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23/11/2021 | CEDH | N°001-213374

CEDH | CEDH, AFFAIRE S.N. ET M.B.N. c. SUISSE, 2021, 001-213374


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE S.N. ET M.B.N. c. SUISSE

(Requête no 12937/20)

ARRÊT


Art 8 • Vie familiale • Retour d’une enfant en Thaïlande ordonné par les tribunaux suisses dans le cadre d’une procédure d’enlèvement international d’enfant • Existence d’une procédure contradictoire, équitable et orale • Décisions détaillées poursuivant l’intérêt supérieur de l’enfant • Exclusion de tout risque grave pour l’enfant • Démarches appropriées des autorités compétentes en vue de garantir la sécurité de l’enfant

ST

RASBOURG

23 novembre 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE S.N. ET M.B.N. c. SUISSE

(Requête no 12937/20)

ARRÊT

Art 8 • Vie familiale • Retour d’une enfant en Thaïlande ordonné par les tribunaux suisses dans le cadre d’une procédure d’enlèvement international d’enfant • Existence d’une procédure contradictoire, équitable et orale • Décisions détaillées poursuivant l’intérêt supérieur de l’enfant • Exclusion de tout risque grave pour l’enfant • Démarches appropriées des autorités compétentes en vue de garantir la sécurité de l’enfant

STRASBOURG

23 novembre 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire S.N. et M.B.N. c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Georges Ravarani, président,
Dmitry Dedov,
María Elósegui,
Darian Pavli,
Anja Seibert-Fohr,
Peeter Roosma,
Andreas Zünd, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

la requête (no 12937/20) dirigée contre la Confédération suisse et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes S.N. (« la première requérante ») et M.B.N. (« la deuxième requérante ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 3 mars 2020,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement suisse (« le Gouvernement »),

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérantes,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 octobre 2021,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne le retour d’une fille en Thaïlande ordonné par les tribunaux suisses dans le cadre d’une procédure d’enlèvement international d’enfant. La mère et l’enfant (les requérantes) font valoir une violation de l’article 8 de la Convention. Elles soutiennent, en particulier, que les tribunaux suisses n’ont pas examiné de manière effective l’existence d’un risque grave pour l’enfant en cas de retour.

EN FAIT

2. La première requérante est la mère de la deuxième requérante. Elles sont nées respectivement en 1971 et en 2012 et résident à Pully (Suisse). Elles sont représentées par Me F. Karlen, avocat.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. A. Chablais, de l’Office fédéral de la justice.

1. GENÈSE DE L’AFFAIRE

4. La première requérante était mariée à F.B., ressortissant français. Les époux rencontrèrent des difficultés conjugales dès la naissance de leur fille, la première requérante invoquant avoir fait l’objet de violences de la part de son époux. En 2013, la famille s’installa en Thaïlande. La première requérante y est propriétaire d’une villa composée de deux appartements indépendants.

5. Le 1er avril 2014, les époux décidèrent de se séparer ils convinrent que l’enfant bénéficierait d’une garde alternée de trois jours consécutifs auprès de chacun de ses parents.

6. Le 11 avril 2016, alors qu’elle passait des vacances en Suisse avec sa fille, la première requérante déposa une requête de mesures protectrices de l’union conjugale auprès du président du tribunal civil de l’arrondissement de l’Est vaudois. Le 27 mai 2016, elle appela également le Service de protection des mineurs (SPMi) de la République du canton de Genève, faisant part de soupçons d’abus sexuels de la part du père.

7. Craignant un retour contraint dans le cadre d’une procédure pour enlèvement d’enfant, la première requérante retira sa requête de mesures protectrices de l’union conjugale. Elle retourna en Thaïlande avec sa fille et les époux convinrent d’une garde alternée.

8. Le 27 décembre 2017, la première requérante introduisit une action en divorce devant le tribunal provincial des mineurs et des affaires familiales de Koh Samui. Redoutant l’issue de cette procédure, elle quitta finalement la Thaïlande pour la Suisse fin avril 2018.

9. Le 30 mai 2018, la première requérante adressa une demande au tribunal civil de l’arrondissement de La Côte, concluant au prononcé du divorce, à ce que l’autorité parentale et la garde de l’enfant lui soient attribuées, à ce que son mari soit astreint au versement d’une contribution d’entretien en sa faveur et celle de sa fille ainsi qu’à la liquidation du régime matrimonial.

10. Par requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles du 2 juin 2018, la première requérante requit notamment du président du Tribunal civil de l’arrondissement de La Côte qu’il ordonne à son mari de contribuer à l’entretien de sa fille et d’elle-même.

11. Par lettre de l’autorité centrale de Thaïlande du 11 juin 2018, le père adressa une requête en retour de sa fille à l’Office fédéral de la justice (ci‑après : « OFJ ») à Berne.

12. Le 25 juillet 2018, l’OFJ informa la première requérante que son époux lui avait fait parvenir une requête en vue du retour de sa fille en Thaïlande et qu’il souhaitait participer à une médiation afin de trouver une solution consensuelle. Le 30 juillet 2018, elle indiqua refuser d’entrer en matière dans le cadre d’une médiation.

13. Le 23 août 2018, la première requérante se rendit avec sa fille à la police cantonale vaudoise afin de déposer plainte pour des attouchements sexuels que le père de l’enfant aurait commis en Thaïlande. À la même date, invoquant les abus sexuels dont l’enfant aurait été victime de la part de son père, la première requérante déposa une requête de mesures superprovisionnelles et provisionnelles, concluant à la suspension des relations personnelles du père ainsi qu’à une interdiction de périmètre et de contacts envers elle et l’enfant. La procédure fut suspendue en attendant l’issue de la procédure de retour.

2. PROCÉDURE DEVANT LA CHAMBRE DES CURATELLES DU TRIBUNAL CANTONAL DU CANTON DE VAUD ET JUGEMENT DU 31 JANVIER 2019

14. À cette même date du 23 août 2018 le père déposa sa demande en vue du retour devant la Chambre des curatelles du Tribunal cantonal du canton de Vaud (ci-après : tribunal cantonal), ainsi qu’une requête de mesures de protection immédiate au sens de l’article 7 al. 2 de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (Convention de La Haye), et de l’article 6 al. 1 de la Loi fédérale sur l’enlèvement international d’enfants et les Conventions de La Haye sur la protection des enfants et des adultes (LF‑EEA).

15. Par ordonnance d’instruction et de mesures superprovisionnelles du 24 août 2018, la juge déléguée du tribunal cantonal ordonna entre autres : la désignation d’un curateur qu’il invita à entendre l’enfant ; le dépôt par le Service de protection de la jeunesse du canton de Vaud (ci-après : SPJ) d’un bref rapport au sujet de la situation de l’enfant et d’un besoin éventuel de mesures de protection après audition de l’enfant conformément à l’article 9 al. 2 de la LF-EEA ; la fixation d’un délai non prolongeable au 7 septembre 2018 à la mère et au curateur de l’enfant pour se déterminer sur les requêtes du père, ainsi qu’aux parties pour se prononcer sur l’opportunité d’une médiation ; la comparution personnelle des parties, du curateur et d’un représentant du SPJ à une audience fixée au 24 septembre 2018.

16. Le 3 septembre 2018, le tribunal cantonal ordonna aux polices cantonales vaudoise et genevoise, au SPJ et au SPMi de produire tout document antérieur au 31 décembre 2017 concernant l’enfant dans un délai fixé au 14 septembre 2018. Seul le SPMi répondit avoir connaissance de la situation, et transmit la fiche de signalement du Centre d’aide aux victimes d’agressions violentes au SPMi du 21 juin 2016, ainsi que la fiche de transmission par laquelle, le 28 juillet 2016, ce service avait classé l’intervention.

