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16/05/2024 | CEDH | N°001-233634

CEDH | CEDH, AFFAIRE LUTGEN c. LUXEMBOURG, 2024, 001-233634


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LUTGEN c. LUXEMBOURG

(Requête no 36681/23)

ARRÊT


Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation d’un avocat à une amende pénale pour ses propos outrageant un juge dans un courriel envoyé aux autorités compétentes pour leur signaler une situation qu’il jugeait inacceptable • Légitimité de la démarche du signalement reconnue par les autorités internes • Jugements de valeur reposant sur une base factuelle suffisante • Affirmations n’ayant fait l’objet d’aucune publicité • Propos désobligeants, critiqu

es et inappropriés • Absence d’injures et d’attaque personnelle gratuite • Défense des intérêts de son client dan...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LUTGEN c. LUXEMBOURG

(Requête no 36681/23)

ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Condamnation d’un avocat à une amende pénale pour ses propos outrageant un juge dans un courriel envoyé aux autorités compétentes pour leur signaler une situation qu’il jugeait inacceptable • Légitimité de la démarche du signalement reconnue par les autorités internes • Jugements de valeur reposant sur une base factuelle suffisante • Affirmations n’ayant fait l’objet d’aucune publicité • Propos désobligeants, critiques et inappropriés • Absence d’injures et d’attaque personnelle gratuite • Défense des intérêts de son client dans une situation d’urgence • Sanctions pénales injustifiées • Motifs non suffisants et pertinents • Condamnation pénale non proportionnée

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

16 mai 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lutgen c. Luxembourg,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Lado Chanturia, président,
Georges Ravarani,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Mattias Guyomar,
Mykola Gnatovskyy, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

la requête (no 36681/23) dirigée contre le Grand-Duché de Luxembourg et dont un ressortissant de cet État, M. André Lutgen (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 29 septembre 2023,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement luxembourgeois (« le Gouvernement »),

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 avril 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne, sous l’angle de l’article 10 de la Convention, la condamnation d’un avocat à une amende pénale pour outrage à magistrat.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1948 et réside à Luxembourg. Il a été représenté par Me F. Prum, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente ad interim Cathy Wiseler, de la Représentation permanente du Luxembourg auprès du Conseil de l’Europe.

1. LES FAITS À L’ORIGINE DU LITIGE

4. À la suite d’un accident mortel survenu le lundi 27 mai 2019 sur le site du laminoir de Differdange de la société ArcelorMittal (dont le requérant est le conseil), le juge d’instruction (« le juge ») ordonna une expertise judiciaire de l’installation électrique ayant causé le décès de la victime et fit apposer des scellés sur cette installation pour permettre à l’expert de remplir sa mission.

5. Le lendemain à 16 h 59, le requérant adressa au juge une télécopie dans laquelle il exprimait sa crainte que l’expert ne puisse se présenter sur les lieux que la semaine suivant le pont de l’Ascension, ce qui risquait selon lui d’entraîner l’arrêt de la production et la mise au chômage technique de plusieurs centaines de salariés.

Mentionnant une déclaration que le commissaire de police judiciaire en charge du dossier (« le commissaire ») aurait faite en ce sens auprès du directeur de l’usine, il demanda au juge qu’il « accord[e] la mainlevée des scellés sur le disjoncteur principal du site (...), la mainlevée de la saisie sur les clés nécessaires à sa remise en route, et qu[‘il] déplac[e] (...) le commissaire (...) ou tout autre agent de la force publique disponible au plus vite pour y procéder, afin d’éviter une catastrophe économique qui se rajouterait au drame humain ».

6. Le 29 mai 2019 (veille du jeudi de l’Ascension, jour férié) à 8 h 1, le requérant relança le juge, qui lui répondit, à 9 h 29, qu’il « [l’]informerai[t] de la levée des scellés dès que l’expert n’en aura[it] plus besoin ».

7. À 15 h 18, le requérant adressa au juge un courriel dans lequel il relatait que l’expert, sur place le matin du même jour en compagnie du commissaire, avait procédé à tous les devoirs utiles, mais que ni l’expert ni le commissaire n’avaient voulu procéder à la levée des scellés au motif que la décision à cette fin revenait au juge. Le requérant « demand[ait] [au juge] de [lui] faire savoir dans la demi-heure que ces scellés ser[aie]nt levés ». Il tenta par ailleurs, en vain, de joindre le juge par téléphone.

8. Le même jour à 16 h 24, faute d’une réponse du juge, le requérant adressa aux ministres de la Justice et de l’Économie, avec copie à la procureure générale d’État, un courriel par lequel il les informait de la situation. Il y écrivait notamment ceci :

« Je vous demanderai de bien vouloir trouver ci-dessous un mail que je viens d’adresser au juge [en question].

Ce n’est pas la première fois que j’ai un incident avec lui.

Inutile de préciser que tout ceci est absolument inacceptable.

Je viens d’essayer à 15h20 de l’appeler sur sa ligne directe, ensuite sur la ligne générique du cabinet d’instruction, aucune réponse.

À 16 heures j’ai eu une greffière en ligne qui m’a dit qu’il serait là dans un quart d’heure.

Je viens d’appeler à nouveau sur sa ligne directe ainsi que sur la ligne générale du cabinet d’instruction, aucune réponse.

Je vous laisse le soin de deviner les conclusions que j’en tire. »

9. Sur la base d’une ordonnance de mainlevée communiquée par le juge aux enquêteurs le même jour à 17 h 22, le commissaire procéda à la levée des scellés à 19 h. Le juge n’informa pas le requérant de ces faits. Le juge, qui (selon les informations rapportées dans les conclusions du parquet général devant la Cour d’appel) avait des interrogatoires à mener dans le cadre du service de permanence dont il avait la charge à ce moment-là, indiquera par la suite qu’il n’avait appris l’existence du courriel envoyé par le requérant le 29 mai 2019 à 16 h 24 que le lendemain à 10 h 25 (selon toute probabilité à la suite du courriel adressé au juge par la procureure générale d’État, voir le paragraphe 11 ci-dessous).

10. Le courriel du requérant en date du 29 mai 2019 à 16 h 24 déclencha un échange de courriers entre l’intéressé et la procureure générale d’État, laquelle jugea inadmissible qu’il se fût adressé à des membres du pouvoir exécutif dans le cadre d’une instruction en cours.

