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08/12/2020 | CEDH | N°001-206356

CEDH | CEDH, AFFAIRE D.K. c. BULGARIE, 2020, 001-206356


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE D.K. c. BULGARIE

(Requête no 76336/16)

ARRÊT


Art 5 § 4 • Contrôle de la légalité de la détention • Impossibilité en droit bulgare de faire examiner la légalité du placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs • Contrôle de la légalité du placement non incorporé à la décision du procureur ne présentant pas les garanties exigées d’un « tribunal » • Absence d’examen de l’ordre du procureur par le tribunal de district • Décision de la Cour constitutionnelle désignant le recours administ

ratif de droit commun comme une voie possible de recours • Recours ineffectif et indisponible tant en théorie qu’en...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE D.K. c. BULGARIE

(Requête no 76336/16)

ARRÊT

Art 5 § 4 • Contrôle de la légalité de la détention • Impossibilité en droit bulgare de faire examiner la légalité du placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs • Contrôle de la légalité du placement non incorporé à la décision du procureur ne présentant pas les garanties exigées d’un « tribunal » • Absence d’examen de l’ordre du procureur par le tribunal de district • Décision de la Cour constitutionnelle désignant le recours administratif de droit commun comme une voie possible de recours • Recours ineffectif et indisponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits litigieux

STRASBOURG

8 décembre 2020

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire D.K. c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Tim Eicke, président,
Yonko Grozev,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Armen Harutyunyan,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ana Maria Guerra Martins, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu :

la requête (no 76336/16) dirigée contre la République de Bulgarie et dont une ressortissante de cet État, Mme D.K. (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 5 décembre 2016,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») le grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention concernant l’absence alléguée de recours juridictionnel pour contester le placement de la requérante en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, ainsi que les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 et 4, et de l’article 6 § 1 de la Convention en relation avec le placement de la requérante en « centre de crise pour enfants »,

la décision de ne pas dévoiler l’identité de la requérante, et

les observations des parties,

la demande de déport du juge Grozev, formulée par le Gouvernement,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 novembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requérante se plaint qu’il lui ait été impossible en droit bulgare de faire examiner la légalité de son placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs, en violation de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle allègue également que, à l’occasion de son placement dans un « centre de crise pour enfants », les exigences de l’article 5 §§ 1 et 4, ainsi que de l’article 6 de la Convention n’ont pas été respectées.

EN FAIT

2. La requérante est née en 2001 et résidait à Podem à la date de l’introduction de la requête. Elle a été représentée par Me A.V. Kachaunova, avocate exerçant au sein de l’organisation non gouvernementale Comité Helsinki de Bulgarie, basée à Sofia.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme R. Nikolova, du ministère de la Justice.

4. Le 9 mars 2020, le Gouvernement a demandé le déport du juge Grozev parce qu’il était fondateur du Comité Helsinki de Bulgarie et son membre entre 1992 et 2013. Le 17 novembre 2020, s’appuyant sur les dispositions des articles 26 § 4 de la Convention et 28 § 2 du règlement, la chambre, composée aux termes de l’article 28 § 4 de celui-ci, a rejeté cette demande.

1. Le placement de la requérante en foyer d’accueil temporaire pour mineurs

5. Le 7 juin 2016, la direction de l’assistance sociale de Targovishte saisit le parquet de district de la même ville d’une demande de placement de la requérante, pour une durée d’un mois, dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs. À l’appui de sa demande, elle indiquait avoir constaté, sur la base d’une série de rapports de police, que la jeune fille offrait des services sexuels contre paiement, désertait l’école, changeait souvent de domicile et vagabondait dans la région et que sa mère n’exerçait pas le contrôle effectif nécessaire sur elle.

6. Par une décision du 8 juin 2016, le procureur de district ordonna le placement de la requérante dans un tel foyer pour une durée de quinze jours. Le même jour, celle-ci fut conduite au foyer d’accueil temporaire pour mineurs de Gorna Oriahovitza.

7. Le 21 juin 2016, la direction de l’assistance sociale proposa au parquet de prolonger le placement de la requérante d’un mois. Le 22 juin 2016, le procureur de district estima que les intérêts de l’enfant imposaient de prolonger le placement jusqu’au 22 juillet 2016. La requérante demeura dès lors dans le foyer en question.

8. Dans l’intervalle, la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs avait engagé une procédure devant le tribunal de district (районен съд) de Targovishte visant le placement de la requérante dans un centre éducatif – internat. Le 20 juin 2016, à 10 h 30, la requérante fut conduite par des agents de la police régionale à l’audience du tribunal tenue dans le cadre de cette procédure. Puis, à 16 heures, elle fut ramenée au foyer d’accueil temporaire pour mineurs par les agents de police. Lors de cette audience, la requérante et sa mère furent entendues. Cette dernière déclara qu’elle s’opposait à la proposition de placement. Le 22 juin 2016, le tribunal décida de placer la requérante dans le centre éducatif – internat de Podem. Il nota en particulier qu’aucune mesure éducative n’avait été imposée à l’égard de la mineure et de sa mère par le passé. Le tribunal constata aussi ce qui suit : la requérante avait commis un vol de 1 500 euros (EUR) et de 80 livres sterling (GBP) ; elle était exclue de l’école en raison de son absentéisme ; elle cohabitait avec des hommes adultes de manière maritale ; elle fréquentait un milieu de personnes fichées par la police ou condamnées ; et, selon des données, elle se prostituait et était victime d’incitation à la prostitution, un fait faisant l’objet d’une enquête pénale. Le tribunal constata également que la mineure était déjà connue des services de police aussi pour fugue du domicile familial et qu’elle avait fait l’objet d’un avis de recherche. Il nota en outre que, au moment de l’examen de la demande de placement, la requérante était soumise à un placement en institution spécialisée, imposé comme mesure de protection d’urgence. Le tribunal considéra que la mesure éducative proposée était la plus appropriée dans ce contexte. Il précisa sa décision en ces termes :

« (...) Pour parvenir à cette décision, le tribunal tient compte de l’âge [de la mineure], de la nature et de la gravité de l’infraction commise, du milieu dans lequel elle se trouve et de son entourage, lequel non seulement exerce une influence négative sur son mode de vie, mais met réellement en danger sa santé et sa sécurité. Le tribunal trouve la mesure légitime également compte tenu du contrôle parental trop faible de la part de la mère, laquelle ne fait aucun effort pour soustraire [la mineure] à l’influence de ses connaissances fichées par la police. La séparation de la mineure de l’environnement dans lequel elle vit et son placement en centre éducatif – internat contribueraient à [permettre de] surmonter la déviance dans son comportement, ainsi que de construire chez elle un système de valeurs et de l’intégrer dans la société (...) »

Le dossier ne contient pas d’éléments permettant de constater que la requérante exerça un recours contre cette décision, laquelle ne fut au demeurant pas mise à exécution dans un premier temps, mais au début de la nouvelle année scolaire (paragraphe 16 ci-dessous).

9. Par ailleurs, le 29 juin 2016, une éducatrice de l’établissement de Gorna Oriahovitza établit un rapport selon lequel la requérante se trouvait à un âge où elle acquérait de nouvelles qualités personnelles et, depuis la perte de son père dans un accident, manifestait de multiples changements de comportement : la jeune fille fuguait régulièrement de son domicile, disparaissait pendant des semaines, menait une vie de vagabonde et était impliquée dans plusieurs infractions faisant l’objet d’une enquête policière. Dans son rapport, l’éducatrice indiquait aussi que la requérante avait des contacts avec des personnes adultes qui l’incitaient à se prostituer et à leur verser de l’argent. Compte tenu de ces éléments, l’éducatrice estimait qu’il convenait d’extraire la mineure de son environnement et de la soumettre à un plan d’éducation et de correction individuel et régulier, comprenant également des consultations avec un psychologue et des conseillers pédagogiques.

