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05/04/2022 | CEDH | N°001-216899

CEDH | CEDH, AFFAIRE NIT S.R.L. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2022, 001-216899


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE NIT S.R.L. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 28470/12)

ARRÊT


Art 10 • Liberté d’expression • Caractère justifié de la révocation de la licence de radiodiffusion d’une chaîne de télévision à la suite de manquements graves et répétés à l’obligation légale de veiller à l’équilibre et au pluralisme politiques dans les bulletins d’information • Développement de principes généraux dans la recherche d’un juste équilibre entre le pluralisme politique dans les médias et la liberté éditoriale • Plura

lisme interne et pluralisme externe à considérer de manière combinée • Ample marge d’appréciation accordée en principe ...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE NIT S.R.L. c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

(Requête no 28470/12)

ARRÊT

Art 10 • Liberté d’expression • Caractère justifié de la révocation de la licence de radiodiffusion d’une chaîne de télévision à la suite de manquements graves et répétés à l’obligation légale de veiller à l’équilibre et au pluralisme politiques dans les bulletins d’information • Développement de principes généraux dans la recherche d’un juste équilibre entre le pluralisme politique dans les médias et la liberté éditoriale • Pluralisme interne et pluralisme externe à considérer de manière combinée • Ample marge d’appréciation accordée en principe pour le choix des moyens d’assurer le pluralisme des médias • Équité de la procédure et garanties procédurales particulièrement pertinentes/importantes dans l’analyse de la proportionnalité en cas de révocation d’une licence, compte tenu de la sévérité de la sanction • Compatibilité avec la Convention du cadre national comportant des garanties pour assurer l’indépendance d’un organe de régulation des médias ainsi que sa protection contre les pressions politiques • Sanction dépourvue de motivation politique et proportionnée, eu égard à l’existence d’autres modes de radiodiffusion, à la possibilité de demander une nouvelle licence dans un an, auraient examen juridictionnel et aux garanties procédurales

Art 1 P1 • Contrôle de l’usage des biens • Juste équilibre ménagé entre l’intérêt général de la collectivité et les droits de propriété de la société requérante dans la décision de révoquer la licence de radiodiffusion

STRASBOURG

5 avril 2022

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire NIT S.R.L. c. République de Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Robert Spano, président,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turković,
Síofra O’Leary,
Yonko Grozev,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Egidijus Kūris,
Branko Lubarda,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Jolien Schukking,
María Elósegui,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen,
Darian Pavli,
Erik Wennerström,
Saadet Yüksel, juges,
et de Søren Prebensen, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 octobre 2020 et le 1er décembre 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 28470/12) dirigée contre la République de Moldova et dont une société de droit moldave, ÎM « Noile Idei Televizate » S.R.L. – NIT S.R.L. (« la société requérante »), a saisi la Cour le 11 mai 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La société requérante a été représentée successivement par Mme A. Răileanu et Mme Z. Curuci, ses directrices générales, puis par Me P. Bălan, avocat à Chişinău. Elle a été autorisée à faire présenter sa cause devant la Cour lors de la procédure orale par Mme A. Nica, conseillère (article 36 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. O. Rotari, du ministère de la justice.

3. Dans sa requête, la société requérante alléguait que la révocation de la licence de radiodiffusion de sa chaîne de télévision (« NIT »), prononcée le 5 avril 2012 par le Conseil de coordination de l’audiovisuel (« le CCA »), s’analysait en une violation de l’article 10 de la Convention, et qu’en conséquence il y avait aussi eu violation de son droit au respect de ses biens au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elle estimait par ailleurs que la procédure engagée par elle contre la décision susmentionnée du CCA avait été inéquitable et avait ainsi emporté violation de l’article 6 § 1 de la Convention. En outre, elle soutenait qu’elle n’avait pas eu accès à un recours effectif relativement à ses griefs et qu’elle avait subi une discrimination ; elle y voyait une violation des articles 13 et 14 de la Convention, combinés chacun avec les articles 6 et 10.

4. La requête a été attribuée d’abord à la troisième section de la Cour, puis à la deuxième section (article 52 § 1 du règlement).

5. Le 17 avril 2018, la requête a été communiquée au Gouvernement.

6. Le 3 mars 2020, une chambre de la deuxième section, composée de Robert Spano, président, Valeriu Griţco, Egidijus Kūris, Ivana Jelić, Arnfinn Bårdsen, Darian Pavli et Saadet Yüksel, juges, ainsi que de Hasan Bakırcı, greffier adjoint de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

7. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

8. Tant la société requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites.

9. Une audience a eu lieu au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 14 octobre 2020 (article 59 § 3 du règlement). En raison de la crise sanitaire résultant de la pandémie de Covid-19, elle s’est déroulée par visioconférence. La vidéo de l’audience a été mise en ligne sur le site Internet de la Cour le lendemain.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
M. O. Rotari, du ministère de la Justice, agent,
Mme D. Maimescu, juriste attachée au bureau de l’agent du Gouvernement, ministère de la Justice conseillère ;

– pour la société requérante
Mme A. Nica, d’Alliance pour la justice et les droits de l’homme, conseillère.

La Cour a entendu M. Rotari et Mme Nica en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions des juges.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10. La société requérante est une société à responsabilité limitée de droit moldave. L’identité de ses propriétaires n’est pas connue de la Cour. Sa chaîne de télévision NIT fut lancée en Moldova en 1997. À partir de 2004, elle fut diffusée à l’échelle nationale.

1. Le contexte historique

11. Avant l’accession du pays à l’indépendance, en 1991, détenir des médias en Moldova était un privilège exclusivement réservé à l’État et au parti au pouvoir. Dans les années 1990 et au début des années 2000, la Télévision nationale de Moldova (« la TNM ») était l’unique chaîne de télévision moldave à offrir une couverture nationale. Elle était totalement contrôlée par l’État et jouissait d’un quasi-monopole sur la diffusion audiovisuelle dans le pays. Il existait à cette époque deux autres chaînes de télévision à couverture nationale : la chaîne de télévision publique russe et la chaîne de télévision publique roumaine, qui rediffusaient des programmes de leurs pays respectifs.

12. Lors des élections de 2001, le Parti des communistes de la République de Moldova (PCRM), qui avait été créé au début des années 1990 et s’était déclaré le successeur du Parti communiste de la République socialiste soviétique de Moldova, obtint soixante et onze sièges au Parlement, sur un total de cent un. Il devint ainsi le seul parti au pouvoir. On trouvera une description détaillée de la situation des médias à l’époque dans l’arrêt Manole et autres c. Moldova (no 13936/02, CEDH 2009 (extraits)). Dans cette affaire, des journalistes de la TNM alléguaient notamment qu’ils étaient tenus de respecter une politique consistant à consacrer un temps d’antenne disproportionné aux reportages sur les actions des membres du parti politique au pouvoir, et à ignorer dans une large mesure les actions et les avis des partis d’opposition (ibidem, § 105). En 2002, ces journalistes avaient protesté contre cette pratique, ils avaient fait grève et ils s’étaient barricadés dans le bâtiment de la TNM. Finalement, les forces spéciales avaient pris d’assaut le bâtiment et les journalistes avaient été licenciés. Cette situation avait donné lieu à de grandes manifestations organisées par l’opposition contre les actes du gouvernement et la pratique de censure de la télévision nationale, à un débat public passionné et à de vives réactions internationales, notamment de la part du Conseil de l’Europe (ibidem, §§ 72-78). Dans son arrêt, la Cour releva ce qui suit (ibidem, § 108) :

« (...) pendant la plus grande partie de la période considérée [2001-2004], [la TNM] était le seul organisme moldave de radiotélédiffusion à produire des programmes télévisés pouvant être vus dans tout le pays (...) De plus, 60 % environ de la population vivait en zone rurale, où l’accès à la télévision par câble ou par satellite était limité voire inexistant, de même que l’était, selon le représentant spécial du Secrétaire général, l’accès à la presse écrite (...) Dans ces circonstances, il était crucial pour le fonctionnement de la démocratie dans le pays que la chaîne transmette des nouvelles et des informations exactes et neutres et que sa programmation reflète toute la palette des opinions politiques et des débats animant le pays, et il incombait aux autorités nationales une obligation positive forte de mettre en place les conditions nécessaires à cet effet. »

13. La Cour jugea que les autorités nationales moldaves avaient manqué à leurs obligations positives découlant de l’article 10 de la Convention car le cadre législatif était défectueux (ibidem, § 111) ; elle conclut qu’il y avait eu violation de cette disposition.

2. L’adoption du code de l’audiovisuel de 2006

14. Dans le contexte des faits décrits ci-dessus et face aux réactions nationales et internationales qu’ils suscitèrent, le gouvernement décida d’élaborer une nouvelle législation sur la radiodiffusion. La « note d’information » annexée au projet de code de l’audiovisuel de 2006 (« le code ») exposait notamment ce qui suit : « Le présent projet de loi a pour but d’établir les principes démocratiques du fonctionnement de l’audiovisuel en République de Moldova, de garantir la protection des droits des consommateurs de programmes (...) ». Elle précisait que le projet visait à « assurer un équilibre entre la liberté de radiodiffusion et une « responsabilité accrue » des radiodiffuseurs, notamment quant au respect des « droits du consommateur de programmes », lequel aurait désormais « la possibilité de se tourner vers les autorités compétentes pour qu’elles garantissent les conditions adéquates de la libre formation des opinions ». »[1]

15. La division des médias du Conseil de l’Europe fut associée au processus législatif. Elle demanda à deux experts dans le domaine des médias d’analyser et de commenter le projet de loi. Dans leur rapport de mai 2006, ces experts saluèrent notamment le fait que le projet de loi précisait les procédures et critères d’octroi de licences aux radiodiffuseurs privés.

16. Concernant l’article 7 du projet de code, consacré à l’équilibre et au pluralisme sur les plans politique et social (paragraphe 85 ci-dessous), les experts estimèrent « louable » le principe énoncé au deuxième paragraphe. Ils ne firent pas de commentaires sur la disposition correspondant à l’article 7 § 4 du texte final du projet de code.

17. Pour ce qui était de l’article 27 du projet de code, relatif à la révocation des licences de radiodiffusion, et de l’article 38, consacré aux sanctions, les experts proposèrent de laisser au CCA le pouvoir de déterminer la sanction à appliquer, voire de ne pas en appliquer, plutôt que de lui imposer l’obligation de retirer la licence. Par ailleurs, ils suggérèrent de porter l’éventail des sanctions de trois (avertissement public, amende, révocation de la licence) à cinq sanctions (avertissement public, amende, retrait du droit de diffuser des publicités, suspension temporaire de la licence, révocation de la licence) et de réserver la révocation de la licence aux cas d’infractions au code graves et répétées. Ces propositions furent incorporées au texte final du code (paragraphe 85 ci‑dessous).

18. En outre, les experts du Conseil de l’Europe relevèrent dans le projet de code un certain nombre de failles liées notamment à la structure du CCA. Ils estimèrent en effet que la structure proposée permettait au gouvernement d’exercer une influence et un contrôle indus sur le CCA et, à travers celui-ci, sur l’ensemble des radiodiffuseurs. Ils firent plusieurs propositions d’amélioration du projet de loi, qui furent toutes acceptées par le Parlement moldave et introduites dans le texte final du code (paragraphe 85 ci-dessous). Ainsi, le Parlement rejeta l’idée, avancée dans le projet de loi, de nommer les membres du CCA « compte tenu du nombre de mandats détenus par les groupes parlementaires légalement établis ». Il accueillit les propositions consistant à étendre aux grands secteurs de la société civile la catégorie des organisations pouvant présenter des candidats, à fournir une description de poste détaillée, à mettre en place un système de mandats à échéances décalées pour les membres du CCA et à sortir ceux-ci du statut de « fonctionnaire », ainsi que les propositions relatives au financement du CCA.

19. Le code fut adopté par le Parlement le 27 juillet 2006 et demeura en vigueur jusqu’au 1er janvier 2019, date à laquelle il fut remplacé par le code de l’audiovisuel de 2018.

3. Les faits politiques ultérieurs

20. Des élections législatives eurent lieu en Moldova le 5 avril 2009. Selon les premiers résultats, qui furent annoncés le 6 avril, le parti au pouvoir remportait le scrutin de justesse. S’ensuivirent des accusations de fraude électorale, des manifestations et de vastes opérations menées par la police et des unités des forces spéciales (les événements en question sont présentés dans l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Iurcu c. République de Moldova, no 33759/10, §§ 6-9, 9 avril 2013). En juillet de la même année se tinrent de nouvelles élections. À l’issue de ce scrutin, le PCRM perdit la majorité au Parlement et devint le seul parti de l’opposition, avec quarante‑huit sièges de députés sur un total de cent un. L’Alliance pour l’intégration européenne (AIE), composée de quatre petits partis politiques, forma le nouveau gouvernement.

4. La situation du secteur audiovisuel en Moldova en 2012

21. Selon les informations soumises par les parties, au 1er janvier 2012 on dénombrait en Moldova soixante-quatre licences de radiodiffusion, dont cinq associées à une couverture nationale.

22. D’après une étude réalisée par le Centre moldave pour l’indépendance du journalisme en mars 2012, les trois chaînes de télévision à couverture nationale qui jouissaient de la plus large audience étaient les suivantes : Prime TV (qui retransmettait la chaîne de télévision publique russe en insérant dans ses émissions du contenu local), avec 47,9 % de part d’audience ; Moldova 1 (l’ancienne TNM), avec 34,5 % de part d’audience ; NIT (qui retransmettait une chaîne de télévision russe en insérant dans ses émissions du contenu local), avec 26,3 % de part d’audience. La quatrième et la cinquième chaîne de télévision à couverture nationale étaient 2Plus (qui avait repris la fréquence auparavant attribuée à la chaîne de télévision publique roumaine et qui retransmettait une chaîne roumaine en insérant dans ses émissions du contenu local), avec une part d’audience de 6,9 %, et EuroTV Chişinău, qui affichait 2,7 % de part d’audience.

23. Ces cinq chaînes émettaient sur des fréquences analogiques.

5. La composition du CCA en 2012

24. La décision parlementaire (accessible au public) par laquelle a été confirmée la nomination des membres du CCA indique que six des neuf personnes qui composaient cet organe en 2012 avaient été nommées avant le changement de gouvernement intervenu en 2009. Trois membres du CCA avaient été nommés en 2006 et sont restés en poste jusqu’en 2012, trois avaient été nommés en 2008 et sont restés en poste jusqu’en 2014, et trois ont été nommés en 2011 et sont restés en fonction jusqu’en 2017.

6. L’affaire NIT
1. L’attribution de la nouvelle licence de radiodiffusion

25. La chaîne de télévision NIT fut lancée en Moldova en 1997. En 2004, elle commença à émettre à l’échelle nationale. Le 7 mai 2008, le CCA attribua à la société requérante, en vertu de l’article 23 du code, une nouvelle licence de radiodiffusion d’une durée de validité de sept ans.

26. Les clauses de la licence indiquaient que le radiodiffuseur était tenu de respecter les dispositions du code. Selon le point 3.1, alinéa e), de la licence, il devait en outre informer le public de façon complète, correcte et prompte, dans l’esprit des dispositions de la Constitution et du pluralisme des opinions.

2. Les sanctions prononcées avant la révocation de la licence de radiodiffusion

27. Les informations publiées sur le site Web du CCA, notamment les rapports annuels établis et publiés par cet organe à partir de 2007, font apparaître qu’entre l’entrée en vigueur du code et la révocation de la licence de la société requérante le CCA a sanctionné pour infraction aux dispositions de ce code de nombreuses sociétés titulaires de licences de radiodiffusion pour des chaînes de télévision et des stations de radio, dont la société requérante. Il ressort des rapports annuels relatifs aux années 2007 et 2008 que le CCA a prononcé quarante-trois sanctions en 2007 et plus de vingt-cinq sanctions en 2008.

28. Les informations émanant du CCA montrent que, le 15 mai 2007, celui-ci a infligé à la société requérante une amende de 2 000 lei moldaves (MDL), soit environ 122 euros (EUR), au motif que NIT avait diffusé une publicité mensongère pendant l’une de ses émissions, et, le 23 mai de la même année, il lui a adressé un avertissement public parce que, pendant une campagne électorale qui s’était déroulée le même mois, les bulletins d’information de NIT avaient enfreint, notamment, l’article 7 §§ 1 et 4 c) du code. Il lui a alors donné sept jours pour faire en sorte que les bulletins d’information de NIT soient conformes aux dispositions pertinentes du code. Les informations du CCA ne font pas état de sanctions prises contre la société requérante en 2008.

29. Il ressort des documents que les parties ont fournis à la Cour que, entre 2009 et 2011, le CCA a prononcé onze sanctions contre la société requérante au motif qu’il avait été constaté à l’issue de contrôles opérés par le CCA, soit d’office soit à la suite de plaintes dont il avait été saisi, que NIT avait enfreint l’article 7 du code. Lors de ces contrôles, le CCA avait constaté en particulier que dans ses bulletins d’information NIT se montrait partiale et orientée politiquement en faveur du PCRM, méconnaissant ainsi l’article 7 § 2, et qu’elle ne donnait pas aux autres partis la possibilité de répondre aux accusations formulées contre eux, ce qui était contraire à l’article 7 § 4. Il a infligé à la société requérante les sanctions suivantes :

i) Le 24 mars 2009, un avertissement public pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 b) et c). La société requérante ne contesta pas cette sanction.

ii) Le 6 novembre 2009, une amende de 5 400 MDL (environ 330 EUR) pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 b) et c). La société requérante contesta cette sanction devant les tribunaux mais n’obtint pas gain de cause et les décisions de justice devinrent définitives.

iii) Le 30 mars 2010, un avertissement public pour infraction à l’article 16 §§ 2 et 3. La requérante contesta cette sanction devant les tribunaux mais n’obtint pas gain de cause et les décisions de justice devinrent définitives.

iv) Le 15 septembre 2010, une amende de 5 400 MDL pour infraction à l’article 7 § 4 b) et c). La société requérante contesta cette sanction devant les tribunaux mais n’obtint pas gain de cause et les décisions de justice devinrent définitives.

v) Le 29 octobre 2010, le retrait pour trois jours du droit de diffuser des publicités, pour infraction à l’article 7 §§ 1 et 4 b) et c). La société requérante contesta cette décision devant les tribunaux et en obtint l’annulation pour des motifs procéduraux.

vi) Le 10 novembre 2010, une amende de 5 400 MDL pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 c). La société requérante contesta cette décision devant les tribunaux et en obtint l’annulation pour des motifs procéduraux.

vii) Le 19 novembre 2010, le retrait pour cinq jours du droit de diffuser des publicités, pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 c). La société requérante contesta cette décision devant les tribunaux et leur demanda en même temps d’en suspendre l’exécution jusqu’à l’issue de la procédure au fond. Par un jugement avant dire droit du 13 décembre 2010, qui était susceptible d’appel en même temps que le jugement au fond, les tribunaux rejetèrent la demande de suspension. En définitive, ils annulèrent la décision du CCA pour des motifs procéduraux.

viii) Le 18 mai 2011, un avertissement public pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 c). La société requérante ne contesta pas cette sanction. En même temps que NIT, six autres chaînes de télévision reçurent un avertissement pour infraction à l’article 7 du code dans leurs bulletins d’information.

ix) Le 27 mai 2011, une amende de 5 400 MDL pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 c). La société requérante ne contesta pas cette sanction devant les tribunaux et paya l’amende. En même temps que NIT, deux autres chaînes de télévision reçurent un avertissement pour infraction à l’article 7 du code dans leurs bulletins d’information.

x) Le 3 juin 2011, le retrait pour cinq jours du droit de diffuser des publicités, pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 b) et c). La société requérante contesta cette décision devant les tribunaux mais n’obtint pas gain de cause et les décisions de justice devinrent définitives après la révocation de sa licence. En même temps que NIT, deux autres chaînes de télévision, dont la chaîne nationale, reçurent un avertissement pour infraction à l’article 7 du code dans leurs bulletins d’information.

xi) Le 24 juin 2011, la suspension pendant cinq jours de sa licence de radiodiffusion, pour infraction à l’article 7 §§ 1, 2, 3 et 4 a), b) et c). La société requérante contesta cette décision devant les tribunaux mais n’obtint pas gain de cause et les décisions de justice devinrent définitives après la révocation de sa licence. En même temps que NIT, une autre chaîne de télévision fut sanctionnée pour avoir enfreint l’article 7 du code dans ses bulletins d’information. Elle se vit infliger une amende.

30. NIT fut par ailleurs sanctionnée à deux reprises entre 2009 et 2011 pour des infractions à d’autres dispositions du code. De plus, par deux fois en 2010, elle se vit imposer une échéance pour se conformer aux dispositions du code, sans toutefois faire l’objet d’une sanction.

31. Il ressort également des informations que les parties ont soumises à la Cour que le CCA a aussi rejeté des plaintes portées contre NIT. Ainsi, le 29 octobre 2010, il a rejeté une plainte déposée le 22 octobre 2010 par le représentant auprès de la Commission électorale centrale d’un parti politique rival du PCRM, qui alléguait que l’une des émissions de NIT avait méconnu les principes d’impartialité et de pluralisme des opinions et que le parti politique qu’il représentait avait été privé du droit de réponse. Le 7 janvier 2012, il a rejeté une demande que l’Inspection nationale de contrôle de la production d’alcool avait formée le 16 décembre 2011 afin que NIT fût sanctionnée pour infraction à la législation sur la publicité. Le 29 mars 2012, il a rejeté une demande qu’un député avait déposée le 15 mars 2012 en vue de faire sanctionner NIT pour avoir diffusé dans son journal du soir un reportage – propagandiste selon le député – d’une agence de presse russe qui affirmait que des troubles de grande ampleur allaient se produire en Moldova à l’occasion du scrutin présidentiel et que le Premier ministre et le président s’apprêtaient à fuir le pays.

3. La révocation de la licence de radiodiffusion

a) La procédure de contrôle

32. Le 29 mars 2012, lors d’une réunion publique, le CCA décida de procéder à un contrôle thématique des bulletins d’information de toutes les chaînes de télévision à couverture nationale ainsi que de la radio Vocea Basarabiei, afin de vérifier le respect de l’article 7 du code.

33. Conformément aux articles 37 § 1, 40 § 1 a), b) et d) et 41 § 1 a) du code, les principaux bulletins d’information de la radio privée Vocea Basarabiei (Ştiri, diffusé à 18 heures), de la chaîne de télévision publique Moldova 1 (Mesager, diffusé à 19 heures) et des chaînes de télévision privées Prime (Primele ştiri, diffusé à 21 heures), Euro-TV Chişinău (Ştiri, diffusé à 20 h 30), NIT (Curier, diffusé à 22 heures) et 2 Plus (Reporter, diffusé à 19 heures) firent l’objet d’une surveillance sur une période de cinq jours.

34. La méthode suivie pour cet exercice, qui comporta des mesures comparatives et chronométriques des contenus, avait été mise au point par le CCA en collaboration avec des experts de l’Union européenne (UE) et du Conseil de l’Europe. Deux experts internationaux avaient participé en tant qu’observateurs au contrôle réalisé suivant cette méthode entre 2010 et 2011 et en avaient confirmé les résultats présentés à l’époque par le CCA.

b) Le rapport de surveillance

35. Le rapport du contrôle du respect de l’article 7 du code (« le rapport de surveillance ») livrait, pour chaque chaîne ou station, une synthèse des données relatives au temps d’antenne consacré aux questions concernant différents partis ou personnages politiques, y compris le nombre de secondes pendant lesquelles ces questions avaient été présentées de manière positive, négative ou neutre. Pour chaque chaîne ou station, cette synthèse était accompagnée de commentaires. Le rapport attestait que les bulletins d’information de la station de radio Vocea Basarabiei ainsi que ceux des chaînes de télévision Moldova 1, Prime, EuroTV Chişinău et 2 Plus avaient traité les nouvelles selon une structure équilibrée et qu’ils avaient respecté le principe de la pluralité des sources d’information pour les sujets prêtant à controverse. Toutefois, les résultats donnés pour Moldova 1 indiquaient que dans ses bulletins d’information la chaîne avait offert un temps d’antenne nettement supérieur aux partis qui étaient au pouvoir.

36. Pour ce qui est de NIT, le rapport exposait que les actualités diffusées par la chaîne au sujet de l’AIE avaient totalisé plus de 1 heure et 32 minutes, durée pendant laquelle, selon le document, l’alliance avait été évoquée de manière neutre pendant seulement 8 secondes et de manière négative le reste du temps, tandis que les actualités concernant le PCRM avaient duré plus de 41 minutes, dont 34 minutes neutres, 6 minutes positives et seulement 44 secondes négatives. Le rapport concluait que ce déséquilibre était contraire à l’article 7 § 2 du code. Il relevait également que dans les actualités les représentants du gouvernement, du Parlement et de la mairie de Chişinău n’étaient présentés que de manière négative, et qu’à aucun moment ils ne s’étaient vu offrir la possibilité de répondre conformément à l’article 7 § 4 c) du code. Il ajoutait que les représentants du PCRM et les personnes engagées dans l’organisation avec ce parti de manifestations contre le gouvernement étaient toujours évoqués de manière élogieuse ou neutre.

37. Par ailleurs, le rapport notait que dans ses bulletins d’information NIT avait médiatisé les actions de protestation organisées par le PCRM contre le gouvernement, diffusé un clip vidéo de propagande hostile au gouvernement et utilisé des titres assimilables à de la manipulation. Le rapport observait que, par exemple, dans une séquence consacrée à un sondage d’opinion réalisé par des journalistes de NIT dans les rues de Chişinău, Hânceşti et Străşeni, la chaîne avait présenté exclusivement des avis de sympathisants du PCRM qui formulaient des critiques envers le gouvernement ; le rapport constatait qu’il s’agissait d’une infraction à l’article 7 § 4 c) du code.

38. En outre, le rapport relevait qu’en relatant des manifestations organisées par le PCRM, NIT avait utilisé des titres et cité des déclarations officielles livrées en ces occasions sans montrer d’images des documents mêmes qui étaient évoqués. Le rapport concluait que NIT avait enfreint, d’une part, l’alinéa a) de l’article 7 § 4 du code, qui exigeait que toute information diffusée fût exacte et, d’autre part, l’alinéa b) du même paragraphe car, avant de donner lecture d’une déclaration des membres du conseil municipal de Căuşeni, le présentateur du journal avait introduit le sujet par ces mots : « Choqués par le cynisme de l’AIE, les conseillers municipaux de Căuşeni exigent la démission du gouvernement incompétent ».

39. Enfin, le rapport concluait que la chaîne NIT avait favorisé un langage journalistique agressif, qu’elle avait souvent manqué aux prescriptions relatives à la diversification des sources et qu’elle avait eu recours à des images, des astuces de montage ou des commentaires destinés à déformer les faits ou à présenter sous un jour négatif le sujet du reportage.

c) La décision du CCA

40. Le 2 avril 2012, une copie du rapport de surveillance fut communiquée à la société requérante. Une lettre d’accompagnement l’informait que ses bulletins d’information et ceux d’autres radiodiffuseurs nationaux avaient fait l’objet d’une surveillance en application de la décision du CCA du 29 mars (paragraphe 32 ci-dessus), que les résultats de cet exercice seraient examinés lors d’une réunion publique du CCA qui se tiendrait le 5 avril 2012 à partir de 10 heures, et qu’elle était tenue d’y participer.

41. Dans le procès-verbal de la réunion du 5 avril 2012, on peut lire ce qui suit. Étaient présents à la réunion, notamment, huit des neuf membres du CCA ainsi que le représentant de NIT. Celui-ci répondit à des questions et déclara que, bien que cela pût sembler paradoxal, NIT se réjouissait de la teneur du rapport de surveillance car il y était noté que la chaîne avait essentiellement une position neutre à l’égard du PCRM et des autres partis politiques. Lors des discussions qui s’ensuivirent sur les conclusions du rapport de surveillance relatives à NIT, plusieurs membres du CCA parlèrent de « manipulation » et de « propagation de fausses nouvelles » pour décrire la manière dont NIT présentait ses bulletins d’information. Dans un bulletin d’information, l’un des leaders de l’AIE avait été comparé à Hitler et l’ensemble de ces leaders avaient été qualifiés de « criminels », de « bandits » et de « crapules ». Les termes suivants avaient été employés pour décrire le gouvernement de l’AIE : « régime dictatorial », « régime inconstitutionnel », « usurpateurs de pouvoir », « traîtres », « le groupe des trois usurpateurs » et « bande de criminels ». Certains membres du CCA estimaient que les bulletins d’information de NIT incitaient à la haine, à la violence et à la xénophobie. Ils relevèrent par exemple que, dans une séquence relative aux manifestations contre le gouvernement, on entendait des slogans tels que « usurpateurs, hors de Moldova » ou « ennemis du peuple » et que, dans une autre séquence consacrée à une autre de ces manifestations, on entendait des manifestants dire : « nous allons nous battre contre les traîtres qui sont au pouvoir pour regagner la souveraineté de la Moldova » et « nous n’avons pas besoin de ces laquais de l’Occident pseudo-roumanisés ». Un membre du CCA exprima l’avis que les bulletins d’information étaient présentés de telle manière que l’on ne pouvait pas y distinguer les faits des opinions partiales des journalistes qui livraient leurs commentaires sur ces faits. NIT fut aussi critiquée pour avoir annoncé publiquement les dates et lieux des manifestations organisées par le PCRM contre le gouvernement. L’un des membres du CCA déclara que le problème ne résidait pas dans le fait que le gouvernement avait été critiqué, la chaîne étant libre de décrier le gouvernement autant qu’elle le souhaitait dans ses émissions. Il souligna que pour autant, elle était tenue de respecter dans ses bulletins d’information les règles relatives au pluralisme. Un membre du CCA déclara cependant que l’article 7 § 2 du code concernait plus spécialement les périodes de campagne électorale et que les bulletins d’information ne pouvaient pas rester neutres vis-à-vis du gouvernement. Il considérait pour sa part que la surveillance avait eu pour seul but l’infliction de nouvelles sanctions à NIT et que si le CCA continuait à sanctionner la chaîne, cette démarche risquerait d’être interprétée comme une attaque contre la liberté expression. Il exprima l’opinion que les autres membres du CCA exécutaient en silence des consignes politiques et les exhorta à agir de manière responsable même s’ils avaient le pouvoir d’imposer la fermeture d’une chaîne de télévision.

42. À l’issue du débat, le membre du CCA qui était chargé de présenter les constats du rapport de surveillance prit la parole et déclara pour conclure qu’il assumait toujours ses responsabilités et qu’en ce jour il prenait la responsabilité de proposer d’appliquer à NIT, conformément à l’approche progressive, la sanction de révocation de la licence de radiodiffusion. Cette proposition fut soumise à un vote et acceptée par sept voix contre une.

43. Prononcée le jour même, la décision du CCA rappelait les conclusions présentées dans le rapport de surveillance (paragraphes 35-39 ci‑dessus) et indiquait ce qui suit :

« D’autre part, les infractions constatées relèvent de l’article 10 § 5 [du code] (...)

La licence de radiodiffusion indique (...) à l’alinéa a) du point 3.1 que « le titulaire de la licence est tenu d’exercer ses activités en se conformant au [code] » et, à l’alinéa e), [qu’il doit] « respecter dans l’exercice de ses activités le droit à des informations complètes, véridiques et utiles au sens des dispositions de la Constitution, ainsi que le pluralisme des opinions ».

En outre, nous rappelons que (...) NIT a reçu un avertissement public, par décision du CCA (...) en date du 18 mai 2011, pour des infractions aux dispositions de l’article 7 (...) [du code]. Par décision du CCA (...) en date du 27 mai 2011, une amende (...) lui a été infligée (...) pour des infractions répétées aux dispositions de l’article 7 (...) [du code]. Par décision du CCA (...) en date du 3 juin 2011, la sanction (...) de suspension du droit de diffuser des publicités (...) lui a été appliquée pour des infractions répétées aux dispositions de l’article 7 (...) [du code], et par décision du CCA (...) en date du 24 juin 2011, [sa] licence de radiodiffusion a été suspendue (...) pour des infractions répétées aux dispositions de l’article 7 (...) [du code].

Compte tenu de ses décisions (...) du 6 novembre 2009, (...) du 15 septembre 2010, (...) du 18 mai 2011, (...) du 27 mai 2011, (...) du 3 juin 2011 et (...) du 24 juin 2011, et à l’issue de l’examen du rapport de surveillance (...) [et] des débats publics, le [CCA], appliquant les dispositions [du code],

décide :

(...) d’approuver le rapport de surveillance (...)

(...) d’adresser un avertissement public (...) au fondateur de la chaîne de télévision Moldova 1, en vertu de l’article 38 § 3 (...) a) [du code], pour infractions à l’article 7 § 2 [du code].

(...) de prononcer le retrait de la licence de radiodiffusion (...) de la chaîne de télévision NIT, en vertu de l’article 27 §§ 1 (...) a) et b) et 2, et de l’article 38 §§ 1 (...) e), 2 (...) b) et f), et 3 [du code], pour infractions répétées aux dispositions de l’article 7 §§ 1, 2 et 4 (...) a), b) et c), et de l’article 10 § 5 [du code], ainsi que du point 3.1, alinéas a) et e), de la licence de radiodiffusion.

(...) »

44. La décision du CCA fut publiée au Journal officiel le 6 avril 2012.

4. La procédure engagée contre la décision de révocation

a) Le recours précontentieux introduit devant le CCA

45. Le 5 avril 2012, la société requérante forma auprès du CCA un recours précontentieux contre la décision de révocation. S’appuyant sur l’article 14 de la loi no 793-XIV/2000 sur les procédures de justice administrative (paragraphe 87 ci-dessous), elle sollicitait l’annulation de la révocation de sa licence de radiodiffusion. Elle plaidait en substance que la décision du CCA était illégale et non motivée et qu’en conséquence elle portait atteinte à l’indépendance éditoriale de NIT, et emportait ainsi violation du droit à la liberté d’expression.

