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18/04/2024 | CEDH | N°001-233116

CEDH | CEDH, AFFAIRE LEROY ET AUTRES c. FRANCE, 2024, 001-233116


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LEROY ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 32439/19 et 2 autres –

voir liste en annexe)

ARRÊT

Art 35 § 1 • Recours préventif effectif dans son principe pour remédier à des conditions indignes de détention consécutives à un mouvement social en prison • Situation liée à un évènement ponctuel, présentant un caractère provisoire et exceptionnel • Juge des référés en mesure d’ordonner des mesures d’urgence susceptibles d’être mises en œuvre rapidement et de porter effet à bref délai • A contrario de J.M.B

. et autres c. France • Non-épuisement des voies de recours internes par huit requérants

Art 3 (matériel) • Interve...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LEROY ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 32439/19 et 2 autres –

voir liste en annexe)

ARRÊT

Art 35 § 1 • Recours préventif effectif dans son principe pour remédier à des conditions indignes de détention consécutives à un mouvement social en prison • Situation liée à un évènement ponctuel, présentant un caractère provisoire et exceptionnel • Juge des référés en mesure d’ordonner des mesures d’urgence susceptibles d’être mises en œuvre rapidement et de porter effet à bref délai • A contrario de J.M.B. et autres c. France • Non-épuisement des voies de recours internes par huit requérants

Art 3 (matériel) • Intervention d’équipes externes masquées renforçant la sécurité de la prison au cours du mouvement social et fouilles par palpation opérées à la fin de ce dernier sur un requérant n’atteignant pas le seuil de gravité d’un traitement inhumain ou dégradant

Art 3 (matériel) • Traitement dégradant • Conditions indignes de détentions de deux requérants durant le mouvement social

Art 13 (+ Art 3) • Caractère effectif du recours préventif pour remédier aux mauvaises conditions de détention subies

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

18 avril 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Leroy et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Lado Chanturia,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
María Elósegui,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 32439/19, 46898/19 et 37876/19) dirigées contre la République française et dont dix ressortissants de cet État (voir Annexe, « les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») les requêtes,

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,

les commentaires reçus de l’Observatoire international des prisons (OIP) et de European Prison Litigation Network (EPLN), que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants ensemble,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mars 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requêtes concernent, au regard des articles 3, 8 et 13 de la Convention, les conditions de détention des requérants au cours d’un mouvement social sur le site du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe et l’existence de voies de recours effectives à cet égard.

EN FAIT

2. Les requérants ont été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, et sont représentés par Me B. David et Me Gauché, avocats (voir Annexe).

3. Le Gouvernement est représenté par son agent, M. D. Colas, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

1. Contexte des affaires

4. Le centre pénitentiaire (CP) d’Alençon-Condé‑sur-Sarthe, où étaient détenus les requérants au moment de l’introduction de leur requête, fut mis en service en 2012. Il accueille les personnes détenues condamnées à de longues peines et applique un régime de sécurité renforcée. Au 1er février 2019, il comptait 110 détenus en maison centrale et 6 détenus dans le quartier pour peines aménagées pour une capacité d’accueil respective de 195 et 45 détenus. Le rapport du 7 avril 2017 du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) relatif à la visite effectuée du 15 au 27 novembre 2015 (CPT/Inf (2017) avait qualifié de très bonnes les conditions matérielles de détention au sein de ce centre.

5. Le 5 mars 2019, vers 9 h 20, deux agents pénitentiaires du CP furent victimes d’une attaque au couteau par un détenu et sa femme qui se retranchèrent pendant plusieurs heures au sein de l’unité de vie familiale (UVF) de l’établissement. À la suite de cette agression, un mouvement social débuta sur le site à l’initiative de plusieurs membres du personnel. Après l’évacuation des agents blessés, le secteur de l’UVF fut bloqué jusqu’à l’intervention des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS, paragraphes 36 à 38 ci-dessous). La réintégration générale du reste de la population pénale en cellule commença à partir de 9 h 45.

6. Selon le Gouvernement, dix-huit membres des ERIS étaient encore présents au sein de l’établissement dans la nuit du 5 au 6 mars. Ils assurèrent la tenue des miradors et procédèrent aux rondes. Six agents de l’établissement couvrirent les postes les plus importants. Un gradé et le chef de détention assurèrent le commandement.

7. Le 6 mars, vers 6 h, le mouvement social s’amplifia. Du 6 au 20 mars, entre vingt et quatre-vingts membres du personnel se relayèrent afin de bloquer l’accès au site. L’administration pénitentiaire recourut à l’usage de la force publique pour permettre le passage des personnels de l’établissement non-grévistes et des ERIS afin d’assurer le fonctionnement de l’établissement.

8. Selon le Gouvernement, le blocage prit fin avec la signature d’un accord entre l’administration pénitentiaire et les syndicats le 20 mars 2019. Le retour progressif au fonctionnement normal de l’établissement s’étala jusqu’à la fin du mois de mars. Au cours de cette période, une opération de fouille générale de l’établissement, qui fit l’objet d’une information au procureur de la République, se déroula du 23 au 25 mars, comportant des fouilles de cellule et des fouilles intégrales des personnes détenues. Le Gouvernement précise que quelques membres des ERIS restèrent dans l’établissement jusqu’au 5 avril pour procéder à des fouilles sectorielles et assurer la tenue des miradors.

9. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) effectua une visite de l’établissement du 3 au 7 février 2020. Il releva, parmi les incidents majeurs qui avaient marqué la structure depuis son ouverture, l’agression et le mouvement social de mars 2019, qu’il décrivit dans les termes suivants :

« Le 5 mars 2019, deux surveillants ont été attaqués à l’arme blanche par une personne détenue de QMC et sa compagne à l’unité de vie familiale (UVF). Les agents ont réussi à s’échapper mais ont été grièvement blessés. Le couple s’est retranché dans l’UVF. Un assaut a été donné par le RAID, à l’occasion duquel la personne détenue a été légèrement blessée et sa conjointe plus lourdement – elle décèdera quelques dizaines de minutes plus tard. La garde des Sceaux s’est immédiatement déplacée. Le couple a revendiqué son acte au nom de l’État islamique. La personne détenue a été mise en examen pour tentative d’assassinat sur personne dépositaire de l’autorité publique en relation avec une entreprise terroriste.

À la suite de cet événement, un mouvement social du personnel a eu pour conséquence de soumettre toutes les personnes détenues pendant vingt et un jours à des privations multiples, maintenues selon leurs propos « en chien » dans leur cellule sans aucune sortie et en accédant uniquement à la distribution des repas du midi et du soir et à celle des traitements médicamenteux, en présence de membres des équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) chargés d’assister le personnel d’encadrement dans ces tâches.

Le mouvement social a pris fin avec la signature des « quarante points » (...) listant des mesures de sécurité, mal vécues par la population pénale, qui rejette, pour sa grande majorité, à la fois les actes commis et l’idéologie terroriste. (...) »

2. Les conditions de détention pendant le mouvement social
1. Version des requérants

10. Les formulaires de requête présentés devant la Cour reprennent les informations qui figurent dans des questionnaires transmis aux requérants par l’OIP et qu’ils ont remplis pour la plupart au courant du mois d’avril 2020.

11. Les requérants soutiennent avoir été confinés en cellule vingt‑quatre heures sur vingt-quatre pendant une vingtaine de jours. Ils font valoir qu’ils n’ont pas pu se débarrasser de leurs poubelles ou seulement à de rares occasions et selon le bon vouloir des ERIS. Ils indiquent avoir manqué de nourriture, en quantité comme en qualité, les repas étant servis froids au début du mouvement, alors que les cantines n’étaient même pas distribuées. Certains affirment de ne pas avoir pu voir de médecin. Ils se plaignent d’avoir subi des fouilles violentes et humiliantes de la part des ERIS, lors de la fouille générale précitée, au vu et au su des autres détenus, avec des lampes torches, et d’avoir été l’objet, de la part de ces agents, de comportements agressifs et humiliants durant la période de blocage. L’un d’entre eux indique avoir été plié, à deux reprises, par les ERIS. Les requérants soutiennent qu’ils ont été privés de tout contact pendant cette période avec leur famille ou leur avocat, et qu’ils n’ont bénéficié que d’un accès très restreint au téléphone, soit quelques minutes à deux reprises pour certains, trois au maximum pour d’autres. Leur seul contact aurait été celui de l’ouverture de la porte de leurs cellules pendant quelques secondes pour la distribution des repas par les agents des ERIS cagoulés. Enfin, ils font valoir qu’ils ont été laissés dans l’incertitude totale quant à l’évolution de la situation et la fin du blocage.

2. Version du Gouvernement

12. Le Gouvernement ne conteste pas le fait que les requérants sont restés confinés dans leur cellule pendant toute la durée du blocage. Il reconnaît que, compte tenu de la réduction des effectifs, les promenades et activités ont été interrompues avant d’être rétablies respectivement les 23 et 28 mars 2019.

13. S’agissant des conditions d’hygiène, il admet que le mouvement social n’a pas permis de garantir le fonctionnement du service général. Mais il fait valoir qu’en dépit des circonstances exceptionnelles, les personnes détenues ont eu la possibilité de déposer leurs poubelles sur la coursive. Ces dernières auraient été collectées les 7, 8 et 10 mars. Il soutient par ailleurs qu’un kit d’hygiène a été distribué le 15 mars à l’ensemble des personnes détenues.

14. Concernant l’accès à l’alimentation, le Gouvernement indique qu’un repas froid a été distribué le jour de l’incident, puis, qu’à compter du 7 mars, l’ensemble des personnes détenues a bénéficié de deux repas, chaud ou froid, ainsi que, de manière occasionnelle, de pain. Il reconnaît en revanche que la cantine n’a pas pu être distribuée.

15. Le Gouvernement précise que si le personnel médical était présent chaque jour, les requérants ne suivaient aucun traitement médical et qu’ils n’ont pas sollicité d’assistance médicale durant la période litigieuse.

16. Enfin, il reconnaît que l’accès ordinaire aux parloirs n’a pas pu être organisé jusqu’au 29 mars. De même, si, en raison du blocage, le nombre d’agents présents les 9 et 10 mars n’a pas permis d’organiser l’accès au téléphone, l’ensemble des requérants ont pu y accéder entre le 7 et le 17 mars. Les courriers en provenance d’avocats ont par ailleurs été distribués le jour de leur arrivée, tandis que les autres correspondances l’ont été à compter du 21 mars. Selon le Gouvernement, aucun courrier transmis par des avocats n’a été reçu par l’établissement avant le mardi 19 mars. Les vingt courriers adressés par des avocats à cette date ont été distribués aux destinataires le jour même ainsi que deux lettres du Défenseur des Droits.

3. Les procédures
1. Les recours engagés par les requérants MM. Leroy et Lahreche

17. Par deux requêtes enregistrées le 8 mars 2019, M. Leroy (requête no 32439/19) et M. Lahreche (requête no 46898/19) saisirent le juge administratif d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA, paragraphe 26 ci-dessous) tendant à ce qu’il soit enjoint à la garde des Sceaux de prendre les mesures nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal de l’établissement. Ils firent valoir que le blocage de ce dernier avait entraîné leur confinement en cellule et demandèrent que soient assurés la collecte des poubelles des couloirs et des cellules, les promenades quotidiennes, la distribution des cantines et des repas, l’exercice des activités sportives, l’accès au travail, à la formation et aux activités socio-éducatives, l’accès aux services médicaux, l’accès aux parloirs, l’expédition des correspondances écrites, l’accès au téléphone et la cessation des coupures « sauvages » d’électricité, d’eau et de chauffage. Ils se prévalurent également de menaces émises par les ERIS concernant l’utilisation de moyens de contrainte (taser). Ils soutinrent que ces traitements avaient porté à leur dignité en méconnaissance de l’article 3 de la Convention.

