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19/01/2021 | CEDH | N°001-207364

CEDH | CEDH, AFFAIRE X ET Y c. ROUMANIE, 2021, 001-207364


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE X et Y c. ROUMANIE

(Requêtes nos 2145/16 et 20607/16)

ARRÊT

Art 8 • Vie privée • Obligations positives • Refus des autorités nationales de reconnaître l’identité masculine de personnes transgenres faute d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle • Intégrité physique de la personne en jeu • Absence d’une procédure claire et prévisible de reconnaissance juridique de l’identité de genre permettant le changement de sexe, et donc de prénom ou de code numérique personnel, dans les documents officiels, d

e manière rapide, transparente et accessible • Rupture du juste équilibre entre l’intérêt général non c...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE X et Y c. ROUMANIE

(Requêtes nos 2145/16 et 20607/16)

ARRÊT

Art 8 • Vie privée • Obligations positives • Refus des autorités nationales de reconnaître l’identité masculine de personnes transgenres faute d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle • Intégrité physique de la personne en jeu • Absence d’une procédure claire et prévisible de reconnaissance juridique de l’identité de genre permettant le changement de sexe, et donc de prénom ou de code numérique personnel, dans les documents officiels, de manière rapide, transparente et accessible • Rupture du juste équilibre entre l’intérêt général non clairement identifié et les intérêts des requérants

STRASBOURG

19 janvier 2021

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire X et Y c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Yonko Grozev, président,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pere Pastor Vilanova,
Jolien Schukking,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Ilse Freiwirth, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 2145/16 et 20607/16) dirigées contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, MM. X et Y (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 19 décembre 2015 et le 4 avril 2016 respectivement,

la décision de porter les requêtes à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») le 14 janvier 2018,

la décision du président de la section de ne pas dévoiler l’identité des requérants,

les observations communiquées par le gouvernement défendeur et celles communiquées en réplique par les requérants,

les commentaires reçus de la part du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, de l’association Accept ainsi que, de la part, conjointement, de Transgender Europe et de l’International Lesbian, Gay, Bisexual Trans and Intersex Association (« ILGA ») Europe, que le président de la section avait autorisés à se porter tiers intervenants,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 15 décembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requérants, qui sont des personnes transgenres, ont vu leurs demandes tendant à la rectification sur leurs documents d’identité des mentions concernant leur sexe, leur prénom et leur code numérique personnel rejetées par les autorités administratives et judiciaires au motif que, pour justifier d’une telle demande, le demandeur doit établir avoir subi une intervention chirurgicale de conversion sexuelle. Ils dénoncent une violation des articles 6, 8, 12, 13 et 14 de la Convention.

EN FAIT

2. Les requérants sont nés respectivement en 1976 et en 1982 et résident au Royaume-Uni (le premier requérant, X) et à Bucarest (le deuxième requérant, Y). À la date d’introduction de leurs requêtes les requérants étaient inscrits à l’état civil comme étant de sexe féminin. Cela étant, la Cour utilisera le masculin et la désignation « le requérant/les requérants » à leur propos, conformément au sexe revendiqué par le premier requérant et juridiquement reconnu dans l’intervalle s’agissant du deuxième requérant. Le premier requérant a été représenté par Me C. Cojocariu, avocat à Orpington. Le deuxième requérant a été représenté par Mes I. Mălăescu et R.I. Ionescu, avocates à Bucarest.

3. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, d’abord par Mme C. Brumar, puis par M. V. Mocanu, du ministère des Affaires étrangères.

1. Requête no 2145/16
1. Le contexte de l’affaire

4. Le premier requérant, inscrit à sa naissance sur le registre d’état civil comme étant de sexe féminin, commença dès son adolescence à se comporter comme un garçon dans sa manière de s’habiller et dans ses relations sociales. Son identité de naissance féminine ne correspondant pas à son identité psychique et sociale masculine, il chercha, au moment de ses études supérieures, des conseils spécialisés. En 2000, après son inscription au barreau, il commença à exercer en tant qu’avocat, profession dont le code vestimentaire, plus « austère », convenait à son identité de genre.

5. En 2010, il commença des séances hebdomadaires de psychothérapie.

6. Le 24 septembre 2012, il fut soumis à un contrôle psychiatrique au sein de l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia de Bucarest. À cette occasion, la psychiatre S. diagnostiqua chez lui, conformément à la classification applicable en Roumanie, un trouble de l’identité sexuelle (syndrome de transsexualisme). Le certificat médical délivré par la psychiatre S. indiquait qu’après le diagnostic, le parcours de soins comportait plusieurs étapes : la première étape consistait en une « expérience de vie réelle », dont l’objet était d’étudier la capacité à vivre dans le rôle de genre désiré ; la deuxième étape comprenait des conseils psychologiques facultatifs ou un suivi psychiatrique en cas de besoin ; la troisième étape consistait en une hormonosubstitution ; et la quatrième étape correspondait à une chirurgie de réassignation. Le certificat médical mentionnait, s’agissant du premier requérant, que celui-ci se limitait à vivre en tant que personne du genre revendiqué uniquement dans certains contextes et n’avait donc pas encore mené à terme « l’expérience de vie réelle », et que le suivi psychothérapeutique devait être poursuivi. En outre, il recommandait un traitement hormonal de conversion sexuelle.

7. Le 7 octobre 2012, le premier requérant commença à suivre le traitement hormonal recommandé.

8. Le 17 octobre 2012, un psychologue établit un certificat confirmant le diagnostic de trouble de l’identité sexuelle chez l’intéressé.

9. En 2013, décidé à subir une intervention chirurgicale de conversion sexuelle, le premier requérant effectua des démarches auprès d’une clinique située à Belgrade. Il lui fut demandé de fournir deux certificats médicaux recommandant l’opération souhaitée, l’un de la part d’un psychiatre et l’autre de la part d’un endocrinologue.

10. Le 18 juin 2013, la psychiatre S. compléta le certificat médical du 24 septembre 2012, ajoutant que le premier requérant avait entrepris « l’expérience de vie réelle » depuis un an, qu’il suivait un traitement hormonal et que, par conséquent, une opération de conversion sexuelle était recommandée.

11. D’après le premier requérant, l’endocrinologue qui le suivait refusa de lui délivrer une recommandation en l’absence d’une décision de justice autorisant une telle intervention chirurgicale.

2. La procédure judiciaire engagée par le premier requérant
1. Le jugement du tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest du 12 juin 2014

12. Le 21 juillet 2013, le premier requérant assigna en justice le conseil local du premier arrondissement de Bucarest devant le tribunal de première instance du même arrondissement, demandant à cette juridiction :

. d’autoriser le changement de sexe du féminin vers le masculin ;

. d’autoriser le changement administratif de son prénom ;

. d’autoriser la modification de son code numérique personnel figurant au répertoire national d’identification des personnes physiques ;

. d’intimer audit conseil local d’effectuer les modifications nécessaires au registre d’état civil et de lui délivrer un nouveau certificat de naissance mentionnant son nouveau prénom et le sexe masculin.

13. Il produisit notamment les certificats médicaux des 24 septembre et 17 octobre 2012 et du 18 juin 2013 (paragraphes 6, 8 et 10 ci-dessus).

14. À l’appui de son recours, le premier requérant invoqua les dispositions de la Constitution pertinentes en l’espèce, les articles 44 i) et 57-58 de la loi no 119/1996 portant sur les actes d’état civil (« la loi no 119/1996 ») et les articles 3, 8 et 14 de la Convention.

15. Il exposa qu’en raison des mentions figurant dans le registre d’état civil, ses documents d’identité et sa carte professionnelle comportaient des indications ne correspondant pas à son identité de genre, et que cela l’obligeait constamment à faire état de sa transidentité, au mépris de sa vie privée.

16. Lors de l’unique audience publique qu’il tint le 5 juin 2014, le tribunal souleva d’office une exception d’irrecevabilité du premier moyen, en se référant à la décision no 530/2008 de la Cour constitutionnelle, ainsi qu’une exception de prématurité des autres moyens. L’avocate du requérant sollicita l’ajournement du prononcé de la décision afin de pouvoir déposer des observations écrites. Oralement, elle demanda le rejet des exceptions soulevées d’office par le tribunal.

17. Entendu par le tribunal lors de l’audience, le requérant, en réponse à une question du tribunal, affirma qu’aucun chirurgien n’accepterait de pratiquer sur lui une intervention chirurgicale en l’absence d’une décision de justice. Il précisa notamment que « même si les changements provoqués par le traitement hormonal suivi depuis deux ans [étaient] visibles, aussi longtemps qu’aucun médecin dans ce pays ne voudra[it] réaliser l’opération en l’absence d’une décision de justice, il n’a[vait] pas d’autre solution que d’obtenir de la part du tribunal une décision autorisant cette intervention ».

18. Le 11 juin 2014, le premier requérant produisit des observations écrites. S’agissant de l’exception d’irrecevabilité du premier moyen, il y plaidait notamment que l’objet de son action n’était pas d’obtenir l’autorisation de subir un traitement de conversion sexuelle (qu’il avait d’ailleurs entamé depuis 2012), voire une opération de conversion sexuelle – qui, à ses yeux, constituait une intrusion massive dans l’intégrité physique d’une personne –, mais une autorisation de modification des mentions de l’état civil se référant à son identité de genre. À titre subsidiaire, il indiquait qu’en tout état de cause, en Roumanie, aucun médecin n’était prêt à pratiquer une opération de conversion sexuelle en l’absence d’une décision de justice l’y autorisant. S’agissant de l’exception de prématurité des autres moyens, il soutenait que le fait d’exiger la preuve d’une opération de conversion sexuelle afin d’autoriser la modification de mentions d’état civil constituait une ingérence non justifiée dans l’exercice de l’autonomie sexuelle et le respect de l’intégrité physique d’une personne.

19. Par un jugement du 12 juin 2014, le tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest rejeta le premier moyen de l’action du premier requérant pour irrecevabilité et les autres moyens pour prématurité.

20. Le tribunal jugea que le premier moyen soulevé par le premier requérant tendait à faire autoriser une intervention chirurgicale de conversion sexuelle, autorisation qu’il considérait comme étant contraire aux dispositions de la Constitution protégeant la vie privée ainsi qu’à l’article 8 de la Convention. Il ajouta que, dans sa décision no 530/2008, la Cour constitutionnelle avait indiqué que la décision d’un tribunal portant sur la modification des mentions des actes d’état civil ne concernait que la nature juridique de ceux-ci et le statut juridique de la personne et qu’elle ne pouvait pas porter atteinte à la vie intime d’une personne (paragraphe 65 ci‑dessous). Le tribunal précisa en outre que les arrêts de la Cour (dont notamment celui rendu dans l’affaire Christine Goodwin c. Royaume‑Uni) auxquels le premier requérant avait renvoyé critiquaient uniquement le refus des autorités nationales de procéder à la modification des mentions concernant l’état civil d’une personne après que celle-ci eut subi une opération de conversion sexuelle, et non préalablement.

21. Il s’exprima dans les termes suivants :

« Aucune disposition légale ne régit la réalisation d’une opération de conversion sexuelle et [ne prévoit l’intervention] d’une décision de justice dans cette matière qui relève, en l’état actuel de la législation, strictement du domaine médical et non [du domaine] judiciaire. À l’évidence, le tribunal ne saurait valider ou invalider un traitement médical suivi sur la base d’une prescription médicale. En l’absence d’une condition expressément requise par la législation, la jurisprudence entérinant la nécessité d’obtenir une décision de justice en vue de la réalisation d’une telle opération est un non-sens, le tribunal ne pouvant que se borner à constater qu’un tel traitement a été recommandé d’un point de vue médical.

(...)

En outre, l’intervention arbitraire d’un tribunal en cette matière, en l’absence d’un cadre légal ou de critères clairs, est contraire au droit fondamental au [respect de] la vie intime, familiale et privée. Ainsi, subordonner le droit de la personne de disposer d’elle-même à l’obtention d’une décision de justice portant autorisation préalable de changement de sexe serait contraire à l’article 26 de la Constitution, compte tenu de ce que la notion de vie privée concerne également des aspects de la vie physique et sociale de la personne. Des aspects tels que l’identité sexuelle, le nom, l’orientation sexuelle ou la vie sexuelle relèvent du domaine protégé par l’article 8 de la Convention. Dès lors, l’exigence arbitraire d’un contrôle judiciaire en cette matière est contraire à l’obligation pesant sur les autorités publiques de respecter et de protéger la vie intime, familiale et privée, ainsi qu’au droit de la personne de disposer d’elle‑même.

(...)

En ce qui concerne l’exception de prématurité, il convient de noter que, selon l’article 44 i) de la loi no 119/1996, l’article 4 § 2 l) de l’ordonnance du gouvernement no 41/2003 et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la modification de la mention du sexe dans les documents n’est pas possible sur le seul fondement du diagnostic de transsexualisme, en l’absence d’une intervention chirurgicale.

La législation roumaine permet la modification de la mention du sexe dans les actes d’état civil si le demandeur produit un acte officiel attestant sa conversion sexuelle. Par « sexe », on comprend la totalité des caractéristiques génétiques et physiologiques qui séparent les personnes en deux catégories – les femmes et les hommes –, et non la perception sociale sur le genre d’une personne – qui a une signification de nature psychosociale – à laquelle [la demanderesse] renvoie dans ses moyens s’opposant au bien‑fondé de l’exception soulevée. En conséquence, la modification du sexe dans les actes d’état civil est acceptée uniquement à la suite de la réassignation biologique du sexe, et non dans d’autres cas. »

2. L’arrêt définitif du tribunal départemental de Bucarest du 9 mars 2015

22. Le premier requérant interjeta appel du jugement du tribunal de première instance, dénonçant en particulier une modification de l’objet de son action. À cet égard, il précisait que celle-ci ne visait pas à l’obtention d’une autorisation de subir une opération de conversion sexuelle, mais à l’obtention d’une autorisation de modification des mentions se référant à son identité de genre dans les actes d’état civil le concernant. À ses yeux, ce changement d’objet allégué s’analysait en un véritable déni de justice. En outre, le premier requérant considérait que les conclusions du premier tribunal définissant la notion de « sexe » par référence au seul aspect biologique, ou celles subordonnant les modifications des actes d’état civil à la condition de la réalisation préalable d’une opération de conversion sexuelle, étaient dépourvues de base légale. Par ailleurs, invoquant les articles 3 et 8 de la Convention et se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, il soutenait que le droit au respect de la vie privée et celui de ne pas subir de mauvais traitements impliquaient le droit de définir son identité de genre et d’obtenir la modification des actes d’état civil de façon à ce que l’identité de genre choisie fût reflétée par ceux-ci, sans obligation préalable de subir une telle intervention chirurgicale et d’en administrer la preuve. Il ajoutait qu’il était discriminatoire par rapport aux personnes cisgenres et contraire à l’article 14 de la Convention et au Protocole no 12 à la Convention de subordonner le droit d’une personne transgenre d’obtenir la modification des actes d’état civil la concernant, dans un sens conforme à son identité de genre, à la production de la preuve de la mise en œuvre d’un processus irréversible de changement de sexe.