17. Le 4 septembre 2018, la Police cantonale vaudoise communiqua au tribunal cantonal que la première requérante l’avait informée, le 21 août 2018, que sa fille aurait subi des attouchements de la part de son père en Thaïlande, quand ils vivaient encore dans ce pays et que lors de son audition vidéo du 23 août 2018, l’enfant avait indiqué avoir subi à plusieurs reprises des attouchements au niveau de son sexe de la part de son père au domicile de ce dernier. Elle ajouta que ces faits avaient été communiqués à la mère à qui l’enfant s’était confiée.

18. Le 6 septembre 2018, après un entretien avec la mère, seule, au domicile de celle-ci (le 31 août 2018) ainsi qu’une visite à domicile avec mère et enfant, puis un entretien avec l’enfant seule (le 4 septembre 2018), le SPJ fournit un rapport d’évaluation concernant la situation de l’enfant. Il en ressort que l’enfant ne souhaitait pas retourner en Thaïlande, relevant « je ne me sentais pas bien » et « c’était que des problèmes ». Il découle également de ce rapport que dès que l’enfant parlait de son père, elle apparaissait beaucoup plus sérieuse et se mettait en retrait. Elle a également spontanément évoqué des abus de son père à son égard.

Les conclusions du rapport faisaient néanmoins apparaître qu’il n’était pas nécessaire de prendre quelque mesure de protection que ce soit à l’égard de l’enfant en l’état actuel, mais que l’enfant devait bénéficier d’un bilan psychologique si elle restait durablement en Suisse.

19. Le 13 septembre 2018, le père fut entendu par la police et la procureure. Il nia notamment tout acte d’ordre sexuel ou de maltraitance envers sa fille et faisait état d’une situation conflictuelle avec la mère, dont il pensait qu’elle utilisait leur fille comme instrument afin d’obtenir la garde exclusive. Le père consentit à ce que la police consulte son portable, sur lequel aucun contenu illégal ne fut trouvé. Par la même occasion, la police recueillit également le témoignage de l’amie du père, qui réfuta toute accusation de maltraitance ou attouchements envers l’enfant de la part du père.

20. Dans ses déterminations du 18 septembre 2018, le curateur de l’enfant fit état de cinq rencontres avec l’enfant, pendant lesquelles deux appels téléphoniques et une visite avec son père eurent lieu, et décrit que malgré un discours stéréotypé de l’enfant reprenant à son compte les griefs maternels, l’enfant avait témoigné d’un attachement certain à son père par son comportement. En conclusion, le curateur souligna l’intérêt de l’enfant à continuer à entretenir des contacts réguliers, voire quotidiens avec son père, préconisa une médiation, mais exposa qu’en sa qualité de garant des intérêts de l’enfant, il s’opposait au retour de celle-ci compte tenu des incertitudes liées à la procédure pénale – au dossier de laquelle il n’a pas eu accès – et de l’équilibre et de la stabilité trouvés en Suisse par l’enfant, à comparer avec le récit négatif de son vécu en Thaïlande.

21. Le 24 septembre 2018, l’audience devant le tribunal cantonal eut lieu. La conciliation aboutit comme suit :

« I. Le requérant et l’intimée conviennent de suspendre la procédure en retour de l’enfant [la deuxième requérante] jusqu’à ce que l’enquête pénale ait permis d’obtenir le résultat des extractions du téléphone portable de [F.B.], mais au plus tard jusqu’au 31 décembre 2018. La cause sera reprise d’office à cette date ou plus tôt à la requête de la partie la plus diligente. II. Il est pris acte que les parties ne sont pas opposées à une médiation et elles feront les démarches nécessaires pour envisager une telle procédure. III. Durant la suspension de la procédure en retour et à titre de mesures provisionnelles, un droit de visite sous la forme d’un contact par Skype entre [la deuxième requérante] et son père aura lieu à raison de 30 minutes au maximum tous les 15 jours. Ce droit de visite sera supervisé par le SPJ durant la période de suspension. Le SPJ fera rapport à la Cour s’il devait s’avérer que certains propos le justifiaient. IV. Le requérant et l’intimée conviennent que [la deuxième requérante] pourra bénéficier d’un suivi pédopsychiatrique dans les meilleurs délais, suivi qui sera mis en œuvre par sa mère. V. Parties requièrent la ratification de la présente convention, notamment pour valoir ordonnance de mesures provisionnelles. »

22. Le tribunal cantonal ratifia la convention pour valoir ordonnance de mesures provisionnelles. Un délai au 26 octobre 2018 fut imparti à l’avocate du père pour produire le rapport concernant l’enquête sociale qui avait été diligentée en Thaïlande sur la situation de l’enfant. Par la suite, sur requête de l’avocate du père, le tribunal cantonal prolongea ce délai plusieurs fois, jusqu’au jour de l’audience suivante (25 janvier 2019). Le père indiqua à l’audience que la justice thaïlandaise estima que cette pièce ne concernait pas la procédure en Suisse.

23. Dans un rapport d’investigation du 31 octobre 2018, la police cantonale vaudoise releva que l’analyse du contenu du téléphone de F.B. n’avait pas mis en évidence de contenu illégal. Celui-ci requit en conséquence la reprise de la cause par courrier du 27 novembre 2018.

24. Le 4 décembre 2018, le tribunal cantonal annonça la reprise de la procédure et fixa une audience au 25 janvier 2019.

25. Le 12 décembre 2018, le médiateur informa le tribunal cantonal que les parties souhaitaient tenter la médiation. À l’audience du 25 janvier 2019, les parents indiquèrent que les contacts avec le médiateur n’avaient pas permis une avancée positive.

26. Le 25 janvier 2019, l’audience devant le tribunal cantonal eut lieu avec l’audition des parties, de la pédopsychiatre et de l’assistante sociale auprès du SPJ. La conciliation n’aboutit pas.

27. Dans le cadre de l’audience, la Dr. X., pédopsychiatre, fut entendue en tant que témoin. Elle indiqua, entre autres, ce qui suit :

« (...) J’ai vu l’enfant à partir de fin novembre 2018 et j’ai commencé un suivi. Je la vois environ une fois toutes les deux semaines (...). J’ai un peu parlé avec elle de sa vie en Thaïlande. Elle dit à ce sujet qu’elle aurait voulu prendre sa maison avec elle. Elle va assez bien en Suisse. Elle a des petits soucis à l’école par rapport à des copains. A priori, il n’y a pas de difficultés avec sa mère. Elle est très souvent fâchée et ne comprend pas pourquoi « son père a fait ça ». Je ne creuse pas de peur de créer un traumatisme. Il y a des moments où elle veut tout arrêter. La colère est souvent là. Elle ne peut même pas s’imaginer retourner en Thaïlande.