Ainsi, dans un courriel du 31 mai 2019, la procureure générale d’État, tout en indiquant qu’elle comprenait très bien les intérêts économiques du client du requérant, rappela qu’il appartenait au juge d’instruction de faire enquêter sur les origines de l’accident et les éventuelles responsabilités à cet égard, et qu’il était « pratiquement usuel qu’un expert en la matière soit chargé (...) même si cela caus[ait] quelque désagrément [au] client [du requérant] ». Elle demandait au requérant « de bien vouloir éviter dans le futur d’exercer quelconques pressions [sur le juge] et certainement pas d’intervenir au niveau politique ».

11. En parallèle, le juge répondit à la procureure générale d’État, qui lui avait demandé de l’informer des suites qu’il avait réservées au courriel du requérant. Dans son message, envoyé le 30 mai 2019 à 10 h 25, la procureure générale d’État avait pris soin de préciser qu’elle ne voulait pas s’immiscer dans l’instruction en cours.

12. Le 3 juin 2019, le requérant (qui avait entretemps été informé par son client de la levée des scellés) répondit par un courriel au message de la procureure générale d’État en date du 31 mai 2019. Il remerciait celle-ci d’être intervenue auprès du juge d’instruction un jour férié, confirmait la levée des scellés, et ajoutait qu’il s’était « adressé aux autorités gouvernementales [parce qu’il était] en train de paver le chemin pour pouvoir conseiller à [s]a mandante d’engager la responsabilité civile de l’État (...) une fois qu[‘il] aurai[t] pu constater que le maintien d[es] scellé[s] n’avait aucune raison d’être, sauf l’incurie des intervenants ». Il conclut être « bien heureux de constater que [s]on message a[vait] été compris et que la responsabilité de l’État et du juge ne saurait être engagée et c’est tant mieux ».

2. LA POURSUITE PÉNALE ENGAGÉE CONTRE LE REQUÉRANT

13. Le 5 juin 2019, le juge adressa au procureur d’État une lettre intitulée « dénonciation de faits pouvant comporter une qualification pénale ».

14. Le 16 juillet 2019, le parquet requit l’ouverture contre le requérant d’une information judiciaire des chefs d’intimidation de magistrat (article 251 du code pénal) et d’outrage à magistrat (article 275 du code pénal).

15. Le requérant en informa le bâtonnier. Une procédure disciplinaire fut ouverte à son encontre. Par une décision du 4 novembre 2020, la procédure fut classée sans suite au motif qu’aucun des courriels du requérant ne contrevenait aux règles déontologiques.

En ce qui concerne plus particulièrement le courriel en date du 29 mai 2019 à 16 h 24, la bâtonnière estima qu’il ne « cont[enait] aucune altération des faits [ni] surprise déloyale », le requérant ayant souhaité selon elle « rendre attenti[ves] les plus hautes autorités politiques de l’État sur le fait que tout retard pris par un de ses agents indolents risqu[ait] d’engager la responsabilité civile de l’État pour fonctionnement défectueux de ses services ». La bâtonnière ajouta que « le fait d’écrire : « Ce n’est pas la première fois que j’ai un incident avec lui » décri[vait] un état de fait qui ne cont[enait] aucun terme blessant ou injurieux, méprisant, arrogant ou hautain ».

Au demeurant, la bâtonnière « spécifi[ait] d’emblée », dans sa décision, « qu’il ne [lui] appartenait pas de qualifier [le] comportement [du requérant] au niveau pénal (...) », puisque « cela relev[ait] des seuls cours et tribunaux siégeant en matière pénale ».

1. La procédure de renvoi

16. Le 30 septembre 2020, la chambre du conseil du tribunal d’arrondissement de Luxembourg (« tribunal ») ordonna le renvoi du requérant devant une chambre correctionnelle du tribunal à raison de ses courriels en date du 29 mai 2019 à 16 h 24 et du 3 juin 2019 (paragraphes 8 et 12 ci-dessus).

17. Le 1er décembre 2020, la chambre du conseil de la Cour d’appel confirma cette ordonnance. Elle indiqua, entre autres, qu’« on ne [pouvait] que constater qu’il n’y a[vait] pas eu de dysfonctionnement de la justice et que les écrits litigieux, qui n’étaient pas adressés au supérieur hiérarchique du juge (...), ne pouvaient être qualifiés de « faits d’audience » (...) ». Elle conclut à l’existence de charges de culpabilité suffisantes permettant de croire que le requérant, « en critiquant notamment son manque de réactivité et en faisant référence à des incidents non autrement précisés, [avait] porté atteinte à l’honneur et à la dignité du magistrat (...) et [avait] voulu influencer la conduite de l’information judiciaire dans le but d’amener celui-ci à ordonner la levée de scellés ».

2. La procédure quant au fond
1. Le jugement de première instance

18. Le 23 décembre 2021, le tribunal correctionnel acquitta le requérant de la prévention d’intimidation de magistrat, mais le condamna à une amende de 2 000 euros (EUR) et au paiement au civil d’un euro symbolique pour outrage à magistrat à raison des courriels en date du 29 mai 2019 à 16 h 24 et du 3 juin 2019.

Dans la partie du jugement consacrée à « la peine » à prononcer, le tribunal indiqua que le requérant avait « critiqué la façon de travailler du [juge] et ses prises de décision, ce qui [était] son droit et constitu[ait] l’exercice de son droit à la liberté d’expression, [mais qu’]il avait franchi les limites de la critique nécessaire pour défendre son client en attaquant personnellement le magistrat en des termes particulièrement dénigrants, le qualifiant de façon réitérée de magistrat incompétent » ; le tribunal notait en outre que « s’y ajout[ait] qu’il a[vait] proféré ces outrages dans le cadre d’une demande en mainlevée de scellés à un moment où le juge d’instruction n’a[vait] pas encore pu prendre cette décision, alors qu’il attendait les conclusions de l’expert et que depuis l’accident mortel d’un ouvrier de l’usine (...) seulement deux jours [avaien]t passé ».

2. L’arrêt d’appel

19. Le 6 juillet 2022, la Cour d’appel confirma le jugement de première instance, sauf à acquitter le requérant quant au courriel du 3 juin 2019, réduisit l’amende à 1 000 EUR et condamna l’intéressé à une indemnité de procédure de 1 500 EUR au titre de la première instance.

