montrerait clairement que ces dernières peuvent, sans refuser « le bénéfice d’un droit accordé par la loi », décider de ne pas les signer.

46. D’autre part, la signature d’un tel contrat serait d’autant moins « un droit accordé par la loi » que sa portée est très limitée puisque ses parties prenantes ne sont pas contraintes de mettre en œuvre les actions qu’il prévoit. Se référant à la jurisprudence administrative (paragraphes 22 et 31 ci-dessus), la requérante avance qu’il n’est pas soutenable qu’un acte, en l’occurrence le refus de signature d’un contrat de ville, qui ne peut pas faire l’objet d’un recours contentieux dès lors qu’il n’affecte pas suffisamment la situation du requérant, soit considéré, dans le même temps, comme « un droit accordé par la loi » dont le refus peut être constitutif de l’infraction de discrimination.

47. Enfin, aucune obligation des régions de signer le contrat de ville ne saurait être déduite des termes équivoques, selon la requérante, de la circulaire No 5729/SG du 15 octobre 2014.

48. En second lieu, la requérante soutient que sa qualité de présidente de la région, pouvant être assistée par un conseil, ne peut valablement être avancée pour remédier à l’incertitude, démontrée dans les paragraphes qui précèdent, qui affecte le cadre juridique des contrats de ville et le périmètre de l’incrimination pénale en cause.

49. Enfin, elle estime que l’interprétation retenue dans son cas de l’élément moral de l’infraction n’était pas prévisible non plus. En fondant l’élément intentionnel de l’infraction sur deux déclarations publiques, qui bénéficiaient d’une protection renforcée en sa qualité d’élue, sans rechercher l’existence d’éléments objectifs pouvant justifier sa décision et sans caractériser effectivement le motif discriminatoire qui l’aurait animée, les juridictions internes auraient, selon elle, procédé à une interprétation extensive de l’article 432-7-1o du code pénal.

b) Le Gouvernement

50. Le Gouvernement soutient que l’infraction litigieuse était clairement accessible et prévisible au moment de la commission des faits.

51. Il fait valoir que l’article 432-7-1o du code pénal recourt délibérément à des énoncés larges afin d’éviter une rigidité excessive et assurer une protection plus efficace des victimes de discrimination.

52. En ce qui concerne la question de savoir si la requérante pouvait prévoir qu’elle refusait à la commune de Beaucaire le bénéfice d’un « droit accordé par la loi », le Gouvernement relève que la cour d’appel a qualifié l’article 6 de la loi de 2014 de texte clair. Il ajoute que cette juridiction a également pris le soin de souligner la concordance entre la nature du contrat de ville, qui ne crée aucun engagement entre les parties prenantes, se limitant à une liste de besoins exprimés et d’objectifs définis en termes généraux et non chiffrés, et l’absence de marge d’appréciation de la région s’agissant de la signature de ce document. En l’absence d’une telle marge de manœuvre, la cour d’appel aurait, à raison, jugé inopérants les motifs invoqués par la requérante pour s’opposer à la signature du contrat litigieux, notamment l’absence de concertation avec la région ou la compétence exclusive de celle-ci pour certains projets notamment. Ce faisant, elle n’a pas, selon le Gouvernement, procédé à une interprétation extensive ou arbitraire de la disposition litigieuse mais à l’appréciation du caractère discriminatoire du refus de signature en recourant à la méthode du faisceau d’indices. Le Gouvernement en déduit que l’intéressée avait bien conscience de l’obligation qui était la sienne de signer le contrat de ville, mais qu’elle aurait pour autant tenté de justifier son refus a posteriori.

53. Le Gouvernement est d’avis, en outre, que la requérante, en sa qualité de présidente du Conseil régional, ne pouvait pas ignorer le droit applicable.

54. Enfin, il souligne que la cour d’appel a valablement caractérisé l’intention discriminatoire de la requérante en s’appuyant sur ses déclarations, mais aussi sur l’absence de justification légitime de son refus de signer le contrat litigieux et la différence de traitement avec les autres communes.

