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13/01/2022 | CEDH | N°001-215076

CEDH | CEDH, AFFAIRE HASHEMI c. AZERBAÏDJAN, 2022, 001-215076


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HASHEMI c. AZERBAÏDJAN

(Requête no 1480/16 et 6 autres –

voir liste en annexe)

ARRÊT


Art 8 • Vie privée • Refus arbitraire de délivrer une carte d’identité à des enfants nés sur le territoire national de parents étrangers, malgré un acte de naissance les reconnaissant de nationalité azerbaidjanaise • Situation assimilable à un refus de reconnaître la nationalité du pays • Application des principes en matière de déchéance de nationalité • Législation de l’époque ne prévoyant aucune exception

à l’acquisition de la nationalité en vertu du « droit du sol » • Déni de nationalité illégal et non assorti des garan...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HASHEMI c. AZERBAÏDJAN

(Requête no 1480/16 et 6 autres –

voir liste en annexe)

ARRÊT

Art 8 • Vie privée • Refus arbitraire de délivrer une carte d’identité à des enfants nés sur le territoire national de parents étrangers, malgré un acte de naissance les reconnaissant de nationalité azerbaidjanaise • Situation assimilable à un refus de reconnaître la nationalité du pays • Application des principes en matière de déchéance de nationalité • Législation de l’époque ne prévoyant aucune exception à l’acquisition de la nationalité en vertu du « droit du sol » • Déni de nationalité illégal et non assorti des garanties procédurales nécessaires

STRASBOURG

13 janvier 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention . Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hashemi c. Azerbaïdjan,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Síofra O’Leary, présidente,
Ganna Yudkivska,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Lətif Hüseynov,
Jovan Ilievski,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar, juges,
et de Victor Soloveytchik, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 1480/16, 3936/16, 15835/16, 28034/16, 34491/16, 51348/16 et 15904/17) dirigées contre la République d’Azerbaïdjan et dont huit ressortissants afghans et pakistanais (« les requérants »), dont les noms figurent en annexe, ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau joint en annexe,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement azerbaïdjanais (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 8 de la Convention et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus,

la décision de la présidente de la section d’autoriser Mme A. Nasirli à assumer dans la procédure devant la Cour la qualité de représentant des requérants (article 36 § 4 (a) in fine du règlement de la Cour),

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 30 novembre 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requérants allèguent que le refus de reconnaissance de la citoyenneté azerbaïdjanaise de leurs enfants par les autorités nationales, qui se sont opposées à la délivrance d’une carte d’identité, a emporté violation de l’article 8 de la Convention.

EN FAIT

2. Les informations relatives aux dates de naissance et lieux de résidence des requérants figurent en annexe. Les requérants ont été représentés par différents représentants (voir l’annexe).

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. Ç. Əsgərov.

1. L’arrivée des requérants en Azerbaïdjan et la naissance des enfants concernés
1. Requête no 1480/16

4. à une date non précisée de l’année 2000, le requérant et sa famille fuirent l’Afghanistan et s’installèrent en Azerbaïdjan, où ils s’enregistrèrent auprès du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), qui leur délivra une lettre de protection.

5. La fille du requérant, Fatima Said Hashemi, est née en Azerbaïdjan le 25 juin 2004. Un acte de naissance lui fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 20 décembre 2011.

2. Requête no 3936/16

6. à une date non précisée de l’année 2008, le requérant et sa femme fuirent l’Afghanistan et s’installèrent en Azerbaïdjan, où ils s’enregistrèrent auprès du HCR, qui leur délivra une lettre de protection.

7. Les enfants du requérant, Maryam Ehsani et Nastaran Ehsani, sont nées en Azerbaïdjan le 29 novembre 2008 et le 6 janvier 2010 respectivement. Un acte de naissance leur fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 27 avril 2010 et le 18 octobre 2013 respectivement.

3. Requête no 15835/16

8. à une date non précisée de l’année 2009, le requérant et sa femme fuirent l’Afghanistan et s’installèrent en Azerbaïdjan, où ils s’enregistrèrent auprès du HCR, qui leur délivra une lettre de protection.

9. Les enfants du requérant, Suleyman Rustami et Osman Rustami, sont nés en Azerbaïdjan le 28 juin 2010 et le 25 août 2011 respectivement. Un acte de naissance leur fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 19 mai 2011 et le 6 septembre 2011 respectivement.

4. Requête no 28034/16

10. À une date non précisée, la requérante fuit l’Afghanistan et s’installa en Azerbaïdjan, où elle s’enregistra auprès du HCR, qui lui délivra une lettre de protection.

11. Les enfants de la requérante, Ilaha Kohestani et Bilal Kohestani, sont nés en Azerbaïdjan le 18 septembre 2006 et le 30 août 2008 respectivement. Un acte de naissance leur fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 22 juillet 2011 et le 15 février 2011 respectivement.