J’ai eu en consultation des enfants victimes d’abus. Je suis inquiète à l’idée d’un éventuel retour en Thaïlande pour l’enfant par rapport à ce que j’ai pu constater (...). Chez moi elle n’a jamais manifesté de volonté de voir son père. S’agissant de relations personnelles, je pense qu’il pourrait y en avoir sous surveillance via le SPJ. Je suis au courant de l’enjeu de la procédure. À mon sens, si la maman n’était pas là, j’aurais beaucoup de craintes à ce que l’enfant rejoigne son père, où qu’il soit. Il s’agit d’une enfant qui ne confabule jamais. Elle est très furieuse et sérieuse, ce qui s’exprime dans ses dessins (...). »

28. L’assistance sociale auprès du SPJ (Y.), quant à elle, témoigna, entre autres, ce qui suit :

« Dans mon courrier à A., j’ai fait savoir que nous avions mis sur pied 8 échanges vidéo, au cours desquels l’enfant a bien échangé avec son père, mais a à chaque fois émis des critiques à son égard. Le papa n’est pas entré en discussion. Ces 8 échanges ont duré entre 30 et 40 minutes (...). D’ici le 2 février 2019, je ne verrai pas d’inconvénient à ce qu’un droit de visite ait lieu, du moment que ce soit en présence du curateur (...). Je n’ai jamais constaté une résistance de [l’enfant] durant les échanges vidéo, contrairement à la pédopsychiatre qui m’en a fait part au téléphone. L’enfant venait volontiers faire ces appels. Lors du second appel, elle ne voulait pas s’interrompre à l’issue de celui-ci. Lors des échanges, [l’enfant] demandait souvent à son papa d’arrêter les problèmes, elle a dit qu’elle ne voulait pas retourner en Thaïlande et elle a parlé une fois du « trou » dans sa culotte. Je pense que ses déclarations étaient spontanées. »

29. Le 31 janvier 2019, le tribunal cantonal rendit son jugement et rejeta la requête du père en vue du retour (article 13 al. 1. lettre b) de la Convention de La Haye et article 5 de la LF-EEA) au motif qu’un retour de l’enfant était susceptible de créer un risque concret et grave pour son développement ; une procédure pénale était en outre en cours contre le père suite à des accusations de l’enfant (abus sexuels graves notamment), accusations qui ne paraissaient pas, en l’état de la procédure pénale, dépourvues de fondement ; le requérant n’ayant pas été en mesure de produire le rapport de l’enquête sociale thaïlandaise (paragraphe 22 ci‑dessus), rien n’indiquait que la Thaïlande serait en mesure de protéger immédiatement l’enfant jusqu’à droit connu sur la procédure pénale en Suisse.

3. RECOURS CONTRE LE JUGEMENT DU TRIBUNAL CANTONAL DU 31 JANVIER 2019 ET PREMIER ARRÊT DU TRIBUNAL FÉDÉRAL (24 AVRIL 2019)

30. Le 22 février 2019, le père déposa un recours en matière civile au Tribunal fédéral.

31. Le 24 avril 2019, le Tribunal fédéral admit partiellement le recours dans la mesure où il était recevable, l’arrêt cantonal fut annulé et la cause fut renvoyée au tribunal cantonal pour instruction et nouvelle décision au sens des considérants. Le Tribunal fédéral considéra notamment que le tribunal cantonal devait déterminer si la mère était en mesure de prendre soin de l’enfant en Thaïlande et si l’on pouvait l’exiger d’elle ainsi que, éventuellement, examiner l’éventualité d’un placement auprès de tiers.

4. NOUVELLE INSTRUCTION ET NOUVEAU JUGEMENT DU TRIBUNAL CANTONAL DU 28 JUIN 2019

32. Le 6 mai 2019, le tribunal cantonal fixa aux parties et au SPJ un délai au 20 mai 2019 pour qu’elles se déterminent sur l’arrêt du Tribunal fédéral. Sur requête des deux avocats, ce délai fut prolongé plusieurs fois.

33. Le 7 mai 2019, le tribunal cantonal convoqua les parties à une audience prévue le 28 juin 2019.

34. Le 3 mai 2019, dans l’optique de la nouvelle instruction de l’affaire, l’avocate du père demanda à l’OFJ, plus précisément l’autorité centrale de la Suisse pour les enlèvements internationaux d’enfants, de poser des questions à son homologue thaïlandais. L’autorité centrale suisse transmit les questions et reçut des réponses de l’autorité centrale thaïlandaise. Par courrier du 28 mai 2019 du Département des affaires internationales de l’Office de l’avocat général thaïlandais, cette autorité précisa qu’en cas de retour effectif de l’enfant, elle aurait le pouvoir et l’obligation de garantir la sécurité de l’enfant ou l’exercice de ses droits en lui garantissant l’accès au Ministère public, avocat ou conseil légal. Elle souleva également que la cause relevait de la Convention de La Haye, qu’il s’agissait d’un cas civil selon la loi thaïlandaise, que la première requérante avait le droit d’exercer son pouvoir parental et qu’elle ne pouvait par conséquent pas être condamnée pénalement en Thaïlande pour enlèvement de l’enfant.

35. Le 28 juin 2019, l’audience devant le tribunal cantonal eut lieu. Les parties, respectivement leurs conseils, furent entendus à cette audience.

36. Le 28 juin 2019, le tribunal cantonal rendit son nouveau jugement. S’en tenant strictement aux consignes du Tribunal fédéral, il se limita à déterminer si l’on pouvait exiger de la première requérante qu’elle retourne en Thaïlande avec sa fille et si elle était à même de prendre soin de celle-ci dans ce pays.

37. Le tribunal cantonal évalua notamment que la première requérante était propriétaire d’une villa qui comprend deux appartements en Thaïlande, dans laquelle elle pourrait résider et louer l’un des deux appartements, voire même louer les deux appartements et vivre ailleurs.

38. Il considéra également la situation financière (économies de la première requérante, contribution d’entretien du père, et éventuel revenu de la location d’une partie ou de toute la villa de la première requérante) et la sécurité de la première requérante et sa fille en Thaïlande. À cet égard, le tribunal était d’avis que les requérantes pourraient s’établir loin du père, de sorte que le fait que celui-ci pourrait être violent et qu’aucun rapport social n’ait été fourni par les autorités thaïlandaises ne suffisait pas à exclure le retour de l’enfant.

39. Le tribunal cantonal considéra en outre que les assurances de l’autorité centrale thaïlandaise étaient suffisamment fiables pour considérer que l’enfant ne serait exposée à aucun risque grave en cas de retour. Cette autorité rappela qu’elle avait le pouvoir et l’obligation de garantir la sécurité de l’enfant ou l’exercice de ses droits en garantissant l’accès au Ministère public ainsi qu’à un avocat ou un conseil légal.

40. Le tribunal prit également en compte la possibilité pour la première requérante d’obtenir un visa dans la mesure où il estima que celle-ci n’avait pas démontré qu’elle ne pourrait pas obtenir un visa de type « regroupement familial », et qu’elle n’avait d’ailleurs pas eu de difficulté à en obtenir un en 2013 après un séjour en Suisse.

41. En plus, le tribunal considéra également les relations de la première requérante en Suisse estimant que celle-ci n’avait pas démontré avoir noué en Suisse des relations d’une solidité telle qu’elles permettaient d’exclure le retour en Thaïlande.

42. Le tribunal prit également en compte la question des éventuelles sanctions pénales pour enlèvement d’enfant : selon les informations publiées sur le site de la Conférence de La Haye de droit international privé, confirmées par le Département des affaires internationales de l’Office de l’avocat général thaïlandais à l’OFJ, la première requérante ne risquait pas d’être condamnée pénalement pour enlèvement d’enfant. Le risque de poursuites pénales n’était ainsi pas suffisant, dès lors qu’il ne ressortait pas du dossier qu’elle serait indubitablement exposée à une mise en détention et que le père avait déclaré ne pas avoir entrepris de démarches allant dans ce sens.

43. Compte tenu de ce qui précède, le tribunal considéra qu’aucune exception au retour n’était applicable et ordonna le retour de l’enfant, en fixant un délai pour l’exécution volontaire au 20 août 2019.