18. Après la tenue d’une audience publique le 13 mars 2019, au cours de laquelle furent entendus l’avocat des requérants et la représentante du ministère de la Justice, laquelle confirma qu’un rendez-vous était programmé au sein de celui-ci en vue de parvenir à un règlement du conflit, les deux requêtes furent rejetées par une ordonnance du 14 mars 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Caen ainsi motivée :

« (...) 8. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du [CJA] qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale, s’il constate que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai de telles mesures. (...)

9. En l’espèce, il résulte de l’instruction, et n’est nullement contesté, que M. Leroy et M. Lahreche, comme l’ensemble des détenus du centre pénitentiaire d’Alençon Condé sur Sarthe, subissent, du fait du blocage de l’établissement par le mouvement de surveillants faisant suite aux évènements du 5 mars 2019, des conditions de détention dégradées, du fait principalement de leur confinement permanent en cellule qui les prive de parloirs, de promenade quotidienne et de distribution des cantines. Ce confinement permanent, directement induit par le blocage de l’établissement compte tenu du profil des détenus qui y sont affectés, ne peut en tout état de cause pas s’analyser, contrairement à ce que soutiennent les requérants, comme une sanction collective interdite par l’article R. 57-7-49 du code de procédure pénale. Les conditions de détention que les requérants subissent, pour dégradées qu’elles soient, et à supposer même que la description qu’ils en font puisse être regardée comme entièrement exacte, alors que l’administration indique qu’une alimentation correcte a pu leur être distribuée chaque jour, que les soins médicaux sont assurés, que les communications téléphoniques restent possibles, et que la sécurité reste assurée dans l’établissement, ne caractérisent pas une méconnaissance de l’article 2 de la Convention (...) et ne sont pas à ce jour, constitutifs de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 3 (...)

10. Dans les circonstances de l’espèce, si l’autorité ministérielle dispose de moyens de contrainte que les requérants demandent au juge des référés de lui enjoindre d’utiliser pour rétablir des conditions normales de détention, ce qui implique de mettre fin au mouvement social des surveillants, elle doit tenir compte, dans la mise en œuvre de ces moyens, à la fois des enjeux de ce mouvement, des incidences de la continuation de celui-ci sur les conditions de vie des détenus, et des conséquences peu prévisibles que pourrait entraîner la décision de recourir à la force pour obtenir immédiatement une levée durable du blocage. À cet égard, il résulte de l’instruction que, d’une part, l’autorité ministérielle a utilisé la force publique, chaque jour depuis le début du mouvement, pour permettre un accès au site afin de fournir aux détenus les services de base, et d’autre part qu’elle poursuit des négociations avec les participants au mouvement social, dans la perspective d’obtenir la levée du blocage de l’établissement, pacifiquement et dans un délai aussi court que possible, pour en rétablir le fonctionnement normal. Elle doit ainsi être regardée comme ayant utilisé les moyens dont elle dispose, dans un contexte de fortes contraintes. Dès lors, une atteinte manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la convention ne peut être constatée. »

19. Le 18 mars 2019, les deux requérants relevèrent appel de cette ordonnance. Outre l’atteinte portée à leurs droits garantis par les articles 3 et 8 de la Convention du fait des conditions de détention subies et des restrictions aux contacts avec leur famille, ils soutinrent que « les prisonniers étaient encadrés pour tous les actes de la vie quotidienne par les ERIS qui portent une tenue spéciale masquant leur visage », et se référèrent à l’arrêt El Shennawy c. France (no 51246/08, § 44, 20 janvier 2011) et au rapport du CPT cité dans cet arrêt pour dénoncer les intimidations et violences psychiques que ces forces exerceraient contre les personnes détenues.

20. L’audience devant le Conseil d’État se tint le 3 avril 2019 en présence de l’avocat des requérants et du représentant du ministre de la Justice. Dans des mémoires déposés les 4 et 8 avril 2019, MM. Leroy et Lahreche firent valoir que la situation dans le centre pénitentiaire n’était pas revenue à la normale. L’avocat de M. Lahreche signala que son client l’avait informé qu’il faisait l’objet d’une fouille par palpation à chaque sortie de cellule et que les ERIS seraient encore présentes dans l’établissement pendant quatre semaines. Il soutint, « comme il [l’avait] développé, [que] l’exposition sur de longues périodes d’individus cagoulés et armés entrent sous le coup de l’article 3 de la Convention ». La clôture de l’instruction, prévue le 5 avril 2019, fut différée au 9 avril.

21. Le 15 avril 2019, soit au-delà du délai de quarante-huit heures prévu par l’article L. 523-1 du CJA (paragraphe 26 ci-dessous), le juge des référés du Conseil d’État rejeta les appels des requérants. L’ordonnance est ainsi motivée :

« Il résulte de l’instruction qui s’est poursuivie devant le Conseil d’État et en particulier des éléments apportés par la garde des sceaux, ministre de la justice, après l’audience, que, d’une part, le 20 mars 2019, les surveillants pénitentiaires ont voté la fin du blocage et ont progressivement repris leurs missions au sein de l’établissement et que, d’autre part, les cantines, les parloirs et les activités en détention sont à nouveau assurés. Si, dans leurs dernières écritures, les requérants critiquent le fait que des membres des équipes régionales d’intervention et de sécurité sont encore présents dans le centre pénitentiaire, ces équipes sont composées de personnels de l’administration pénitentiaire, dont la présence, au sein du centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe pour contribuer à en assurer la sécurité intérieure, ne saurait, par elle-même, être constitutive d’une illégalité.

Dans ces circonstances, et alors même que les conditions de détention dans l’établissement ne seraient pas identiques à celles qui étaient assurées avant l’attaque du 5 mars dernier, il n’existe aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale susceptible de justifier l’intervention du juge des référés sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative. (...) »

2. Le recours engagé par le requérant M. S.K.

22. Le 12 août 2019, le requérant S.K. forma un recours en responsabilité contre l’État (paragraphe 33 ci-dessous) aux fins d’obtenir la réparation du préjudice résultant de ses conditions de détention du 6 au 20 mars 2019.

23. Par un jugement du 19 mai 2021, le tribunal administratif de Caen rejeta son recours, jugeant que les conditions de détention litigieuses avaient permis d’assurer le respect de la dignité humaine :

« En premier lieu, si le requérant fait valoir qu’il a dû subir des conditions insalubres dans sa cellule, en étant contraint d’y conserver ses poubelles pendant toute la durée du mouvement de grève (...), le garde des sceaux indique, sans être contredit, que les poubelles pouvaient être déposées par les détenus sur la coursive et qu’un kit d’hygiène a été distribué à tous les détenus le 15 mars 2019. Le caractère insalubre de la cellule du requérant n’est dès lors pas établi.

En second lieu, le requérant indique qu’il a dû subir une interruption de la distribution des repas, qu’il n’a pas pu cantiner durant toute la période, et que les promenades ainsi que les activités n’ont pas été assurées durant vingt jours. D’une part, le garde des sceaux reconnaît que le 6 mars 2019, un seul repas froid a été distribué à compter de 15 heures et jusqu’à 17 heures. Il ressort des témoignages de quatre détenus, divergents sur le nombre de repas distribués les deux premiers jours du mouvement de grève et leur contenu, que si les repas ainsi distribués ont été identiques pendant la période de la grève et ne sont pas conformes à l’article 9 du règlement intérieur type des établissements annexé au code de procédure pénale, des repas froids ont a minima été distribués, de manière quotidienne, constitués essentiellement de salade mexicaine, de fruits et de fromage. D’autre part, il est constant que les promenades et activités n’ont pas été assurées durant vingt jours. Le garde des sceaux fait valoir que les effectifs réduits et les profils des personnes détenues au sein de la maison centrale n’ont pas permis d’organiser les promenades dans de bonnes conditions de sécurité pour les personnes détenues et les personnels. Dans les conditions de l’espèce, compte tenu notamment de la durée relativement limitée de l’absence d’activités et de promenades, et alors que le requérant ne justifie pas ni n’allègue d’une situation de vulnérabilité particulière, ces circonstances, pour regrettables qu’elles soient, en particulier au regard de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis à vis de l’administration pénitentiaire, ne constituent pas des conditions de détention telles qu’elles portent une atteinte à la dignité humaine en méconnaissance de l’article 3 de la Convention (...)

(...)

En l’espèce M.K. indique que l’accès au téléphone a été limité (...), qu’il n’a pas pu recevoir ou envoyer de courrier et qu’en l’absence des activités ayant pour objet la réinsertion des personnes détenues, l’article 8 de la Convention (...) a été méconnu. Il ressort des pièces du dossier qu’entre le 6 mars et le 31 mars 2019 M.K a passé deux coups de téléphone le 7 mars 2019, de deux minutes environ. Il ressort également des pièces (...) que d’autres détenus ont pu avoir un accès au téléphone durant cette période, et notamment durant le mouvement de grève, bien que de manière limitée. Par ailleurs, si la distribution du courrier a été interrompue jusqu’au 19 mars 2019, il ressort des pièces du dossier que M.K. n’a reçu aucun courrier durant le mouvement de grève et qu’il a pu envoyer des courriers à compter du 25 mars 2019. Dans ces conditions, l’accès au téléphone ayant été limité, mais non impossible, durant une période d’une quinzaine de jours, et bien que la distribution et l’envoi des courriers aient été interrompus du 5 au 20 mars 2019, de même que les activités, ces difficultés, au regard de leur durée limitée et alors que M.K. n’allègue pas d’une situation de vulnérabilité particulière, ne caractérisent pas une atteinte au respect de sa vie privée et familiale et de sa correspondance (...) »

24. Le requérant n’a pas fait appel de ce jugement.

3. Le recours engagé par l’association des avocats pour la défense des droits des détenus

25. Dans le cadre du mouvement social litigieux, l’association des avocats pour la défense des droits des détenus saisit le tribunal administratif de Caen d’un référé-liberté afin que soient ordonnées toutes mesures utiles pour remédier aux entraves dans la communication des avocats avec les clients détenus. Le 21 mars 2019, le juge des référés rejeta sa demande en ces termes :

« ( ) alors qu’il n’a pas été possible durant le mouvement social d’assurer l’accès des avocats aux parloirs pour s’entretenir avec les détenus, il n’apparaît pas que ceux-ci ont été privés de la possibilité d’envoyer des lettres ou de téléphoner à leur avocat, alors que l’administration a fourni la liste des 193 appels téléphoniques passés entre le 7 et le 17 mars, même si la durée de certains de ces appels a été très courte. L’administration a aussi produit la liste des 20 lettres émanant d’avocats et des 2 lettres du Défenseur des droits mises en distribution le 19 mars et dont la réception est attestée par la signature des destinataires en ce qui concerne 13 lettres. Elle a en outre précisé qu’aucune de ces lettres n’a été réceptionnée par le vaguemestre avant cette date. Dans ces conditions et alors qu’il a été précisé à l’audience qu’aucun détenu n’a fait l’objet d’une demande d’audition ou d’une convocation judiciaire depuis le début du mouvement social, s’il a été porté atteinte à l’exercice d’un droit de la défense en raison de l’impossibilité pour les avocats d’accéder au parloir pendant cette période, il n’a pas été soutenu que cette situation ait une conséquence particulière en ce qui concerne un ou plusieurs détenus et les droits au procès équitable et au recours effectif n’ont par ailleurs été que partiellement atteints par un accès mal aisé au téléphone, aucune des attestations des défenseurs des détenus produites ne mettant en cause l’atteinte à un droit précis concernant l’un de leurs clients. (...) »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. Les référés administratifs
1. Les dispositions du code de justice administrative

26. Aux termes des articles L. 521-1, L. 521-2, L. 522-1, L. 523-1 et R. 541-1 du CJA :

Article L. 521-1 (référé-suspension)

« Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision.