20. Pour condamner le requérant quant au courriel en date du 29 mai 2019 à 16 h 24 (paragraphe 8 ci-dessus), elle retint d’abord ce qui suit :

« [Le requérant] n’est pas poursuivi pour avoir menacé ou intimidé un magistrat dans l’exercice de ses fonctions ou [pour] avoir dénoncé un risque de dysfonctionnement, prévention qui a été traitée ci-dessus, mais [pour] avoir outragé par écrit un magistrat de l’ordre judiciaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions.

Les principes de la légalité et de la légitimité de la dénonciation ne sont pas remis en cause sous cette prévention, ni le principe de la liberté d’expression de l’avocat et son corollaire quant à la légitimité de l’ingérence de l’autorité publique dans le droit d’expression de l’avocat.

Il n’est pas non plus remis en cause que le fait de dénoncer légalement et légitimement un dysfonctionnement ou un risque de dysfonctionnement de l’administration judiciaire aux autorités de surveillance ne constitue pas un outrage à magistrat.

Ce qui est reproché [au requérant] est d’avoir, dans le cadre d’une dénonciation légale et légitime, employé dans les courriels adressés aux deux ministres et au procureur général d’État, de subtiles formulations pour dénigrer le juge d’instruction, partant dans le but de l’outrager.

Il est reproché au [requérant] la manière, le style et les insinuations malsaines avec lesquels il a formulé sa critique.

La question ne se pose dès lors pas si, en cas de condamnation [du requérant], l’article 10 de la Convention sera violé ni si l’ingérence étatique est disproportionnée ou non. »

21. Elle poursuivit en ces termes :

« La liberté d’expression de l’avocat, qui n’est pas en discussion, ne lui permet toutefois pas, sous le couvert de cette liberté, d’injurier ou d’outrager. La liberté d’expression de l’avocat trouve sa limite dans les libertés et droits fondamentaux d’autrui. (...)

Parmi les informations objectives suffisantes pour informer les autorités d’un risque de dysfonctionnement et de la possibilité de survenance d’un préjudice considérable, [le requérant] a ajouté, afin de souligner et d’illustrer ses propos, des observations personnelles de nature à discréditer le professionnalisme du [juge] et sa gestion de plusieurs dossiers.

Les passages [litigieux du courriel en date du 29 mai 2019 à 16 h 24], ensemble avec le courriel transmis à 15 h 18 heures attaché, insinuent que le [juge] manque gravement de professionnalisme et ne répond pas au courriel et aux appels téléphoniques par entêtement et rancune personnelle. (...)

Ces remarques et insinuations médisantes n’étaient nullement nécessaires dans le cadre de sa démarche de dénonciation du risque d’un dysfonctionnement du service de la Justice.

Il est blessant et offensant d’insinuer qu’un magistrat et notamment un juge d’instruction ne prend, à dessein, par entêtement et rancune, pas une décision, de surcroît dans des circonstances dans lesquelles il sait que tout retard injustifié serait de nature à provoquer un préjudice considérable au mandant de l’avocat. Cela constitue un procès d’intention. (...)

En l’occurrence il n’y a pas de critique précise sur la valeur professionnelle, mais outrage à magistrat par insinuation auprès des autorités supérieures quant au professionnalisme du juge d’instruction et [à] sa façon de gérer ses dossiers. Il y a eu insinuation que le juge omettrait à dessein, de façon arbitraire, par entêtement et rancune, d’adopter une décision en faveur de la mandante [du requérant], sachant encore que tout retard injustifié causerait un préjudice considérable à sa mandante. »

22. La Cour d’appel relata par ailleurs que le requérant avait déclaré en première instance « Hien huet aus Verbruetheet mir net geäntwert » (« C’est par entêtement qu’il ne m’a pas répondu »). Elle précisa encore ce qui suit :

« [Le requérant] n’a d’ailleurs pas pris en considération que le défaut de réponse du juge d’instruction dans la « demi-heure » pouvait avoir une cause liée à sa permanence de service qui le rendait indisponible en raison d’un interrogatoire ou à son souhait légitime de vérifier personnellement auprès de l’expert si les scellés pouvaient être levés. (...)

Contrairement aux délits de diffamation et de calomnie, l’outrage n’exige par définition pas l’imputation d’un fait précis, mais un fait outrageant, ce qui exclut la preuve de la véracité de l’allégation outrageante.

La documentation remise par [le requérant] quant aux « incidents » précédents [avec le juge] n’est dès lors pas pertinente. (...) »

23. Pour prononcer la peine, elle décida ce qui suit :

« Il y a lieu de mettre en balance le droit de la libre expression de l’avocat d’un côté et la nécessité de garantir le respect envers l’autorité du pouvoir judiciaire [de l’autre].

La peine à prononcer vise, ainsi que l’ont relevé les premiers juges, non pas le fait que [le requérant] en sa qualité d’avocat s’est exprimé publiquement sur le fonctionnement de la justice, droit qui est garanti par la Convention, mais en l’occurrence qu’il l’a fait en visant la personne du [juge], en insinuant son inertie, son manque de professionnalisme, sa présumée rancune personnelle, sa méthode de travail et son incapacité de mener à bien ses dossiers, notamment en se référant à des antécédents et sa rancune personnelle, dépassant ainsi les limites de l’acceptable. »

3. L’arrêt de la Cour de cassation

24. Le 8 juin 2023, la Cour de cassation entérina l’arrêt d’appel.

25. Elle rejeta notamment un moyen tiré d’une ingérence alléguée dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression, en motivant le rejet comme suit :

« Le [requérant] fait grief à la Cour d’appel d’avoir violé l’article 10 de la Convention, alors que les poursuite et condamnation pénales intervenues sur base de l’article 275 du Code pénal constitueraient une ingérence illégitime de l’autorité publique dans l’exercice de la liberté d’expression de l’avocat.

Il reproche à la Cour d’appel, après avoir constaté que ses critiques constitueraient de « simples « subtiles insinuations » » et qu’il avait légalement et légitimement eu recours à l’article 73 de la loi sur l’organisation judiciaire pour dénoncer un dysfonctionnement de la Justice, de ne pas en avoir déduit qu’une limitation de la liberté d’expression de l’avocat n’était en rien nécessaire ou proportionnée.

L’article 10, paragraphe 1, de la Convention garantit à toute personne la liberté d’expression, c’est-à-dire le droit de dire et d’écrire ce qu’elle pense. La liberté d’expression n’est cependant pas un droit absolu. L’article 10, paragraphe 2, de la Convention dispose que des restrictions peuvent être nécessaires pour garantir, entre autres, l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Il appartenait dès lors aux juges d’appel de vérifier si les poursuite et condamnation pénales, en ce qu’elles visaient à garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire, étaient proportionnées au but légitime poursuivi.