5. RECOURS CONTRE LE JUGEMENT DU TRIBUNAL CANTONAL DU 28 JUIN 2019 ET SECOND ARRÊT DU TRIBUNAL FÉDÉRAL (4 SEPTEMBRE 2019)

44. Le 2 août 2019, la première requérante déposa un recours au Tribunal fédéral contre le second jugement du tribunal cantonal, faisant valoir, entre autres, que la deuxième requérante était bien intégrée en Suisse et semble s’épanouir dans ledit pays. Le 14 août 2019, le Tribunal fédéral accorda l’effet suspensif au recours.

45. Par observations du 16 août 2019, le curateur de l’enfant conclut, au nom et pour le compte de la deuxième requérante, à l’admission du recours, rappelant que celle-ci résidait alors depuis plus d’un an en Suisse, y était bien intégrée et avait manifesté de manière répétée son souhait de ne pas retourner en Thaïlande et de ne pas devoir vivre chez son père. Il souligna également l’importance d’obtenir des garanties concrètes de la part des autorités thaïlandaises quant à l’accueil et la protection de la mineure en cas de retour.

46. Le SPJ exposa, par déterminations du 14 août 2019, compte tenu des propos de la mineure et de l’enquête pénale en cours à l’encontre du père, qu’il serait préférable de ne pas renvoyer la deuxième requérante en Thaïlande, « si cela devait impliquer qu’elle se retrouve seule en présence de son père », mais se déclara incompétent pour se prononcer sur l’application des exceptions au retour de l’enfant au sens de l’article 5 lettre b) et c) de la LF-EEA.

47. Le 28 août 2019, le tribunal cantonal transmit au Tribunal fédéral pour compétence une requête de mesures de protection complémentaires déposée par le père le 23 août 2019.

48. Le 4 septembre 2019, le Tribunal fédéral rendit son arrêt rejetant le recours dans la mesure où il était recevable. Par ailleurs, un délai au 30 septembre 2019 fut imparti à la première requérante pour assurer le retour de l’enfant en Thaïlande. Le Tribunal fédéral considéra notamment que dans la mesure où la première requérante prétendait que sa situation financière l’empêcherait de prendre soin de sa fille en Thaïlande, elle aurait opposé sa propre appréciation à celle développée par le tribunal cantonal.

49. Au sujet de la sécurité des requérantes en cas de retour en Thaïlande, le Tribunal fédéral considéra que la première requérante n’avait fait valoir aucune « situation intolérable », mais s’était limitée à présenter sa propre appréciation de la cause sous l’angle des article 13 de la Convention de La Haye et 5 de la LF-EEA ; le Tribunal fédéral confirma en outre que le retour ne devait pas forcément se faire au lieu de résidence habituelle avant le déplacement, mais simplement sur territoire thaïlandais, et en se basant sur le courriel du Département des affaires internationales de l’Office de l’avocat général thaïlandais du 28 mai 2019, souligna son devoir de garantir la sécurité de la mineure une fois le retour effectif, même si ce courriel s’était référé à des normes abstraites.

50. Le Tribunal fédéral estima également que l’article 13 al. 2 de la Convention de La Haye n’avait pas été violé, car l’enfant, âgée de sept ans, n’apparaissait pas avoir atteint une maturité suffisante pour être capable de distinguer le fait d’habiter en Thaïlande de celui de loger chez ou à proximité de son père. Selon la haute cour, l’enfant aurait en effet refusé catégoriquement toute forme de retour, sans nuance.

51. Le Tribunal fédéral était d’avis que le tribunal cantonal avait vérifié de manière complète, actuelle et concrète la possibilité pratique d’un retour en Thaïlande et, partant, qu’il pouvait raisonnablement être exigé de l’enfant qu’elle retourne en Thaïlande accompagnée de sa mère. Concernant le grief selon lequel le tribunal cantonal n’aurait pas examiné de manière complète les possibilités effectives de retour en Thaïlande et aurait prononcé le renvoi de l’enfant sur la base de garanties purement abstraites, le Tribunal fédéral considéra notamment que la première requérante n’avait pas démontré que le tribunal cantonal aurait appliqué l’article 10 al. 2 de la LF-EEA de manière erronée. Concédant qu’aucune mesure précise n’avait été envisagée, le Tribunal fédéral rappela qu’il ressortait du courriel du Département des affaires internationales de l’Office de l’avocat général thaïlandais du 28 mai 2019 que les mesures effectives qui seraient, le cas échéant, prises dépendaient du contexte. Par conséquent, la critique relative à la sécurité de l’enfant était infondée. Il en allait de même de la critique relative à l’obtention de visas pour retourner en Thaïlande.

52. N’ayant plus eu de nouvelles de l’exécution de la décision de retour, l’OFJ en demanda le 7 octobre 2019 à l’avocate du père, qui répondit que la première requérante ne coopérait pas. L’OFJ indiqua donc au SPJ, l’autorité chargée de l’exécution de la décision de retour, qu’il restait à disposition et demanda à ce service de l’informer de l’évolution de la situation. Constatant qu’elle s’opposait au retour de l’enfant en Thaïlande, le SPJ choisit d’organiser une rencontre avec les avocats des parents et le curateur le 18 octobre 2019 pour essayer de trouver une solution à l’amiable.

53. Le 23 octobre 2019, le SPJ envoya un courrier résumant la rencontre qui avait eu lieu le 18 octobre 2019. Le SPJ confirma être tenu d’organiser le retour de l’enfant en Thaïlande en veillant à son intérêt, demanda la collaboration des parties pour que le retour se déroule de la manière la plus conforme à ses intérêts et souligna que les garanties qu’il pourrait requérir auprès des autorités thaïlandaises dépendaient d’une exécution volontaire, faute de quoi il se verrait contraint de trouver des solutions alternatives qui pourraient notamment impliquer un placement dans un foyer sur place. Le SPJ indiqua effectuer des démarches en lien avec la mise en œuvre d’une surveillance du droit de visite du père en Thaïlande.

6. DEMANDE D’INTERPRÉTATION DE L’ARRÊT DU TRIBUNAL FÉDÉRAL DU 4 SEPTEMBRE 2019

54. Le 21 octobre 2019, la première requérante déposa une demande d’interprétation de l’arrêt du Tribunal fédéral du 4 septembre 2019.

55. Par arrêt du 1er novembre 2019, le Tribunal fédéral rejeta la demande d’interprétation dans la mesure où elle était recevable. Le Tribunal fédéral considéra que le dispositif de l’arrêt était clair, complet, univoque et ne comportait aucune contradiction interne ou avec les motifs. Le Tribunal fédéral confirma que dès lors qu’il avait rejeté le recours, le jugement rendu par le tribunal cantonal le 28 juin 2019 prenait effet dans la forme et avec les conséquences qui découlent de celui-ci.

7. ORGANISATION DE L’EXÉCUTION DE LA DÉCISION DE RETOUR

56. Le 27 novembre 2019, le SPJ indiqua à l’avocate du père avoir entrepris des démarches afin de connaître les possibilités d’accompagnement qui pourraient être mises en œuvre afin de s’assurer que le droit de visite en Thaïlande garantisse la sécurité et le bien-être de l’enfant. Ce service indiqua notamment avoir contacté deux associations et avoir eu des difficultés à obtenir des réponses. Il conseilla au père d’interpeller les autorités de protection thaïlandaises ou les NGO sur place.