2. Le placement de la requérante en « centre de crise pour enfants »

10. Quelque temps plus tard, le 20 juillet 2016, le département « Protection de l’enfant » de la direction de l’assistance sociale préconisa, dans un rapport, la prise d’une nouvelle mesure de protection de la requérante dans l’attente de son placement en centre éducatif – internat. Selon ce rapport, il importait en effet de préserver la requérante des effets négatifs de son environnement social : en particulier, depuis le décès subit du père de la jeune fille, qui en assurait habituellement la charge parentale, la mère de la mineure ne pouvait pas exercer effectivement le contrôle parental ; la conséquence en était que la requérante menait une vie désordonnée, fuyait l’école et le domicile, était souvent recherchée par la police, se livrait à la prostitution et à des vols d’argent, et cohabitait avec des personnes ayant été condamnées ou fichées par la police. Le même jour, le directeur de l’assistance sociale prit un arrêté, en se basant sur les motifs exposés dans le rapport des services sociaux susmentionné, par lequel il ordonna le placement temporaire de la requérante dans le « centre de crise pour enfants » de Balvan « dans l’attente [de l’adoption] d’un arrêté du ministère de l’Éducation pour le placement dans un centre éducatif – internat ». L’arrêté du directeur de l’assistance sociale contenait un dispositif autorisant son exécution immédiate, en vertu de l’article 60 du code de procédure administrative, motivée par les besoins de protection de la santé et de la vie de la requérante. Il précisait également que les personnes intéressées bénéficiaient d’un délai de recours de quatorze jours, conformément aux règles du code de procédure administrative. La requérante ne demanda pas la suspension de l’exécution de la mesure de placement et n’introduisit pas de recours contre cet arrêté.

11. La requérante fut transférée au « centre de crise pour enfants » de Balvan le 20 juillet 2016. Le même jour, le responsable social de l’établissement dressa un plan d’action contenant des objectifs à réaliser sur trois mois par rapport à la mineure. Ces objectifs visaient en particulier les conditions matérielles et les besoins de première nécessité à assurer à la mineure, l’établissement d’un emploi du temps avec des activités d’intégration sociale et éducatives, le suivi médical à prodiguer, comprenant des soins ainsi que des consultations à même de permettre d’améliorer l’éducation de la mineure en matière de santé et de sexualité, le soutien personnalisé par un psychologue et des assistants sociaux, et enfin, le travail social de soutien à la famille.

12. Le 18 août 2016, la direction de l’assistance sociale, notant qu’une mesure éducative était imposée à l’égard de la requérante et tenant compte du besoin de protection de celle-ci, demanda au tribunal de district, en application de l’article 27, alinéa 2 de la loi sur la protection de l’enfance, de décider, dans l’attente de la mise en place de cette mesure éducative, le placement de la mineure dans le « centre de crise pour enfants » de Balvan.

13. Dans le cadre de la procédure ainsi introduite devant lui, le 23 août 2016, le tribunal de district fixa une audience au 14 septembre 2016 et demanda que la requérante et sa mère fussent citées à comparaître.

14. À l’audience tenue à cette dernière date, le tribunal entendit la requérante et sa mère, accompagnées de leur avocat, R.T., ainsi qu’une assistante sociale de la direction de l’assistance sociale. L’assistante sociale indiqua que, dans l’attente de la mise en œuvre du jugement du tribunal de district concernant le placement de la requérante au centre éducatif – internat de Podem, il convenait de décider un placement de celle-ci en milieu protégé, en raison notamment du manque de contrôle parental effectif et des risques déjà constatés. La requérante, sa mère et leur avocat déclarèrent qu’ils étaient favorables à la mesure de protection demandée et que la requérante se sentait bien dans le « centre de crise pour enfants » où elle se trouvait déjà. La requérante précisa qu’elle était informée qu’elle devait être placée en centre éducatif – internat mais qu’elle ne le souhaitait pas. Sa mère déclara que, si un tel centre existait près de Targovishte, elle préférait que sa fille pût l’intégrer pour des raisons de proximité.

15. Par une décision prise le jour même de l’audience, le tribunal de district ordonna la mesure demandée, sur la base des éléments recueillis et des déclarations des intéressés, pour la durée restant à courir jusqu’à la mise en œuvre du placement en centre éducatif – internat. Il releva en particulier que l’établissement examiné avait assuré un environnement adéquat pour la prise en charge et l’éducation de la jeune fille quant à ses besoins de suivi et de soins. De plus, il nota qu’il n’existait pas de différends entre les personnes et institutions intéressées sur la question de savoir qu’il convenait de maintenir la situation factuelle, telle qu’elle se présentait, dans l’intérêt de la mineure.

16. La requérante fut transférée en centre éducatif – internat le 16 septembre 2016, en début de la nouvelle année scolaire.

17. Dans le délai légal imparti à cet effet, la requérante forma un recours contre la décision du tribunal de district devant le tribunal régional (окръжен съд) de Veliko Turnovo, par le biais de Me A. Kachaunova, sa représentante devant la Cour. Par une décision du 29 septembre 2016, le tribunal régional constata que cette représentation n’était pas valide au regard de la loi interne et il accorda à la requérante une aide judiciaire en vue de la désignation d’un représentant ad hoc (особен представител) pour la durée de la procédure devant toutes les instances nationales. Par une décision distincte prise le même jour, le tribunal régional désigna S.B. en tant que représentante ad hoc, en indiquant que celle-ci devait corriger les irrégularités liées à la représentation et présenter des copies du recours pour les parties.

18. La représentante S.B. répondit aux instructions du tribunal régional et introduisit le recours au nom de la requérante. Dans le cadre de cette action, elle soutenait qu’il n’avait pas été envisagé de mettre en œuvre d’autres mesures de protection moins restrictives, tels le soutien des services sociaux à la mère visant au renforcement de ses capacités parentales et le placement chez d’autres proches parents, avant de décider le placement. Elle ajoutait que le comportement de la requérante s’était amélioré pendant son séjour au foyer d’accueil temporaire pour mineurs. Elle indiquait que, en revanche, aucune mesure positive de protection n’avait été engagée au « centre de crise pour enfants » de Balvan, eu égard notamment aux précédents actes de prostitution auxquels la mineure s’était livrée. Enfin, elle arguait que la décision du tribunal de district était irrégulière car adoptée à la fin du séjour de la jeune fille dans cet établissement.

19. Le tribunal régional tint une audience le 6 décembre 2016, lors de laquelle il mit fin à la procédure au motif que le recours avait été introduit après la fin du placement litigieux et qu’il n’y avait dès lors plus lieu d’examiner la nécessité du maintien de cette mesure. Il jugea, en conséquence, que la requérante n’avait plus d’intérêt légitime à la poursuite de la procédure.

20. La requérante contesta la décision procédurale du tribunal régional, par l’intermédiaire de Me A. Kachaunova, sa représentante devant la Cour, et avec le consentement de sa mère. Par une décision du 13 avril 2017, la cour d’appel de Veliko Tarnovo confirma cette décision. La cour d’appel précisa qu’il n’y avait plus lieu de se prononcer sur le besoin de placement en vertu de l’article 28 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 30 ci-dessus), dans la mesure où l’un des motifs mettant fin au placement, visés dans l’article 29 de cette loi, était présent ; en effet, la mesure était venue à échéance le 16 septembre 2016 (paragraphe 31 ci‑dessus). Cette date étant antérieure au recours en cause, le tribunal régional n’avait pas commis d’erreur dans sa décision mettant fin à la procédure pour cause d’absence d’intérêt légitime.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

3. La Constitution de la République de Bulgarie

21. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution de 1991 se lisent comme suit :

Article 30

« 1) Chacun a droit à la liberté et à l’inviolabilité de sa personne.