5. Requête no 34491/16

12. à une date non précisée de l’année 1993, la première requérante dans cette requête, Nafisa Ahmadzadeh, et son mari fuirent l’Afghanistan et s’installèrent en Azerbaïdjan, où ils s’enregistrèrent auprès du HCR, qui leur délivra une lettre de protection.

13. Les trois enfants de la première requérante, à savoir, Beheshta Ahmadzadeh, (qui est requérante aux côtés de sa mère dans la présente requête), et ses frères, Mostafa Ahmadzadeh et Saharjan Ahmadzadeh, sont nés en Azerbaïdjan le 8 mars 1993, le 6 septembre 1998 et le 28 novembre 2005 respectivement. Un acte de naissance leur fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 6 juillet 1993, le 12 août 1999 et le 22 avril 2008 respectivement.

6. Requête no 51348/16

14. à une date non précisée de l’année 2010, le requérant et sa femme fuirent le Pakistan et s’installèrent en Azerbaïdjan, où ils s’enregistrèrent auprès du HCR, qui leur délivra une lettre de protection.

15. La fille du requérant, Fariya Fatima Qureshi, est née en Azerbaïdjan le 6 juillet 2013. Un acte de naissance lui fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 10 janvier 2014.

7. Requête no 15904/17

16. à une date non précisée de l’année 2003, le requérant fuit l’Afghanistan et s’installa en Azerbaïdjan, où il s’enregistra auprès du HCR, qui lui délivra une lettre de protection.

17. Les enfants du requérant, Mujda Haidari et Marva Haidari, sont nées en Azerbaïdjan le 7 novembre 2011 et le 4 octobre 2013 respectivement. Un acte de naissance leur fut délivré par les autorités azerbaïdjanaises le 7 mars 2013 et le 8 mai 2014 respectivement.

2. La procédure interne engagée par les requérants

18. À la suite du refus par les autorités de police de délivrer une carte d’identité à leurs enfants nés sur le territoire azerbaïdjanais, les requérants saisirent, à différentes dates dans le courant de l’année 2014, le tribunal administratif et économique de Bakou de recours distincts. Se référant à l’article 52 de la Constitution, ainsi qu’aux articles 6 et 11 de la loi sur la citoyenneté telle qu’elle fut en vigueur jusqu’au 30 mai 2014, ils soutenaient qu’en application du principe du droit du sol (jus soli), tel que consacré par la législation azerbaïdjanaise susmentionnée, leurs enfants étaient des citoyens azerbaïdjanais dès leur naissance et que, par conséquent, le refus de délivrance de pièces d’identité qui leur était opposé était illégal.

19. À différentes dates en 2014 et 2015, le tribunal administratif et économique de Bakou rejeta les recours formés par les requérants. Estimant que les enfants des requérants ne pouvaient pas être considérés comme des citoyens azerbaïdjanais, dès lors que leurs parents avaient une autre nationalité, en l’occurrence la nationalité afghane ou pakistanaise, il jugea que les décisions contestées n’avaient rien d’illégal. Par ailleurs, sans développer davantage son raisonnement à cet égard, il estima que le seul fait que les enfants fussent nés sur le sol azerbaïdjanais ne pouvait suffire à leur conférer la citoyenneté azerbaïdjanaise.

20. Les requérants interjetèrent appel de ces décisions, réitérant les arguments soulevés par eux devant le tribunal de première instance. Ils contestaient en particulier l’interprétation faite du droit applicable par le tribunal de première instance, arguant qu’aux termes de la législation en vigueur avant le 30 mai 2014, un enfant né sur le territoire azerbaïdjanais était considéré comme citoyen azerbaïdjanais, indépendamment de la citoyenneté de ses parents. Ils indiquaient en outre que leurs enfants étaient déjà en possession d’un document attestant leur citoyenneté azerbaïdjanaise, à savoir leur acte de naissance azerbaïdjanais, et que le refus par les autorités compétentes de leur délivrer une carte d’identité était illégal.

21. À des dates différentes la cour d’appel de Bakou rejeta les appels des requérants et confirma les décisions rendues par le tribunal de première instance. Elle ne répondit pas aux arguments spécifiques des requérants.

22. À des dates différant d’un cas à l’autre et figurant en annexe, la Cour suprême rejeta les pourvois en cassation des requérants.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. La Constitution

23. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution du 12 novembre 1995 sont ainsi libellées :

Article 52 – Droit à la citoyenneté

« Est citoyen de la République d’Azerbaïdjan toute personne ayant un lien politique et juridique, ainsi que des droits et des devoirs réciproques avec la République d’Azerbaïdjan. Toute personne née sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan ou née de citoyens de la République d’Azerbaïdjan est citoyenne de la République d’Azerbaïdjan. Toute personne dont un des parents est citoyen de la République d’Azerbaïdjan est citoyenne de la République d’Azerbaïdjan. »

2. La loi sur la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan du 30 septembre 1998 (« la loi du 30 septembre 1998 »)

24. Les dispositions pertinentes de la loi du 30 septembre 1998, telle qu’elle fut en vigueur jusqu’au 30 mai 2014, se lisaient comme suit :