Article L. 521-2 (référé-liberté)

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

Article L. 522-1

« Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale.

Lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience publique. »

Article L. 523-1

« Les décisions rendues en application de l’article L. 521-2 sont susceptibles d’appel devant le Conseil d’État dans les quinze jours de leur notification. En ce cas, le président de la section du contentieux du Conseil d’État ou un conseiller délégué à cet effet statue dans un délai de quarante-huit heures et exerce le cas échéant les pouvoirs prévus à [l’article L. 521‑4.](https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070933&idArticle=LEGIARTI000006449330&dateTexte=&categorieLien=cid "Code de justice administrative - art. L521-4 .V.") »

Article R. 541-1 du CJA (référé-provision)

« Le juge des référés peut, même en l’absence d’une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l’a saisi lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable. Il peut, même d’office, subordonner le versement de la provision à la constitution d’une garantie ».

2. Le référé-liberté

27. La Cour a présenté la procédure applicable en matière de référé-liberté et la jurisprudence développée par le juge administratif dans le cadre de la procédure concernant les conditions de détention dans l’arrêt J.M.B. et autres c. France (nos 9671/15 et 31 autres, §§ 137 à 140, 30 janvier 2020 ; voir, également, B.M. et autres c. France, nos 84187/17 et 5 autres, § 33, 6 juillet 2023). Cette description est reprise et mise à jour dans les paragraphes qui suivent.

28. Lorsqu’il est saisi d’un référé-liberté sur le fondement de l’article L.521-2 du CJA, le juge administratif peut, en cas d’urgence, ordonner toute mesure nécessaire afin de remédier à une « atteinte grave et manifestement illégale » portée à une liberté fondamentale. Les demandes sont dispensées du ministère d’un avocat. Le principe du contradictoire est respecté et les parties peuvent être entendues en audience publique. Outre l’audience, le juge des référés dispose des pouvoirs d’instruction suivants : il peut visiter des lieux (article R. 622-1 du CJA), engager une procédure d’enquête (article R. 623-1 du CJA), demander un avis technique (article R. 625-2 du CJA) ou la consultation d’une personne compétente (article R. 625-3 du CJA). Les ordonnances du juge de première instance sont susceptibles d’appel dans les quinze jours de leur notification. Le juge des référés du Conseil d’État doit les examiner dans les quarante-huit heures (article L. 523-1 du CJA).

29. Le juge administratif a développé une jurisprudence encadrant l’office du juge du référé-liberté dans le contexte des conditions de détention. Par une ordonnance du 22 décembre 2012 (nos 364584, 364620, 364621), le Conseil d’État a jugé « qu’eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis-à-vis de l’administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention » et a ajouté que « le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ». Il a précisé que « lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence ».

30. Dans la ligne de cette jurisprudence, le Conseil d’État, par une décision rendue en chambres réunies le 28 juillet 2017 (no 410677), a indiqué que le caractère manifestement illégal d’une atteinte à une liberté fondamentale devait s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente. Il a par ailleurs confirmé que « l’intervention du juge du référé-liberté est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de rendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires ». Il en a déduit que des demandes « qui portent sur des mesures d’ordre structurel reposant sur des choix de politique publique insusceptibles d’être mises en œuvre, et dès lors de porter effet, à très bref délai, ne sont pas au nombre des mesures d’urgence que la situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que ce juge tient de l’article L. 521-2 précité ».

31. Postérieurement à l’arrêt J.M.B. et autres précité, dans lequel la Cour a jugé que le référé-liberté ne pouvait pas être qualifié de recours préventif effectif dans un contexte de surpopulation carcérale (§§ 212 à 221), le Conseil d’État, dans une décision du 19 octobre 2020, a réaffirmé l’étendue de l’office du juge des référés tout en précisant qu’il appartenait au seul législateur de tirer les conséquences de cet arrêt (décision du 19 octobre 2020, no 439372‑439344). À cet égard, il a souligné que « le juge du référé-liberté ne méconnaît pas les exigences découlant de l’article 3 de la Convention au motif qu’il refuse de prendre des mesures excédant son office ». Par cette décision, le Conseil d’֤État réaffirme la particularité de l’office du juge du référé en la matière, tout en considérant que le constat d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ne doit plus être subordonné aux moyens dont dispose l’administration (paragraphe 29 ci‑dessus), mais que ces moyens doivent dorénavant être pris en compte au stade de l’examen des mesures susceptibles d’être prescrites pour remédier à cette atteinte. La décision est ainsi motivée :

« Sur le cadre juridique du litige :

4. Aux termes de l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenu ».

5. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d’entière dépendance vis‑à-vis de l’administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu’à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la [Convention]. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du [CJA]. Lorsque la carence de l’autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521-2, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur les pouvoirs que le juge des référés tient de l’article L. 521-2 du [CJA] :

6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du [CJA] qu’il appartient au juge des référés, lorsqu’il est saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 précité et qu’il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu’aucune mesure de cette nature n’est susceptible de sauvegarder l’exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l’article L. 521-2 du [CJA], ordonner à l’autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d’organisation des services placés sous son autorité lorsqu’une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l’article L. 521‑2 précité, qu’ordonner les mesures d’urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s’imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en œuvre. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par l’article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

(...)

Sur la requête (...)

11. Les limitations de l’office du juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du [CJA], rappelées aux points 6 et 7, découlent des dispositions législatives qui ont créé cette voie de recours et sont justifiées par les conditions particulières dans lesquelles ce juge doit statuer en urgence. Au demeurant, il résulte des termes mêmes de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme [J.M.B. et autres précité] que sa saisine a permis la mise en œuvre de mesures visant à remédier aux atteintes les plus graves auxquelles sont exposées les personnes détenues dans des établissements pénitentiaires, mais que la cessation de conditions de détention contraires aux exigences de l’article 3 de la convention est subordonnée à l’adoption de mesures structurelles à même de répondre à la vétusté et à la surpopulation du parc carcéral français. En outre, s’il n’appartient qu’au législateur de tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour s’agissant de l’absence de voie de recours préventive pour mettre fin aux conditions indignes de détention résultant de carences structurelles [voir paragraphe 31 ci-dessous], il découle des obligations qui pèsent sur l’administration, précisées au point 5, qu’en parallèle de la procédure prévue à l’article L. 521-2 du [CJA], qui permet d’ores et déjà de remédier aux atteintes les plus graves aux libertés fondamentales des personnes détenues, le juge de l’excès de pouvoir peut, lorsqu’il est saisi à cet effet, enjoindre à l’administration pénitentiaire de remédier à des atteintes structurelles aux droits fondamentaux des prisonniers en lui fixant, le cas échéant, des obligations de moyens ou de résultats. Il lui appartient alors de statuer dans des délais adaptés aux circonstances de l’espèce. (...)

(...)

14. Il résulte de ce qui précède que la SFOIP n’est pas fondée à soutenir que le juge des référés du tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie aurait méconnu, par le seul exercice de son office, les exigences découlant de l’article 3 de la [Convention] en écartant certaines de ses demandes au motif, premièrement, qu’elles portaient sur des mesures d’ordre structurel insusceptibles d’être mises en œuvre à très bref délai et qu’elles n’étaient pas au nombre des mesures d’urgence que la situation permet de prendre utilement dans le cadre des pouvoirs que le juge des référés tient de l’article L. 521-2 du [CJA], deuxièmement, que les mesures qu’il prononce doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et, troisièmement, qu’il n’appartient pas au juge du référé-liberté de s’assurer, au stade de sa décision, que l’administration procédera à l’exécution des mesures prononcées à son encontre. (...) »

2. LA LOI No 2021-403 DU 8 AVRIL 2021 TENDANT À GARANTIR LE DROIT AU RESPECT DE LA DIGNITÉ EN DÉTENTION

32. La loi du 8 avril 2021 a créé un nouveau recours devant le juge judiciaire pour les personnes détenues en cas de conditions indignes de détention, en complément des recours ouverts devant le juge administratif. Aux termes de l’article 803-8 du code de procédure pénale :

« I.- Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est condamnée et incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes. (...) »

3. La responsabilité de l’État du fait du caractère indigne des conditions de détention (recours indemnitaire)

33. Concernant les modalités de l’engagement, devant le juge administratif, de la responsabilité de l’État du fait des conditions de détention qui portent atteinte à la dignité humaine, il est renvoyé à l’arrêt Barbotin c. France (no 25338/16, §§ 25 à 29, 19 novembre 2020). Ce recours est soumis à la prescription quadriennale en vertu de l’article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’État, les départements, les communes et les établissements publics aux termes duquel :

« Sont prescrites, au profit de l’Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. »

4. L’exécution des décisions du juge administratif

34. S’agissant des procédures d’exécution des décisions du Conseil d’État et de celles des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, il est renvoyé aux développements présentés dans l’arrêt J.M.B. et autres précité (§§ 147 à 149).

35. Dans sa décision du 19 octobre 2020 précitée (paragraphe 31 ci‑dessus), le Conseil d’État a confirmé qu’il n’appartient pas au juge des référés de prononcer, de son propre mouvement, des mesures destinées à assurer l’exécution de celles qu’il a déjà ordonnées. Il a rappelé les pouvoirs du juge pour garantir l’exécution des mesures prononcées :

« (...) il peut, d’office, en vertu de l’article L. 911-3 du code de justice administrative, assortir les injonctions qu’il prescrit d’une astreinte. Il incombe dans tous les cas aux différentes autorités administratives de prendre, dans les domaines de leurs compétences respectives, les mesures qu’implique le respect des décisions juridictionnelles. L’exécution d’une ordonnance prise par le juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, peut être recherchée dans les conditions définies par le livre IX du même code, et en particulier les articles L. 911-4 et L. 911-5. La personne intéressée peut également demander au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-4 du même code, d’assurer l’exécution des mesures ordonnées demeurées sans effet par de nouvelles injonctions et une astreinte. »

5. Les équipes régionales d’intervention et de sécurité

36. L’organisation et les finalités des ERIS ont été présentés dans l’arrêt El Shennawy c. France (no 51246/08, § 18, 20 janvier 2011).

37. Les ERIS ont été créées en 2003 afin de renforcer la sécurité des établissements pénitentiaires. Aux termes de l’article 39 de l’arrêté du 22 mai 2014 portant règlement d’emploi des fonctions spécialisées exercées par les personnels pénitentiaires :

« Les missions principales des ERIS sont les suivantes :

. participer au rétablissement et au maintien de l’ordre en cas de mouvements collectifs ou individuels de personnes détenues ;

. participer à l’organisation de fouilles générales ou sectorielles en assurant la sécurité globale de l’opération ;

. dissuader et prévenir les mouvements lorsque les détentions sont fragilisées soit par les suites d’un mouvement collectif, soit par l’affaiblissement momentané du dispositif de sécurité ;

. réaliser, en renfort d’escorte ou en escorte principale, le transfert administratif de détenus signalés violents ou sensibles ;

. les personnels titulaires peuvent participer à des actions de formation des personnels exerçant en établissement pénitentiaire, sous réserve d’être titulaires d’une habilitation de moniteurs ;

. participer à des échanges d’expertise technique avec d’autres forces de sécurité publique.

Par ailleurs, certains fonctionnaires des ERIS disposent d’une expertise particulière en matière de réalisation de dossiers d’objectifs et opérationnels. »

38. Les ERIS disposent d’une dotation en armement différente de celle des personnels d’établissement compte tenu des missions spécifiques qui leur sont confiées. Ils portent un uniforme spécifique. Pour les interventions de crise, la tenue est complétée d’un casque de protection et d’un gilet pare-balle. Dans certains cas, ils sont cagoulés.