(...)

3) Dans les cas d’urgence, expressément déterminés par la loi, les organes publics compétents peuvent garder à vue un citoyen, en informant immédiatement les organes du pouvoir judiciaire. Dans les 24 heures qui suivent l’arrestation, l’organe compétent du pouvoir judiciaire doit se prononcer sur sa légalité.

(...) »

Article 120

« 1) Les tribunaux contrôlent la légalité des actes et des agissements des organes administratifs.

2) Les citoyens et les personnes morales peuvent interjeter appel contre tous les actes administratifs qui les concernent, sauf ceux expressément visés par la loi. »

4. La loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (Закон за борба срещу противообществените прояви на малолетни и непълнолетни) de 1958

22. La loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs qualifie d’antisocial tout comportement dangereux pour la société, contraire à la loi, à la morale ou aux bonnes mœurs (article 49a). La loi n’énumère pas les comportements susceptibles de recevoir cette qualification, mais la pratique judiciaire et la criminologie considèrent comme relevant de celle-ci toute une variété d’actes lorsqu’ils sont commis par un mineur, même s’ils ne sont pas incriminés par le droit pénal. Il en va ainsi de la prostitution, de l’emploi de substances narcotiques, de l’abus d’alcool, du vagabondage, de la mendicité, de l’absentéisme scolaire ou des fugues répétées du domicile des parents ou des personnes exerçant la garde. Considérés comme moins dangereux pour l’ordre public que les infractions pénales, ces actes appellent tout de même des mesures de défense sociale dont l’application relève de la compétence de « commissions locales de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs » (Б. Станков, Малолетни, непълнолетни, противообществени прояви, престъпления, отговорност, Варна, 2008 г., стр. 33-35).

23. La loi prévoit toute une série de mesures éducatives pouvant être imposées aux mineurs ayant manifesté de tels comportements. La plus sévère d’entre elles est le placement dans un centre éducatif – internat (article 13, alinéa 1, point 13), un établissement à caractère public. La procédure est déclenchée par la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs compétente, à qui il revient de soumettre au tribunal de district une proposition de placement. Ce tribunal tient une audience à huis clos en présence du mineur concerné dans un délai d’un mois. Il peut ordonner la mesure éducative demandée ou pas, décider une autre mesure éducative, mettre fin à la procédure ou bien renvoyer l’affaire au procureur lorsqu’il estime que les actes en cause constituent des infractions pénales. Sa décision peut être revue en appel devant le tribunal régional dans un délai de quatorze jours après son prononcé (article 21, alinéa 1, point 2, et article 24a).

24. La même loi prévoit, en son article 34, l’existence des foyers d’accueil temporaire pour mineurs, qui dépendent du ministère de l’Intérieur. Peuvent y être placés, par les organes de ce ministère, les mineurs dont le domicile ne peut être identifié, ceux qui ont été pris en flagrant délit de vagabondage, de mendicité, de prostitution, d’abus d’alcool, de trafic ou de consommation de stupéfiants, ceux qui ont quitté sans autorisation un établissement d’éducation ou de traitement obligatoire, ceux qui ont présenté un comportement antisocial, ou encore ceux qui sont incontrôlables au point que leur maintien sous la garde de leurs parents n’est plus envisageable (article 35). En principe, la durée du séjour dans ce type de foyer ne peut excéder quinze jours. Les placements d’une durée supérieure à vingt-quatre heures doivent être ordonnés par un procureur. À titre exceptionnel, celui-ci peut prolonger la durée du placement jusqu’à deux mois (article 37). La loi n’indique pas que la légalité d’un placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs est susceptible de faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux. Les foyers d’accueil temporaires pour mineurs organisent, entre autres, des examens médicaux, psychologiques et pédagogiques, et ils préparent des recommandations à l’attention des organes compétents en matière d’éducation des mineurs ou de placement de ceux-ci dans les établissements adéquats (article 36).

25. L’article 37 de la loi a fait l’objet d’un examen de constitutionnalité devant la Cour constitutionnelle, qui a rendu sa décision le 4 octobre 2016, à la suite de l’introduction, la même année, d’une demande de la Cour administrative suprême. Cette dernière avait notamment invité la juridiction constitutionnelle à déclarer la disposition en cause contraire à l’article 30, alinéa 3 de la Constitution, prévoyant un contrôle judiciaire de la légalité d’une arrestation dans un délai de 24 heures. La Cour administrative suprême avait exposé que l’article 37 de la loi examinée ne garantissait pas le droit des mineurs d’obtenir un examen judiciaire de la légalité de leur placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs. Elle s’était en particulier référée à l’arrêt A. et autres c. Bulgarie (no 51776/08, 29 novembre 2011), dans lequel la Cour avait conclu à une violation de l’article 5 § 4 de la Convention à raison de l’absence d’un recours à cet égard. Plusieurs tiers intervenants avaient déposé des observations dans le cadre de la procédure engagée devant la Cour constitutionnelle, dont le ministre de la Justice et le procureur général. Ces derniers avaient émis l’avis que la procédure de placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs ne présentait pas de garanties contre l’arbitraire, au motif qu’elle ne prévoyait pas expressément de contrôle judiciaire. Ils avaient dès lors soutenu la demande de la Cour administrative suprême de déclarer la disposition litigieuse contraire à la Constitution. Le parquet général avait précisé qu’aucune voie de recours interne ne permettait la remise en question de la décision de placement prise par le procureur.

Dans sa décision, la Cour constitutionnelle a, d’une part, estimé que le modèle constitutionnel bulgare intégrait le parquet dans le système du pouvoir judiciaire et que par conséquent les actes du procureur, agissant dans le cadre de ses compétences, étaient considérés comme émanant d’un organe de ce pouvoir. La Cour constitutionnelle a, d’autre part, précisé que la demande de contrôle de constitutionnalité était relative à « l’absence de voie de recours ». Elle a pris note des conclusions de la Cour dans l’affaire A. et autres c. Bulgarie, précitée, selon lesquelles la procédure devant le procureur ne contenait pas de garanties contre l’arbitraire et a déclaré qu’elle partageait ces conclusions car, pour elle, le droit constitutionnel à la défense ne pouvait être pleinement réalisé que lorsque l’accès à un tribunal n’était pas fermé. Il était dès lors crucial de vérifier si la procédure établie à l’article 37 de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs excluait l’accès effectif des personnes concernées au contrôle judiciaire. La Cour constitutionnelle a poursuivi en exposant que le procureur était investi de fonctions relevant de deux catégories, celles relatives à l’exercice d’attributions du parquet en tant qu’institution relevant du système judiciaire, découlant de l’article 127 de la Constitution, et celles liées à des prérogatives exercées en tant qu’organe administratif. Elle a jugé que le pouvoir du procureur d’autoriser la prolongation du placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs relevait notamment de cette deuxième catégorie, à savoir les fonctions administratives, et que la décision du procureur afférente à une telle mesure ne se différenciait pas de l’acte initial de placement des organes de la police : l’acte émanant en l’occurrence du procureur représentait un acte individuel administratif et, en tant que tel, il était susceptible de faire l’objet d’un contrôle selon la procédure générale prévue dans le code de procédure administrative, malgré l’absence d’une procédure spécifique prévue dans la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs. La Cour constitutionnelle a estimé que, puisque l’article 120 de la Constitution garantissait un recours judiciaire contre tous les actes administratifs concernant les individus, sauf ceux expressément exclus par la loi, la voie du contrôle judiciaire de la légalité de la décision du procureur fondée sur l’article 37 de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs était ouverte dès lors qu’aucune norme du droit interne n’en disposait autrement. Elle a noté que, selon les règles générales du code de procédure administrative, la portée de ce contrôle comprenait aussi bien l’aspect matériel que procédural de la contestation et qu’en outre, d’après les mêmes règles, les intéressés avaient la possibilité de demander la suspension de l’exécution de l’acte devant le tribunal. Aussi la Cour constitutionnelle a-t-elle conclu que la législation interne prévoyait une base adéquate pour la conduite d’une procédure équitable garantissant les droits des personnes concernées, notamment les mineurs et leurs parents. Elle a ainsi jugé qu’il n’y avait pas lieu, dans ces circonstances, de considérer que la disposition contestée était contraire à la Constitution et elle a rejeté la demande de la Cour administrative suprême à cet égard.