Article 1 – Droit à la citoyenneté

« Conformément à l’article 52 de la Constitution de la République d’Azerbaïdjan, est citoyen de la République d’Azerbaïdjan toute personne ayant un lien politique et juridique, ainsi que des droits et des devoirs réciproques avec la République d’Azerbaïdjan. Toute personne née sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan ou née de citoyens de la République d’Azerbaïdjan est citoyenne de la République d’Azerbaïdjan. Toute personne dont un des parents est citoyen de la République d’Azerbaïdjan est citoyenne de la République d’Azerbaïdjan. »

Article 6 – Documents attestant la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan

« Attestent la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan les documents suivants :

1) l’acte de naissance ;

2) la carte d’identité du citoyen de la République d’Azerbaïdjan ;

3) le passeport du citoyen de la République d’Azerbaïdjan. »

Article 10 – Non-reconnaissance de l’appartenance d’un citoyen
de la République d’Azerbaïdjan à la citoyenneté d’un État étranger

« L’appartenance d’un citoyen de la République d’Azerbaïdjan à la citoyenneté d’un État étranger n’est pas reconnue, sauf dans les cas prévus par les traités internationaux auxquels la République d’Azerbaïdjan est partie ou décidés conformément au paragraphe 32 de l’article 109 de la Constitution de la République d’Azerbaïdjan. »

Article 11 – Principes d’acquisition de la citoyenneté
de la République d’Azerbaïdjan

« Une personne acquiert la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan dans les cas suivants :

1) lorsqu’elle est née sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan ou qu’un de ses parents est citoyen de la République d’Azerbaïdjan ;

2) lorsqu’elle est admise à la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan ;

3) s’il existe des motifs prévus par des traités internationaux auxquels la République d’Azerbaïdjan est partie ;

4) s’il existe d’autres principes prévus par la présente loi. »

Article 12 – Acquisition de la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan
par des enfants nés de parents apatrides

« L’enfant né de parents apatrides sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan est citoyen de la République d’Azerbaïdjan. »

25. La loi du 30 septembre 1998 fut modifiée par une loi entrée en vigueur le 30 mai 2014, dont l’absence de rétroactivité n’est contestée par aucune parties et n’est pas sujet à débats, apporta plusieurs changements visant à restreindre l’acquisition de la citoyenneté sur le fondement du droit du sol. En particulier, l’acte de naissance fut retiré de la liste des documents attestant la nationalité de la République d’Azerbaïdjan selon l’article 6 de la loi du 30 septembre 1998. Les articles 11 et 12 de la loi du 30 septembre 1998 furent également modifiés. Ils étaient libellés comme suit dans leur nouvelle rédaction :

Article 11 – Principes d’acquisition de la citoyenneté
de la République d’Azerbaïdjan

« Une personne acquiert la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan dans les cas suivants :

1) lorsqu’elle est née sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan (à l’exception des cas prévus par les alinéas 1 et 2 de l’article 12 de la présente loi) ou qu’un de ses parents est citoyen de la République d’Azerbaïdjan ;

(...) »

Article 12 – La citoyenneté des enfants nés sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan de parents étrangers et apatrides

« L’enfant né sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan dont les deux parents sont étrangers n’est pas considéré comme citoyen de la République d’Azerbaïdjan.

L’enfant né sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan dont un des parents est étranger et l’autre apatride n’est pas considéré comme citoyen de la République d’Azerbaïdjan.

L’enfant né sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan dont les deux parents sont apatrides est considéré comme citoyen de la République d’Azerbaïdjan. »

3. La loi sur les droits de l’enfant du 19 mai 1998 (« la loi du 19 mai 1998 »)

26. Les dispositions pertinentes de la loi du 19 mai 1998, telle qu’elle fut en vigueur jusqu’au 3 avril 2015, se lisaient ainsi :

Article 10 – Droit de l’enfant à un nom et à la citoyenneté

« Chaque enfant est enregistré après sa naissance conformément à la législation de la République d’Azerbaïdjan et acquiert la citoyenneté (...) »

27. L’article 10 de la loi du 19 mai 1998 fut modifié par une loi du 3 avril 2015, qui, dans sa partie pertinente, lui donna le libellé suivant :

Article 10 – Droit de l’enfant à un nom et à la citoyenneté

« Chaque enfant est enregistré après sa naissance conformément à la législation de la République d’Azerbaïdjan et acquiert la citoyenneté à l’exception des cas prévus par les alinéas 1 et 2 de l’article 12 de la loi sur la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan (...) »

4. Le Code de la famille

28. L’enfant est défini comme toute personne n’ayant pas atteint l’âge de dix-huit ans (l’âge de la majorité) (article 49.1).

29. Les parents doivent défendre les droits et intérêts de leurs enfants. Ils peuvent agir d’office devant les tribunaux en tant que représentants légaux de leurs enfants (article 59.1).