6. Les fouilles

39. S’agissant des dispositions relatives au fouilles des personnes détenues et de la jurisprudence des juridictions administratives sur cette question, il est renvoyé à la partie de droit interne de l’arrêt B.M. et autres précité (§§ 29 et 31 et 36 à 43).

EN DROIT

1. JONCTION DES REQUÊTES et OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

40. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

41. Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention, les requérants se plaignent des conditions matérielles de détention qui leur ont été imposées au cours du mouvement social litigieux et d’avoir été privés de contact avec le monde extérieur pendant cette période.

42. Ils soutiennent également, au seul visa de l’article 3, que l’intervention des ERIS était violente et humiliante, notamment à l’occasion des fouilles qu’ils ont subies, alors même qu’ils se trouvaient dans une situation de grande vulnérabilité.

43. Invoquant par ailleurs les articles 6 § 1 (sauf S.K.) et 13 de la Convention, les requérants soutiennent avoir été privés du droit d’accès à un tribunal dans la mesure où ils n’ont pas eu la possibilité de saisir le juge ou de faire valoir devant lui, de manière équitable, l’incompatibilité de leur confinement en cellule avec les articles 3 et 8 de la Convention, ce qui les a privés d’une voie de recours effective pour faire cesser à bref délai l’indignité de leurs conditions de détention.

44. Les griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention ayant trait à l’accessibilité et à l’effectivité des voies de recours internes, la Cour les examinera uniquement sous l’angle de l’article 13 et pour les besoins de l’article 35 § 1 de la Convention.

2. sur l’exception de non-épuisement des voies de recours internes (grief tiré des conditions matérielles de détention et de l’absence de contact avec l’extérieur)
1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

45. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes concernant les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K., soit tous les requérants sauf MM. Leroy et Lahreche.

46. Premièrement, comme le montrerait en l’espèce l’usage par MM. Leroy et Lahreche de la voie du référé-liberté (paragraphes 17 à 21 ci‑dessus), il soutient qu’ils disposaient d’une voie de recours préventive pour demander la cessation ou l’amélioration des conditions de détention subies pendant le mouvement social litigieux. Le Gouvernement précise que les circonstances de l’espèce, à la différence de celles ayant prévalu dans l’affaire J.M.B. et autres précitée, ne révèlent pas de problèmes structurels susceptibles d’affecter l’effectivité de cette voie de recours. Il souligne que le fait générateur du grief soulevé par les requérants réside dans le mouvement social engagé à la suite de l’agression de deux surveillants, ce qui caractérise l’existence d’une situation par nature conjoncturelle proche de celle examinée par la Cour dans l’affaire Clasens c. Belgique (no 26564/16, 28 mai 2019). Il fait valoir que dans une telle situation, le juge du référé-liberté pouvait être saisi et se trouvait a priori en capacité de prononcer des injonctions de nature à remédier aux atteintes portées aux conditions de détention des requérants. En outre, et à la différence de l’affaire précitée, dans laquelle l’exécution des mesures d’urgence ordonnées était compromise par des difficultés structurelles spécifiques liées à la grève des personnels pénitentiaires en Belgique, les requérants disposaient en l’espèce de procédures leur permettant, le cas échéant, de rechercher l’exécution des mesures prescrites par ce juge (paragraphes 34 et 35 ci-dessus). Le Gouvernement renvoie à la décision du Conseil d’État du 20 octobre 2020 (paragraphe 31 ci-dessus) en ce qui concerne l’étendue et la portée des pouvoirs du juge du référé-liberté.

47. Deuxièmement, le Gouvernement soutient que les requérants qui n’ont pas exercé en temps utile le recours préventif auraient pu introduire un recours indemnitaire en saisissant le juge administratif d’un recours de plein contentieux pour engager la responsabilité de l’État pour indignité de leurs conditions de détention et obtenir une réparation de leur préjudice (paragraphe 33 ci-dessus). Il fait valoir que cette voie de recours était effective et renvoie à l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Barbotin précitée ainsi que, dans l’ordre interne, à un jugement du tribunal de Lille condamnant l’État à la réparation du préjudice résultant de conditions de détention particulièrement dégradées au cours d’un mouvement social au sein de la prison de Longuenesse (TA Lille, no 1811587, 30 avril 2021). Le Gouvernement constate que seul le requérant S.K. a introduit un tel recours mais considère qu’il ne peut être regardé comme ayant pleinement épuisé les voies de recours internes dès lors qu’il n’a pas fait appel du jugement du 19 mai 2021 (paragraphes 22 à 24 ci-dessus).

2. Les requérants

48. Les huit requérants mettent en cause le caractère effectif du recours en référé-liberté. Ils font valoir qu’ils n’avaient aucune possibilité de contacter leurs conseils habituels ni celle d’établir facilement des contacts avec leurs proches afin de présenter un recours en temps utile. Ils ajoutent qu’ils avaient été informés du rejet des recours de MM. Leroy et Lahreche et que dès lors qu’ils se trouvaient dans une situation parfaitement similaire à ces derniers, il était vain de solliciter à nouveau l’intervention du juge. Ils soutiennent par ailleurs que le processus décisionnel suivi ne permet pas de garantir que le recours mette un terme à des conditions de détention indignes, compte tenu de la priorité donnée par le juge aux observations de l’administration pénitentiaire, du fait de l’insuffisance de l’instruction menée par lui, et des délais de jugement. Plus généralement, ils se réfèrent à l’arrêt J.M.B. et autres précité pour dénoncer les carences du suivi de l’exécution de injonctions prononcées par le juge du référé-liberté.

49. Les huit requérants soutiennent également qu’ils n’avaient pas à exercer de recours indemnitaire dès lors que ce dernier ne constitue pas une voie de recours permettant de remédier à des conditions de détention contraires à l’article 3. Ils se réfèrent à cet égard à l’arrêt Clasens précité (§ 28).

2. Thèse de l’OIP et de l’EPLN

50. Les tiers intervenants soutiennent que le référé-liberté est une voie de recours a priori appropriée au traitement du contentieux pénitentiaire, en particulier celui des conditions matérielles de détention. Pour autant, ils considèrent que ce recours manque d’efficacité en pratique, en particulier dans l’hypothèse de la paralysie d’un établissement comme en l’espèce. La présente affaire témoignerait ainsi de la portée limitée du pouvoir d’injonction du juge des référés. L’ordonnance du 14 mars 2019 rendue en l’espèce souligne ainsi le « contexte de fortes contraintes » nées du mouvement social pour conclure à l’absence d’atteinte à une liberté fondamentale, ce qui ne correspond pas au caractère intangible du droit protégé par l’article 3. Selon eux, le suivi de l’exécution des mesures ordonnées par le juge soulève également un problème.

3. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux

51. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à l’épuisement des voies de recours internes et à l’effectivité des recours internes aux fins de l’article 13 de la Convention dans les affaires portant sur les conditions de détention tels qu’ils ont été énoncés et rappelés dans l’affaire Ulemek c. Croatie (no 21613/16, §§ 71 à 80, 31 octobre 2019).

52. La Cour rappelle en particulier que pour qu’un système de protection des droits des détenus garantis par l’article 3 de la Convention soit effectif, les remèdes préventifs et compensatoires doivent coexister de façon complémentaire. Le recours préventif doit être de nature à empêcher la continuation de la violation alléguée ou de permettre une amélioration des conditions matérielles de détention. Une fois que la situation dénoncée a cessé, la personne doit disposer d’un recours indemnitaire. À défaut d’un tel mécanisme, combinant ces deux recours, la perspective d’une possible indemnisation risquerait de légitimer des souffrances incompatibles avec l’article 3 et d’affaiblir sérieusement l’obligation des États de mettre leurs normes en accord avec les exigences de la Convention (Ulemek, précité, §§ 71et 72, J.M.B. et autres, précité, § 167).

53. Dans l’affaire Ulemek, la Cour a reconnu que l’existence ou l’exercice d’une action en réparation d’un préjudice résultant de conditions attentatoires à la dignité humaine n’est pas une alternative à un usage approprié d’un recours préventif dès lors que la perspective d’une réparation future pour la personne détenue ne saurait justifier qu’il ne soit pas mis fin à une souffrance particulièrement grave propre à mettre en jeu l’article 3. Vu l’étroite affinité qui existe entre les articles 13 et 35 § 1 de la Convention, elle a souligné qu’il serait déraisonnable d’admettre qu’une fois un recours préventif établi dans la perspective d’une mise en conformité du système de recours avec l’article 13, un requérant puisse être exonéré de l’obligation d’exercer ce recours avant de la saisir, alors même qu’elle a jugé que sa mise en place constitue la voie la plus adéquate pour permettre de remédier à des conditions de détention prétendument contraires à l’article 3. Elle a ajouté qu’un requérant ne peut donc en principe saisir la Cour d’un grief relatif à ses conditions de détention que s’il a d’abord exercé en bonne et due forme le recours préventif effectif éventuellement disponible en droit interne, puis, le cas échéant, le recours compensatoire pertinent (§§ 84 à 87).

54. La Cour a cependant précisé dans cette affaire que si, dans certains cas, l’usage d’un recours préventif, qui serait par ailleurs effectif, pouvait s’avérer vain en raison de la brièveté du séjour du requérant dans des conditions inadéquates, il se pourrait que la seule démarche utile pour ce dernier soit d’engager un recours compensatoire propre à lui permettre d’obtenir une réparation, le cas échéant, des mauvaises conditions de détention passées. Ce type d’appréciation dépend de facteurs liés au fonctionnement du système de recours au niveau interne national et à la nature des défaillances alléguées par le requérant (§ 88).

2. Application en l’espèce

a) Remarques préliminaires

55. D’emblée, la Cour relève que l’exception d’irrecevabilité telle que formulée par le Gouvernement procède d’une logique cohérente avec sa jurisprudence en matière de conditions de détention selon laquelle les exigences combinées des articles 13 et 3 impliquent l’existence de remèdes préventifs et compensatoires qui doivent coexister de façon complémentaire. Selon le Gouvernement, les huit requérants disposaient de deux voies de recours effectives devant les juridictions administratives : la voie du référé‑liberté en tant que recours préventif pour empêcher la continuation de la violation alléguée de l’article 3 au cours du mouvement social, du fait des conditions matérielles de détention et du comportement des ERIS, et la voie de l’engagement de la responsabilité de l’État en tant que recours indemnitaire de nature à réparer, le cas échéant, le préjudice subi du fait de la violation alléguée. Il en déduit qu’il leur appartenait d’exercer l’une ou l’autre de ces voies de recours.

b) Considérations générales sur les recours préventif et compensatoire

56. La Cour constate qu’en droit français les deux voies de recours sont indépendantes l’une de l’autre, l’action préventive ne conditionnant pas ou ne s’exerçant pas au préjudice de l’action compensatoire. En principe, le fait de disposer d’un recours indemnitaire permettant d’obtenir la réparation, le cas échéant, du préjudice résultant de conditions de détention passées contraires à l’article 3 de la Convention, ne dispense pas un requérant de l’obligation d’exercer le recours préventif effectif disponible en droit interne (Ulemek, précité, § 86). C’est la position du Gouvernement en l’espèce qui, en ce qui concerne MM. Leroy et Lahreche, n’excipe pas du non-épuisement des voies de recours internes, dès lors qu’ils ont exercé un référé-liberté alors même qu’ils disposaient, à compter de la fin du mouvement social, avant l’introduction de leur requête devant la Cour, d’un recours indemnitaire pour demander la réparation de leur préjudice.

57. La Cour considère qu’une telle articulation des voies de recours au regard de l’article 13 et de l’exigence d’épuisement des voies de recours internes posée par l’article 35 § 1 de la Convention est conforme à l’approche retenue par sa jurisprudence en dépit de la brièveté de la période de détention litigieuse.