5. La loi sur la protection de l’enfance de 2000 (Закон за закрила на детето)

26. La loi sur la protection de l’enfance de 2000 régit les droits, les principes de protection et les mesures de protection de l’enfant, ainsi que le rôle des institutions et des personnes compétentes pour réaliser cette protection. Les droits fondamentaux de l’enfant sont garantis par l’État, qui assure à tous un environnement économique, social et culturel adéquat, ainsi que l’éducation, la liberté des convictions et la sécurité (article 1, alinéa 1).

27. En vertu de cette loi, la protection de l’enfance repose sur la mise en œuvre de principes tels que, entre autres, la prise en charge dans le milieu familial, le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant, la prise en charge de l’enfant en situation de risque, la sélection des personnes directement engagées dans la protection de l’enfance selon leurs qualités personnelles, sociales et professionnelles, le caractère temporaire des mesures restrictives, la mise en place de soins adaptés aux besoins de l’enfant, la prise des mesures de prévention pour la sûreté et la sécurité de l’enfant, et le contrôle de l’efficacité des mesures prises (article 3).

28. La loi susmentionnée dispose que chaque enfant a droit à la protection de son développement physique, psychique, moral et social, ainsi qu’à la protection de ses droits et intérêts (article 10, alinéa 1). Parmi les mesures de protection de l’enfant figure le placement en dehors de la famille, notamment lorsque les parents ne sont pas en mesure, pour un motif valable ou non, d’élever l’enfant de manière durable, ou lorsque l’enfant est victime de violences domestiques ou court un risque sérieux de voir une atteinte être portée à son développement physique, psychique, moral et social (article 25, alinéa 1, points 2, 3 et 4). Le placement en dehors de la famille est une mesure de protection envisageable après l’épuisement de toutes les possibilités de protection au sein de la famille, sauf en cas de nécessité urgente d’éloignement de la famille (article 25, alinéa 2). Le placement à l’extérieur de la famille peut avoir lieu dans la famille des proches parents, dans une famille d’accueil, dans un logement social (социална услуга . резидентен тип) ou dans une institution spécialisée. La décision d’un tel placement est prise par le tribunal de district, sur demande de la direction de l’assistance sociale, du procureur ou d’un parent. Le placement peut être décidé, selon la voie administrative, par un acte administratif individuel, par le directeur de l’assistance sociale comme une mesure temporaire de protection (articles 26, alinéa 1 et 27, alinéa 1). En vertu de l’article 27, alinéa 6 de la loi, les actes du directeur ordonnant le placement sont susceptibles d’un recours en appréciation de légalité, ainsi que d’un recours suspensif devant les juridictions administratives selon les règles du code de procédure administrative (voir aussi paragraphes 32 et 33 ci-dessous ; voir également, pour des exemples de jurisprudence, les décisions suivantes : решение № 9567 от 27.10.2003 г. на ВАС по адм. дело № 5306/2003 г., VI. о., concernant l’examen au fond d’un recours contre l’arrêté du directeur de l’assistance sociale ayant ordonné le placement d’un mineur chez ses grands-parents, l’annulation de la décision de première instance portant annulation de l’arrêté et le renvoi pour un nouvel examen ; решение № 11929 от 14.10.2009 г. на ВАС по адм. дело № 5264/2009 г., VI. о., concernant l’examen au fond d’un recours contre l’arrêté du directeur de l’assistance sociale ayant ordonné le placement d’un mineur dans la famille de proches parents et la confirmation de cet arrêté au motif qu’il existait un danger quant à la sécurité de l’enfant ; решение № 4673 от 03.04.2013 г. на ВАС по адм. дело № 563/2013 г., VI. о., concernant l’examen au fond d’un recours contre l’arrêté du directeur de l’assistance sociale ayant ordonné le placement d’un mineur chez ses grands‑parents et la confirmation de la décision de première instance de modifier l’arrêté en sa partie concernant la durée du placement ; решение № 8178 от 16.06.2014 г. на ВАС по адм. дело № 4980/2014 г., VI. о., concernant l’examen au fond d’un recours contre l’arrêté du directeur de l’assistance sociale ayant ordonné le placement d’un mineur en établissement spécialisé et l’annulation de cet arrêté au motif qu’il n’avait pas été prouvé que la vie et la santé de l’enfant se trouvaient en danger pour la durée d’application de la mesure provisoire prise dans l’attente de l’adoption de la décision du tribunal de district en vertu de l’article 28 de la loi sur la protection de l’enfance ; решение № 12915 от 1.12.2015 г. на ВАС по адм. дело № 11364/2015 г., VI. о., concernant l’examen au fond d’un recours contre l’arrêté du directeur de l’assistance sociale ayant ordonné le placement d’un mineur en établissement spécialisé et la confirmation de cet arrêté au motif que la vie et la santé de l’enfant se trouvaient en danger ; решение № 3 от 4.01.2016 г. на ВАС по адм. дело № 11081/2015 г., VI. о., concernant l’examen au fond d’un recours contre l’arrêté du directeur de l’assistance sociale ayant ordonné le placement d’un mineur dans un établissement spécialisé et l’annulation de ce placement au motif que des mesures en milieu familial étaient plus appropriées ; ainsi que определение № 13929 от 24.10.2013 г. на ВАС по адм. дело № 14242/2013 г., VI. о. concernant un recours suspensif et l’annulation de l’exécution immédiate d’une décision de placement en famille d’accueil ; определение № 4682 от 18.09.2013 г. на АдмС-Варна по ч. адм. дело № 3409/2013 г., concernant un recours suspensif et l’annulation de l’exécution immédiate d’une décision de fin de placement en famille d’accueil ; определение № 4934 от 30.04.2015 г. на ВАС по адм. дело № 2895/2015 г., VI. о., concernant un recours suspensif et l’annulation de l’exécution immédiate d’une décision de placement d’un mineur chez ses grands-parents).

29. Lorsqu’une mesure temporaire de protection est ordonnée sur le fondement de l’article 27, alinéa 1 de la loi sur la protection de l’enfance, la direction de l’assistance sociale soumet une demande de placement au tribunal de district compétent dans un délai d’un mois à partir de la décision du directeur (article 27, alinéa 2).

30. Le tribunal de district rend son jugement dans un délai d’un mois, après la tenue d’une audience publique en présence de l’enfant. Ce jugement est susceptible d’appel, sous sept jours, devant le tribunal régional, dont la décision est définitive (article 28, alinéas 1 à 6).

31. Enfin, la mesure de placement en dehors de la famille est terminée lorsque, entre autres, le délai du placement est écoulé (article 29, point 2).

6. Le code de procédure administrative de 2006

32. En vertu des articles 145 et suivants du code de procédure administrative de 2006, les actes administratifs sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel de leur légalité. Toute personne dont les droits sont affectés par un acte administratif peut introduire un recours en annulation de l’acte devant le tribunal administratif compétent (article 147, alinéa 1). Les moyens d’annulation des actes administratifs sont l’incompétence de l’auteur de l’acte, le vice de forme, la violation substantielle des règles de procédure, la violation de la loi matérielle et le non-respect du but de la loi (article 146). D’après l’article 149 de ce code, le recours doit être introduit dans un délai de quatorze jours à compter de la notification de l’acte.