5. La décision de la Cour Constitutionnelle du 31 janvier 2003

30. Les parties pertinentes de la décision de la Cour constitutionnelle du 31 janvier 2003 relative à l’interprétation de l’article 5 de la loi sur l’enregistrement dans le lieu de résidence et de séjour, et à l’interprétation des dispositions concernant la description de la carte d’identité approuvée par la loi sur l’approbation de l’exemple de la carte d’identité du citoyen de la République d’Azerbaïdjan se lisent ainsi :

« Conformément à l’article 52 de la Constitution, est citoyen de la République d’Azerbaïdjan toute personne ayant un lien politique et juridique, ainsi que des droits et des devoirs réciproques avec la République d’Azerbaïdjan.

(...)

Conformément à l’article 6 de la loi sur la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan, trois types de documents peuvent attester la citoyenneté de la République d’Azerbaïdjan : l’acte de naissance, la carte d’identité du citoyen de la République d’Azerbaïdjan et le passeport du citoyen de la République d’Azerbaïdjan. Chacun de ces documents a une place et une finalité particulière.

L’acte de naissance officialise juridiquement le fait de la naissance et contient toutes les indications relatives à ce fait. Ce document est considéré comme un document initial indispensable pour attester le droit à la citoyenneté. Il constitue le fondement nécessaire pour qu’une personne née sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan, née de citoyens de la République d’Azerbaïdjan ou née de parents dont l’un est citoyen de la République d’Azerbaïdjan soit considérée comme citoyenne de la République d’Azerbaïdjan, sans aucune condition (şərtsiz olaraq) conformément à l’article 52 de la Constitution. »

Les documents internationaux pertinents

31. Dans le cadre de l’élaboration du rapport du Secrétaire général des Nations unies daté du 23 janvier 2009 et intitulé « Privation arbitraire de la nationalité » (A/HRC/10/34), certains États, dont l’Azerbaïdjan, ont présenté des renseignements sur leur législation interne. La partie pertinente du rapport relatif à la législation azerbaïdjanaise se lit ainsi :

« 7. Le Gouvernement azerbaïdjanais a déclaré qu’en vertu de la Constitution de l’Azerbaïdjan, toute personne née en Azerbaïdjan était considérée citoyenne d’Azerbaïdjan. Une personne dont les parents sont azerbaïdjanais est également considérée comme telle (...) »

32. Le deuxième rapport périodique de l’Azerbaïdjan soumis au Comité des droits de l’enfant des Nations unies (CRC/C/83/Add.13), distribué le 7 avril 2005, se lit comme suit dans sa partie pertinente :

« A. Le nom et la nationalité
(article 7)

98. En vertu de l’article 10 de la loi sur les droits de l’enfant, chaque enfant est enregistré dès sa naissance conformément à la législation et acquiert la citoyenneté. (...) »

33. Les troisième et quatrième rapports périodiques conjoints de l’Azerbaïdjan soumis au Comité des droits de l’enfant des Nations unies (CRC/C/AZE/3-4), distribués le 26 avril 2011, comportent les observations suivantes :

« Article 7
Nom et nationalité

111. En vertu de l’article 10 de la loi sur les droits de l’enfant, chaque enfant doit être enregistré immédiatement après sa naissance conformément à la législation de la République d’Azerbaïdjan et acquérir la nationalité.

(...) »

34. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), dans son deuxième rapport sur l’Azerbaïdjan (CRI(2007)22), adopté le 15 décembre 2006 et publié le 24 mai 2007, s’est notamment exprimée comme suit :

« . Loi sur la nationalité

(...)

11. L’ECRI note avec préoccupation les allégations selon lesquelles la loi sur la nationalité serait mal interprétée par les fonctionnaires compétents. (...) En outre, la loi sur la nationalité prévoit qu’une personne peut obtenir la nationalité azerbaïdjanaise si elle est née sur le territoire azerbaïdjanais (article 11 de la loi sur la nationalité de la République d’Azerbaïdjan et article 52 de la Constitution). En pratique toutefois, des ressortissants russes d’origine tchétchène n’ont apparemment pas été en mesure de déclarer leurs enfants nés récemment en Azerbaïdjan en tant que citoyens azerbaïdjanais.

Recommandations :

12. L’ECRI recommande aux autorités azerbaïdjanaises d’examiner les allégations selon lesquelles la loi sur la nationalité serait mal interprétée par les fonctionnaires et de prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’elle soit dûment appliquée dans tous les cas, sans aucune discrimination. »

EN DROIT

1. JONCTION DES REQUÊTES

35. Eu égard à la similarité des présentes requêtes quant aux faits et aux questions de fond qu’elles posent, la Cour estime approprié de les examiner conjointement dans un seul arrêt, en vertu de l’article 42 § 1 de son règlement.

2. Application de l’article 37 de la Convention à l’égard de la deuxième requérante dans la requête no 34491/16, Mme Beheshta Ahmadzadeh

36. Par une lettre datée du 8 novembre 2018, la représentante des requérants, Mme A. Nasirli, a informé le greffe que Mme Beheshta Ahmadzadeh ne souhaitait plus maintenir sa requête devant la Cour.