55. Le Gouvernement conclut que la loi de 2014 était suffisamment claire et accessible pour en déduire que la présidente du Conseil régional ne disposait pas de marge d’appréciation concernant la signature du contrat de ville. L’application du délit de discrimination aux circonstances de l’espèce, bien que nouvelle, n’en était pas moins, ainsi, de son point de vue, raisonnable au regard du droit interne et cohérente avec la substance de l’infraction.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

56. La Cour rappelle que la garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation même en temps de guerre ou d’autre danger public. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, condamnations et sanctions arbitraires (Yüksel Yalçınkaya c. Türkiye [GC], no 15669/20, § 237, 26 septembre 2023, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 77, CEDH 2013, Vasiliauskas c. Lituanie [GC], nos 35343/05, § 153, CEDH 2015, et Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 202, 4 décembre 2018).

57. L’article 7 de la Convention n’a pas pour unique objet de prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé. Il consacre aussi, d’une manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, notamment par analogie (Yüksel Yalçınkaya, précité, § 238, Del Río Prada, précité, § 78, Vasiliauskas, précité, § 154, et Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260‑A).

58. Il découle de ces principes qu’une infraction doit être clairement définie par la loi. Cette condition est satisfaite lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quelles actions et omissions engagent sa responsabilité pénale. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, notamment celles d’accessibilité et de prévisibilité (Yüksel Yalçınkaya, précité, § 238).

59. Aussi clair que puisse être le libellé, il existe immanquablement dans tout système juridique, y compris le droit pénal, un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. D’ailleurs il est solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la Convention que la jurisprudence contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (S.W. c. Royaume‑Uni, 22 novembre 1995, § 36, série A no 335‑B, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96 et 2 autres, § 50, CEDH 2001‑II, Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, § 155, CEDH 2015, et Yüksel Yalçınkaya, précité, § 239). L’absence d’une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible peut même conduire à un constat de violation de l’article 7 à l’égard d’un accusé (voir, pour ce qui est des éléments constitutifs de l’infraction, Pessino c. France, no 40403/02, §§ 35‑36, 10 octobre 2006, et Dragotoniu et Militaru‑Pidhorni c. Roumanie, nos 77193/01 et 77196/01, §§ 43‑44, 24 mai 2007 ; voir, pour ce qui est de la peine, Alimuçaj c. Albanie, nos 20134/05, §§ 154‑162, 7 février 2012). S’il en allait autrement, l’objet et le but de cette disposition – qui veut que nul ne soit soumis à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires – seraient méconnus (Del Río Prada, précité, § 93).

60. La Cour estime que, à la différence des cas de revirement de jurisprudence, une interprétation de la portée d’une infraction qui se trouve être cohérente avec la substance de cette infraction doit, en principe, être considérée comme prévisible (Jorgic c. Allemagne, no 74613/01, § 109, CEDH 2007‑III).

61. Lorsqu’elle entreprend de déterminer si une interprétation large donnée de la loi par les juridictions internes était raisonnablement prévisible, la Cour recherche si l’interprétation en question correspondait à une ligne perceptible de jurisprudence, ou si son application dans des circonstances élargies cadrait néanmoins avec la substance de l’infraction (Total S.A. et Vitol S.A. c. France, nos 34634/18 et 43546/18, § 55, 12 octobre 2023, Tristan c. République de Moldova, no 13451/15, § 51, 4 juillet 2023, Parmak et Bakır c. Turquie, nos 22429/07 and 25195/07, § 65, 3 décembre 2019). Les juridictions internes doivent faire preuve d’une diligence particulière pour préciser les éléments constitutifs d’une infraction d’une manière qui assure la prévisibilité de celle-ci et soit compatible avec sa substance (idem, § 77).

62. Enfin, la Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes dans l’interprétation de la législation interne ou l’appréciation et la qualification juridique des faits. Elle souligne aussi, toutefois, que lorsqu’elle exerce son rôle de supervision sur le terrain de l’article 7 de la Convention, elle ne suit les conclusions des juridictions internes que pour autant que celles-ci soient compatibles avec l’objet et le but de l’article 7 (Yüksel Yalçınkaya, précité, § 255).

b) Application en l’espèce

63. Le présent litige porte sur la prévisibilité, au regard de l’article 7 de la Convention, de la mise en œuvre, à l’égard de la requérante, de l’article 432‑7-1o du code pénal.

64. La Cour note, en premier lieu, que la clarté de la définition de l’infraction en cause n’est pas contestée. La disposition litigieuse incrimine la discrimination commise par une personne dépositaire de l’autorité publique, notamment lorsqu’elle consiste « à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi ». S’agissant de la définition de la discrimination, celle-ci renvoie à l’article 225-1 du code pénal. Ni ce procédé de définition par référence ni la clarté de l’énoncé de la disposition à laquelle il est renvoyé ne sont mis en cause par la requérante.