46. Le 27 avril 2012, le CCA rejeta pour défaut de fondement le recours précontentieux dont la société requérante l’avait saisi. Il déclara, en bref, qu’il n’avait révoqué la licence de radiodiffusion qu’après avoir progressivement appliqué toutes les autres sanctions prévues à l’article 38 du code.

b) Les demandes de mesures provisoires

47. Le 6 avril 2012, la société requérante saisit la cour d’appel de Chişinău (« la cour d’appel ») d’un recours contre la décision du CCA du 5 avril 2012 (paragraphe 55 ci-dessous), et lui demanda en même temps de surseoir à l’exécution de cette décision dans l’attente du jugement au fond, et d’adopter des mesures de protection. Elle invoquait l’article 21 de la loi no 793-XIV/2000 sur les procédures de justice administrative (paragraphe 87 ci‑dessous) ainsi que les articles 174, 175 et 177 du code de procédure civile (« le CPC »). Elle plaidait qu’en l’absence de mesure de protection, il serait clairement difficile, et même très probablement impossible, d’exécuter le jugement au fond s’il était en sa faveur. Par ailleurs, elle exposait qu’une exécution immédiate de la décision lui ferait subir des pertes graves et imminentes et anéantirait sa chaîne de télévision.

48. Elle expliquait que, selon les règles applicables, le titulaire d’une licence de radiodiffusion devait, en cas de révocation de sa licence, restituer celle-ci au CCA et que, compte tenu de la nature de l’activité autorisée par la licence de radiodiffusion, l’exécution de la mesure de retrait contraignait le titulaire de la licence à suspendre indéfiniment ses émissions, voire à cesser complètement d’émettre. Elle en concluait que l’exécution de la mesure qu’elle contestait affecterait les employés de NIT dans leur bien-être psychologique et financier, ferait perdre à la chaîne de télévision tout soutien commercial actuel ou à venir et la forcerait à résilier les autres contrats en cours, ce qui risquerait de se traduire par de lourdes pénalités et obligations financières. Elle ajoutait que l’exécution de la mesure litigieuse porterait atteinte au droit à la liberté d’expression de la chaîne, notamment à son droit de communiquer des informations et à celui, pour le public, d’en recevoir. Enfin, elle exposait que si elle restituait sa licence, les fréquences de radiodiffusion correspondantes seraient proposées à d’autres radiodiffuseurs dans le cadre d’une procédure publique de mise en concurrence, ce qui, selon elle, rendrait pratiquement impossible l’exécution d’un jugement au fond rendu en sa faveur.

49. Par un arrêt avant dire droit en date du 9 avril 2012, la cour d’appel rejeta la demande de sursis à exécution de la mesure. Elle se prononça ainsi :

« Ayant examiné les arguments formulés dans la demande [de la société requérante] (...), [la cour d’appel] estime que cette demande est dénuée de fondement et doit être rejetée (...)

En vertu de l’article 21 § 1 de la loi no 793-XIV/2000, la [société requérante] pouvait demander un sursis à l’exécution de l’acte administratif au moment d’engager une procédure devant la cour.

La cour (...) [tient à] rappeler que la décision du CCA (...) du 5 avril 2012 a eu pour effet l’arrêt des activités de la chaîne de télévision NIT (...) En décidant de surseoir [à l’exécution de] l’acte administratif contesté, la cour s’exposerait [au risque] de statuer sur le fond de l’affaire, ce qui au regard des dispositions du CPC serait inacceptable à ce stade de la procédure.

[Dès lors] (...) que [la société requérante] n’a pas justifié sa demande tendant à l’obtention d’un sursis [à l’exécution] de l’acte administratif, la cour (...) considère qu’il y a lieu de rejeter cette demande (...) »

50. Le 10 avril 2012, la société requérante réitéra sa demande de sursis auprès de la cour d’appel, en invoquant les mêmes dispositions du droit interne (paragraphe 47 ci-dessus). Elle plaidait à nouveau qu’elle risquait de subir un préjudice imminent et en partie irréversible. Elle ajoutait, d’une part, que les autorités compétentes l’avaient informée le 6 avril 2012 que ses émissions allaient cesser et, d’autre part, que les craintes qu’elle avait exprimées précédemment avaient été confirmées lorsqu’un membre du CCA avait déclaré à la presse que les fréquences de radiodiffusion visées par la licence révoquée allaient faire l’objet d’un avis d’appel public à la concurrence.

51. Par un arrêt avant dire droit en date du 11 avril 2012, la cour d’appel rejeta la demande de la société requérante. Elle se prononça ainsi :

« Ayant examiné les arguments formulés dans la nouvelle demande [de la société requérante] (...), [la cour d’appel] estime que cette demande est dénuée de fondement et doit être rejetée (...)

(...) Le 9 avril 2012, [la cour] a rejeté une demande similaire de [la société requérante] (...)

(...) l’arrêt avant dire droit (...) du 9 avril 2012 (...) a été notifié au représentant de [la société requérante] à cette même date, [accompagné] d’une explication indiquant que [la société requérante] pouvait dans un délai de quinze jours se pourvoir en cassation [contre l’arrêt avant dire droit] (...) si [elle] souhaitait [le] contester. »

52. La société requérante se pourvu en cassation contre les deux arrêts avant dire droit. Dans son pourvoi, elle plaidait que, le 9 avril 2012, la cour d’appel avait rejeté sa demande du 6 avril sans tenir compte de ses arguments relatifs au préjudice qu’elle subirait en cas d’exécution de la décision du CCA et à la nécessité d’adopter des mesures de protection pour éviter que l’exécution d’un éventuel jugement en sa faveur ne fût rendue impossible. Par ailleurs, elle estimait dénuée de pertinence l’observation de la cour d’appel selon laquelle une décision de sursis à l’exécution de la décision aurait risqué de préjuger du fond de l’affaire. Selon elle, la cour d’appel avait négligé le fait qu’en rejetant la demande de sursis elle avait exprimé au sujet de l’issue de l’affaire un avis favorable au CCA.

53. La société requérante arguait également que le 11 avril 2012 la cour d’appel avait écarté sa demande du 10 avril au motif qu’elle était similaire à celle du 6 avril alors que les moyens et éléments qu’elle avait présentés montraient que sa première demande était fondée sur des circonstances différentes de celles évoquées dans la seconde, notamment sur le fait qu’il avait été mis fin aux émissions de la chaîne de télévision. Elle ajoutait qu’aucune raison n’avait été avancée pour expliquer en quoi on ne pouvait qualifier de nouvelles les circonstances indiquées par elle.

54. Par un arrêt du 10 mai 2012 insusceptible de recours, la Cour suprême de justice (« la Cour suprême ») débouta la société requérante de son pourvoi en cassation et confirma les arrêts avant dire droit de la juridiction inférieure. Elle se prononça ainsi :

« (...) [L]es solutions adoptées par les juridictions [inférieures] sont justes et conformes aux dispositions juridiques en vigueur.

[Selon l’article 174 du CPC,] la juridiction ou le juge peut prendre des mesures de protection dans le cadre de l’affaire à la demande des parties à la procédure. De telles mesures peuvent être accordées à tout stade de la procédure lorsque le refus de les accorder serait propre à engendrer des difficultés d’ordre judiciaire ou à rendre impossible l’exécution du jugement.

[Lorsqu’elle a demandé] l’adoption de mesures de protection, la société requérante n’a pas présenté à la juridiction de première instance d’éléments aptes à confirmer l’existence d’un risque qu’un futur jugement en sa faveur ne soit difficile voire impossible à exécuter. Or les dispositions de l’article précité ne peuvent être appliquées par la juridiction de première instance saisie de la demande que lorsque les parties à la procédure qui ont sollicité [l’adoption de la mesure] prouvent l’existence d’un risque de telles conséquences. S’il en était autrement, la disposition précitée pourrait être appliquée de manière arbitraire, au risque de léser les droits et intérêts d’une autre partie à la procédure et de porter atteinte à l’un des principes fondamentaux de la procédure civile, qui sont énoncés à l’article 22 du CPC.

En vertu de l’article 21 § 1 de la loi no 793-XIV/2000, la partie qui conteste un acte administratif peut demander à la juridiction administrative de surseoir à l’exécution de l’acte contesté en même temps qu’elle engage son action contre cet acte.

Selon le paragraphe 2 de [l’article 21], [la juridiction peut aussi décider de surseoir à l’exécution] d’office, mais elle doit alors établir qu’un préjudice est imminent et ce constat doit être bien étayé.

Ainsi qu’il ressort de (...) l’article 21 § 2 de la loi (...), il appartient au juge, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, de déterminer dans quelle mesure la nécessité d’ordonner un sursis est justifiée (...) et [si] cette intervention est à même de prévenir (...) un préjudice imminent.

Les pièces du dossier confirment que (...) le préjudice que [la société requérante] déclare avoir subi (...) [concerne] les pertes causées (...) [par] la cessation de ses activités commerciales, laquelle est résultée de la décision du CCA, dont [le caractère] légal et fondé est contesté et constitue l’objet de l’affaire.

En d’autres termes, la juridiction administrative est [appelée à examiner] la [procédure] par laquelle la légalité de l’acte administratif est contestée et dont l’issue (...) [sera déterminante] pour la poursuite des activités [de la société requérante].

Partant des considérations qui précèdent, la Cour [suprême] estime que c’est à juste titre que la juridiction [de première instance] a conclu que la décision du CCA (...) du 5 avril 2012 avait eu pour effet l’arrêt des activités de la chaîne de télévision NIT et qu’en décidant de surseoir à [l’exécution de] l’acte administratif contesté, elle se serait exposée [au risque] de statuer sur le fond de l’affaire, ce qui au regard des dispositions du CPC aurait été inacceptable à ce stade de la procédure.

De plus, le mode de réparation d’un préjudice subi en raison d’un acte administratif est prévu par la loi [no 793-XIV/2000] et devait être examiné dans l’hypothèse où [l’action de la société requérante dirigée contre le CCA] aurait été accueillie (...)

Pour ces motifs, la Cour [suprême] considère que les arguments [formulés par la société requérante] à l’appui de ses pourvois en cassation ne sauraient [être tenus pour des raisons valables] d’annuler les arrêts avant dire droit de la juridiction [inférieure] (...)

Par ailleurs, la Cour [suprême estime] déclarative et non établie l’allégation de [la société requérante] selon laquelle il risque d’y avoir une atteinte au droit à la liberté d’expression, notamment au droit pour le public de recevoir des informations (...), car (...) aucun élément de preuve ne confirme pareille situation.

L’argument selon lequel la vente des fréquences de radiodiffusion risque d’empêcher l’exécution d’un jugement à venir ne saurait être retenu et c’est à raison que la juridiction [inférieure] l’a écarté comme reposant sur de simples suppositions.

De plus, les dispositions légales précitées donnent au juge, le cas échéant, la possibilité de réexaminer tout au long de la procédure judiciaire les questions jugées importantes [pour l’affaire].

(...) »

c) La procédure au fond devant la cour d’appel

1. La thèse défendue par la société requérante

55. La société requérante avançait que la décision du CCA du 5 avril 2012 était entachée d’illégalité pour des motifs de fond et de forme. Elle faisait remarquer que le rapport de surveillance constatait que dans ses bulletins d’information elle avait aussi évoqué le PCRM de manière négative pendant 44 secondes. Elle admettait que ses bulletins d’information avaient été critiques à l’égard de l’AIE et qu’ils avaient même porté atteinte à sa réputation, mais elle soutenait qu’au regard de la Convention, il était acceptable de critiquer le gouvernement, et la liberté des médias conférait aux journalistes le droit de recourir à l’exagération et à la provocation. Elle estimait donc que la conduite qui lui était reprochée était protégée par l’article 10 de la Convention. Elle formulait l’avis que la méthode choisie par l’État pour garantir le pluralisme – inscrit à l’article 7 du code – était contraire à cette disposition de la Convention. Elle ajoutait que la loi ayant servi de fondement à la révocation de sa licence ne précisait pas qu’une sanction aussi lourde pouvait être infligée pour des critiques à l’égard du gouvernement et que, partant, la décision du CCA n’était pas prévue par la loi au sens de l’article 10. Elle estimait aussi que les autorités avaient eu pour seul but de l’exclure du marché des médias et de se débarrasser d’une chaîne de télévision qui se montrait critique envers le gouvernement et que, dès lors, la décision du CCA ne poursuivait pas un but légitime. Elle arguait que les critiques à l’égard du gouvernement concernaient des questions revêtant un important intérêt public, telles que la politique étrangère et les affaires intérieures. Elle ajoutait que la sanction prononcée était d’une sévérité disproportionnée et que le CCA n’avait pas fourni de motifs suffisants et pertinents à l’appui de sa décision.

56. Par ailleurs, elle plaidait que la révocation de sa licence était contraire à ses droits découlant de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

57. Concernant la procédure, elle relevait que, en vertu de l’article 40 § 3 du code, la décision de procéder à un contrôle prise par le CCA le 29 mars 2012 était devenue applicable à la date de sa publication au Journal officiel, à savoir le 31 mars 2012, et que le rapport de surveillance avait été examiné par le CCA lors de sa réunion du 5 avril 2012. Elle considérait donc que le CCA n’avait pas respecté les délais prévus par les articles 3 § 2 a) et 9 de la loi no 239‑XVI/2008 sur la transparence du processus décisionnel (paragraphe 88 ci-dessous). Elle ajoutait que lorsqu’il avait adopté sa décision du 5 avril 2012, et celle du 24 juin 2011, le CCA avait fait abstraction des exigences procédurales que d’autres lois lui imposaient de respecter avant de suspendre ou de révoquer la licence et que, dès lors, il avait méconnu l’article 27 § 2 du code. Elle indiquait en particulier que le CCA avait négligé de saisir un tribunal dans le délai de trois jours ouvrables à compter de l’adoption de ses décisions, notamment celle du 5 avril 2012, comme l’exigeaient le CPC et l’article 17 § 3 de la loi no 235-XVI/2006 sur les principes fondamentaux relatifs à l’encadrement de l’activité entrepreneuriale. Elle plaidait également que le CCA n’avait présenté aucune recommandation aux fins de la correction des infractions constatées à l’issue de la procédure de contrôle, et qu’il ne l’avait pas avertie du risque de suspension ou de révocation de la licence dans l’hypothèse où les infractions relevées ne seraient pas corrigées en temps voulu, comme le prescrivaient l’article 16 § 6 e) de la loi no 235‑XVI/2006 et l’article 19 de la loi no 451‑XV/2001 sur l’encadrement de l’activité entrepreneuriale par un régime de licences. En outre, elle avançait que dans son arrêt du 6 décembre 2012 (paragraphes 89-92 ci-dessous) la Cour constitutionnelle avait confirmé que l’exécution immédiate de la décision du CCA du 5 avril 2012, avant le terme de la procédure judiciaire consacrée à l’examen du recours contre ladite décision, était contraire aux principes juridiques et constitutionnels nationaux ainsi qu’à la Convention.

58. Enfin, la requérante affirmait que le CCA avait un parti pris politique et que certaines personnalités politiques de premier plan avaient pesé sur la décision de révoquer la licence.

2. L’arrêt de la cour d’appel

59. Le 11 février 2013, la cour d’appel rendit son arrêt et écarta pour défaut de fondement l’appel interjeté par la société requérante. Sur les questions pertinentes en l’espèce, elle tint le raisonnement suivant.

60. Elle estima que les conclusions du CCA relatives aux bulletins d’information de NIT étaient corroborées par les éléments du dossier et que le CCA avait justifié sa décision de révoquer la licence, comme l’attestait selon elle le procès-verbal de la réunion du 5 avril 2012. Après avoir visionné les enregistrements des bulletins d’information en cause, elle décrivit en détail le contenu du bulletin du 6 février 2012. Elle constata que celui-ci avait duré 41 minutes, dont 39 minutes de contenu critique vis-à-vis des partis au pouvoir. Elle releva que des termes tels que « bandits », « criminels », « crapules », « bande de criminels », « traîtres » et « escrocs » avaient été employés pour désigner le gouvernement et les partis qui le composaient, que chaque minute contenait deux ou trois de ces mots et qu’aucune des personnes mentionnées dans le bulletin n’avait eu la possibilité de réagir. Elle considéra que les allégations de la société requérante à ce sujet (paragraphe 55 ci‑dessus) étaient contredites par les éléments de preuve susmentionnés et reposaient sur une interprétation erronée du cadre juridique applicable, et qu’elles étaient donc dénuées de fondement.

61. Répondant au grief de la société requérante relatif à la méthode choisie par l’État pour garantir le pluralisme, elle déclara ceci :

« (...) [L]’État est tenu à l’obligation positive de veiller à ce que le public ait accès, par l’intermédiaire de la télévision et de la radio, à des informations impartiales et dignes de foi. Il a également l’obligation de veiller à la diversité des opinions exprimées au travers de ces médias, et il lui appartient de choisir les moyens d’atteindre ces objectifs. L’État moldave a choisi de faire appliquer le principe du pluralisme des opinions en obligeant les chaînes de télévision et les stations de radio, bénéficiaires de réseaux publics de radiodiffusion, à offrir un temps d’antenne aux tenants de tous points de vue et idées [politiques]. De plus, en cas de critiques formulées à l’égard d’une personne, l’État impose aux chaînes de télévision et aux stations de radio l’obligation de donner à l’intéressé la possibilité de répondre. Au regard de l’article 10 de la Convention, le choix opéré par l’État est compatible avec ce que l’on appelle la marge d’appréciation (...)

Dans ce contexte, [la cour d’appel] rappelle (...) la troisième phrase du premier paragraphe de l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellée : « Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations ».

(...) [L]a diffusion audiovisuelle est régie par le code, lequel est conforme aux normes internationales et a été approuvé par des organes internationaux lorsqu’il a été adopté (...)

La loi sur le fondement de laquelle la licence de la chaîne de télévision a été révoquée était accessible et prévisible, et NIT aurait pu prévoir les conséquences de sa conduite. »

62. La cour d’appel estima que dans l’exercice de leur indépendance éditoriale, les radiodiffuseurs devaient respecter les exigences légales applicables en la matière et les intérêts de la société.

63. Elle admit que la sanction infligée à la société requérante était très sévère. Elle accorda toutefois de l’importance au fait que la révocation de la licence n’était pas un acte impromptu que NIT aurait été dans l’impossibilité de prévoir. Elle observa qu’avant d’appliquer cette sanction le CCA avait déployé de vains efforts pendant trois ans, de 2009 à 2012, afin que la chaîne de télévision requérante se conformât aux dispositions de l’article 7 du code. Elle nota que pendant cette période la chaîne avait été sanctionnée à treize reprises pour des infractions similaires, sans résultat :

« Pour la cour [d’appel], il ne prête pas à controverse que les tentatives entreprises par le CCA et les chances données à la chaîne NIT de revenir dans la légalité, conjuguées aux sanctions prononcées, étaient plus que suffisantes pour permettre à la chaîne de tirer les conclusions qui s’imposaient et de se mettre en conformité avec la loi.

Or la cour observe que NIT a présenté certaines caractéristiques manifestes du transgresseur qui fait fi des normes impératives du secteur, dédaignant toutes les tentatives engagées par la société – représentée par le [CCA] – pour lui permettre de rester sur le marché des radiodiffuseurs en République de Moldova. »

64. La cour d’appel nota que toutes les conditions légales requises pour la révocation de la licence s’étaient trouvées réunies bien plus tôt (en 2010) mais que par deux fois le CCA avait prononcé, plutôt que cette mesure, des sanctions plus clémentes, donnant ainsi à la société requérante de nouvelles chances de se conformer à la loi et d’éviter la révocation. Elle releva par ailleurs qu’en 2011 la chaîne de télévision n’avait contesté que deux des cinq sanctions qui lui avaient été infligées, et ne s’était opposée ni aux deux avertissements officiels, ni à l’amende, qu’elle avait payée.

65. La cour d’appel tint également compte de ce que, à la date de la révocation de la licence, six des sanctions prononcées par le CCA étaient devenues définitives et que, à la date de l’adoption de son propre arrêt, quatre autres sanctions se trouvaient confirmées par des décisions de justice définitives. Elle observa aussi qu’en deux occasions le CCA avait imposé à NIT des échéances pour se conformer à la loi, sans lui infliger de sanctions :

« [L]a cour [d’appel] constate que, à la date du prononcé par le CCA de sa décision no 42 du 5 avril 2012 relative à la révocation de la licence de NIT, sur l’ensemble des sanctions infligées à la chaîne de télévision, six étaient en vigueur et produisaient des effets juridiques, et que par la suite, avant l’adoption de la décision sur l’affaire ici examinée, des décisions de justice irrévocables ont confirmé la légalité de quatre autres sanctions décidées par le CCA. »

66. La cour d’appel observa par ailleurs qu’en dépit de tous les efforts déployés par le CCA pour que NIT cessât d’enfreindre la loi et, ainsi, pour lui permettre de rester sur le marché, la chaîne s’était obstinée dans son attitude, ne laissant pas d’autre choix au CCA que de révoquer sa licence. Elle déclara :

« Si le CCA n’avait pas infligé la sanction la plus sévère à la chaîne de télévision, il aurait envoyé un mauvais signal aux autres radiodiffuseurs, les amenant à penser que le non-respect de la loi ne pouvait pas avoir de conséquences graves. L’infliction à la chaîne de télévision de la sanction la plus sévère correspondait donc à une nécessité impérieuse dans une société démocratique, une nécessité dictée par l’obligation d’imposer le pluralisme des opinions et l’indispensable respect de la législation en matière d’audiovisuel. »

67. De plus, la cour d’appel écarta les allégations de la société requérante relatives à une atteinte à ses droits découlant de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Elle nota que la licence avait été révoquée pour des infractions répétées à la loi et qu’en conséquence cette mesure avait une base légale, poursuivait un but légitime et était nécessaire dans une société démocratique. Par ailleurs, elle estima infondé l’argument dans le cadre duquel la société requérante avait exposé que l’ingérence litigieuse était disproportionnée en raison d’un caractère exceptionnel et indûment sévère qui, selon elle, anéantissait son activité professionnelle, en la privant de tous les revenus qu’elle aurait pu tirer de ses activités audiovisuelles. Elle constata en effet qu’entre 2009 et 2012 NIT n’avait pris aucune des mesures recommandées par le CCA mais avait continué à enfreindre le code, ce qui avait finalement conduit à la révocation de sa licence.

68. La cour d’appel déclara également que la société requérante ne lui avait pas soumis d’éléments pertinents et concluants propres à corroborer l’existence du préjudice allégué par elle, que toute perte subie, notamment en raison de l’incapacité où elle se serait trouvée d’honorer ses obligations contractuelles, était imputable à la conduite illégale de la chaîne de télévision, et que la société requérante devait donc en assumer la responsabilité.

69. Concernant les griefs procéduraux, la cour d’appel conclut que le CCA avait adopté la décision litigieuse sur le fondement des articles 7, 10, 37, 38 et 40 du code et des articles 4, 5, 7 et 8 des statuts du CCA (paragraphes 85-86 ci-dessous) et dans l’exercice des compétences que lui conféraient les articles 37 et 40 du code. Elle considéra que c’était en toute légalité, sur le fondement des dispositions des articles 38 §§ 2 f) et 7, et 40 § 1 d) du code, que, le 29 mars 2012, le CCA avait ordonné une surveillance des bulletins d’information. Elle nota que, conformément à l’article 38 § 7 du code, la société requérante avait reçu copie du rapport le 2 avril 2012 et avait été informée suffisamment à l’avance de la date, de l’heure et du lieu de la réunion du CCA au cours de laquelle le rapport allait être examiné. Elle estima que le représentant de la société requérante avait eu assez de temps pour se familiariser avec le contenu du rapport et pour élaborer une ligne de défense, et observa qu’il avait assisté à la réunion du 5 avril 2012 et qu’il avait pu développer la position de la société requérante sans se heurter à aucune restriction. Elle constata que, bien qu’il en eût le droit, le représentant n’avait pas demandé le report de la réunion afin d’avoir plus de temps pour étudier le rapport ou préparer ses conclusions. Elle conclut donc que la société requérante ne pouvait plus prétendre qu’il y avait eu atteinte à ses droits en raison d’un délai de préparation insuffisant.

70. Elle ajouta à cet égard que le moyen de la société requérante selon lequel la décision du CCA était contraire à l’article 9 de la loi no 239-XVI/2008 était dénué de fondement. Elle releva que l’intéressée n’avait jamais contesté la légalité de la décision du CCA du 29 mars 2012 et qu’en conséquence cette décision n’avait pas cessé de produire ses effets. Elle observa aussi que l’affaire en cours ne portait pas sur la légalité de ladite décision. Par ailleurs, elle estima que le code constituait la lex specialis et que dès lors les dispositions de la loi sur l’encadrement de l’activité entrepreneuriale par un régime de licences et de la loi sur les principes fondamentaux relatifs à l’encadrement de l’activité entrepreneuriale n’étaient pas applicables à l’affaire. Elle s’exprima ainsi :

« La cour [d’appel] juge infondée l’opinion du représentant de NIT, lequel affirme que la décision du CCA no 42 du 5 avril 2012 est entachée d’illégalité et expose à cet égard que les précédentes décisions du [CCA] ne mentionnaient ni prescriptions ni recommandations quant à la manière de remédier aux infractions constatées et que c’est sur la base de la loi sur l’encadrement de l’activité entrepreneuriale par un régime de licences (loi no 451-XV du 30 juillet 2001) que pareilles prescriptions et recommandations doivent être mises en œuvre. La cour rappelle que les activités du [CCA] sont régies par les dispositions de la lex specialis, c’est-à-dire le code, qui établit les modalités et la procédure de retrait d’une licence, et elle observe que sur ce point les dispositions du code ont été respectées.

Or il est clair que, compte tenu du type d’activités exercées par [NIT], et à la lumière de la présente affaire, ni la loi no 451-XV du 30 juillet 2001 sur l’encadrement de l’activité entrepreneuriale par un régime de licences ni la loi no 235-XVI du 20 juillet 2006 sur les principes fondamentaux relatifs à l’encadrement de l’activité entrepreneuriale ne sont applicables à l’espèce ; dès lors, toute référence aux dispositions de ces lois est de même dénuée de fondement. »

71. Répondant au moyen de la société requérante selon lequel les conclusions formulées dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 décembre 2012 (paragraphes 89-92 ci-dessous) sur la constitutionnalité de la modification de l’article 38 du code adoptée le 29 mai 2012 étaient pertinentes en l’espèce et applicables à la cause, la cour d’appel jugea que tel n’était pas le cas et écarta ce moyen en renvoyant à la loi sur la Cour constitutionnelle, qui précisait que les décisions de la haute juridiction n’étaient pas rétroactives. Elle déclara ceci :

« Il convient d’observer que, selon les dispositions de l’article 26 § 7 de la loi no 317 du 13 décembre 1994 sur [la Cour constitutionnelle] de la République de Moldova, les décisions de [la Cour constitutionnelle] n’ont d’effet que pour l’avenir, et la juridiction qui mène la procédure administrative contrôle la légalité d’un acte administratif en se basant sur la date à laquelle celui-ci a été adopté. »

72. Enfin, la cour d’appel écarta pour défaut de fondement l’allégation de la société requérante selon laquelle des personnalités politiques de premier plan avaient pesé sur la décision du CCA. Elle estima que l’on ne pouvait pas admettre le moyen consistant à dire que le CCA avait fait subir à NIT une discrimination, dès lors que la chaîne avait été soumise à une surveillance en même temps et dans les mêmes conditions que d’autres radiodiffuseurs et que certains d’entre eux avaient aussi été sanctionnés lorsque des infractions au code avaient été constatées. Elle ajouta que la méthode de surveillance avait été élaborée en collaboration avec des experts internationaux et approuvée par des membres de la société civile œuvrant dans le domaine en question, à l’issue de délibérations publiques.

d) La procédure devant la Cour suprême

1. La thèse défendue par la société requérante

73. La société requérante forma contre l’arrêt de la cour d’appel un recours sur des points de fait et de droit. Sur les questions pertinentes en l’espèce, elle plaidait que la cour d’appel avait mal interprété et mal appliqué les dispositions en rapport avec son droit à la liberté d’expression. Elle répétait les arguments qu’elle avait présentés devant la cour d’appel (paragraphe 55 ci-dessus) et ajoutait que toutes les injures visant le gouvernement avaient été proférées par les manifestants lors de rassemblements organisés par le PCRM, que NIT avait simplement rendu compte de ces manifestations et qu’elle n’était donc pas responsable des slogans qui y avaient été scandés. Elle avançait aussi que si les personnes qui avaient fait l’objet de critiques ne s’étaient pas vu offrir la possibilité d’y répondre, c’était parce qu’elles n’en avaient pas fait la demande.

74. De plus, elle soutenait que c’était à tort que la juridiction inférieure avait conclu que le CCA n’avait pas méconnu le principe de progressivité des sanctions en révoquant sa licence. Elle exposait en particulier qu’elle s’était vu infliger la sanction la plus sévère alors que des recours contre les deux précédentes sanctions étaient encore pendants devant les tribunaux. Elle considérait que le CCA ne pouvait pas sans porter atteinte à son droit à un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention appliquer une sanction plus lourde tant que les tribunaux n’avaient pas statué sur les sanctions précédentes. Elle avançait par ailleurs que l’arrêt de la cour d’appel emportait violation de l’article 6 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 et ne tenait pas compte de la jurisprudence pertinente de la Cour.

75. En outre, elle répétait son argument relatif au délai prévu à l’article 9 de la loi no 239-XVI/2008 (paragraphe 57 ci-dessus), ajoutant que le fait qu’elle n’eût pas demandé le report de la réunion du 5 avril 2012 ne dispensait pas le CCA de respecter ce délai.

76. Elle plaidait également que c’était à tort que la juridiction inférieure avait conclu que la procédure de révocation d’une licence prévue par les lois nos 235-XVI/2006 et 451-XV/2001 n’était pas applicable à sa cause. Elle estimait que cette conclusion ne tenait aucun compte d’un arrêt rendu le 28 mai 2012 par la formation plénière de la Cour suprême qui, selon elle, expliquait que tout organe attribuant des licences était tenu d’engager une procédure judiciaire après avoir adopté une décision suspendant ou révoquant la licence d’une société. Elle ajoutait que, selon l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 décembre 2012, les activités exercées par NIT n’étaient pas de nature à dispenser l’organe délivrant les licences de suivre cette procédure.

2. L’arrêt de la Cour suprême

77. Par un arrêt du 2 mai 2013, la Cour suprême débouta la société requérante de son recours sur des points de fait et de droit. Elle approuva le raisonnement de la cour d’appel, estimant que celle-ci avait correctement interprété la législation pertinente et apprécié les éléments du dossier, notamment le fait que la procédure et les conditions légales de révocation de la licence avaient été respectées et l’inapplicabilité à la cause de la loi no 451-XV/2001.

78. Par ailleurs, la Cour suprême souligna que la révocation de la licence de la société requérante était nécessaire pour faire appliquer les règles relatives au pluralisme des opinions et assurer l’état de droit. Elle considéra que le CCA avait appliqué les différentes sanctions dans le respect du principe de progressivité et que, en donnant à NIT, à titre de mesure exceptionnelle, plus de chances de corriger son comportement qu’il n’y était tenu par la loi en vigueur, il avait fait tout ce qui était raisonnablement possible, et plus encore, pour convaincre la chaîne de se mettre en conformité avec la loi. Elle estima que, NIT ayant refusé d’obtempérer, les autorités n’avaient pas eu d’autre solution que d’adopter la mesure la plus sévère. Elle ajouta que l’interprétation faite par la société requérante des dispositions du code relatives au mode et à la procédure d’application des sanctions était mal fondée.

5. Les réactions suscitées par la révocation de la licence de radiodiffusion de NIT

79. La révocation de la licence de NIT suscita de nombreuses réactions. Ainsi, le 11 avril 2012, l’Union des journalistes de Moldova publia une déclaration dans laquelle elle estimait que la décision du CCA de révoquer la licence de radiodiffusion de la société requérante était justifiée en ce que NIT avait pris l’habitude d’enfreindre le code et d’agir de manière incompatible avec la déontologie journalistique. L’Union des journalistes considérait que NIT avait servi d’outil de propagande à un parti politique, au mépris de toutes les règles d’impartialité du journalisme.

80. Dans un entretien du 11 avril 2012, le Secrétaire général du Conseil de l’Europe s’exprima ainsi au sujet de la révocation de la licence de la société requérante [traduction du greffe] :

« Le Conseil de l’Europe a toujours défendu le principe du pluralisme des médias au sein de ses États membres. Nous sommes convaincus que la liberté des médias est un rouage important du fonctionnement d’une société démocratique. Nous avons appris que NIT formait un recours contre la décision en question et que plusieurs affaires étaient encore pendantes devant les tribunaux quant aux sanctions prises l’année dernière contre la chaîne (...) Nous espérons que le processus judiciaire se déroulera dans le respect des normes établies par la (...) Convention (...), et en particulier [par] son article 10. Par ailleurs, nous prenons acte de la réaction d’autres organisations internationales présentes à Chişinău. Le Conseil de l’Europe continuera à suivre de près cette affaire. »

81. La mission de l’UE en Moldova prit acte de la révocation de la licence de NIT et appela les autorités nationales à appliquer les mêmes dispositions légales à l’ensemble des radiodiffuseurs. Elle souligna l’importance du pluralisme dans les médias et la nécessité de refléter les points de vue de l’opposition.

6. Les faits ultérieurs

82. Après la révocation de sa licence de radiodiffusion, et jusqu’à la fin de l’année 2014, NIT continua à partager des contenus tels que bulletins d’information, reportages et vidéos sur son site Internet et sa chaîne YouTube.

83. La société requérante ne déposa pas de nouvelle demande de licence de radiodiffusion.

LE CADRE ET LA PRATIQUE JURIDIQUEs PERTINENTS

1. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Le droit interne
1. La Constitution

84. Les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Moldova, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient ainsi :

Article 32

Liberté d’opinion et d’expression

« 1. La liberté de pensée, la liberté d’opinion et la liberté d’expression en public par des mots, des images ou d’autres moyens sont garanties à chaque citoyen.

2. [L’exercice de la] liberté d’expression ne doit pas porter atteinte à l’honneur ou à la dignité d’autrui ni au droit d’autrui d’avoir sa propre opinion.