23. Le premier requérant versa au dossier un certificat médical en date du 16 octobre 2014 établi par la psychiatre S. attestant qu’il menait « l’expérience de vie réelle » depuis deux ans, et recommandant la poursuite du traitement hormonal ainsi que la réalisation d’une opération de conversion sexuelle. Il produisit aussi une lettre de recommandation datée du même jour, par laquelle la même psychiatre attestait que ses traits physiques actuels étaient ceux d’un homme, qu’il revendiquait l’appartenance au genre masculin et qu’il se faisait appeler par un prénom masculin. La psychiatre recommandait aux autorités de contrôle destinataires de cette lettre de respecter le souhait du premier requérant afin d’éviter des situations embarrassantes, l’instigation à la haine ou d’autres comportements délictuels.

24. Le premier requérant produisit également un certificat médical du 27 octobre 2014 attestant qu’il avait entre-temps subi une double mastectomie dans une clinique située à Chişinău.

25. Par un arrêt définitif du 9 mars 2015, le tribunal départemental de Bucarest rejeta l’appel du premier requérant, entérinant l’ensemble des conclusions du tribunal de première instance.

26. L’arrêt fut notifié à l’intéressé le 23 juillet 2015.

3. Le départ du premier requérant pour le Royaume-Uni

27. En août 2014, en raison de l’impossibilité à laquelle il se heurtait de voir rectifier ses papiers d’identité et de vivre selon son identité de genre, le premier requérant s’installa au Royaume-Uni.

28. Depuis 2015, le requérant vit en couple.

29. En avril 2015, par un acte unilatéral (deed poll), le requérant changea ses prénoms en prénoms masculins.

30. En mai 2015, il obtint un permis de conduire britannique dans lequel figurait la mention de son sexe et de ses prénoms masculins. Il ouvrit également un compte bancaire et souscrivit des contrats avec des fournisseurs de services collectifs (par exemple, l’eau) sous sa nouvelle identité de genre. Il travailla comme interprète en 2015 ainsi qu’à partir du 2017, obtenant en mars 2018 le diplôme d’interprète en administration publique.

31. D’après le requérant, en 2016, il s’est vu dans l’impossibilité de s’inscrire à l’examen final pour devenir avocat par équivalence faute de papiers d’identité sur lesquels figuraient les prénoms masculins qu’il avait utilisés pour l’inscription aux examens préalables.

32. Le 23 mars 2018, le requérant obtint un certificat de reconnaissance de l’identité de genre (Gender Recognition Certificate) attestant qu’il remplissait les critères pour la reconnaissance juridique du genre revendiqué. Ce document ne peut pas être utilisé comme moyen d’identification.

33. Le requérant affirme devoir toujours subir les désagréments provoqués par la non-concordance entre, d’une part, ses identifiants féminins figurant sur les documents délivrés par les autorités roumaines, et, d’autre part, ses identifiants masculins repris dans les différents documents obtenus au Royaume-Uni.

2. Requête no 20607/16
1. Le contexte de l’affaire

34. Le deuxième requérant, inscrit à sa naissance sur le registre d’état civil comme étant de sexe féminin, commença, dès sa tendre enfance, à se comporter comme un garçon dans sa manière de s’habiller et dans ses relations sociales. Son identité de naissance féminine ne correspondant pas à son identité psychique et sociale masculine, il entama une phase de transition en se présentant socialement comme un homme.

35. En 2009, plusieurs médecins lui ayant diagnostiqué un syndrome de transsexualisme (lié à un « syndrome de Turner »), il continua de mener « l’expérience de vie réelle », assumant une identité masculine dans ses relations sociales et professionnelles.

36. En 2011, suivi par un endocrinologue, il entreprit un traitement hormonal.

37. Le 28 novembre 2011, il fut soumis à un contrôle psychologique qui confirma qu’il continuait à assumer cette identité masculine et qu’il était prêt à subir une opération de conversion sexuelle.

2. La première action en justice

38. Le 14 décembre 2011, le deuxième requérant assigna en justice le conseil local du troisième arrondissement de Bucarest devant le tribunal de première instance du même arrondissement, demandant à cette juridiction :

. d’autoriser l’opération de conversion sexuelle ;

. d’autoriser le changement de sexe du féminin vers le masculin ;

. d’autoriser le changement administratif de son prénom ;

. d’autoriser la modification de son code numérique personnel figurant au répertoire national d’identification des personnes physiques ;

. d’intimer audit conseil local d’effectuer les modifications nécessaires au registre d’état civil et de lui délivrer un nouveau certificat de naissance mentionnant son nouveau prénom et le sexe masculin.

39. À l’appui de son recours, le deuxième requérant invoqua les dispositions de la Constitution pertinentes en l’espèce, les articles 44 i) et 57-58 de la loi no 119/1996, l’article 4 § 1 de l’ordonnance du gouvernement no 41/2003 sur l’enregistrement ou le changement administratif des noms des personnes physiques (ci‑après « l’OG no 41/2003 »), et l’article 8 de la Convention. Il produisit plusieurs certificats médicaux pour étayer sa demande.

40. Par un jugement définitif du 23 mai 2013, le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest fit partiellement droit à l’action du deuxième requérant, accueillant le premier moyen et rejetant les autres moyens pour cause de prématurité. Il indiqua qu’une fois l’opération de conversion sexuelle réalisée, l’intéressé serait en droit de solliciter le changement de prénom directement auprès des autorités administratives, précisant qu’en vertu de l’article 4 § 1 de l’OG no 41/2003, celles‑ci étaient compétentes pour y procéder. Le tribunal informa néanmoins le deuxième requérant de ce qui suit :

« le droit (...) au changement de prénom, à la rectification du registre d’état civil et à la délivrance d’un nouvel acte de naissance ne deviendra « actuel » qu’après la réalisation de l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle. »

3. Les démarches administratives et la deuxième action en justice

41. À une date non spécifiée, le deuxième requérant se serait rendu compte du caractère expérimental de l’opération de conversion sexuelle en Roumanie et du coût extrêmement onéreux d’une telle intervention à l’étranger. En outre, il aurait constaté le caractère intrusif de cette intervention et son inaptitude à permettre une réassignation totale de sexe. Sans toutefois exclure de subir une opération de conversion sexuelle à l’avenir, il aurait alors réalisé être dans l’impossibilité de s’y soumettre dans un délai raisonnable.

42. Le 17 avril 2013, le deuxième requérant fut soumis à un contrôle psychiatrique au sein de l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia de Bucarest. À cette occasion, la psychiatre S. confirma le diagnostic de trouble de l’identité sexuelle (syndrome de transsexualisme). Le certificat médical délivré indiquait que le deuxième requérant vivait en tant que personne du genre revendiqué et avait donc mené à terme « l’expérience de vie réelle », et que le suivi psychothérapeutique n’était pas nécessaire au motif que l’intéressé maîtrisait de manière appropriée le trouble de l’identité sexuelle dont il était affecté. En outre, il recommandait la poursuite du traitement hormonal entrepris.

43. En avril 2014, le deuxième requérant subit une double mastectomie dans une clinique située à Bucarest.

44. Dans ce contexte, le 20 mai 2014, il sollicita auprès du conseil local du troisième arrondissement de Bucarest le changement administratif de ses prénom et sexe ainsi que l’établissement d’un nouvel acte de naissance. À une date non précisée, ledit conseil local rejeta sa demande pour cause de prématurité, considérant qu’une opération préalable de conversion sexuelle et une nouvelle décision de justice étaient indispensables pour la rectification du registre d’état civil.

45. Le 28 mai 2014, l’hôpital universitaire militaire Carol Davila délivra un certificat médical attestant ce qui suit :

« D’un point de vue médical, la patiente appartient au sexe masculin – implantation de la pilosité faciale de type masculin, pilosité corporelle de type masculin, ceinture scapulaire plus développée que celle pelvienne, masses musculaires développées. En avril 2014, la patiente a subi une intervention de mastectomie bilatérale comme premier pas dans l’insertion sociale en tant qu’homme.

La patiente vit depuis environ onze ans, insérée, comme appartenant au sexe masculin et assume un rôle d’homme, étant dans une relation émotionnelle et affective sous son identité d’homme depuis 2002. »

46. Le 3 juillet 2014, se fondant notamment sur les conclusions du certificat médical susmentionné et sur la réalisation de la mastectomie bilatérale, le deuxième requérant engagea une action semblable à celle qu’il avait introduite en décembre 2011 (paragraphe 38 ci-dessus), hormis pour ce qui concernait le premier moyen. À l’appui de sa demande, il sollicita l’audition d’un témoin susceptible de confirmer qu’il vivait sous sa nouvelle identité masculine, et il versa au dossier la copie d’un jugement définitif du tribunal de première instance de Craiova du 12 décembre 2012 qui avait ordonné aux autorités administratives de procéder à des modifications similaires à celles sollicitées par lui, alors même qu’aucune opération de conversion sexuelle n’avait été pratiquée.

1. Le jugement du tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest du 3 avril 2015

47. Par un jugement du 3 avril 2015, le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest rejeta l’action du deuxième requérant. Il considéra ce qui suit :

« De l’interprétation téléologique des dispositions de la loi no 119/1996, il ressort qu’entre les mentions des actes d’état civil et l’état physique d’une personne il doit y avoir une concordance.

Or, aussi longtemps que la demanderesse n’a pas suivi les procédures comportant un changement de sexe (intervention chirurgicale autorisée par le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest par un jugement de (...) 2013 (...)), le tribunal considère que la présente demande introductive d’instance est dépourvue de fondement. »

2. L’arrêt définitif du tribunal départemental de Bucarest du 7 janvier 2016

48. Le 9 septembre 2015, le deuxième requérant interjeta appel du jugement susmentionné devant le tribunal départemental. En premier lieu, il soutenait que son droit à un procès équitable et le principe du contradictoire avaient été méconnus au motif qu’il n’avait pas invoqué le jugement de 2013 le concernant, lequel avait toutefois servi de fondement au tribunal de première instance pour se prononcer sur son action, et que ce jugement n’avait pas fait l’objet de débats. Il faisait valoir que dans le cadre de cette nouvelle action, à la différence de ce qu’il avait sollicité au cours de la première action, il réclamait la modification des mentions dans le registre d’état civil avant même la réalisation de l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle, eu égard à la teneur des derniers documents médicaux attestant son appartenance, d’un point de vue médical, au genre masculin. En deuxième lieu, il alléguait que le jugement attaqué n’était pas motivé, car, à ses dires, l’ensemble des documents médicaux avaient été ignorés par la juridiction de première instance. En troisième lieu, il affirmait que ce jugement était contraire à la pratique des tribunaux nationaux ayant ordonné la modification de mentions concernant le sexe, le prénom ou le code numérique personnel en l’absence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle – pratique illustrée par deux décisions nationales rendues en 2006 et 2008, et produites par l’intéressé devant le tribunal départemental. Enfin, invoquant la jurisprudence de la Cour concernant les personnes transgenres, il alléguait que la décision susmentionnée méconnaissait de surcroît son droit au respect de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention.

49. Le 3 décembre 2015, le tribunal départemental clôtura les débats et mit l’affaire en délibéré.

50. Le 7 décembre 2015, le tribunal décida néanmoins la réinscription de l’affaire au rôle, estimant que des éclaircissements supplémentaires étaient nécessaires. Il cita les parties à comparaître le 7 janvier 2016 afin d’examiner l’utilité d’une expertise médico-légale anthropologique.

51. Le deuxième requérant déposa un mémoire exposant les raisons s’opposant, à ses yeux, à la réalisation d’une expertise médico-légale en l’occurrence. Il soutenait ce qui suit :

. une telle expertise n’était pas indispensable en l’espèce, et ce d’autant plus qu’aucune disposition législative ne la rendait obligatoire et que la pratique des tribunaux nationaux ne l’exigeait pas dans chaque cas d’espèce ;

. le diagnostic de trouble de l’identité sexuelle avait été confirmé par de nombreux documents médicaux ;

. l’expertise comportait une procédure de longue durée, arbitraire, invasive, non respectueuse de la confidentialité et non encadrée par le droit interne ;

. les tendances développées au niveau international allaient vers la simplification des procédures de reconnaissance de l’identité de genre, bon nombre d’États reconnaissant selon lui l’identité de genre en l’absence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle ;

. les nouvelles exigences européennes exprimées dans la résolution no 2048 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe, du 22 avril 2015, réclamaient des procédures de reconnaissance de l’identité de genre « rapides, transparentes et accessibles » ;

. l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle s’apparentait à un traitement forcé non consenti au motif que la personne transgenre ne souhaitant pas suivre un traitement de réassignation sexuelle intégrale se trouvait dans l’obligation de choisir entre deux droits fondamentaux, à savoir, d’une part, le droit au respect de son intégrité physique et, d’autre part, la reconnaissance de son identité sexuelle ;

. les dispositions législatives roumaines en matière de reconnaissance de l’identité de genre étaient incomplètes et incohérentes, et généraient une jurisprudence dépourvue de clarté quant aux différents aspects du processus ;

. la jurisprudence nationale et internationale avait reconnu l’identité de genre même en l’absence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle.

52. Lors de l’audience du 7 janvier 2016, le tribunal départemental de Bucarest jugea qu’une expertise médico-légale n’était pas nécessaire dans le cas d’espèce.

53. Par un arrêt définitif du même jour, le tribunal départemental rejeta l’appel du deuxième requérant, confirmant pour l’essentiel le raisonnement de la juridiction de première instance. Il nota également que la pratique nationale et internationale ne constitue pas une source de droit dans le système roumain, que la jurisprudence de la Cour invoquée par le requérant visait la situation de personnes transgenres opérées et que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne ne concernait pas la modification de l’état civil mais le traitement discriminatoire en matière de licenciement ou de droits sociaux. Le texte de l’arrêt continuait ainsi en ses parties pertinentes :

« Les documents médicaux versés au dossier, qui font état du diagnostic de transsexualité female to male établi par les médecins, l’intervention chirurgicale subie (mastectomie bilatérale), l’aspect physique de l’appelante, ainsi que la déclaration du témoin entendu par la première juridiction confirment le fait que l’appelante vit comme appartenant au genre masculin.

Toutefois, les dispositions légales en vigueur, y compris la jurisprudence des juridictions européennes, exigent une correspondance entre l’état physique (anatomique) de la personne et les actes d’état civil [la concernant].

Les dispositions légales susmentionnées prévoient la possibilité de modification du sexe dans les actes d’état civil si la personne concernée produit un acte médico-légal attestant son sexe, donc, dans le cas d’espèce [attestant] que la personne a subi une intervention chirurgicale de conversion sexuelle (...).

Le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest a statué dans le même sens dans le dossier no (...), dossier dans lequel la demande de l’appelante tendant à obtenir l’autorisation de subir une intervention chirurgicale de conversion sexuelle a été accueillie et dans lequel les autres demandes portant sur l’autorisation de la modification des mentions des actes d’état civil ont été rejetées comme étant prématurées.

Bien que l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle soit invasive et que le changement ne soit pas complet – cela n’étant pas possible d’un point de vue médical –, elle assure une certaine correspondance, dans les limites de l’état actuel de la médecine, entre l’état physique de la personne et les actes d’état civil dans le sens souhaité.