Il résulte de la motivation de l’arrêt attaqué que les juges d’appel ont, par un examen minutieux des circonstances de la cause et du contenu des courriels [dont celui en cause] envoyés par le [requérant] à deux ministres et au procureur général d’État, distingué entre, d’une part, la dénonciation d’un risque de dysfonctionnement de la justice, non visée par la prévention d’outrage à magistrat et, d’autre part, la manière et le style des critiques formulées par le [requérant]. »

Citant ensuite les passages de l’arrêt d’appel reproduits aux paragraphes 21 et 23 ci-dessus, la Cour de cassation conclut que la Cour d’appel n’avait pas violé l’article 10 de la Convention dans son raisonnement concernant le caractère blessant et préjudiciable des propos formulés par le requérant à l’égard du juge, leur gravité au regard de la nécessaire sauvegarde de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire et la peine à prononcer.

26. Elle rejeta également un moyen tiré d’une « insuffisance de motifs constitutive d’un défaut de base légale en rapport avec l’article 10 de la Convention », en motivant le rejet comme suit :

« Le défaut de base légale se définit comme l’insuffisance des constatations de fait qui sont nécessaires pour statuer sur le droit.

En distinguant, d’une part, le caractère légitime et légal de la dénonciation d’un risque de dysfonctionnement du service résultant de l’omission de la levée des scellés et, d’autre part, la forme critiquable dans laquelle la dénonciation avait eu lieu, les juges d’appel ont, par une motivation exempte d’insuffisance, caractérisé les faits qui les ont amenés à retenir qu’il n’y avait pas eu atteinte à la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention. »

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

27. La condamnation prononcée contre le requérant repose sur le constat de la commission par l’intéressé de l’infraction d’outrage à magistrat prévue à l’article 275 du code pénal. Cette disposition se lisait comme suit dans sa version applicable aux faits pertinents :

« Sera puni d’un emprisonnement de quinze jours à six mois et d’une amende de 500 euros à 3 000 euros, celui qui aura outragé par faits, paroles, gestes, menaces, écrits ou dessins, un député dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de son mandat, un membre du Gouvernement ou un magistrat de l’ordre administratif ou judiciaire, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions.

Si l’outrage a eu lieu (...) à l’audience d’une cour ou d’un tribunal, l’emprisonnement sera de deux mois à deux ans, et l’amende de 500 euros à 10 000 euros. (...) »

28. L’article 452 du Code pénal dispose comme suit :

« Ne donneront lieu à aucune poursuite répressive, les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux, lorsque ces discours ou ces écrits sont relatifs à la cause ou aux parties.

Néanmoins, les juges pourront, soit d’office, soit sur la demande de l’une des parties, prononcer la suppression des écrits calomnieux, injurieux ou diffamatoires.

Les juges pourront aussi, dans le même cas, faire des injonctions aux avocats et officiers ministériels, ou même ordonner des poursuites disciplinaires.

Les imputations ou les injures étrangères à la cause ou aux parties pourront donner lieu soit à l’action publique, soit à l’action civile des parties ou des tiers. »

29. L’article 33 de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat prévoit ce qui suit :

« (1) Dans l’exercice de sa profession, l’avocat est maître de ses moyens.

(2) L’avocat exerce librement son ministère pour la défense de la justice et de la vérité ; il s’abstient de toutes altérations de faits et de toute surprise déloyale. Il lui est défendu de se livrer à des injures et remarques offensantes envers les parties ou leurs défenseurs. Il s’abstient d’avancer aucun fait grave contre l’honneur et la réputation des parties, à moins que la cause ne l’exige.

(3) L’avocat ne s’écarte pas, soit dans ses discours, soit dans ses écrits ou de toute autre manière, du respect dû à la justice et aux tribunaux. »

30. À l’époque des faits, la loi modifiée du 7 mars 1980 sur l’organisation judiciaire disposait que « le procureur général d’État veille, sous l’autorité du ministre de la Justice, au maintien de l’ordre dans tous les tribunaux [...] » (article 72) et que « le procureur général d’État et les procureurs d’État doivent veiller, sous une même autorité [celle du ministre de la Justice], au maintien de la discipline, à la régularité du service et à l’exécution des lois et règlements » (article 73).

À la suite d’une réforme constitutionnelle, le pouvoir d’intervention en la matière a été conféré au Conseil national de la justice, qui, depuis le 1er juillet 2023, est en charge des plaintes relatives au fonctionnement de la justice ou au comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

31. Le requérant soutient que sa condamnation pénale s’analyse en une violation de son droit à la liberté d’expression tel que prévu par l’article 10 de la Convention, lequel se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté (...) de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (...).

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

1. Sur la recevabilité

32. Le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de ce que le requérant n’aurait pas satisfait aux conditions posées à l’article 35 de la Convention et à l’article 47 du règlement de la Cour. Il soutient que le requérant reproche aux juridictions nationales d’avoir refusé d’appliquer l’article 10 de la Convention aux faits de l’espèce et qu’il avance ainsi, au fond, un défaut de motivation de l’arrêt d’appel. Or, selon le Gouvernement, le requérant allègue que la Cour d’appel n’a pas examiné certains éléments de contexte sans démontrer en quoi cette prétendue omission aurait conduit à une ingérence non prévue par la loi et injustifiée dans l’exercice par lui de son droit à la liberté d’expression. Le Gouvernement ajoute qu’il se dégage de la requête l’impression que le requérant méconnaît l’office de la Cour, laquelle ne peut être érigée en « quatrième instance ».

33. Le requérant réplique que sa critique de l’arrêt d’appel, loin de se limiter à un pur grief de forme tiré d’une absence – ou à tout le moins d’une insuffisance – de motivation, tient à ce que la Cour d’appel, de même que la Cour de cassation dans son arrêt confirmatif, aurait refusé d’appliquer une règle de droit exprimant une liberté et un droit fondamentaux, à savoir l’article 10 de la Convention, et aurait rendu en conséquence un jugement incompatible avec les exigences de l’ordre juridique européen tel qu’établi par la Convention.

34. La Cour observe que le requérant se plaint, à travers son grief, de sa condamnation pénale et qu’il plaide, en renvoyant notamment à l’arrêt Morice c. France ([GC], no 29369/10, CEDH 2015), la violation de la liberté d’expression de l’avocat telle que garantie par l’article 10 de la Convention.