33. Par ailleurs, l’article 60 dudit code, pris en son alinéa 4 dans sa version applicable au moment des faits (actuel alinéa 5 depuis une modification législative intervenue en 2018), prévoit que la décision ordonnant l’exécution immédiate d’un acte administratif individuel peut faire l’objet d’un recours devant les tribunaux dans un délai de trois jours à partir de la notification.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION RELATIVEMENT AU PLACEMENT EN FOYER D’ACCUEIL TEMPORAIRE POUR MINEURS

34. La requérante allègue avoir été privée d’un recours pour faire contrôler la légalité de son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, auquel elle a été soumise du 8 juin au 20 juillet 2016.

35. Elle invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1. Sur la recevabilité
1. Sur l’applicabilité de l’article 5 de la Convention

36. Le Gouvernement ne conteste pas l’affirmation de la requérante selon laquelle son placement du 8 juin au 20 juillet 2016 est constitutif d’une privation de liberté, sauf pour ce qui est de la période couvrant la journée du 20 juin 2016 et comprise entre 10 h 30 et 16 heures, au cours de laquelle la requérante a été conduite à l’audience du tribunal de district, y a assisté et a été ensuite ramenée au foyer d’accueil temporaire (paragraphe 8 ci-dessus). Il expose qu’il s’agit d’une mesure prévue par la loi nationale, qui, selon lui, peut entrer en ligne de compte au titre de l’article 5 § 1 d) de la Convention, ou alternativement, de la lettre b) de cette disposition.

37. La requérante estime que même le laps de temps passé devant le tribunal le 20 juin 2016 est à prendre en compte dans la détermination de la durée globale de sa détention, car elle aurait été soumise au régime sécuritaire, comme toute autre personne détenue.

38. La Cour considère, eu égard aux considérations des parties et aux éléments du dossier, ainsi que compte tenu de ses constats établis au sujet de griefs similaires dans des affaires antérieures à la présente espèce (A. et autres c. Bulgarie, précitée, § 103, et I.P. c. Bulgarie, no 72936/14, §§ 34-35, 19 janvier 2017), que la mesure de placement litigieuse peut être qualifiée de privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention, pour la période totale allant du 8 juin au 20 juillet 2016. Au regard de la durée globale de cette détention, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément la période couvrant la journée du 20 juin 2016 comprise entre 10 h 30 et 16 heures.

39. L’article 5 de la Convention trouve donc à s’appliquer.

2. Sur l’épuisement des voies de recours internes

40. Le Gouvernement soulève une exception tirée du non-épuisement des recours internes. S’appuyant sur la décision de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2016 (paragraphe 25 ci-dessus), il argue que la requérante aurait pu contester la décision du procureur relative à son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, en tant qu’acte administratif, devant les juridictions administratives, en vertu des articles 145 et suivants du code de procédure administrative. Le Gouvernement ajoute que la requérante aurait pu invoquer devant ces juridictions l’applicabilité directe de l’article 5 § 4 de la Convention en droit interne, en tant que disposition d’un traité international ratifié par la Bulgarie et ayant primauté sur la loi nationale.

41. La requérante conteste l’affirmation du Gouvernement selon laquelle la voie de recours devant les juridictions administratives lui était ouverte pour faire contrôler la décision du procureur portant sur la prolongation de son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs. Elle avance que, dans ses observations devant la Cour constitutionnelle, le parquet, lui‑même, avait exposé qu’aucune voie de recours judiciaire existante ne permettait de faire vérifier la légalité de la décision du procureur prise en application de l’article 37 de la loi sur la lutte contre les actes antisociaux des mineurs et qu’en conséquence la législation bulgare ne se conformait pas à l’article 5 § 4 de la Convention (paragraphe 25 ci‑dessus). La requérante ajoute qu’il n’existe aucune jurisprudence interne démontrant l’effectivité de la voie de droit susmentionnée en cas de placement dans des foyers d’accueil temporaire pour mineurs décidé par le procureur. Enfin, elle indique que la décision de la Cour constitutionnelle a été adoptée après les évènements concernant son cas.

42. La Cour observe que l’exception du Gouvernement touche au cœur des allégations de la requérante relatives à l’absence de recours en droit interne permettant de vérifier la légalité de sa détention. Il convient dès lors de joindre l’analyse de l’objection soulevée à cet égard à l’examen au fond du grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention.

3. Conclusion

43. La Cour estime que l’article 5 de la Convention est applicable en l’espèce et elle joint l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes à l’examen au fond du grief de la requérante dénonçant l’absence de recours judiciaire pour examiner la légalité de sa détention ordonnée par le procureur. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

44. La requérante maintient que le droit bulgare ne prévoyait pas de recours juridictionnel permettant de faire contrôler la légalité de l’ordre de placement en détention délivré par le procureur. Elle ajoute que la procédure conduite sur la question de son placement en centre éducatif – internat, qui a pris fin par la décision du tribunal de district du 22 juin 2016 (paragraphe 8 ci-dessus), n’avait pas pour but le contrôle de la décision du procureur relative au placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs. Selon elle, en effet, l’article 24a de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs limite les compétences du tribunal de district, de sorte que ce dernier ne peut examiner une question autre que celle faisant l’objet de la demande d’adoption de mesures éducatives formulée par la commission locale compétente (paragraphe 23 ci-dessus). La requérante estime ensuite que la voie générale du recours juridictionnel administratif ne lui était ouverte ni avant ni après la décision du 4 octobre 2016 de la Cour constitutionnelle (paragraphe 41 ci-dessus).

45. Le Gouvernement fait valoir que la décision du tribunal de district du 22 juin 2016 sur la proposition de placement en centre éducatif – internat (paragraphe 8 ci-dessus) intégrait un contrôle portant sur la légalité de la détention de la requérante en foyer d’accueil temporaire pour mineurs pour la période des quinze premiers jours de placement à partir du 8 juin 2016. Il soutient également que le droit interne offrait la possibilité à la requérante de contester l’ordre de placement délivré par le procureur devant les juridictions administratives et que, de surcroît, la requérante aurait pu invoquer la primauté de la Convention sur la loi interne (paragraphe 40 ci‑dessus).

2. Appréciation de la Cour

46. La Cour rappelle que les principes de jurisprudence applicables en l’espèce se trouvent résumés dans les arrêts Stanev c. Bulgarie ([GC] no 36760/06, §§ 168-170, CEDH 2012) et A. et autres c. Bulgarie (précité, §§ 105‑106).

47. Pour ce qui est du respect de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour observe d’abord que le droit bulgare ne prévoit pas un recours général de type habeas corpus. Elle rappelle avoir constaté, dans les affaires A. et autres c. Bulgarie (précitée, § 107) et I.P. c. Bulgarie (précitée, § 55), qu’il n’existait pas non plus en Bulgarie un recours juridictionnel spécifique pour le placement des mineurs dans les foyers tels que celui en question. Selon la loi interne, restée inchangée depuis les affaires susmentionnées, le placement initial des mineurs dans ce type d’établissements est décidé par les organes du ministère de l’Intérieur ou par le procureur (paragraphe 24 ci‑dessus). La Cour note en l’espèce que la décision de placement litigieuse a été prise par le procureur à la suite d’une proposition des services sociaux (paragraphes 5 et 6 ci‑dessus). Elle relève que le Gouvernement ne conteste pas que ces organes ont agi dans le cadre de l’exercice du pouvoir exécutif de l’État et qu’ils ne présentaient pas les garanties que l’article 5 § 4 de la Convention exige d’un « tribunal ». Dès lors, le contrôle de la « légalité » du placement en cause ne se trouvait pas incorporé à la décision prise par le procureur le 8 juin 2016.