La demande tendant à la modification des actes d’état civil concernant le sexe de la personne ne saurait être accueillie en l’absence d’une telle intervention, car, [sinon], cela créerait une contradiction entre l’anatomie de la personne concernée et ses actes d’identité. Il est pourtant vrai qu’une telle contradiction existe même à présent entre les actes de la demanderesse et son aspect physique, mais au fond, celle‑ci présente l’anatomie d’une femme. »

4. La troisième action en justice

54. En juin 2017, le requérant subit une intervention chirurgicale d’ablation des organes génitaux féminins internes (hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale), suivie, le 17 octobre 2017, d’une intervention de transformation des organes génitaux féminins externes en organes génitaux masculins (métoidoïoplastie), dans une clinique en Roumanie. Le 30 octobre 2017, le médecin en charge des interventions attesta que l’opération de conversion sexuelle était achevée. Suite à des complications postopératoires, le requérant subit plusieurs autres interventions au cours des mois qui suivirent. Par une lettre du 30 août 2018, le médecin chirurgien informa le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest qu’une nouvelle intervention était nécessaire, suite aux complications postopératoires, en vue de l’achèvement du processus de conversion sexuelle.

55. Le 7 août 2017, au cours des procédures médicales, le requérant saisit les tribunaux d’une nouvelle action, réitérant les moyens de sa deuxième action (paragraphe 46 ci-dessus). Il invoqua les articles 8, 43 i) et 57 de la loi no 119/1996, les dispositions de la Constitution pertinentes en l’espèce, ainsi que les articles 3, 8 et 14 de la Convention.

56. Par un jugement définitif du 21 novembre 2017, le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest accueillit l’action du requérant et autorisa le changement de la mention du sexe féminin vers le masculin dans ses documents d’identité, le changement de son prénom et la modification de son code numérique personnel figurant au répertoire national d’identification des personnes physiques ; il ordonna aussi au conseil local d’effectuer les modifications nécessaires au registre d’état civil et de délivrer à l’intéressé un nouveau certificat de naissance mentionnant ses nouveaux identifiants.

57. Pour ce faire, le tribunal s’appuya sur l’article 44 i) de la loi no 119/1996, l’article 4 § 2 l) de l’OG no 41/2003 ainsi que sur la jurisprudence de la Cour (Christine Goodwin c. Royaume-Uni et Pretty c. Royaume-Uni). Il constata notamment que le diagnostic de transsexualisme avait été établi chez le requérant et que celui-ci avait achevé l’opération de conversion sexuelle.

5. La reconnaissance juridique de l’identité de genre du requérant

58. Le 3 mai 2018, le requérant se vit délivrer une nouvelle carte d’identité comportant un prénom masculin, la mention du sexe masculin et un code numérique personnel correspondant au sexe masculin.

59. Le 6 juin 2018, le requérant se vit délivrer également un nouveau certificat de naissance avec les mêmes mentions que celles figurant sur sa carte d’identité.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

1. LE droit et La pratique internes
1. Les dispositions législatives

60. Les dispositions du Code civil pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

Article 98 – L’état civil

« L’état civil est le droit d’une personne de s’identifier dans la famille ou la société par des qualités strictement personnelles qui découlent des actes et faits d’état civil. »

Article 100

« 1. Il n’est possible d’annuler, de compléter ou de modifier des actes d’état civil et les mentions qui y sont inscrites que sur le fondement d’une décision de justice définitive.

(...)

3. L’état civil ne peut être modifié sur le fondement d’une décision ordonnant d’annuler, de compléter ou de modifier un acte d’état civil que si une action en modification de l’état civil a été engagée et accueillie par une décision de justice définitive. »

61. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 119 du 16 octobre 1996 portant sur les actes d’état civil sont ainsi libellées :

Article 43 [ancien article 44]

« Dans les actes de naissance et, en cas de besoin, dans ceux de mariage ou de décès, sont inscrites des mentions concernant les modifications survenues dans l’état civil d’une personne dans les cas suivants :

(...)

i) le changement de sexe, après décision de justice définitive. »

Article 57 §§ 1 et 2

« 1. Il n’est possible d’annuler, de compléter ou de modifier des actes d’état civil et les mentions qui y sont inscrites que sur le fondement d’une décision de justice définitive.

2. La personne concernée saisit le tribunal d’une demande tendant à annuler, compléter ou modifier des actes d’état civil (...). L’action est tranchée par le tribunal de première instance du domicile (...), sur la base des vérifications effectuées par les services publics communautaires locaux d’enregistrement de la population et des conclusions du procureur. »

62. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordonnance du gouvernement no 41 du 30 janvier 2003 portant sur l’enregistrement ou le changement administratif du nom des personnes physiques (« l’OG no 41/2003 ») sont ainsi libellées :

Article 4 § 2

« Sont recevables les demandes de changement de nom dans les cas suivants :

(...)

l) lorsque la personne concernée a vu sa demande de changement de sexe approuvée par une décision de justice définitive et demande à porter un nom y correspondant, après présentation d’un acte médico-légal attestant son sexe ;

(...) »

63. Les dispositions pertinentes de l’article 131 de l’arrêté gouvernemental no 64 du 26 janvier 2011 portant méthodologie relative à l’application unitaire des dispositions en matière d’état civil sont ainsi libellées :

Article 131 § 2

« L’attribution du code numérique personnel se fait sur la base des données enregistrées dans l’acte de naissance concernant le sexe et la date de naissance. »

64. Les dispositions pertinentes de l’article 19 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 97 du 14 juillet 2005 concernant l’enregistrement, le domicile, la résidence, et les actes d’identité des citoyens roumains :

Article 19

« Les services publics communautaires d’enregistrement de la population délivrent un nouvel acte d’identité dans les cas suivants :

(...)

i) changement du sexe ; (...) »

2. La jurisprudence des juridictions nationales
1. La Cour constitutionnelle

65. Par la décision no 530/2008 du 13 mai 2008, la Cour constitutionnelle a conclu à la constitutionnalité des dispositions de l’article 44 i) (devenu dans l’intervalle l’article 43 i)) de la loi no 119/1996 et de l’article 4 § 2 l) de l’OG no 41/2003. Pour ce faire, elle a observé que les modifications apportées aux mentions des actes d’état civil sur le fondement d’une décision de justice dans le but d’effectuer un enregistrement correct de la population ne concernent que la nature juridique de ces actes et le statut juridique de la personne. Elle a jugé que la reconnaissance du changement de sexe par une décision de justice définitive est nécessaire pour enregistrer de telles mentions et qu’il ne s’agit pas d’une intervention des tribunaux dans la vie intime d’une personne. Elle a conclu que le changement de sexe est un choix qui appartient à la personne concernée et a un effet sur le statut social de celle-ci, lequel relève de l’ordre public.

2. Les juridictions civiles

a) Exemples fournis par le Gouvernement

66. Dans ses observations, le Gouvernement a produit vingt exemples de décisions prononcées par les tribunaux nationaux sur des demandes de reconnaissance juridique de la réassignation de genre et de changement des données dans les registres de l’état civil. Il a également envoyé les dispositifs de deux autres décisions prononcées en 2019 par lesquelles les demandeurs ont obtenu la modification des données dans les registres civils. Les motifs de ces décisions ne figurant toutefois pas au dossier, les circonstances de ces affaires n’apparaissent pas clairement (décision no 1831 du tribunal de première instance du sixième arrondissement de Bucarest du 14 mars 2019 et décision du tribunal de première instance de Buftea du 4 avril 2019).

1. Procédure à suivre

67. S’agissant en premier lieu de la procédure à suivre, certains tribunaux ont noté, avant l’examen des affaires, que le droit roumain ne prévoyait pas de procédure spécifique pour « la reconnaissance juridique du changement de sexe d’une personne », ou qu’il la prévoyait uniquement d’une manière implicite, en régissant ses effets ; ils ont dès lors estimé qu’il leur appartenait de juger dans chaque cas concret si une obligation positive imposait à l’État de reconnaître ce changement et, dans l’affirmative, quelle était son étendue (décision avant dire droit du 22 avril 2015 du tribunal de première instance de Iaşi, décision no 4289 du tribunal de première instance de Iaşi du 11 avril 2018). Un tribunal a indiqué expressément qu’il comblerait cette lacune par l’application directe de la Convention (décision no 357/2009 du tribunal de première instance du premier arrondissement de Bucarest du 28 janvier 2019).

68. Certains tribunaux ont considéré qu’il ne fallait pas suivre la voie judiciaire pour la modification des actes d’état civil, laquelle peut être opérée selon la procédure administrative prévue par l’OG no 41/2003 – comportant une expertise médico-légale pour démontrer le sexe (décision no 11116 du tribunal de première instance de Galaţi du 14 décembre 2015, décision no 10329 du tribunal de première instance de Iaşi du 29 septembre 2016, décision no 4289 du tribunal de première instance de Iaşi du 11 avril 2018, s’agissant uniquement du prénom, et décision no 377/MIF du tribunal départemental de Vâlcea du 30 mars 2018, s’agissant du prénom et du code numérique personnel). En revanche, d’autres tribunaux ont accueilli des demandes de modification de l’état civil.

69. En outre, si la procédure non contentieuse suffit pour l’autorisation de l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle, il a été considéré que la procédure contentieuse prévue par l’article 57 § 2 de la loi no 119/1996 doit être suivie pour la modification de l’état civil (décision définitive no 636A de la cour d’appel de Bucarest du 21 juillet 2017).

2. Compétence matérielle

70. Certains tribunaux ont jugé que le droit interne ne prévoyait pas de compétence matérielle spécifique pour la demande de reconnaissance juridique de la réassignation de genre, qui est différente de celle de la modification des actes d’état civil. Cette dernière relève expressément de la compétence des tribunaux de première instance ; selon les règles générales, il appartient au tribunal départemental de se prononcer sur les demandes qui ne sont pas de la compétence expresse des tribunaux de première instance (décision no 377/MIF du tribunal départemental de Vâlcea du 30 mars 2018, décision no 562/2018 du tribunal départemental de Dolj du 5 septembre 2018).

71. D’autres tribunaux de première instance se sont estimés compétents pour se prononcer sur des demandes de reconnaissance juridique du genre (décision no 4289 du tribunal de première instance de Iaşi du 11 avril 2018, décision définitive no 10753 du tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest du 5 octobre 2018).

3. Qualité d’ester en justice de la partie défenderesse

72. Les tribunaux nationaux ont rendu des décisions concernant la reconnaissance juridique du genre et la modification des actes d’état civil à l’égard de plusieurs entités administratives nationales. Après avoir relevé l’absence de clarté des dispositions légales en la matière, et par souci d’efficacité, le tribunal de première instance de Botoşani a prononcé sa décision à l’égard de plusieurs autorités administratives susceptibles d’être impliquées dans les procédures de modification des actes d’état civil (décision définitive no 91 du tribunal de première instance de Botoşani du 8 février 2019).

4. Le bien-fondé des actions

73. En premier lieu, il convient de noter que dans la quasi-totalité des vingt décisions de justice produites par le Gouvernement, les demandeurs s’étaient vu diagnostiquer une dysphorie de genre et avaient subi des traitements hormonaux. À l’exception de deux affaires, les demandeurs avaient subi en outre diverses interventions chirurgicales (mastectomie, mammoplastie, hystérectomie, multiples opérations de chirurgie esthétique). Dans trois affaires, les demandeurs avaient également effectué des interventions de conversion sexuelle sur leurs organes génitaux.

74. De la pratique des tribunaux antérieure ou concomitante à l’introduction des présentes requêtes il ressort ce qui suit :

. certains tribunaux ont considéré que les dispositions législatives (la loi no 119/1996 et l’OG no 41/2003) exigeaient tout d’abord une décision autorisant l’intervention chirurgicale sur les organes génitaux (décision définitive no 2261R de la cour d’appel de Bucarest du 6 décembre 2012, décision non définitive no 190A du tribunal départemental de Bucarest du 19 février 2014, décision avant dire droit du 22 avril 2015 du tribunal de première instance de Iaşi, décision no 11116 du tribunal de première instance de Galaţi du 14 décembre 2015). Dans les décisions rendues en 2012 et en 2014, citées ci-dessus, les tribunaux ont également renvoyé aux conclusions de l’Institut national de médicine légale selon lesquelles l’opération de conversion sexuelle ne pouvait être réalisée qu’après une décision de justice définitive ;

. dans trois autres affaires, les tribunaux ont accueilli les demandes malgré l’absence d’intervention chirurgicale de conversion sexuelle (décision no 18849 du tribunal de première instance de Craiova du 12 décembre 2012, décision no 3418A du tribunal départemental de Bucarest du 28 septembre 2015, et décision no 2747 du tribunal de première instance de Focşani du 1er avril 2016).

75. Parmi les décisions produites par le Gouvernement, qui ont été adoptées après l’introduction des présentes requêtes et ont examiné le bien‑fondé des affaires dont les juridictions étaient saisies, une seule a abouti au rejet de la demande car le demandeur avait omis de demander au tribunal de statuer sur « le changement de sexe », comme l’exigent l’article 43 i) de la loi no 119/1996 et l’article 4 l) de l’OG no 41/2003 (décision no 1108 du tribunal de première instance de Vaslui du 10 mai 2016).

76. Dans les neuf autres affaires, les tribunaux ont accueilli les demandes de reconnaissance juridique du genre en se référant aux dispositions nationales ou à celles de la Convention, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour (en particulier aux affaires Pretty c. Royaume‑Uni, no 2346/02, CEDH 2002‑III, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, CEDH 2002‑VI, et A.P., Garçon et Nicot c. France, nos 79885/12 et 2 autres, 6 avril 2017). Dans deux de ces affaires, les demandeurs avaient déjà subi une intervention chirurgicale sur leurs organes sexuels, et dans deux autres l’opération était programmée dans un avenir proche, à l’étranger. Dans certaines de ces affaires, les tribunaux ont refusé de se prononcer sur la modification du code numérique personnel et/ou du prénom, qui relevait, d’après eux, de la compétence des autorités administratives (paragraphe 68 ci-dessus).

b) Exemples fournis par le premier requérant

77. Le premier requérant a produit plusieurs exemples de décisions prononcées par les tribunaux nationaux sur des demandes de reconnaissance juridique du genre et de changement des données dans les registres de l’état civil, dont certaines sont définitives. Ces décisions ont été rendues entre 2006 et 2018. Il en ressort que certains tribunaux ont considéré que les dispositions législatives exigeaient tout d’abord une intervention chirurgicale sur les organes génitaux. Toutefois, dans la plupart des affaires examinées, les tribunaux ont accueilli les demandes malgré l’absence d’intervention chirurgicale de conversion sexuelle. Certains tribunaux de première instance ont renvoyé les affaires devant le tribunal supérieur car leur objet – autorisation d’une intervention de conversion sexuelle ou changement juridique de sexe – ne relevait pas expressément de leur compétence (décision no 3047 du tribunal de première instance de Constanţa du 25 février 2015 et décision no 4638 du tribunal de première instance de Craiova du 27 avril 2018). Dans une autre affaire (décision no 1042 du tribunal de première instance de Câmpeni rendue en 2008), le tribunal a refusé d’autoriser une intervention chirurgicale de conversion sexuelle dans les termes suivants :

« le simple diagnostic de transsexualisme, sans précision de la forme de dysphorie et en l’absence d’une justification de la nécessité thérapeutique de cette intervention, avant même l’essai d’une psychothérapie, ne suffit pas pour autoriser l’intervention de conversion sexuelle sollicitée, et cela compte tenu du caractère définitif et irréversible d’une telle intervention. »

3. Rapports nationaux

78. Dans un rapport publié en février 2014 par deux organisations non gouvernementales, l’association Accept et la fondation Centre eurorégional pour des initiatives publiques (ECPI), intitulé « Les personnes trans en Roumanie – la reconnaissance juridique de l’identité de genre », il est évoqué ce qui suit :

« Nous précisons d’emblée qu’il n’y a pas de jurisprudence uniforme dans les affaires concernant la modification de la mention du « sexe » dans les actes d’état civil ; cela est dû en partie à l’absence d’un cadre légal suffisamment détaillé établissant les conditions qui doivent être remplies pour la modification des actes d’état civil par les personnes trans. »

Ce rapport mentionne que les positions des tribunaux nationaux divergent quant à la question de savoir si une intervention chirurgicale pratiquée sur les organes génitaux d’une personne constitue une condition préalable à la modification du genre dans les actes d’état civil la concernant.