37. À la lumière de ce qui précède et en l’absence de circonstances particulières touchant au respect des droits garantis par la Convention et ses Protocoles, la Cour considère, sur le fondement de l’article 37 § 1 a) de la Convention, qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête en ce qui concerne Mme Beheshta Ahmadzadeh. En conclusion, elle décide de rayer la requête no 34491/16 du rôle pour autant qu’elle concerne Mme Beheshta Ahmadzadeh.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

38. Les requérants reprochent aux autorités nationales d’avoir refusé de reconnaître la citoyenneté azerbaïdjanaise de leurs enfants en s’opposant à la délivrance d’une carte d’identité. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur la recevabilité

39. La Cour note d’emblée que le Gouvernement n’a soulevé aucune objection quant à la qualité des requérants agissant devant la Cour au nom de leurs enfants. Elle observe que les requérants se plaignent devant la Cour en leur qualité de représentants légaux de leurs enfants qui étaient mineurs à l’époque des faits. En vertu du droit interne, les intéressés étaient habilités à agir en justice en tant que représentants légaux de leurs enfants mineurs (paragraphes 28-29 ci-dessus) et ils les ont représentés en cette qualité devant les différentes instances judiciaires nationales. La Cour précise que les parents étaient tenus à la défense des droits et des intérêts de leurs enfants devant les autorités nationales (paragraphe 29 ci-dessus) et qu’il n’a été soutenu ni dans le cadre de la procédure interne ni devant la Cour qu’il existerait un quelconque conflit d’intérêts entre les requérants et leurs enfants. Dans ces circonstances, à la lumière de ce qui précède et compte tenu de la vulnérabilité de la situation des enfants mineurs et de la teneur et la finalité des requêtes, dont ressort clairement le souhait des requérants de s’adresser à la Cour au nom de leurs enfants mineurs, la Cour ne peut que considérer que les requérants avaient qualité pour introduire les présentes requêtes devant elle au nom de leurs enfants (comparer T. c. République tchèque, no 19315/11, §§ 90-91, 17 juillet 2014, et N.Ts. et autres c. Géorgie, no 71776/12, §§ 52-59, 2 février 2016).

40. Par conséquent, constatant que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Les requérants

41. Les requérants soutiennent que le refus par les autorités nationales de reconnaître la citoyenneté azerbaïdjanaise de leurs enfants, nés sur le territoire azerbaïdjanais, en application du principe du jus soli, s’analyse en une atteinte illégale et arbitraire aux droits de leurs enfants protégés par l’article 8 de la Convention. Ils affirment que le déni de la citoyenneté azerbaïdjanaise aux enfants concernés a privé ces derniers d’un large éventail de droits sociaux et économiques (droit à un enseignement supérieur gratuit, droit à une assistance médicale et à une sécurité sociale gratuite, liberté de circulation, etc.) dont jouissent les citoyens et qu’il a entraîné de nombreuses conséquences préjudiciables pour eux.

42. Les requérants contestent notamment la thèse du Gouvernement selon laquelle les enfants nés sur le territoire azerbaïdjanais de parents étrangers ne sont pas des citoyens azerbaïdjanais. Ils renvoient à cet égard à l’article 52 de la Constitution, aux articles 6 et 11 de la loi du 30 septembre 1998, dans sa rédaction antérieure au 30 mai 2014, à la décision de la Cour constitutionnelle du 31 janvier 2003, ainsi qu’à trois décisions des tribunaux administratifs et de la Cour suprême qu’ils estiment consacrer l’application inconditionnelle du principe du jus soli.

b) Le Gouvernement

43. Le Gouvernement explique que la législation nationale en vigueur jusqu’au 30 mai 2014 était muette sur la question de savoir si un enfant né sur le territoire azerbaïdjanais de parents étrangers était un citoyen de la République d’Azerbaïdjan et que ce silence avait créé une ambiguïté, plaçant les autorités nationales face à un dilemme. Néanmoins, le Gouvernement note que même à cette époque l’Azerbaïdjan ne reconnaissait pas la double nationalité et qu’un des rédacteurs de la Constitution avait estimé dans son commentaire sur la Constitution qu’un enfant né sur le territoire azerbaïdjanais de parents étrangers était un citoyen de la République d’Azerbaïdjan uniquement si l’État dont ses parents avaient la nationalité ne lui octroyait pas la nationalité de ses parents.

44. S’agissant des présentes requêtes, il indique que les tribunaux nationaux ont considéré que les enfants des requérants étaient de nationalité afghane ou pakistanaise à raison de la nationalité de leurs parents et que les requérants n’ont pu fournir aucune preuve contredisant les conclusions des tribunaux nationaux. Par conséquent, il considère que les décisions des autorités nationales de ne pas reconnaître les enfants des requérants comme citoyens azerbaïdjanais étaient dépourvues d’arbitraire. Par ailleurs, il fait valoir que les enfants des requérants ne sont pas menacés d’expulsion et qu’ils peuvent toujours introduire une demande d’obtention de la citoyenneté azerbaïdjanaise.