57. Le 20 décembre 2019, l’avocate du père interpella l’OFJ car son mandant peinait à savoir à quelles autorités s’adresser en Thaïlande. L’OFJ demanda du soutien à son homologue en Thaïlande, qui lui répondit le 2 janvier 2020 de contacter le Ministry of Social Development and Human Security. L’OFJ n’a cependant jamais réussi à obtenir les coordonnées d’une personne de contact au sein de ce ministère.

58. Le 3 mars 2020, les requérantes introduisirent leur requête auprès de la Cour.

59. Le 30 juillet 2020, l’avocate du père indiqua à l’OFJ qu’elle n’avait toujours pas reçu l’avis de prochaine clôture/ordonnance de classement concernant la procédure pénale ouverte à son encontre. Eu égard à cette inconnue, le SPJ tenta d’obtenir des garanties en Thaïlande pour le droit de visite surveillé en attendant la décision du juge thaïlandais. Il n’apparaît pas qu’il ait reçu une réponse à ce jour.

LE CADRE JURIDIQUE PERTINENT

60. Le droit interne et international pertinent a été énuméré, notamment, dans l’affaire Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, en particulier §§ 48-57, et 75, CEDH 2010. La Cour y renvoie.

61. L’article 94 de la Loi sur le Tribunal fédéral du 17 juin 2005 est libellé comme il suit :

Article 94 : Déni de justice et retard injustifié

« Le recours est recevable si, sans en avoir le droit, la juridiction saisie s’abstient de rendre une décision sujette à recours ou tarde à le faire. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

62. Les requérantes allèguent une violation de leur droit au respect de leur vie familiale soutenant que les tribunaux suisses n’ont pas examiné de manière effective l’existence d’un risque grave pour l’enfant en cas de retour. Les assurances données par le gouvernement thaïlandais auraient été insuffisantes et l’intérêt supérieur de l’enfant n’aurait pas été suffisamment pris en compte. Elles dénoncent également la lenteur de la procédure, qui aurait causé des changements dans la situation de l’enfant. Elles invoquent l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur la recevabilité

1. Sur le locus standi de la première requérante pour introduire la requête également au nom de l’enfant

63. La présente requête a été introduite par la première requérante, mère naturelle de l’enfant, à la fois en son nom propre et au nom de l’enfant. Le Gouvernement n’a pas contesté le locus standi de la première requérante pour se plaindre d’une violation de l’article 8 au nom de l’enfant. La Cour examinera cette question d’office.

64. La présente affaire concerne une procédure en retour de l’enfant en vertu de la Convention de la Haye, procédure initiée par le père de la deuxième requérante à la suite de l’enlèvement de l’enfant par la première requérante. Avant l’enlèvement, les deux parents étaient cotitulaires de l’autorité parentale et avaient choisi une garde alternée de l’enfant (paragraphe 5 ci-dessus).

65. La Cour rappelle qu’il convient d’éviter une approche restrictive ou technique en matière de représentation des enfants devant elle (Šneersone et Kampanella c. Italie, no 14737/09, § 61, 12 juillet 2011).

66. Dans la mesure où la mère s’oppose au retour de l’enfant en alléguant, non de manière complètement infondée, de risques pour la santé et le bien-être de l’enfant en cas de retour, la Cour observe que la première requérante, mère naturelle et cotitulaire de l’autorité parentale avant l’enlèvement, est susceptible d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Par conséquent, et en l’absence d’indications contraires, elle peut introduire la présente requête également au nom de sa fille (voir, dans ce sens, Y.S. et O.S. c. Russie, no 17665/17, § 57, 15 juin 2021, Neulinger et Shuruk, précité, § 1, Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § 7, 6 décembre 2007, Šneersone et Kampanella, précité, §§ 60-61, et a contrario, A.M. c. Russie, no 47220/19, §§ 42-44, 6 juillet 2021).

2. Sur le non-épuisement des voies de recours internes du grief relatif à la rapidité de la procédure de retour de l’enfant

67. Le Gouvernement soutient que les requérantes n’ont pas utilisé les recours disponibles pour critiquer la prétendue lenteur de la procédure interne. Dans ce contexte, il souligne que l’article 94 de la loi sur le Tribunal fédéral (LTF ; paragraphe 61 ci-dessus) prévoit un recours pour retard injustifié qui est accessible et effectif. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement invite la Cour à déclarer le grief tiré de la durée excessive de la procédure irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

68. Les requérantes soutiennent qu’elles n’avaient aucun intérêt légitime ni juridique à recourir au Tribunal fédéral puisqu’elles s’opposaient au retour de l’enfant en Thaïlande.

69. La Cour observe que la première requérante s’est opposée au retour de son enfant en Thaïlande. En même temps, et contrairement à ce qu’allèguent les requérantes, elles avaient un intérêt à ce que la question du retour soit tranchée dans un délai raisonnable. Une décision dans un bref délai était tout particulièrement dans l’intérêt de l’enfant, en vue de permettre sa réintégration immédiate dans son milieu de vie habituel (dans ce sens, Maumousseau et Washington, précité, § 75). Or, dans la mesure où elles n’avancent pas de motifs convaincants pour ne pas avoir utilisé le recours en vertu de l’article 94 LTF, la Cour ne voit pas de raison de mettre en doute la conclusion du Gouvernement selon laquelle le grief de la durée excessive de la procédure n’a pas été valablement invoqué devant les instances internes.

70. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. Conclusion

71. Constatant que le restant de la requête n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Les thèses des parties

a) Les requérantes

72. Les requérantes soutiennent que le retour de l’enfant ordonné par le Tribunal fédéral constitue une ingérence dans leur droit au respect de la vie familiale protégé par l’article 8 § 1 de la Convention. Elles notent, par ailleurs, que le Gouvernement ne conteste pas que ledit ordre constitue une telle ingérence.

73. Les requérantes reconnaissent que l’ingérence était prévue par la loi, à savoir la Convention de La Haye. Par contre, elles soutiennent que l’ingérence ne poursuivait pas de but légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention et n’était au demeurant pas proportionnée pour les raisons qui suivent.

74. Les requérantes allèguent que, depuis la naissance de la deuxième requérante en 2012, sa mère faisait l’objet de violences de la part de son époux. Puis, en 2016, la première requérante a contacté le SPMi de la République du canton de Genève faisant part de soupçons d’abus sexuels de la part du père sur l’enfant (paragraphe 6 ci-dessus).

75. Par ailleurs, les requérantes rappellent qu’auditionnée par le SPJ (cf. rapport du 6 septembre 2018, paragraphe 18 ci-dessus), l’enfant aurait fait part du fait qu’elle ne souhaitait pas retourner en Thaïlande, indiquant « je me sentais pas bien », « c’était que des problèmes ». Il ressort également de ce rapport que dès lors que l’enfant parlait de son père, elle apparaissait beaucoup plus sérieuse et se mettait en retrait. Elle a également spontanément évoqué des abus de son père à son égard.

76. Les requérantes réitèrent également que, dans ses déterminations du 18 septembre 2018, le curateur de l’enfant a conclu au rejet de la demande de retour, au vu notamment des incertitudes liées à la procédure pénale et pour l’équilibre de l’enfant (paragraphe 20 ci-dessus).

77. Elles rappellent également que, lors de l’audience du 25 janvier 2019 devant le tribunal cantonal, la Dr. X., pédopsychiatre, a indiqué que l’enfant ne pouvait pas s’imaginer un retour en Thaïlande. Cette experte a également écrit qu’elle était « inquiète à l’idée d’un éventuel retour en Thaïlande pour l’enfant par rapport à ce que [elle a] pu constater ». Elle a également indiqué que l’enfant était « très furieuse et sérieuse, ce qui s’exprim[ait] dans ses dessins ».