En outre, il ressort du rapport précité que, s’agissant de la notion d’« acte médico-légal attestant son sexe » employée à l’article 4 § 2 l) de l’OG no 41/2003, l’Institut national de médecine légale, en réponse à une demande de l’association Accept, a précisé ce qui suit :

« Deux demandes ont été enregistrées et dans les deux cas l’intervention chirurgicale avait été réalisée à l’étranger ; les personnes en cause n’ayant pas fait antérieurement l’objet d’une expertise médico-légale, les deux demandes ont été accueillies. Pour ces demandes, on ne peut pas parler de « critères », [l’expertise ayant consisté] en de simples constats portant sur l’état [de l’appareil] génital au moment de l’examen [médico-légal].

En principe, [une telle expertise est sollicitée] uniquement après la réalisation de l’intervention chirurgicale et si [elle] n’a pas été demandée préalablement. L’intervention chirurgicale est irréversible et, dès lors, elle réduit l’acte médico-légal à une simple formalité, son seul but étant celui de constater que l’intervention a été réalisée, ce qui, dans l’affirmative, conduit à une recommandation de la modification du sexe [en matière] civile. »

2. DROIT ET PRATIQUE INTERNATIONAUX
1. Dans le cadre du Conseil de l’Europe

79. Les textes pertinents figurent dans les arrêts A.P., Garçon et Nicot c. France (précité, §§ 73-77) et X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (no 29683/16, §§ 31-33, 17 janvier 2019).

2. Dans le cadre de l’organisation des Nations unies
1. Le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme

80. Les parties pertinentes du rapport du Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme au Conseil des droits de l’homme du 17 novembre 2011 intitulé « lois et pratiques discriminatoires et actes de violence dont sont victimes des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre » (A/HRC/19/41) figurent dans l’arrêt X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (précité, § 34).

2. L’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre

81. Dans son rapport présenté à la 73e session de l’Assemblée générale, le 12 juillet 2018, et intitulé « Violence et discrimination fondées sur l’identité de genre » (A/73/152), l’Expert a adressé la recommandation suivante aux États :

« d) Mettre en place des systèmes de reconnaissance de l’identité de genre pour que les personnes trans puissent exercer leur droit de faire modifier leur nom et leur identité de genre sur leurs papiers. La procédure devrait respecter le droit des individus de faire leur choix librement et en connaissance de cause et de disposer de leur propre corps. En particulier, compte tenu des pratiques optimales recensées, cette procédure devrait :

i) Reposer sur l’autodétermination ;

ii) Être simple et purement administrative ;

iii) Être confidentielle ;

iv) Reposer uniquement sur le consentement libre et éclairé du requérant, sans imposer de conditions comme la fourniture de certificats médicaux, psychologiques ou autres, qui pourraient être déraisonnables ou pathologisantes ;

v) Reconnaître les identités de genre non binaires, telles que celles qui ne sont ni « masculines » ni « féminines », et prévoir de multiples options quant au sexe à indiquer dans les documents officiels ;

vi) Être accessible et, dans la mesure du possible, gratuite. »

3. Droit de l’Union européenne

82. Dans sa résolution, adoptée le 16 janvier 2019 à Strasbourg, sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne en 2017, le Parlement européen s’est exprimé en ces termes :

« 36. déplore qu’en 2017, des personnes LGBTI aient encore été victimes de persécutions, de harcèlement et de violence et aient été confrontées à des discriminations multiples et à la haine, notamment dans les domaines de l’éducation, de la santé, du logement et de l’emploi ; est préoccupé par la stigmatisation, la violence et la discrimination fondées sur le genre que continuent de subir les personnes LGBTI ainsi que par le manque de connaissances et d’interventions des autorités répressives, en particulier par rapport aux personnes transgenres et aux personnes LGBTI marginalisées, et encourage les États membres à adopter des lois et des politiques pour lutter contre l’homophobie et la transphobie ; condamne avec force la promotion et la pratique de thérapies de conversion pour les personnes LGBTI et encourage les États membres à ériger ces pratiques en infractions pénales ; condamne également avec force la pathologisation des identités transsexuelles et intersexuées ; (...) »

83. La résolution du Parlement européen du 14 février 2019 sur l’avenir de la liste des mesures en faveur des personnes LGBTI (2019-2024), se lit ainsi, dans ses parties pertinentes :

« 11. relève que 8 États membres exigent la stérilisation et que 18 États membres exigent un diagnostic de santé mentale pour pouvoir accéder à la reconnaissance juridique de l’identité de genre ; invite la Commission à évaluer si ces exigences sont conformes à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; »

4. droit comparé

84. Il ressort d’un document intitulé Trans Rights Europe & Central Asia Maps 2020 publié en mai 2020 par l’organisation non gouvernementale Transgender Europe qu’à cette date, la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres était impossible dans dix États membres du Conseil de l’Europe : l’Albanie, Andorre, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bulgarie[1], la Hongrie, le Liechtenstein, la Macédoine du Nord, Monaco et la République de Saint-Marin.

85. Il ressort également d’un Index établi par la même organisation en mai 2020 que cette reconnaissance était subordonnée en droit à la stérilisation du demandeur dans onze États membres du Conseil de l’Europe, nombre en diminution constante par rapport aux constats des rapports précédents : la Bosnie-Herzégovine, Chypre, la Finlande, la Géorgie, la Lettonie, le Monténégro, la République tchèque, la Roumanie, la Serbie, la Slovaquie et la Turquie. Elle était possible dans vingt-six États membres sans que la stérilisation soit requise en droit : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la Croatie, le Danemark, l’Estonie, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Moldavie, les Pays-Bas, la Norvège, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovénie, la Suède, la Suisse et l’Ukraine.

86. De même, la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres sans qu’aucune intervention chirurgicale soit exigée était possible dans vingt-six États membres du Conseil de l’Europe.

87. Il ressort, en outre, de ces documents qu’un psychodiagnostic figure également parmi les conditions préalables à la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres dans certains États du Conseil de l’Europe, mais que, pendant les dernières années, dix pays (la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Islande, le Luxembourg, Malte, la Norvège et le Portugal) ont déjà adopté une législation mettant en place une procédure de reconnaissance qui exclut un tel diagnostic (s’y ajoutent, en Espagne, onze des dix-sept communautés autonomes).

88. Enfin, le document atteste que des procédures nationales basées sur le droit à l’autodétermination ont été instituées dans six États membres du Conseil de l’Europe : le Danemark, l’Irlande, l’Islande, le Luxembourg, Malte et la Norvège (s’y ajoutent, en Espagne, neuf des dix‑sept communautés autonomes).

5. Rapports concernant la Roumanie

89. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, organe chargé de surveiller la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a examiné le cinquième rapport périodique de la Roumanie et, lors de sa 3444e séance le 6 novembre 2017, a adopté ses observations finales (CCPR/C/ROU/CO/5), dont les extraits pertinents sont ainsi libellés :

Discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre

« 15. Le Comité est préoccupé par les informations selon lesquelles les (...) transgenres (...) seraient victimes de discrimination, en particulier dans l’emploi et l’éducation, par les cas d’agressions verbales et physiques dirigées contre ces personnes et par les représentations stéréotypées et les préjugés dont elles font l’objet. Il s’inquiète également d’apprendre qu’il serait envisagé d’apporter des modifications au droit interne qui limiteraient les droits garantis par le Pacte. Il s’inquiète de surcroît du manque de clarté de la législation et des procédures concernant le changement d’identité de genre à l’état civil (art. 2 et 26).

16. L’État partie devrait prendre des mesures pour éliminer la discrimination et combattre les représentations stéréotypées des (...) transgenres (...) et les préjugés dont ils font l’objet ; et veiller à ce que les actes de discrimination et de violence commis contre ces personnes fassent l’objet d’une enquête, à ce que les auteurs soient traduits en justice et à ce que les victimes aient accès à une réparation. Il devrait s’assurer que la législation concernant le changement d’identité de genre à l’état civil est claire et appliquée conformément aux droits garantis par le Pacte. »

90. Dans son rapport sur la Roumanie (cinquième cycle de monitoring), publié le 5 juin 2019, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) prenait position dans les termes suivants :

93. L’ECRI note qu’il n’existe aucun texte législatif spécifique sur la conversion sexuelle. En vertu du Code civil et de la loi sur l’état civil roumain, les personnes transgenres ont la possibilité de modifier la mention du sexe figurant sur leurs documents d’identité, uniquement après avoir obtenu une décision définitive et irrévocable du tribunal confirmant leur changement de sexe. Mais il existe un vide juridique en la matière, du fait que ni les procédures applicables ni les organismes compétents ne sont clairement définis. En outre, selon certaines informations, faute de lois ou d’orientations précises, les tribunaux émettent des interprétations contradictoires sur l’application des procédures en matière de reconnaissance juridique du genre. Contrairement à d’autres, certains tribunaux ont, par exemple, jugé que cette reconnaissance était subordonnée à une intervention chirurgicale de conversion sexuelle ou à une stérilisation. L’ECRI considère par conséquent que la législation doit être encore complétée afin qu’y figurent les informations essentielles et les mesures nécessaires concernant la reconnaissance du genre et la conversion sexuelle. Cette dernière ne devrait par exemple pas être une condition sine qua non du changement de sexe dans les documents personnels. À cet égard, l’ECRI souhaite attirer l’attention des autorités sur la Résolution 2048 (2015) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et les encourage à mettre en place des procédures rapides, transparentes et accessibles de reconnaissance juridique de la conversion sexuelle d’une personne.

94. L’ECRI recommande aux autorités d’élaborer une législation sur la reconnaissance du genre et la conversion sexuelle, conformément aux lignes directrices du Conseil de l’Europe en la matière. »

EN DROIT

1. OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES

91. Dans ses observations supplémentaires (lettres du 11 décembre 2018 et du 4 juin 2019), versées au dossier, le deuxième requérant reproche au Gouvernement d’avoir divulgué son identité, des informations concernant son dossier médical ainsi que ses griefs soulevés devant la Cour auprès d’institutions publiques ou d’entités privées, ainsi qu’auprès de médecins qui ont été amenés à discuter et à donner leur avis au sujet des interventions chirurgicales qu’il a subies. Il souligne que cela ressort directement ou indirectement des annexes versées au dossier par le Gouvernement à l’appui de ses observations. Or, le président de la section avait décidé de ne pas dévoiler l’identité des requérants et d’autoriser la confidentialité de l’intégralité des dossiers, en application des articles 33 et 47 § 4 du règlement de la Cour ainsi libellés :

Article 33 – Publicité des documents

« 1. Tous les documents déposés au greffe par les parties ou par des tiers intervenants en rapport avec une requête, à l’exception de ceux soumis dans le cadre de négociations menées en vue de parvenir à un règlement amiable comme le prévoit l’article 62 du présent règlement, sont accessibles au public, selon les modalités pratiques édictées par le greffier, à moins que le président de la chambre n’en décide autrement pour les raisons indiquées au paragraphe 2 du présent article, soit d’office, soit à la demande d’une partie ou de toute autre personne intéressée.

2. L’accès du public à un document ou à une partie d’un document peut être restreint dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties ou de toute personne concernée l’exigent, ou, dans la mesure jugée strictement nécessaire par le président de la chambre, lorsque, dans des circonstances spéciales, la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

3. Toute demande de confidentialité formulée au titre du paragraphe 1 du présent article doit être motivée et préciser si elle vise tous les documents ou seulement une partie d’entre eux. »

Article 47 – Contenu d’une requête individuelle

« 4. Le requérant qui ne désire pas que son identité soit révélée doit le préciser et fournir un exposé des raisons justifiant une dérogation à la règle normale de publicité de la procédure devant la Cour. Cette dernière peut autoriser l’anonymat ou décider de l’accorder d’office. »

92. Par une lettre du 10 juillet 2019, sur invitation du président de la section, le Gouvernement a transmis ses observations en réponse. Il y souligne qu’il a été obligé de demander des renseignements aux autorités nationales ou à des entités privées afin d’établir de manière adéquate la situation de fait dans l’affaire, eu égard notamment aux allégations du requérant quant à l’inexistence de médecins spécialisés ou d’hôpitaux correctement équipés pour effectuer des interventions de conversion sexuelle en Roumanie, ou aux arguments de l’intéressé concernant les suites de l’intervention chirurgicale dans son cas, arguments soulevés dans le cadre de ses demandes de satisfaction équitable.

93. Il précise que, compte tenu de la technicité de ces questions, l’agent du Gouvernement a sollicité des renseignements en particulier auprès de la Commission de chirurgie plastique, esthétique et de microchirurgie reconstructive du ministère de la Santé, sans pour autant indiquer le nom du requérant ni tout autre élément d’identification. Il ajoute qu’à son tour, la Commission a demandé des informations d’ordre médical, par courrier électronique, à 400 médecins spécialisés, tout en rappelant l’exigence de respecter la confidentialité des données transmises et sans se référer aucunement au requérant ou à sa requête introduite devant la Cour.

94. Le Gouvernement indique, en outre, que son agent a sollicité des renseignements auprès de l’Ordre des médecins de Bucarest notamment quant à une éventuelle plainte déposée par le requérant contre le médecin ayant réalisé l’intervention de métoidoïoplastie. Il ajoute qu’il a, dans ce cadre, mentionné le nom du requérant, avant et après la modification, le fait qu’il s’agissait d’une personne transgenre, le nom du médecin, la clinique où l’intervention avait eu lieu, la date, les allégations du requérant relatives à l’échec de l’intervention, et précisé que les renseignements étaient nécessaires pour traiter la requête introduite par le requérant devant la Cour (en précisant son nom et l’article de la Convention invoqué). Il souligne que l’agent du Gouvernement a attiré l’attention de l’Ordre sur le fait que la Cour avait accordé au requérant le bénéfice de l’anonymat et de la confidentialité des documents. Il expose que l’Ordre a, en particulier, répondu que le requérant n’avait pas déposé de plainte contre le médecin en cause.

95. Enfin, le Gouvernement explique que son agent a demandé aux cours d’appel roumaines des exemples de jurisprudence, et à la clinique dans laquelle le requérant avait subi son intervention de métoidoïoplastie des renseignements d’ordre médical, sans pour autant indiquer le nom de l’intéressé ou d’autres éléments d’identification.

96. La Cour note d’emblée que, en vertu de l’article 38 de la Convention, les États sont tenus de fournir « toutes facilités nécessaires » à l’examen d’une affaire. En outre, selon les articles 44A, 44B et 44C du règlement de la Cour, ils ont l’obligation de coopérer pleinement à la conduite de la procédure, de se conformer aux ordonnances de la Cour et de participer de manière effective à la procédure (voir, mutatis mutandis, Al Nashiri c. Pologne, no 28761/11, § 29 in fine, 24 juillet 2014). Dans ces conditions, la Cour considère que les démarches effectuées par le Gouvernement auprès des autorités ou d’institutions privées dans le but d’obtenir des renseignements utiles à l’examen de la présente affaire sont tout à fait justifiées.