35. Constatant par ailleurs que la requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le requérant

36. Le requérant admet que l’ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime ; il estime cependant qu’elle était disproportionnée.

37. Il conteste la thèse du Gouvernement selon laquelle il faudrait, à l’instar de la Cour d’appel et de la Cour de cassation, distinguer le fond et la forme des propos litigieux.

38. Il estime qu’il est « contrefactuel d’affirmer, comme le fait le Gouvernement », que sa critique à l’égard du juge aurait porté sur le professionnalisme de celui-ci « en général » et « sans rapport avec l’affaire ». Il argue notamment que le jugement de valeur « tout ceci est absolument inacceptable » était directement lié au comportement du juge dans l’affaire en cours. Ce jugement de valeur serait par ailleurs fondé sur une multitude d’éléments factuels, dont le risque qui existait alors selon lui d’un préjudice économique imminent, dans un contexte d’extrême urgence, consistant en la mise au chômage technique d’environ 200 salariés et en une perte financière de 20,5 millions d’euros par semaine.

39. Il explique par ailleurs que les incidents qui auraient émaillé par le passé ses relations avec le juge étaient tout à fait pertinents et justifiaient les inquiétudes qu’il nourrissait au moment d’écrire le courriel de 16 h 24. Le requérant reproche ainsi aux juges de ne pas avoir pris en compte ce qu’il présente comme la base factuelle sous-jacente dans le jugement de valeur impliqué par la phrase « Ce n’est pas la première fois que j’ai un incident avec lui », et de ne pas avoir jugé pertinente la documentation qu’il avait remise à ce sujet à titre de preuve. Il argue qu’en l’espèce, la règle de répression de l’outrage à magistrat inscrite à l’article 275 du Code pénal n’est pas conforme à l’article 10 de la Convention en ce qu’elle exclurait la preuve de la base factuelle fondant un jugement de valeur prétendument outrageant. Quant à la solution consistant à exclure l’outrage à magistrat du champ d’application de l’article 10 de la Convention, elle échappe selon lui à tout fondement rationnel.

40. Les décisions de condamnation constitueraient une ingérence disproportionnée en ceci aussi qu’elles auraient retenu que le requérant s’était « exprimé publiquement » – alors, explique-t-il, qu’il ne s’était adressé qu’à un cercle restreint de trois personnes – et n’auraient nullement tenu compte du non-lieu ordinal dont il avait bénéficié.

41. Dans ses observations, le requérant soulève aussi l’argument selon lequel l’ingérence ne s’est pas limitée à la condamnation à une sanction pénale et au paiement de dommages‑intérêts : la procédure menée contre lui s’analysant selon lui en une « poursuite-bâillon » (« SLAPP proceeding »), on aurait cherché par là à l’intimider et à le réduire au silence, et envoyé un signal clair à tous les membres du barreau.

b) Le Gouvernement

42. Le Gouvernement admet que la condamnation du requérant constitue une ingérence, mais estime que cette ingérence était prévue par la loi, poursuivait un but légitime et était nécessaire au sens de l’article 10 § 2 de la Convention.

43. Il souligne que ce n’est pas pour avoir alerté les autorités – fussent‑elles politiques – d’un dysfonctionnement de la justice que le requérant a été condamné. Ne serait ainsi en cause dans la présente affaire que la manière dont le requérant s’est exprimé, et non pas la question même de la manifestation de son opinion en vertu du principe de la liberté d’expression dont il jouissait en sa qualité d’avocat dans l’exercice de sa profession. L’allégation outrageante serait constituée par l’affirmation selon laquelle le juge aurait manqué à ses devoirs par entêtement et par rancune personnelle envers l’avocat.

44. Selon le Gouvernement, le jugement de valeur « tout ceci est absolument inacceptable » s’analyse en un procès d’intention dès lors que le requérant laisse aux destinataires du courriel « le soin de deviner les conclusions qu[‘il] en tire ». La phrase « Ce n’est pas la première fois que j’ai un incident avec lui » concluait par ailleurs, pour le Gouvernement, une évocation de faits dépourvus de rapport avec l’affaire au titre de laquelle le requérant était intervenu. De ces faits, le requérant aurait déduit que l’absence de réponse du juge était motivée par des considérations de nature personnelle, ainsi qu’en témoignerait la déclaration en audience de l’intéressé en première instance (paragraphe 22 ci-dessus).

45. Le Gouvernement ajoute que le requérant a employé les expressions litigieuses par écrit en dehors d’un tribunal, et non pas dans le cadre de la défense pénale de son client, puisque celui-ci n’était pas partie à la procédure, ni comme partie civile, ni comme accusé. Il soutient que ces propos constituaient un jugement de valeur portant sur le professionnalisme du juge en général et n’étaient d’aucune nécessité pour l’exercice par le requérant de sa mission de défense : en effet, explique le Gouvernement, un courrier contenant simplement l’exposé des faits de l’affaire aurait largement suffi s’il s’agissait d’effectuer la démarche que le requérant déclare avoir voulu entreprendre.

46. Le Gouvernement fait observer que les juridictions nationales ont pris en compte (1) la nature et le mode de communication des propos ainsi que le contexte dans lequel ils ont été tenus ; (2) la mesure dans laquelle ils ont affecté le juge qui a eu connaissance du courriel contenant lesdits propos ; et (3) la sévérité de la sanction. Il soutient que les motifs de la Cour d’appel – qui a estimé qu’il existait un besoin impérieux de réprimer les propos qu’elle jugeait inadmissibles – étaient pertinents et suffisants. Selon lui, la simple circonstance que les propos outrageants n’ont été adressés qu’à un public restreint est sans incidence sur la justification de l’ingérence. Il estime par ailleurs qu’on ne peut reprocher à la Cour d’appel de ne pas avoir pris en considération le non-lieu ordinal, les juridictions ordinale et répressive n’ayant pas appliqué le même cadre légal et réglementaire pour aboutir à leurs décisions respectives. Il argue enfin que la sanction infligée par la Cour d’appel était minime et purement pécuniaire et que – du fait de l’acquittement prononcé sur le plan disciplinaire – l’issue de la procédure n’a eu aucune conséquence sur les conditions d’exercice par le requérant de sa profession.