3. La loi interdit et réprime la contestation et la diffamation de l’État et du peuple, les appels à la guerre d’agression ou à la haine nationale, raciale ou religieuse, les incitations à la discrimination, au séparatisme territorial ou à la violence publique, ainsi que tout autre acte qui menace l’ordre constitutionnel. »

Article 46

Droit à la propriété privée et à la protection de celle-ci

« 1. Le droit à la propriété privée ainsi que les créances sur l’État sont garantis.

2. Nul ne peut être exproprié si ce n’est pour une cause d’utilité publique déterminée conformément à la loi, et sous réserve d’une juste et préalable indemnité.

3. Les biens acquis de façon licite ne peuvent être confisqués. Le caractère licite de l’acquisition est présumé.

4. Les biens destinés à la commission d’une infraction pénale ou administrative, utilisés pour une infraction pénale ou administrative ou obtenus par la voie d’une infraction pénale ou administrative peuvent être confisqués, dans le strict respect des conditions prévues par la loi.

5. Le droit à la propriété privée astreint les propriétaires à respecter les obligations concernant la protection de l’environnement et le bon voisinage, ainsi que leurs autres obligations légales.

6. Le droit d’hériter de biens relevant de la propriété privée est garanti. »

2. Le code de l’audiovisuel de 2006

85. Les dispositions pertinentes du code de l’audiovisuel de la République de Moldova, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, se lisaient ainsi :

Article 7

Équilibre et pluralisme sur les plans politique et social

« 1. Afin d’assurer le respect des libertés fondamentales et des droits de l’homme, le pluralisme politique et social, la diversité culturelle, linguistique et religieuse, l’information, l’éducation et le divertissement du public sont réalisés et assurés par la diffusion et la rediffusion de programmes.

2. Lorsqu’il octroie à un parti ou mouvement politique un temps d’antenne pour la diffusion (propagarea) de ses idées, le radiodiffuseur doit aussi accorder un temps d’antenne aux autres partis et mouvements politiques dans le cadre du même type de programme et à la même tranche horaire, sans délai injustifié et sans que soit favorisé un parti en particulier, quel que soit le niveau de représentation de celui-ci au Parlement.

(...)

4. Afin de garantir le respect des principes d’équilibre social et politique, d’impartialité et d’objectivité dans [leurs] émissions d’information, [les radiodiffuseurs] veillent à ce que :

a) chaque information diffusée soit exacte ;

b) la réalité ne soit pas déformée par des astuces de montage, des commentaires, des formulations ou des titres ;

c) le principe de pluralité des sources d’information soit respecté pour les sujets relatifs à des situations conflictuelles.

(...) »

Article 8

Indépendance et liberté éditoriale

« 1. Les radiodiffuseurs relevant de la juridiction de la République de Moldova ont le droit de décider librement du contenu de leurs émissions et programmes, dans le respect du principe de pluralité des opinions et conformément au cadre juridique et aux conditions énoncées dans la licence de radiodiffusion.

(...) »

Article 10

Droits du consommateur de programmes

« (...)

5. Les radiodiffuseurs veillent à ce que les informations communiquées au public soient présentées de manière objective et ils favorisent la libre formation des opinions.

(...) »

Article 23

Licences de radiodiffusion

« 1. Les licences permettant de radiodiffuser des programmes au moyen d’ondes radioélectriques terrestres sont délivrées par le [CCA] à l’issue d’une procédure d’appel à la concurrence (...)

(...)

3. L’attribution d’une licence de radiodiffusion par le [CCA] est soumise aux conditions suivantes :

a) l’attribution d’une licence de radiodiffusion implique le respect ultérieur des objectifs définis dans la Stratégie relative à la couverture audiovisuelle du territoire national, suivant le Plan national des fréquences radio ;

b) l’attribution d’une licence de radiodiffusion est censée satisfaire aux principes de garantie du pluralisme dans le domaine audiovisuel, et ainsi empêcher la mise en place de conditions propices à la propriété monopolistique et à la concentration des médias, dans le secteur audiovisuel en particulier et dans les médias en général, compte tenu du niveau d’observation de cette exigence par les radiodiffuseurs déjà titulaires d’une licence ;

c) la décision d’attribuer une licence est adoptée compte tenu de la viabilité financière du candidat et du niveau d’adéquation entre ses propositions et son véritable potentiel financier ;

d) dans le cadre d’une procédure d’appel à la concurrence pour l’attribution d’une licence de radiodiffusion, la préférence est donnée aux candidats qui proposent des programmes produits au niveau national et des œuvres européennes.

4. Les conditions et la procédure d’attribution d’une licence font l’objet d’une publication au Journal officiel de la République de Moldova et sur le site Web du [CCA].

5. Une licence de radiodiffusion est accordée pour une durée de sept ans si elle concerne des programmes de radio ou de télévision diffusés par ondes radio terrestres, et pour une durée de six ans si elle concerne des programmes de radio ou de télévision diffusés par câble.

6. Conformément à la Stratégie relative à la couverture audiovisuelle du territoire national, le [CCA] fait paraître au Journal officiel de la République de Moldova, sur son propre site Web et dans d’autres médias, y compris des médias locaux, l’avis d’appel à la concurrence pour attribution des fréquences disponibles. L’avis comporte les éléments suivants :

a) les conditions et le délai de dépôt de la candidature ;

b) le type de média concerné (télévision, radio ou autre) ;

c) le type de programmes requis ;

d) les paramètres techniques des fréquences, la capacité maximale des émetteurs et le territoire couvert ;

e) la période de validité de la licence de radiodiffusion ;

f) la redevance due à l’État pour la licence de radiodiffusion ;

g) un formulaire de candidature permettant de fournir, au minimum, les informations obligatoires suivantes : la structure organisationnelle et le capital de l’entité candidate, les données d’identification du propriétaire, la teneur et la durée des programmes proposés, l’orientation des programmes, le public potentiel, les sources de financement des programmes, des copies des contrats relatifs à l’achat ou à la location de l’équipement nécessaire, et toute autre information confirmant les capacités techniques du candidat ;

h) un plan d’affaires couvrant la période de validité de la licence de radiodiffusion à acquérir, ainsi que des informations sur les autres activités menées par le candidat dans le domaine des médias.

7. Au vu des candidatures déposées, le [CCA] publie les projets de programmes proposés ainsi que les informations relatives aux participants à la procédure d’appel à la concurrence.

8. Le [CCA] fixe la date de début de l’examen des candidatures dans les vingt jours qui suivent l’expiration du délai [de candidature].

9. À l’issue d’un examen objectif et impartial de toutes les candidatures suivant les critères indiqués au paragraphe 3, le [CCA] désigne le lauréat de la procédure d’appel à la concurrence.

10. Le [CCA] adopte une décision relative au résultat de la procédure d’appel à la concurrence. Cette décision est publiée au Journal officiel de la République de Moldova dans un délai de quinze jours à compter de la date de son adoption. Elle est susceptible d’appel devant un tribunal.

11. Une licence de radiodiffusion de programmes publics précise de façon exhaustive les exigences énoncées dans le code.

12. Soixante-douze heures au moins avant sa première émission, le titulaire de la licence notifie par écrit au [CCA] la date à laquelle il commencera à émettre. »

Article 27

Révocation d’une licence de radiodiffusion

« 1. Le [CCA] peut révoquer une licence de radiodiffusion :

a) si le titulaire de la licence néglige continuellement d’en respecter les clauses ;

b) si le titulaire de la licence enfreint les exigences du présent code ;

(...)

2. Le [CCA] retire la licence de radiodiffusion suivant la procédure et les modalités établies dans le présent code et les autres textes applicables, et seulement après avoir épuisé les autres sanctions prévues à l’article 38 du présent code.

(...) »

Article 37

Supervision et contrôle

« 1. Le [CCA] supervise l’application et le respect des dispositions du présent code.

2. Dans l’exercice de ses fonctions, le [CCA] peut demander les informations dont il a besoin aux radiodiffuseurs et aux fournisseurs de services. Il précise alors la base légale et le but de sa demande, et il indique le délai dans lequel les informations devront être fournies.

3. Les activités de contrôle sont exercées a) [par le CCA] d’office ; b) à la demande d’une autorité publique ; c) à la suite d’une plainte déposée par une personne physique ou morale estimant avoir été directement lésée par une infraction à la législation applicable en la matière.

4. Le [CCA] examine les plaintes et les demandes dont il est saisi dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle elles lui sont parvenues. Il publie sur son site Web les résultats du contrôle et, le cas échéant, la décision de prononcer une sanction. »

Article 38

Sanctions

« 1. En cas d’infraction aux règles juridiques commise par un radiodiffuseur, l’une des sanctions suivantes est prononcée :

a) un avertissement public ;

b) le retrait, pour une période donnée, du droit de diffuser des publicités ;

c) une amende ;

d) la suspension, pour une période donnée, de la licence de radiodiffusion ;

e) la révocation de la licence de radiodiffusion ;

2. Aux fins du présent code, constituent des infractions :

(...)

b) la diffusion de programmes contraires aux clauses de la licence de radiodiffusion ;

(...)

f) la diffusion de programmes emportant infraction aux dispositions de l’article 6, de l’article 7 §§ 2 à 4, de l’article 10 §§ 1 et 5, de l’article 11 §§ 2 à 8, de l’article 17 (...)

3. Les sanctions prévues au paragraphe 1 sont appliquées de manière progressive, selon les modalités suivantes :

a) le [CCA] émet un avertissement, qu’il publie sur son site Web, si un radiodiffuseur ou un fournisseur de services enfreint les dispositions du présent code ou ne respecte pas ses décisions réglementaires ;

b) si le radiodiffuseur ou le fournisseur de services ne [se met pas en conformité avec la loi] dans le délai et selon les conditions qui ont été précisés dans l’avertissement ou s’il continue à enfreindre les mêmes dispositions, le [CCA] prononce une amende correspondant à 100 à 300 fois le salaire minimum ;

c) si le radiodiffuseur ou le fournisseur de services ne [se met pas en conformité avec la loi après l’imposition de l’amende], le [CCA] applique de manière progressive les autres sanctions prévues dans le présent code.

4. Le [CCA] peut rendre une décision concernant l’infraction administrative, prononcer une sanction administrative ou porter l’affaire en justice ; dans ce dernier cas une procédure pénale est ouverte [contre le radiodiffuseur ou le fournisseur de services].

5. Une licence de radiodiffusion n’est retirée en vertu de l’article 27 qu’en cas d’infraction grave et répétée aux dispositions du présent code.

6. Pendant le délai prévu dans l’avertissement pour permettre la correction de l’infraction, le [CCA] contribue pleinement au retour dans la légalité du radiodiffuseur concerné.

7. Le [CCA] informe le radiodiffuseur ou le distributeur de services de toute enquête le concernant et de tout fait qui lui est reproché et il lui donne la possibilité de présenter sa défense devant lui.

8. Une décision du [CCA] imposant une sanction doit être motivée et être publiée sur le site Web [du CCA].

9. Toute décision du [CCA] imposant une sanction peut être contestée en justice par le radiodiffuseur ou le distributeur de services visé par la sanction.

10. Une décision du [CCA] imposant une sanction qui n’a pas été contestée dans le délai prévu vaut titre exécutoire. »

Article 40

Mission du [CCA]

« 1. La mission du [CCA] consiste à :

a) surveiller l’exécution par les radiodiffuseurs publics et privés des obligations énoncées dans la licence de radiodiffusion aux fins et dans le respect des dispositions légales ;

b) surveiller, uniquement après leur diffusion, l’exactitude du contenu des programmes fournis par les radiodiffuseurs ;

(...)

d) contrôler, conformément au paragraphe 1 b), le contenu des programmes fournis par les radiodiffuseurs et des bouquets de programmes sur lesquels s’engagent les fournisseurs de services, de manière périodique, quand le [CCA] l’estime nécessaire et lorsqu’une plainte est déposée pour non-respect par un radiodiffuseur des dispositions légales ou des normes réglementaires en vigueur en la matière, ou des obligations énoncées dans la licence de radiodiffusion ;

(...)

3. Dans l’exercice de ses compétences, le [CCA] adopte des décisions contraignantes, qui deviennent applicables à la date de [leur] publication au Journal officiel de la République de Moldova.

4. Toute décision du [CCA] doit être motivée. Les décisions [du CCA], y compris l’exposé des motifs sur lesquels elles reposent, sont publiées au Journal officiel de la République de Moldova et sur le site Web [du CCA].

5. Toute personne qui s’estime lésée par une décision du [CCA] peut la contester devant une juridiction administrative. »

Article 41

Obligations du [CCA]

« 1) En tant que garant de l’intérêt public dans le secteur de la communication audiovisuelle reposant sur les principes démocratiques et le souci de protéger les droits des consommateurs de programmes, le [CCA]

a) surveille le respect du pluralisme dans l’expression des idées et des opinions dans les programmes diffusés par les radiodiffuseurs relevant de la juridiction de la République de Moldova ;

(...) »

Article 42

Structure du [CCA]

« 1. Le [CCA] est composé de neuf membres, nommés par le Parlement de la République de Moldova.

2. Les candidats à la fonction de membre du [CCA] sont sélectionnés par la commission parlementaire compétente [commission des médias] et par la commission des lois, des nominations et des immunités, qui ensuite soumettent ces candidatures au Parlement pour approbation. Les candidats peuvent être proposés par des associations publiques, des fondations, des syndicats, des associations d’employeurs et des organisations religieuses. Les candidatures sont présentées à la commission [des médias]. Lorsque la liste des candidats est soumise au Parlement, la commission [des médias] établit un rapport et la commission des lois établit un co-rapport.

3. La nomination des membres du [CCA] est approuvée par une décision du Parlement. Si un candidat à la fonction de membre du [CCA] n’a pas recueilli le nombre requis de voix, la commission [des médias] et la commission des lois, des nominations et des immunités présentent un autre candidat dans un délai de deux semaines.

4. Le poste de membre du [CCA] peut être occupé par toute personne remplissant les critères suivants :

a) être titulaire d’un diplôme universitaire et avoir une expérience d’au moins cinq ans dans l’un des domaines suivants : audiovisuel, technologies de la communication, droit, finance, comptabilité, gestion, science de l’information au sein d’une équipe créative dans un établissement ;

b) être âgé d’au moins vingt-cinq ans et ne pas avoir atteint l’âge légal de la retraite ;

c) parler la langue officielle de la République de Moldova ;

d) ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation ;

(...) »

Article 43

Membres du [CCA]

« 1. Les membres du [CCA] sont garants de l’intérêt public ; ils ne représentent pas l’autorité qui a présenté leur candidature.

2. Les membres [du CCA] sont nommés pour un mandat de six ans. Leur nomination est progressive : au départ, trois candidats sont élus pour un mandat de six ans, trois autres pour un mandat de quatre ans et les trois derniers pour un mandat de deux ans. Lorsque les premiers mandats expirent, d’autres candidats à la fonction de membre du CCA sont nommés pour un mandat de six ans, à partir de propositions que soumettent la commission parlementaire [des médias] et la commission des lois, des nominations et des immunités, après réception d’une notification émanant du CCA.

3. Pendant son mandat, un membre du [CCA] ne peut pas être destitué. Toutefois, pendant la période visée dans le présent code, il peut être déchu de sa charge pour cause d’incompatibilité.

4. Nul ne peut effectuer deux mandats consécutifs en tant que membre du [CCA].

5. Un poste de membre du [CCA] devient vacant dans les situations suivantes :

a) démission ;

b) expiration d’un mandat ;

c) condamnation par un jugement définitif (...) ;

d) perte de la nationalité de la République de Moldova ;

e) incapacité physique ou mentale ;

f) âge de départ à la retraite atteint.

6. Les membres du [CCA] occupent des fonctions publiques de haut rang.

7. Après approbation de leur nomination par le Parlement, les membres du [CCA] prononcent en séance plénière le serment suivant :

« Je jure de respecter la Constitution et les lois de la République de Moldova, de défendre les droits et les libertés fondamentales des citoyens, d’exercer les pouvoirs attachés à cette fonction avec honneur et conscience et sans parti pris, [et] de ne faire aucune déclaration politique pendant la durée de mon mandat. »

Article 47

Financement du [CCA]

« 1. Le financement du [CCA] couvre le coût estimé de l’ensemble des activités de cet organe, afin que celui-ci puisse fonctionner de manière effective et efficace et s’acquitter pleinement de sa mission ;

2. Le budget du [CCA] est constitué à partir des ressources suivantes :

a) des subventions publiques ;

b) le revenu tiré des redevances afférentes aux licences de radiodiffusion ;

c) le revenu tiré des redevances versées annuellement par les radiodiffuseurs pour couvrir les frais réglementaires, soit 1 % de leur chiffre d’affaires annuel ;

d) des aides.

3. La part du budget du [CCA] qui provient de ressources autres que les subventions publiques constitue le Fonds de soutien aux radiodiffuseurs. Ce fonds relève de règles distinctes, établies et publiées par le [CCA]. Il ne peut pas être utilisé pour rémunérer les membres et employés du [CCA].

31. Les subventions issues du budget de l’État qui sont accordées à des radiodiffuseurs publics conformément au présent code ne sont pas prises en considération dans l’assiette de la redevance correspondant aux frais réglementaires.

4. Chaque année, le [CCA] présente au Parlement une proposition de budget couvrant le coût estimé des activités qu’il prévoit de mettre en œuvre pour accomplir sa mission et ses obligations.

5. Les propositions soumises par le [CCA] quant à son budget et sa structure organisationnelle sont examinées et approuvées en séance plénière par le Parlement de la République de Moldova.

6. Le [CCA] fait paraître au Journal officiel un rapport annuel sur son activité financière. »

Article 66

Radiodiffuseurs privés

« (...)

3. Une personne physique ou morale peut détenir au maximum cinq licences de radiodiffusion au sein d’une même unité ou zone administrative territoriale, sans pouvoir jouir de l’exclusivité.

4. Une personne physique ou morale de Moldova ou d’un autre pays peut investir ou être actionnaire majoritaire, de manière directe ou indirecte, dans un maximum de deux médias de radiodiffusion de types différents.

(...) »

3. Les statuts du Conseil de coordination de l’audiovisuel et le règlement sur la procédure et les conditions de délivrance de licences de radiodiffusion et d’autorisations de retransmission

86. Dans leur version en vigueur à l’époque des faits, les dispositions pertinentes des articles 4 à 9 des statuts du CCA et de l’article 27 du règlement sur la procédure et les conditions de délivrance de licences de radiodiffusion et d’autorisations de retransmission (instruments tous deux approuvés par la décision du Parlement no 433-XVI du 28 décembre 2006) se lisaient comme suit :

Article 4

« Les membres du [CCA] supervisent :

a) le respect par les organes audiovisuels de la législation et des autres règles juridiques en vigueur ;

b) les relations extérieures du secteur concerné ;

c) l’attribution de licences pour les différentes catégories de programmes audiovisuels ;

d) l’activité des organes audiovisuels sur le territoire ;

e) le contrôle des programmes audiovisuels ;

f) les perspectives d’évolution [du secteur] audiovisuel national ;

g) la gestion des ressources internes, etc. »

Article 5

« 1. Le [CCA] tient des réunions publiques deux fois par mois ou chaque fois que nécessaire.

2. L’ordre du jour de la réunion, accompagné des documents pertinents, est envoyé à tous les membres du [CCA] et, le cas échéant, aux directions concernées au moins soixante-douze heures avant le début de la réunion.

3. Au début de la réunion, l’ordre du jour peut être complété, sur proposition des membres du [CCA], avec l’accord de la majorité.

4. Le [CCA] se réunit impérativement lorsque des demandes de licence de radiodiffusion ou d’autorisations de retransmission, des décisions réglementaires et des propositions de sanction lui sont soumises pour approbation et lorsque des rapports de contrôle ou d’inspection doivent être examinés. »

Article 6

« (...)

2. La teneur des débats du [CCA] et la manière dont les décisions et autres mesures ont été adoptées sont consignés dans le procès-verbal de la réunion, que signe le président du [CCA]. »

Article 7

« Le [CCA] délibère en présence d’au moins six de ses membres et les décisions sont adoptées si elles recueillent les suffrages d’au moins cinq membres. »

Article 8

« Dans l’exercice de ses compétences, le [CCA] adopte des décisions, des instructions ou, lorsqu’il y a lieu, des recommandations. »

Article 9

« Les décisions du [CCA] constituent des actes administratifs et doivent être motivées. »

Article 27

Révocation d’une licence

« 1. Une licence de radiodiffusion est révoquée :

a) dans les cas visés à l’article 27 du code de l’audiovisuel ;

(...)

2. Dans un délai de quinze jours ouvrables, qui commence à courir le jour de l’établissement de sa motivation, le [CCA] adopte la décision portant révocation de la licence. Dans un délai maximum de cinq jours ouvrables à compter de la date de l’adoption de la décision, il notifie celle-ci au titulaire de la licence, en lui précisant les raisons de la mesure.

(...)

5. Le titulaire d’une licence qui a été révoquée ne peut solliciter l’attribution d’une nouvelle licence pour le même type d’activités qu’au terme d’une période de douze mois à compter de la date à laquelle la licence révoquée a été restituée au [CCA]. »

4. La loi sur les procédures de justice administrative

87. Dans leur version en vigueur à l’époque des faits, les dispositions pertinentes de la loi no 793-XIV du 10 février 2000 sur les procédures de justice administrative se lisaient comme suit :

Article 3

Objet d’une procédure de justice administrative

« 1. Une procédure de justice administrative a pour objet un acte administratif à caractère normatif et individuel qui a porté atteinte à un droit reconnu par la loi de la personne qu’il vise ou d’un tiers, et qui a été pris par :

a) une autorité publique ou une autorité tenue pour telle aux fins de la présente loi ;

(...) »

Article 14

Recours précontentieux

« 1. Sauf disposition contraire de la loi, une personne qui estime que ses droits légaux ont été violés par un acte administratif peut, au moyen d’un recours précontentieux formé dans un délai de trente jours à compter de la date de la notification de cet acte, demander à l’autorité dont il émane de le révoquer en tout ou en partie.

(...) »

Article 15

Procédure d’examen d’un recours précontentieux

« 1. Sauf disposition contraire de la loi, un recours précontentieux est examiné par l’organe ayant pris l’acte administratif, ou l’organe hiérarchiquement supérieur, dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle il a été enregistré, et la décision est communiquée sur-le-champ au demandeur.

(...) »

Article 16

Introduction d’un recours auprès d’une juridiction administrative

« 1. Une personne qui estime que ses droits légaux ont été violés par un acte administratif et qui est insatisfaite de la réponse donnée à son recours précontentieux ou qui n’a pas reçu de réponse dans le délai fixé par la loi peut saisir la juridiction administrative compétente afin d’obtenir l’annulation totale ou partielle de cet acte et la réparation du préjudice subi.

2. L’action peut être formée directement auprès de la juridiction administrative dans les cas expressément prévus par la loi et dans les cas où l’intéressé estime qu’il y a eu atteinte à ses droits du fait que [le recours précontentieux] n’a pas été tranché dans le délai légal ou a été rejeté (...)

(...) »

Article 21

Suspension de l’exécution de l’acte administratif contesté

1. En même temps qu’il introduit un recours contre un acte administratif, le justiciable peut demander à la juridiction saisie de suspendre l’exécution de cet acte.

2. Dans les cas qui le justifient, et pour empêcher la réalisation d’un préjudice imminent, la juridiction saisie peut ordonner d’office la suspension de l’exécution d’un acte administratif.

3. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2 du présent article, l’exécution des actes pris par la Commission nationale des marchés financiers et par la Cour des Comptes ne peut pas être suspendue avant l’examen de l’affaire.

(...) »

5. La loi sur la transparence du processus décisionnel

88. Les dispositions pertinentes de la loi no 239-XVI du 13 novembre 2008 sur la transparence du processus décisionnel sont ainsi libellées :

Article 3

Portée de la présente loi

« 1. La présente loi porte sur toutes les relations juridiques qu’un processus décisionnel fait naître entre, d’un côté, des citoyens, des associations constituées conformément à la loi ou d’autres parties intéressées, et, de l’autre, les autorités publiques.

2. Relèvent de la présente loi :

a) les autorités publiques centrales, à savoir le Parlement et les autorités créées par celui‑ci ((...) le [CCA], (...)) (...)

(...) »

Article 9

Annonce de l’ouverture d’un processus décisionnel

« 1. Lorsqu’une autorité publique engage un processus décisionnel, elle doit, au moins quinze jours ouvrables avant l’examen de la décision, publier sur [son] site Web officiel un avis à ce sujet, l’envoyer aux parties intéressées par courrier électronique, l’afficher dans une zone de ses locaux accessible au public et/ou le diffuser dans les médias nationaux ou locaux, selon le cas.

2. L’avis d’ouverture d’un processus décisionnel indique obligatoirement les éléments suivants :

a) les raisons pour lesquelles il est nécessaire d’adopter la décision ;

b) les conditions (délai, adresse et modalités) dans lesquelles les citoyens, les associations constituées conformément à la loi et les autres parties intéressées peuvent consulter le projet de décision et soumettre ou envoyer leurs recommandations ;

c) les coordonnées des personnes chargées de recueillir et d’examiner les recommandations. »

2. L’évolution ultérieure du droit interne
1. Les modifications apportées au code de l’audiovisuel de 2006 et l’arrêt de la Cour constitutionnelle

89. Le 13 avril 2012, le Parlement moldave adopta la loi no 84, qui modifiait les paragraphes 8 et 10 de l’article 38 ainsi que le paragraphe 3 de l’article 40 du code de l’audiovisuel de 2006. Tel que modifié, l’article 38 § 8 du code énonçait :

« Une décision du [CCA] imposant une sanction doit être motivée. Elle devient exécutoire une fois adoptée, notifiée par lettre recommandée aux radiodiffuseurs et aux distributeurs de services concernés, puis publiée au Journal officiel de la République de Moldova et sur le site Web [du CCA]. »

Par ailleurs, la loi abrogeait le paragraphe 10 de l’article 38. Enfin, elle complétait l’article 40 § 3, en y ajoutant, in fine, cette précision : « (...), à l’exception des décisions visées à l’article 38 § 8 ». Elle fut publiée au Journal officiel le 29 mai 2012 et entra en vigueur le même jour.

90. En juillet 2012, un député contesta avec succès la modification de l’article 38 § 8 du code devant la Cour constitutionnelle. Dans un arrêt du 6 décembre 2012, la haute juridiction déclara, à la majorité, que la modification était inconstitutionnelle pour autant qu’elle concernait deux des sanctions prévues à l’article 38, à savoir la suspension pour une période donnée et la révocation de la licence de radiodiffusion. Elle considéra en effet que cette modification était contraire aux dispositions de la Constitution garantissant le droit à la propriété et le droit à la liberté d’expression. Elle estima en revanche que la modification était conforme à la Constitution pour ce qui était des trois autres sanctions prévues à l’article 38 § 8 du code. L’un des juges de la formation rédigea une opinion séparée.

91. Concernant tout d’abord les allégations selon lesquelles la modification litigieuse portait atteinte au droit de propriété des radiodiffuseurs, la Cour constitutionnelle déclara notamment ce qui suit :

« (...)

56. Sur la question du but légitime poursuivi par l’ingérence, la Cour [constitutionnelle] ne peut, dans cette affaire, admettre l’argument du Parlement et du gouvernement selon lequel les restrictions imposées aux radiodiffuseurs servent l’intérêt public (...)

57. Le respect du droit de propriété implique par ailleurs d’observer les garanties procédurales contre l’arbitraire prévues par la loi afin que les mesures prises soient adaptées à chaque cas. En particulier, il n’y a pas de garantie juridique suffisante pour protéger les radiodiffuseurs contre l’usage par le [CCA] de son pouvoir d’appréciation.

58. Dans le cas du système bancaire (...), [qui est] considéré comme un secteur d’importance majeure pour la société, la latitude dont jouit l’État présuppose le droit pour celui-ci d’établir des règles distinctes de celles applicables à d’autres secteurs similaires soumis à réglementation. Dans le cas de l’audiovisuel au contraire, compte tenu des spécificités de ce domaine et de son importance pour la communication au public d’informations et d’idées, des mesures aussi sévères que la suspension ou la révocation d’une licence doivent être examinées in concreto par un tribunal avant d’être mises en œuvre.

59. Dans l’examen du « juste équilibre » à ménager entre les intérêts concurrents en jeu – d’un côté, l’intérêt public général, qui, en l’occurrence, consisterait à empêcher un éventuel comportement répréhensible du radiodiffuseur de mauvaise foi qui serait susceptible de créer ou d’amplifier les situations ayant conduit à l’ingérence et, de l’autre côté, les intérêts individuels du radiodiffuseur –, les autorités n’ont pas avancé, et la Cour [constitutionnelle] ne décèle pas de son côté d’arguments [en ce sens], qu’il existât un risque de préjudice grave et imminent pour le public propre à rendre nécessaire une application immédiate de ces décisions du [CCA], en l’absence de décision d’un tribunal ou, à tout le moins, de la possibilité de contester [les décisions du CCA] devant le tribunal avant leur exécution.

60. Dans cette situation particulière, la Cour [constitutionnelle] considère que l’exécution immédiate de la sanction (...) de suspension ou de révocation de la licence n’est pas justifiée (...) [par] un intérêt [public] majeur (...)

61. Pour ces raisons (...), la Cour [constitutionnelle] estime que l’article 38 § 8 du code (...), pour autant qu’il concerne l’application des sanctions de suspension ou de révocation d’une licence, ne ménage pas un juste équilibre entre les intérêts de la collectivité et ceux des radiodiffuseurs, mais fait peser sur [les radiodiffuseurs] une charge individuelle excessive (...)

62. À la lumière de ce qui précède, la Cour [constitutionnelle] conclut que le membre de phrase du (...) paragraphe 8 de l’article 38 concernant l’exécution immédiate, alors qu’un recours est pendant devant un tribunal, des décisions du [CCA] portant suspension ou révocation d’une licence est contraire non seulement aux principes fondamentaux relatifs à l’activité entrepreneuriale, mais aussi aux garanties constitutionnelles relatives au droit de propriété des fondateurs d’organes audiovisuels et à la protection de ce droit, consacrées à l’article 46 de la Constitution, et qu’il représente une « ingérence dans l’exercice du droit de propriété », compte tenu de ce que ces décisions sont d’effet immédiat et, dès lors, empêchent le titulaire de la licence de poursuivre son [activité] (...) »

92. S’agissant ensuite des allégations selon lesquelles la modification litigieuse portait atteinte au droit des radiodiffuseurs à la liberté d’expression, la Cour constitutionnelle tint le raisonnement suivant :

« (...)

72. (...) la Cour [constitutionnelle] considère que la mesure de suspension ou de révocation de la licence d’un radiodiffuseur est susceptible de porter atteinte à la substance des garanties procédurales dont les radiodiffuseurs devraient jouir en vertu de l’article 10 de la Convention, et qu’elle est incompatible avec l’état de droit.

73. En conséquence, la Cour [constitutionnelle] estime que, dans la situation spécifique en cause (...), une telle ingérence dans l’exercice par les radiodiffuseurs du droit à la liberté d’expression ne remplit pas la condition de la « nécessité dans une société démocratique » et, dès lors, est contraire à l’article 32 de la Constitution et à l’article 10 de la Convention (...)

(...)

75. Considérant que le [CCA] est un organe susceptible d’être politisé, sa décision de suspendre ou de révoquer la licence d’un radiodiffuseur peut conduire à la censure ou à l’autocensure, aussi dangereuses l’une que l’autre pour la liberté d’expression et le droit du public à l’information.

76. Compte tenu de l’importance particulière que revêt la liberté d’expression pour une société démocratique, laquelle peut être confrontée à des pressions politiques et à la censure, l’autorité judiciaire, qui présente toutes les garanties d’indépendance, est la seule autorité qui, au regard du principe démocratique et constitutionnel de séparation des pouvoirs, est habilitée (...) à juger qu’un citoyen donné a gravement enfreint la loi, notamment par un exercice abusif de la liberté d’expression.

77. (...) [L]a Cour [constitutionnelle] a déjà constaté, sur le terrain de l’article 46 de la Constitution, que l’ingérence faite dans l’exercice des droits du radiodiffuseur ne s’accompagne pas de garanties judiciaires suffisantes au sens de sa jurisprudence. Cette conclusion la dispense d’examiner plus avant sous l’angle de l’article 32 de la Constitution les dispositions contestées, car cet examen aboutirait nécessairement au même constat, et cela suffit pour conclure à la violation de cet article.

(...) »

93. Dans le dispositif de son arrêt, la Cour constitutionnelle déclara notamment ce qui suit :

« (...)

1. L’article 38 § 8 du code (...), tel qu’énoncé dans la loi (...) no 84 du 13 avril 2012, est reconnu conforme à la Constitution pour autant qu’il rend exécutoires à partir de la date de leur adoption et de leur notification par lettre recommandée aux radiodiffuseurs et aux distributeurs de services concernés les décisions par lesquelles le [CCA] prononce un avertissement public, le retrait pour une période donnée du droit de diffuser des publicités, ou l’infliction d’une amende.

2. L’article 38 § 8 du code (...), tel qu’énoncé dans la loi (...) no 84 du 13 avril 2012, est déclaré inconstitutionnel pour autant qu’il rend exécutoires à partir de la date de leur adoption et de leur notification par lettre recommandée aux radiodiffuseurs et aux distributeurs de services concernés les décisions par lesquelles le [CCA] prononce la suspension pour une période donnée ou la révocation définitive d’une licence de radiodiffusion.

(...) »

94. Enfin, le membre de la formation de la Cour constitutionnelle qui était l’auteur de l’opinion séparée y exprima notamment l’avis suivant :

« (...)

2. L’arrêt de la Cour [constitutionnelle] est source d’incertitude quant à l’application par le [CCA] des sanctions qui consistent à suspendre une licence de radiodiffusion pour une période donnée ou à la révoquer. Compte tenu de ce que les types d’activités surveillées par le [CCA] ont un impact social majeur, j’estime qu’avec cet arrêt, la Cour [constitutionnelle] empêche que l’on fasse cesser la diffusion de programmes qui pourraient sérieusement affecter le public.