97. La Cour observe ensuite qu’à l’exception de la lettre envoyée à l’Ordre des médecins, le Gouvernement n’a pas mentionné le nom ou tout autre élément pouvant identifier le requérant. Les informations à caractère médical, bien que très détaillées, étaient présentées de manière générale, le Gouvernement se bornant à indiquer que les renseignements étaient nécessaires dans le cadre de l’affaire Y introduite contre la Roumanie qui portait sur un grief fondé sur l’article 8 de la Convention. La Cour considère que cela ne constitue pas une conduite contraire aux dispositions de la Convention ou du règlement de la Cour.

98. Pour ce qui est de la lettre envoyée à l’Ordre des médecins, la Cour observe que l’agent du Gouvernement a indiqué plusieurs éléments qui pouvaient permettre d’identifier le requérant ainsi que le nom de la requête introduite par celui-ci devant la Cour et le grief invoqué (paragraphe 94 ci‑dessus). Qui plus est, plusieurs renseignements d’ordre médical y figuraient. Eu égard à ce qui précède et à sa jurisprudence selon laquelle la législation interne doit ménager des garanties appropriées pour empêcher toute communication ou divulgation de données à caractère personnel relatives à la santé qui ne serait pas conforme aux garanties prévues à l’article 8 de la Convention (Z c. Finlande, 25 février 1997, § 95, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I), la Cour se penchera davantage sur cette lettre.

99. La Cour observe que la lettre de l’agent du Gouvernement susmentionnée précisait que les informations sollicitées étaient nécessaires pour traiter une requête introduite devant elle. Il s’agit bien d’une divulgation de données visant donc à obtenir des informations pertinentes pour la procédure devant la Cour. De plus, la Cour constate que l’agent du Gouvernement a pris soin d’attirer l’attention de l’Ordre des médecins sur le fait que la Cour avait accordé au requérant le bénéfice de l’anonymat et de la confidentialité des documents, et invité les autorités nationales à respecter cette instruction.

100. Eu égard aux circonstances, la Cour ne saurait conclure que le Gouvernement a méconnu les mesures prises par la Cour dans la conduite de la procédure dans la présente affaire.

2. JONCTION DES REQUÊTES

101. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour décide de les joindre (article 42 § 1 du règlement) et de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

102. Les requérants reprochent tout d’abord à l’État roumain de ne pas avoir établi un cadre juridique clair en matière de reconnaissance juridique du changement de sexe. Ils voient, en outre, dans l’obligation qui leur a été faite de subir une intervention chirurgicale de conversion sexuelle – qui risque d’aboutir à leur stérilisation – afin d’obtenir le changement de leur état civil une violation de leur droit au respect de leur vie privée. Ils soutiennent que cette exigence constitue une ingérence dépourvue de base légale, qui ne poursuit aucun but légitime et qui n’est pas nécessaire dans une société démocratique. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

103. Le premier requérant invoque également l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

104. Maîtresse de la qualification juridique des faits, la Cour juge approprié d’examiner les allégations des requérants sous l’angle du seul article 8 de la Convention (A.P., Garçon et Nicot c. France, nos 79885/12 et 2 autres, § 149, CEDH 2017, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018, et S.V. c. Italie, no 55216/08, § 31, 11 octobre 2018).

1. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention

105. Dans la présente affaire, les requérants formulent leurs griefs principalement (voir le paragraphe précédent) sur le terrain de l’article 8 de la Convention. Le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de cette disposition.

106. La Cour observe que le droit au respect de la vie privée englobe l’identification sexuelle comme un aspect de l’identité personnelle. Cela concerne tous les individus, y compris les personnes transgenres, comme les requérants, qu’elles souhaitent ou non commencer un traitement de conversion sexuelle agréé par les autorités (A.P., Garçon et Nicot, §§ 92‑94, précité, et X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 29683/16, § 38, 17 janvier 2019).

107. En effet, les arrêts rendus à ce jour par la Cour dans ce domaine portent sur la reconnaissance légale de l’identité sexuelle de personnes transgenres ayant subi une opération de conversion sexuelle (Rees c. Royaume-Uni, 17 octobre 1986, série A no 106, Cossey c. Royaume‑Uni, 27 septembre 1990, série A no 184, B. c. France, 25 mars 1992, série A no 232‑C, Christine Goodwin, no 28957/95, CEDH 2002‑VI, I. c. Royaume‑Uni [GC], no 25680/94, 11 juillet 2002, Grant c. Royaume‑Uni, no 32570/03, CEDH 2006‑VII, et Hämäläinen c. Finland [GC], no 37359/09, CEDH 2014), sur les conditions d’accès à une telle opération (Van Kück c. Allemagne, no 35968/97, CEDH 2003‑VII, Schlumpf c. Suisse, no 29002/06, 8 janvier 2009, L. c. Lituanie, no 27527/03, CEDH 2007‑IV, et Y.Y. c. Turquie, no 14793/08, CEDH 2015 (extraits)), ou encore sur la reconnaissance légale de l’identité sexuelle des personnes transgenres qui n’ont pas subi un traitement de changement de sexe agréé par les autorités ou qui ne souhaitent pas subir un tel traitement (A.P., Garçon et Nicot, S.V. c. Italie, X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, arrêts précités, et Y.T. c. Bulgarie, no 41701/16, § 66, 9 juillet 2020).

108. L’article 8 de la Convention se trouve donc applicable dans la présente affaire sous son volet relatif à « la vie privée » concernant les demandes faites par les requérants auprès des juridictions nationales afin de faire modifier les registres d’état civil en raison de leur réassignation sexuelle.

2. Sur la qualité de victime et sur le caractère d’actio popularis de la requête introduite par Y

109. Le Gouvernement soulève une exception concernant la perte par le deuxième requérant de sa qualité de victime, dans la mesure où la dernière demande dont celui-ci a saisi les tribunaux nationaux afin de faire modifier les actes d’état civil le concernant a été couronnée de succès. Il plaide que l’intéressé a ainsi pu obtenir – au terme d’une procédure qui s’est déroulée avec célérité et s’est conclue par le jugement rendu le 21 novembre 2017 par le tribunal de première instance du troisième arrondissement de Bucarest – la reconnaissance juridique de sa conversion sexuelle et la modification de son état civil (paragraphe 56 ci‑dessus). Il soutient que cela permet de conclure que les faits à l’origine de la requête ne persistent plus et que les conséquences pouvant résulter d’une éventuelle violation de la Convention ont été effacées. Il souligne également que le cas d’espèce ne présente pas les mêmes spécificités que l’affaire S.V. c. Italie (arrêt précité), dans laquelle une exception similaire avait été rejetée par la Cour, étant donné qu’à la différence de la législation italienne, la législation roumaine ne contient aucune exigence de traitement médico-chirurgical pour obtenir la reconnaissance de l’identité de genre. Il ajoute qu’une atteinte au respect de l’intégrité physique contraire à l’article 8 de la Convention, à l’instar de celle constatée dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot (arrêt précité), n’est pas en jeu car le deuxième requérant a souhaité recourir à la chirurgie afin d’harmoniser son aspect physique et son identité sexuelle. Enfin, s’agissant d’un éventuel redressement approprié et suffisant, il souligne que le requérant n’a ni mentionné l’existence d’un préjudice supplémentaire dans la troisième procédure qu’il a engagée, ni formulé de demande séparée de réparation des préjudices causés par sa situation, en particulier après son intervention chirurgicale qu’il considère comme une expérience insatisfaisante ayant eu des résultats négatifs.

110. Le Gouvernement argue, ensuite, qu’à raison de la perte par le requérant de sa qualité de victime, les arguments formulés par lui dans ses observations et liés à la nécessité d’adopter une législation spéciale pour la reconnaissance juridique du genre, de mettre en œuvre une procédure administrative simplifiée et d’instaurer des normes qui assurent la non‑discrimination des personnes transgenres, en principe, en matière d’emploi, relèvent d’une actio popularis. Considérant ainsi que la Cour ne doit pas juger dans l’abstrait la conformité de la législation roumaine à la Convention ni statuer de lege ferenda, le Gouvernement invite la Cour à s’abstenir de traiter des questions étrangères à la présente espèce.

111. Le requérant estime qu’il est toujours victime de la violation alléguée devant la Cour malgré la modification de ses données personnelles après le jugement adopté le 21 novembre 2017. Il plaide que cette modification n’a pas été le fruit de la reconnaissance par l’État de la méconnaissance de ses droits, laquelle n’a été suivie d’aucune forme de compensation. Il allègue que la modification recherchée n’a été possible qu’au détriment de son autonomie personnelle, de sa santé et de son bien‑être, et qu’elle a emporté une atteinte à son intégrité physique et psychique. Il affirme que les autorités n’ont reconnu juridiquement sa réassignation de genre qu’après qu’il eut subi une intervention de conversion sexuelle et que, même après la réalisation de celle-ci, il a dû engager une troisième procédure judiciaire car une simple procédure administrative était illusoire. Enfin, s’agissant des modifications législatives mentionnées par le Gouvernement dans ses arguments liés au caractère d’actio popularis de la requête, le requérant soutient que sa situation révèle un problème systémique en Roumanie, ce qui l’a amené à indiquer des mesures générales que la Cour pourrait retenir sur le terrain de l’article 46 de la Convention.

112. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent, la violation de la Convention (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010).

113. En l’espèce, les instances nationales ont certes adopté une décision favorable au requérant en procédant à la reconnaissance de sa réassignation sexuelle en 2017, et les autorités administratives lui ont délivré de nouveaux documents d’identité attestant son genre en mai et juin 2018 (paragraphes 58 et 59 ci-dessus). Cela étant, la Cour ne saurait ignorer que la situation litigieuse à l’origine de la présente requête, à savoir l’impossibilité pour le requérant d’obtenir le changement de ses identifiants en raison du refus des juridictions, a perduré pendant plus de cinq ans. La Cour estime que le requérant a directement subi les effets de ce refus dans sa vie privée durant cette période (S.V. c. Italie, précité, § 35). Par ailleurs, ni le jugement du 21 novembre 2017 ni les autres mesures internes concernant l’affaire du requérant ne contiennent une reconnaissance expresse d’une violation de droits protégés par la Convention. L’autorisation accordée au requérant ne saurait être interprétée comme une reconnaissance, en substance, d’une violation de son droit au respect de la vie privée.

114. Il convient dès lors de conclure que le requérant peut se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

115. Pour ce qui est de l’argument du Gouvernement concernant le caractère d’actio popularis de la requête, la Cour note qu’elle sera, certes, amenée à examiner la manière dont le cadre législatif a été appliqué au requérant. Toutefois, elle rappelle que le fait que la présente espèce soulève la question de la compatibilité de la loi nationale avec la Convention est dépourvu de pertinence à l’égard de l’exception du Gouvernement (voir, mutatis mutandis, Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 29, CEDH 2009).

3. Conclusions quant à la recevabilité

116. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Les requérants

117. Les requérants soutiennent que l’État roumain a méconnu tant ses obligations positives que négatives découlant de l’article 8 de la Convention en refusant de reconnaître leur réassignation de genre faute pour eux de s’être soumis à une opération de conversion sexuelle qu’ils ne souhaitent pas à ce stade.

118. En premier lieu, les requérants soulignent qu’en vertu de ses obligations internationales, le Gouvernement est tenu d’adopter une procédure rapide, transparente et accessible de reconnaissance juridique du genre. Ils soutiennent qu’en Roumanie, le cadre normatif est manifestement insuffisant et dépourvu de clarté et de prévisibilité. D’après eux, l’article 43 i) de la loi no 199/1996 est purement déclaratif car il ne prescrit ni les critères à remplir ni les procédures (comme par exemple le type d’action ou la partie défenderesse) à suivre pour obtenir la reconnaissance juridique de son genre. De plus, les allégations du Gouvernement quant à une éventuelle modification de l’article 4 § 2 l) de l’OG no 41/2003 visant à supprimer l’obligation de produire une expertise médico-légale dans la procédure administrative de changement de nom ne serait pas étayée et serait sans aucun impact sur les procédures judiciaires, dans lesquelles les juges peuvent exiger l’administration de toute preuve, y compris une expertise médico-légale (paragraphe 124 ci-dessous). D’après le deuxième requérant, l’obligation d’engager une procédure judiciaire pour obtenir la reconnaissance juridique de son genre constitue en soi une violation de l’article 8 de la Convention car elle ignore le principe de l’autodétermination.

119. De plus, les requérants soulignent qu’il y a eu et il continue d’y avoir, en matière de reconnaissance juridique du genre, une divergence de jurisprudence des juridictions nationales qui non seulement s’apparente à une méconnaissance du principe de la sécurité juridique, mais aussi se concilie mal avec le principe de la protection effective des droits. Ils plaident que la tendance à l’abandon de l’obligation d’une opération de conversion sexuelle dans la jurisprudence des tribunaux nationaux, alléguée par le Gouvernement, n’est pas étayée. Ils renvoient aux considérations de l’intervenante Accept à cet égard (paragraphes 140 et suiv. ci-dessous). Ils font remarquer également que la plupart des demandes en matière de reconnaissance juridique du genre ont été rejetées et que les tribunaux ont adopté des raisonnements contradictoires qui ne montrent en aucun cas une compréhension plus sophistiquée des évolutions nationales et internationales en la matière. Ils arguent qu’en tout état de cause, dans toutes les décisions produites par le Gouvernement, les intéressés avaient subi au moins un traitement médical de conversion sexuelle, tels que des traitements hormonaux ou chirurgicaux. Ils soutiennent que la reconnaissance juridique du genre n’a abouti que dans très peu de cas en l’absence d’une opération de conversion sexuelle. Ils allèguent de surcroît que certaines procédures ont eu une durée excessive, pouvant aller jusqu’à cinq ans. Ils affirment que la divergence de jurisprudence, qui s’étend même à la compétence juridictionnelle des tribunaux ou à la capacité d’ester en justice des parties défenderesses, est le résultat de l’absence de clarté des dispositions légales en la matière, de l’absence d’une orientation complémentaire donnée par les autorités nationales, du fait que le précédent jurisprudentiel ne constitue pas une source de droit dans le système national, et de l’absence d’un mécanisme apte à assurer la cohérence de la jurisprudence pour ce type de procédures, par exemple par le biais de la Haute Cour de cassation et de justice.

120. Les requérants rappellent que, dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot (arrêt précité), la Cour a conclu que le consentement au traitement médical stérilisant, conçu comme une condition préalable à la reconnaissance juridique du genre, est invalide car la personne est amenée à choisir entre la reconnaissance de son identité de genre et son intégrité physique. Ils plaident que ces conclusions doivent s’appliquer à tout traitement médical de réassignation sexuelle réalisé sans le consentement libre et informé de la personne en cause. Ils soulignent que les faits dans l’affaire précitée sont contemporains de ceux des deux présentes requêtes. Ils exposent qu’en tout état de cause, des normes générales nationales et internationales interdisaient les interventions médicales non consenties bien avant ledit arrêt de la Cour. Par ailleurs, pour les requérants, la thèse du Gouvernement selon laquelle la pratique des tribunaux nationaux était en accord avec la jurisprudence de la Cour, et notamment avec son arrêt A.P., Garçon et Nicot (précité), équivaut à la reconnaissance implicite de sa responsabilité sous l’angle de l’article 8 de la Convention, compte tenu de ce que, dans leurs procédures respectives, les tribunaux roumains ont assujetti la reconnaissance juridique de leur genre à une intervention chirurgicale de conversion sexuelle.