78. Les requérantes soutiennent également que l’enfant, née en janvier 2012, de nationalité suisse, ayant vécu en Suisse sans interruption depuis le mois d’avril 2018 avec sa mère, également de nationalité suisse, est très bien intégrée dans ledit pays, notamment à l’école, et parle le français. L’enfant s’opposerait fermement à tout retour en Thaïlande, accusant son père d’agressions sexuelles à son encontre, et de nombreux intervenants ont plaidé contre son retour, arguant de sa bonne intégration en Suisse et des risques graves pour son intégrité sexuelle si elle devait revenir en Thaïlande.

79. Les requérantes allèguent également que l’article 11 de la Convention de La Haye aurait été violé par la Suisse étant donné que le retour n’a pas été exécuté à ce jour.

80. Elles estiment qu’un retour serait ainsi contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, née en janvier 2012, et que son avis ne pouvait dès lors pas être ignoré, contrairement aux conclusions des instances internes. Cela d’autant plus que l’enfant a allégué des abus sexuels de la part de son père.

81. Par ailleurs, les requérantes soulignent que le retour de l’enfant a été ordonné sans que les autorités suisses n’aient reçu aucune assurance concrète des autorités thaïlandaises s’agissant de la sécurité de l’enfant en Thaïlande.

82. Les requérantes rappellent également que, le 20 décembre 2019, l’avocate du père a interpellé l’OFJ étant donné que son mandant peinait à savoir à quelles autorités s’adresser en Thaïlande. À la suite de cette interpellation, l’OFJ a demandé le soutien de son homologue thaïlandaise, qui lui a demandé de contacter le Ministry of Social Development and Human Security. Or, le Gouvernement reconnaît que l’OFJ n’a jamais réussi à obtenir les coordonnées d’une personne de contact dans ce ministère (paragraphe 57 ci-dessus). Enfin, il s’avère que le SPJ a récemment tenté d’obtenir des garanties en Thaïlande pour le droit de visite surveillé en attendant la décision du juge thaïlandais, mais sans réussir.

83. Compte tenu de ce qui précède, les requérantes concluent que l’ordre de retour de l’enfant ne respecte pas son intérêt supérieur, que son opinion n’a pas été suffisamment prise en compte par les tribunaux suisses, que le processus décisionnel en droit interne n’a pas satisfait aux exigences procédurales en vertu de l’article 8, que les allégations des requérantes quant aux risques graves au sens de l’article 13 al. 1 lettre b) de la Convention de La Haye n’ont pas fait l’objet d’un examen effectif et qu’aucune garantie n’a été obtenue du Gouvernement thaïlandais pour écarter un tel risque.

84. Pour ces raisons, il y aurait eu violation de l’article 8 de la Convention.

b) Le Gouvernement

85. Le Gouvernement observe, tout d’abord, que les requérantes ne contestent pas que le déplacement de l’enfant de la Thaïlande vers la Suisse constituait un déplacement illicite.

86. Le Gouvernement soutient en outre que la décision de retour contestée se fonde sur la Convention de La Haye, qui est incorporée au droit suisse, et vise à protéger les droits et libertés de l’enfant. L’ingérence, prévue par la loi, avait pour but légitime de protéger les droits et libertés de l’enfant et de son père. Elle poursuivait donc un intérêt légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

87. Par ailleurs, le Gouvernement considère que les tribunaux internes ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public –, en respectant toutefois l’intérêt supérieur de l’enfant.

88. Quant à la question de savoir si l’ordre de retour de l’enfant en Thaïlande a respecté son intérêt supérieur, le Gouvernement souligne d’abord que seul le retour de l’enfant avec sa mère a été envisagé en l’espèce, vu la procédure pénale en cours à l’encontre du père. De plus, la mère a affirmé qu’elle accompagnerait sa fille en Thaïlande pour le cas où le retour de celle-ci serait ordonné.

89. Le Gouvernement tient également à souligner que l’ordre de retour de l’enfant n’impliquait pas non plus la réintégration de la ville ou région habituelle avant le déplacement illicite. Bien au contraire, il était clairement établi que les requérantes n’étaient pas tenues de loger à proximité du domicile du père et demeuraient libres de résider dans le lieu de leur choix sur le territoire thaïlandais.

90. Le Gouvernement concède qu’il est vrai que la pédopsychiatre a constaté qu’elle était « inquiète à l’idée d’un éventuel retour en Thaïlande pour l’enfant par rapport à ce qu’[elle a] pu constater » (cf. procès-verbal de l’audience de la Dr. X. du 25 janvier 2019, paragraphe 27 ci-dessus). De plus, l’assistante sociale auprès du SPJ a indiqué que l’enfant aurait dit qu’elle ne voulait pas retourner en Thaïlande (cf. procès-verbal de l’audience de Y. du 25 janvier 2019, paragraphe 28 ci-dessus). Le Gouvernement estime, néanmoins, que les remarques semblent avoir un fort rapport avec les observations de l’enfant concernant son père. À cet égard, le Gouvernement tient à souligner que ni la pédopsychiatre, ni l’assistance sociale auprès du SPJ ne se sont prononcées sur un retour de l’enfant en Thaïlande avec sa mère, pas plus que sur le lieu de résidence de celles-ci en Thaïlande et son éloignement éventuel du domicile du père.

91. S’agissant de la sécurité de l’enfant, le Gouvernement rappelle que par courriel du 28 mai 2019, le Département des affaires internationales de l’Office de l’avocat général thaïlandais a expressément rappelé son devoir de garantir la sécurité de la mineure une fois son retour effectif. En outre, le Gouvernement rappelle que, lors de l’organisation de l’exécution de la décision de retour, le SPJ a entrepris des démarches afin de connaître les possibilités d’accompagnement qui pourront être mises en œuvre afin de s’assurer que le droit de visite en Thaïlande garantisse la sécurité et le bien‑être de l’enfant (paragraphe 56 ci-dessus).

92. En ce qui concerne les implications qu’un retour en Thaïlande aurait pour la première requérante, soit la situation financière, l’aspect sécuritaire, le risque de poursuites pénales, ses relations en Suisse, et le visa, le Gouvernement estime qu’elles ont été examinées en détail par les juridictions nationales.

93. Le Gouvernement souligne encore que l’enfant a déjà vécu plusieurs années en Thaïlande où elle avait sa résidence habituelle avant le départ pour la Suisse en 2018 et qu’à son âge, la faculté d’adaptation était encore grande.

94. Quant à la question de savoir si l’opinion de l’enfant a été suffisamment prise en compte par les tribunaux internes, le Gouvernement rappelle que, dans le cadre de la procédure devant le tribunal cantonal, l’enfant a été entendue et observée par plusieurs professionnels. Il rappelle également que l’enfant était âgée de 7 ans lorsqu’elle s’est exprimée au sujet de son retour. Dès lors, elle n’était manifestement pas en mesure de saisir que la procédure ne concerne ni la question de la garde, ni celle de l’autorité parentale, mais tendait uniquement à rétablir la situation antérieure au déplacement illicite.

95. En outre, le Gouvernement est d’avis que le processus décisionnel en droit interne a satisfait aux exigences procédurales inhérentes à l’article 8 de la Convention. Il estime, en particulier, que les allégations des requérantes relatives à l’existence d’un « risque grave » au sens de l’article 13 al. 1 lettre b) de la Convention de La Haye ont fait l’objet d’un examen effectif.