3. Je considère qu’au paragraphe 59 la Cour [constitutionnelle] minimise à tort l’impact social des services fournis par les radiodiffuseurs. Ce paragraphe est en contradiction avec le paragraphe 66, où la Cour constitutionnelle évoque l’appréciation que la Cour européenne [des droits de l’homme] a faite de cet impact. La [Cour] européenne a ainsi déclaré que la radio et la télévision avaient un rôle très important à jouer à cet égard, ajoutant que, en raison de leur capacité à faire passer des messages par le son et par l’image, ces médias avaient des effets plus immédiats et plus puissants que la presse écrite. La Cour [constitutionnelle] n’a tenu aucun compte des arguments des autorités concernant d’éventuels appels à manifester lors de campagnes électorales ou d’événements politiques – alors que les manifestations peuvent se muer en actions violentes et appeler l’application immédiate des sanctions en question.

À mon sens, l’impact majeur des services de radiodiffusion sur le public justifie que le Parlement fasse ingérence dans l’exercice du droit de propriété afin d’empêcher un « comportement répréhensible du radiodiffuseur de mauvaise foi qui serait susceptible de créer ou d’amplifier les situations ayant conduit à l’ingérence », mais aussi d’éviter un « risque de préjudice grave et imminent pour le public », risque au sujet duquel la Cour [constitutionnelle] dit ne pas avoir décelé d’arguments (paragraphe 59 de l’arrêt).

4. Au paragraphe 57, la Cour [constitutionnelle] fait une déduction erronée au sujet des garanties procédurales offertes par la loi contre toute action arbitraire du [CCA] et pour la protection des radiodiffuseurs face au pouvoir d’appréciation de cet organe (...)

5. J’estime infondée la déduction que fait la Cour [constitutionnelle] au paragraphe 61 lorsqu’elle considère que l’application immédiate des sanctions de suspension ou de révocation d’une licence représente une « charge individuelle excessive » pour les radiodiffuseurs. La Cour [constitutionnelle] ne tient aucun compte du [paragraphe] 3 de l’article 38 du code (...), selon lequel « les sanctions prévues au paragraphe 1 sont appliquées de manière progressive ». À mon avis, cette disposition est « la clé » d’un « juste équilibre » entre les intérêts concurrents de la société d’une part et des radiodiffuseurs d’autre part, et elle permet d’établir de façon convaincante quelle était l’intention du législateur, intention qui se situe dans le cadre délimité par les dispositions constitutionnelles.

Le code précise, au [paragraphe] 1 de l’article 38, que les sanctions peuvent être appliquées aux radiodiffuseurs dans l’ordre suivant : (...) Il découle du [paragraphe] 3 de l’article 38 (...) que le [CCA] ne peut pas omettre une sanction moins sévère pour en infliger une plus sévère. Je tiens à rappeler que, selon le [paragraphe] 9 de l’article 38 (...), toute sanction peut être contestée par le radiodiffuseur devant un tribunal. Ainsi, pour que les sanctions de suspension et de révocation d’une licence puissent être appliquées, il [faut qu’il y ait eu] auparavant au moins trois sanctions et que la légalité de celles-ci ait été reconnue par une décision de justice définitive.

De plus, une procédure encore plus stricte est prévue pour l’application de l’ultime sanction, à savoir la révocation de la licence. Ainsi, selon (...) l’article 38, « [u]ne licence de radiodiffusion n’est retirée en vertu de l’article 27 qu’en cas d’infraction grave et répétée aux dispositions du (...) code » (...)

Concernant les modalités d’application des sanctions, je considère que la loi prévoit des garanties procédurales claires « contre l’arbitraire » et pour la protection des radiodiffuseurs face au pouvoir d’appréciation du [CCA]. En outre, j’estime que, le [CCA] étant tenu d’appliquer de manière progressive les sanctions [prises] contre les radiodiffuseurs, les restrictions qui consistent à suspendre ou révoquer une licence sont présentées par le législateur « de façon convaincante », conformément à la jurisprudence de la Cour [européenne des droits de l’homme] telle qu’énoncée dans l’affaire (...), citée au paragraphe 70 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle.

6. Je suis d’accord avec la Cour [constitutionnelle] lorsqu’elle dit que le secteur financier revêt une importance majeure pour la société, raison pour laquelle « la latitude dont jouit l’État présuppose le droit pour celui-ci d’établir des règles distinctes de celles applicables à d’autres secteurs similaires soumis à réglementation ». Cependant, lorsqu’elle dit que « des mesures aussi sévères que la suspension ou la révocation d’une licence doivent être examinées in concreto par un tribunal avant d’être mises en œuvre », elle ne tient pas compte du fait que dans le secteur bancaire la loi impose des règles bien plus rigoureuses que dans le secteur audiovisuel. Ainsi, si l’on compare le domaine bancaire au [domaine] audiovisuel [(ȋn raport cu cel al audiovizualului)], on voit qu’il n’existe pas dans le premier de sanction préventive de suspension d’une licence : quelle que soit la décision du tribunal, le retrait d’une licence est irrévocable, il entraîne forcément la liquidation de la banque et, de plus, seul un petit groupe d’actionnaires de la banque peut alors saisir le tribunal. Le secteur audiovisuel a autant d’impact social que le [secteur] bancaire, et la valeur d’une licence dans ce domaine ne saurait être ramenée à la valeur d’une licence dans le domaine immobilier, par exemple. Étant donné que la procédure de retrait d’une licence n’est pas aussi stricte en matière audiovisuelle que dans le secteur bancaire, j’estime que la restriction appliquée par le législateur au moyen des dispositions contestées est proportionnée au but poursuivi et, eu égard à l’impact social majeur du [secteur] audiovisuel, nécessaire dans une société démocratique.

7. Par ailleurs, la Cour [constitutionnelle] n’a pas tenu compte du fait qu’en vertu de la règle contestée, le radiodiffuseur jouit d’une possibilité réelle de demander au tribunal administratif, juste après l’adoption de la décision [du CCA] imposant la suspension ou le retrait d’une licence, d’en suspendre l’exécution. De plus, en cas de recours contre la décision, le tribunal peut adopter d’office une décision de sursis à l’exécution de la décision [du CCA] (...) En ce qui concerne les établissements bancaires au contraire, le tribunal ne peut pas décider de [surseoir à l’exécution] (...), car une décision de retrait de licence prise par la Banque nationale est irrévocable.

(...) »

95. Le jour où elle statua, la Cour constitutionnelle publia aussi un communiqué de presse officiel relatif à son arrêt, en réponse à des médias qui voyaient un lien entre la motivation de cet arrêt et la décision du CCA de révoquer la licence de NIT. Elle y soulignait que les dispositions de loi examinées dans l’arrêt n’étaient entrées en vigueur qu’en mai 2012 et qu’elles n’étaient pas applicables à l’époque de la décision du CCA concernant la révocation de la licence de NIT. Elle ajoutait qu’elle n’avait pas examiné la constitutionnalité des dispositions sur lesquelles le CCA s’était appuyé dans sa décision du 5 avril 2012 car celles-ci n’avaient jamais été contestées devant elle. Elle concluait qu’il n’y avait pas de lien entre l’affaire portée devant elle et celle qui avait été soumise à la cour d’appel, et que toute affirmation contraire relevait de la pure fiction et de la désinformation.

2. Le code de l’audiovisuel de 2018

96. Les dispositions pertinentes du code de l’audiovisuel de la République de Moldova, en vigueur depuis le 1er janvier 2019, se lisent comme suit :

Article 11

Respect des droits et libertés fondamentaux

« (...)

2. Sont interdits les programmes audiovisuels suivants :

a) ceux qui sont de nature à propager, provoquer, promouvoir ou justifier la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance ou la discrimination basée sur le sexe, la race, la nationalité, la religion, le handicap ou l’orientation sexuelle ;

b) ceux qui diffusent de la pornographie enfantine ;

c) ceux dont la diffusion est interdite par le règlement sur les contenus audiovisuels, établi et approuvé par le [CCA] après consultation des fournisseurs et distributeurs de services de médias.

(...) »

Article 17

Protection de l’espace audiovisuel national

« 1. Les fréquences radio destinées à la fourniture de services de médias audiovisuels dans le cadre de systèmes terrestres numériques ou analogiques constituent un bien public et sont exploitées dans le cadre de licences de radiodiffusion attribuées conformément à la loi.

2. L’espace audiovisuel national est utilisé suivant les conditions définies dans le présent code, en vue de :

a) favoriser la libre circulation des informations ;

b) contribuer à garantir la liberté d’expression ;

c) contribuer à la couverture des besoins d’information de la société ;

d) contribuer à garantir l’intégrité professionnelle et sociale des fournisseurs de services de médias.

3. Dans l’espace audiovisuel national, la diffusion de programmes audiovisuels constitutifs d’un discours de haine est interdite.

(...) »

Article 27

Révocation d’une licence de radiodiffusion

« 1. Une licence de radiodiffusion est révoquée dans les cas suivants :

a) le fournisseur de services de médias informe le [CCA] qu’il renonce à fournir des services audiovisuels ;

b) le fournisseur de services de médias n’a pas entamé ses activités de radiodiffusion dans un délai de six mois à compter de [la date] à laquelle il a obtenu une licence liée au système analogique, ou dans un délai de trois mois s’il a obtenu une licence liée au système numérique terrestre ;

c) le fournisseur de services de médias n’a pas acquitté la redevance afférente à la licence de radiodiffusion, établie en vertu de la loi no [160/2011](https://weblex.md/item/view/id/21b53a22ad9ea8e01f2a1dae5fee809c) (...), malgré deux avertissements écrits reçus du [CCA] ;

d) le fournisseur de services de médias a communiqué au [CCA] de fausses informations, ce qui a entraîné une violation du régime juridique encadrant la propriété dans le secteur des services de médias audiovisuels ;

e) le fournisseur de services de médias a manqué, délibérément ou non, à communiquer au [CCA] certaines informations relatives au régime juridique encadrant la propriété dans le secteur des services de médias audiovisuels ;

f) le fournisseur de services de médias a enfreint à plusieurs reprises les dispositions de l’article 11 § 2 et de l’article 17 du présent code après que les sanctions prévues à l’article 84 § 9 du présent code lui avaient été progressivement appliquées ;

g) après suspension de sa licence de radiodiffusion en vertu de l’article 84 § 10 du présent code, le fournisseur de services de médias ne remédie pas à l’infraction pour laquelle cette mesure lui a été infligée et/ou fait l’objet de plus de deux sanctions sur une période de douze mois à compter de l’expiration de la mesure de suspension. »

Article 84

Sanctions

« 1. Les fournisseurs de services de médias, les fournisseurs de services de plateforme de partage de vidéos et les distributeurs de services de médias voient leur responsabilité engagée en cas d’infraction à la législation sur l’audiovisuel, conformément au présent article et aux lois en vigueur.

2. Lorsqu’il y a infraction aux dispositions du présent code, le [CCA] prononce une sanction individualisée, en fonction de la gravité et des conséquences de l’infraction ainsi que de la fréquence des infractions éventuellement commises au cours des douze derniers mois.

(...)

9. Une amende d’un montant de 40 000 à 70 000 lei est infligée aux fournisseurs de services de médias et aux distributeurs de services de médias qui ont enfreint les dispositions de l’article 11 § 2 et de l’article 17 [du présent code]. Pour des infractions répétées à ces dispositions, l’amende est comprise entre 70 000 et 100 000 lei. La révocation d’une licence de radiodiffusion pour infraction aux dispositions de l’article 11 § 2 et de l’article 17 [du présent code] est prononcée après que les sanctions prévues au présent paragraphe ont été progressivement appliquées.

10. Un fournisseur ou un distributeur de services de médias qui, à plusieurs reprises sur une période de douze mois, a commis les infractions visées au paragraphe 8 est sanctionné par la suspension de sa licence de radiodiffusion (...) Cette suspension (...) est prononcée après que les sanctions prévues aux paragraphes 4 à 8 ont été progressivement appliquées.

(...)

14. La licence de radiodiffusion est révoquée conformément à l’article 27 (...).

15. Une décision du [CCA] imposant une sanction doit être motivée. Elle devient exécutoire à la date de sa publication. Le fournisseur ou le distributeur de services de médias visé par la sanction peut contester la décision du [CCA] devant un tribunal.

16. Afin de protéger l’espace audiovisuel national, le tribunal examine dans un délai de trente jours les litiges qui tirent leur origine d’infractions à l’article 11 § 2 ou à l’article 17 [du présent code]. Un appel ou un pourvoi en cassation peut être formé dans un délai de trois jours à compter de la date de la décision. Il doit être examiné dans un délai de dix jours.

17. Si, dans un délai de douze mois à compter de la date de la dernière sanction prononcée, le fournisseur ou le distributeur de services de médias ne commet pas d’autre infraction aux dispositions du présent code, les précédentes sanctions sont considérées comme nulles et non avenues. »

2. Les Normes et les documents sur le journalisme responsable, le pluralisme des mÉdias ET L’INDÉPENDANCE DES AUTORITÉS DE RÉGULATION DES MÉDIAS
1. Les normes et documents du Conseil de l’Europe
1. La résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur l’éthique du journalisme

97. Le 1er juillet 1993, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) adopta la Résolution 1003 (1993) sur l’éthique du journalisme, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« 1. Outre les droits et les devoirs juridiques stipulés par les normes juridiques pertinentes, les médias assument, à l’égard des citoyens et de la société, une responsabilité morale qu’il faut souligner, particulièrement dans un moment où l’information et la communication ont une grande importance tant pour le développement de la personnalité des citoyens que pour l’évolution de la société et de la vie démocratique.

2. L’exercice du journalisme comporte des droits et des devoirs, des libertés et des responsabilités.

3. Le principe de base de toute réflexion morale sur le journalisme doit partir d’une claire différenciation entre nouvelles et opinions, en évitant toute confusion. Les nouvelles sont des informations, des faits et des données, et les opinions sont l’expression de pensées, d’idées, de croyances ou de jugements de valeur par les médias, les éditeurs ou les journalistes.

4. Les nouvelles doivent être diffusées en respectant le principe de véracité, après avoir fait l’objet des vérifications de rigueur, et doivent être exposées, décrites et présentées avec impartialité. Il ne faut pas confondre informations et rumeurs. Les titres et les énoncés d’informations doivent être l’expression le plus fidèle possible du contenu des faits et des données.

5. L’expression d’opinions peut consister en réflexions ou commentaires sur des idées générales, ou se référer à des commentaires sur des informations en rapport avec des événements concrets. Mais, s’il est vrai que l’expression d’opinions est subjective et que l’on ne peut ni ne doit exiger la véracité, on peut exiger en revanche que l’expression d’opinions se fasse à partir d’exposés honnêtes et corrects du point de vue éthique.

6. Les opinions sous forme de commentaires sur des événements ou des actions ayant trait à des personnes ou des institutions ne doivent pas viser à nier ou à cacher la réalité des faits ou des données.

(...)

17. L’information et la communication, tâches dont s’acquitte le journalisme au travers des médias et avec le formidable support des nouvelles technologies, ont une importance décisive dans le développement individuel et social. Elles sont indispensables dans la vie démocratique, car, pour que la démocratie puisse se développer pleinement, la participation des citoyens aux affaires publiques doit être garantie. Or, celle-ci serait impossible si les citoyens ne recevaient pas l’information nécessaire concernant les affaires publiques que doivent leur procurer les médias.

18. L’importance de l’information, et en particulier de la radio et de la télévision, dans la culture et l’éducation a été soulignée dans la Recommandation 1067 de l’Assemblée. Ses répercussions sur l’opinion publique sont évidentes.

19. Il serait faux, néanmoins, d’en déduire que les médias représentent l’opinion publique ou qu’ils doivent remplacer les fonctions propres aux pouvoirs publics ou aux institutions à caractère éducatif ou culturel telles que l’école.

20. Cela amènerait à convertir les médias et le journalisme en pouvoirs et contre‑pouvoirs (« médiocratie »), sans que ceux-ci soient représentatifs des citoyens ni assujettis aux contrôles démocratiques comme les pouvoirs publics, et sans qu’ils possèdent la spécialisation des institutions culturelles ou éducatives compétentes.

21. Par conséquent, le journalisme ne doit pas conditionner ni médiatiser l’information vraie ou impartiale, ni les opinions honnêtes en prétendant créer ou former l’opinion publique, étant donné que sa légitimité réside dans le respect effectif du droit fondamental des citoyens à l’information dans le cadre du respect des valeurs démocratiques. Dans ce sens le journalisme d’investigation légitime trouve ses limites dans la véracité et l’honnêteté des informations et des opinions, et il est incompatible avec toute campagne journalistique réalisée à partir de prises de position a priori et au service d’intérêts particuliers.

22. Les journalistes, dans les informations qu’ils donnent et les opinions qu’ils formulent, doivent respecter la présomption d’innocence, principalement lorsqu’il s’agit d’affaires en instance de jugement, en évitant de prononcer des verdicts.

23. Le droit des personnes à une vie privée doit être respecté. Les personnes qui ont des fonctions publiques ont droit à la protection de leur vie privée sauf dans les cas où cela peut avoir des incidences sur la vie publique. Le fait qu’une personne occupe un poste dans la fonction publique ne la prive pas du droit au respect de sa vie privée.

24. La recherche d’un équilibre entre le droit au respect de la vie privée, consacré par l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, et la liberté d’expression, consacrée par l’article 10, est largement illustrée par la jurisprudence récente de la Commission et de la Cour européennes des Droits de l’Homme.

25. Dans l’exercice de la profession de journaliste, la fin ne justifie pas les moyens ; l’information doit donc être obtenue par des moyens légaux et moraux.

26. À la demande des personnes intéressées, et par l’intermédiaire des médias, on rectifiera automatiquement et rapidement, avec le traitement informatif adéquat, toutes les informations et les opinions démontrées fausses ou erronées. La législation nationale devrait prévoir des sanctions adéquates et, si nécessaire, des dédommagements. »

2. La recommandation du Comité des ministres sur des mesures visant à promouvoir le pluralisme des médias (1999)

98. Le 19 janvier 1999, le Comité des Ministres, soulignant notamment que la diversité politique et culturelle des types et des contenus des médias était essentielle pour le pluralisme des médias, adopta la Recommandation no R (99) 1 sur des mesures visant à promouvoir le pluralisme des médias, laquelle énonce notamment :

« Les États membres devraient examiner les mesures qui pourraient être prises pour qu’un contenu varié des médias reflétant différents points de vue politiques et culturels soient mis à la disposition du public, en conservant à l’esprit l’importance qui s’attache à garantir l’indépendance éditoriale des médias et l’intérêt que des mesures adoptées sur une base volontaire par les médias eux-mêmes peuvent également présenter.

(...)

Les États membres devraient examiner, si nécessaire, et lorsque cela est réalisable, la possibilité d’introduire des mesures visant à promouvoir la production et la diffusion d’un contenu diversifié par les organismes de radiodiffusion. Ces mesures pourraient par exemple consister à exiger dans le cadre des licences de radiodiffusion qu’un certain volume de programmes originaux, en particulier de programmes d’information et d’actualité, soient produits ou commandités par les radiodiffuseurs.

Par ailleurs, dans certaines circonstances telles que l’exercice d’une position dominante par un radiodiffuseur dans une zone donnée, les États membres pourraient prévoir des arrangements concernant le « partage des fréquences » afin de permettre l’accès à l’antenne d’autres radiodiffuseurs.

Les États membres devraient examiner l’introduction de règles visant à conserver un paysage local de radio et de télévision pluraliste, en veillant en particulier à ce que la constitution de réseaux, entendus comme la fourniture centralisée de programmes et de services connexes, ne porte pas atteinte au pluralisme. »

3. La recommandation du Comité des Ministres sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias (2007)

99. Le 31 janvier 2007, le Comité des Ministres adopta la Recommandation CM/Rec(2007)2 sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« 1.1. Les États membres devraient veiller à ce qu’un éventail suffisant de médias proposés par une série de propriétaires différents, publics ou privés, soit mis à la disposition du public, en tenant compte des caractéristiques du marché des médias, en particulier des aspects économiques et relatifs à la concurrence existant.

1.2. Lorsque l’application des règles de concurrence communes au secteur des médias et de la réglementation relative à l’accès n’est pas suffisante pour garantir le respect des exigences de diversité culturelle et de pluralité des courants de pensée et d’opinion, les États membres devraient adopter des mesures spécifiques.

1.3. Les États membres devraient, en particulier, envisager d’adapter le cadre réglementaire aux évolutions économiques, sociales et technologiques, compte tenu notamment de la convergence et de la transition numériques, et par conséquent y inclure tous les éléments de production et de distribution des médias.

1.4. En adaptant leur cadre réglementaire, les États membres devraient porter une attention particulière sur le besoin de séparation réelle et apparente entre l’exercice du pouvoir politique ou l’influence politique et le contrôle de médias ou la prise de décision relative au contenu des médias.

(...)

Le pluralisme de l’information et la diversité du contenu des médias ne seront pas automatiquement garantis par la multiplication des moyens de communication à la disposition du public. Les États membres devraient par conséquent définir et mettre en œuvre une politique active dans ce domaine, incluant des procédures de suivi, et adopter les mesures nécessaires pour qu’une variété suffisante d’informations, d’opinions et de programmes soit diffusée par les médias et accessible au public.

(...)

2.1. Les États membres devraient, tout en respectant le principe de l’indépendance éditoriale, encourager les médias à fournir au public des contenus divers susceptibles de promouvoir un débat critique et une plus large participation démocratique des individus appartenant à toutes les communautés et générations.

(...)

3.1. Les États membres devraient envisager l’adoption de mesures qui permettent de promouvoir et de suivre la production et la fourniture de contenus diversifiés par les médias. S’agissant du secteur de la radiodiffusion, de telles mesures pourraient notamment consister à assortir les licences accordées aux radiodiffuseurs d’une obligation de produire par eux-mêmes ou de commander un certain volume de programmes, en particulier concernant les bulletins d’information et les émissions d’actualité.

3.2. Les États membres devraient envisager l’adoption de règles visant à préserver la diversité du paysage médiatique local, assurant en particulier que la syndication, comprise comme la fourniture centralisée des programmes et services associés, ne mette pas en danger le pluralisme. »

4. L’étude thématique sur le pluralisme des médias et les droits de l’homme commandée et publiée par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

100. Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe commanda une étude thématique, qu’il publia en décembre 2011 sous le titre « Media Pluralism and Human Rights ». Écrit par M. Miklós Haraszti, expert dans le domaine en question et ancien représentant de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) pour la liberté des médias, ce document évoque plusieurs dimensions du pluralisme des médias, notamment les notions de pluralisme externe et de pluralisme interne, qui sont décrites comme exposé ci-dessous.

101. Le pluralisme externe, c’est-à-dire le pluralisme qui passe par une multiplicité d’organes, peut être obtenu par l’existence de divers médias qui expriment chacun un point de vue différent ; on peut l’atteindre essentiellement en veillant à ce que les médias ne soient pas concentrés entre les mains d’un trop petit nombre d’acteurs. Le contrôle de la propriété est le point de départ de cette gouvernance du pluralisme ; il permet de veiller à ce que la liberté d’expression ne soit pas affaiblie par la mainmise écrasante d’un nombre trop réduit de détenteurs de médias, ou de médias proprement dits. Le pluralisme interne désigne quant à lui le pluralisme au sein d’un seul média. Il constitue un autre moyen d’assurer le pluralisme dans les médias. Il a trait à la manière dont la diversité socio-politique se reflète dans le contenu des médias, c’est-à-dire à la représentation dans les médias de différents groupes culturels ainsi que d’opinions et de points de vue politiques ou idéologiques divergents. La gouvernance du pluralisme interne est une nécessité sur un marché des médias caractérisé par un nombre restreint de fréquences ; elle vise à compenser cette rareté en imposant à chaque média des règles concernant la diversité des points de vue et l’impartialité du journalisme.

102. L’auteur de l’étude estime que les méthodes de réglementation doivent combiner les deux types de pluralisme (externe et interne), comme le font les normes du Conseil de l’Europe, car dans une démocratie l’un et l’autre doivent être opérationnels. Il expose que la meilleure manière d’obtenir la diversité consiste parfois à laisser chacun entrer librement sur le « marché des idées » sans imposer de contraintes étatiques ; il ajoute cependant que, en certains temps et en certains lieux, la préservation d’une pluralité de points de vue politiques et de valeurs culturelles nécessite l’intervention de l’État.

103. L’auteur de l’étude expose également que le rôle considérable de la télévision dans la formation de l’opinion publique, mais aussi la difficulté à parvenir au pluralisme externe sur des marchés européens relativement réduits, commandent à toutes les nations d’Europe de mettre en place au moins une infrastructure audiovisuelle solide et facile d’accès pour garantir l’objectivité des informations et une inclusivité fiable du journalisme public. Il ajoute que la rareté des fréquences appelle une gouvernance plus stricte du pluralisme interne.

104. Concernant les nouvelles démocraties, l’auteur de l’étude fait observer ce qui suit [traduction du greffe] :

« Le pluralisme revêt une importance stratégique particulière dans les sociétés qui se relèvent de périodes de dictature. On y constate avec déception que la fin apparente de la « grande » censure étatique a simplement fait place à de « petites » mini-censures d’ordre privé, appliquées à présent par des entrepreneurs et des partis propriétaires de médias. Les publics qui naguère haïssaient la monotonie d’une presse orientée sont saisis par la cacophonie de la liberté. Ils peuvent s’irriter de la rapide propagation du mercantilisme et de la lente progression du journalisme éthique. Dans les nouvelles démocraties, le public a du mal à admettre que si la liberté de la presse peut rendre possible un journalisme de qualité, elle ne le garantit pas. »

5. Le document intitulé « L’indépendance des autorités de régulation des médias en Europe : IRIS Spécial », publié par l’Observatoire européen de l’audiovisuel (Conseil de l’Europe)

105. En septembre 2019, l’Observatoire européen de l’audiovisuel (Conseil de l’Europe) publia le rapport intitulé « L’indépendance des autorités de régulation des médias en Europe : IRIS Spécial ». Ce document met l’accent sur l’indépendance des autorités et organismes de régulation dans le secteur de la radiodiffusion et des médias audiovisuels en Europe et souligne notamment ce qui suit :

« Ces entités se sont développées au sein des différentes traditions juridiques des pays auxquels elles appartiennent. Elles ne répondent donc pas à un modèle unique, mais reflètent néanmoins une certaine approche commune en ce qui concerne la structure institutionnelle de la gouvernance réglementaire. L’indépendance de ces entités est particulièrement importante parce qu’elle contribue à l’objectif plus large de l’indépendance des médias, qui est en soi une composante essentielle de la démocratie.

(...)

(...) Si les exigences en matière de liberté d’expression et de liberté des médias imposent aux États de protéger l’indépendance des médias et de s’abstenir d’interférer dans leur travail, il est largement admis que les États doivent, dans le même temps, établir un cadre normatif garantissant l’existence d’un paysage médiatique diversifié et pluraliste. Pour ce qui est de la gouvernance réglementaire du secteur des médias audiovisuels, la notion et l’institution d’une autorité de régulation indépendante sont considérées comme le choix par défaut permettant de garantir que les interventions auprès des médias sont impartiales et indépendantes des intérêts du gouvernement et des parties prenantes.

(...)

Les autorités de régulation indépendantes [se sont] pratiquement imposées comme la forme institutionnelle de référence en matière de gouvernance réglementaire dans le secteur de la radiodiffusion et des médias audiovisuels. En tant que structure institutionnelle, [elles] peuvent contribuer à deux aspects qui sont spécifiques au secteur des médias audiovisuels :

1. l’objectif de la régulation du secteur des médias pour garantir la liberté des médias ; et

2. la relation spécifique et parfois sensible entre le secteur des médias et les politiciens élus et non élus (...)

(...) [C]ela ne signifie toutefois pas qu’indépendance et liberté soient un même concept, mais qu’il existe des liens spécifiques entre les deux (...) »

2. Les documents de l’Union européenne
1. Le document de travail des services de la Commission européenne relatif au pluralisme des médias au sein des États membres de l’UE

106. Le 16 juillet 2007, la Commission européenne publia un document de travail intitulé « Media Pluralism in the Member States of the European Union » (SEC(2007) 32). On peut y lire notamment ceci [traduction du greffe] :

« L’analyse du pluralisme des médias se limite très souvent au pluralisme externe et à des aspects liés aux règles encadrant la détention de médias. Le pluralisme externe doit être considéré en association avec le pluralisme interne. Ce dernier peut être crucial pour les marchés restreints.

Dans le secteur de l’audiovisuel, qui constitue un marché réglementé, le pluralisme interne et la diversité des productions et/ou des contenus peuvent être stimulés et contrôlés au moyen de l’imposition, par la loi ou dans les licences [de radiodiffusion], d’exigences et d’obligations relatives aux programmes. Le pluralisme interne peut également être obtenu au moyen d’obligations structurelles portant notamment sur la composition des organes de direction ou des organes chargés de la sélection des programmes/contenus.

(...) »

2. L’étude indépendante sur les indicateurs du pluralisme des médias au sein des États membres de l’UE

107. Cette étude, intitulée « Independent Study on Indicators for Media Pluralism in the Member States – Towards a Risk-Based Approach », a été établie en 2009 pour la Commission européenne par un groupement d’institutions universitaires et un cabinet de conseil. Elle distingue cinq dimensions dans le pluralisme des médias [traduction du greffe] :

« Le pluralisme culturel dans les médias renvoie à la représentation et à l’expression équitables et diversifiées (accès passif et accès actif) dans les médias de l’éventail des groupes culturels et sociaux, y compris les minorités ethniques, linguistiques, nationales et religieuses, les personnes handicapées, les femmes et les minorités sexuelles.

(...)

Le pluralisme politique dans les médias renvoie à la représentation et à l’expression équitables et diversifiées (accès passif et accès actif) dans les médias d’un éventail de groupes politiques et idéologiques, et notamment des points de vue et intérêts minoritaires.

(...)

Le pluralisme géographique dans les médias renvoie à la représentation et à l’expression équitables et diversifiées (accès passif et accès actif) dans les médias des communautés et intérêts locaux et régionaux.

(...)

Le pluralisme dans la propriété et le contrôle des médias renvoie à l’existence de médias et de plateformes détenus ou contrôlés par une pluralité d’acteurs indépendants et autonomes. Cette pluralité d’acteurs englobe la production, l’offre et la distribution médiatique (variété au niveau des sources, des médias, des fournisseurs et des plateformes de distribution).

(...)

Le pluralisme dans les types de médias renvoie à la coexistence de médias ayant des mandats et des sources de financement différents (médias commerciaux, médias communautaires ou alternatifs et médias de service public, notamment), au sein des différents secteurs médiatiques, tels que la presse écrite, la télévision, la radio et Internet, et à travers l’ensemble de ceux-ci. Le pluralisme des genres de médias renvoie à la diversité dans les médias pour ce qui concerne les fonctions de ceux-ci, notamment l’offre en matière d’information, d’éducation et de divertissement. »

108. À propos du « pluralisme politique », l’étude indique ceci [traduction du greffe] :

« Les indicateurs juridiques pour le domaine de risque du « pluralisme politique » analysent l’existence et l’effectivité de garanties réglementaires qui, d’un côté, assurent l’accès aux médias des divers acteurs et groupes politiques et, de l’autre, garantissent le droit du public à être informé de façon exacte et complète sur tout l’éventail des points de vue politiques existant au sein de la société. Pour atteindre cet objectif, celui d’un paysage médiatique pluraliste sur le plan politique, il faut parvenir dans les différents types de médias à un difficile équilibre entre ingérence politique et indépendance éditoriale. Cet équilibre peut évoluer dans le temps, avec l’apparition de nouveaux moyens de distribution.

Le risque de partialité politique peut être atténué par des garanties relatives à la structure ainsi qu’au comportement. Comme exemple du premier type de garanties, on peut citer les règles visant à assurer une juste représentation des divers groupes politiques dans les fonctions de directeurs ou d’administrateurs au sein des entreprises ou conseils de médias, lorsque ceux-ci comportent des représentants politiques. Les règles en matière de comportement peuvent prescrire, par exemple, un traitement équitable, équilibré et impartial des sujets à caractère politique. La Recommandation (2007)2 du Conseil de l’Europe sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias invite les États membres à encourager les médias à fournir au public des contenus divers susceptibles de promouvoir un débat critique et une plus large participation démocratique des individus appartenant à toutes les communautés et générations. Toutefois, cette invitation est circonscrite par la précision que les États doivent ce faisant respecter le principe de l’indépendance éditoriale. Il faut ménager soigneusement un équilibre entre la stimulation du pluralisme politique et le respect de l’indépendance éditoriale des médias. Les médias privés ont le droit de suivre une ligne éditoriale susceptible de montrer une préférence politique particulière. L’impartialité comme qualité du compte rendu politique ne peut donc pas être exigée de ce type de médias. Néanmoins, le traitement de sujets politiques, même par des radiodiffuseurs et journaux privés, doit au moins être équitable et exact. L’indépendance éditoriale ne saurait servir de prétexte pour justifier l’inexactitude d’un compte rendu ou la diffamation.

On peut également lutter contre la partialité politique en donnant aux acteurs et groupes politiques les moyens d’accéder de manière active aux médias pour exposer « personnellement » leurs idées ou pour corriger les présentations déformées qui peuvent en avoir été faites. À cet égard, le droit de réponse, ou des moyens équivalents prévus par la réglementation, jouent un rôle crucial. »

3. Le rapport du 20 juillet 2021 sur l’état de droit de la Commission européenne

109. Le rapport 2021 sur l’état de droit de la Commission européenne (COM(2021) 700 final) indique ce qui suit :

« Le pluralisme et la liberté des médias sont des vecteurs essentiels de la primauté du droit, de la responsabilité démocratique et de la lutte contre la corruption. Les États membres ont l’obligation de garantir un environnement favorable aux journalistes, de protéger leur sécurité et de promouvoir la liberté et le pluralisme des médias (...)

(...)