121. Les requérants notent que le Gouvernement admet que le droit interne ne prévoit pas l’exigence de subir une opération de conversion sexuelle (paragraphe 124 ci-dessous) pour obtenir la reconnaissance légale du genre. Ils soutiennent en outre que cette exigence ne saurait être justifiée par aucun des buts énumérés par le Gouvernement dans ses observations (paragraphe 128 ci-dessous) et qu’elle n’est pas non plus nécessaire dans une société démocratique.

122. Les requérants contestent aussi l’existence d’une possibilité réelle de réaliser une intervention chirurgicale de conversion sexuelle sur les organes génitaux en Roumanie. Ils soulignent qu’il n’y a pas de réel protocole ou de guide en la matière, ni de docteurs ou d’unités spécialisés, et qu’une telle intervention n’est pas couverte par le système d’assurance médicale. Ils plaident que, s’agissant en particulier de la métoidoïoplastie, cette intervention chirurgicale connaît des taux de risque et de complications très élevés, ce qui serait d’ailleurs confirmé en pratique par les suites « mutilantes » de l’intervention chirurgicale subie par Y.

123. Enfin, les requérants soulignent que les procédures qui les ont déterminés à saisir la Cour n’ont pas de lien avec une quelconque demande d’obtenir une autorisation de subir une opération de conversion sexuelle.

Le premier requérant dénonce à ce titre le fait que les tribunaux ont donné une interprétation erronée du premier moyen qu’il avait formulé dans sa demande introductive d’instance. Ainsi, il soutient qu’il sollicitait le changement de sexe dans le sens de la reconnaissance juridique de sa réassignation sexuelle alors que le tribunal a considéré que ce moyen visait l’autorisation d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle (paragraphe 20 ci‑dessus), quand bien même il avait employé la terminologie utilisée dans la législation et par la Cour constitutionnelle dans sa décision de 2008, voire par d’autres personnes qui, contrairement à lui, n’ont pas vu leurs demandes dénaturées. Il souligne que les éléments mentionnés dans le procès-verbal de l’audience du 5 juin 2014 (paragraphe 17 ci-dessus) au sujet de l’opération de conversion sexuelle constituent sa réponse aux questions du juge, lesquelles n’ont pas été reprises dans le procès-verbal et étaient liées obstinément à la chirurgie génitale. Il indique qu’il avait d’ailleurs précisé le sens exact de ce moyen dans les conclusions écrites qu’il avait déposées devant le tribunal de première instance et dans son appel. En tout état de cause, il dénonce l’inertie du tribunal de première instance qui n’a pas sollicité de clarifications alors que la loi le lui permettait, et le fait que les tribunaux ont considéré que la réponse au premier moyen était déterminante pour l’examen des autres moyens.

Le deuxième requérant reproche également aux tribunaux d’avoir lié, contre son gré, sa deuxième action, engagée en 2014, et tendant à la reconnaissance juridique de son genre, à sa première action, intentée en 2011, dans laquelle il avait sollicité l’autorisation de subir une opération de conversion sexuelle. Il souligne que cette première action avait été déterminée par le fait qu’avant 2012, la pratique des médecins était de subordonner la réalisation de toute intervention chirurgicale (mastectomie ou hystérectomie) à l’obtention d’une autorisation judiciaire soit pour la réalisation de l’intervention en cause soit pour la modification de l’état civil.

b) Le Gouvernement

124. Le Gouvernement admet que les requérants ont bien subi une ingérence dans leur vie privée, mais allègue que cette ingérence avait une base légale en droit roumain, à savoir les dispositions de la loi no 119/1996 telles qu’interprétées par les juridictions nationales. Il ajoute que le cadre légal dans lequel s’est développée la pratique judiciaire est formulé d’une manière suffisamment généreuse afin de permettre aux tribunaux, tout en suivant le développement des standards conventionnels, d’accueillir des actions en justice similaires à celles des requérants dans les présentes requêtes. Il soutient en outre que ce cadre légal est clair : il exige que toute modification d’une mention relative au sexe dans les actes d’état civil soit réalisée uniquement sur la base d’une décision de justice l’autorisant, sans que cela puisse être interprété comme exigeant une intervention chirurgicale préalable. De plus, il évoque une future réforme de l’article 4 § 2 l) de l’OG no 41/2003 portant sur la modification administrative du nom, qui viserait à supprimer l’obligation de produire une expertise médico-légale.

125. Le Gouvernement met en avant qu’à l’époque des faits, la jurisprudence des tribunaux roumains était en accord avec la jurisprudence de la Cour concernant les personnes transgenres opérées et que l’arrêt A.P., Garçon et Nicot (précité) concernant la situation de personnes transgenres non opérées a constitué un revirement de jurisprudence. Il souligne que la nouveauté de la problématique de la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle des personnes transgenres non opérées avait d’ailleurs été reconnue par la Cour elle-même dans l’affaire S.V. c. Italie (arrêt précité).

126. Ensuite, le Gouvernement expose que, tout comme la jurisprudence de la Cour en matière de reconnaissance des effets pour les personnes transgenres d’un changement de sexe sur le plan de l’état civil, la pratique des tribunaux roumains a connu une évolution : si dans un premier temps, toute demande de modification des mentions dans les actes d’état civil était subordonnée à une intervention chirurgicale de conversion sexuelle, de plus en plus souvent (voire dans 100 % des cas récemment, soit dans quatre affaires) une telle demande est accueillie avant ou même en l’absence d’une intervention chirurgicale, uniquement sur la base du diagnostic du syndrome transsexuel, et cela en accord avec la jurisprudence de la Cour qui est invoquée très souvent (A.P., Garçon et Nicot, précité). Selon le Gouvernement, la réalisation de l’opération de conversion sexuelle ne devient pour les tribunaux qu’un simple indice de la volonté de la personne de s’identifier autant mentalement que biologiquement à son genre. En tout état de cause, les exemples de jurisprudence fournis montreraient que les juridictions roumaines reconnaissent le droit des personnes transgenres à s’auto-définir et à se présenter dans la société sous l’apparence voulue. De surcroît, ils montreraient la sensibilité des tribunaux aux effets que les interventions de conversion sexuelle non désirées peuvent avoir sur l’intégrité physique, et, dès lors, à la situation difficile des personnes qui devraient choisir entre, d’une part, leur droit à une vie privée en accord avec leurs désirs et, d’autre part, leur intégrité.

127. Le Gouvernement plaide que toute évolution jurisprudentielle implique une étape de divergence de la jurisprudence avant son unification, divergence qui n’affecte la protection conventionnelle des droits que si elle devient profonde et persistante. À cet égard, il souligne que la Haute Cour de cassation et de justice ne s’est pas prononcée sur la question de la reconnaissance juridique du changement de sexe car elle n’est pas compétente pour trancher des questions liées à la modification des mentions de l’état civil. Il indique qu’en revanche, plusieurs cours d’appel l’ont fait et ont ainsi contribué à une interprétation unitaire dans leur ressort, comme c’est le cas en particulier de la cour d’appel de Bucarest qui a rendu trois arrêts en la matière.

128. Le Gouvernement soutient que l’exigence d’une autorisation judiciaire préalable pour la modification de l’état civil poursuit un but légitime, tel que souligné par la Cour constitutionnelle dans sa décision no 530 du 13 mai 2008, à savoir la tenue d’un enregistrement correct de la population, aspect qui relève de l’ordre public. Il souligne qu’un changement trop souple des mentions de l’état civil pourrait mener à des abus liés à la possibilité de se soustraire à des poursuites pénales ou à des créanciers, par exemple. En outre, il rappelle que la Cour a admis que la préservation du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, de la fiabilité et de la cohérence de l’état civil, et plus largement de la sécurité juridique relèvent de l’intérêt général et justifient la mise en place de procédures rigoureuses dans le but notamment de vérifier les motivations profondes d’une demande de changement légal d’identité (mutatis mutandis, A.P., Garçon et Nicot, précité, § 142).

129. Le Gouvernement note que, dans les deux requêtes, les requérants font référence à l’autorisation d’une intervention chirurgicale et plaide que, dès lors, les tribunaux, dans la limite de leur saisine, se sont penchés sur cet aspect. Il expose que, dans la première requête, le requérant a indiqué que l’intervention chirurgicale devait être autorisée, faute de quoi les médecins auraient refusé de l’effectuer et que, dans la deuxième requête, les tribunaux ont pris en considération en tant qu’élément factuel l’autorisation d’une telle intervention chirurgicale accordée au préalable par une décision de justice. Il argue que ces éléments ont permis aux tribunaux, dans les deux requêtes, de rejeter les demandes de modification des actes d’état civil compte tenu de leur caractère prématuré. D’après le Gouvernement, le refus opposé par les juridictions, dans le cas concret des requérants et dans le contexte de la jurisprudence nationale à l’époque des faits, répond à la condition de la proportionnalité consacrée par la jurisprudence de la Cour.

130. Enfin, le Gouvernement indique que l’opération de conversion sexuelle non seulement est autorisée par la législation roumaine, mais qu’elle peut également être réalisée dans des hôpitaux publics ou privés en Roumanie, lesquels peuvent adopter leurs propres guides ou protocoles de traitement.

131. S’agissant du premier requérant, le Gouvernement souligne que depuis septembre 2015, celui-ci n’a sollicité le soutien ni des autorités roumaines au Royaume-Uni ni des autorités administratives ou judiciaires sises en Roumanie, et cela soit pour revenir en Roumanie soit pour obtenir la modification des mentions des actes d’état civil le concernant en vertu des articles 43 f) et i), 44 et 49 de la loi no 119/1996.

2. Observations des tiers intervenants

a) Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies (UNHCHR – « le Haut-Commissariat »)

132. Le Haut-Commissariat souligne que le droit à une reconnaissance efficace de l’identité de genre dérive, entre autres, du principe de l’égalité devant la loi, du droit à l’égale protection par la loi sans distinction, du droit à une capacité juridique sans discrimination et du droit à une reconnaissance par la loi. Il rappelle que, dans ses travaux, il a exprimé des inquiétudes quant au fait que les personnes transgenres sont en règle générale dans l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance juridique de la réassignation de leur genre, y compris la modification dans les registres et les documents délivrés par l’État de leur sexe ou prénoms, ce qui implique des obstacles dans l’exercice d’une grande variété de leurs droits. Il ajoute qu’il a en outre mis en exergue les exigences abusives imposées dans certains États en vue de la reconnaissance du genre, comme par exemple le fait de ne pas être marié, la stérilisation forcée, l’opération de conversion sexuelle forcée, le diagnostic médical ou d’autres procédures médicales.

133. Le Haut-Commissariat indique qu’au vu de l’obligation légale de non‑discrimination, des recommandations des mécanismes de protection des droits de l’homme des Nations unies et de l’étude des bonnes pratiques internationales, la reconnaissance juridique de l’identité de genre des personnes transgenres dans les documents officiels doit : a) reposer sur l’autodétermination du demandeur ; b) être une simple procédure administrative ; c) ne pas exiger des demandeurs qu’ils se plient à des conditions abusives arbitraires et indument pénibles (délivrance d’un certificat médical, opération chirurgicale, traitement médical, stérilisation ou divorce, par exemple) ; d) reconnaître les identités non binaires, telles que les identités de genre ni « hommes » ni « femmes » ; e) veiller à ce que les mineurs aient accès à la reconnaissance de leur identité de genre.

134. Le Haut-Commissariat souligne également les démarches effectuées par l’Organisation mondiale de la santé afin de supprimer le « trouble de l’identité sexuelle » de son manuel officiel de diagnostic, à savoir la Classification internationale des maladies (CIM-11), et de requalifier ainsi l’identification comme transgenre en termes de sexualité et non de « trouble mental ». Enfin, il met en exergue les préoccupations des mécanismes de protection des droits de l’homme des Nations unies quant à la situation des personnes transgenres en Roumanie (le cinquième rapport périodique de la Roumanie du Comité des droits de l’homme (paragraphe 89 ci-dessus), les observations finales du Comité des droits de l’enfant de 2017 (CRC/C/ROU/CO/5) ou les recommandations transmises par différents États lors de l’examen périodique universel de 2018 concernant la Roumanie (A/HRC/38/6)).

b) Transgender EUROPE (TGEU) et ILGA Europe

135. Les associations intervenantes rappellent tout d’abord l’évolution du contexte légal et politique au niveau international qui montre une amélioration continue de la reconnaissance des droits des personnes trans et une dépathologisation des identités trans. Elles affirment ensuite que les procédures de reconnaissance juridique de l’identité de genre identifiées au niveau européen et basées sur des exigences médicales ou de diagnostic dans lesquelles le pouvoir judiciaire joue un rôle important ne sont pas conformes aux standards des droits de l’homme et au principe d’égalité.

136. S’agissant, en premier lieu, du contexte international, les intervenantes énumèrent les appels des différents mécanismes de défense des droits de l’homme invitant les États à assurer la reconnaissance juridique du genre au moyen de procédures rapides, transparentes et accessibles, qui ne soient pas assorties d’exigences excessives, mais qui soient en revanche respectueuses du droit de choisir librement et en connaissance de cause, de l’intégrité de la personne et du droit à l’autodétermination.

137. S’agissant, en deuxième lieu, du contexte européen, les parties intervenantes soulignent que la nécessité de mettre en place des procédures de reconnaissance juridique rapides, transparentes et accessibles, tout comme le droit à l’autodétermination, a été depuis longtemps consacrée dans le « droit » du Conseil de l’Europe. Elles exposent que plusieurs États contractants ont d’ailleurs adopté des dispositions législatives qui mettent en œuvre le principe de l’autodétermination en matière d’identité de genre. Dans ce contexte, elles notent l’impact positif de l’arrêt A.P., Garcon et Nicot c. France adopté par la Cour en 2017 sur les normes et la jurisprudence des juridictions nationales en matière de reconnaissance du genre. De plus, elles considèrent que la conclusion de la Cour dans ledit arrêt devrait connaître une applicabilité générale interdisant toute exigence d’intervention chirurgicale ou traitement médical aussi longtemps que la personne concernée n’y a pas donné son consentement libre et éclairé.

138. Les intervenantes observent toutefois que si le consensus contre des exigences médicales obligatoires pour la reconnaissance de l’identité de genre est en train de se consolider, plusieurs États, dont la Roumanie, continuent à prévoir la stérilisation comme condition préalable à cette reconnaissance. Or, indiquent-elles, les opérations de conversion sexuelle sont parfois difficilement réalisables, voire indisponibles, dans certains pays. Dans ce contexte, l’absence de protocoles médicaux ou de professionnels formés en matière d’opérations de conversion sexuelle – à laquelle s’ajoutent une assurance médicale la plupart du temps insuffisante, des périodes d’attente trop longues ou des traitements humiliants – pourrait soulever un problème par rapport au respect de la dignité de la personne sur le terrain de l’article 3 de la Convention.