47. Le Gouvernement conteste l’assertion du requérant selon laquelle il aurait été visé par une « procédure-bâillon ». Il fait valoir à cet égard que la Cour d’appel a estimé que le requérant avait dépassé les limites de la liberté d’expression, non pas quant au fond, mais uniquement quant à la forme, de sorte que, selon le Gouvernement, le requérant ne peut utilement soutenir que les procédures dont il a fait l’objet aient eu pour but de l’intimider et de le réduire au silence.

2. Observations des tiers intervenants

a) Observations du Conseil des barreaux européens (CCBE)

48. Le CCBE, se référant à différents instruments juridiques, souligne qu’il se dégage un consensus international évident autour de la nécessité de protéger la parole des avocats, quand ils agissent dans le cadre de leurs fonctions, des immixtions de quelque nature qu’elles soient de la part des États dans leur office de défense des droits de leurs clients. Seules deux considérations devraient prévaloir pour déterminer si un avocat n’a pas excédé les limites de la critique admissible : d’une part, le rattachement des propos litigieux à ses activités professionnelles, quel qu’en soit le contexte ; d’autre part, le respect des règles déontologiques et professionnelles applicables qui président à ses rapports avec les juridictions et les tiers. Le CCBE se déclare convaincu que le discours critique que les avocats peuvent être amenés à tenir à l’égard de la justice et de ceux qui la rendent ne peut que forger la responsabilité des magistrats, sans laquelle l’indépendance du pouvoir judiciaire ne serait qu’une vaine promesse. Selon le CCBE, chaque action judiciaire lancée par des personnes publiques ou privées contre un avocat qui a agi dans le seul souci de s’acquitter avec scrupule de sa charge professionnelle a immanquablement des répercussions sur la façon dont ses confrères sont appelés à assurer à l’avenir leur missions d’assistance et de défense des justiciables.

b) Observations de l’Ordre des avocats au barreau de Luxembourg

49. L’Ordre des avocats au barreau de Luxembourg estime nécessaire de réaffirmer l’importance d’une prise de parole « décomplexée » de l’avocat en dehors du prétoire, notamment lorsque celle-ci participe de la stratégie de défense des intérêts des clients de l’avocat, à plus forte raison si celui-ci est en mesure d’apporter la preuve de la véracité de ses propos. L’enjeu de la présente affaire résiderait dans l’effet inhibiteur que des restrictions à la liberté d’expression pourraient avoir sur la profession d’avocat dans son ensemble. L’Ordre regrette notamment que l’article 452 du code pénal n’immunise que les « discours ou (...) écrits produits devant les tribunaux (...) relatifs à la cause ou aux parties ». Serait exclue de son champ d’application l’expression de l’avocat en dehors des rapports directs qu’il entretient avec les magistrats saisis de la cause. L’Ordre précise qu’il ne s’agit pas pour lui de défendre l’idée selon laquelle la parole de l’avocat devrait échapper à toute répression quelles que soient les circonstances, mais de rappeler qu’un tel contrôle est déjà exercé par les instances disciplinaires qui, selon lui, sont les mieux placées pour sanctionner les avocats qui abuseraient de leur liberté de parole.

3. Appréciation de la Cour

50. Les principes généraux concernant la liberté d’expression et, plus particulièrement, celle des avocats, ont été résumés dans l’arrêt Morice c. France ([GC], no 29369/10, §§ 124 à 139, CEDH 2015) et rappelés dans l’arrêt Pais Pires de Lima c. Portugal (no 70465/12, §§ 57 à 64, 12 février 2019).

51. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence, elle a compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10 de la Convention. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, elle n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » et si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi ». Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (voir, en dernier lieu, Lindon, Otchakovsky-Laurens et July c. France [GC], arrêt du 22 octobre 2007, § 45, avec d’autres références).

52. Les autorités d’un État démocratique doivent tolérer la critique, lors même qu’elle peut être considérée comme provocatrice ou insultante (voir, notamment, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 46, série A no 236), et les limites de la critique admissible peuvent dans certains cas être plus larges pour les fonctionnaires agissant dans l’exercice de leurs pouvoirs que pour les simples particuliers (Nikula c. Finlande, no 31611/96, § 48, CEDH 2002‑II). Cependant, la Cour reconnaît aux autorités compétentes des États la possibilité d’adopter, en leur qualité de garantes de l’ordre public, des mesures même pénales, destinées à réagir de manière adéquate et non excessive à de pareils propos (Castells, précité, § 46).

a) Existence d’une ingérence « prévue par la loi » et visant un « but légitime »

53. Les parties s’accordent à considérer que la condamnation pénale du requérant constitue une ingérence dans l’exercice par lui de son droit à la liberté d’expression, tel que garanti par l’article 10 de la Convention. C’est également l’opinion de la Cour.

54. Il n’est pas contesté par ailleurs que l’ingérence était prévue par la loi, à savoir par l’article 275 du Code pénal, et qu’elle avait pour but la protection de la réputation ou des droits d’autrui et la garantie de l’autorité et de l’impartialité du pouvoir judiciaire. Il reste donc à examiner si cette ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », ce qui requiert de vérifier si elle était proportionnée au but légitime poursuivi.

b) « Nécessité » de l’ingérence

55. Lorsqu’elle exerce son contrôle, la Cour doit considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire, y compris la teneur des remarques reprochées au requérant et le contexte dans lequel celui-ci les a formulées (voir, parmi d’autres arrêts, Matalas c. Grèce, no 1864/18, § 44, 25 mars 2021).

56. En l’occurrence, le requérant a été condamné pénalement à raison des critiques qu’il avait formulées à l’encontre d’un juge dans un courriel envoyé à deux ministres et à la procureure générale d’État.

57. Par ce courriel, envoyé par le requérant en sa qualité d’avocat le 29 mai 2019 à 16 h 24 (paragraphe 8 ci-dessus), il informait les autorités susmentionnées que le juge avait omis de lever les scellés posés sur les lieux de l’accident malgré les sollicitations qu’il lui avait adressées en ce sens dans un courriel envoyé à 15 h 18 (paragraphe 7 ci-dessus). Le courriel litigieux est à comprendre à la lumière d’un message adressé par le juge ce matin-là à l’intéressé et dans lequel le magistrat annonçait la levée des scellés « dès que l’expert judiciaire mandaté n’en aura[it] plus besoin », ensemble avec le constat que l’expert avait déclaré, dès midi du jour en question, n’avoir plus besoin desdits scellés (paragraphes 6 et 7 ci-dessus).