Les autorités nationales de régulation des médias jouent un rôle déterminant pour ce qui est de préserver et de faire respecter le pluralisme des médias. Ainsi qu’il était souligné dans le rapport 2020 sur l’état de droit, lors de la mise en œuvre de la réglementation propre aux médias et de la prise de décisions en matière de politique des médias, leur indépendance par rapport aux intérêts économiques et politiques a une incidence directe sur la pluralité du marché et sur l’indépendance politique de l’environnement médiatique. »

3. DROIT ComparÉ

110. La division de la recherche de la Cour s’est penchée sur les pratiques relatives au pluralisme dans les médias audiovisuels de trente‑quatre États membres du Conseil de l’Europe, à savoir : l’Albanie, l’Allemagne, Andorre, l’Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, Chypre, la Croatie, l’Espagne, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Macédoine du Nord, Malte, Monaco, le Monténégro, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la République slovaque, la République tchèque, la Roumanie, le Royaume‑Uni, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, la Turquie et l’Ukraine.

111. L’étude de droit comparé réalisée par la division de la recherche fait apparaître que l’ensemble de ces trente-quatre États contractants, sauf un (Monaco), ont un radiodiffuseur public qui est tenu à une obligation de pluralisme politique. Les radiodiffuseurs privés sont quant à eux soumis à cette exigence dans vingt États ou « entités locales » (local jurisdictions), tandis que dans quinze États ou entités ils n’y sont pas assujettis. Toutefois, même dans les États où les radiodiffuseurs privés ne sont pas astreints à une obligation de pluralisme, ils doivent respecter des exigences générales concernant la teneur de leurs programmes : ainsi, les journaux diffusés doivent présenter des informations exactes et les faits doivent y être distincts des commentaires et opinions.

112. Dans la majorité des trente-quatre États contractants étudiés, les sociétés de radiodiffusion privées doivent, pour pouvoir opérer, obtenir une licence de radiodiffusion (au sens large du terme) auprès des autorités publiques, ou au moins soumettre à celles-ci une déclaration unilatérale. Dans les pays qui imposent une obligation de pluralisme aux chaînes privées, l’État exerce généralement un contrôle en amont, lors de l’octroi de la licence, sur le contenu des programmes de télévision et de radio. Par ailleurs, il existe toujours un contrôle en aval, accompagné d’un système de sanctions qui, dans la plupart des États, prévoit la possibilité de révoquer la licence de radiodiffusion. Les sanctions pour non-respect du pluralisme politique s’avèrent toutefois exceptionnelles dans l’ensemble de l’Europe. Le 27 mars 2020, au Royaume-Uni, la High Court d’Angleterre et du pays de Galles (chambre administrative) a rendu dans l’affaire Autonomous Non‑Profit Organisation TV-Novosti un arrêt ([2020] EWHC 689) par lequel elle a écarté un recours contre une décision d’Ofcom (l’autorité régulatrice des communications au Royaume-Uni) infligeant à la chaîne Russia Today une amende de 200 000 livres pour plusieurs manquements à l’obligation d’impartialité (due impartiality). En Roumanie, un radiodiffuseur s’est vu retirer sa licence pour avoir fait de la publicité politique en dehors d’une campagne électorale ; cependant, cette sanction a été prononcée après que le radiodiffuseur était resté en défaut de payer une amende qui lui avait été infligée.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

113. La société requérante allègue que la révocation de sa licence de radiodiffusion a porté atteinte à son droit à la liberté d’expression au sens de l’article 10 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

1. Sur la recevabilité

114. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) La société requérante

115. Tout en admettant que la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 10 est applicable à la présente affaire, la société requérante argue que la révocation de sa licence s’analyse en une ingérence dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, et que cette ingérence ne se justifie pas au regard du paragraphe 2 de l’article 10. Elle distingue la présente espèce de l’affaire Demuth c. Suisse (no 38743/97, § 33, CEDH 2002‑IX), soulignant que cette dernière concernait le refus de délivrer une licence et non la révocation d’une licence valide. Elle remarque également que, dans l’affaire Demuth, le requérant envisageait de diffuser sur une chaîne de télévision des émissions consacrées à l’automobile, tandis qu’en l’espèce la chaîne NIT se concentrait sur la diffusion d’émissions d’actualité et d’analyse, dont le principal objectif était de communiquer des informations. Elle déclare encore que dans l’affaire Demuth le but des autorités suisses était d’encourager le pluralisme dans la radiodiffusion, alors qu’en l’espèce la mesure imposée visait à sanctionner NIT pour avoir accueilli le pluralisme des opinions en rendant compte aussi de celles d’un parti politique de l’opposition, et pour avoir présenté les partis au pouvoir sous un jour négatif. Elle avance enfin que les mesures en question dans l’une et l’autre affaire ont eu des conséquences différentes. Elle expose à cet égard que dans l’affaire Demuth le requérant aurait simplement eu à diversifier les programmes de sa chaîne pour obtenir une licence, tandis qu’en l’espèce la chaîne NIT a dû cesser d’émettre dès le lendemain de la mesure litigieuse.

116. La société requérante avance ensuite que cette mesure n’était pas prévue par la loi au sens de l’article 10 § 2 de la Convention. Elle indique qu’il découlait de l’article 38 § 10 du code qu’une décision du CCA imposant une sanction à un radiodiffuseur n’était exécutoire sur-le-champ que si elle n’était pas contestée. Elle fait observer que la situation en l’espèce était clairement différente, puisqu’elle avait contesté en justice la décision du CCA en date du 5 avril 2012 mais que malgré cela, la cour d’appel et la Cour suprême ont refusé d’ordonner des mesures provisoires et de suspendre l’exécution de ladite décision dans l’attente de l’issue de la procédure, ce en quoi les deux juridictions ont à son avis agi de manière illégale.

117. Par ailleurs, la société requérante avance une autre interprétation du droit interne pertinent, consistant à dire que la décision du CCA du 5 avril 2012 ne pouvait être exécutée, au plus tôt, que trente jours après son adoption. Elle invoque à cet égard l’article 40 § 5 du code, en vertu duquel toute partie intéressée pouvait contester une décision du CCA, ainsi que les articles 14 et 21 § 1 de la loi sur les procédures de justice administrative, qui indiquaient qu’un acte administratif pouvait être contesté dans un délai de trente jours et qu’un recours et une demande de suspension de l’exécution d’un tel acte pouvaient être formés en même temps.

118. La société requérante ne privilégie aucune des interprétations exposées ci-dessus mais elle plaide qu’en vertu du droit interne en vigueur la décision du CCA du 5 avril 2012 ne pouvait pas donner lieu à une exécution immédiate et que, dès lors, la cour d’appel était tenue d’accorder les mesures provisoires demandées.

119. Elle soutient que la seule interprétation possible de l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 décembre 2012 relatif à la modification de l’article 38 du code qui avait été adoptée le 29 mai 2012 (paragraphes 89-92 ci-dessus) est de dire que l’exécution immédiate de la décision du 5 avril 2012 sur le fondement de la législation alors en vigueur était aussi contraire à son droit à la propriété et à son droit à la liberté d’expression. Elle en conclut que l’ingérence dans l’exercice de ses droits que constitue l’exécution immédiate de ladite décision du CCA n’était pas prévue par la loi.

120. La société requérante plaide encore que la base légale de la révocation de sa licence soulève également un problème du point de vue de l’accessibilité, de la clarté et de la prévisibilité. Elle avance en particulier que l’article 7 § 2 du code était intrinsèquement discriminatoire, qu’il était imprévisible et que son champ d’application était incertain. Elle ajoute que cette disposition ne couvrait pas les situations dans lesquelles des personnalités ou partis politiques refusaient d’exposer leur avis lorsqu’ils y étaient invités par des journalistes de NIT. Quant à l’article 7 § 4, elle estime qu’il était contraire aux grands principes d’indépendance des journalistes. Elle considère que la loi était de piètre qualité et qu’ainsi, NIT ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce que l’on mît fin à ses activités.

121. Elle allègue également que la révocation de sa licence ne poursuivait pas les buts que constituent « la protection de la réputation ou des droits d’autrui », « la défense de l’ordre » et « la prévention du crime », ni aucun des autres buts légitimes énoncés au paragraphe 2 de l’article 10. Elle avance que le but de la mesure litigieuse était intrinsèquement punitif et qu’il ne s’agissait en réalité que d’une mesure de représailles destinée à lui faire payer ses critiques envers l’AIE et ses comptes rendus de manifestations organisées par le PCRM. Elle renvoie à ce sujet à l’arrêt du 6 décembre 2012, dans lequel à son avis la Cour constitutionnelle a conclu que l’exécution immédiate d’une sanction prononcée par le CCA ne poursuivait pas un but légitime.

122. Concernant la nécessité de l’ingérence, la société requérante soutient principalement que l’article 7 § 2 du code portait atteinte à la substance de la liberté d’expression des radiodiffuseurs, était constitutif d’une ingérence dans l’exercice du droit de communiquer des informations et des idées, mettait à mal les valeurs fondamentales du pluralisme en place dans les sociétés démocratiques et entravait le débat sur les questions d’intérêt public, et qu’en conséquence il ne cadrait pas avec la jurisprudence de la Cour relative à l’article 10 de la Convention.

123. À titre subsidiaire, elle argue qu’une restriction telle que celle prévue à l’article 7 § 2 pouvait être appliquée aux radiodiffuseurs publics, mais en aucun cas aux radiodiffuseurs privés. Elle considère que cette disposition a fait peser sur elle une charge excessive, d’autant que les personnalités politiques de premier plan se seraient montrées hostiles à NIT et auraient refusé de répondre aux questions de ses journalistes et de leur livrer des commentaires. Elle déclare que, placée dans une situation où les autres partis politiques dédaignaient la chaîne, voire se montraient agressifs envers ses journalistes, NIT ne pouvait guère faire autrement que d’accorder du temps d’antenne aux formations politiques qui coopéraient avec elle. Elle explique que la chaîne de télévision se serait trouvée privée de contenu pour ses bulletins si elle n’avait pas procédé ainsi. Elle indique qu’en tout état de cause NIT rendait compte de l’activité des partis au pouvoir et que cela est attesté par le rapport de surveillance établi par le CCA lui-même, selon lequel 46 % du contenu des bulletins d’information de la chaîne concernait l’alliance au pouvoir et seulement 20 % concernait le PCRM.

124. L’ingérence faite dans l’exercice de la liberté d’expression de la société requérante n’aurait pas été nécessaire dans une société démocratique. Elle aurait porté atteinte aux principaux fondements de la démocratie, à l’esprit de pluralisme et à l’état de droit.

125. La société requérante avance qu’après le changement de gouvernement en 2009 elle est devenue la cible de nombreuses attaques de la part du CCA. Ainsi, elle aurait été expulsée des locaux qu’elle louait dans un bâtiment public, puis les entreprises d’État auraient cessé de confier à NIT la diffusion de publicités et l’auraient privée de la possibilité de diffuser ses programmes par le câble. Elle aurait également été visée par de nombreuses plaintes émanant de personnalités politiques membres des partis au pouvoir, qui l’auraient même boycottée. De plus, elle aurait été diffamée dans les médias contrôlés par le gouvernement. NIT aurait fait l’objet de plus de dix sanctions prononcées par le CCA et serait le seul radiodiffuseur à avoir subi la révocation de sa licence. De nombreuses figures politiques connues auraient déclaré qu’il fallait fermer la chaîne. Les critiques exprimées par les journalistes de NIT à l’égard des politiques et représentants du gouvernement ne pourraient passer pour des motifs suffisants ou même pertinents propres à justifier la révocation de sa licence.

126. La société requérante relève que les juridictions internes ont jugé que les infractions aux normes juridiques commises par NIT avaient consisté à diffuser des informations sur les manifestations organisées par le PCRM. Or, estime-t-elle, on ne peut conclure si l’on visionne les bulletins d’information en cause que NIT ait tenté de porter atteinte à la sécurité nationale ou à l’intégrité territoriale du pays. Selon elle, les reportages sur les manifestations concernaient des rassemblements pacifiques dont les participants réclamaient la démission du gouvernement et la tenue de nouvelles élections, et ce n’étaient donc pas les intérêts de l’État qui étaient en jeu mais ceux de la coalition gouvernementale.

127. En outre, la société requérante avance qu’elle a été sanctionnée par le CCA sur instructions du gouvernement et que rien ne permet de dire que les sujets diffusés dans ses bulletins d’information aient eu un caractère propagandiste ou comporté des astuces de montage.

128. Elle estime que l’on ne peut pas raisonnablement considérer que la sanction infligée à NIT répondît à un besoin social impérieux. Elle ajoute que les motifs invoqués par le CCA n’étaient pas pertinents et suffisants, compte tenu de ce que l’État n’a qu’une marge d’appréciation très étroite en matière de restrictions du discours politique ou du débat sur des questions d’intérêt public.

129. Elle argue que la sanction litigieuse s’analyse en une forme de censure destinée à décourager NIT et d’autres médias de critiquer le gouvernement. Selon elle, pareille sanction est de nature à dissuader les journalistes de contribuer au débat public sur des questions touchant à la vie du pays, et entrave les médias dans l’accomplissement de leur tâche d’information et de contrôle.

130. Enfin, la société requérante estime que l’on ne peut en principe considérer que la sanction la plus sévère, consistant à révoquer la licence d’une entreprise de radiodiffusion, répond à un besoin social impérieux, relève de la marge d’appréciation laissée à l’État et est nécessaire dans une société démocratique. Elle est d’avis qu’une telle mesure est de nature à nuire au pluralisme des opinions et au principe de largeur d’idées et d’ouverture d’esprit qui caractérise les sociétés démocratiques, où, plaide-t-elle, les citoyens doivent pouvoir choisir librement les informations qu’ils souhaitent recevoir. Elle ajoute que la situation résultant de la mesure litigieuse est d’autant plus grave que NIT se faisait l’écho des opinions d’un parti de l’opposition, était importante pour une minorité linguistique et se montrait critique vis-à-vis du gouvernement.

b) Le Gouvernement

131. Le Gouvernement admet que la révocation de la licence de la société requérante est constitutive d’une ingérence dans l’exercice du droit de l’intéressée à la liberté d’expression tel que garanti par l’article 10 § 1 de la Convention.

132. Il soutient toutefois que le régime de licences qui était en place en Moldova à l’époque des faits était à même de contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes de télévision à travers les pouvoirs conférés aux autorités nationales, et qu’il cadrait avec la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 10 de la Convention. Il déclare que le code tel qu’il était alors en vigueur réglementait les droits et les obligations des radiodiffuseurs. Il indique plus particulièrement que l’article 8 § 1 du code reconnaissait le droit pour les radiodiffuseurs de choisir librement le contenu de leurs programmes et qu’en parallèle l’article 7 énonçait l’obligation pour eux de respecter le principe du pluralisme. Il ajoute que le code autorisait le CCA à surveiller la manière dont les radiodiffuseurs appliquaient le principe du pluralisme des idées et des opinions dans leurs programmes, et qu’en outre il prévoyait des sanctions pour le cas où ils manqueraient à leurs obligations, et définissait la procédure d’imposition de ces sanctions.

133. Le Gouvernement considère que le choix de la méthode à adopter en vue d’assurer le pluralisme des opinions relève de la marge d’appréciation des États. Il argue que les autorités nationales sont mieux placées qu’une juridiction internationale pour déterminer la politique à suivre en matière de pluralisme. Il souligne que le code avait été mis au point en collaboration avec le Conseil de l’Europe et l’OSCE et que ces deux organisations avaient accueilli favorablement son adoption et salué sa conformité aux normes européennes et internationales. Il appelle plus particulièrement l’attention de la Cour sur les commentaires concernant l’article 7 § 2 du code formulés par les experts du Conseil de l’Europe, qui avaient qualifié de « louables » les principes énoncés dans cette disposition (paragraphe 16 ci-dessus).

134. Il soutient que l’ingérence litigieuse était prévue par la loi, et précise que la décision du CCA du 5 avril 2012, mais aussi les arrêts rendus respectivement par la cour d’appel le 11 février 2013 et par la Cour suprême le 2 mai 2013, reposaient tous sur l’article 27 §§ 1 et 2, l’article 38 §§ 1 à 3, l’article 7 §§ 1, 2 et 4, et l’article 10 § 5 du code, ainsi que sur le point 3.1 de la licence de radiodiffusion. Il affirme que la loi était accessible, claire et prévisible quant à ses effets, et qu’elle remplissait toutes les exigences de qualité qui découlent de la jurisprudence de la Cour.

135. Il estime que le but de l’ingérence litigieuse était légitime au regard de la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 10 (paragraphe 132 ci‑dessus). Il ajoute que la révocation de la licence de NIT poursuivait également les buts légitimes prévus au paragraphe 2 de cet article, à savoir la protection de la sécurité nationale et de la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime. Il considère que NIT incitait les téléspectateurs à participer à des manifestations qui, sous l’effet des fausses informations qu’elle diffusait et du sentiment de colère qu’elle suscitait délibérément chez son public, risquaient de devenir violentes.

136. Le Gouvernement argue encore que l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique, en raison de l’existence d’un besoin social impérieux de protéger le pluralisme des opinions. Insistant sur l’importance du pluralisme dans une société démocratique, il soutient que le but poursuivi par les autorités moldaves était de proposer aux téléspectateurs une pluralité de sources et des informations reflétant une diversité de points de vue politiques, et d’empêcher que certains obtiennent un avantage indu au moyen d’un contrôle exercé sur une chaîne de télévision. Il déclare que le mécanisme mis en place par l’article 7 du code visait aussi à préserver l’impartialité et l’égalité et à assurer un débat politique de haute qualité. Il estime qu’en l’absence d’un tel mécanisme, il y aurait eu, compte tenu de la situation politique particulière de l’époque, un risque de propagande politique et d’endoctrinement, à travers la télévision, en faveur des partis politiques qui jouissaient de l’accès à une chaîne.

137. Il expose que les buts visés par l’obligation imposée aux radiodiffuseurs par l’article 7 § 2 du code – respecter un équilibre dans l’octroi de temps d’antenne aux différents partis et mouvements politiques – étaient notamment de renforcer l’intégrité du processus démocratique, de donner un cadre équitable au débat politique et public et d’empêcher les entités politiques qui auraient été en mesure d’obtenir la promotion de leurs opinions à la télévision d’obtenir des avantages indus grâce à la possibilité d’utiliser le média le plus puissant et le plus omniprésent. Il estime que tout cela contribuait à préserver l’impartialité politique de la télédiffusion. Il ajoute que cette obligation juridique imposée aux médias audiovisuels avait aussi pour but d’améliorer la qualité du débat politique en général, et il explique à cet égard que les radiodiffuseurs qui faisaient la promotion des positions de certains partis ou mouvements politiques risquaient de déformer la perception de certaines questions complexes d’intérêt général, compte tenu du puissant impact de la télévision. Il est d’avis que l’affaire de la société requérante en est un parfait exemple. Il soutient enfin que l’article 7 § 2 du code était aussi important en ce qu’il permettait aux partis ou mouvements politiques plus modestes de présenter au plus grand nombre leurs opinions sur des questions d’intérêt public, ce qui selon lui améliorait encore le processus démocratique, en offrant à ces formations un niveau d’attention dans le paysage audiovisuel national, dont elles n’auraient peut-être pas bénéficié dans d’autres conditions.

138. Le Gouvernement déclare par ailleurs qu’en l’espèce, il fallait protéger le public de l’effet négatif des pratiques journalistiques partiales de NIT. Il indique en particulier que le public devait être préservé des informations trompeuses et mensongères, des appels à la haine et de la xénophobie que diffusait selon lui la chaîne. À cet égard, le Gouvernement souligne que les juridictions nationales ont établi que les bulletins d’information de NIT avaient rendu compte des manifestations organisées par le PCRM, lors desquelles avaient été proférés des appels à bafouer l’ordre public ainsi que des déclarations constitutives d’appels à la division, à l’intolérance et même à la haine envers la Roumanie et l’UE, frisant la xénophobie. Il estime que, comme dans l’affaire Sürek c. Turquie (no 1) ([GC], no 26682/95, § 61, CEDH 1999‑IV), la partie requérante a incité le public à la violence et favorisé l’hostilité entre différents groupes sociaux et politiques, mettant ainsi en péril la démocratie elle-même.

139. Il estime que le moyen d’expression employé par la société requérante constitue un autre facteur dont il importe de tenir compte pour se prononcer sur la nécessité de l’ingérence. Il fait observer que les médias audiovisuels ont un impact plus immédiat et plus puissant que la presse écrite et remarque que non seulement la chaîne NIT était un média audiovisuel mais de plus elle utilisait une fréquence offrant une couverture nationale, ce qui selon lui augmentait considérablement l’impact du contenu de ses émissions.

140. Il déclare en outre que certains des propos tenus dans les bulletins d’information de NIT n’étaient ni plus ni moins que des injures personnelles, et qu’aucune des personnes critiquées ne s’est jamais vu accorder de droit de réponse. Il a communiqué les copies de plus de vingt‑cinq plaintes déposées auprès du CCA par des personnalités et partis politiques, des particuliers et des organisations non gouvernementales du secteur des médias, plaintes dans lesquelles la chaîne NIT était accusée de désinformation et de non-respect des règles relatives au pluralisme et à l’impartialité journalistique. Il fait aussi état de cas dans lesquels certains politiciens auraient été injuriés, se voyant traités de « criminels », de « dictateurs », de « traîtres » et d’« usurpateurs », entre autres insultes.

141. Le Gouvernement expose encore que la nécessité de l’ingérence tenait en l’espèce au caractère répété des infractions commises par la société requérante. Il indique qu’en l’espace de trois ans celle-ci a été sanctionnée plus de onze fois pour des infractions similaires, c’est-à-dire pour avoir mis en avant la position d’un seul parti politique dans ses bulletins d’information et pour s’être refusée à présenter également les opinions d’autres partis, comme l’exigeait la loi. Il ajoute que la société requérante n’a même pas contesté toutes les sanctions prononcées contre elle et qu’elle a préféré payer les amendes et continuer à enfreindre la loi. Il explique que, l’ensemble des sanctions susmentionnées n’ayant pas suffi à la convaincre de se conformer à la loi, le CCA n’a pas eu d’autre solution que de prendre une mesure de dernier recours. Il argue que, si les autorités n’avaient pas infligé à la société requérante la sanction la plus sévère après que toutes les autres s’étaient avérées inefficaces, la collectivité et les autres radiodiffuseurs auraient pu en déduire que le non‑respect de la loi était toléré, ce qui n’aurait pas été un bon message.

142. Par ailleurs, le Gouvernement indique que la société requérante avait la possibilité de demander une nouvelle licence au terme d’une période de douze mois à compter de la révocation, et qu’elle ne s’en est pas prévalue mais a préféré continuer à diffuser sur Internet. Il précise que, jusqu’à la fin de l’année 2014, elle a publié régulièrement des actualités et des vidéos sur sa chaîne YouTube.

143. Le Gouvernement conclut que les autorités ont ménagé un juste équilibre entre, d’une part, l’intérêt général consistant à promouvoir le pluralisme des opinions et, d’autre part, le droit pour NIT de communiquer des informations.

2. Appréciation de la Cour

a) Observation préliminaire

144. La Cour observe d’emblée que, dans la requête qu’elle a introduite en vertu de la Convention, la société requérante se plaignait de la décision par laquelle sa licence de radiodiffusion avait été révoquée ainsi que de la procédure qui avait abouti à cette décision mais qu’ensuite, au cours de la procédure, elle s’est plainte aussi des sanctions qui lui avaient été infligées avant la mesure de révocation.

145. La Cour rappelle qu’elle ne peut pas se prononcer sur la base de faits non mentionnés dans le grief car cela reviendrait à statuer au-delà de l’objet de l’affaire ou, autrement dit, à trancher des questions qui ne lui auraient pas été « soumises » au sens de l’article 32 de la Convention (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

146. Elle considère donc qu’elle ne peut pas examiner les sanctions qui ont été infligées à la société requérante avant le 5 avril 2012. Toutefois, elle en tiendra compte pour déterminer si la révocation de la licence de radiodiffusion était conforme aux exigences de la Convention que la société requérante invoque dans le cadre de ses griefs.

147. Elle observe par ailleurs que la société requérante ne conteste pas seulement la mesure en elle-même, notamment sa nécessité, mais soutient aussi que certaines dispositions du code ne sont pas compatibles avec l’article 10 de la Convention.

148. La Cour estime donc qu’en l’espèce l’obligation négative qui imposait à l’État de ne pas commettre d’ingérence est liée à la question de savoir s’il a satisfait à son obligation positive de mettre en place un cadre juridique et administratif propre à garantir le pluralisme des médias (paragraphes 184-186 et 198-209 ci-dessous).

149. C’est en tenant compte de cette considération qu’elle examinera les circonstances particulières de l’espèce.

b) Sur l’existence d’une ingérence

150. Les parties s’accordent à dire que la mesure de révocation de la licence de radiodiffusion de la société requérante s’analyse en une ingérence dans l’exercice par celle-ci de son droit à la liberté d’expression au sens du premier paragraphe de l’article 10 de la Convention (paragraphes 115 et 131 ci-dessus) Elle ne voit aucune raison d’en juger autrement.

151. Pareille ingérence enfreint l’article 10, sauf si elle était « prévue par la loi », poursuivait un ou plusieurs des buts légitimes visés dans cet article et était « nécessaire, dans une société démocratique », pour les atteindre.

c) Sur le caractère pertinent, en l’espèce, de la troisième phrase de l’article 10 § 1

152. Les parties s’accordent à dire que la mesure de révocation de la licence de radiodiffusion de la société requérante doit être examinée sous l’angle de la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 10 (paragraphes 115 et 132 ci-dessus). La Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement.

153. Elle rappelle à cet égard que la troisième phrase de ce paragraphe a pour objet et pour but de préciser que les États peuvent réglementer, par un système de licences, l’organisation de la radiodiffusion sur leur territoire, en particulier ses aspects techniques. Pour importants que soient ces derniers, d’autres considérations peuvent, elles aussi, conditionner l’octroi ou le refus d’une licence, dont celles qui concernent la nature et les objectifs d’une future station, ses possibilités d’insertion au niveau national, régional ou local, les droits et besoins d’un public donné, ainsi que les obligations issues d’instruments juridiques internationaux. Il peut en résulter des ingérences dont le but, légitime au regard de la troisième phrase du paragraphe 1, ne coïncide pourtant pas avec l’une des fins que vise le paragraphe 2. La conformité avec la Convention de telles ingérences doit néanmoins s’apprécier à la lumière des autres exigences du paragraphe 2 (Informationsverein Lentia et autres c. Autriche, 24 novembre 1993, § 32, série A no 276, Demuth, précité, § 33, et Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 139, CEDH 2012).

154. La Cour peut souscrire à l’avis de la société requérante selon lequel les circonstances et le contexte factuels de la présente espèce sont quelque peu différents de ceux propres à l’affaire Demuth (arrêt précité). Elle ne voit toutefois aucune raison de considérer que les principes énoncés dans sa jurisprudence et rappelés ci-dessus ne sont pas applicables à la présente espèce. À cet égard, elle observe qu’en Moldova la diffusion d’émissions de télévision était au moment des faits subordonnée à l’obtention d’une licence auprès du CCA, conformément à l’article 23 du code. Cet article contenait également diverses instructions concernant les objectifs, les fonctions et le contenu des programmes de télévision (paragraphe 85 ci-dessus). Ainsi, le système de licences existant en Moldova était apte à contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes à travers les pouvoirs conférés à l’État. Il était donc compatible avec la troisième phrase du paragraphe 1 (Demuth c. Suisse, précité, § 34).

155. Dans la mesure où la société requérante conteste les motifs avancés pour justifier la révocation de sa licence de télédiffusion, il reste toutefois à déterminer si l’ingérence litigieuse répondait aux autres conditions pertinentes prévues au paragraphe 2 de l’article 10 (voir le paragraphe 151 ci‑dessus, et Demuth, précité, § 35).

d) Sur le point de savoir si l’ingérence était prévue par la loi

156. La société requérante et le Gouvernement divergent sur le point de savoir si l’ingérence faite dans l’exercice par la société requérante de sa liberté d’expression était « prévue par la loi » (paragraphes 116-120 et 134 ci‑dessus).

1. Les principes généraux

157. En ce qui concerne l’expression « prévue par la loi » qui figure aux articles 8 à 11 de la Convention, la Cour a toujours entendu le terme « loi » dans son acception « matérielle » et non « formelle ». La « loi » doit s’entendre comme englobant le texte écrit – comprenant aussi bien des textes de rang infralégislatif que des actes réglementaires pris par un ordre professionnel, par délégation du législateur, dans le cadre de son pouvoir normatif autonome – et le « droit élaboré » par les juges. En résumé, la « loi » est le texte en vigueur tel que les juridictions compétentes l’ont interprété (voir, mutatis mutandis, Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 88, CEDH 2005‑XI, avec d’autres références ; Sanoma Uitgevers B.V. c. Pays-Bas [GC], no 38224/03, § 83, 14 septembre 2010, et Unifaun Theatre Productions Limited et autres c. Malte, no 37326/13, § 79, 15 mai 2018).

158. La Cour rappelle par ailleurs que les mots « prévue par la loi » contenus au deuxième paragraphe de l’article 10 non seulement imposent que la mesure incriminée ait une base légale en droit interne, mais visent aussi la qualité de la loi en cause : ainsi, celle-ci doit être accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets (voir, parmi d’autres, Maestri c. Italie [GC], no 39748/98, § 30, CEDH 2004‑I, Delfi AS c. Estonie [GC], no 64569/09, § 120, CEDH 2015, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy c. Finlande [GC], no 931/13, § 142, 27 juin 2017).

159. En ce qui concerne l’exigence de prévisibilité, la Cour a dit à maintes reprises qu’on ne peut considérer comme une « loi » au sens de l’article 10 § 2 qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au justiciable de régler sa conduite. En s’entourant au besoin de conseils éclairés, celui-ci doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences qui peuvent découler d’un acte déterminé. Ces conséquences ne doivent pas nécessairement être prévisibles avec une certitude absolue. Ainsi, ne méconnaît pas, en elle-même, l’exigence de prévisibilité une loi qui, tout en conférant un pouvoir d’appréciation, en précise l’étendue et les modalités d’exercice avec assez de netteté, compte tenu du but légitime poursuivi, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie [GC], no 201/17, § 94, 20 janvier 2020). La certitude, bien que souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit pouvoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois emploient‑elles, par la force des choses, des formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano, précité, § 141, Delfi AS, précité, § 121, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 143). Par ailleurs, la Cour a conscience de ce qu’il faut bien qu’une norme juridique donnée soit un jour appliquée pour la première fois (Kudrevičius et autres c. Lituanie [GC], no 37553/05, § 115, CEDH 2015, et Magyar Kétfarkú Kutya Párt, précité, § 97).

160. La fonction de décision confiée aux tribunaux nationaux sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes ; le pouvoir qu’a la Cour de contrôler le respect du droit interne est donc limité, puisqu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi d’autres, Kudrevičius et autres, précité, § 110, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 144). Sauf si l’interprétation retenue est arbitraire ou manifestement déraisonnable, la tâche de la Cour se limite à déterminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (Radomilja et autres, § 149, précité, et Centre pour la démocratie et l’état de droit c. Ukraine, no 10090/16, § 108, 26 mars 2020, avec d’autres références). Par ailleurs, ce n’est pas à la Cour de se prononcer sur l’opportunité des techniques choisies par le législateur d’un État défendeur pour réglementer tel ou tel domaine ; son rôle se limite à vérifier si les méthodes adoptées et les conséquences qu’elles entraînent sont en conformité avec la Convention (Gorzelik et autres c. Pologne [GC], no 44158/98, § 67, CEDH 2004‑I, et Delfi AS, précité, § 127). De plus, le niveau de précision de la législation interne – qui ne peut prévoir toutes les hypothèses – dépend dans une large mesure du contenu de la loi en question, du domaine qu’elle est censée couvrir et du nombre et du statut de ceux à qui elle s’adresse (Delfi AS, précité, § 122, Kudrevičius et autres, précité, § 110, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 144).

161. Aussi peut-on attendre des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier, qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (Delfi AS, précité, § 122, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 145, avec d’autres références).

2. Application de ces principes au cas d’espèce

162. Concernant l’existence d’une base légale pour l’ingérence litigieuse en l’espèce, la Cour ne voit pas de raison de remettre en cause la conclusion des autorités nationales selon laquelle la révocation de la licence de la société requérante avait une base en droit interne, à savoir les articles 7, 10, 27 et 38 du code, ainsi qu’il ressort du point 3.1 de la licence de radiodiffusion (paragraphes 43 et 85 ci-dessus).

163. Pour ce qui est de l’argument de la société requérante selon lequel la base légale de la révocation de sa licence, ou une partie de cette base légale, n’était pas accessible, la Cour rappelle que la Convention ne renferme aucune exigence spécifique quant au niveau de publicité à donner à une disposition de loi en particulier (Špaček, s.r.o., c. République tchèque, no 26449/95, § 57, 9 novembre 1999). Elle relève à cet égard que la société requérante n’a jamais prétendu avoir été dans l’impossibilité d’accéder au texte même de la licence de radiodiffusion dont elle était titulaire ou à ses différentes clauses. Elle n’a jamais affirmé non plus, concrètement, ni tenté de prouver, que le code ne fût pas public et consultable dans la principale base de données sur la législation nationale, qui est une source d’informations facile d’accès non seulement pour un opérateur de télévision professionnel mais aussi pour tout un chacun.

164. Dans ces conditions, la Cour ne peut souscrire à l’argument de la société requérante selon lequel la base légale invoquée par les autorités nationales à l’appui de la révocation de la licence n’était pas accessible.

165. S’agissant de la prévisibilité de la législation nationale ainsi que de son interprétation et de son application par les juridictions internes, la Cour observe que les termes employés dans le code étaient plutôt clairs : le code disposait i) que les radiodiffuseurs étaient tenus d’observer le principe du pluralisme politique dans leurs programmes – par le maintien d’un équilibre dans l’octroi de temps d’antenne aux différents partis et mouvements politiques –, et les principes de l’objectivité et de l’impartialité dans leurs programmes d’information, où ils devaient garantir l’exactitude, éviter que l’actualité ne fût présentée de manière déformée, et respecter les principes de pluralité des sources d’information pour les sujets relatifs à des situations conflictuelles ; ii) que le CCA surveillait la façon dont les radiodiffuseurs privés et publics se conformaient aux obligations énoncées dans leurs licences de radiodiffusion, et contrôlait l’exactitude et le contenu de leurs programmes ; iii) que si un radiodiffuseur venait à enfreindre les règles juridiques applicables, le CCA appliquait l’une des cinq sanctions prévues dans le code, parmi lesquelles figurait la révocation de la licence ; iv) que le CCA était tenu d’appliquer les sanctions de manière progressive, en respectant un certain ordre initial ; v) que la licence de radiodiffusion ne devait être révoquée qu’en cas d’infraction grave et répétée aux dispositions du code et uniquement après épuisement des autres sanctions possibles ; vi) que les décisions du CCA devenaient applicables à la date de leur publication au Journal officiel de la République de Moldova ; et vii) qu’une décision du CCA imposant une sanction valait titre exécutoire.