58. En ce qui concerne l’effectivité de ces deux voies de recours, la Cour souligne les éléments suivants.

59. En premier lieu, s’agissant du recours compensatoire, elle rappelle avoir déjà jugé que l’action en responsabilité de l’État du fait du caractère indigne des conditions de détention est une voie de recours indemnitaire qu’elle a qualifiée de disponible et adéquate, c’est‑à‑dire présentant des perspectives raisonnables de succès, pour des requérants ayant été exposés à des conditions de détention indignes. Dans une telle hypothèse, elle exige en principe des requérants, une fois libérés ou transférés dans une autre cellule, qu’ils fassent usage de ce recours indemnitaire afin de satisfaire à la règle de l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’article 35 § 1 de la Convention (Barbotin, précité, § 50, et les références citées).

60. En second lieu, s’agissant de la voie de recours préventive, elle rappelle avoir considéré, dans l’affaire J.M.B. et autres, que les limites du pouvoir d’injonction du juge des référés l’empêchent de remédier aux atteintes aux droits garantis aux détenus par l’article 3 lorsqu’elles résultent de la surpopulation carcérale (précité, §§ 217 à 220) pour en déduire que, dans un tel contexte, le référé-liberté ne constitue pas une voie de recours préventive effective. Il revient donc à la Cour de se prononcer pour la première fois sur le caractère effectif du recours préventif ouvert devant le juge administratif, dans l’hypothèse où, comme dans le cas d’espèce, les conditions de détention dont l’indignité est alléguée ne découlent pas du contexte de la surpopulation carcérale.

c) Sur l’effectivité du recours préventif

61. La Cour relève tout d’abord, ainsi que le souligne le Gouvernement, que, parmi les auteurs des requêtes portées devant elle, deux, à savoir MM. Leroy et Lahreche ont recouru, avec l’assistance de leur avocat, à la voie du référé-liberté pour contester précisément les conditions de détention litigieuses. Elle en déduit que cette voie de recours était normalement disponible.

62. S’agissant ensuite du caractère effectif de ce recours, la Cour rappelle, à la lumière de la décision adoptée par le Conseil d’État à la suite du prononcé de l’arrêt dans l’affaire J.M.B. et autres (paragraphe 31 ci-dessus), qu’elle a considéré, dans cet arrêt, que la procédure de référé-liberté prévue à l’article L. 521-2 du code de la justice administrative permet au juge des référés, en cas d’urgence caractérisée, de remédier à bref délai, aux atteintes graves et manifestement illégales portées à une liberté fondamentale (§ 217). Elle rappelle également, comme le montrent les décisions rendues les 14 mars et 15 avril 2019 (paragraphes 18 et 21 ci-dessus) et la jurisprudence exposée dans la partie de droit interne (paragraphes 29 à 31 ci-dessus), que les juridictions administratives internes statuent selon des standards qui coïncident avec les siens en la matière en tenant compte de la situation d’entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, de leur vulnérabilité et des conditions matérielles de leur détention, les droits de ces dernières garantis par les articles 2 et 3 de la Convention, constituant des libertés fondamentales au sens de l’article L. 521-2 du CJA (J.M.B. et autres, précité, § 215).

63. Pour autant, les requérants considèrent que d’un point de vue pratique, cette voie de recours n’était pas effective dans la mesure où elle n’était pas de nature à leur permettre d’obtenir immédiatement une amélioration de leurs conditions de détention. Ils mettent en particulier en avant le délai déraisonnable de la procédure et les difficultés d’exécution des mesures d’urgence susceptibles d’être prononcées par le juge du référé‑liberté.

64. À cet égard, la Cour souligne tout d’abord que, comme le montrent les recours exercés par MM. Leroy et Lahreche, le contexte dans lequel les demandes tendant à ce qu’il soit remédié aux conditions de détention litigieuses étaient présentées devant le juge du référé était notablement différent de celui de l’affaire J.M.B. et autres précitée, qui appelait la prescription par le juge de mesures structurelles. En effet, il ressort des éléments du dossier que, dans les présentes affaires, le juge du référé-liberté a été saisi d’une situation liée à un évènement ponctuel, présentant un caractère provisoire et exceptionnel, qui ne touchait pas le problème de la surpopulation carcérale et les conditions de détention qui en découlent. Dans l’exercice de son pouvoir d’injonction, il était donc tout à fait à même d’ordonner des mesures provisoires de nature à remédier aux atteintes alléguées aux droits des requérants protégés par l’article 3 de la Convention.

65. La Cour rappelle ensuite que, selon la jurisprudence interne, ce pouvoir d’injonction est limité aux mesures d’urgence qui « apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale [en cause] » (paragraphe 18 ci-dessus). Or, compte tenu de ce qu’elle a dit au paragraphe précédent, le juge était en principe en mesure d’ordonner des mesures d’urgence susceptibles d’être mises en œuvre rapidement et de porter effet à bref délai, concernant notamment l’hygiène, les promenades ou les contacts avec les familles ainsi que la pratique des fouilles (voir, en particulier, sur les fouilles, la jurisprudence citée dans l’arrêt B.M. et autres précité, §§ 40, 42 et 43). Il ne résulte ni des éléments du dossier de la procédure devant le juge interne ni des éléments apportés par les requérants devant la Cour que les autorités pénitentiaires n’auraient pas été en mesure d’exécuter de manière satisfaisante de telles mesures (comparer avec l’affaire Clasens, précitée, §§ 36 et 37, dans laquelle des carences structurelles avérées dans la gestion du mouvement social empêchaient l’exécution des mesures prescrites par le juge du référé).

66. Enfin, la Cour rappelle que les requérants disposaient de procédures leur permettant, le cas échéant, de rechercher l’exécution des mesures prescrites par ce juge (paragraphes 34 et 35 ci-dessus ; voir également J.M.B. et autres, précité, §§ 137 et 147 à 149, B.M. et autres, précité, § 64).

67. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et compte tenu de la portée du contrôle juridictionnel exercé par le juge des référés sur les faits et le bien-fondé de demandes présentées dans un contexte comme celui de l’espèce, la Cour considère que la voie du référé-liberté avait une chance raisonnable de succès, permettant d’obtenir une décision exécutoire susceptible de faire disparaître, à bref délai, les effets d’une atteinte portée à l’article 3 de la Convention. Contrairement à ce qui est soutenu, le rejet des requêtes de MM. Leroy et Lahreche ne suffit pas à établir que cette voie de recours était de toute évidence vouée à l’échec. En conséquence, et indépendamment de l’examen de l’effectivité de ce recours dans le cas concret de ces deux requérants, qu’elle effectuera plus bas (paragraphes 117 et suivants ci-dessous), la Cour conclut que le référé-liberté doit être regardé, dans le contexte des faits litigieux, comme constituant, dans son principe, une voie de recours effective.

d) Sur l’épuisement des voies de recours par les requérants concernés par l’exception préliminaire du Gouvernement

1. Les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun et Ramet

68. La Cour constate que les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun et Ramet n’ont engagé aucun recours, préventif ou compensatoire, pour demander une amélioration immédiate de leurs conditions de détention ou la réparation des conséquences de ces conditions. Compte tenu de ce qu’elle a dit aux paragraphes 59 et 67 ci-dessus, elle considère que l’exception préliminaire du Gouvernement doit être accueillie, et que leurs requêtes doivent être rejetées s’agissant de leurs griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, et s’agissant de l’article 13 de la Convention, comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. Le requérant M. S.K.

69. La Cour relève que le requérant a engagé un recours compensatoire devant le juge administratif sans toutefois l’exercer pleinement puisqu’il n’a pas mené son action à terme, faute de relever appel du jugement du 19 mai 2021 (paragraphes 23 et 24 ci-dessus) et, le cas échéant, de saisir le Conseil d’État en cassation.

70. Comme les requérants concernés au paragraphe 68 ci-dessus, il disposait également de la faculté d’exercer un référé-liberté, qu’il n’a pas saisie.

71. Dans ces conditions, elle considère que l’exception préliminaire du Gouvernement doit être accueillie, et que sa requête doit être rejetée, s’agissant de ses griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, et s’agissant de l’article 13 de la Convention, comme manifestement mal fondée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

e) Conclusion

72. La Cour conclut que les requêtes des requérants Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K., pour autant qu’elles concernent les conditions matérielles de détention et l’absence de contact avec le monde extérieur au cours du mouvement social litigieux, doivent être déclarées irrecevables en vertu de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLEGUÉE DE L’ARTICLE 3 (INTERVENTION DES ERIS)

73. Les requérants se plaignent de l’intervention des ERIS dans la gestion quotidienne de l’établissement au cours du mouvement social litigieux et du régime de fouilles auquel ces dernières les ont soumis. Ils invoquent l’article 3 de la Convention, aux termes duquel :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Sur les exceptions préliminaires du Gouvernement
1. Thèse du Gouvernement

74. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes à différents égards.

75. En premier lieu, il soutient que les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K. disposaient des deux recours préventif et compensatoire précités (paragraphe 55 ci-dessus) pour faire valoir leur grief tiré de l’intervention des ERIS.

76. En second lieu, s’agissant de la pratique des fouilles dénoncées, le Gouvernement ajoute que tous les requérants disposaient pour demander la cessation de ces dernières, outre la voie du référé-liberté, de la possibilité d’exercer un référé-suspension et de présenter un recours pour excès de pouvoir. Il se réfère sur ce dernier point à la jurisprudence qui est citée dans l’arrêt B.M. et autres précité (paragraphe 39 ci-dessus).

77. En troisième lieu, le Gouvernement soutient que, devant le Conseil d’État, MM. Leroy et Lahreche ne se sont pas plaints explicitement d’une violation de l’article 3 ou d’une atteinte à leur dignité, mais se sont contentés de dénoncer l’encadrement des prisonniers par les ERIS sans se plaindre de faire l’objet de fouille de leur part (paragraphes 19 et 20 ci-dessus).

2. Thèse des requérants

78. Les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K. renvoient à leurs observations résumées aux paragraphes 48 et 49 ci-dessus.

79. Les requérants MM. Leroy et Lahreche font valoir qu’ils ont bien soulevé devant le Conseil d’État le grief tiré de l’article 3 en ce qui concerne le comportement des ERIS mais que ce dernier ne s’est pas expressément prononcé sur celui-ci. Ils affirment qu’ils se trouvaient dans une situation qui ne leur permettait pas de fournir des informations à leur avocat et que seule l’administration disposait de données précises sur le mode de fonctionnement des ERIS.

2. Sur les observations des parties et des tiers intervenants sur le bien-fondé du grief
1. Observations des parties

80. En ce qui concerne le bien-fondé du grief, les requérants soutiennent que les ERIS ont procédé à des fouilles intégrales lors de la fouille générale de l’établissement (paragraphe 8 ci-dessus), dans un cadre illégal, et de surcroît par des agents cagoulés. Ils indiquent que ces derniers se chargeaient, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, de la gestion quotidienne de la détention. Ils affirment qu’ils s’occupaient de la distribution des repas et refusaient que les poubelles soient déposées sur la coursive, tout en étant masqués, ce qui était de nature à rendre leur détention angoissante et à briser leur résistance physique et psychique.