58. Il est établi que le juge a bel et bien ordonné la levée des scellés, une fois les devoirs d’expertise terminés, la veille du jeudi de l’Ascension (paragraphe 9 ci‑dessus).

Toutefois, il est également avéré que le requérant n’en a pas été informé. Dans ces conditions, l’intéressé a alors accompli une démarche qu’il considérait justifiée dans l’intérêt de son client, étant donné les craintes qui étaient les siennes de voir fermer l’usine, ce qui impliquait le placement au chômage technique de quelque 200 salariés et, pour l’entreprise, une moins-value considérable pour chaque jour de fermeture. Dans une telle situation d’incertitude et d’urgence, cette démarche avait pour objet de prévenir une éventuelle carence pouvant résulter de ce que le juge omît d’ordonner la mainlevée des scellés alors même que les opérations d’expertise semblaient avoir été accomplies. Un tel risque, à le supposer réalisé, aurait pu constituer un dysfonctionnement du service public de la justice.

La Cour note d’emblée que le principe de la légitimité de la démarche a été reconnu à la fois par les juridictions nationales et par le Gouvernement.

Étant donné ce constat, la Cour ne saurait raisonnablement accepter l’argument du requérant selon lequel il aurait été visé par une « procédure-bâillon ». L’affirmation consistant de sa part à dire qu’il a été poursuivi dans un but d’intimidation – un argument qu’il a soulevé pour la première fois dans ses observations – reste à l’état de pure allégation. L’intéressé n’a en effet nullement démontré en quoi les autorités auraient manifesté la volonté de le réduire au silence.

59. Ce qui est en cause en l’espèce est la question de savoir si les motifs invoqués par les juridictions internes pour prononcer une condamnation à raison des allégations contenues dans les passages litigieux du courriel en date du 29 mai 2019 à 16 h 24 sont pertinents et suffisants.

60. D’emblée, la Cour fait remarquer qu’elle ne saurait suivre l’avis de la Cour d’appel lorsque celle-ci, observant qu’il était reproché au requérant « d’avoir, dans le cadre d’une dénonciation légale et légitime, employé (...) de subtiles formulations pour dénigrer le juge d’instruction » et d’avoir usé d’une certaine « manière » et d’un certain « style » pour se livrer à « des insinuations malsaines », en a déduit que « [l]a question ne se pos[ait] dès lors pas si, en cas de condamnation [du requérant], l’article 10 de la Convention sera[it] violé ni si l’ingérence étatique [étai]t disproportionnée ou non » (paragraphe 20 in fine ci-dessus). Cela dit, la Cour reconnaît que la Cour d’appel s’est ensuite livrée de facto à un examen de la question de la proportionnalité et que la Cour de cassation a entériné les passages y relatifs (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour va donc vérifier sous l’angle de l’article 10 de la Convention les décisions ainsi rendues.

61. La Cour rappelle que pour apprécier si une déclaration contestée était justifiée, il convient de distinguer entre déclarations de fait et jugements de valeur (Morice, précité, § 155). La qualification d’une déclaration en fait ou en jugement de valeur est une question qui relève en premier lieu de la marge d’appréciation des autorités nationales, en particulier des juridictions internes. La Cour peut toutefois estimer nécessaire de procéder à sa propre évaluation des déclarations litigieuses (Egill Einarsson c. Islande, no 24703/15, § 48, 7 novembre 2017, ainsi que la référence y citée).

62. Les jugements de valeur ne se prêtant pas à une démonstration de leur exactitude, l’obligation de preuve est impossible à remplir et porte atteinte à la liberté d’opinion elle-même, élément fondamental du droit garanti par l’article 10. Cependant, en cas de jugement de valeur, la proportionnalité de l’ingérence dépend de l’existence d’une « base factuelle » suffisante sur laquelle reposent les propos litigieux : à défaut, ce jugement de valeur pourrait se révéler excessif (Morice, précité, § 126).

63. En l’espèce, les juridictions internes n’ont pas expressément caractérisé les déclarations litigieuses. Toutefois, en énonçant que le requérant avait prononcé des « insinuations médisantes » apparaissant comme un « procès d’intention » à l’égard du juge, elles ont de facto qualifié les propos de jugements de valeur.

64. La Cour estime que les propos litigieux – à savoir « Ce n’est pas la première fois que j’ai un incident avec [le juge] », « Inutile de préciser que tout ceci est absolument inacceptable », et « Je vous laisse le soin de deviner les conclusions que j’en tire » –, considérés comme un tout, constituent des jugements de valeur, car ils tendent en substance à caractériser les mauvaises relations existant entre le requérant et le magistrat en question.

65. Il faut dès lors examiner la question de savoir si ces jugements de valeur reposaient sur une « base factuelle » suffisante. La Cour est d’avis que tel est le cas.

66. Le requérant avait invoqué – pièces à l’appui – des « incidents » qui auraient émaillé par le passé ses relations avec le juge. Certes, comme le fait observer le Gouvernement, ces incidents n’avaient aucun lien direct avec l’affaire en cause. Toutefois, ils peuvent raisonnablement être considérés comme une base factuelle suffisante pour expliquer que, dans l’affaire en cause, le requérant ait ressenti l’absence de réponse du juge – étant donné l’urgence liée à l’approche d’un jour férié – comme une circonstance inacceptable qu’il fallait signaler aux autorités chargées à l’époque des faits du maintien de l’ordre dans les tribunaux (paragraphe 30 ci-dessus). La Cour accorde par ailleurs au requérant que le jugement de valeur impliqué par le qualificatif d’« inacceptable » appliqué par lui à la situation était fondé sur des éléments tels que le risque d’un préjudice économique imminent et d’une mise au chômage technique d’environ 200 salariés.

67. Reste donc à savoir si, comme l’ont estimé les juridictions nationales, les expressions employées ont dépassé les limites de la critique admissible (paragraphe 21 ci-dessus).

68. La Cour rappelle qu’en dehors de l’hypothèse d’attaques gravement préjudiciables dénuées de fondement sérieux, compte tenu de leur appartenance aux institutions fondamentales de l’État, les magistrats peuvent faire, en tant que tels, l’objet de critiques personnelles dans des limites admissibles, et non pas uniquement de façon théorique et générale. À ce titre, les limites de la critique admissibles à leur égard, lorsqu’ils agissent dans l’exercice de leurs fonctions officielles, sont plus larges qu’à l’égard de simples particuliers (Morice, précité, § 131).