139. Enfin, d’après les intervenantes, l’exigence d’un diagnostic ou d’un traitement médical dans le seul but d’attester et de reconnaître ensuite le genre d’une personne, en l’absence d’une nécessite médicale, et cela parce que son identité de genre diffère des rôles et attentes principaux attribués aux genres, constitue une discrimination de la personne en cause sur la base de l’identité de genre.

c) Association Accept

140. L’intervenante observe que le droit roumain contient des dispositions relatives au changement de nom dans les documents de l’état civil, lesquelles sont appliquées aux personnes transgenres. Elle allègue toutefois que ces dispositions sont déclaratives, qu’elles subordonnent tout changement à une procédure judiciaire aboutissant à une décision de justice définitive et qu’elles ne prévoient ni les conditions à remplir par les intéressés ni le type d’action à formuler. Elle plaide que, dans ces conditions, les tribunaux nationaux ont été amenés à définir dans quelles conditions accueillir les actions tendant au changement de genre et à la modification des identifiants de la personne. Selon l’intervenante, l’examen de soixante-trois décisions de justice pertinentes (rendues dans quarante‑huit procédures judiciaires de 2006 à 2017) permet de conclure que l’absence de clarté de la législation a conduit à des interprétations arbitraires et à une jurisprudence divergente.

141. Dans ce contexte, l’intervenante dénonce ce qu’elle appelle « le pouvoir démesuré des juges », qui ne se bornent pas à constater l’existence d’un état civil et à ordonner la modification des registres dans ce sens, mais s’arrogent un pouvoir décisionnel par rapport à l’identité sexuelle de la personne, et cela sur la base de leurs propres convictions personnelles relatives à l’appartenance à un certain sexe. Il en découle, selon elle, que les juges ont eu à l’égard des requérants des attentes différentes, mais aussi non réalistes, compte tenu du contexte socio-économique et médical en Roumanie. Leurs arguments seraient basés sur des définitions terminologiques issues des dictionnaires, de préceptes religieux ou de la tradition.

142. Eu égard à ce qui précède, le caractère judiciaire de la procédure de reconnaissance juridique représente en lui‑même, d’après l’intervenante, un obstacle à la protection effective du droit à l’autodétermination (article 8 de la Convention) qui porte atteinte à la dignité des personnes transgenres (article 3 de la Convention), d’autant que les procédures judiciaires connaissent une durée excessive, en général de quelques mois à un an et demi, mais pouvant aller dans certains cas jusqu’à quatre ans.

143. De plus, sur le plan de la preuve, l’intervenante note le formalisme des procédures, le demandeur étant censé apporter des preuves « extérieures » de son genre – ce qui rend son droit à l’autodétermination insignifiant – ou se soumettre, dans presque la moitié des affaires, à des expertises médico‑légales invasives et affectant sa vie privée et sa dignité ou mettant en cause sa capacité mentale. Elle souligne que si les certificats médicaux (psychiatriques, psychologiques ou endocrinologiques) suffisent en principe à établir la réalité du transsexualisme, les expertises médico‑légales sont déterminantes dans le rejet d’une action si aucune opération de conversion sexuelle sur les organes génitaux n’a été effectuée. Elle ajoute qu’une partie des juridictions renvoient, en effet, aux dispositions de l’OG no 41/2003 qui requièrent une décision définitive de justice et une expertise médico-légale, et que la référence à cette dernière a été interprétée par certains juges comme exigeant une opération de conversion sexuelle préalable à tout changement d’état civil.

144. L’intervenante souligne que parmi les quarante-huit différentes affaires recensées, les demandes de modification des identifiants n’ont été accueillies que dans seize d’entre elles sans qu’une opération de changement de sexe ait au préalable été imposée aux demandeurs, alors que dans huit autres affaires l’opération avait déjà été réalisée. Elle ajoute que dans les autres affaires, faute d’opération, les actions ont été rejetées (notamment au motif que le demandeur n’avait pas sollicité auparavant auprès des tribunaux l’autorisation d’une intervention chirurgicale de changement de sexe), déclarées prématurées ou requalifiées en action visant à obtenir l’autorisation de l’opération de conversion sexuelle, en dépit de l’opposition du demandeur. Elle précise, en outre, que dans quelques affaires les tribunaux ont conclu que ces actions ne relevaient pas de la compétence des juridictions et que, dès lors, les demandeurs devaient s’adresser aux autorités administratives munis d’un certificat médico‑légal attestant le changement de sexe. Elle soutient que la requalification des actions ou la déclaration d’incompétence des tribunaux s’apparentent à un vrai déni de justice, d’autant que les juridictions nationales ont, selon elle, procédé à une mauvaise interprétation des conclusions de la Cour constitutionnelle – qui avait considéré, dans sa décision de 2008, que le changement de sexe était un choix de la personne concernée (paragraphe 65 ci‑dessus) – ou même de la jurisprudence de la Cour.

3. L’appréciation de la Cour

a) Sur la question de savoir si l’affaire concerne une obligation positive ou une ingérence

145. La Cour note que le grief des requérants concerne le refus des autorités nationales de reconnaître juridiquement leur appartenance au sexe masculin et de faire modifier leur état civil avec les conséquences en résultant. À cet égard, les intéressés soutiennent que l’absence d’un cadre légal approprié, conforme à l’article 8 de la Convention, a permis aux autorités d’exiger d’eux une condition supplémentaire pour faire droit à leurs demandes, à savoir une intervention chirurgicale de conversion sexuelle. La Cour remarque également que les parties laissent entendre que ce grief concerne aussi bien une « ingérence » qu’une obligation positive de l’État (paragraphes 117 et 124 ci-dessus).

146. La Cour rappelle que, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif s’ajoutent des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (voir, entre autres, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 78, CEDH 2013). En effet, la Cour a dit dans des affaires antérieures que l’article 8 impose aux États l’obligation positive de garantir à leurs citoyens le droit à un respect effectif de leur intégrité physique et morale. De plus, pareille obligation peut impliquer l’adoption de mesures spécifiques, notamment la mise en place d’une procédure effective et accessible en vue de protéger le droit à la vie privée ou la création d’un cadre réglementaire instaurant un mécanisme judiciaire et exécutoire destiné à protéger les droits des individus, ainsi que la mise en œuvre, le cas échéant, des mesures en question dans différents contextes (Hämäläinen, précité, § 63, et les affaires qui y sont citées).

147. Dans des affaires similaires, la Cour a jugé plus approprié d’examiner des allégations liées au refus de réassignation de genre sous l’angle des obligations positives de garantir le respect de l’identité sexuelle des individus (voir, par exemple, Hämäläinen, §§ 62-64, A.P., Garçon et Nicot, § 99, S.V. c. Italie, §§ 60-75, et X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, §§ 63-65 arrêts précités).

148. Les principes généraux applicables à l’appréciation des obligations positives de l’État sont comparables à ceux régissant l’appréciation de ses obligations négatives et ils ont été résumés dans l’arrêt Hämäläinen (précité, §§ 65-67, et les affaires qui y sont citées). Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre l’intérêt général et les intérêts de l’individu concerné. Par ailleurs, en ce qui concerne la mise en balance des intérêts concurrents, la Cour a souligné l’importance particulière que revêtent les questions touchant à l’un des aspects les plus importants de la vie privée, à savoir le droit à l’identité sexuelle, domaine dans lequel les États contractants jouissent d’une marge d’appréciation restreinte (A.P., Garçon et Nicot, § 123, et S.V. c. Italie, § 62, arrêts précités).

149. Compte tenu de la portée du grief des requérants ainsi que des faits et des observations des parties dans la présente affaire, la Cour estime qu’en l’occurrence la question principale à trancher est celle de savoir si le dispositif réglementaire en place et les décisions prises à l’égard des requérants permettent de constater que l’État s’est acquitté de son obligation positive de respecter leur vie privée.

b) Sur l’existence d’un cadre légal approprié pour la reconnaissance juridique de la réassignation de genre

150. Pour ce qui est de l’existence d’une procédure de reconnaissance juridique de la réassignation de genre permettant aux requérants de faire valoir leur droits, le Gouvernement soutient qu’il existe en Roumanie un cadre légal clair – déduit des dispositions de l’article 43 i) de la loi no 119/1996 et de l’article 4 § 2 l) de l’OG no 41/2003 – qui requiert uniquement que toute modification d’une mention relative au sexe dans les actes d’état civil soit réalisée sur la base d’une décision de justice. Ce cadre légal serait formulé d’une manière suffisamment généreuse afin de permettre aux tribunaux, suivant le développement des standards conventionnels, d’accueillir des actions en justice similaires à celles des requérants (paragraphe 124 ci-dessus). Les requérants allèguent, pour leur part, que le cadre normatif est manifestement insuffisant et dépourvu de clarté et de prévisibilité, et qu’il a conduit à une jurisprudence divergente en matière de reconnaissance juridique de l’identité de genre.

151. La Cour observe tout d’abord que la loi roumaine ne consacre pas de procédure spécifique aux demandes de reconnaissance juridique de la réassignation sexuelle, comme c’est par exemple le cas en Italie (S.V. c. Italie, précité, § 64). Les tribunaux internes ont d’ailleurs noté eux‑mêmes que le droit roumain ne prévoit pas de procédure spécifique pour « le changement de sexe d’une personne », ou qu’il la prévoit uniquement d’une manière implicite en régissant ses effets (paragraphe 67 ci‑dessus). Toutefois, il convient de noter que les dispositions invoquées par le Gouvernement et citées au paragraphe précédent ont permis à des personnes transgenres d’obtenir la reconnaissance de leur réassignation sexuelle et la modification de leur état civil. Qui plus est, la Cour constitutionnelle, dans sa décision de 2008, a admis la possibilité de changement de sexe en suivant la voie judiciaire (paragraphe 65 ci‑dessus). Enfin, les juridictions civiles ayant tranché les demandes des requérants ont considéré que la législation roumaine permet la reconnaissance du changement de sexe (paragraphes 21, 25, 47 et 53 ci-dessus).

152. Eu égard à ce qui précède, la Cour est prête à admettre qu’il y avait en droit roumain une base légale qui permettait d’introduire des actions en justice afin de faire examiner en substance des demandes relatives à la réassignation sexuelle (voir, mutatis mutandis, Y.T. c. Bulgarie, précité, § 66, où l’absence d’une procédure dédiée uniquement à la réassignation de genre n’a pas permis à la Cour de conclure que les tribunaux avaient été empêchés d’examiner la demande du requérant, et, a contrario, X c. l’ex‑République yougoslave de Macédoine, précité, § 68, où la Cour a tenu compte du fait que le Gouvernement n’avait pas présenté de preuves permettant de conclure à l’établissement d’une pratique judiciaire en matière de réassignation de genre pour combler le vide législatif).

153. La Cour rappelle ensuite les recommandations émises par des organismes internationaux, notamment le Comité des Ministres et l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, ainsi que le Haut‑Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme ou l’Expert indépendant sur la protection contre la violence et la discrimination fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, qui invitent les États à adopter des procédures visant à permettre le changement de nom et de sexe dans les documents officiels de manière rapide, transparente et accessible (paragraphes 79-81 ci-dessus ; voir aussi, X c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, § 70, et Y.T. c. Bulgarie § 73, arrêts précités). À cet égard, la Cour souligne qu’elle n’a pas mis en cause le choix des législateurs en soi de confier à l’autorité judiciaire plutôt qu’à l’autorité administrative les décisions en matière de changement de registre d’état civil des personnes transsexuelles (S.V. c. Italie, précité, § 69).

154. La Cour note, sur un plan général, que les parties divergent quant au caractère clair et prévisible du droit roumain en matière de reconnaissance juridique du genre (paragraphe 150 ci-dessus). Par ailleurs, de nombreux acteurs du secteur non gouvernemental national (voir le rapport publié en 2014, paragraphe 78 ci-dessus) ou du secteur institutionnel international ou européen (voir les observations finales du 6 novembre 2017 du Comité des droits de l’homme des Nations unies, paragraphe 89 ci‑dessus, et le rapport sur la Roumanie publié par l’ECRI le 5 juin 2019, paragraphe 90 ci-dessus) ont évoqué leurs préoccupations quant au manque de clarté de la législation et des procédures concernant le changement d’identité de genre à l’état civil en Roumanie. La Cour reconnaît toutefois les difficultés rencontrées par les tribunaux nationaux appelés à trancher des questions sensibles et en évolution continue.

155. La Cour observe également que les exemples de décisions fournis par le Gouvernement ou le premier requérant montrent des hésitations quant à la procédure à suivre pour la reconnaissance de la réassignation sexuelle, ainsi qu’au tribunal compétent ou à la partie défenderesse contre laquelle l’action doit être dirigée (paragraphes 67-72 ci-dessus). De plus, pour ce qui est des conditions à remplir pour obtenir la reconnaissance juridique de la réassignation sexuelle et la modification de l’état civil, la Cour note qu’une jurisprudence divergente s’est développée quant à l’exigence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle préalable, à tout le moins à l’époque des actions des requérants. Ainsi, il apparaît que certains tribunaux ont considéré que les dispositions législatives (la loi no 119/1996 et l’OG no 41/2003) exigeaient impérativement une décision préalable autorisant une intervention chirurgicale sur les organes génitaux (paragraphe 74 ci-dessus). Les requérants allèguent d’ailleurs que la pratique des médecins était de subordonner la réalisation de toute intervention chirurgicale à une décision judiciaire autorisant soit la réalisation de l’intervention soit le changement de l’état civil (paragraphes 17 et 123 in fine ci-dessus). Il est, certes, vrai que dans d’autres affaires les tribunaux ont accueilli les demandes dont ils étaient saisis malgré l’absence d’intervention chirurgicale de conversion sexuelle (paragraphes 74 et 77 ci-dessus).

156. La divergence de jurisprudence et les hésitations de nature procédurale peuvent d’ailleurs expliquer l’attitude des juges qui ont fini par requalifier les moyens des requérants en dépit des clarifications apportées par eux quant à la nature de leurs demandes (paragraphes 18, 22 et 48 ci‑dessus).

157. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le cadre légal roumain en matière de reconnaissance juridique du genre n’était pas clair et, dès lors, prévisible.

c) Sur l’exigence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle avant la modification de l’état civil

158. La Cour rappelle d’emblée qu’elle admet pleinement que la préservation du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, de la garantie de la fiabilité et de la cohérence de l’état civil et, plus largement, de l’exigence de sécurité juridique relève de l’intérêt général et justifie la mise en place de procédures rigoureuses dans le but notamment de vérifier les motivations profondes d’une demande de changement légal d’identité (voir, mutatis mutandis, A.P., Garçon et Nicot, § 132, et S.V. c. Italie, § 69, arrêts précités).

159. En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que les tribunaux internes ont constaté que les requérants étaient transgenres sur la base d’informations détaillées relatives à leur état psychologique et médical ainsi qu’à leur mode de vie social. Ils ont notamment constaté que les requérants avaient subi un traitement hormonal et qu’avant ou au cours des procédures, ils avaient subi des mastectomies. Ils ont toutefois refusé de reconnaître la réassignation sexuelle ou d’autoriser la modification de la mention du sexe et d’autres données sur les registres civils au motif que les intéressés n’avaient pas effectué d’interventions chirurgicales de conversion sexuelle sur leurs organes génitaux (paragraphes 21, 25, 47 et 53 ci-dessus). Les tribunaux ont ainsi considéré que le principe de l’autodétermination n’était pas suffisant pour faire droit aux demandes de conversion sexuelle dont ils avaient été saisis.