65. La Cour relève, en deuxième lieu, que le désaccord entre les parties porte sur la prévisibilité, au sens de l’article 7 de la Convention, de l’interprétation retenue par les juridictions internes quant au champ d’application de l’article 432-7-1o du code pénal. Si la requérante ne discute pas avoir agi en tant que « personne dépositaire de l’autorité publique ou investie d’une mission de service public » en sa qualité de présidente d’un conseil régional, elle conteste en revanche la prévisibilité de l’interprétation, dont elle fait valoir le caractère déraisonnablement extensif au regard tant de la lettre que de la ratio legis de l’article 6 de la loi du 21 février 2014, retenue par les juges internes ayant conduit à considérer que le refus litigieux de signer un contrat de ville revenait, de la part de la région, à refuser le bénéfice d’un droit accordé par la loi. Pour sa part, le Gouvernement soutient que l’intention du législateur, reflétée par l’article 6 de la loi de 2014, était claire et que la requérante pouvait raisonnablement prévoir qu’elle était susceptible, en raison de son refus de signer le contrat de ville litigieux, d’être poursuivie et condamnée sur le fondement de l’article 432-7-1o du code pénal.

66. Après avoir rappelé qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux juridictions internes dans l’interprétation de la loi interne, la Cour relève que la condamnation de la requérante sur le fondement de l’article 432-7-1o du code pénal procède d’une interprétation inédite de cette disposition, ce qui ne soulève, en principe, aucune difficulté au regard de l’article 7 de la Convention. Il appartient cependant à la Cour de rechercher si l’interprétation retenue pour la première fois par la cour d’appel de Nîmes, non remise en cause par la Cour de cassation, était raisonnablement prévisible, eu égard au cadre juridique clairement posé en droit interne, du point de vue du justiciable et, en particulier, dans le cas de la requérante (paragraphe 61 ci-dessus).

67. À cet égard, la Cour relève, en premier lieu, l’existence d’une jurisprudence de la Cour de cassation relative à la notion de « droit accordé par la loi » au sens de l’article 432-7-1o du code pénal selon laquelle il doit s’agir d’un droit existant et non éventuel, dont l’octroi ne relève pas de la libre appréciation de la personne dépositaire de l’autorité publique (paragraphe 29 ci-dessus).

68. En deuxième lieu, la Cour relève que les travaux parlementaires, préparatoires à la loi de 2014, révèlent que le législateur a veillé à ce que la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine qui avait pour objectif de mobiliser l’ensemble des acteurs institutionnels dans l’élaboration des contrats de ville respecte le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales. Il ressort ainsi des débats, tant devant l’Assemblée nationale que devant le Sénat (paragraphe 28 ci-dessus), que la proposition d’imposer à la Région la signature des contrats de ville n’a pas été retenue au nom du respect de ce principe, et qu’un consensus s’est dégagé pour estimer que la participation active de cette collectivité territoriale à la contractualisation de la politique de la ville devait être encouragée sans pouvoir cependant exiger d’elle une obligation de signer lesdits contrats. La Cour en déduit qu’il résulte des dispositions de l’article 6 de la loi de 2014, éclairées par les travaux parlementaires, que le législateur a entendu exclure une telle obligation en la matière.

69. En troisième lieu, la Cour relève que la circulaire du Premier ministre relative aux modalités opérationnelles des contrats de ville édictée postérieurement à la loi de 2014, précisant le cadre juridique de ces derniers (paragraphe 26 ci-dessus), ainsi que les données statistiques communiquées par le Gouvernement sur le taux de signature de ces documents (paragraphe 27 ci-dessus) confortaient une telle analyse conduisant à exclure toute compétence liée des régions pour signer les contrats de ville, en application de l’article 6 de la loi de 2014.