69. En l’espèce, les affirmations du requérant, bien qu’elles eussent une connotation franchement désobligeante et qu’elles fussent formulées sur un ton critique à l’égard du juge, ne sauraient toutefois être qualifiés d’injurieuses au sens de l’article 10 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Radobuljac c. Croatie, no 51000/11, § 66, 28 juin 2016, où la Cour a jugé que l’affirmation d’un avocat selon laquelle le comportement d’un juge dans une procédure était « absolument inacceptable » ne saurait être qualifiée d’insultante au sens de l’article 10 de la Convention ; comparer avec Coutant c. France (déc.), no 17155/03, 24 janvier 2008, où la Cour a conclu à la proportionnalité de l’ingérence dans une affaire dans laquelle une avocate avait été condamnée à une amende pour avoir publié un communiqué de presse dénonçant « l’infamie des procédés employés par les sections spéciales de la justice, sous prétexte de lutte anti-terroriste », et notamment l’emploi de « moyens terroristes » ainsi que « la pratique des rafles, selon des méthodes dignes de la gestapo et de la milice »). À cet égard, la Cour éprouve quelque difficulté à suivre la démarche de la Cour d’appel lorsqu’elle déduit les « insinuations [du requérant d’une] présumée rancune personnelle [du juge] », entre autres, du fait que l’intéressé avait déclaré en première instance que « c’[étai]t par entêtement que [le juge] ne lui [avait] pas répondu ». Il s’agit là, en effet, de déclarations que le requérant avait faites dans le prétoire et dans le contexte de la défense de ses intérêts, et qui ne constituaient donc pas des termes outrageants dont les juridictions pénales étaient saisies.

70. Adressés par écrit aux seules autorités alors en charge du maintien de l’ordre dans les tribunaux, les propos du courriel litigieux n’ont par ailleurs fait l’objet d’aucune publicité (Rodriguez Ravelo c. Espagne, no 8074/10, § 48, 12 janvier 2016).

71. Prises, comme il se doit, dans leur contexte, les expressions – qui visaient à signaler une situation que le requérant jugeait inacceptable – ne sauraient être considérées comme une « attaque personnelle gratuite » dirigée contre le juge (Gouveia Gomes Fernandes et Freitas e Costa c. Portugal, no 1529/08, § 51, 29 mars 2011), et elles étaient utilisées dans le contexte de la défense par l’intéressé des intérêts de son client. À ce dernier égard, la Cour constate certes, avec le Gouvernement, que le requérant n’a pas tenu les propos litigieux dans le cadre de la défense pénale de son client. Elle estime toutefois que, dans les circonstances particulières de l’affaire, il importe peu que le client du requérant n’ait pas été partie à une procédure pénale au sens propre du terme. Il est incontestable qu’à la suite d’un accident de travail mortel survenu sur l’un de ses sites, le client du requérant était, par la force des choses, impacté par la situation en tant qu’employeur et prévenu potentiel. Les expressions utilisées par le requérant dans son courriel litigieux doivent dès lors être examinées en ayant égard au contexte dans lequel elles ont été employées, qui est celui de la défense par l’intéressé, dans une situation d’urgence, des intérêts de son client, nonobstant le fait que ce dernier n’ait eu le statut ni de partie civile ni d’accusé dans une procédure pénale.

72. Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont aussi des éléments à prendre en considération lorsqu’il s’agit de mesurer la proportionnalité d’une ingérence. D’une manière générale, s’il est légitime que les institutions de l’État soient protégées par les autorités compétentes en leur qualité de garantes de l’ordre public institutionnel, la position dominante que ces institutions occupent commande aux autorités de faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale (Morice, précité, § 127). En l’espèce, la Cour se doit d’observer que les expressions utilisées par le requérant peuvent être qualifiées de parfaitement inappropriées ; toutefois, dans le contexte de l’affaire, elles ne relèvent certainement pas du domaine pénal. La Cour rappelle que, même lorsque la sanction est la plus modérée possible, à l’instar d’une condamnation accompagnée d’une dispense de peine sur le plan pénal et à ne payer qu’un « euro symbolique » au titre des dommages-intérêts, elle n’en constitue pas moins une sanction pénale et, en tout état de cause, cela ne saurait suffire, en soi, à justifier l’ingérence dans le droit d’expression du requérant. La Cour a maintes fois souligné qu’une atteinte à la liberté d’expression peut avoir un effet dissuasif quant à l’exercice de cette liberté, risque que le caractère relativement modéré des amendes ne saurait suffire à faire disparaître (ibidem, § 176).

73. En l’espèce, le requérant a été condamné à une amende pénale de 1000 EUR, ainsi qu’au paiement d’un « euro symbolique » et d’une indemnité de procédure de 1 500 EUR au titre de la première instance (paragraphes 18 et 19 ci-dessus).

74. La Cour estime que ces sanctions pénales ne sauraient trouver de justification. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime que les motifs avancés par les juridictions pénales ne sauraient passer pour une justification suffisante et pertinente de l’ingérence dans le droit du requérant à la liberté d’expression. Ces juridictions n’ont donc pas ménagé un juste équilibre entre la nécessité de garantir l’autorité du pouvoir judiciaire et celle de protéger la liberté d’expression du requérant en sa qualité d’avocat.

75. Dans ces conditions, la Cour considère que la condamnation du requérant n’était pas proportionnée au but légitime poursuivi et n’était, dès lors, pas « nécessaire dans une société démocratique ».

76. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

77. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

78. Le requérant demande 25 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi. Il explique qu’il a dû endurer le poids psychologique d’une poursuite puis d’une condamnation pénales qui ont mis en cause sa probité personnelle et sa réputation professionnelle, que ce soit à l’égard de ses confrères et des membres de la magistrature ou, à l’extérieur, dans l’espace médiatique et à l’égard de ses clients et du public. Il précise que « tous autres frais et dommages matériels sont réservés ».

79. Le Gouvernement conclut au rejet de la demande de satisfaction équitable du requérant.

80. La Cour estime que dans les circonstances de la cause, le constat de violation figurant dans le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral subi par le requérant.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 mai 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Lado Chanturia
Greffier Président


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-233634
Date de la décision : 16/05/2024
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 10 - Liberté d'expression - {général} (Article 10-1 - Liberté d'expression);Préjudice moral - constat de violation suffisant (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : LUTGEN
Défendeurs : LUXEMBOURG

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2024
Fonds documentaire ?: HUDOC

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