96. Quant à la question de savoir si les garanties obtenues du gouvernement thaïlandais étaient suffisantes pour écarter un risque pour l’enfant, le Gouvernement note que la question des garanties ne peut pas être séparée de celle de l’examen des allégations des requérantes. Le Gouvernement estime que les requérantes se focalisent sur le risque lié au père de l’enfant et implicitement à un retour proche du domicile de celui-ci. Cependant, les requérantes ne sont aucunement tenues de loger à proximité du domicile du père et demeurent parfaitement libres de résider dans le lieu de leur choix sur le territoire thaïlandais.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

97. La Cour a réitéré les principes généraux devant la guider dans l’examen d’une ingérence dans le droit au respect de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention en matière d’enlèvement international d’enfant dans les affaires Neulinger et Shuruk c. Suisse ([GC], no 41615/07, §§ 131-140, CEDH 2010), et X c. Lettonie ([GC], no 27853/09, §§ 92-108, CEDH 2013). La Cour y renvoie.

98. En particulier, la Cour rappelle que dans ce domaine, les obligations que l’article 8 fait peser sur l’État membre doivent notamment s’interpréter à la lumière des exigences imposées par la Convention de La Haye et à celles de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (voir, parmi d’autres, Neulinger et Shuruk, précité, § 132).

99. Le point décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la principale considération, les objectifs de prévention et de retour immédiat répondant à une conception déterminée de « l’intérêt supérieur de l’enfant » (X. c. Lettonie, précité, § 95).

100. Dans le cadre de cet examen, la Cour rappelle qu’elle n’entend pas substituer son appréciation à celle des juridictions internes. Elle doit cependant s’assurer que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à prendre la mesure litigieuse a été équitable et qu’il a permis aux intéressés de faire valoir pleinement leurs droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, entre autres, Neulinger et Shuruk, précité, § 139, et X. c. Lettonie, § 102). Afin de déterminer si le processus décisionnel a respecté ces garanties, la Cour examine si les juridictions nationales se sont livrées à un examen adéquat des implications concrètes du retour sur l’enfant (B. c. Belgique, no 4320/11, § 63, 10 juillet 2012).

b) Application des principes généraux au cas d’espèce

101. La Cour constate d’abord qu’il n’est pas litigieux entre les parties que le retour de l’enfant ordonné par le Tribunal fédéral constitue une ingérence dans le droit des requérantes au respect de leur vie familiale protégé par l’article 8 de la Convention.

102. S’agissant de la justification de l’ingérence, les requérantes reconnaissent que l’ordre de retour de l’enfant était prévu par la Convention de La Haye, qui est incorporée dans l’ordre juridique suisse. Par ailleurs, la Cour accepte qu’il poursuivait la protection des droits et libertés de l’enfant et de son père.

103. Comme constaté ci-dessus, s’agissant de la nécessité de l’ingérence dans une société démocratique, il appartient à la Cour de se concentrer sur le processus décisionnel et de vérifier si les instances internes ont procédé à une appréciation équilibrée et raisonnable des intérêts de chacun, avec le souci constant de déterminer quelle est la meilleure solution pour l’enfant enlevée (B. c. Belgique, précité, § 69). La Cour considère opportun d’examiner la présente affaire à travers les éléments suivants : Poursuite de l’intérêt supérieur de l’enfant, en particulier exclusion de tout « risque grave » (i.), prise en compte de l’opinion de l’enfant (ii.), et intégration de l’enfant en Suisse (iii.).

1. Poursuite de l’intérêt supérieur de l’enfant, notamment exclusion de tout « risque grave »

104. À la lumière des principes généraux mentionnés ci-dessus, la Cour estime que la question principale qui se pose est de savoir si le processus décisionnel a poursuivi l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, a exclu tout « risque grave » pour l’enfant au sens de l’article 13 al. 1 lettre b) de la Convention de La Haye.

105. À cet égard, la Cour estime que les implications qu’un retour en Thaïlande aurait pour la deuxième requérante ont fait l’objet d’un examen circonstancié par les tribunaux suisses, aussi bien s’agissant de la sécurité de l’enfant que la situation financière de sa mère. La Cour observe, en particulier, qu’à aucun moment de la procédure interne, un retour de l’enfant seule n’a été envisagé par les autorités compétentes et que la mère a toujours affirmé qu’elle accompagnerait sa fille en cas de retour (voir, a contrario, Neulinger et Shuruk, précité, § 144). Le tribunal cantonal a estimé, dans son arrêt du 28 juin 2019, que la première requérante n’avait pas noué en Suisse des relations d’une solidité qu’on ne pouvait raisonnablement attendre de celle-ci qu’elle retourne en Thaïlande. Par ailleurs, les juridictions suisses n’ont pas déterminé le lieu de résidence exacte des requérantes en Thaïlande. Les tribunaux ont également constaté, sans tomber dans l’arbitraire, que la situation financière de la première requérante lui permettrait de s’occuper de son enfant et qu’elle n’aurait pas à craindre des poursuites pénales par les autorités thaïlandaises.

106. La Cour rappelle également que le tribunal cantonal a organisé trois audiences (le 24 septembre 2018, le 25 janvier 2019 et le 28 juin 2019) dans le cadre desquelles il a entendu les parties, y compris l’enfant, ainsi que différents professionnels, notamment au sujet d’un éventuel risque grave pour l’enfant en cas de retour. En outre, il importe de rappeler que le tribunal cantonal a désigné un curateur pour faire valoir l’intérêt supérieur de l’enfant et en vue de la représenter, entre autres, devant le Tribunal fédéral.

107. La Cour ne méconnaît pas que la pédopsychiatre Dr. X. a constaté qu’elle était « inquiète à l’idée d’un éventuel retour en Thaïlande pour l’enfant par rapport à ce qu’[elle a] pu constater » (paragraphe 27 ci-dessus). Or, elle rappelle que le jugement du tribunal cantonal du 31 janvier 2019, faisant suite à l’audience dans le cadre de laquelle ces observations avaient été faites et rejetant la requête de retour du père au motif qu’un retour de l’enfant était susceptible de créer un risque concret et grave pour son développement, a ultérieurement été annulé par le Tribunal fédéral par arrêt du 24 avril 2919. Dès lors, ce dernier a renvoyé la cause pour nouvelle instruction et décision à l’instance inférieure. Le tribunal cantonal devait notamment déterminer si la mère était en mesure de prendre soin de l’enfant en Thaïlande et si l’on pouvait l’exiger d’elle (paragraphe 31 ci-dessus). Après une nouvelle instruction approfondie sur les éventualités d’un retour en Thaïlande, le tribunal cantonal a rendu un nouveau jugement concluant qu’aucune exception au retour de l’enfant en vertu de l’article 13 al. 1 lettre b) de la Convention de La Haye n’existait, et a ordonné son retour.

108. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’autorité centrale de la Suisse pour les enlèvements internationaux d’enfants a transmis des questions soulevées par le père de l’enfant en vue de de la nouvelle instruction de l’affaire à son homologue thaïlandais. Le 28 mai 2019, le Département des affaires internationales de l’Office de l’avocat général thaïlandais a précisé qu’en cas de retour effectif de l’enfant, elle aurait le pouvoir et l’obligation de garantir la sécurité de l’enfant ou l’exercice de ses droits en lui garantissant l’accès au Ministère public, avocat ou conseil légal. Il a également précisé que la première requérante pourrait exercer ses droits parentaux et qu’elle ne serait pas condamnée pénalement en cas de retour dans la mesure où il s’agissait en vertu du droit interne d’un cas civil, et non d’un cas pénal.