81. Le Gouvernement indique que les ERIS sont des personnels pénitentiaires qui sont formés pour réaliser les fouilles. Il précise que ces équipes agissent sous le contrôle du chef d’établissement qui doit assurer la traçabilité des fouilles sectorielles ou générales pratiquées. Il souligne que les ERIS sont constituées de professionnels formés pour effectuer des interventions respectueuses des droits des personnes détenues. En l’espèce, il fait valoir que les ERIS, une fois la sécurité rétablie après l’agression, ont procédé à la réintégration des personnes détenues dans leur cellule, puis ont participé sans heurt à la gestion quotidienne de la détention avec d’autres personnels et assuré le maintien de la sécurité sur le site après la fin du mouvement social. Le Gouvernement ne partage pas le point de vue des tiers intervenants concernant le caractère systématiquement violent de l’intervention des ERIS qu’il considère comme non étayé (paragraphes 82 et 83 ci-dessous). S’agissant plus précisément de l’utilisation du port de la cagoule, il souligne que les membres de ces équipes interviennent dans des situations de crise dangereuses qui imposent que leur anonymat soit garanti afin de sauvegarder leur intégrité physique ainsi que celle de leur famille. Étant susceptibles de retourner après leur intervention dans leurs lieux de détention d’origine en tant que surveillants pénitentiaires, il fait valoir qu’il est indispensable de préserver leur sécurité en protégeant leur identité à l’égard des personnes détenues. En tout état cause, le port d’une cagoule ne signifierait pas qu’ils interviennent en toute impunité dès lors qu’un trigramme sur leur casque permet de les identifier, et, qu’en cas d’incident, il doit être fait usage d’un enregistrement audiovisuel de l’intervention.

2. Observations de L’OIP et de l’EPLN

82. Se référant aux arrêts El Shennawy précité (§ 44) et Dedovski et autres c. Russie (no 7178/03, CEDH 2008 (extraits)) ainsi qu’à plusieurs rapports du CPT alertant des dangers liés à l’intervention de forces spéciales cagoulées, l’OIP demande à la Cour de faire application en l’espèce de sa jurisprudence relative aux violences physiques telle qu’elle a été précisée dans l’affaire Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, CEDH 2015). Cela implique, selon elle, la prise en compte, aux fins de l’article 3, de la gestion de la détention par ces forces, indépendamment des mesures de sécurité mises en œuvre par elles (fouilles, menottage) d’une part, et l’obligation pour le gouvernement d’établir la stricte nécessité de l’emploi des forces spéciales d’autre part.

83. L’OIP considère qu’il n’y a pas lieu d’exclure de la protection de l’article 3 les formes d’intimidation et de violences psychiques qui s’exercent contre les personnes détenues. Le droit garanti par cette disposition serait privé d’effectivité si les personnels pénitentiaires pouvaient impunément briser la résistance psychologique des détenus, non pas par des moyens physiques, mais par des formes plus subtiles de violence. Or, le mode opératoire des ERIS et l’anonymat résultant du port de la cagoule amplifieraient l’état de vulnérabilité des personnes détenues, et mettraient directement en jeu le droit au respect de la dignité, l’anonymat et le port de la cagoule ayant pour effet d’exclure toute possibilité de relation interindividuelle et de susciter la crainte. Une telle tenue devrait être réservée aux situations exceptionnelles de menaces graves pesant directement sur les agents. L’OIP insiste sur la nécessité de disposer d’un cadre normatif préventif qui offre des garanties adéquates et effectives contre l’arbitraire et l’abus de force.

3. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité

a) Les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K.

84. En ce qui concerne les requérants MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K., la Cour renvoie à ce qu’elle a dit sur l’effectivité des recours préventif et compensatoire aux paragraphes 59 et 67 ci-dessus. Partant, en l’absence de toute procédure engagée par sept d’entre eux et du plein épuisement du recours en responsabilité exercé par le requérant S.K., elle considère que l’exception préliminaire du Gouvernement doit être accueillie et que cette partie de leurs requêtes doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes en vertu de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

b) Le requérant M. Leroy

85. La Cour relève, comme le Gouvernement (paragraphe 77 ci-dessus), que la pratique des fouilles dont a fait l’objet M. Leroy n’a pas été contestée devant le juge interne. Renvoyant sur ce point à l’arrêt B.M. et autres c. France précité (§§ 59 à 65), elle considère qu’il n’a pas dûment épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne cette partie de son grief et qu’il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement sur ce point.

86. S’agissant de la partie de son grief relatif à l’intervention des ERIS dans la gestion quotidienne de l’établissement au cours de la période litigieuse, la Cour estime, au vu des difficultés objectives pour le requérant de recueillir la preuve de ses allégations, qu’il ne convient pas de retenir l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement, qui tient en réalité au caractère laconique de ses allégations de mauvais traitements devant le juge interne. Elle considère en revanche que cette partie de son grief est irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

87. En effet, le requérant se borne, pour caractériser l’existence des traitements dégradants et inhumains dont il soutient avoir été victime à décrire la participation active des membres des ERIS à la gestion quotidienne de la prison pendant au moins quinze jours et à se plaindre du port de la cagoule à cette occasion. Hormis les opérations de fouilles, qui sont hors du champ d’examen de la Cour (paragraphe 85 ci-dessus), il ressort de ses écritures qu’il invoque de manière générale un contact avec les ERIS difficile à supporter du fait qu’elles étaient masquées sans évoquer, de manière suffisamment détaillée, d’incident, de comportement déplacé ou un usage, par ces dernières, d’une arme.

88. À cet égard, la Cour relève que le Gouvernement ne conteste pas le fait que les ERIS portent un uniforme spécifique, qu’il justifie par le besoin de discrétion et de protection dans un contexte de crise. Elle rappelle avoir déjà jugé que des opérations de sécurité réalisées par des forces spécialisées cagoulées constituent une « pratique intimidatoire » de nature à créer un sentiment d’angoisse et à intimider les détenus (El Shennawy, précité, § 44 et le rapport du CPT qui y est cité ; Ciupercescu c. Roumanie, no 35555/03, § 122, 15 juin 2010). Pour autant, en l’espèce, elle note que le requérant n’a pas fourni d’éléments étayant ses allégations selon lesquelles la tenue d’intervention des ERIS critiquée aurait non seulement engendré du stress à son égard mais aussi caractérisé à elle seule l’existence d’une atteinte à la dignité.

89. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, la situation du requérant n’atteint pas le seuil de gravité exigé pour caractériser l’existence d’un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il s’ensuit que la partie de son grief concernant l’intervention temporaire des ERIS dans la gestion quotidienne de l’établissement est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

c) Le requérant M. Lahreche

90. La Cour note que dans ses dernières écritures devant le Conseil d’État, le 4 avril 2019, l’avocat du requérant M. Lahreche a invoqué une pratique de fouille par palpation à chaque sortie de cellule à la fin de la période du mouvement litigieux (paragraphe 20 ci-dessus), et précisé que les ERIS seraient encore présentes dans l’établissement pendant quatre semaines, ce à quoi la haute juridiction a répondu que ces équipes assuraient la sécurité intérieure, en l’absence de toute illégalité. Elle relève également que, dans ces mêmes écritures, le requérant a souligné que le fait d’être exposé à des individus cagoulés sur une longue période entre sous le coup de l’article 3 de la Convention. Dans ces conditions, la Cour considère que le requérant doit être regardé comme ayant contesté devant le juge interne la pratique par les ERIS, de fouilles par palpation chaque fois qu’il était extrait de la cellule, à la fin du mouvement social, mais non celle des fouilles intégrales auxquelles il a été soumis lors de l’opération du 23 au 25 mars 2019 (paragraphes 8 et 80 ci-dessus) dont il ne s’est pas plaint. La Cour convient également que le requérant a invoqué devant le juge des référés le caractère dégradant de l’intervention des ERIS dans la gestion quotidienne de l’établissement. Partant, elle considère que l’exception d’irrecevabilité du Gouvernement concernant M. Lahreche doit être rejetée.

91. Constatant que cette partie de sa requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

d) Conclusion sur la recevabilité

92. La Cour conclut que l’ensemble des requêtes, à l’exception de celle de M. Lahreche, doit être rejeté, pour autant qu’elles portent sur l’intervention des ERIS au cours du mouvement social litigieux.

2. Sur le fond (M. Lahreche)

93. Pour tomber sous le coup de l’article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimal de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de l’espèce, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime, etc. La Cour a ainsi jugé un traitement « inhumain » au motif notamment qu’il avait été appliqué avec préméditation pendant des heures et qu’il avait causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales ; elle a par ailleurs considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir. Pour qu’une peine ou un traitement puisse être qualifié d’« inhumain » ou de « dégradant », la souffrance ou l’humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitimes (Bouyid c. Belgique [GC], no [23380/09](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2223380/09%22%5D%7D), §§ 86-87, CEDH 2015).

94. Pour un rappel des principes généraux concernant les fouilles, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente (Roth c. Allemagne, nos 6780/18 et 30776/18, §§ 70 à 72, 22 octobre 2020, Safi et autres c. Grèce, no 5418/15, §§ 188 à 192, 7 juillet 2022).

95. En l’espèce, la Cour note que le Gouvernement ne conteste pas que le requérant a été soumis à une fouille par palpation à chaque sortie de sa cellule au moment du retour progressif du fonctionnement de l’établissement, sans préciser davantage les modalités selon lesquelles elles ont été menées ni la durée dans le temps de celle-ci. Il ressort des éléments du dossier que cette pratique s’est étalée vraisemblablement sur deux ou trois semaines à compter de la fin du mois de mars, la décision du Conseil d’État rendue le 15 avril 2019 indiquant que les ERIS étaient toujours présentes dans l’établissement à la date à laquelle elle a été rendue, et qu’elle s’opérait lors des sorties pour la promenade de cellule, soit au minimum une fois par jour. La Cour constate également qu’il n’est pas contesté que cette fouille par palpation était pratiquée par des hommes masqués.

96. La Cour relève le constat fait par le juge des référés du Conseil d’État selon lequel la présence prolongée des ERIS au sein de l’établissement était justifiée par la nécessité d’assurer de façon pérenne la sécurité intérieure. Elle ne voit au dossier aucune raison de remettre en cause cette appréciation de laquelle il découle que les fouilles par palpation étaient liées au maintien de la sécurité. Elle rappelle que des fouilles corporelles, même intégrales, peuvent parfois se révéler nécessaires pour assurer la sécurité dans une prison – y compris celle du détenu lui-même, – défendre l’ordre ou prévenir les infractions pénales (El Shennawy, précité, § 38).

97. Dans ces conditions, eu égard au type de fouille dénoncée par le requérant, qui implique en principe que la personne détenue reste habillée, et compte tenu de ce qu’elle a déjà dit plus haut concernant le port du masque par les ERIS (paragraphe 88 ci-dessus), la Cour considère que la situation subie par lui du fait de l’intervention des ERIS au cours du mouvement social litigieux et du régime de fouilles auquel ces dernières l’ont soumis n’a pas atteint le seuil de gravité à partir duquel un traitement peut passer pour inhumain ou dégradant (comparer avec l’affaire Ciupercescu, précitée, dans laquelle le requérant se plaignait de fouilles à corps, §§ 121 et 122, et l’affaire El Shennawy, précitée, dans laquelle l’intéressé subissait des fouilles intégrales plusieurs fois par jour, §§ 43 à 46).

98. De l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef de M. Lahreche.

4. sur la violation alléguée des articles 3 et 8 de la convention (MM. Leroy et LAHRECHE)

99. Les requérants MM. Leroy et Lahreche se plaignent de leurs conditions de détention au cours du mouvement social litigieux et de la rupture des contacts avec le monde extérieur. Ils invoquent l’article 3, précité, et l’article 8 de la Convention, au terme duquel :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Recevabilité

100. Constatant que cette partie de leur requête n’est pas manifestement mal fondée ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèse des parties

a) Les requérants

101. Les requérants soulignent la situation d’extrême vulnérabilité dans laquelle ils se sont trouvés pendant vingt et un jours, alors qu’ils étaient privés des besoins élémentaires ainsi que de tout contact avec l’extérieur.

102. Ils contestent les affirmations contraires du Gouvernement (paragraphes 105 et 106 ci-dessus), qui ne seraient, selon eux, corroborées par aucune preuve matérielle, et contredites par les témoignages joints à leurs formulaires de requête (paragraphe 11 ci-dessus).