166. La Cour considère que le code n’était pas trop imprécis pour permettre à NIT de régler sa conduite. Dans une situation où les autorités nationales jouissent d’une certaine latitude sur de telles questions, elle n’estime pas déraisonnable que l’on puisse attendre d’un radiodiffuseur professionnel – ce qui était le cas de NIT – qu’il agisse avec prudence dans l’exercice de son activité, qu’il accorde un surcroît de soin à l’appréciation des risques engendrés par cette activité et que, après avoir été sanctionné, il fasse le nécessaire pour réduire les risques correspondants.

167. Dans le cas présent, les infractions répétées de NIT à l’article 7 du code ont conduit le CCA à appliquer successivement chacun des cinq types de sanctions prévus à l’article 38 du code. Ont ainsi été infligés un avertissement public, le retrait pour une période donnée du droit de diffuser des publicités, puis une amende. Le CCA a ensuite progressivement alourdi les sanctions, imposant à la chaîne la suspension pour une période donnée du droit d’émettre, et finalement la révocation de sa licence (paragraphes 29 et 40-43 ci-dessus). La Cour ne décèle donc dans la conduite du CCA aucun élément donnant à penser que la manière dont cet organe a exercé son pouvoir d’appréciation en l’espèce pourrait être tenue pour imprévisible au regard du code.

168. La société requérante avance que le droit national pertinent interdisait au CCA de faire exécuter une sanction immédiatement, sans attendre le dénouement d’un recours pendant devant un tribunal, et de prononcer une nouvelle sanction avant que les juridictions nationales eussent statué par un jugement définitif sur la légalité de la sanction précédente. Elle affirme aussi qu’il imposait aux juridictions nationales, lorsque des sanctions étaient contestées, d’accorder à l’intéressé des mesures provisoires dans l’attente de l’issue de son recours. La Cour n’est pas convaincue par ces allégations. À cet égard, elle observe que l’on ne peut pas dire qu’elles soient expressément confirmées par une quelconque disposition du code ou de la loi sur les procédures de justice administrative. L’article 38 § 10 du code disposait certes qu’une sanction imposée par le CCA valait titre exécutoire si elle n’avait pas été contestée dans le délai prévu, mais l’article 40 § 3 du code précisait que les décisions du CCA devenaient applicables à la date de leur publication au Journal officiel de la République de Moldova. Par ailleurs, l’article 21 de la loi sur les procédures de justice administrative offrait un recours permettant de demander la suspension de l’exécution d’un acte administratif et habilitait les juridictions à ordonner pareille mesure. Cette disposition semble donc infirmer l’argument par lequel la société requérante affirme que la décision du CCA ne pouvait pas donner lieu à une exécution immédiate et que les juridictions avaient l’obligation légale d’accorder des mesures provisoires.

169. Quoi qu’il en soit, la Cour note qu’il ressort des éléments dont elle dispose que les autorités nationales, notamment les autorités judiciaires, ont constamment considéré dans leur interprétation et leur application du droit pertinent tel qu’en vigueur au 5 avril 2012 que les décisions du CCA étaient exécutoires immédiatement après leur publication au Journal officiel. Compte tenu du caractère limité de son rôle, par rapport à celui des autorités et juridictions nationales, dans l’interprétation et l’application du droit interne (paragraphe 160 ci-dessus), la Cour ne voit pas de raison de remettre en cause le rejet par lesdites autorités de l’argument que la société requérante tirait de la loi sur l’encadrement de l’activité entrepreneuriale (paragraphes 70 et 77 ci‑dessus). De plus, il apparaît que le CCA pouvait appliquer la sanction suivante avant que les juridictions nationales eussent statué par une décision définitive sur la légalité de la sanction précédente, et que les tribunaux étaient libres d’octroyer ou non des mesures provisoires dans l’attente de l’issue d’une procédure de recours contre une sanction (paragraphes 29, 54, 65 et 66 ci-dessus). Il apparaît également qu’à partir de novembre 2010 au moins, la société requérante savait ou aurait dû savoir que les autorités interprétaient la loi, et l’appliquaient concrètement, de telle manière que les décisions du CCA étaient exécutées immédiatement après leur publication et les juges étaient libres d’octroyer ou non des mesures provisoires dans ce contexte (paragraphe 29 ci-dessus).

170. Dans la mesure où la société requérante invoque l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 6 décembre 2012 pour étayer les allégations mentionnées ci-dessus, la Cour rappelle que la haute juridiction a déclaré inconstitutionnelle une modification de l’article 38 du code qui était entrée en vigueur en mai 2012. Comme la cour d’appel l’a souligné dans la présente affaire, selon la législation nationale pertinente l’arrêt de la Cour constitutionnelle n’était pas rétroactif ; il n’avait d’effet que pour l’avenir. Il était donc impropre à produire des effets juridiques sur le droit et la pratique en vigueur au 5 avril 2012, date à laquelle le CCA avait décidé de révoquer la licence de la société requérante, et sur la procédure judiciaire dans le cadre de laquelle la légalité de cette décision a ensuite été examinée (paragraphe 71 ci-dessus). Ce point a du reste été confirmé dans un communiqué de presse publié par la Cour constitutionnelle le jour où elle a statué, qui précisait que les dispositions examinées dans l’arrêt de la haute juridiction n’étaient entrées en vigueur qu’en mai 2012 et qu’elles n’étaient pas applicables à l’époque de la décision du CCA concernant la révocation de la licence de NIT (paragraphe 95 ci-dessus).

171. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le droit national pertinent en la matière et applicable dans la cause de la société requérante était formulé de manière suffisamment claire pour satisfaire aux exigences de précision et de prévisibilité qui découlent de l’article 10 § 2 de la Convention.

172. Partant, la Cour conclut que l’ingérence litigieuse était « prévue par la loi ».

e) Sur le point de savoir si l’ingérence poursuivait un but légitime

173. Les parties sont en désaccord sur le point de savoir si l’ingérence poursuivait l’un des buts légitimes visés au paragraphe 2 de l’article 10 (paragraphes 121 et 135 ci-dessus).

174. La Cour a admis que la capacité d’un régime national d’autorisations à contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes constitue un but légitime suffisant pour justifier une ingérence au regard de la troisième phrase du paragraphe 1 de l’article 10, même si ce but ne coïncide pas directement avec l’une des fins énumérées au paragraphe 2 de l’article 10 (Demuth, précité, § 37). Elle a par ailleurs reconnu que des ingérences visant à préserver l’impartialité de la radiodiffusion sur les questions d’intérêt public correspondent au but légitime consistant à protéger les « droits d’autrui », mentionné au paragraphe 2 de l’article 10 (Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 78, CEDH 2013 (extraits)). En outre, elle a admis que c’est ce même but qui est poursuivi à travers des mesures destinées à garantir le droit des téléspectateurs à un traitement équilibré et impartial des questions d’intérêt public dans les programmes d’information (ATV Zrt c. Hongrie, no 61178/14, § 39, 28 avril 2020).

175. En l’espèce, la Cour a déjà constaté que le système de licences du Moldova était apte à contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes dans le pays (paragraphe 154 ci-dessus). De plus, la nécessité de préserver l’accès du public à un discours politique impartial, digne de foi et diversifié par l’intermédiaire de programmes d’information télévisés se trouvait au cœur de la décision prise par les autorités nationales de confirmer la sanction infligée à la société requérante le 5 avril 2012 (paragraphe 61 ci-dessus). La Cour ne décèle rien qui indique que le but de la mesure incriminée en l’espèce fût « intrinsèquement punitif », comme l’a avancé la société requérante. Dans ces conditions, malgré les arguments qu’avance la société requérante pour soutenir la thèse inverse, la Cour estime établi que le but de l’ingérence litigieuse était légitime au regard de la troisième phrase du premier paragraphe de l’article 10. Elle est disposée à admettre que cette ingérence correspondait aussi au but légitime consistant à protéger les « droits d’autrui », mentionné au deuxième paragraphe de l’article 10.

176. En revanche, elle n’est pas convaincue par la thèse du Gouvernement selon laquelle la mesure litigieuse aurait été appliquée dans l’intérêt de la « sécurité nationale » ou de la « sûreté publique », ou pour la « défense de l’ordre » (paragraphe 135 ci-dessus).

f) Sur le point de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique

1. Les principes généraux relatifs à la liberté d’expression

α) Sur la condition de « nécessité dans une société démocratique »

177. Les principes généraux sur la base desquels s’apprécie la « nécessité dans une société démocratique » d’une ingérence donnée sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et se résument comme suit (voir, parmi beaucoup d’autres, Animal Defenders International, précité, § 100, Delfi AS, précité, § 131, et Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 132, 17 mai 2016) :

« i. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l’article 10, elle vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique ». Telle que la consacre l’article 10, elle est assortie d’exceptions qui appellent toutefois une interprétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante (...)

ii. L’adjectif « nécessaire », au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux ». Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une « restriction » se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

iii. La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était « proportionnée au but légitime poursuivi » et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (...) Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents (...) »

β) Les principes généraux relatifs au traitement journalistique de thèmes politiques et d’autres questions d’intérêt public, notamment dans les médias audiovisuels

178. La Cour doit faire preuve de la plus grande prudence lorsque les mesures prises ou les sanctions infligées par l’autorité nationale sont de nature à dissuader la presse de participer à la discussion de problèmes d’un intérêt général légitime (Jersild c. Danemark, 23 septembre 1994, § 35, série A no 298, Bergens Tidende et autres c. Norvège, no 26132/95, § 52, CEDH 2000‑IV, Tønsbergs Blad A.S. et Haukom c. Norvège, no 510/04, § 88, 1er mars 2007, et Björk Eiðsdóttir c. Islande, no 46443/09, § 69, 10 juillet 2012 ; comparer avec MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011, Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, §§ 106-107, CEDH 2012, et Axel Springer AG c. Allemagne [GC], no 39954/08, §§ 87‑88, 7 février 2012). L’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt général (Sürek, précité, § 61).

179. L’article 10 de la Convention ne garantit toutefois pas une liberté d’expression sans aucune restriction même quand il s’agit de rendre compte dans la presse de questions sérieuses d’intérêt général (Bladet Tromsø et Stensaas c. Norvège [GC], no 21980/93, § 65, CEDH 1999-III).

180. Le droit pour les journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général est protégé dès lors que les intéressés agissent de bonne foi sur la base de faits exacts et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de la déontologie journalistique (voir, par exemple, Goodwin c. Royaume-Uni, 27 mars 1996, § 39, Recueil des arrêts et décisions 1996‑II, Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 54, CEDH 1999‑I, Bladet Tromsø et Stensaas, précité, § 65, McVicar c. Royaume-Uni, no 46311/99, § 73, CEDH 2002-III, et Pedersen et Baadsgaard c. Danemark [GC], no 49017/99, § 78, CEDH 2004‑XI) ou, en d’autres termes, dans le respect des principes d’un journalisme responsable (Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 50, 29 mars 2016).

181. Ces considérations jouent un rôle particulièrement important de nos jours, vu le pouvoir qu’exercent les médias dans la société moderne, car non seulement ils informent, mais ils peuvent en même temps suggérer, par la façon de présenter les informations, comment les destinataires devraient les apprécier. Dans un monde où l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue (Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 104, CEDH 2007‑V).

182. S’agissant des « devoirs et responsabilités » d’un journaliste, l’impact potentiel du moyen d’expression concerné doit être pris en considération dans l’examen de la proportionnalité de l’ingérence. Dans ce contexte, la Cour a expliqué qu’il faut tenir compte du fait que les médias audiovisuels ont des effets beaucoup plus immédiats et puissants que la presse écrite (Jersild, précité, § 31, et Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 39, CEDH 2004-II). Par les images, les médias audiovisuels peuvent transmettre des messages que l’écrit n’est pas apte à faire passer (Jersild, précité, § 31). La fonction de la télévision et de la radio, sources familières de divertissement au cœur de l’intimité du téléspectateur ou de l’auditeur, renforce encore leur impact (Murphy c. Irlande, no 44179/98, § 74, CEDH 2003-IX (extraits)).

183. Dans le même temps, un compte rendu objectif et équilibré peut emprunter des voies fort diverses en fonction entre autres du moyen de communication dont il s’agit. Il n’appartient pas à la Cour, ni aux juridictions nationales d’ailleurs, de se substituer à la presse pour dire quelle technique de compte rendu les journalistes doivent adopter. À cet égard, la Cour rappelle que, outre la substance des idées et informations exprimées, l’article 10 protège leur mode d’expression (Jersild, précité, § 31 ; voir aussi Stoll, précité, § 146, et Gaunt c. Royaume-Uni (déc.), no [26448/12](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2226448/12%22%5D%7D), § 47, 6 septembre 2016).

γ) Les principes généraux relatifs au pluralisme dans les médias audiovisuels

184. La Cour souligne que le rôle particulier de la presse dans la communication d’informations et d’idées sur des thèmes politiques et d’autres sujets d’intérêt général, auxquelles le public peut d’ailleurs prétendre (Manole et autres, précité, § 96), ne saurait être assuré s’il ne se fonde pas sur le pluralisme, dont l’État est l’ultime garant (Informationsverein Lentia et autres, précité, § 38). Le monopole public impose les restrictions les plus fortes à la liberté d’expression, à savoir l’impossibilité totale de s’exercer autrement que par l’intermédiaire d’une station nationale et le cas échéant, de façon très réduite, par une station câblée locale. Eu égard à leur radicalité, pareilles restrictions ne sauraient se justifier qu’en cas de nécessité impérieuse (ibidem, § 39).

185. La Cour réaffirme qu’il n’est pas de démocratie sans pluralisme. La démocratie se nourrit de la liberté d’expression. Il est de son essence de permettre la proposition et la discussion de projets politiques divers, même ceux qui remettent en cause le mode d’organisation actuel d’un État, pourvu qu’ils ne visent pas à porter atteinte à la démocratie elle-même. Dans une société démocratique, il ne suffit pas, pour assurer un véritable pluralisme dans le secteur de l’audiovisuel, de prévoir l’existence de plusieurs chaînes ou la possibilité théorique pour des opérateurs potentiels d’accéder au marché de l’audiovisuel. Encore faut-il permettre un accès effectif à ce marché, de façon à assurer dans le contenu des programmes considérés dans leur ensemble une diversité qui reflète autant que possible la variété des courants d’opinion qui traversent la société à laquelle s’adressent ces programmes (Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano, précité, §§ 129-130).

186. Eu égard aux effets puissants des médias audiovisuels (paragraphe 182 ci-dessus), la Cour rappelle qu’une situation dans laquelle une fraction économique ou politique de la société peut obtenir une position dominante à l’égard des médias audiovisuels, et exercer ainsi une pression sur les diffuseurs pour finalement restreindre leur liberté éditoriale, porte atteinte au rôle fondamental de la liberté d’expression dans une société démocratique. Dans un secteur aussi sensible que celui des médias audiovisuels, au devoir négatif de non-ingérence s’ajoute pour l’État l’obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif approprié pour garantir un pluralisme effectif. Cela est d’autant plus important lorsque le système audiovisuel national se caractérise par une situation de duopole. Les États membres doivent adapter les cadres de régulation existants, en particulier en ce qui concerne la propriété des médias, et adopter les mesures réglementaires et financières qui s’imposent en vue de garantir la transparence et le pluralisme structurel des médias ainsi que la diversité des contenus diffusés par ceux-ci (ibidem, §§ 133‑134).

δ) Sur la nécessité de développer la jurisprudence de la Cour concernant le pluralisme des médias

187. La Cour observe que cet aperçu de la jurisprudence fait apparaître que les normes actuelles sur le pluralisme des médias ont été élaborées principalement, voire exclusivement, dans un contexte où étaient soulevés des griefs relatifs à une ingérence injustifiée d’un État dans l’exercice par un requérant des droits découlant de l’article 10, et où la Cour s’est fondée notamment sur le principe de pluralisme des médias pour constater une violation. Cette jurisprudence montre que ce principe est jugé crucial pour la protection effective de la liberté des médias au regard de la Convention.

188. Dans la présente affaire, c’est l’autre facette du pluralisme des médias qui est en jeu, puisque la société requérante se plaint qu’on ait restreint sa liberté d’expression au nom de la garantie du pluralisme politique dans les médias, afin de favoriser la diversité dans l’expression de l’opinion politique et de renforcer la protection de l’intérêt d’autrui à la liberté d’expression dans les médias audiovisuels. En d’autres termes, l’espèce soulève la question du juste équilibre à ménager entre des intérêts concurrents relatifs à la liberté d’expression, à savoir d’un côté l’intérêt de la collectivité à protéger le pluralisme politique dans les médias et, de l’autre, l’intérêt lié au respect du principe de la liberté éditoriale.

189. Une autre spécificité de cette affaire réside dans l’importance que le cadre juridique national pertinent accorde au pluralisme interne, c’est-à-dire à l’obligation que l’article 7 § 2 du code fait peser sur les radiodiffuseurs de présenter de manière équilibrée divers points de vue politiques, sans favoriser tel ou tel parti ou mouvement politique. Les affaires susmentionnées, au contraire, concernaient plutôt ce que l’on peut qualifier de questions de pluralisme externe (monopole, duopole et autres situations de domination ; paragraphe 101 ci-dessus).

190. L’espèce offre à la Cour l’occasion de préciser qu’aucune des deux dimensions du pluralisme – interne et externe – ne doit être considérée séparément de l’autre. Elles doivent au contraire être envisagées ensemble, combinées l’une à l’autre. Ainsi, dans le cadre d’un régime national de licences auquel sont parties prenantes un certain nombre de radiodiffuseurs assurant une couverture nationale, ce qui peut être tenu pour un manque de pluralisme interne dans les programmes proposés par un radiodiffuseur peut être compensé par l’existence d’un pluralisme externe effectif. Toutefois, comme la Cour l’a dit dans l’arrêt Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano (précité), il ne suffit pas de prévoir l’existence de plusieurs chaînes. Du reste, comme l’indique la Recommandation du Comité des Ministres CM/Rec(2007)2 sur le pluralisme des médias et la diversité du contenu des médias (citée au paragraphe 99 ci-dessus), « [l]e pluralisme de l’information et la diversité du contenu des médias ne seront pas automatiquement garantis par la multiplication des moyens de communication à la disposition du public ». Encore faut-il assurer dans le contenu des programmes considérés dans leur ensemble une diversité qui reflète autant que possible la variété des courants d’opinion qui traversent la société à laquelle s’adressent ces programmes (paragraphe 185 ci-dessus). Il existe différentes manières d’obtenir une diversité globale des programmes au sein de l’espace européen. En témoigne le fait que les radiodiffuseurs publics sont soumis à une obligation de pluralisme politique dans la quasi-totalité des trente-quatre États contractants étudiés, tandis que les radiodiffuseurs privés sont assujettis à une telle obligation dans vingt États ou « entités locales » concernés mais non dans les quinze autres (paragraphes 111-112 ci-dessus). Il apparaît donc qu’un certain nombre de régimes nationaux de licences ont tendance à miser sur la diversité des perspectives proposées par les différents opérateurs titulaires de licences, combinée avec des garanties structurelles et des obligations générales d’impartialité, tandis que d’autres régimes nationaux posent des obligations de pluralisme interne plus strictes basées sur le contenu. L’article 10 de la Convention n’impose pas de modèle particulier à cet égard.

191. Cette affaire est aussi l’occasion de répondre à la question de savoir si la position privilégiée qu’occupe la liberté de la presse dans le traitement de thèmes politiques et d’autres sujets d’intérêt public implique que le contrôle strict généralement applicable à toute restriction imposée par un État contractant doive limiter en conséquence le pouvoir d’appréciation laissé à l’État pour choisir les moyens d’assurer le pluralisme politique au niveau de l’octroi de licences aux médias audiovisuels.

192. À ce sujet, la Cour a déjà reconnu que, dans un secteur aussi sensible que celui des médias audiovisuels, l’État est tenu à une obligation positive de mettre en place un cadre législatif et administratif approprié pour garantir un pluralisme réel et effectif (paragraphe 186 ci‑dessus). Elle a également admis que, en matière de diffusion audiovisuelle, l’État a l’obligation de garantir d’une part l’accès du public, par l’intermédiaire de la télévision, à des informations impartiales et exactes ainsi qu’à une pluralité d’opinions et de commentaires reflétant notamment la diversité des opinions politiques dans le pays, et d’autre part la protection des journalistes et des autres professionnels des médias audiovisuels contre les entraves à la communication de ces informations et commentaires. Le choix des moyens par lesquels ces buts doivent être atteints varie en fonction des conditions locales et relève donc de la marge d’appréciation de l’État (Manole et autres, précité, § 100).

193. Concernant l’étendue de la marge d’appréciation, la Cour rappelle que, compte tenu du caractère pluridimensionnel et de la complexité extrême des questions touchant au pluralisme des médias (paragraphes 106-108 ci‑dessus), les États contractants peuvent recourir à un éventail de moyens pour réglementer un pluralisme effectif dans le secteur de la diffusion audiovisuelle (paragraphes 107-108 ci-dessus). Dès lors, la marge d’appréciation à accorder à cet égard devrait être plus large que celle normalement laissée à l’État en matière de restrictions à la liberté d’expression concernant des sujets d’intérêt public ou des opinions politiques. Les États contractants doivent donc en principe jouir d’un large pouvoir d’appréciation dans leur choix des moyens à déployer pour garantir le pluralisme dans les médias. Cependant, leur pouvoir d’appréciation en la matière sera réduit en fonction de la nature et de la gravité de toute restriction que les moyens ainsi choisis risquent d’entraîner pour la liberté éditoriale. Il convient à cet égard de rappeler qu’il n’appartient pas aux autorités nationales, ni d’ailleurs à la Cour, de contrôler l’appréciation que la presse elle-même a faite de la qualité d’actualité ou d’information d’un reportage (Jersild, précité, § 33, et Couderc et Hachette Filipacchi Associés c. France [GC], no 40454/07, § 139, CEDH 2015 (extraits)) ou de se substituer à la presse pour dire quelle méthode de compte rendu objectif et équilibré les journalistes devraient adopter (Jersild, précité, § 31, Bladet Tromsø et Stensaas, précité, § 63, et Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 127).

194. La Cour doit s’assurer que, considérées dans leur ensemble, la teneur des normes juridiques nationales pertinentes et leur application dans les circonstances concrètes de la cause ont produit des effets compatibles avec les garanties de l’article 10 et assortis de garde‑fous effectifs contre l’arbitraire et les abus.

195. À cet égard, l’équité de la procédure et les garanties procédurales sont des éléments que, dans certaines circonstances, il faut prendre en considération lorsqu’il s’agit d’apprécier la proportionnalité d’une ingérence faite dans l’exercice de la liberté d’expression (Karácsony et autres, précité, §§ 133-136, avec d’autres références et résumés, notamment Association Ekin c. France, no 39288/98, § 61, CEDH 2001‑VIII, où la Cour a jugé qu’un contrôle « entier » avait été privé d’efficacité pratique en raison de la durée excessive de la procédure, et Cumhuriyet Vakfı et autres c. Turquie, no 28255/07, §§ 62‑74, 8 octobre 2013, où les garanties ont été jugées insuffisantes compte tenu i) de la portée exceptionnellement étendue d’une interdiction, ii) de sa durée excessive, iii) du défaut de motivation de cette mesure par les juridictions internes, et iv) de l’impossibilité pour les requérants de la contester avant son adoption).

196. L’existence de garanties procédurales est particulièrement importante dans l’examen fait par la Cour de la proportionnalité de la révocation de licence litigieuse ; nul ne le conteste, cette révocation correspondait à la sanction la plus lourde selon les dispositions pertinentes du droit national, qui précisaient qu’elle n’était prononcée « qu’en cas d’infraction grave et répétée aux dispositions du (...) code » (paragraphe 218 ci-dessous). Dans les affaires telles que la présente espèce, la sévérité de la sanction est un facteur qui appelle un examen plus strict de la part de la Cour ainsi qu’une réduction de la marge d’appréciation laissée à l’État.

2. Application de ces principes au cas d’espèce

197. Pour examiner la « nécessité » de l’ingérence à la lumière des principes et considérations exposés ci-dessus, la Cour tiendra compte tout d’abord du cadre réglementaire sur le pluralisme des médias qui a été mis en place par l’État défendeur, puis de la manière dont ce cadre a été appliqué à la société requérante dans les circonstances particulières de l’affaire.

α) Le cadre réglementaire en place

198. La Cour observe que NIT s’est vu infliger des sanctions pour n’avoir pas ménagé l’équilibre requis par l’article 7 § 2 du code dans l’octroi de temps d’antenne aux partis politiques, et pour n’avoir pas veillé – aux fins du respect des principes d’équilibre social et politique, d’impartialité et d’objectivité – à présenter les faits de manière exacte sans déformer la réalité et à observer le principe de la pluralité des sources d’information, comme le prescrivait l’article 7 § 4 a), b) et c) du code. Elle note également que l’argument principal de la société requérante consiste à dire que ces exigences sont contraires à l’article 10 de la Convention (paragraphes 120 et 122 ci‑dessus).

199. En réponse à cet argument, la Cour rappelle d’abord que toutes les dispositions du code, y compris les articles 7 et 8, étaient totalement accessibles à la société requérante (paragraphe 163 ci-dessus). Elle observe ensuite que les exigences énoncées aux paragraphes 2 et 4 de l’article 7 du code correspondaient largement aux conditions qu’elle a posées dans sa propre jurisprudence pour qu’une protection renforcée de la liberté journalistique soit offerte en vertu de l’article 10. On peut même considérer sous cet angle la règle selon laquelle les radiodiffuseurs devaient, lorsqu’ils octroyaient à un parti ou mouvement politique un temps d’antenne lui permettant de diffuser ses idées, faire de même pour les autres partis ou mouvements politiques (paragraphes 179-180, 183, 184-186 et 191 ci‑dessus).

200. Les dispositions litigieuses du code n’énonçaient pas que chaque radiodiffuseur devait accorder le même temps d’antenne à tous les partis politiques. Comme l’indique le titre de l’article 7 du code, l’obligation des radiodiffuseurs consistait à veiller à l’équilibre et au pluralisme sur le plan politique. La manière dont les dispositions en question ont été interprétées et appliquées en l’espèce permet de penser que l’octroi d’une possibilité de formuler des commentaires ou une réponse aurait pu satisfaire à cette exigence (paragraphes 36-38 et 60 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard que le droit de réponse, en tant qu’élément important de la liberté d’expression, entre dans le champ d’application de l’article 10 de la Convention. Cela découle de la nécessité non seulement de permettre la contestation d’informations fausses, mais aussi d’assurer une pluralité d’opinions, en particulier dans des domaines d’intérêt général tels que le débat littéraire et politique (Kaperzyński c. Pologne, no 43206/07, § 66, 3 avril 2012).

201. La Cour relève par ailleurs que la politique de pluralisme interne contenue dans le code avait été évaluée positivement par des experts du Conseil de l’Europe, lesquels avaient estimé « louable » l’article 7 § 2 (paragraphe 16 ci-dessus). De plus, rien dans les commentaires de ces experts ne donne à penser que les exigences énoncées à l’article 7 § 4 du code aient été considérées comme contraires aux principes d’indépendance des journalistes et d’autonomie éditoriale.

202. La politique de pluralisme interne choisie par les autorités nationales peut certes être perçue comme relativement stricte ; cependant, la présente espèce se rapporte à une époque antérieure au passage du Moldova à la télévision numérique terrestre (voir le règlement amiable conclu entre les parties dans l’affaire Societatea Română de Televiziune c. Moldova (déc.), no 36398/08, 15 octobre 2013), où le nombre de fréquences nationales était très limité (paragraphes 23 et 106 ci-dessus) et où, à la suite des événements de 2001, il pesait sur les autorités une forte obligation positive de mettre en place une législation sur la radiodiffusion qui fût apte à garantir la transmission de nouvelles et d’informations exactes et neutres reflétant toute la palette des opinions politiques (paragraphes 12-14 ci‑dessus).

203. Dans ce contexte, la Cour peut admettre que les choix législatifs qui ont sous-tendu l’adoption des dispositions en cause ont été pesés soigneusement et que des efforts sérieux ont été déployés au niveau du Parlement pour ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents qui étaient en jeu (Animal Defenders International, précité, § 108).

204. Au vu de ce qui précède, elle estime que le niveau de pluralisme externe lié à l’existence, à l’époque des faits, de quatre autres chaînes de télévision de couverture nationale n’est pas une raison pour remettre en question l’obligation de respecter les règles de pluralisme interne énoncées à l’article 7 §§ 2 et 4 du code. Concrètement, tous les radiodiffuseurs, privés ou publics, étaient pareillement soumis aux mêmes règles, qui, comme le montrent les éléments du dossier, étaient en pratique appliquées non pas à l’ensemble du contenu audiovisuel programmé par les radiodiffuseurs titulaires de licences mais uniquement à leurs bulletins d’information. Ainsi, toutes les sanctions que le CCA a prononcées de 2007 à 2012 contre NIT et d’autres radiodiffuseurs de couverture nationale pour non-respect de l’article 7 du code concernaient uniquement leurs bulletins d’information, et non d’autres émissions (paragraphes 28-29 ci-dessus).

205. La Cour observe par ailleurs que l’application des règles susmentionnées était contrôlée par le CCA, organe spécialisé établi par la loi. Elle souligne l’importance du rôle que jouent les autorités de régulation en défendant et en favorisant la liberté et le pluralisme des médias, ainsi que la nécessité de veiller à l’indépendance de ces autorités eu égard au caractère complexe et délicat de ce rôle (paragraphes 105 et 109 ci-dessus). Elle observe à cet égard que les préoccupations que les experts du Conseil de l’Europe avaient exprimées quant à la structure du CCA et les propositions qu’ils avaient formulées pour renforcer les garanties contenues dans le projet de code contre une influence et un contrôle indus du gouvernement ont dans l’ensemble été acceptées par le législateur moldave et introduites dans le texte final du code (paragraphe 18 ci-dessus). En outre, la sélection, la nomination, la rémunération et les fonctions des membres du CCA reposaient sur des règles précises énoncées dans le code, destinées à garantir l’indépendance de cet organe et à protéger ses prises de décisions contre toute pression ou ingérence politique (paragraphe 85 ci‑dessus).

206. Les réunions, les rapports de surveillance et les décisions du CCA étaient accessibles au public. Ses décisions de procéder à un contrôle, les rapports auxquels cette mesure donnait lieu et les informations sur les réunions consacrées à l’examen de ces rapports étaient communiqués aux radiodiffuseurs concernés. Ceux-ci pouvaient envoyer à ces réunions des représentants, qui avaient la possibilité de commenter les conclusions des rapports de surveillance.

207. De plus, le CCA était tenu de motiver toute décision de sanctionner un radiodiffuseur (voir l’article 40 § 4 du code, cité au paragraphe 85 ci‑dessus). Au moyen d’un recours précontentieux, le justiciable pouvait prier le CCA de reconsidérer sa décision. En outre, il pouvait saisir les juridictions nationales d’un recours contre la décision du CCA, et solliciter en même temps une mesure provisoire afin que l’exécution de la décision fût suspendue dans l’attente de l’issue de la procédure.

208. Enfin, la Cour relève que la gouvernance du pluralisme interne mise en place par les autorités moldaves ne semble pas fondamentalement différente de celle que pratiquent de nombreux États membres du Conseil de l’Europe (paragraphes 110‑111 ci-dessus).

209. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour conclut que l’État défendeur a agi dans les limites de sa marge d’appréciation en concevant comme il l’a fait le cadre légal et administratif national destiné à assurer le pluralisme dans les médias audiovisuels.

β) Application du cadre réglementaire à la cause de NIT

‒ Sur le point de savoir si la restriction était justifiée par des motifs pertinents et suffisants

210. Concernant la manière dont le cadre évoqué ci-dessus a été mis en œuvre en l’espèce, la Cour observe que la sanction infligée à la société requérante faisait suite à un contrôle dans le cadre duquel le CCA avait surveillé pendant cinq jours le principal bulletin d’information de NIT, conformément à la pratique établie qui consistait à appliquer l’article 7 du code aux bulletins d’information uniquement, et non à l’ensemble du contenu audiovisuel diffusé par le titulaire de la licence (paragraphe 204 ci‑dessus).

211. La méthode employée, qui comportait des mesures comparatives et chronométriques des contenus et qui avait été mise au point par le CCA en collaboration avec des experts internationaux, avait été saluée pour son efficacité et approuvée par des membres de la société civile œuvrant dans le domaine concerné, à l’issue de délibérations publiques (paragraphe 72 ci‑dessus). La Cour ne voit pas de raison d’en remettre en cause la pertinence ou la fiabilité.

212. Le rapport de surveillance sur lequel le CCA a fondé sa décision livrait un compte rendu détaillé des bulletins d’information diffusés par NIT. Celle-ci n’a pas contesté les résultats des mesures comparatives et chronométriques de la teneur de ses bulletins d’information. Le constat formulé par le CCA, à savoir que NIT n’avait pas satisfait à son obligation de respecter le principe du pluralisme politique tel qu’exprimé dans les règles contenues à l’article 7 § 2 du code, était assorti de conclusions selon lesquelles le temps d’antenne consacré à un parti – le PCRM – s’était caractérisé par un ton positif ou neutre tandis que celui consacré au parti adverse – l’AIE – avait été marqué par un ton essentiellement négatif. Le rapport indiquait également que les personnes, institutions ou partis politiques qui avaient été mentionnés ou dépeints sous un jour négatif n’avaient pas eu la possibilité de présenter leur propre point de vue en réponse aux critiques et aux attaques dont ils avaient fait l’objet. Il ajoutait que les bulletins contenaient des informations mettant en avant un point de vue unilatéral, que parfois rien ne venait corroborer, et que les journalistes y usaient de procédés qui étaient de nature à déformer la réalité. Le rapport indiquait encore que les bulletins favorisaient un langage journalistique agressif. Ces conclusions ont été confirmées par les juridictions nationales.