48. La Cour prend ensuite note de la position du Gouvernement selon laquelle la décision du tribunal de district du 22 juin 2016 incorporait un contrôle portant sur la légalité de la détention de la requérante ordonnée par le procureur (paragraphe 45 ci-dessus). Toutefois, il ne ressort pas de cette décision que le tribunal de district, saisi de la question du placement en centre éducatif – internat, a au surplus examiné les circonstances dans lesquelles le procureur avait ordonné le placement litigieux de la requérante en foyer d’accueil temporaire pour mineurs et qu’il s’est prononcé sur la légalité de cette décision. Par ailleurs, il ne ressort pas du droit interne que le tribunal avait la compétence pour le faire dans le cadre de cette procédure et pour ordonner, le cas échéant, l’élargissement ou pour statuer sur la durée de la mesure imposée. La Cour souligne en effet que les deux placements examinés (en foyer d’accueil temporaire pour mineurs et en centre éducatif ‑ internat) se rapportaient à des établissements différents et étaient soumis à des modalités distinctes, de sorte que l’analyse de la nécessité du placement était différente selon l’institution visée. Notamment, la nature du placement pour lequel le but éducatif était invoqué était différente dans les deux hypothèses. Dans ce contexte, la Cour rappelle que si l’article 5 § 1 de la Convention n’empêche pas une mesure provisoire de garde qui serve de préliminaire à un régime d’éducation surveillée sans en revêtir elle-même le caractère (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129), l’article 5 § 4 de la Convention renferme un droit indépendant et imposant à l’État l’obligation d’instaurer un recours judiciaire permettant d’examiner explicitement toute privation de liberté. En l’espèce, la Cour ne peut constater que les autorités internes ont fait un rapprochement entre la détention décidée par le procureur et la procédure judiciaire en cours relative à la demande de mesure éducative avec placement, en dehors du seul constat qu’une mesure de protection avait été prise à l’égard de la mineure (paragraphe 8 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour ne peut aboutir à la conclusion que le tribunal de district a examiné l’ordre du procureur du 8 juin 2016 dans sa décision du 22 juin 2016 (voir I.P.c. Bulgarie, précité, § 56).

49. La Cour relève ensuite l’argument du Gouvernement selon lequel l’ordre de placement émanant du procureur était susceptible d’un contrôle judiciaire devant les juridictions administratives en vertu des articles 145 et suivants du code de procédure administrative, dans le cadre duquel, de surcroît, la requérante aurait pu invoquer la primauté de l’article 5 § 4 de la Convention sur le droit interne (paragraphe 40 ci-dessus).

50. La Cour constate que cette voie de droit n’a pas été indiquée par les parties et qu’elle n’a pas été examinée par elle dans les affaires précédentes portant sur un grief similaire tiré de l’article 5 § 4. Dans ces affaires, elle était parvenue à un constat de violation de cette disposition à raison de l’absence d’un recours en droit interne permettant la remise en cause de l’ordre du procureur sur le placement des mineurs en foyer d’accueil temporaire pour mineurs (A. et autres c. Bulgarie, et I.P. c. Bulgarie, précitées).

51. Compte tenu de l’exception du gouvernement défendeur portant sur ce même point et jointe au présent examen (paragraphe 42 ci-dessus), la Cour rappelle que la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants l’obligation d’utiliser en premier lieu les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne de leur pays pour leur permettre d’obtenir la réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Salman c. Turquie [GC], nº [21986/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2221986/93%22%5D%7D), § 81, CEDH 2000‑VII, et İlhan c. Turquie [GC], nº [22277/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2222277/93%22%5D%7D), § 58, CEDH 2000‑VII).

52. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours qu’il suggère était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique (Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a bien été employé ou que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV).

53. La Cour relève à cet égard que la décision de la Cour constitutionnelle du 4 octobre 2016 apporte un éclairage nouveau sur la fonction du procureur dans la procédure de placement. Cette décision désigne, selon une argumentation détaillée, le recours de droit commun contre les actes administratifs comme une voie possible au travers de laquelle les mineurs concernés peuvent obtenir un contrôle juridictionnel de la légalité de leur placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs ordonné par le procureur (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour note avec satisfaction que, comme cela ressort des motifs de sa décision, la Cour constitutionnelle a exprimé le souci de rendre son analyse conforme aux principes qu’elle a elle-même dégagés dans sa jurisprudence sur le terrain de l’article 5 § 4 de la Convention et de tirer les conséquences du constat de violation de cette disposition dans l’arrêt A. et autres c. Bulgarie, précité.

54. La Cour estime cependant que le recours administratif de droit commun n’a, à bien des égards, pas été effectif et disponible à l’époque des faits litigieux. D’abord, l’indisponibilité de ce recours est démontrée par le fait que la demande devant la Cour constitutionnelle a été déposée par la Cour administrative suprême, soit la plus haute juridiction administrative, chargée notamment de conduire les procédures prévues par le code de procédure administrative et de contrôler les décisions des juridictions administratives inférieures. La demande de contrôle de constitutionnalité avait notamment pour fondement l’interprétation du droit interne donnée par cette haute juridiction, d’après laquelle l’ordre du procureur sur le placement des mineurs dans des foyers d’accueil temporaire n’était susceptible d’aucun contrôle judiciaire, selon la législation en vigueur. Ensuite, cette thèse de l’indisponibilité du recours juridictionnel de droit commun contre les actes administratifs semble être confirmée par les observations déposées dans le cadre de la procédure devant la Cour constitutionnelle par toutes les institutions clés dans le domaine examiné, y compris le parquet général et le ministre de la Justice, lesquelles ont soutenu la demande de la Cour administrative suprême (paragraphe 25 ci‑dessus). Par ailleurs, ni la Cour constitutionnelle, en développant sa thèse, ni le Gouvernement, à l’occasion de la présente affaire, ne se sont appuyés sur des exemples jurisprudentiels démontrant la disponibilité de ce recours en pratique. La Cour ne peut qu’en conclure que les institutions publiques compétentes ne concevaient pas, elles-mêmes, que le recours juridictionnel administratif auquel s’est référé le Gouvernement dans le cadre de la présente analyse pût être considéré comme pertinent au regard de l’article 5 § 4 de la Convention. Les nouvelles lignes directrices d’interprétation des procédures internes dans ce domaine ont été données par la Cour constitutionnelle postérieurement aux circonstances de l’espèce. Enfin, même s’il peut être envisagé que la décision explicite de la Cour constitutionnelle engagerait, pour la période subséquente à son adoption, les juridictions administratives à s’estimer compétentes pour statuer sur de tels recours, force est de constater que cette cour s’est prononcée le 4 octobre 2016 (paragraphe 25 ci-dessus), soit après la fin de la privation de liberté subie par la requérante au foyer d’accueil temporaire pour mineurs (paragraphe 11 ci‑dessus), lorsque le délai de recours avait visiblement expiré pour la requérante.

55. Par ailleurs, eu égard à la position claire des institutions nationales quant à l’ineffectivité du recours administratif (paragraphe 54 ci-dessus), la Cour n’est pas convaincue que la primauté de l’article 5 § 4 de la Convention sur la loi nationale, dont le Gouvernement tire argument, aurait offert plus de chances à la requérante d’obtenir un examen de la légalité de sa privation de liberté. Le Gouvernement ne présente aucun exemple de jurisprudence allant dans ce sens.

56. Dans ce contexte, il n’est pas raisonnable d’estimer que la requérante ou ses représentants pouvaient voir dans ce recours une voie de redressement effective et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits litigieux.

57. Au vu de ce qui précède, et sans préjuger de l’effectivité de principe du recours juridictionnel devant les tribunaux administratifs dans des cas similaires au présent cas à l’avenir, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, cette voie de droit ne correspondait pas aux exigences des articles 5 § 4 et 35 § 1 de la Convention. Il y a donc lieu de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement (paragraphes 40 et 42 ci‑dessus).