70. En quatrième et dernier lieu, la Cour note que la requérante a produit devant la cour d’appel de Nîmes, au cours de la procédure pénale engagée à son encontre, le jugement du tribunal administratif du même ressort rendu à propos de la même affaire. Pour décider de rejeter la demande de la commune de Beaucaire tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du refus de signer le contrat de ville, le tribunal administratif s’est fondé sur la nature d’un contrat de ville qui « n’emporte par lui-même aucune conséquence directe quant à la réalisation effective des actions ou opérations qu’il prévoit » et ne crée pas d’engagement financiers entre les parties prenantes. Or, après avoir souligné le caractère clair des dispositions de l’article 6 de la loi de 2014, la cour d’appel de Nîmes a cependant considéré que « la région doit signer le contrat de ville sans qu’il soit prévu le moindre pouvoir d’appréciation de celle-ci » pour en déduire qu’une telle signature constituait, dans le chef de la commune co-contractante « un droit accordé par la loi ». Aux yeux de la Cour, le jugement précité du tribunal administratif qui s’inscrit dans la ligne de précédentes décisions du juge administratif ayant considéré qu’eu égard à sa nature, un contrat de ville était insusceptible de recours (paragraphe 31 ci‑dessus), souligne le caractère isolé et imprévisible de l’interprétation retenue par le juge judiciaire.

71. S’il est vrai qu’ainsi qu’il ressort des déclarations de la requérante (paragraphes 8 et 9 ci-dessus), la décision litigieuse qui repose en réalité sur le choix de différer la signature du contrat de ville plutôt que sur le refus définitif d’y procéder, se fondait sur des considérations de politique d’aménagement du territoire, la Cour déduit des éléments qui précèdent qu’il ne résultait pas du cadre juridique clairement posé en droit interne que le contrat de ville ou la décision de refuser de la signer pouvait raisonnablement être regardé comme revêtant une quelconque portée juridique. Il s’ensuit qu’en retenant, dans la présente espèce, une interprétation imprévisible des dispositions de l’article 6 de la loi de 2014, les juges internes ont procédé à une interprétation de l’article 432-7-1o du code pénal qui doit être regardée comme déjouant les anticipations que la requérante pouvait légitimement nourrir quant à la nature de son pouvoir de signature, en qualité de présidente de région, d’un contrat de ville.

72. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que la requérante ne pouvait pas raisonnablement prévoir, alors même qu’en tant que présidente de région, elle était un acteur institutionnel clé de la contractualisation de la politique de la ville, ainsi que le fait valoir le Gouvernement, qu’en refusant de signer le contrat de ville litigieux, elle refusait le bénéfice d’un « droit accordé par la loi », au sens de l’article 432‑7‑1o du code pénal, auquel la commune de Beaucaire pouvait prétendre au risque d’engager sa responsabilité pénale pour discrimination. En retenant une telle interprétation pour la condamner à ce titre, les juges internes ont porté atteinte aux garanties qui découlent de l’article 7 de la Convention.

73. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

74. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

75. La requérante indique renoncer à une prétention pécuniaire malgré le préjudice qu’elle allègue avoir subi en raison de son atteinte à sa réputation. Elle invite la Cour à souligner expressément qu’elle disposera effectivement de la possibilité de demander le réexamen de sa condamnation pénale et d’obtenir l’effacement de sa condamnation pénale en vue du rétablissement de son honneur.

76. Le Gouvernement prend acte de l’affirmation de la requérante selon laquelle le constat de violation, qui est de nature à permettre une remise en cause de la condamnation en droit interne, est une satisfaction équitable de son préjudice.

77. La Cour considère que la réouverture de la procédure pénale constituerait le moyen le plus approprié de mettre un terme à la violation constatée et d’en effacer les conséquences pour la requérante. Elle rappelle avoir confirmé récemment que le principe selon lequel, lorsqu’un particulier a été condamné en violation de l’article 6 de la Convention, un nouveau procès ou une réouverture de la procédure à la demande de l’intéressé représente en principe un moyen approprié de redresser la violation constatée, s’applique également en cas de violation de l’article 7 de la Convention (Yüksel Yalçınkaya, précité, § 407 et les références citées). Cela étant, en l’absence de tout développement sur une telle possibilité, la Cour considère qu’il appartient aux autorités nationales de trancher la question.

2. Frais et dépens

78. La requérante ne demande pas de remboursement à ce titre en précisant que les frais et dépens ont été pris en charge au titre de sa protection fonctionnelle en qualité d’élue.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention ;

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Lado Chanturia
Greffier Président


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-234268
Date de la décision : 09/07/2024
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 7 - Pas de peine sans loi (Article 7-1 - Nullum crimen sine lege)

Parties
Demandeurs : DELGA
Défendeurs : FRANCE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Fonds documentaire ?: HUDOC

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