213. Si la société requérante conteste certains de ces constats, la Cour, gardant à l’esprit le caractère subsidiaire de sa mission, ne voit pas de raison de remettre en cause l’appréciation des faits livrée dans le rapport de surveillance (paragraphes 35-39 ci-dessus), les conclusions formulées dans ce rapport selon lesquelles NIT avait manqué aux devoirs et responsabilités qui lui incombaient au titre de l’article 7 §§ 2 et 4 a), b) et c) et de l’article 10 § 5 du code, et l’appréciation faite par les juridictions nationales à cet égard (paragraphes 60 et 77 ci-dessus). Dans ce contexte, force est à la Cour de constater que les éléments du dossier, et notamment les enregistrements des bulletins d’information sur lesquels le CCA s’est fondé pour sanctionner NIT, montrent que pendant la majeure partie de leur durée les bulletins en question étaient consacrés à des sujets politiques et que le traitement des informations était clairement orienté en faveur des activités du PCRM et de ses membres et partisans et, comme exposé au paragraphe 212 ci-dessus, ne ménageait pas la possibilité pour les tiers de répondre aux critiques et aux attaques. La société requérante ne saurait prétendre le contraire dans le cadre de la procédure fondée sur la Convention sans contredire la thèse qu’elle a elle-même défendue devant la Cour suprême, et qui consistait à dire que, si les personnes qui avaient fait l’objet de critiques ne s’étaient pas vu offrir la possibilité de répondre, c’était parce qu’elles n’en avaient pas fait la demande (paragraphe 73 ci‑dessus).

214. Lorsqu’elles ont statué contre la société requérante, les autorités nationales ont constaté l’emploi dans ses bulletins d’information de termes très virulents pour désigner le gouvernement, les partis qui le formaient et leurs dirigeants. Elles ont relevé notamment que l’un des leaders de l’AIE avait été comparé à Hitler et que tous avaient été qualifiés de « criminels », de « bandits », de « crapules », d’« escrocs » ou encore de « bande de criminels », entre autres insultes. Les juridictions nationales n’ont pas abordé le traitement de l’information par NIT comme une affaire de diffamation relevant de l’article 16 du code civil (voir, a contrario, Urechean et Pavlicenco c. République de Moldova, nos 27756/05 et 41219/07, § 20, 2 décembre 2014), mais comme une affaire qui portait sur une question plus large, à savoir le pluralisme dans les médias et l’impartialité du journalisme protégés par l’article 7 du code. Ainsi, ni le CCA ni les tribunaux n’ont analysé les propos en question pour déterminer s’ils visaient des personnes nommément (Bladet Tromsø et Stensaas, précité, §§ 61 et 71, Selistö c. Finlande, no 56767/00, § 64, 16 novembre 2004, et Dmitriyevskiy c. Russie, no 42168/06, § 105, 3 octobre 2017) et dans quelle mesure il s’agissait de simples jugements de valeur étayés par des éléments factuels. Les propos litigieux ont été tenus pour un facteur aggravant supplémentaire lorsqu’il a été conclu que NIT avait enfreint les règles relatives à « [l’]équilibre (...) politique, [l’]impartialité et [l’]objectivité » énoncées à l’article 7 § 4 du code. Comme les juridictions nationales l’ont reconnu, les questions susmentionnées allaient au-delà d’une simple affaire de diffamation et se rapportaient plutôt à l’interaction entre le principe du pluralisme et, en substance, les exigences liées à la présentation de comptes rendus exacts et dignes de foi, suivant la déontologie journalistique (paragraphe 61 ci-dessus).

215. Il est vrai, comme cela a été rappelé ci-dessus (paragraphe 178), que l’article 10 § 2 de la Convention ne laisse guère de place pour des restrictions de la liberté d’expression dans le domaine du discours politique ou de questions d’intérêt public, et que la nécessité d’une ingérence dans le discours politique doit se trouver établie de manière convaincante (voir, parmi d’autres, Satakunnan Markkinapörssi Oy et Satamedia Oy, précité, § 167). De plus, dans un système démocratique, les actions ou omissions du gouvernement doivent se trouver placées sous le contrôle attentif non seulement des pouvoirs législatif et judiciaire, mais aussi de l’opinion publique (Sürek, précité, § 61). En outre, aussi choquants, offensants ou dérangeants que puissent paraître les propos que les autorités nationales ont relevés dans les bulletins d’information de NIT, la Cour doute sérieusement, au vu du contexte dans lequel ils ont été formulés, qu’ils puissent être assimilés à une incitation à la violence, à la haine ou à la xénophobie, ou qu’ils aient été à même de porter atteinte à l’intégrité territoriale et à la sécurité nationale du pays, comme l’a avancé le Gouvernement. Néanmoins, pour les raisons exposées ci-dessus et eu égard au fait que l’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités (paragraphes 179-182 ci-dessus), on ne peut guère affirmer que le traitement de l’information en question fût de nature à appeler la protection renforcée que l’article 10 de la Convention confère à la liberté de la presse.

216. La Cour n’est donc pas convaincue par l’argument de la société requérante consistant à dire que, par son traitement de l’actualité dans les bulletins d’information qui ont fait l’objet du contrôle, NIT a contribué de manière significative au pluralisme politique dans les médias (paragraphe 124 ci-dessus).

217. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour estime établi que la décision litigieuse consistant à imposer une « restriction » à la liberté d’expression de la société requérante protégée par le paragraphe 1 de l’article 10 était étayée par des motifs qui étaient à la fois pertinents et suffisants aux fins du critère de la « nécessité » résultant du paragraphe 2 de cet article.

‒ Sur le point de savoir si la restriction était proportionnée

218. Dans le cadre de l’analyse relative à la nécessité, il faut encore déterminer s’il existait un rapport raisonnable de proportionnalité entre, d’une part, la sanction litigieuse – en l’espèce, la révocation de la licence – et, d’autre part, les buts légitimes poursuivis. Dans le cas présent, les juridictions nationales ont reconnu que la sanction en cause était la plus sévère qui pût être prononcée (paragraphe 63 ci‑dessus). Cette sanction a entraîné la cessation des activités de radiodiffusion de NIT ainsi que d’autres types de conséquences généralement associées à une telle mesure. Le paragraphe 3 de l’article 38 du code disposait que les sanctions prévues au paragraphe 1 du même article devaient être appliquées de manière progressive, le retrait de la licence de radiodiffusion étant la sanction la plus sévère envisagée. Le paragraphe 5 énonçait que ce retrait ne devait être prononcé « qu’en cas d’infraction grave et répétée aux dispositions du (...) code ».

219. Se penchant sur la série de sanctions infligées à la société requérante avant la mesure de révocation de la licence, la Cour observe qu’à dix reprises NIT avait été sanctionnée pour n’avoir pas ménagé l’équilibre requis par l’article 7 § 2 du code dans l’octroi de temps d’antenne ou pour n’avoir pas donné aux personnes qui avaient fait l’objet de critiques la possibilité de formuler des commentaires comme le prescrivait l’article 7 § 4 c). Sur ces dix occasions, les sanctions avaient été adoptées à six reprises pour le motif supplémentaire visé à l’alinéa b) de l’article 7 § 4 (« la réalité [a été] déformée par des astuces de montage, des commentaires, des formulations ou des titres ») et, une fois, pour manquement à l’exigence d’exactitude objet de l’alinéa a) de l’article 7 § 4.

220. Les bulletins d’information de NIT étaient diffusés à l’échelle nationale et étaient donc accessibles à un large public et, compte tenu du type de média concerné, ils étaient susceptibles d’avoir un impact considérable, ce qui constitue un facteur important dans l’appréciation des « devoirs et responsabilités » des médias et de la proportionnalité de l’ingérence (voir les références jurisprudentielles citées au paragraphe 182 ci-dessus).

221. La révocation de la licence de NIT s’inscrit donc dans une série graduelle et ininterrompue de sanctions prises par le CCA à l’égard de la société requérante. Ont ainsi été infligés un avertissement public, le retrait pour une période donnée du droit de diffuser des publicités, une amende, puis la suspension pour une période donnée du droit d’émettre, et finalement, le 5 avril 2012, la sanction la plus sévère, à savoir la révocation de sa licence (paragraphes 29 et 40-43 ci-dessus).

222. En ce qui concerne la thèse de la société requérante selon laquelle la décision de révocation adoptée par le CCA reposait sur des motivations politiques, la Cour a pris note de l’insistance de la société requérante sur le fait que la plupart des sanctions infligées à NIT sur le fondement du code avaient été prononcées entre 2009 et 2011, donc après une alternance politique (paragraphe 20 ci-dessus). Elle observe qu’à cette époque NIT était devenue une tribune pour les critiques dirigées contre les forces gouvernementales et pour la promotion du parti de l’opposition. À la lumière de ce qui précède, et compte tenu de la sévérité de la sanction infligée à la société requérante, la Cour doit rechercher attentivement (paragraphe 196 ci‑dessus) si le code et son application dans les circonstances concrètes de l’espèce ont offert des garde‑fous effectifs contre l’arbitraire et les abus (paragraphe 194 ci-dessus). À ce sujet, elle rappelle tout d’abord les constats qu’elle a formulés ci-dessus, à savoir que le code contenait, sur la structure du CCA ainsi que sur la sélection, la nomination et les fonctions des membres de cet organe, des règles précises destinées à garantir l’indépendance de cette autorité de régulation des médias et à offrir une protection contre une influence indue du gouvernement (paragraphes 109 et 205 ci-dessus). De plus, du fait de la règle qui imposait des mandats à échéances décalées pour les membres du CCA, six sur les neuf membres qui composaient le CCA en 2012 avaient été nommés avant le changement de gouvernement intervenu en 2009 (paragraphes 24 et 85 ci-dessus). En outre, la Cour observe que les allégations de la société requérante selon lesquelles, en adoptant la décision de révocation litigieuse, le CCA aurait été influencé par des personnalités politiques de premier plan et aurait dès lors traité la société de façon discriminatoire, ont été dûment examinées par les juridictions nationales. La cour d’appel a écarté pour défaut de fondement l’allégation relative à une influence politique et a rejeté l’argument de la chaîne NIT selon lequel elle avait subi une discrimination, déclarant que la chaîne avait été soumise à une surveillance en même temps et dans les mêmes conditions que d’autres radiodiffuseurs et que certains d’entre eux avaient aussi été sanctionnés lorsque des infractions au code avaient été constatées (paragraphe 72 ci‑dessus). Sur ce point, la Cour juge peu convaincant l’argument de la société requérante selon lequel des figures politiques connues auraient fait des déclarations publiques appelant à la fermeture de la chaîne. S’il n’est pas possible d’exclure que de telles déclarations puissent avoir un certain impact, cet élément à lui seul ne saurait passer pour une indication suffisamment concrète et solide de ce que le CCA n’aurait pas agi en toute indépendance lors de l’adoption de la mesure litigieuse. En conclusion, force est à la Cour de constater que, dans le cadre des procédures menées devant les juridictions nationales puis devant la Cour, il n’a été présenté aucun élément concret propre à étayer la thèse selon laquelle le CCA aurait cherché à empêcher la chaîne de télévision de la société requérante d’exprimer des avis critiques à l’égard du gouvernement, ou poursuivi à travers la révocation de la licence un autre but inavoué.

223. Dans le cadre de l’appréciation de la proportionnalité, la Cour accorde par ailleurs une importance particulière au fait que la mesure litigieuse n’ait pas empêché NIT d’user d’autres moyens, par exemple Internet, pour diffuser ses programmes, y compris ses bulletins d’information, et qu’elle n’était pas de nature à entraver l’exercice par la société requérante d’autres activités génératrices de revenus. Dans ses observations adressées à la Cour, la société requérante a d’ailleurs confirmé qu’elle avait continué jusqu’en 2014 à partager des contenus sur son site Internet et sa chaîne YouTube (paragraphe 82 ci-dessus). En outre, la mesure litigieuse n’avait pas d’effet définitif puisque, un an après la révocation de sa licence de radiodiffusion, la société requérante aurait pu en solliciter une nouvelle (paragraphe 86 ci‑dessus).

224. Les considérations qui précèdent semblent étayer l’argument du Gouvernement selon lequel, avant de révoquer la licence, les autorités nationales sont restées dans les limites de la législation en vigueur pour obliger NIT à se conformer aux règles pertinentes. La gravité des actes imputés à la chaîne de télévision de la société requérante semble donc avoir résidé non seulement dans l’obstination de celle-ci à refuser de se plier aux règles du pluralisme interne, mais aussi dans la nature et l’accumulation de ses transgressions et dans leur importance, considérées globalement. Après s’être vu infliger onze sanctions sur une période de trois ans pour des infractions identiques ou similaires, la chaîne n’était toujours pas convaincue de la nécessité de changer de comportement et de se conformer au code. Dans ces conditions, les autorités étaient fondées à considérer que l’application de la sanction la plus sévère était justifiée par l’attitude de défi de la société requérante.

225. Concernant l’équité de la procédure et les garanties procédurales offertes, qui revêtent également une importance particulière dans l’examen par la Cour de la proportionnalité de la sanction litigieuse (paragraphes 195‑196 ci-dessus), la Cour note ce qui suit. Le CCA a pris la décision de procéder à un contrôle des bulletins d’information de NIT lors d’une réunion publique et la société requérante a été informée à la fois du rapport de surveillance et du fait que les conclusions de celui-ci seraient examinées lors d’une réunion publique, comme le prévoyait l’article 38 § 7 du code (paragraphe 85 ci-dessus). En outre, non seulement le représentant de la société requérante a été invité à participer à cette réunion, ce qu’il a fait, mais de plus sa présence à celle-ci était semble-t-il considérée comme obligatoire (paragraphe 40 ci-dessus). Il est vrai que le droit interne régissant la révocation des licences ne renfermait aucune obligation d’avertir le titulaire d’une licence qu’une révocation était envisagée, et que le CCA a pris la décision de révoquer la licence de radiodiffusion de NIT dans un délai assez court. Toutefois, il convient également de relever que la société requérante connaissait la procédure applicable, puisqu’il apparaît qu’en de précédentes occasions les représentants de NIT avaient participé pour le compte de la chaîne à des réunions du CCA (paragraphe 29 ci-dessus). De surcroît, le représentant de NIT aurait pu demander le report de la réunion si le temps accordé pour la préparation de ses observations lui avait paru insuffisant ; or il ne s’est pas prévalu de cette faculté (paragraphes 69 et 77 ci-dessus).

226. En outre, la Cour prend en compte le fait que le droit interne pertinent permettait à la société requérante de contester la décision du CCA devant les juridictions compétentes et, par ailleurs, de prier celles-ci d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision attaquée dans l’attente de l’issue de la procédure au fond (paragraphes 85 et 87 ci-dessus). De fait, la société requérante s’est prévalue de ces possibilités. La Cour souligne que de telles garanties procédurales jouent un rôle particulièrement important dans des situations où, comme ici, une mesure aussi intrusive que la révocation d’une licence de radiodiffusion produit en vertu du droit interne des effets immédiats dès la publication de la décision correspondante. À cet égard, la Cour rappelle que l’effet immédiat d’une mesure portant atteinte au droit à la liberté d’expression peut peser lourdement lorsqu’il s’agit d’apprécier la compatibilité de cette mesure avec l’article 10, dans des circonstances où de telles garanties procédurales font défaut (Cumhuriyet Vakfı et autres, précité, §§ 72‑74).

227. Dans ce contexte, il importe également de relever que les juridictions compétentes ont motivé les décisions par lesquelles elles ont écarté la demande que la société requérante avait formée afin d’obtenir un sursis à l’exécution de la décision du CCA (paragraphes 49-54 ci-dessus). Malgré un raisonnement succinct, elles ont en substance mis en balance les intérêts concurrents qui étaient en jeu, tenant compte notamment des arguments que la société requérante avançait sur le terrain de la liberté d’expression. La Cour suprême a de plus indiqué que la décision de rejet n’empêchait pas la société requérante de solliciter le réexamen de sa demande en cas de changement de situation jugé important pour l’affaire (comparer avec Tierbefreier e.V. c. Allemagne, no 45192/09, § 58, 16 janvier 2014).

228. La Cour est consciente que la sévérité de la mesure litigieuse a pu porter préjudice aux activités de la société requérante et ainsi risquer d’avoir un « effet dissuasif » sur l’exercice de la liberté d’expression par d’autres radiodiffuseurs titulaires de licences en Moldova (Cumpănă et Mazăre c. Roumanie [GC], no 33348/96, §§ 116-119, CEDH 2004‑XI). Cependant, au vu du contexte décrit ci-dessus et des circonstances propres à l’espèce, elle estime que les autorités nationales ont agi dans les limites de leur marge d’appréciation pour parvenir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre les intérêts concurrents qui étaient en jeu.

‒ Conclusion

229. Compte tenu de l’ensemble des circonstances exposées ci-dessus, et eu égard en particulier au contexte national propre à l’espèce (paragraphe 202 ci-dessus), la Cour estime que la décision de restreindre la liberté d’expression de la société requérante était justifiée par des motifs pertinents et suffisants aux fins du critère de la « nécessité » découlant de l’article 10 § 2 de la Convention et que les autorités nationales ont agi dans les limites de leur marge d’appréciation pour parvenir à un rapport raisonnable de proportionnalité entre, d’une part, la nécessité de protéger le pluralisme et les droits d’autrui et, d’autre part, la nécessité de défendre le droit de la société requérante à la liberté d’expression.

230. L’ingérence était donc « nécessaire dans une société démocratique » au sens de l’article 10 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition en l’espèce.

2. sur la violation alléguée de l’article 1 du protocole no 1 à la CONVENTION

231. La société requérante allègue que la révocation de sa licence de radiodiffusion n’était ni prévue par la loi ni nécessaire dans une société démocratique. Elle soutient en particulier que les juridictions nationales n’ont pas suivi la procédure de révocation des licences définie dans la loi no 451‑XV/2001 et qu’elles ont méconnu la loi en rejetant sa demande de sursis à l’exécution, dans l’attente de l’issue de la procédure, de la décision du CCA du 5 avril 2012. Elle invoque l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

1. Sur l’applicabilité
1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

232. Le Gouvernement soutient que la mesure prise par les autorités à l’égard de la société requérante ne s’analyse pas en une ingérence dans l’exercice par celle-ci de son droit au respect de ses biens. Il estime que, compte tenu des infractions répétées de NIT au code et aux clauses de la licence de radiodiffusion de la société requérante, il était presque inconcevable que la chaîne pût conserver une espérance légitime de maintenir ses activités jusqu’à l’expiration de ladite licence, le 7 mai 2015.

b) La société requérante

233. La société requérante plaide que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une licence commerciale constitue un bien, et sa révocation une ingérence dans l’exercice du droit de propriété. Elle estime que ces considérations valent aussi pour les licences de radiodiffusion, et justifie cet avis en exposant que les intérêts associés à l’exploitation de ces licences sont des intérêts patrimoniaux relevant de la protection de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, et que sa propre espérance légitime – qui se rattachait selon elle à des intérêts patrimoniaux tels que l’exploitation d’une chaîne de télévision en vertu d’une licence – était suffisamment fondée pour constituer un intérêt substantiel, et donc un « bien ».

2. Appréciation de la Cour

234. Les parties semblent avoir des avis divergents sur le point de savoir si la décision de révoquer la licence de télédiffusion de la société requérante prise par le CCA le 5 avril 2012 et confirmée ensuite par les juridictions de recours s’analyse en une atteinte aux « biens » de l’intéressée au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

235. Dans un certain nombre d’affaires antérieures, la Cour a jugé que la révocation d’une licence d’exploitation d’une activité commerciale s’analysait en une atteinte au droit au respect des biens tel que garanti par l’article 1 du Protocole no 1 (Tre Traktörer AB c. Suède, 7 juillet 1989, § 53, série A no 159, Bimer S.A. c. Moldova, no 15084/03, § 49, 10 juillet 2007, et Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano, précité, § 177). Elle a également déclaré que les intérêts liés à l’exploitation d’une licence de radiodiffusion constituaient des intérêts patrimoniaux appelant la protection de cette disposition et que l’espérance légitime d’une société requérante, qui se rattachait à des intérêts patrimoniaux tels que l’exploitation d’un réseau de télévision analogique en vertu de la licence, était suffisamment fondée pour constituer un intérêt substantiel, et donc un « bien » (Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano, précité, § 178).

236. La Cour ne voit pas de raison de douter qu’à la date du 5 avril 2012, lorsque le CCA a adopté sa décision, la société requérante exploitait un réseau de télévision analogique en vertu d’une licence de radiodiffusion valide, et qu’elle disposait donc d’un « bien » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Si la société requérante a conservé ses actifs immobiliers et a pu continuer à diffuser ses bulletins d’information et ses émissions de divertissement sur Internet, la révocation de sa licence a eu l’effet immédiat et voulu de mettre fin à ses activités sur le réseau de télévision analogique. La Cour estime donc qu’il y a eu une atteinte aux « biens » de la société requérante relevant de l’application de cette disposition.

237. Dans ces conditions, et eu égard aux considérations présentées ci‑dessus relativement à l’article 10 § 2, la Cour estime que le grief formulé par la société requérante sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Constatant par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) La société requérante

238. La société requérante avance que, si la mesure litigieuse constituait une mesure de réglementation de l’usage des biens, elle avait néanmoins pour but de sanctionner NIT et de faire cesser les critiques visant le gouvernement ; elle considère que cette mesure a été dictée par la censure et la revanche politique. Elle dit aussi avoir du mal à croire que la fermeture d’une chaîne de télévision bien connue, qui générait des revenus, payait des impôts et employait de nombreuses personnes, ait pu servir un quelconque intérêt public. Elle estime que la Cour constitutionnelle a confirmé ce point de vue dans son arrêt du 6 décembre 2012 (paragraphes 91-93 ci-dessus).

239. La société requérante considère par ailleurs que les dispositions du code invoquées par le CCA lors de l’application de la sanction en question n’étaient pas claires, accessibles et prévisibles quant à leurs effets, et qu’en conséquence la mesure et son exécution immédiate étaient illégales. Elle indique que NIT ne pouvait pas raisonnablement prévoir que ses activités seraient arrêtées définitivement et que tous ses intérêts patrimoniaux associés à la licence deviendraient illusoires.

240. La société requérante soutient que l’ingérence faite dans l’exercice de son droit de propriété n’était pas nécessaire à la réglementation de l’usage des biens et qu’elle était disproportionnée. À ce sujet, elle affirme que NIT est le seul radiodiffuseur dont la licence ait été révoquée, que peu après cette mesure toutes ses activités liées à la télédiffusion ont cessé, qu’il a fallu résilier tous les contrats et accords conclus dans le cadre de ces activités et que cela a entraîné de lourdes pertes financières et le licenciement de tous les employés de la chaîne. Selon ses dires, elle a tenté pendant quelque temps d’utiliser les possibilités offertes par Internet mais ses efforts ont été vains : elle ne serait pas parvenue à atteindre les mêmes niveaux d’audience et de viabilité financière qu’avant et elle aurait donc dû cesser définitivement ses activités. Pour éviter la faillite et pour pouvoir rembourser ses prêts en cours liés à NIT, elle aurait été contrainte de poursuivre des activités dans un secteur dénué de rapport avec la télédiffusion et générateur de très faibles revenus.

241. Dans le cadre de la procédure menée devant la Cour, la société requérante a fourni un rapport d’expertise établi en novembre 2018 qui chiffre le préjudice subi par elle à la suite de la fermeture de NIT. À partir d’informations concernant les investissements de la société requérante dans des immobilisations ou d’éléments contenus dans les états financiers soumis par elle aux autorités nationales compétentes de 2009 à 2011, ainsi que dans les contrats de travail, de location et de publicité qui étaient en cours à l’époque, le rapport indique que de 2009 à 2011 la société requérante n’a pas réalisé de bénéfices. Il constate toutefois qu’elle a subi après la fermeture de NIT un préjudice correspondant au coût de ses immobilisations non employées et à ses autres frais et dépenses fixes.

242. La société requérante avance que la présente espèce est similaire à d’autres affaires examinées par la Cour qui étaient dirigées contre le Moldova et qui concernaient la révocation de licences d’exploitation. Elle estime que les autorités n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents qui étaient en jeu et qu’elle a dû supporter une charge disproportionnée car la sanction qui lui a été infligée était sévère et discriminatoire.

b) Le Gouvernement

243. Le Gouvernement soutient que, comme les juridictions nationales l’ont selon lui confirmé, la société requérante aurait dû prévoir et anticiper la mesure dont elle a fait l’objet. Il estime en outre que tout dommage financier et matériel éventuellement subi par l’intéressée serait une conséquence naturelle de sa propre conduite illicite, et que l’existence d’un tel préjudice n’est pas accréditée par le rapport d’expertise qu’elle a fourni.

244. S’appuyant sur les mêmes arguments que ceux qu’il a avancés au sujet du grief fondé sur l’article 10 de la Convention, le Gouvernement exprime l’avis que la révocation de la licence de la société requérante était prévue par la loi, qu’elle poursuivait un but légitime et que, protégeant un intérêt public prédominant, elle était proportionnée à ce but.

2. Appréciation de la Cour

245. La Cour ayant établi ci-dessus que la révocation de la licence a représenté une atteinte aux « biens » de la société requérante, la question se pose de savoir laquelle des règles consacrées par l’article 1 du Protocole no 1 s’applique. Il convient de rappeler que cette disposition contient trois normes distinctes. La première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété. La deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions. Quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États contractants le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général, en appliquant les lois qu’ils estiment nécessaires à cette fin. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi d’autres, Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano, précité, § 185).

246. La société requérante semble estimer que l’affaire relève de la troisième norme, relative à la réglementation de l’usage des biens, tandis que le Gouvernement ne formule aucune observation à ce sujet.

247. La Cour est d’avis que c’est la norme concernant la réglementation de l’usage des biens qui s’applique à la présente espèce, qu’il convient donc d’examiner sous l’angle du second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, mutatis mutandis, Tre Traktörer, précité, § 55, Fredin c. Suède (no 1), 18 février 1991, § 47, série A no 192, et Centro Europa 7 S.R.L. et Di Stefano, précité, § 186). Dès lors, elle recherchera si l’ingérence en question était légale, si elle servait l’intérêt général et si elle était proportionnée au but visé.

a) Sur la légalité de l’ingérence

248. Pour contester la légalité de la révocation au sens de l’article 1 du Protocole no 1, la société requérante s’appuie principalement sur des arguments renvoyant aux dispositions du code qui sont identiques à ceux (exposés ci-dessus) qu’elle avance pour soutenir que la mesure n’était pas « prévue par la loi » au sens du deuxième paragraphe de l’article 10 de la Convention (paragraphes 116-120 ci-dessus). La Cour estime que ses conclusions sur la légalité de l’ingérence dans l’exercice par la société requérante de son droit à la liberté d’expression valent aussi pour le grief de l’intéressée relatif à la légalité de l’ingérence dans l’exercice de son droit au respect de ses « biens ». À cet égard, il faut également tenir compte du fait que le terme « loi » (« law ») figurant à l’article 1 du Protocole no 1 renvoie au même concept que lorsqu’il est utilisé dans le reste de la Convention (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 96, 25 octobre 2012).

249. Dans la mesure où l’examen effectué sur le terrain de l’article 10 ne couvre pas le grief selon lequel les juridictions nationales n’auraient pas suivi la procédure de révocation des licences définie dans la loi no 451‑XV/2001, la Cour constate que la société requérante a soulevé cet argument devant les juridictions nationales et que celles-ci l’ont écarté pour les raisons exposées au paragraphe 70 ci-dessus. La société requérante n’a pas présenté d’arguments convaincants propres à justifier que la Cour adopte une conclusion différente.

250. Il s’ensuit que l’ingérence litigieuse était légale au sens de l’article 1 du Protocole no 1.

b) Sur le but de l’ingérence

251. En ce qui concerne l’argument de la société requérante consistant à dire que la révocation de sa licence de radiodiffusion ne servait pas l’intérêt public, la Cour observe qu’elle a déjà établi après avoir examiné des arguments similaires avancés par l’intéressée à l’appui de son grief fondé sur l’article 10 que la mesure en cause poursuivait les buts consistant à contribuer à la qualité et à l’équilibre des programmes dans le pays et à protéger l’accès du public à un discours politique impartial, digne de foi et diversifié par l’intermédiaire de programmes d’information télévisés (paragraphes 154 et 175 ci-dessus). Pour ce qui est du cadre réglementaire en place, rien n’indique que le jugement du législateur sur ce qui était d’« utilité publique » fût « manifestement dépourvu de base raisonnable » (voir, mutatis mutandis, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 46, série A no 98, et Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 112, CEDH 2000‑I), et rien ne donne à penser non plus que l’application de ce cadre réglementaire en l’espèce ne fût pas conforme à l’intérêt général.

c) Sur la proportionnalité de l’ingérence

252. En outre, l’article 1 du Protocole no 1 exige qu’une ingérence soit raisonnablement proportionnée au but qu’elle poursuit (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99 et 2 autres, §§ 81‑94, CEDH 2005‑VI, et Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, § 115, 13 décembre 2016). Lorsqu’elle contrôle le respect de cette exigence, la Cour reconnaît à l’État une grande marge d’appréciation tant pour choisir les modalités de mise en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif de la loi en cause (Fredin, précité, § 51). Le juste équilibre à préserver sera détruit si l’individu concerné supporte une charge spéciale et exorbitante (Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, §§ 69-74, série A no 52, et Béláné Nagy, précité, § 115). La Cour recherchera si l’ingérence a fait peser sur le requérant une charge spéciale et exorbitante en tenant compte du contexte particulier de l’affaire (Béláné Nagy, précité, § 116).

253. À cet égard, la Cour renvoie à sa conclusion, exposée ci-dessus, selon laquelle la décision litigieuse du 5 avril 2012 était non seulement « légale » aux fins de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 10 § 2 de la Convention, mais également justifiée par des motifs pertinents et suffisants propres à établir que la restriction de la liberté d’expression de la société requérante était « nécessaire dans une société démocratique ». En outre, appréciant dans ce contexte la proportionnalité de la sanction, c’est-à-dire la proportionnalité de la révocation de la licence de télédiffusion de la société requérante, la Cour a observé que la gravité des actes imputés à la chaîne de télévision de la société requérante semblait résider non seulement dans l’obstination de celle-ci à refuser de respecter les exigences pertinentes de la licence, mais aussi dans la nature et l’accumulation de ses transgressions et dans leur importance, considérées globalement. Après s’être vu infliger onze sanctions sur une période de trois ans pour des infractions identiques ou similaires, la chaîne n’était toujours pas convaincue de la nécessité de changer de comportement et de se conformer au code et aux clauses de la licence. Dans ces conditions, les autorités étaient fondées à considérer que l’application de la sanction la plus sévère était justifiée par l’attitude de défi de la société requérante.

254. La Cour estime également important de noter que, dès le tout début de la procédure judiciaire que la société requérante avait engagée pour contester la mesure litigieuse, les juridictions nationales ont considéré que ses allégations relatives aux dommages matériels et patrimoniaux qu’elle risquait de subir en conséquence de cette mesure, ainsi qu’à l’éventuelle impossibilité de faire exécuter un jugement au fond qui lui serait favorable, n’étaient que de simples suppositions qu’aucun élément n’étayait (paragraphe 54 ci‑dessus). Ces juridictions ont aussi souligné que la société requérante conservait la possibilité de demander en justice une réparation pour toute perte matérielle prouvée si elle obtenait un jugement sur le fond en sa faveur (paragraphe 54 ci-dessus). Du reste, pendant la procédure au fond, les juridictions nationales des deux niveaux ont constaté que la société requérante ne leur avait pas présenté d’éléments concluants et pertinents aptes à confirmer l’existence du préjudice allégué par elle, et que même si elle avait subi un dommage, celui-ci aurait été imputable à sa propre conduite illicite. Dans le cadre de la procédure menée devant la Cour, la société requérante a produit un rapport d’expertise concluant qu’elle fonctionnait déjà à perte avant la révocation de sa licence (paragraphe 241 ci-dessus). En conséquence, la Cour ne juge pas établi selon le critère général de la « preuve au-delà de tout doute raisonnable » (voir, par exemple, Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 314, 28 novembre 2017) que cette révocation ait porté aux intérêts patrimoniaux de la société requérante une atteinte propre à lui faire supporter une charge spéciale et exorbitante. À cet égard, elle note de plus que, même si elle a finalement abouti à la fermeture de NIT en tant que réseau de télévision analogique, la perte de la licence n’était pas totalement irréversible puisque la société requérante aurait pu solliciter l’attribution d’une nouvelle licence de radiodiffusion au bout d’un an (paragraphe 86 ci‑dessus). Il apparaît donc que les intérêts matériels et patrimoniaux de la société requérante ont été suffisamment pris en compte dans la procédure pertinente.

255. Dans ces conditions, la Cour estime que l’État défendeur, agissant dans les limites de l’ample marge d’appréciation dont il jouit en la matière, a ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général de la collectivité et le droit de la société requérante au respect de ses biens, et que l’intéressée n’a pas eu à supporter une charge disproportionnée.

d) Conclusion

256. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 en l’espèce.

3. sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la CONVENTION

257. La société requérante allègue par ailleurs que la procédure relative à la révocation de sa licence n’a pas été équitable. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

258. Le Gouvernement soutient que la procédure à laquelle la société requérante a été partie après la révocation, le 5 avril 2012, de sa licence de radiodiffusion était conforme aux exigences énoncées à l’article 6 § 1 de la Convention.

259. Il argue que les juridictions nationales ont examiné tous les arguments présentés par la société requérante et qu’elles ont avancé pour les écarter des motifs pertinents et suffisants. Il ajoute que les autorités internes, y compris les autorités judiciaires, ont agi dans les limites de la législation nationale applicable en vigueur à l’époque où la mesure en cause a été imposée à la société requérante.