2. Appréciation de la Cour

45. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention est une notion large, qui englobe des aspects multiples de l’identité sociale d’une personne (Genovese c. Malte, no 53124/09, §§ 30 et 33, 11 octobre 2011, et Ramadan c. Malte, no 76136/12, § 62, 21 juin 2016). Bien que le droit à la nationalité ne soit pas en tant que tel garanti par la Convention ou par ses Protocoles, la Cour a déjà eu à connaître de questions liées à la nationalité. Ainsi, une déchéance arbitraire de nationalité peut, dans certaines circonstances, poser un problème au regard de l’article 8 de la Convention du fait de son impact sur la vie privée de l’intéressé (Alpeyeva et Dzhalagoniya c. Russie, nos 7549/09 et 33330/11, § 108, 12 juin 2018, Ahmadov c. Azerbaïdjan, no 32538/10, § 42, 30 janvier 2020, et Ghoumid et autres c. France, nos 52273/16 et 4 autres, § 43, 25 juin 2020).

46. Se tournant vers les circonstances des présentes affaires, la Cour note que les procédures menées au plan interne ne concernaient pas une demande de déchéance de nationalité de la part des autorités nationales, mais le refus par ces dernières de délivrer une carte d’identité aux enfants des requérants. En particulier, les autorités nationales ont estimé que, nonobstant le fait qu’ils étaient nés sur le territoire azerbaïdjanais et étaient en possession d’un des documents, à savoir un acte de naissance attestant leur citoyenneté azerbaïdjanaise, les enfants des requérants n’étaient pas des citoyens de la République d’Azerbaïdjan. Dans ces circonstances, la Cour estime que le refus des autorités nationales de délivrer une carte d’identité aux enfants des requérants est assimilable à un refus de la reconnaissance de leur nationalité azerbaïdjanaise. Dès lors, la Cour considère que les principes en matière de déchéance de nationalité sont également applicables en l’espèce en vertu d’une analyse en miroir de situations radicalement opposées (comparer Alpeyeva et Dzhalagoniya, précité, § 110 et Ahmadov, précité, § 45).

47. À cet égard, la Cour note qu’elle a récemment eu l’occasion de clarifier les diverses approches méthodologiques qu’elle a suivies dans l’examen des affaires relatives à la déchéance de nationalité et qu’elle a décidé que les conséquences de la mesure litigieuse était le critère permettant d’établir si une déchéance de nationalité s’analysait en une ingérence dans l’exercice des droits garantis par l’article 8 de la Convention. Par conséquent, elle examinera successivement dans les présentes affaires les conséquences de la mesure litigieuse pour les enfants des requérants et le caractère arbitraire de la mesure en question (Usmanov c. Russie, no 43936/18, § 58, 22 décembre 2020 ; voir aussi Ahmadov, précité, § 43).

48. La Cour rappelle avoir récemment examiné, dans une affaire contre l’Azerbaïdjan, la question des conséquences pour un requérant du refus par les autorités nationales de lui délivrer une carte d’identité et avoir, à cette occasion, conclu qu’une telle décision entraîne des conséquences négatives considérables pour la jouissance par le requérant de divers droits dans sa vie quotidienne indépendamment du fait que les décisions des autorités nationales ont fait de lui un apatride ou non (Ahmadov, précité, § 46). Elle a également estimé qu’une telle décision crée une incertitude quant au statut juridique du séjour du requérant en Azerbaïdjan, affectant directement son identité sociale.

49. Par ailleurs, en l’espèce, le Gouvernement ne conteste pas les affirmations des requérants selon lesquelles le statut de leurs enfants et certains des avantages sociaux et économiques qui en découlent ont été affectés par le déni de la citoyenneté azerbaïdjanaise à leurs enfants (paragraphes 41-44 ci-dessus). De surcroît, il n’est pas contesté qu’un document officiel attestant la nationalité, tel une carte d’identité, est indispensable pour l’exercice effectif de nombreux droits que peuvent seul revendiquer les citoyens. Dans ces circonstances elle ne décèle aucun motif de nature à justifier qu’elle s’écarte de ces conclusions dans les présentes affaires. Elle estime donc que la décision litigieuse s’analyse en une ingérence dans l’exercice par les enfants des requérants de leur droit au respect de leur vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention.

50. Afin de déterminer si la mesure incriminée était ou non entachée d’arbitraire comme allégué par les requérants, la Cour cherchera à établir si elle était légale, si les requérants ont bénéficié de garanties procédurales, notamment s’ils ont eu accès à un contrôle juridictionnel adéquat, et si les autorités ont agi avec diligence et promptitude (Ramadan, précité, §§ 86-89, K2 c. Royaume-Uni (déc.), no 42387/13, § 50, 7 février 2017, Alpeyeva et Dzhalagoniya, précité, § 109, et Usmanov, précité, § 63).