58. Il n’apparaît pas que la requérante a bénéficié autrement d’un contrôle judiciaire portant sur la légalité de sa privation de liberté subie du 8 juin au 20 juillet 2016.

59. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

2. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES RELATIVEMENT AU PLACEMENT DANS UN « CENTRE DE CRISE POUR ENFANTS »
1. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention

60. La requérante allègue que son placement dans un « centre de crise pour enfants » a été contraire à l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

(...)

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

(...) »

1. Arguments des parties

(a) Le Gouvernement

61. Le Gouvernement soulève des exceptions tirées notamment de l’incompatibilité ratione materiae de ce grief avec la Convention, et donc de l’inapplicabilité de l’article 5 de cette dernière, ainsi que du non-respect de la règle de l’épuisement des voies de recours internes.

62. Concernant l’applicabilité de l’article 5 de la Convention, le Gouvernement considère que, dès lors que la requérante et sa mère ont exprimé un avis favorable au placement litigieux lors de l’audience du tribunal de district du 14 septembre 2016 (paragraphe 14 ci-dessus), ce placement ne peut être vu comme une mesure privative de liberté. Ainsi, l’article 5 de la Convention ne serait pas applicable. Le Gouvernement en veut pour preuve le fait que la requérante et sa mère n’ont pas contesté la décision de placement initialement prise par le directeur de l’assistance sociale, le 20 juillet 2016, et qu’elles ne se sont pas opposées à l’exécution de cette décision (paragraphe 10 in fine ci-dessus).

63. Le Gouvernement soulève, également, une exception de non‑épuisement des voies de recours internes. Il indique que l’article 145 du code de procédure administrative (paragraphe 32 ci-dessus) offrait à la requérante et à ses représentants une voie de recours, confirmée par la jurisprudence, contre la décision de placement prise par le directeur de l’assistance sociale. Il dit aussi que l’article 60, alinéas 1 et 4 du même code leur accordait un recours suspensif même en cas d’absence d’un recours en appréciation de légalité. Il précise que la requérante et sa mère ne se sont pas prévalues de ces recours. Enfin, le Gouvernement expose que la mesure litigieuse, couverte par l’hypothèse prévue à l’article 5 § 1 d), visait la protection de la mineure et sa préparation en vue de son intégration dans le centre éducatif – internat, en attendant l’adoption de l’arrêté du ministère de l’Éducation à cet égard. Des activités éducatives et culturelles auraient ainsi été proposées à la requérante pendant ce séjour temporaire et de courte durée.

(b) La requérante

64. Pour ce qui est de son consentement au placement en « centre de crise pour enfants », la requérante réplique que l’accord auquel le Gouvernement se réfère n’a été donné que lors de l’audience devant le tribunal de district en date du 14 septembre 2016 (paragraphe 14 ci-dessus) et qu’il ne peut être présumé qu’un tel accord existait au cours de toute la période comprise entre le 20 juillet 2016 et le 16 septembre 2016. De plus, dans ses observations devant la Cour, la requérante expose que même les déclarations que sa mère et elle-même ont faites lors de l’audience du 14 septembre 2016 ne peuvent être interprétées comme un consentement, car, en réalité, leur propos aurait été d’exprimer leur opposition au placement en centre éducatif – internat. Toutes deux auraient été persuadées que, en se déclarant favorables à la prolongation du placement au centre de Balvan, le transfert au centre éducatif – internat de Podem n’aurait pu avoir lieu. Devant la Cour, la requérante dit avoir été confuse quant aux choix qui s’offraient à elle et n’avoir en aucun cas souhaité être soumise à une mesure de placement, ni au centre de Balvan ni au centre de Podem.

65. Quant à l’exception de non-épuisement des voies de recours internes, la requérante estime qu’il est suffisant au regard de l’article 35 § 1 de la Convention qu’elle ait contesté la décision de son placement en « centre de crise pour enfants » adoptée par le tribunal de district le 14 septembre 2016, qu’elle considère comme étant la décision principale sur la mesure litigieuse. Elle est en effet d’avis qu’un recours contre la décision de placement initial prise par le directeur de l’assistance sociale et le recours suspensif auraient revêtu un caractère accessoire par rapport à la procédure principale. Selon elle, ces voies de droit, de nature administrative, ne lui offraient pas de garanties quant à l’examen de la légalité du placement.

66. La requérante remet ensuite en question la légalité de son placement dans le centre de Balvan, estimant que le placement qui lui a été imposé du 20 juillet au 14 septembre 2016 a été ordonné par un organe administratif et que la décision du tribunal est intervenue seulement à cette dernière date, soit deux jours avant son transfert au centre éducatif – internat de Podem. Ainsi, la procédure prévue à cet égard par la loi sur la protection de l’enfance n’aurait pas été suivie promptement. Pour ce qui est de la procédure prévue par l’article 27, alinéa 6 de ladite loi (paragraphe 28 ci‑dessus), la requérante ajoute que, même si sa mère avait contesté la décision de placement émise par le directeur de l’assistance sociale, la procédure en question n’aurait pas pu permettre d’accélérer l’examen judiciaire de la légalité de sa détention. Enfin, la requérante plaide que le placement dans le centre de Balvan, lequel, à ses dires, ne proposait pas d’activités éducatives, ne visait aucune mesure éducative. Selon elle, ce placement était fondé de manière formelle sur l’article 25 de la loi sur la protection de l’enfance, lequel prévoit un tel placement lorsque les parents ne sont pas en mesure de surveiller leur enfant de manière constante. En réalité, les autorités n’auraient jamais cherché, ni avant ni pendant ce placement, à procéder à l’établissement des véritables besoins de la requérante en vue d’examiner la possibilité d’appliquer des mesures moins sévères à son sujet, notamment sans la priver de sa liberté.

2. Appréciation de la Cour

(a) Sur l’applicabilité de l’article 5 de la Convention

67. La Cour relève d’emblée que les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si l’article 5 est applicable en l’espèce. Elle rappelle qu’elle a déjà constaté, dans l’affaire A. et autres c. Bulgarie (précitée, § 94), qu’un placement en « centre de crise pour enfants » équivalait à une mesure privative de liberté au sens de l’article 5 de la Convention en raison du régime restrictif appliqué, de la surveillance constante mise en place, des conditions de sorties imposées (autorisation et accompagnement par un assistant social), ainsi que du risque pour le mineur concerné d’être recherché et reconduit par la police en cas de sortie non autorisée. Se tournant vers l’affaire qui lui est soumise, la Cour relève cependant que le Gouvernement ne conteste pas les éléments relatifs aux modalités d’exercice de la mesure litigieuse, mais qu’il argue tout particulièrement que la requérante et sa mère avaient consenti à la mesure, ce qui selon lui permettait de soustraire celle-ci du champ d’application de l’article 5 de la Convention (paragraphe 62 ci-dessus). Le Gouvernement soutient ainsi, en substance, que l’élément subjectif devrait aussi entrer en jeu lorsqu’il s’agit de la détention des mineurs. La Cour note que, si une telle analyse s’impose dans le contexte de détention en relation avec la santé mentale (Storck c. Allemagne, no 61603/00, § 74, CEDH 2005‑V, et Stanev, précité, § 117), une position de principe n’a pas été prise dans ce sens pour ce qui est de la détention de mineurs au regard de l’article 5 § 1 d). Elle estime ensuite qu’il n’est pas nécessaire d’en adopter une en l’espèce puisque, en tout état de cause, il ne peut être établi que, comme le suggère le Gouvernement (paragraphe 62 ci-dessus), la requérante et sa mère ont valablement consenti à la mesure de placement litigieuse (voir, mutatis mutandis, I.P. c. Bulgarie, précité, § 34). En effet, aucun élément du dossier n’indique que la requérante ou sa mère aient exprimé un consentement au début de la période du placement litigieux ou pendant la plus grande partie du séjour de la mineure au centre de Balvan. Le consentement auquel renvoie le Gouvernement a été exprimé lors de l’audience du 14 septembre 2016, soit deux jours avant la fin de la durée du placement. De plus, la requérante a immédiatement recouru contre la décision du tribunal de district du 14 septembre 2016, ordonnant notamment le placement litigieux (paragraphe 16 ci-dessus). Dans ces conditions particulières, la Cour ne peut conclure que la requérante consentait à son placement en « centre de crise pour enfants » pendant toute la durée de cette mesure.