160. Or, la Cour observe que les requérants ne souhaitaient pas subir de telles interventions avant la reconnaissance juridique de leur réassignation sexuelle, et dans ce seul but, et invoquaient en substance leur droit à l’autodétermination. En cela, la présente affaire diffère de la situation des requérants dans les affaires récentes S.V. c. Italie et Y.T. c. Bulgarie (arrêts précités), dans lesquelles les requérants souhaitaient subir de telles interventions chirurgicales pour, selon eux, achever le processus de conversion sexuelle. En revanche, elle se rapproche de la situation des requérants dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot, dans laquelle la reconnaissance de la réassignation sexuelle était assujettie à la réalisation d’une opération ou d’un traitement stérilisant que les intéressés ne souhaitaient pas subir. Dans cette dernière affaire, la Cour était partie du principe qu’à l’époque des faits, c’était le droit positif français qui imposait cette condition.

161. La Cour fait remarquer d’emblée que, contrairement à l’affaire A.P., Garçon et Nicot, les requérants de la présente affaire n’insistent pas particulièrement sur l’aspect stérilisant de l’intervention exigée, bien qu’ils reconnaissent qu’elle peut aboutir à un tel résultat. Toujours est-t-il que, tout comme l’opération ou le traitement stérilisant en cause dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot, l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle sur les organes génitaux que les tribunaux roumains exigeaient des requérants, qui ne souhaitaient pas la subir, touche manifestement à l’intégrité physique des intéressés. Or, dans le contexte français, la Cour a déjà jugé que toute ambiguïté dans les procédures de reconnaissance juridique du genre est problématique dès lors que l’intégrité physique de la personne est en jeu sur le terrain de l’article 8 de la Convention (idem, §§ 116-117).

162. À cet égard, la Cour rappelle qu’une jurisprudence divergente s’est développée quant à l’exigence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle préalable, à tout le moins à l’époque des actions des requérants (paragraphe 155 ci-dessus).

163. En outre, la Cour note l’argument des requérants selon lequel le Gouvernement reconnaît lui-même que le droit interne ne prévoyait pas l’exigence de subir une opération de conversion sexuelle pour obtenir la reconnaissance juridique du genre, exigence qui a néanmoins justifié le rejet de leurs demandes (paragraphe 124 ci-dessous).

164. Ensuite, la Cour note que, dans le cadre des procédures engagées par les requérants, les tribunaux n’ont aucunement étayé leur raisonnement quant à la nature exacte de l’intérêt général exigeant de ne pas permettre le changement juridique du sexe, et n’ont pas réalisé, dans le respect de la marge d’appréciation accordée, aussi étroite soit-elle, un exercice de mise en balance de cet intérêt avec le droit des requérants à la reconnaissance de leur identité sexuelle. Dans ces conditions, la Cour ne peut déceler quelles sont les raisons d’intérêt général ayant conduit au refus de mettre en adéquation l’identité sexuelle des requérants et la mention correspondant à celle‑ci sur les registres civils. Certes, dans ses observations écrites à la Cour, le Gouvernement a indiqué les raisons d’intérêt général qui pouvaient s’appliquer en l’espèce (paragraphe 128 ci-dessus). Cependant, il ne les a avancées que dans le seul but de justifier la nécessité d’une décision de justice et donc le caractère judiciaire de la procédure, et non pour justifier l’exigence d’une opération de conversion sexuelle. Dès lors, la Cour considère que, dans les circonstances de la présente affaire, ces motifs ne sauraient pallier l’omission des tribunaux nationaux.

165. La Cour voit là une rigidité de raisonnement sur la reconnaissance de l’identité sexuelle des requérants qui a placé ces derniers, pendant une période déraisonnable et continue, dans une situation troublante leur inspirant des sentiments de vulnérabilité, d’humiliation et d’anxiété (voir, mutatis mutandis, Christine Goodwin, précité, §§ 77‑78). En effet, tout comme dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot (précitée), les tribunaux nationaux ont mis les requérants, qui ne souhaitaient pas une intervention chirurgicale de conversion sexuelle, devant un dilemme insoluble : soit subir malgré eux cette intervention, et renoncer au plein exercice de leur droit au respect de leur intégrité physique, qui relève notamment du droit au respect de la vie privée que garantit l’article 8 de la Convention, mais aussi l’article 3 de la Convention ; soit renoncer à la reconnaissance de leur identité sexuelle qui relève également du droit au respect de la vie privée. Elle voit là une rupture du juste équilibre que les États parties sont tenus de maintenir entre l’intérêt général et les intérêts des personnes concernées (§ 132).

166. En outre, la Cour observe que la présente espèce touche à des sujets qui sont en constante évolution dans les États membres du Conseil de l’Europe. Elle relève que le nombre de pays qui exigent une intervention chirurgicale de conversion sexuelle comme condition préalable à la reconnaissance juridique de l’identité de genre ne cesse de diminuer. D’après les informations disponibles, en 2020, vingt-six États membres du Conseil de l’Europe n’exigent plus la chirurgie pour la réassignation sexuelle (paragraphe 86 ci-dessus).

167. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que le refus des autorités internes de reconnaître juridiquement la réassignation sexuelle des requérants faute d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle a porté une atteinte injustifiée au droit des requérants au respect de leur vie privée.

d) Conclusion

168. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’absence d’une procédure claire et prévisible de reconnaissance juridique de l’identité de genre permettant le changement de sexe, et donc de nom ou de code numérique personnel, dans les documents officiels, de manière rapide, transparente et accessible (paragraphe 157 ci-dessus). De plus, le refus des autorités nationales de reconnaître l’identité masculine des requérants faute d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle a conduit en l’occurrence à une rupture du juste équilibre que l’État est tenu de maintenir entre l’intérêt général et les intérêts des requérants (paragraphe 165 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour n’estime plus nécessaire d’examiner les arguments des requérants liés à l’impossibilité de réaliser une intervention chirurgicale de conversion sexuelle sur les organes génitaux en Roumanie (paragraphe 122 ci-dessus).

4. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE par le premier requÉrant DES ARTICLES 6, 13 et 14 DE LA CONVENTION

169. Invoquant l’article 6 de la Convention, le premier requérant voit dans la requalification par les tribunaux nationaux de l’objet de son action un déni de justice. Sur le terrain de l’article 13 de la Convention, il affirme qu’il n’a pas bénéficié d’un recours effectif pour dénoncer les violations alléguées des articles 3 et 8 de la Convention. Enfin, invoquant l’article 14 de la Convention, il soutient que subordonner le changement d’état civil des personnes transgenres à l’exigence d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle constitue une discrimination basée sur l’identité sexuelle, par rapport aux personnes cisgenres dont le genre fait l’objet d’une reconnaissance juridique à la naissance, sans autre condition. Son droit à l’égale reconnaissance devant la loi aurait ainsi été méconnu. Les articles susmentionnés sont libellés comme suit dans leurs parties pertinentes :

Article 6

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

170. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. S’agissant du grief fondé sur l’article 6 de la Convention, il note que le requérant n’a pas demandé l’annulation du jugement avant dire droit du 5 juin 2014 qui a permis au tribunal de première instance de comprendre la portée de sa demande. En outre, il soutient que les juridictions nationales n’ont pas procédé à une requalification de l’objet de l’action, mais ont simplement pris en compte les arguments de la partie requérante et les précisions apportées par elle lors de l’audience susmentionnée. Le Gouvernement affirme en outre, sur le terrain de l’article 13 de la Convention, et renvoyant à la jurisprudence nationale en la matière, que le requérant a bénéficié d’un recours interne effectif afin de formuler son grief tiré de la méconnaissance de l’article 8 de la Convention. Enfin, il argue que le grief fondé sur l’article 14 est similaire à celui fondé sur l’article 8 de la Convention et qu’il n’a pas été clarifié par le requérant.

171. La Cour constate que cette partie de la requête no 2145/16 n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable. Elle estime cependant, eu égard au constat de violation de l’article 8 de la Convention auquel elle est parvenue (paragraphe 168 ci-dessus), qu’il n’est pas nécessaire, dans les circonstances de la présente affaire, qu’elle se prononce séparément sur les griefs fondés sur les articles 6, 13 et 14 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Hämäläinen, § 97, A.P., Garçon et Nicot, §§ 158 et 160, et S.V. c. Italie, § 77, arrêts précités).

5. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE par le premier requÉrant DE l’article ARTICLe 12 de la convention

172. Sous l’angle de l’article 12 de la Convention, le premier requérant dénonce une méconnaissance de son droit de fonder une famille, compte tenu de l’effet stérilisant de l’intervention chirurgicale exigée par les autorités. L’article susmentionné est libellé comme suit :

Article 12

« À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. »

173. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il rétorque que le requérant n’a pas soulevé ce grief de manière expresse devant les tribunaux nationaux et qu’en tout état de cause, il est prématuré car si le requérant obtient le changement de sexe et de son code numérique personnel, le droit d’épouser une femme lui sera implicitement reconnu.

174. La Cour note que, si le requérant a invoqué les articles 3, 8 et 14 de la Convention devant les juridictions nationales, il a omis d’invoquer l’article 12 de la Convention. De plus, il n’apparaît pas qu’il ait invoqué en substance la méconnaissance de son droit de fonder une famille. Dès lors, la Cour estime qu’il convient d’accueillir l’exception du Gouvernement. Il s’ensuit que ce grief doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

6. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

175. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage matériel

176. Le premier requérant demande 62 105, 56 euros (EUR) au titre du dommage matériel, somme qui correspond au coût de la fermeture de son cabinet d’avocat en Roumanie, de son déménagement au Royaume-Uni et de sa requalification professionnelle dans ce pays. Il produit des factures à l’appui de sa demande.

177. Le deuxième requérant demande 41 312 EUR au titre du dommage matériel, soit 1 312 EUR pour les opérations et traitements médicaux déjà subis en Roumanie pendant la période d’octobre 2017 à janvier 2018 (dont 1 153 EUR pour l’intervention de conversion sexuelle), et 40 000 EUR pour des interventions chirurgicales qui devraient être effectuées à l’étranger pour éliminer les conséquences négatives des premières interventions subies. À l’appui de sa demande, il produit également un certificat médical établi par un psychologue le 19 février 2018 attestant qu’il souffre de troubles dépressifs et d’un stress post-traumatique lié à une intervention chirurgicale qu’il a subi mais ne considérait pas comme nécessaire. Il soumet en outre un certificat médical établi le 20 février 2018 par un psychiatre attestant qu’il souffre d’un trouble dépressif récurrent causé par des interventions chirurgicales répétées.

178. Le Gouvernement considère que les prétentions des requérants sont mal fondées, excessives et qu’en tout état de cause, il n’y a pas de lien de causalité entre les violations alléguées et la réparation demandée. S’agissant en particulier de la demande du deuxième requérant, le Gouvernement souligne que celui-ci a donné son accord pour l’intervention chirurgicale subie en octobre 2017 et qu’il n’a pas saisi les autorités compétentes d’une plainte contre le chirurgien l’ayant réalisée afin que celles-ci puissent se prononcer sur une éventuelle négligence médicale.

179. La Cour rappelle qu’elle a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention à raison de l’absence d’une procédure claire et prévisible de reconnaissance juridique de l’identité de genre permettant le changement de sexe, et donc de nom ou de code numérique personnel, dans les documents officiels, de manière rapide, transparente et accessible, qui a conduit en l’occurrence au refus des autorités nationales de reconnaître l’identité masculine des requérants faute d’une intervention chirurgicale de conversion sexuelle.

180. Pour ce qui de la demande du premier requérant, la Cour ne discerne pas de lien de causalité suffisant entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande formulée par lui à ce titre.

181. S’agissant de la demande du deuxième requérant, la Cour observe que l’identité sexuelle du requérant n’a été reconnue juridiquement qu’après la réalisation de l’intervention chirurgicale de conversion sexuelle. Compte tenu des circonstances de l’espèce, la Cour estime que le Gouvernement défendeur doit verser au requérant 1 153 EUR pour dommage matériel, somme qui correspond au coût de l’intervention, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

2. Dommage moral

182. Les requérants réclament en outre 50 000 EUR chacun au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi à raison des difficultés rencontrées en tant que personnes transgenres non reconnues, ainsi que de la frustration, l’anxiété, l’humiliation et le désespoir qu’ils auraient ressentis.

183. Le Gouvernement estime qu’un constat de violation de la Convention constitue une réparation adéquate. Il ajoute que, si la Cour devait néanmoins considérer qu’une indemnisation doit être versée aux requérants, la somme de 5 000 EUR suffirait au vu des montants alloués « dans ce type d’affaires » (il renvoie aux affaires L. c. Lituanie, § 75, et Y.Y. c. Turquie, § 131, arrêts précités). Il observe toutefois que des montants supérieurs à 10 000 EUR ont été alloués par la Cour dans des circonstances particulières, en cas de violation de deux articles de la Convention (il renvoie aux affaires Van Kück, § 96 et Schlumpf § 122, arrêts précités).

184 Compte tenu des circonstances de l’espèce, et statuant en équité, la Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 7 500 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt.

3. Frais et dépens

185 Le premier requérant réclame 9 000 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans la procédure menée devant la Cour, somme qui correspond aux honoraires d’avocat (8 850 EUR) et aux frais de correspondance et de transport (150 EUR). Cette demande est assortie du contrat de représentation et des justificatifs pour les frais de correspondance et de transport à hauteur de 51,25 livres sterling (GBP). Le premier requérant demande par ailleurs que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire de son avocat, conformément à leur accord écrit.

186. Le deuxième requérant réclame 809 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre des procédures menées devant les autorités internes, somme qui correspond aux honoraires d’avocat, et 36 EUR au titre de ceux qu’il a engagés aux fins de la procédure menée devant la Cour, somme qui correspond aux frais de correspondance et de photocopie, soit un total de 845 EUR.

187. Le Gouvernement estime que la somme réclamée par le premier requérant est excessive. Il ajoute que, jusqu’à présent, le requérant n’a versé aucune somme à l’avocat et que la fiche attestant de façon générale le nombre effectif d’heures pendant lesquelles l’avocat a travaillé sur l’affaire n’est pas suffisante. Il ne s’oppose pas à ce que les sommes sollicitées par le deuxième requérant soient accordées selon la jurisprudence de la Cour.

188. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au premier requérant la somme de 8 910 EUR pour la procédure menée devant elle. Cette somme est à virer directement sur le compte bancaire du représentant du requérant. La Cour juge raisonnable, en outre, d’allouer au deuxième requérant la somme de 845 EUR pour les frais et dépens engagés dans le cadre des procédures internes et de la procédure menée devant elle.

4. Intérêts moratoires

189. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare les griefs relatifs aux articles 6, 8, 13 et 14 de la Convention recevables, et le grief tiré de l’article 12 de la Convention irrecevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le bien-fondé des griefs formulés sur le terrain des articles 6, 13 et 14 de la Convention ;
5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 1 153 EUR (mille cent cinquante-trois euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage matériel, au deuxième requérant ;
2. 7 500 EUR (sept mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral, à chacun des deux requérants ;
3. 8 910 EUR (huit mille neuf cent dix euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser directement à l’avocat du premier requérant ;
4. 845 EUR (huit cent quarante-cinq euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour frais et dépens, au deuxième requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2021, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Ilse FreiwirthYonko Grozev
Greffière adjointePrésident

* * *

[1] Le document est antérieur à l’arrêt de la Cour Y.T. c. Bulgarie, no 41701/16, § 66, 9 juillet 2020


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