51. La Cour doit donc d’abord examiner si la mesure en question était « conforme à la loi » et si elle était assortie des garanties procédurales nécessaires. D’après sa jurisprudence constante, l’expression « prévue par la loi » requiert que la mesure incriminée ait une base en droit interne mais vise également la qualité de la loi en question, exigeant que celle-ci soit accessible à la personne concernée et prévisible quant à ses effets (Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 100, CEDH 2003‑X, et Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 341, CEDH 2012 (extraits)). Le droit interne doit aussi indiquer avec assez de clarté l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités afin d’assurer aux individus le degré minimal de protection auquel ils ont droit en vertu de l’État de droit dans une société démocratique (Piechowicz c. Pologne, no 20071/07, § 212, 17 avril 2012, et Tasev c. Macédoine du Nord, no 9825/13, § 36, 16 mai 2019).

52. La Cour observe que le Gouvernement, tout en soutenant que le refus par les autorités nationales de délivrer une carte d’identité n’avait rien d’illégal, admet que la législation telle qu’elle était en vigueur jusqu’au 30 mai 2014, n’était pas claire en ce qui concerne la nationalité azerbaïdjanaise des enfants nés sur le territoire azerbaïdjanais de parents étrangers (paragraphe 43 ci-dessus). La Cour rappelle à cet égard qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Seyidzade c. Azerbaïdjan, no 37700/05, § 35, 3 décembre 2009, Islam-Ittihad Association et autres c. Azerbaïdjan, no 5548/05, § 49, 13 novembre 2014, et Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 169, 24 janvier 2017). Son rôle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets d’une telle interprétation. Dès lors, sauf dans les cas d’un arbitraire évident, elle n’est pas compétente pour mettre en cause l’interprétation de la législation interne par ces juridictions (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, §§ 49-50, 20 octobre 2011).

53. La Cour note que dans les présentes affaires les tribunaux nationaux ont estimé que les enfants concernés, nés sur le territoire azerbaïdjanais, ne pouvaient être considérés comme citoyens de cet État au motif que leurs parents avaient une autre nationalité, en l’occurrence la nationalité afghane ou pakistanaise. Elle est consciente de l’évolution qu’a subie le droit interne en la matière à la suite de l’entrée en vigueur de la loi du 30 mai 2014, qui a apporté plusieurs modifications visant à restreindre les possibilités d’accéder à la citoyenneté sur la base du principe du droit du sol (paragraphe 25 ci‑dessus). Cependant, les présentes affaires concernent la situation d’enfants qui sont nés sur le territoire azerbaïdjanais et ont donc obtenu un acte de naissance azerbaïdjanais avant la date du 30 mai 2014 ; la Cour ne saurait donc souscrire à l’interprétation retenue par les juridictions internes, qui apparaît clairement contraire aux dispositions du droit positif à l’époque des faits.

54. Tout d’abord, la Cour relève que l’article 52 de la Constitution et l’article 11 de la loi du 30 septembre 1998 dans sa version applicable jusqu’au 30 mai 2014 indiquaient clairement, et sans prévoir aucune condition ni restriction à cette règle, qu’une personne née sur le territoire de la République d’Azerbaïdjan acquérait la citoyenneté azerbaïdjanaise (paragraphes 23-24 ci-dessus). Elle observe en outre que l’article 10 de la loi du 19 mai 1998 dans sa rédaction qui fut en vigueur jusqu’au 3 avril 2015 disposait lui aussi qu’un enfant acquérait la citoyenneté après sa naissance, sans prévoir la moindre condition à cet effet (paragraphe 26 ci-dessus). Cette attribution inconditionnelle de la citoyenneté azerbaïdjanaise en application du droit du sol trouve également confirmation dans la décision qui fut rendue par la Cour constitutionnelle le 31 janvier 2003 (paragraphe 30 ci-dessus).

55. La Cour ne perd pas non plus de vue que l’interprétation qui fut donnée du droit interne dans les présentes affaires est également contraire à celle présentée par le Gouvernement devant les institutions des Nations unies, à savoir qu’un enfant né sur le territoire azerbaïdjanais acquiert la citoyenneté azerbaïdjanaise, sans aucune condition additionnelle (paragraphes 31-33 ci‑dessus). La Cour note que l’ECRI a aussi exprimé sa préoccupation quant à la mauvaise interprétation du droit interne faite par les fonctionnaires azerbaïdjanais compétents (paragraphe 34 ci-dessus).

56. Par ailleurs, la Cour observe que les tribunaux nationaux n’ont pas expliqué sur quelle base juridique ils se fondaient pour juger qu’un enfant né, avant le 30 mai 2014, sur le territoire azerbaïdjanais de parents étrangers n’était pas considéré comme un citoyen azerbaïdjanais. De surcroît, ils n’ont jamais évoqué le fait, pourtant déterminant, que les enfants concernés étaient tous en possession d’un acte de naissance délivré par les autorités azerbaïdjanaises et que ce dernier document avait la qualité de document attestant la citoyenneté azerbaïdjanaise au regard de l’article 6 de la loi du 30 septembre 1998 dans sa version qui fut en vigueur jusqu’au 30 mai 2014 et au regard de la décision de la Cour constitutionnelle du 31 janvier 2003 (paragraphes 24 et 30 ci-dessus).