103. S’agissant du maintien des contacts avec l’extérieur, les requérants soutiennent, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, que l’accès très limité au téléphone pendant la durée du blocage, et l’impossibilité de faire parvenir des courriers à leurs proches ou d’en recevoir, ont porté gravement atteinte à l’article 8 de la Convention.

b) Le Gouvernement

104. Le Gouvernement souligne que les surveillants pénitentiaires n’ont pas le droit de faire grève, de sorte que, selon lui, une situation de blocage d’un établissement pénitentiaire est une circonstance tout à fait exceptionnelle et grave. Par comparaison avec l’affaire Clasens, précitée, et la situation en Belgique où ce droit est reconnu, il considère, sans contester le confinement des requérants pendant la période litigieuse, que leurs conditions matérielles de détention, pour dégradées qu’elles aient été, ne peuvent pas être qualifiées ni d’indignes au sens de l’article 3 de la Convention ni attentatoires aux droits garantis par l’article 8 de la Convention.

105. Le Gouvernement fait valoir que le personnel médical était présent quotidiennement pendant la période litigieuse. Il produit un courriel d’un médecin responsable de l’unité sanitaire indiquant qu’un infirmier et un médecin étaient présents au cours de cette période. Il indique qu’aucune coupure d’eau, d’électricité ou de chauffage n’est intervenue au cours de la période litigieuse.

106. Le Gouvernement souligne par ailleurs que les restrictions des visites n’ont pas été décidées à l’encontre des détenus mais « subies » par l’administration pénitentiaire du fait d’une circonstance exceptionnelle. En outre, il indique que si l’accès au téléphone a été bloqué les 9 et 10 mars, il a été maintenu le reste du temps entre le 7 et le 17 mars. Quant à la possibilité d’échanger et de recevoir des courriers, en particulier avec les avocats, le Gouvernement s’en remet aux indications de l’ordonnance du 21 mars 2019 (paragraphe 25 ci-dessus).

107. Enfin, le Gouvernement informe la Cour des difficultés rencontrées pour assurer la traçabilité écrite de l’ensemble des différentes missions ou opérations des personnels au cours du mouvement social litigieux et de l’impossibilité de produire toutes les preuves matérielles habituellement soumises à la Cour. Il fournit à cet égard un courrier de la direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes daté du 18 janvier 2022 faisant état de la difficulté pour l’administration d’apporter les preuves habituellement produites devant les juridictions administratives.

108. Le Gouvernement conclut, compte tenu des circonstances exceptionnelles, des effectifs très réduits et des efforts considérables entrepris par l’administration pénitentiaire pour assurer le service et maintenir des conditions de détention dignes, qu’il n’y pas eu violation des articles 3 et 8 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

109. En ce qui concerne les conditions de détention, les principes ont été rappelés par la Cour dans l’arrêt Muršić c. Croatie ([GC], no 7334/13, 20 octobre 2016) :

« 99. Pour ce qui est des mesures privatives de liberté, la Cour a toujours souligné que, pour relever de l’article 3, la souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement la privation de liberté. L’État doit s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (...)

100. Le fait que les mauvaises conditions subies par le détenu ne soient pas imputables à une intention de l’humilier ou de le rabaisser doit être pris en compte mais n’exclut pas de façon définitive un constat de violation de l’article 3 de la Convention (...) En effet, il incombe à l’État défendeur d’organiser son système pénitentiaire de manière à assurer le respect de la dignité des détenus, indépendamment de difficultés financières ou logistiques (voir, parmi beaucoup d’autres, (...), Neshkov et autres, précité, § 229, et Varga et autres, précité, § 103).

101. Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de tenir compte de leurs effets cumulatifs ainsi que des allégations spécifiques du requérant. La durée de détention d’une personne dans des conditions particulières doit elle aussi être prise en considération (...) »

110. En ce qui concerne les contacts des détenus avec leur famille et leurs avocats, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente (Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, §§ 116 à 126, CEDH 2015, Danilevich c. Russie, no 31469/08, §§ 45 à 50, 19 octobre 2021, en ce qui concerne en particulier l’usage du téléphone, Campbell c. Royaume-Uni, 25 mars 1992, §§ 45 à 47, série A no 233, en ce qui concerne les communications avec un avocat).

b) Application en l’espèce

111. En l’espèce, la Cour relève que les juges internes ont souligné le caractère dégradé des conditions de détention des requérants et leur confinement permanent en cellule au cours du mouvement social litigieux, sans considérer que ces circonstances étaient constitutives de traitements inhumains ou dégradants ou d’une atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale protégée par l’article 8, compte tenu des diligences accomplies par les autorités compétentes pour remédier à cette situation. Les juges internes ont ainsi considéré que le confinement des requérants en cellule, décidé pour des raisons tenant à la situation à l’intérieur de l’établissement, ne saurait être regardé comme une forme de sanction collective et relevé que les autorités s’étaient efforcées de s’organiser pour pourvoir à leurs besoins élémentaires. Pour les mêmes motifs, le Gouvernement soutient que les conditions de détention des requérants n’ont pas porté atteinte à la dignité humaine des requérants.

112. En premier lieu, la Cour relève qu’en temps normal le centre pénitentiaire d’Alençon-Condé-sur-Sarthe est un établissement qui ne souffre pas de surpopulation carcérale (paragraphe 4 ci-dessus). Avant l’agression du 5 mars 2019, le taux d’occupation de l’établissement était bas et les conditions de détention considérées comme satisfaisantes. La dégradation des conditions de détention des requérants a résulté, ainsi que l’ont relevé les juges internes, d’une situation présentant un caractère imprévisible et subi par les autorités compétentes.

113. En deuxième lieu, la Cour relève que, pour juger au visa de l’article 3 que les conditions de détention des requérants ne présentaient pas un caractère indigne, les juges internes ont considéré que les mesures prises pour remédier aux conséquences dommageables du mouvement social litigieux suffisaient à assurer des conditions de détention acceptables, eu égard aux exigences du maintien de la sécurité au sein de l’établissement. La Cour ne minore pas les fortes contraintes d’ordre et de sécurité qui ont pesé sur les autorités pénitentiaires dans les circonstances de l’espèce, qui se sont notamment traduites par le confinement des requérants en cellule et la décision de mener des fouilles, de manière générale et répétée au cours de la période litigieuse. Pour autant, l’appréciation du caractère indigne des conditions de détention ne saurait reposer sur la prise en compte des justifications, qu’il n’est pas question pour la Cour de remettre en cause, apportées au nom des considérations de sécurité et de maintien de l’ordre au sein de l’établissement.

114. À cet égard, et en troisième lieu, la Cour relève qu’il n’est pas contesté que pendant une vingtaine de jours les requérants ont été confinés dans leur cellule vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans activité physique ni aucune autre activité, et privés de quasiment tout contact avec le monde extérieur, qu’il s’agisse de l’usage du téléphone, des visites familiales ou des rencontres avec leurs avocats. La Cour considère, s’agissant de telles conditions de détention, qu’il n’y a pas lieu de se départir des conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’affaire Clasens adoptées dans des circonstances similaires (§§ 35 et 38, et les références à la jurisprudence pertinente rappelées aux §§ 33 et 34). La Cour souligne qu’elles ont nécessairement engendré chez les requérants une détresse d’une intensité qui a excédé le niveau inévitable de souffrance inhérent à la privation de liberté. En dépit de la relative brièveté de la période litigieuse et des diligences accomplies par l’administration pour rétablir, au plus vite, une situation normale, elle considère que l’effet cumulé du confinement, du défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, et de la privation de contacts avec le monde extérieur, a exposé les requérants à des conditions de détention ne satisfaisant pas leurs besoins élémentaires, dans une mesure telle qu’elles doivent être regardées comme indignes.

115. Dans ces conditions, tout en rappelant l’ampleur des moyens mis en œuvre par les autorités compétentes pour faire face à une situation exceptionnelle et assurer la sécurité au sein de l’établissement, la Cour conclut que les conditions de détention des requérants sont constitutives d’un traitement dégradant au sens de l’article 3 de la Convention, et qu’il y a eu violation de cette disposition.

116. S’agissant du grief tiré de l’article 8, la Cour considère, au vu des éléments figurant au paragraphe 115 ci-dessus et de la conclusion à laquelle elle est parvenue sous l’angle de l’article 3 de la Convention, qu’elle a examiné les principales questions soulevées par les requêtes des deux requérants et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur ce point (voir, dans ce sens, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no [47848/08](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2247848/08%22%5D%7D), § 156, CEDH 2014).

5. SUR LA violation alléguÉe de l’article 13 de la convention (MM. Leroy et Lahreche)

117. Les requérants soutiennent qu’ils n’ont pas bénéficié d’un recours préventif effectif, en violation de l’article 13 de la Convention, aux termes duquel :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1. Thèses des parties
1. Les requérants

118. Les requérants soutiennent qu’ils n’ont pas bénéficié d’un recours effectif du fait des difficultés rencontrées pour apporter la preuve de leurs allégations devant le juge du référé-liberté. Ils font valoir que ce dernier aurait pris uniquement en compte les observations du ministre de la Justice, sans les vérifier, se déplacer ou ordonner une expertise.

119. Les requérants considèrent également que le délai déraisonnable de jugement de leur appel a ruiné l’effectivité du recours engagé. Ils soulignent qu’à la date d’expiration du délai de quarante-huit heures dont disposait le juge des référés du Conseil d’État pour rendre sa décision, c’est-à-dire le 20 mars 2019, le centre pénitentiaire faisait encore l’objet d’un important blocage auquel il aurait fallu tenter de remédier par le prononcé d’injonctions appropriées.

2. Le Gouvernement

120. S’agissant des modalités d’examen du recours en référé-liberté, le Gouvernement souligne que le rejet des demandes des requérants par le juge administratif n’était pas fondé sur le caractère insuffisant des preuves rapportées quant aux conditions de détention subies, dont le caractère dégradé a été reconnu, mais sur le fait que l’établissement pénitentiaire a usé de tous les moyens dont il disposait pour régler la situation rapidement et réduire les contraintes pour les détenus. Il fait valoir que les requérants ont pu présenter leurs arguments et ne sauraient valablement soutenir que le juge a accordé plus de poids aux arguments de l’administration. Ayant usé de ses pouvoirs d’instruction, pour effectuer, un examen circonstancié des faits, le juge a rendu, selon lui, une décision ni arbitraire ni manifestement déraisonnable.

121. Le Gouvernement soutient que le délai d’examen de l’appel des requérants n’a pas privé le recours exercé par les requérants de son effectivité. Il fait valoir que la saisine du Conseil d’État a coïncidé avec le début d’une évolution du mouvement social. Alors même que cela a eu pour effet qu’il statue hors du délai prévu par le CJA, qui est seulement indicatif, et à un moment où le fonctionnement de l’établissement était revenu à la normale, le juge d’appel a, selon lui, fait un usage normal de ses pouvoirs d’instruction afin de vérifier l’évolution du mouvement social et des modalités de fonctionnement du centre pénitentiaire avant de rendre sa décision. En tout état de cause, il souligne qu’il ressort de la chronologie des faits que si, par extraordinaire, le juge d’appel avait pu statuer dans le délai de quarante‑huit heures, il aurait pris en substance une décision identique.

2. Observations des tiers intervenants

122. Du point de vue de la procédure, l’OIP fait valoir que le juge des référés ne fait jamais usage de ses pouvoirs d’instruction et que la comparution du détenu à l’audience de référé est rare. Le juge statue, selon les tiers intervenants, principalement sur la base des observations de l’administration pénitentiaire, la personne incarcérée se trouvant souvent isolée, a fortiori dans une situation de blocage d’un établissement comme en l’espèce, et ainsi dans l’incapacité d’apporter la preuve matérielle des ingérences qu’elle invoque.

3. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité

123. La Cour rappelle que l’article 13 de la Convention n’exige un recours en droit interne que relativement à des griefs pouvant passer pour « défendables » au regard de la Convention (Boyle et Rice c. Royaume-Uni, 27 avril 1988, § 52, série A no 131).

124. Eu égard à son constat de violation de l’article 3 (paragraphe 115 ci‑dessus), la Cour considère que les deux requérants peuvent se prévaloir d’un grief qui peut être regardé comme « défendable » aux fins de l’article 13 de la Convention.

125. Constatant que leur grief formulé sur le terrain de l’article 13 n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

126. En ce qui concerne les exigences du droit à un recours préventif effectif en matière pénitentiaire, la Cour renvoie aux principes généraux tels qu’ils ont été énoncés dans son arrêt Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, §§ 93 à 98, 10 janvier 2012) et rappelés dans l’arrêt Neshkov et autres c. Bulgarie (nos 36925/10 et 5 autres, §§ 177 à 191, 27 janvier 2015) et l’arrêt J.M.B. et autres précité (§ 207).

127. Elle rappelle en particulier que parmi ces exigences, figurent les garanties procédurales offertes par l’« instance » dont parle l’article 13, et notamment la participation effective de la personne détenue à l’examen de son grief ainsi que le traitement rapide et diligent de celui-ci (idem, § 208, Longin c. Croatie, no 49268/10, § 41, 6 novembre 2012).

128. Elle rappelle également qu’un recours interne doit présenter des garanties minimales de célérité (Kadiķis c. Lettonie (no 2), no 62393/00, § 62, 4 mai 2006). Un recours inapte à prospérer en temps utile n’est ni adéquat ni effectif (idem).

129. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a admis plus haut que, dans son principe, le référé-liberté était un recours préventif effectif pour remédier aux conditions de détention dans les circonstances litigieuses (paragraphe 67 ci‑dessus). Il lui reste à examiner, en pratique, l’effectivité de ce recours, dans le cas concret des deux requérants, compte tenu de la procédure d’instruction menée par le juge du référé et des délais de jugement.

130. D’une part, la Cour relève que les requérants ont présenté avec l’assistance de leur avocat leurs requêtes devant le juge des référés du tribunal administratif le 8 mars 2019 et que ce dernier a statué par une ordonnance en date du 14 mars 2019, soit six jours plus tard. Au cours de cette procédure contradictoire, il a ouvert une instruction et entendu les parties et leurs conseils en audience publique le 13 mars 2019. Par la suite, les requérants ont fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État le 18 mars 2019. Le juge des référés du Conseil d’État a également ouvert une instruction contradictoire et tenu une audience le 3 avril 2019 au cours de laquelle les avocats des requérants ont pu présenter leurs observations. Après une clôture de l’instruction en date du 9 avril 2019, avant laquelle les parties ont pu encore déposer des observations, le juge des référés du Conseil d’État a rejeté leur requête par une ordonnance du 15 avril 2019. La procédure a ainsi duré, au total, un mois et sept jours, et s’est terminée après la fin du mouvement social litigieux.

131. Il ressort de cette chronologie que les requérants ont été en mesure de défendre leurs intérêts devant le juge, qui a pris la décision de tenir des audiences, rendu des décisions motivées et répondu à l’ensemble de leurs moyens selon les modalités spécifiques de la procédure de référé.

132. D’autre part, la Cour relève que le juge interne a tenu compte des circonstances de l’affaire pour fixer le délai accordé aux parties pour produire leurs mémoires, la date d’audience et celle de la clôture de l’instruction. Si la Cour comprend que les requérants se plaignent de la date d’intervention de l’ordonnance du 15 avril 2019, elle considère néanmoins que le dépassement du délai indicatif de quarante-huit heures prévu par le CJA n’a pas privé l’appel des requérants de son effectivité dans les circonstances de l’espèce. Elle constate en effet que le juge des référés du Conseil d’État a été saisi deux jours avant que les agents pénitentiaires votent la fin du blocage, et engagent la reprise progressive de leurs missions au sein de l’établissement. Elle considère qu’il n’y a pas lieu, pour elle, de se départir de son appréciation selon laquelle il était opportun, avant de rendre sa décision, de mesurer, au moyen d’une prolongation de l’instruction, l’évolution de cette reprise ainsi que la nature et l’ampleur des moyens mis en œuvre par les autorités compétentes pour rétablir des conditions de détention normales. Dans ces conditions, la Cour considère que le délai mis pour statuer sur le recours des requérants n’a pas, dans les circonstances de l’espèce et eu égard à l’intervention d’un jugement de première instance alors que la situation litigieuse était encore en cours, affecté substantiellement l’effectivité du recours en appel. Elle rappelle à cet égard avoir reconnu que si le temps nécessaire à l’examen d’un recours peut mettre cause son efficacité, cela n’implique pas pour autant que le simple dépassement d’un délai légal constitue une méconnaissance du droit garanti à l’article 13 de la Convention (Messina c. Italie (no 2), no 25498/94, § 94, CEDH 2000-X).

133. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que les requérants ont bénéficié, au cas d’espèce, d’un recours effectif.

134. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention.

6. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

135. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

136. MM. Leroy et Lahreche demandent 15 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi.

137. Le Gouvernement considère cette somme trop élevée. Il soutient qu’une indemnité journalière de 60 EUR devrait être octroyée aux requérants (Clasens, précité, §§ 49 et 50) pour la période du 5 au 19 mars 2019, et une indemnité de 30 EUR pour la période de reprise progressive du fonctionnement de l’établissement pénitentiaire du 20 au 29 mars 2019.

138. La Cour considère que les requérants ont subi un préjudice moral certain en raison de leurs conditions de détention contraires à l’article 3 de la Convention. Compte tenu de la durée de détention litigieuse, et statuant en équité, elle octroie à chacun d’entre eux 2 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

2. Frais et dépens

139. Les requérants ne demandent pas de remboursement des frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les requêtes de MM. Riollet, Berno, Dumont, Hippolyte, Jabin, Mimoun, Ramet et S.K. irrecevables (paragraphes 68, 71 et 92 ci-dessus);
3. Déclare la requête de M. Leroy recevable pour autant qu’elle concerne ses griefs tirés des articles 3, 8 et 13 de la Convention relatifs aux conditions matérielles de détention et à la rupture des contacts avec l’extérieur ainsi qu’à l’effectivité du recours préventif (paragraphes 100 et 125 ci-dessus) et irrecevable pour le surplus (paragraphe 89 ci-dessus) ;
4. Déclare la requête de M. Lahreche recevable (paragraphes 91, 100 et 125 ci-dessus) ;
5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le grief tiré de l’intervention des ERIS ;
6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne le grief tiré des conditions matérielles de détention ;
7. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief formulé sur le terrain de l’article 8 de la Convention ;
8. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention ;
9. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à MM. Leroy et Lahreche, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 2 000 EUR (deux mille euros) chacun plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral.

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

10. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 avril 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Georges Ravarani
Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge Elósegui.

G.R.I.
V.S.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ELÓSEGUI

1. Je suis d’accord avec l’intégralité de l’arrêt rendu en l’espèce. Je voudrais juste aborder brièvement une question qui me préoccupe, à savoir celle des fouilles corporelles intégrales dans les prisons françaises, que j’ai déjà évoquée récemment dans mon opinion concordante jointe à l’arrêt B.M. et autres c. France (nos 84187/17 et 5 autres, 6 juillet 2023). Le Gouvernement ne nie pas qu’« une opération de fouille de l’établissement, qui [a fait] l’objet d’une information au procureur de la République, [s’est déroulée] du 23 au 25 mars, comportant des fouilles de cellule et des fouilles intégrales des personnes détenues », ni que les agents des ERIS qui ont procédé à ces fouilles étaient cagoulés (paragraphe 8).

2. En l’espèce, la Cour n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le point de savoir si les fouilles corporelles intégrales – nom donné aux fouilles à nu – réalisées par des agents des ERIS portant une cagoule avaient emporté violation de l’article 3. Les requérants soutiennent que, dans le cadre de la fouille générale de l’établissement, les ERIS ont procédé à des fouilles intégrales, selon eux illégalement, et qu’en outre ce sont des agents cagoulés qui se sont chargés de ces fouilles (paragraphe 80). Si l’un des requérants, M. Leroy, s’est plaint devant la Cour des fouilles dont il a fait l’objet, cette partie de son grief n’est toutefois pas recevable, parce qu’il n’a pas dûment épuisé les voies de recours internes sur ce point (paragraphe 85).

3. Un autre des requérants, M. Lahreche, s’est quant à lui plaint au juge interne d’avoir été soumis tous les jours, pendant trois semaines, à des fouilles par palpation à chacune de ses sorties de sa cellule. Néanmoins – et c’est à mes yeux bien dommage – il ne s’est pas plaint des fouilles intégrales. En conséquence, « la Cour considère que le requérant doit être regardé comme ayant contesté devant le juge interne la pratique par les ERIS, de fouilles par palpation chaque fois qu’il était extrait de la cellule, à la fin du mouvement social, mais non celle des fouilles intégrales auxquelles il a été soumis lors de l’opération du 23 au 25 mars 2019 (paragraphes 8 et 80 ci-dessus) dont il ne s’est pas plaint » (paragraphe 90).

4. Ainsi que je l’ai dit au début de la présente opinion, je souscris à la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans le chef de M. Lahreche (paragraphe 98), étant donné que celui-ci ne s’est plaint que de fouilles n’impliquant pas le déshabillage de la personne détenue (paragraphes 95-97). On doit prendre en compte le contexte très grave dans lequel s’inscrivait cette mesure : deux surveillants avaient été agressés à l’arme blanche, au sein de l’unité de vie familiale, par un détenu du quartier maison centrale (« QMC ») et la compagne de celui-ci. La situation est décrite au paragraphe 9 de l’arrêt :

« Les agents ont réussi à s’échapper mais ont été grièvement blessés (...) la personne détenue a été légèrement blessée et sa conjointe plus lourdement – elle décèdera quelques dizaines de minutes plus tard (...) le couple a revendiqué son acte au nom de l’État islamique ».

Dès lors, dans ce contexte, il pouvait être justifié de procéder à des fouilles par palpation. Par ailleurs, le gouvernement français a expliqué que le port de la cagoule par les agents des ERIS visait à assurer leur propre sécurité (paragraphe 81), et la Cour l’admet.

5. Néanmoins, la Cour n’ayant pas eu la possibilité de se prononcer à ce sujet, il se pose toujours la question de la conformité à la Convention de la mesure consistant en la réalisation de fouilles intégrales pendant trois jours par des agents cagoulés, même si, selon le Gouvernement, « le port d’une cagoule ne [signifie] pas qu’ils interviennent en toute impunité dès lors qu’un trigramme sur leur casque permet de les identifier, et, qu’en cas d’incident, il doit être fait usage d’un enregistrement audiovisuel de l’intervention » (paragraphe 81).

ANNEXE

Liste des requêtes

No

|

Requête No

|

Nom de l’affaire

|

Introduite le

|

Requérant
Année de naissance
Nationalité

|

Représenté par

---|---|---|---|---|---

1.

|

32439/19

|

Leroy et autres c. France

|

12/06/2019

|

Nicolas RIOLLET
1989
français

Valentin BERNO
1994
français

Lionel DUMONT
1971
français

Christophe HIPPOLYTE
1981
français

Christophe JABIN
1984
français

Romain LEROY
1984
français

Kamel MIMOUN
1978
français

Ronald RAMET
1981
français

|

Benoît DAVID

2.

|

37876/19

|

S.K. c. France

|

15/07/2019

|

S.K.
1993
français

|

Sylvain GAUCHÉ

3.

|

46898/19

|

Lahreche c. France

|

02/09/2019

|

Sid-Ahmed LAHRECHE
1989
français

|

Benoît DAVID


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