109. Dans la mesure où les requérantes considèrent ces affirmations comme trop générales et vagues, la Cour estime qu’on ne pouvait, eu égard au stade peu avancé de la procédure de retour de l’enfant à ce moment-là, s’attendre de la part des autorités suisses à ce qu’elles insistent auprès des autorités thaïlandaises en vue de recevoir des informations plus détaillées sur l’éventualité d’un retour de l’enfant. Par ailleurs, la Cour estime que les informations reçues de la part des autorités thaïlandaises englobent certains éléments importants, notamment la garantie selon laquelle la mère ne serait pas poursuivie au pénal et, dès lors, pourrait s’occuper de la deuxième requérante. La Cour n’a aucune raison de douter de la véracité de ces informations ou de la bonne foi des autorités thaïlandaises.

110. Enfin, la Cour reconnaît que les autorités suisses, en particulier le SPJ, ont entrepris des démarches raisonnables afin de garantir la sécurité de l’enfant en Thaïlande en vue d’exécuter l’ordre de retour, notamment dans la détermination de l’exercice du droit de visite par le père (paragraphes 56‑59 ci-dessus).

111. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le processus décisionnel a poursuivi l’intérêt supérieur de l’enfant et, en particulier, qu’il a permis d’exclure tout « risque grave » pour l’enfant au sens de l’article 13 al. 1 lettre b) de la Convention de La Haye.

2. Prise en compte de l’opinion de l’enfant

112. En ce qui concerne plus particulièrement la question de savoir si l’avis de l’enfant a suffisamment été pris en compte, la Cour rappelle que la volonté exprimée par un enfant ayant un discernement suffisant est un élément clé à prendre en considération dans toute procédure judiciaire ou administrative le concernant (M. et M. c. Croatie, no 10161/13, § 171, CEDH 2015 (extraits), et M.K. c. Grèce, no 51312/16, § 91, 1er février 2018). Elle souligne, par contre, que, dans le cadre de l’application de la Convention de La Haye, si le point de vue des enfants doit être pris en compte, leur opposition ne fait pas nécessairement obstacle à leur retour (Raw et autres c. France, no [10131/11](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2210131/11%22%5D%7D), § 94, 7 mars 2013, cf. également Rouiller c. Suisse, no 3592/08, § 73, 22 juillet 2014).

113. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a conclu, dans son arrêt du 4 septembre 2019, que l’article 13 al. 2 de la Convention de La Haye n’avait pas été violé puisque l’enfant, âgée alors de sept ans, n’apparaissait pas avoir atteint une maturité suffisante pour être capable de distinguer le fait d’habiter en Thaïlande de celui de loger chez ou à proximité de son père. L’enfant aurait refusé de toute façon toute forme de retour et sans nuance.

114. La Cour prend également note du fait que l’enfant a été dûment entendue et observée par plusieurs professionnels dans le cadre de l’audience devant le tribunal cantonal. L’enfant n’aurait par ailleurs pas été capable de saisir que la procédure ne concernait ni la question de sa garde, ni celle de l’autorité parentale, mais tendait uniquement à rétablir la situation antérieure au déplacement illicite, comme rappelé par le Gouvernement.

115. La Cour, rappelant qu’il revient en principe aux juridictions internes d’apprécier les éléments rassemblés par elles (voir, parmi d’autres, Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 3, série A no 235-B), estime que rien d’arbitraire ou déraisonnable ne découle des conclusions du Tribunal fédéral et des observations du Gouvernement (voir, dans ce sens, Gajtani c. Suisse, no 43730/07, §§ 112-114, 9 septembre 2014, pour un enfant de 5 ans, et X. c. Lettonie, précité, §§ 22 et 112, pour un enfant qui avait environ 4 ans).

3. Intégration de l’enfant en Suisse

116. Devant la Cour, les requérantes allèguent que la deuxième requérante, résidant sans interruption en Suisse depuis avril 2018, serait aujourd’hui intégrée dans ledit pays, parle le français et fréquente l’école. Dès lors, un retour en Thaïlande ne saurait être dans son intérêt. La Cour rappelle qu’un tel constat découle également des observations du curateur de l’enfant, déposées devant le Tribunal fédéral le 16 août 2019.

117. La Cour constate que ces remarques n’ont pas eu de réponses explicites de la part du Tribunal fédéral. Elle estime, cependant, que cela ne saurait suffire pour conclure à un manquement procédural par l’État défendeur et ce pour les raisons qui suivent.

118. D’abord, elle rappelle le principe, en vertu de l’article 12 al. 2 de la Convention de La Haye, selon lequel l’autorité compétente doit également ordonner le retour de l’enfant même saisie après l’expiration d’un délai d’un an à partir du déplacement ou du non-retour illicite, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu. Or, en l’espèce, la première requérante a quitté le Thaïlande fin avril 2018 pour s’installer en Suisse avec son enfant. Le père de l’enfant a saisi le tribunal cantonal le 23 août 2018, à savoir quatre mois plus tard. L’article 12 al. 2 de ladite Convention ne saurait dès lors constituer une base utile pour les requérantes afin de plaider le non-retour de la deuxième requérante fondé sur son intégration en Suisse.

119. La Cour rappelle également que, dans l’affaire Neulinger et Shuruk (précité, § 147), la Grande Chambre a conclu que le fait d’être une nouvelle fois déraciné de son milieu habituel aurait sans doute des conséquences graves pour l’enfant, en particulier s’il rentrait seul, comme cela ressortait des rapports médicaux. Pour ces raisons, son retour en Israël n’était pas considéré comme bénéfique par la Grande Chambre. Or, cette affaire se distingue sensiblement de la présente et, surtout, la Cour possédait plus de détails concernant l’intégration de l’enfant de Mme Neulinger que ceux présentés par les requérantes dans le cas d’espèce. En effet, devant le Tribunal fédéral, les requérantes se sont contentées d’une allégation très générale selon laquelle la deuxième requérante était bien intégrée en Suisse et semble s’épanouir dans ledit pays (paragraphe 44 ci-dessus).

120. En conclusion, l’on ne saurait reprocher au Tribunal fédéral de ne pas avoir répondu explicitement à l’argument tiré de la prétendue intégration de l’enfant en Suisse.

4. Conclusions générales

121. Compte tenu de ce qui précède, l’on ne saurait prétendre que les tribunaux internes aient ordonné le retour de l’enfant de façon automatique ou mécanique. Bien au contraire, dans une procédure contradictoire, équitable et orale, ceux-ci se sont basés sur les faits pertinents de l’affaire et ont dûment pris en compte tous les arguments des parties et ont rendu des décisions détaillées qui, selon eux, poursuivaient l’intérêt supérieur de l’enfant et ont permis d’exclure tout risque grave pour l’enfant. Par ailleurs, les autorités compétentes ont entrepris des démarches appropriées en vue de garantir la sécurité de l’enfant dans l’éventualité de son retour en Thaïlande.

122. La Cour conclut que le processus décisionnel a satisfait aux exigences de l’article 8 de la Convention et que, partant, l’ingérence dans le droit des requérantes au respect de leur vie familiale était nécessaire dans une société démocratique. Dès lors, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief tiré de la rapidité de la procédure de retour de l’enfant irrecevable et le restant de la requête recevable ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 novembre 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

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Milan Blaško Georges Ravarani
Greffier Président


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-213374
Date de la décision : 23/11/2021
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable (Art. 35) Conditions de recevabilité;(Art. 35-1) Épuisement des voies de recours internes;Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Parties
Demandeurs : S.N. ET M.B.N.
Défendeurs : SUISSE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KARLEN F.

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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