57. Malgré l’existence d’un cadre légal clair et précis, force est de constater que les dispositions législatives n’ont pas été interprétées par les autorités nationales d’une manière compatible avec la Convention et que le contrôle judiciaire national n’a pas permis aux enfants des requérants de bénéficier des garanties procédurales nécessaires. Les considérations qui précèdent suffisent à la Cour pour conclure que le déni de la citoyenneté azerbaïdjanaise aux enfants des requérants n’était ni légal ni assorti des garanties procédurales nécessaires, et que, par conséquent, il doit être considéré comme arbitraire.

58. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

60. Les requérants demandent 15 000 euros (EUR) chacun au titre du dommage moral qu’ils estiment avoir subi.

61. Le Gouvernement considère que ces demandes sont excessives et non justifiées et qu’un constat de violation représenterait en soi une satisfaction équitable suffisante.

62. La Cour estime quant à elle que les enfants des requérants ont dû éprouver de la gêne et de l’anxiété du fait du refus par les autorités nationales de leur délivrer une carte d’identité (N.Ts. et autres, précité, § 88). Elle décide par conséquent d’octroyer à ce titre la somme de 2 100 EUR, plus tout montant pouvant être dû dessus à titre d’impôt, à chaque requérant, qui la détiendra pour ses enfants.

2. Frais et dépens

63. Les requérants ne réclament aucune somme au titre des frais et dépens. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’aucune somme ne doit leur être versée à ce titre.

3. Intérêts moratoires

64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Décide de rayer la requête no 34491/16 du rôle en ce qui concerne Mme Beheshta Ahmadzadeh ;
3. Déclare les requêtes des autres requérants recevables ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 2 100 EUR (deux mille cent euros), somme que chacun détiendra pour ses enfants, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour dommage moral,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 janvier 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Victor Soloveytchik Síofra O’Leary
Greffier Présidente

Annexe

No

|

Requête No

|

Nom de l’affaire

|

Date de la décision interne définitive

|

Introduite le

|

Requérant

Année de naissance
Lieu de résidence

|

Représenté par

---|---|---|---|---|---|---

1.

|

1480/16

|

Hashemi c. Azerbaïdjan

|

25/06/2015

|

25/12/2015

|

Said Anwar HASHEMI
1957
Bakou

|

Asima NASIRLI

Konul BAYRAMOVA

Aynura GOZALOVA

2.

|

3936/16

|

Ehsani c. Azerbaïdjan

|

02/07/2015

|

30/12/2015

|

Mohammad Yasin EHSANI
1979
Bakou

|

Asima NASIRLI

Konul BAYRAMOVA

Aynura GOZALOVA

3.
|

15835/16

|

Rustami c. Azerbaïdjan

|

22/09/2015

|

16/03/2016

|

Ruhullah RUSTAMI
1982
Bakou

|

Asima NASIRLI

Konul BAYRAMOVA

Aynura GOZALOVA

4.
|

28034/16

|

Alikozie c. Azerbaïdjan

|

03/11/2015

|

02/05/2016

|

Shaima Abdul Baseer ALIKOZIE
1977
Bakou

|

Asima NASIRLI

Konul BAYRAMOVA

Aynura GOZALOVA

5.
|

34491/16

|

Ahmadzadeh c. Azerbaïdjan

|

05/11/2015

(notifiée aux requérantes le 11/12/2015)

|

06/06/2016

|

Nafisa AHMADZADEH
1964
Bakou
Beheshta AHMADZADEH
1993
Bakou

|

Asima NASIRLI

Konul BAYRAMOVA

Aynura GOZALOVA

6.
|

51348/16

|

Qureshi c. Azerbaïdjan

|

17/02/2016

(notifiée au requérant le 01/03/2016)

|

26/08/2016

|

Ejaz Ahmad QURESHI
1962
Bakou

|

Asima NASIRLI

Samed RAHIMLI

Aynura GOZALOVA

7.
|

15904/17

|

Haidari c. Azerbaïdjan

|

30/06/2016

(notifiée au requérant le 06/09/2016)

|

22/02/2017

|

Mohammed Ehsan HAIDARI
1982
Bakou

|

Asima NASIRLI

Samed RAHIMLI

Aynura GOZALOVA


Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : HASHEMI
Défendeurs : AZERBAÏDJAN

Références :

Composition du Tribunal
Avocat(s) : NASIRLI A.

Origine de la décision
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Date de la décision : 13/01/2022
Date de l'import : 14/01/2022

Fonds documentaire ?: HUDOC


Numérotation
Numéro d'arrêt : 001-215076

Source

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