2. La société requérante

260. La société requérante estime que la procédure à laquelle elle a été partie après la révocation, le 5 avril 2012, de sa licence de radiodiffusion n’a pas été équitable. Répétant les arguments présentés à l’appui de ses griefs fondés sur l’article 10 de la Convention et sur l’article 1 du Protocole no 1, elle argue en particulier que cette décision ainsi que son exécution immédiate étaient illégales au regard des dispositions du code en vigueur à l’époque des faits (paragraphes 116-119 ci-dessus) et que les juridictions nationales sont restées en défaut d’établir ce point. Selon elle, les juridictions nationales des deux niveaux ont examiné ses griefs de façon limitée et superficielle, se contentant de développer une « analyse générale et formelle » de l’affaire portée devant elles.

261. Enfin, la société requérante avance que la modification apportée à l’article 38 § 8 du code peu après la révocation de sa licence (paragraphe 89 ci-dessus) est le signe d’une « attitude tendancieuse » des autorités vis-à-vis de NIT, seul radiodiffuseur selon elle à avoir vu révoquer sa licence sur le fondement de cette disposition.

2. Appréciation de la Cour

262. La Cour considère que la plupart des doléances de la société requérante (paragraphe 260 ci-dessus) recouvrent largement les mêmes éléments que ceux dont l’intéressée se plaint également sous l’angle de l’article 10 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1. Eu égard au raisonnement développé plus haut à ce sujet et au fait que les juridictions nationales ont examiné tous les arguments présentés par la société requérante et les ont écartés sur la base de motifs qui ne paraissent ni arbitraires ni manifestement déraisonnables, la Cour ne peut conclure que les défaillances alléguées de la procédure aient nui à l’équité de celle-ci de quelque façon que ce soit.

263. Pour ce qui est du grief concernant plus particulièrement la modification, illégale selon la société requérante, apportée par les autorités nationales à l’article 38 § 8 du code (paragraphe 261 ci-dessus), la Cour observe que cette modification est entrée en vigueur le 29 mai 2012, c’est-à-dire peu après la révocation de la licence de NIT. Selon les éléments du dossier, elle n’a eu ni influence ni impact sur la procédure que la société requérante a engagée devant les juridictions nationales pour contester la décision prise par le CCA le 5 avril 2012 (paragraphes 89-95 ci-dessus).

264. Dès lors, la Cour n’est pas convaincue que la modification en question ait rendu inéquitable la procédure à laquelle la société requérante a été partie.

265. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

4. Sur la violation alléguée de l’article 13 de la CONVENTION

266. La société requérante soutient que la Cour suprême n’a pas remédié à la violation de ses droits qu’auraient commise le CCA et la cour d’appel, et que dès lors elle n’a pas eu accès à un recours effectif relativement à ses griefs. Elle invoque l’article 13 de la Convention, combiné avec l’article 6 § 1 et l’article 10. L’article 13 se lit ainsi :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

267. Le Gouvernement affirme que la société requérante a eu accès au niveau national à des recours effectifs qui lui ont permis de soulever ses griefs de violation de la Convention. Il estime dès lors qu’aucune question ne se pose en l’espèce sur le terrain de l’article 13 de la Convention.

2. La société requérante

268. La société requérante considère que les autorités nationales ont porté atteinte à son droit à un recours effectif lui permettant de faire valoir ses griefs. Elle se plaint en particulier que les juges aient rejeté sa demande de sursis à exécution de la mesure litigieuse dans l’attente de l’issue de la procédure au principal sans fonder leur raisonnement sur la moindre disposition de loi et en avançant pour seul motif qu’en accordant ce sursis ils auraient risqué de révéler leur position sur le fond de l’affaire. Elle ajoute qu’ils ont méconnu la loi en refusant de prendre en compte les conclusions de la Cour constitutionnelle en date du 6 décembre 2012, ces conclusions étant selon elle directement pertinentes en l’espèce.

269. La société requérante estime donc qu’elle a été privée de toute chance de remédier à l’arrêt immédiat des émissions de NIT, et que son droit d’accès à un tribunal a ainsi été rendu illusoire.

2. Appréciation de la Cour

270. Le grief formulé par la société requérante sur le terrain de l’article 13 ne soulève aucune question distincte de celles que la Cour a déjà examinées sous l’angle des articles 6 et 10 de la Convention. Compte tenu de cet examen, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de se pencher également sur le grief de violation de l’article 13 (voir, parmi d’autres, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 96, série A no 244, et Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 146, CEDH 2000‑XI).

5. sur la violation alléguée de l’article 14 de la CONVENTION

271. La société requérante considère que les autorités nationales lui ont fait subir un traitement discriminatoire en mettant immédiatement à exécution la décision prise par le CCA le 5 avril 2012. Elle invoque l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 §1 et l’article 10. L’article 14 se lit ainsi :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

272. Le Gouvernement déclare que la société requérante n’a pas soulevé ce grief devant les juridictions nationales et qu’en conséquence elle n’a pas épuisé les voies de recours internes qui étaient disponibles.

273. Il ajoute qu’en tout état de cause la société requérante n’a pas subi de discrimination. Les sanctions prononcées par les autorités à la suite d’infractions au code ont selon lui été exécutées de la même manière à l’égard de tous les radiodiffuseurs du pays. De plus, les autorités auraient infligé des sanctions à tous les radiodiffuseurs qui ne se conformaient pas aux exigences du code. La révocation par les autorités de la licence de radiodiffusion de la société requérante serait le résultat des graves infractions au code que l’intéressée aurait commises de manière répétée – ce que n’auraient pas fait les autres radiodiffuseurs – et non d’une quelconque discrimination.

2. La société requérante

274. La société requérante soutient qu’elle a soulevé son grief de discrimination devant les juridictions nationales et qu’elle a ainsi épuisé les voies de recours internes disponibles relativement à ce grief.

275. Elle estime qu’elle a été traitée différemment des autres radiodiffuseurs ayant fait l’objet de sanctions en application du code et que cette différence de traitement ne reposait sur aucune justification objective. Elle affirme que c’était la première fois dans l’histoire du pays qu’une sanction prononcée contre un radiodiffuseur était exécutée immédiatement, et ce alors même que la mesure était contestée devant les juridictions nationales.

276. Selon elle, les juridictions nationales avaient la possibilité de remédier à la violation de ses droits et de surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse mais elles ne l’ont pas fait, et elles n’ont pas non plus expliqué en quoi il était justifié de la traiter différemment.

2. Appréciation de la Cour

277. La Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement. En effet, à supposer même que cette exception doive être rejetée, le grief de la société requérante serait néanmoins irrecevable, pour les raisons exposées ci-après.

278. Le grief de discrimination formulé par la société requérante porte en substance sur le fait que les autorités ont exécuté sur-le-champ la décision du CCA du 5 avril 2012, sans attendre l’issue de la procédure judiciaire que l’intéressée avait engagée contre cette décision.

279. La Cour a déjà établi que les autorités nationales, notamment les autorités judiciaires, ont constamment considéré dans leur interprétation et leur application du droit pertinent en vigueur que les décisions du CCA étaient exécutoires immédiatement après leur publication (paragraphes 168-171 ci-dessus). De plus, aucun élément du dossier ne donne à penser que NIT ait été le premier ou le seul radiodiffuseur à faire face à l’exécution d’une décision du CCA avant l’issue d’une procédure judiciaire.

280. Dans ces conditions, on ne peut pas dire que la société requérante ait démontré avoir été traitée différemment des autres radiodiffuseurs qui se trouvaient dans une situation comparable.

281. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’elle doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête de la société requérante recevable pour ce qui est des griefs formulés sous l’angle de l’article 10 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, et irrecevable pour ce qui est des griefs formulés sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 6 § 1 et l’article 10 ;
2. Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention ;
3. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief formulé sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 5 avril 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren Prebensen Robert Spano
Adjoint à la greffière Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Lemmens, Jelić et Pavli.

R.S.O.
S.C.P.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LEMMENS, JELIĆ ET PAVLI

(Traduction)

1. La présente espèce soulève des questions nouvelles aux implications fondamentales pour la liberté et le pluralisme de la radiodiffusion, ainsi que pour la transparence du discours politique dans nos démocraties. Elle touche à des questions relatives à la nécessité et à la proportionnalité de sanctions sévères infligées à un radiodiffuseur privé pour des raisons de pluralisme interne, ainsi qu’aux garanties procédurales cruciales qui doivent s’appliquer en pareille situation. Si nous souscrivons largement à l’analyse que fait la majorité des principes généralement applicables et des motifs aptes à justifier la révocation de la licence de radiodiffusion de la société requérante, nous désapprouvons la conclusion selon laquelle les décisions des autorités nationales étaient assorties de garanties procédurales suffisantes. C’est pourquoi nous avons voté en faveur d’un constat de violation de l’article 10 de la Convention.

1. Les principes généraux

2. Il apparaît que cette affaire est la première dans laquelle la Cour ait été appelée à se pencher sur la révocation de la licence d’un radiodiffuseur national prononcée pour des raisons de « pluralisme interne », c’est-à-dire parce qu’il n’assurait pas un traitement équilibré des sujets politiques. La Cour a donc dû clarifier la relation entre le pluralisme externe – le pluralisme global du secteur audiovisuel d’un pays, qui jusqu’à présent était au cœur d’une large part de notre jurisprudence en matière de radiodiffusion – et les exigences du pluralisme interne, c’est-à-dire celui qui s’exerce au sein des opérateurs eux-mêmes, question relativement nouvelle dans notre jurisprudence. L’arrêt prononcé aujourd’hui s’emploie à traiter ces questions générales sous le titre « Sur la nécessité de développer la jurisprudence de la Cour concernant le pluralisme des médias » (paragraphes 187-196 de l’arrêt). De manière générale, nous approuvons les éclaircissements livrés sur ces principes dans cette partie de l’arrêt ; nous aurions toutefois souhaité que la Cour insiste davantage sur les aspects essentiels que nous présentons ci‑dessous.

3. Premièrement, toute ingérence dans l’exercice par un radiodiffuseur de la liberté d’expression qui est faite au nom du pluralisme interne devrait nécessairement tenir compte de ses effets sur le pluralisme global de l’offre audiovisuelle du pays (ou d’une partie d’un pays). Le pluralisme interne est simplement un outil qui permet d’atteindre ce but final qu’est le pluralisme externe ; il n’est pas nécessairement une fin en soi. Dans le contexte de la présente affaire, par exemple, il est très important de noter que la chaîne NIT apparaissait comme l’unique opérateur national à mettre en avant les opinions du parti qui était alors le seul du pays à se trouver dans l’opposition. Sa disparition de la scène audiovisuelle a de toute évidence eu un impact négatif sur le pluralisme global. Cette considération ne peut certes signifier qu’il est permis aux voix minoritaires d’enfreindre impunément la loi, mais elle est néanmoins importante.

4. Deuxièmement il est également important de souligner qu’il existe différents modèles de pluralisme interne au sein de l’espace juridique européen, comme le relève à juste titre le paragraphe 190 de l’arrêt. Chaque État, en fonction de ses traditions et de sa culture politique, ainsi que de l’évolution historique de son secteur audiovisuel, a choisi une version plus souple ou plus stricte du pluralisme interne, en particulier pour ce qui concerne les exigences directement basées sur le contenu (voir aussi les conclusions de l’étude de droit comparé présentées aux paragraphes 110-112 de l’arrêt). La raison de cette diversité des approches – et c’est ce que l’arrêt aurait dû admettre plus explicitement à notre avis – réside pour une large part dans le fait que des modèles plus stricts de pluralisme interne ont tendance à connaître des tensions non négligeables avec le principe de l’autonomie éditoriale de chaque radiodiffuseur, pierre angulaire de la liberté des médias (voir l’étude universitaire demandée par la Commission européenne sur les indicateurs du pluralisme des médias, citée au paragraphe 108 de l’arrêt, qui est plus explicite sur ce point)[2]. Ces modèles doivent donc être soumis à un examen plus minutieux que les versions plus souples du pluralisme interne, qui reposent sur une combinaison de garanties structurelles et d’obligations moins rigoureuses pour les radiodiffuseurs de ménager un équilibre global dans leurs programmes concernant des questions publiques.

5. Troisièmement, nous approuvons totalement l’accent que met l’arrêt sur « l’importance du rôle que jouent les autorités de régulation en défendant et en favorisant la liberté et le pluralisme des médias, ainsi que [sur] la nécessité de veiller à l’indépendance de ces autorités eu égard au caractère complexe et délicat de ce rôle » (paragraphe 205 de l’arrêt). De nos jours, on ne peut guère exagérer l’importance que revêtent des autorités de régulation des médias indépendantes, avec leurs impressionnantes prérogatives d’octroi de licences et de surveillance sur un secteur clé de notre discours politique, conjuguées à la déférence qu’elles tendent à se voir accorder en raison de leurs compétences spécialisées, y compris de la part du pouvoir judiciaire (paragraphes 105 et 109 de l’arrêt). Nous considérons toutefois que si un solide cadre de régulation est nécessaire pour offrir les conditions de l’indépendance et de l’impartialité des organes de régulation, ce cadre ne suffit pas en lui-même pour que ces principes cardinaux soient respectés en pratique. Cela vaut particulièrement pour les nouvelles démocraties, mais pas uniquement. Il est donc essentiel que cette Cour mais aussi les juridictions nationales examinent très attentivement toute ingérence commise par une telle autorité de régulation dans l’exercice des libertés des médias, afin de s’assurer que son processus décisionnel ne comporte pas de signes de préjugés ou de défaut de traitement équitable.

6. Quatrièmement, nous estimons que l’arrêt ne fournit pas suffisamment d’indications sur les conditions dans lesquelles un radiodiffuseur national peut faire l’objet de l’ultime sanction qu’est la révocation de la licence – que l’on peut qualifier d’« option nucléaire » – pour des manquements supposés au pluralisme interne, aspect qui revêtira toujours une part de subjectivité dans l’appréciation d’un organe de régulation. À notre avis, la révocation d’une licence pour de tels motifs ne peut être jugée compatible avec l’article 10 que si les conditions minimales suivantes de proportionnalité sont remplies : la mesure doit reposer sur des constats de parti pris persistant du radiodiffuseur, pendant une période étendue, dans le traitement de sujets politiques ; la mesure doit avoir été précédée par une série de sanctions progressives, ainsi que par un avertissement final avant la révocation de la licence ; en l’absence de menace grave, imminente et établie pour les intérêts majeurs de l’État (par exemple sa sécurité nationale), la mesure ne doit pas être mise en œuvre sans que la possibilité ait été donnée au radiodiffuseur de solliciter un contrôle juridictionnel rapide et un sursis à exécution. Après tout, la révocation d’une licence est une forme de restriction préventive et elle doit faire l’objet de garanties similaires (voir, mutatis mutandis, RTBF c. Belgique, no 50084/06, §§ 114-115, CEDH 2011).

7. Enfin, nous aurions souhaité que la Grande Chambre accorde une plus grande attention à l’évolution du rôle de l’audiovisuel à l’ère du numérique, et à ses implications pour le pluralisme externe et pour le pluralisme interne. À certains égards, l’arrêt se lit comme s’il perdait de vue les changements d’époque intervenus au cours des vingt dernières années. Il ne traite pas, par exemple, de la manière dont le passage de l’analogique au numérique au sein même du secteur audiovisuel, conjugué aux transformations liées à la diversité des informations et des opinions accessibles en ligne, a pu influer (ou non) sur les fondements traditionnels d’une régulation plus stricte de la radiodiffusion, comme la rareté des fréquences ou l’attitude du public. En fait nous partageons l’avis que, malgré les bénéfices (et les inconvénients) de l’ère numérique, les médias audiovisuels en Europe sont encore, pour l’heure du moins, « un secteur sensible » qui appelle une réglementation minutieuse (paragraphe 192 de l’arrêt). Cependant, cette conclusion est loin d’être évidente, en particulier pour le long terme, et l’arrêt aurait apporté une plus grande contribution au secteur en s’engageant plus sérieusement sur ces questions.

2. Le cadre moldave du pluralisme interne et de l’indépendance de l’autorité de régulation

8. Concernant le cadre national applicable dans cette affaire, nous ne pouvons qu’être d’accord avec la majorité lorsqu’elle dit que la politique de pluralisme interne choisie par le législateur moldave à l’époque pertinente était relativement stricte (paragraphe 202 de l’arrêt), mais nous ne pouvons partager l’avis selon lequel cette politique ne posait guère de problème ou n’était « pas fondamentalement différente de celle (...) de nombreux États membres du Conseil de l’Europe » (paragraphe 208 de l’arrêt). Plusieurs aspects du cadre juridique national, tel qu’en vigueur à l’époque pertinente, nous paraissent plutôt problématiques.

9. Le principal sujet de préoccupation est l’obligation, posée à l’article 7 § 2 du code de l’audiovisuel, faite au radiodiffuseur d’« accorder un temps d’antenne aux autres partis et mouvements politiques dans le cadre du même type de programme et à la même tranche horaire », lorsqu’il « octroie à un parti ou mouvement politique un temps d’antenne pour la diffusion de ses idées » (paragraphe 85 de l’arrêt). Cette obligation présente à la fois un caractère vague et une portée potentiellement trop large, et dans la pratique il peut s’avérer relativement difficile de la mettre en œuvre sans porter une atteinte importante à l’indépendance éditoriale. Elle semble partir du principe que la principale fonction d’une chaîne de télévision privée est d’offrir des temps d’antenne égaux aux mouvements politiques désireux de « diffuser leurs idées » ; prise au pied de la lettre, elle risque de faire des radiodiffuseurs privés de simples porte-parole de partis politiques. De telles exigences ne sont peut-être pas rares dans le petit créneau des campagnes électorales, et telles qu’applicables aux programmes électoraux seulement, mais elles seraient très difficiles à respecter dans le cadre d’une programmation ordinaire, en particulier dans les bulletins d’information. Ces derniers doivent être inspirés par l’appréciation éditoriale indépendante de la chaîne quant à l’intérêt journalistique des événements et questions du jour, et non par les besoins des partis politiques de mettre en avant leurs projets. À cet égard, il est important de rappeler que c’est uniquement en raison de ses bulletins d’information que la société requérante a perdu sa licence. Enfin, il y a lieu de noter que le code moldave actuel de l’audiovisuel, qui a été adopté en 2018, ne contient pas de dispositions analogues à l’ancien article 7 § 2 et qu’il est globalement bien plus proche de la norme européenne dans sa formulation des obligations liées à un traitement impartial et équilibré des informations (paragraphe 96 de l’arrêt).

10. Deuxièmement, pour ce qui est des principes applicables sur le terrain de l’article 10 de la Convention, nous n’estimons pas utiles dans ce contexte les références que fait la majorité au « droit de réponse » (paragraphe 200 de l’arrêt). Tout d’abord, dans les pays qui connaissent une forme ou une autre de droit de réponse, celui-ci offre généralement aux personnes qui ont été critiquées dans les médias une possibilité de répondre à des déclarations qui sont factuellement inexactes ou diffamatoires, sous réserve d’autres conditions (voir, parmi les exemples récents, Gülen c. Turquie (déc.), nos 38197/16 et 5 autres, § 67, 8 septembre 2020). En tant que tel, ce droit de réponse n’est pas un moyen approprié pour assurer le pluralisme politique global, en particulier du point de vue de la diversité des opinions (il est tout simplement impossible pour un média d’accorder un droit de réponse à chaque personne qui désapprouve une quelconque opinion exprimée dans ses pages ou ses émissions). En revanche, une obligation générale d’offrir une « possibilité de formuler des commentaires » (paragraphe 200 de l’arrêt) à toutes les grandes parties prenantes à une discussion ou une polémique donnée semble constituer une base plus raisonnable. Une telle obligation est toutefois relativement différente de celle d’« accorder un temps d’antenne » à tous les partis politiques lorsque l’un d’eux se voit offrir une possibilité de faire des commentaires. Nous remarquons que l’exigence découlant de l’article 7 § 4 c) du code moldave de l’audiovisuel – l’obligation d’assurer la « pluralité des sources d’information » pour les situations conflictuelles, telle qu’applicable spécifiquement aux bulletins d’information – est mieux formulée que les très larges obligations résultant de l’article 7 § 2.

11. Enfin, nous tenons à mettre en avant certaines préoccupations touchant à l’indépendance du Conseil de coordination de l’audiovisuel (« le CCA »), l’autorité régulatrice ayant ordonné la révocation de la licence de la société requérante. L’arrêt relève que les préoccupations que les experts du Conseil de l’Europe avaient exprimées quant aux garanties structurelles de l’indépendance du CCA « ont dans l’ensemble été acceptées par le législateur moldave et introduites dans le texte final du code » (paragraphe 205 de l’arrêt). Or, cela n’est vrai qu’en partie. L’un des éléments clés ayant conduit les experts du Conseil de l’Europe à livrer une évaluation positive du projet de code audiovisuel tenait à une disposition qui exigeait que les membres du CCA fussent désignés par une majorité qualifiée des deux tiers des membres du Parlement. Les experts avaient spécifiquement noté dans leur appréciation finale que cette disposition devait « être accueillie favorablement »[3], et l’on peut supposer qu’ils l’aient considérée comme une garantie appréciable dans le schéma institutionnel global, qui permettrait de protéger le CCA contre la domination d’un parti unique. Cependant, cette disposition avait été modifiée lors des phases finales de l’adoption du code par le Parlement, après quoi elle ne prévoyait plus qu’une désignation à la majorité simple (article 42 du code, cité au paragraphe 85 de l’arrêt). De plus, les préoccupations relatives à l’indépendance du CCA dépassaient le cadre juridique : le rapport de suivi sur le Moldova établi en 2012 par la Commission européenne engageait les autorités nationales à « veiller à l’indépendance pleine et effective » du CCA ; telle était sa recommandation première dans le domaine de la liberté des médias pour l’année 2012[4]. Le fait que la plupart des membres du CCA aient été nommés avant le changement de gouvernement intervenu en 2009 (paragraphe 222 de l’arrêt) ne suffit pas à nos yeux à chasser ces préoccupations, qui ont été réaffirmées par la Commission européenne et d’autres protagonistes jusqu’en 2013, c’est-à-dire à la suite de la controverse déclenchée par les circonstances de la présente espèce.

12. Soulignons à ce stade que nous ne perdons pas de vue le contexte national général lié à l’époque concernée, qui fut pour le Moldova une période difficile de transition vers une démocratie européenne moderne (paragraphe 202 de l’arrêt). De telles considérations pourraient éventuellement justifier l’existence de règles relativement strictes encadrant le pluralisme interne (voire un manque de clarté de ces règles) ; encore faut‑il que toute décision prise dans le respect de ce cadre soit défendable au regard des critères de fond et de procédure posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 10.

C. La révocation de la licence de radiodiffusion de la société requérante

13. À la lumière des considérations générales exposées ci-dessus, nous estimons qu’il y avait en l’espèce au moins cinq facteurs qui appelaient un examen rigoureux de la Cour : l’existence d’un modèle national strict de pluralisme interne, fondé sur des dispositions législatives qui étaient susceptibles de donner lieu à une exécution indéterminée et subjective ; l’imposition au radiodiffuseur de la sanction ultime, avec effet immédiat ; le fait que l’opérateur en question représentait la principale voix de l’opposition sur la scène audiovisuelle du pays ; l’existence de certaines préoccupations relatives à l’indépendance du CCA ; enfin, les évidents effets dissuasifs que la révocation d’une licence dans ces conditions allait avoir sur d’autres radiodiffuseurs et sur le discours politique national en général. En fait, la majorité reconnaît que la Cour « doit [examiner] attentivement » la question de la proportionnalité de l’ingérence en tenant compte au moins de certains des facteurs mentionnés (paragraphe 222 de l’arrêt). Toutefois, nous ne sommes pas convaincus que la majorité ait bien procédé à cet examen attentif, en particulier pour ce qui concerne les garanties procédurales contre l’arbitraire et les abus. Au lieu de cela, elle a imposé à la société requérante la tâche relativement impossible de présenter des « élément[s] concret[s] » propres à montrer que la décision du CCA avait été motivée par un parti pris ou des pressions politiques (ibidem, in fine).

14. Précisons tout d’abord que nous ne sommes pas en désaccord avec l’essentiel de l’analyse des autorités nationales, largement approuvée par la Grande Chambre, selon laquelle le traitement par NIT des informations était « clairement orienté en faveur des activités » d’un seul parti et n’offrait pas de possibilités suffisantes à d’autres protagonistes politiques, en particulier les partis qui étaient au pouvoir, de présenter leurs points de vue (paragraphe 213 de l’arrêt). Même si, bien entendu, il n’est guère surprenant que dans une démocratie les médias se montrent plus critiques à l’égard du gouvernement en place que des acteurs de l’opposition, il n’en reste pas moins que le gouvernement a droit à un traitement équitable, de façon générale. Nous admettons également que la société requérante a fait preuve d’une certaine obstination dans son traitement orienté de l’information, alors qu’elle s’est vu infliger pendant un certain nombre d’années de multiples sanctions, d’une sévérité croissante même si pour la plupart elles ont consisté en des amendes de montants modestes (paragraphe 224 de l’arrêt). Nous ne pouvons toutefois souscrire à l’avis de la majorité selon lequel la décision de révocation de la licence a été assortie de garanties procédurales adéquates contre l’arbitraire et la partialité, et ce pour les raisons que nous exposerons ci-dessous.

15. Concernant tout d’abord la méthode employée par le CCA pour surveiller le respect du pluralisme, nous observons qu’elle s’est fondée exclusivement sur les bulletins d’information et qu’elle a porté sur une période d’à peine cinq jours. Nous estimons qu’une période aussi brève n’est ni appropriée ni conforme aux bonnes pratiques pertinentes, qui tendent à préconiser des périodes de surveillance plus longues, choisies de manière aléatoire et espacées de plusieurs mois. Il existe un risque non négligeable qu’un contrôle effectué sur une seule semaine produise des résultats faussés, en fonction des développements politiques de la semaine en question ou de la température politique du pays, par exemple. En outre, nous avons déjà signalé les difficultés d’application des normes de l’article 7 § 2 du code aux bulletins d’information (paragraphe 9 ci-dessus).

16. Deuxièmement, la façon extrêmement hâtive avec laquelle le CCA a adopté sa décision finale soulève de graves questions relatives à son équité procédurale et à la possibilité pour la société requérante de présenter une défense effective. L’avocat de la société requérante s’est vu présenter les conclusions de la procédure de contrôle sans en avoir été informé au préalable, sans possibilité réelle de préparer une ligne de défense ou de consulter sa cliente, et sans avoir été averti qu’une décision de révocation était envisagée. La décision du CCA a été prise le jour même et les émissions de la chaîne ont été interrompues dans les vingt-quatre heures. Nous ne voyons tout simplement pas comment une telle procédure pourrait passer pour une procédure administrative équitable, compte tenu en particulier de la gravité de son dénouement.

17. Troisièmement, la manière dont le CCA a organisé cette procédure et pris sa décision soulève de graves questions quant à son attitude à l’égard de la société requérante, ainsi qu’à sa propre indépendance et à sa propre impartialité dans le processus. Comme la Cour l’a souvent fait observer, par‑delà les subtilités de tout texte législatif ou dispositif institutionnel, l’indépendance d’un organe décisionnel est en fin de compte un « état d’esprit » (voir, concernant les organes judiciaires, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande [GC], no 26374/18, § 234, 1er décembre 2020). Dès lors, il peut s’avérer extrêmement difficile pour un requérant de fournir des « éléments concrets » indiquant l’existence d’un parti pris ou d’un défaut d’indépendance, et nous considérons que l’approche adoptée par la majorité à cet égard non seulement ne cadre pas avec la notion d’« examen attentif » des ingérences de l’État dans l’exercice de la liberté des médias, mais de plus est problématique pour de futurs requérants qui pourraient soulever des griefs similaires sur le terrain de l’article 10 (et, plus largement, des griefs de discrimination générale).

18. La Cour devrait pouvoir s’appuyer sur la totalité des éléments du dossier et tirer des conclusions à partir des actions et des justifications – ou de leur absence – fournies par les autorités concernées. C’est au fruit que l’on juge l’arbre ; autrement dit, la preuve de l’impartialité devrait se trouver dans le résultat du processus décisionnel – telle est en fait l’approche suivie par la Cour lorsqu’elle apprécie l’impartialité objective des organes décisionnels judiciaires sous l’angle de l’article 6 de la Convention. La norme pertinente consiste à se demander si « certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité » de l’organe lui-même aux yeux d’un observateur objectif (voir, parmi bien d’autres, Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 96, CEDH 2009). L’approche adoptée par la majorité dans le présent arrêt contraste également avec le large examen contextuel effectué par la Cour dans d’autres affaires traitées sous l’angle de l’article 10 et concernant des allégations de partialité, de « buts inavoués » ou de visées punitives d’un gouvernement cherchant à sanctionner un orateur pour ses opinions (voir, par exemple, Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, §§ 145-149, 23 juin 2016). Dans la présente espèce, le gouvernement défendeur n’a avancé aucune explication convaincante pour justifier la précipitation avec laquelle le CCA a adopté et exécuté sa décision de révocation. Ce manquement pèse lourdement dans notre appréciation de l’équité globale de la procédure.

19. Pour finir, il est important de se pencher sur le rôle des juridictions nationales. Nous sommes disposés à admettre que les préoccupations relatives à l’équité de la procédure administrative menée devant le CCA auraient pu être apaisées si les juridictions nationales avaient effectué un contrôle juridictionnel solide afin de remédier à ces défaillances, en particulier relativement à la demande que la société requérante avait formée en vue d’obtenir des mesures provisoires urgentes. Comme le reconnaît l’arrêt, « l’effet immédiat d’une mesure portant atteinte au droit à la liberté d’expression peut peser lourdement [...] dans des circonstances où [les] garanties procédurales [pertinentes] font défaut » (paragraphe 226 de l’arrêt). C’est hélas ce qui s’est produit avec le contrôle juridictionnel national, et c’est là que réside l’un de nos plus grands désaccords avec les conclusions de la majorité sur le fond de l’affaire (voir le paragraphe 227 de l’arrêt, qui constate que les juridictions nationales « ont en substance mis en balance les intérêts concurrents qui étaient en jeu »).

20. Les juridictions nationales, dont la Cour suprême, ont rejeté la demande de sursis à exécution formée par la société requérante au motif qu’une décision d’y faire droit exposerait les juridictions au risque de « statuer sur le fond de l’affaire », et que l’allégation de la requérante selon laquelle ses droits à la liberté d’expression risquaient de subir une atteinte irréparable était purement « déclarative et non établie » (paragraphe 54 de l’arrêt). À notre avis, ces arguments ne sont pas du tout convaincants, eu égard à ce qui était en jeu pour la capacité d’un radiodiffuseur national à poursuivre ses émissions, et sans parler des importantes conséquences financières pour une chaîne de télévision confrontée à la perspective de ne plus pouvoir émettre pendant de longs mois en attendant l’adoption d’une décision définitive sur le fond. La procédure administrative défaillante qui s’est déroulée devant le CCA – et qui a fait taire sur-le-champ la principale voix de l’opposition sur la scène audiovisuelle nationale – aurait dû être pour les juridictions nationales un évident signal d’alerte ; or celui-ci n’a pas été dûment examiné, ni même reconnu dans leurs décisions, que ce soit aux étapes intermédiaires ou finales de la résolution de l’affaire. Ce mépris désinvolte pour les valeurs essentielles liées à la liberté des médias ne peut passer pour conforme aux normes exigeantes qui découlent de l’article 10 dans le domaine du discours politique. Par ailleurs, il est impossible d’ignorer l’existence d’un « effet dissuasif » général sur les autres radiodiffuseurs nationaux, qui ont assurément suivi la procédure avec une vive attention.

21. En conclusion, nous convenons que les autorités nationales pouvaient avoir de bonnes raisons d’envisager la révocation de la licence de la société requérante, eu égard au parti pris persistant dont elle a fait preuve dans le traitement des sujets politiques. Nous considérons toutefois que la décision même de révoquer la licence était entachée de graves défaillances procédurales qui non seulement ont empêché la société requérante de défendre convenablement ses intérêts mais de plus ont soulevé d’importantes questions concernant l’impartialité du CCA dans la procédure. Puisqu’à notre avis les juridictions nationales n’ont pas non plus promptement répondu et remédié à ces défaillances, nous concluons qu’il y a eu violation des droits de la société requérante découlant de l’article 10 de la Convention.

22. S’agissant des griefs formulés par la société requérante sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, les juges Lemmens et Pavli ont voté en faveur d’un constat de violation de cette disposition, estimant que les graves violations d’ordre procédural qui ont entaché la décision de révocation de la licence ont forcément eu d’importantes répercussions sur les droits patrimoniaux du titulaire de la licence, rendant les ingérences dans l’exercice de ces droits disproportionnées en l’espèce.

* * *

[1] Rapport du Conseil de l’Europe ATCM(2006)004 intitulé « Analysis and Comments on the Draft Audiovisual Code of the Republic of Moldova », p. 3.

[2] Sur les normes de « pluralisme politique », cette étude cite la Recommandation CM/Rec(2007)2 du Conseil de l’Europe : « Il faut ménager soigneusement un équilibre entre la stimulation du pluralisme politique et le respect de l’indépendance éditoriale des médias. Les médias privés ont le droit de suivre une ligne éditoriale susceptible de montrer une préférence politique particulière. L’impartialité comme qualité du compte rendu politique ne peut donc pas être exigée de ce type de médias. Néanmoins, le traitement de sujets politiques, même par des radiodiffuseurs et journaux privés, doit au moins être équitable et exact. »

[3] E. Salomon et K. Jakubowicz, « Analysis and comments on the draft audiovisual Code of the Republic of Moldova », 15 mai 2006, doc. ATCM(2006)004, p. 29 ; consultable à cette adresse :

[http://old.parlament.md/download/expertises/ATCM(2006)004_en%20Moldova.pdf](http://old.parlament.md/download/expertises/ATCM.2006.004_en%20Moldova.pdf)

[4] Consultable à cette adresse :

[https://eeas.europa.eu/archives/docs/enp/pdf/docs/2013_enp_pack/2013_memo_moldova_en.pdf](https://eeas.europa.eu/archives/docs/enp/pdf/docs/2013_enp_pack/2013_memo_moldova_en.pdf)


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