68. Eu égard à ce qui précède, la Cour ne voit pas de raisons de s’écarter de son constat établi dans l’affaire A. et autres c. Bulgarie, précitée, et elle conclut que la mesure de placement de la requérante en « centre de crise pour enfants » peut être qualifiée de privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. En conséquence, l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

(b) Sur l’épuisement des voies de recours internes

69. Se penchant ensuite sur l’exception du Gouvernement selon laquelle la requérante avait deux recours à sa disposition pour contester la légalité de son placement (paragraphe 63 ci-dessus), la Cour rappelle que l’article 35 § 1 de la Convention impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite devant elle. Un grief ne satisfaisant pas à ces exigences doit en principe être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 72, 25 mars 2014).

70. La Cour note que, en l’occurrence, la requérante a été détenue sur arrêté du directeur de l’assistance sociale du 20 juillet au 14 septembre 2016, puis sur décision du tribunal de district du 14 au 16 septembre 2016. Il ressort des éléments de droit interne que l’arrêté du 20 juillet 2016 (paragraphe 10 ci-dessus) constituait une base autonome pour la privation de liberté de la requérante, motivée par le besoin de prendre une mesure temporaire de protection, au cours de la période allant jusqu’à l’adoption de la décision du tribunal de district sur la mesure de protection demandée (paragraphe 28 ci‑dessus). Le tribunal de district ayant compétence pour ordonner le placement comme mesure de protection, et non comme mesure temporaire, il n’a pas examiné la légalité de l’arrêté du directeur de l’assistance sociale. Ce constat se confirme par les motifs de la décision du tribunal du 14 septembre 2016 (paragraphe 15 ci-dessus), démontrant que l’examen de cette juridiction portait uniquement sur l’utilité de la mesure de protection demandée, et non sur la justification de la mesure temporaire déjà imposée à la mineure. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la requérante (paragraphe 65 ci-dessus), cette décision judiciaire constituait le fondement du placement uniquement à partir de cette dernière date, sans effet de validation de l’arrêté du directeur de l’assistance sociale.

71. Il convient dès lors d’examiner l’effectivité des deux recours indiqués par le Gouvernement par rapport aux deux décisions distinctes de placement précitées (paragraphe 70 ci-dessus).

72. Pour ce qui est d’abord du placement ordonné le 20 juillet 2016 par le directeur de l’assistance sociale, la Cour prend note de la position du Gouvernement, qui expose que les recours à exercer étaient le recours en appréciation de légalité et/ou le recours suspensif (paragraphe 63 ci-dessus). Elle observe que l’application des normes régissant ces voies de droit a permis l’élaboration d’une jurisprudence des tribunaux nationaux relativement développée, dès l’entrée en vigueur de la loi sur la protection de l’enfance et dans les années ayant précédé les faits en cause (paragraphes 28 et 32-33 ci-dessus). En particulier, les tribunaux internes ont procédé à des examens au fond de griefs tirés de l’illégalité alléguée d’ordres concernant les différents types de placement prévus par la loi, y compris le placement en établissement spécialisé, et, lorsqu’ils ont jugé les recours fondés, les arrêtés de placement ont été annulés. De même, des exemples jurisprudentiels démontrent l’application du recours suspensif en cas de placement en famille d’accueil ou chez des proches parents (paragraphes 28 et 32-33 ci-dessus). En l’occurrence, la requérante ne précise pas en quoi les deux recours susmentionnés ne seraient pas effectifs dans le cas, qui est le sien, de placement en foyer spécialisé, et aucun élément du dossier ne permet à la Cour de conclure à l’ineffectivité de ces recours. Aucun de ces derniers n’ayant été tenté par la requérante (paragraphe 10 in fine ci-dessus), celle-ci n’a pas valablement épuisé les voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

73. Il s’ensuit que la partie du grief portant sur l’irrégularité alléguée de l’arrêté du directeur de l’assistance sociale du 20 juillet 2016 doit être rejetée, en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

74. Quant au placement ordonné par le tribunal de district pour la période du 14 au 16 septembre 2016, la Cour note que l’article 28 de la loi sur la protection de l’enfance prévoit la possibilité de faire appel du jugement de ce dernier tribunal devant le tribunal régional, dont la décision est définitive (paragraphe 30 ci-dessus). En l’espèce, la requérante s’est prévalue de cette possibilité, et, par une décision du 6 décembre 2016, le tribunal régional a ordonné la fin de la procédure pour défaut d’intérêt légitime (paragraphes 17-19 ci-dessus). Sur recours de la requérante, la cour d’appel a confirmé définitivement cette dernière décision (paragraphe 20 ci‑dessus). La Cour note que le Gouvernement n’explique pas en quoi la voie de recours en question n’aurait pas été effective et n’était donc pas à exercer, et qu’il n’indique pas s’il était attendu de la requérante qu’elle employât une autre voie de recours.

75. La Cour rejette par conséquent l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement pour la partie du grief portant sur l’irrégularité alléguée de la décision de placement du tribunal de district du 14 septembre 2016.

(c) Sur l’irrégularité alléguée de la décision du 14 septembre 2016 de placer la requérante en « centre de crise pour enfants »

76. La Cour prend note de la thèse de la requérante, qui conteste la légalité de son placement dans le « centre de crise pour enfants » de Balvan, décidé par le tribunal de district le 14 septembre 2016. Elle prend également note de la position du Gouvernement, qui avance que ce placement répondait aux exigences de l’article 5 § 1 d) de la Convention, sans toutefois soutenir qu’il pouvait aussi relever d’un autre alinéa de cette disposition (paragraphe 63 ci‑dessus).

77. La Cour rappelle à cet égard que le premier volet de l’article 5 § 1 d) prévoit la privation de liberté dans l’intérêt d’un mineur indépendamment de la question de savoir si celui-ci est suspecté d’avoir commis une infraction pénale ou est simplement un enfant « à risque ». Cette disposition autorise en effet la privation de liberté d’un mineur en vue d’une éducation surveillée (A. et autres c. Bulgarie, précité, § 66). En l’occurrence, la requérante n’ayant pas atteint l’âge de la majorité lors de son placement dans le « centre de crise pour enfants » de Balvan, la question qui se pose à la Cour est celle de savoir si la détention de la requérante était régulière et avait été décidée « pour » (« for the purpose of ») son éducation surveillée (Bouamar, précité, § 50 ; D.G. c. Irlande, no 39474/98, § 76, CEDH 2002‑III ; et D.L. c. Bulgarie, no 7472/14, § 71, 19 mai 2016). En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Bouamar, précité, § 47, et D.G. c. Irlande, précité, § 75). En outre, dans le cadre de la détention de mineurs, les termes d’« éducation surveillée » ne doivent pas être strictement assimilés à la notion d’enseignement en salle de classe : lorsqu’une jeune personne est placée sous la protection de l’autorité locale compétente, l’éducation surveillée doit englober de nombreux aspects de l’exercice, par cette autorité locale, de droits parentaux au bénéfice et pour la protection de l’intéressé (Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 166, 23 mars 2016, avec les références qui s’y trouvent citées). Par ailleurs, la pratique consistant à dispenser à tous les mineurs privés de liberté placés sous la responsabilité de l’État, même à ceux internés en centre de détention provisoire pour une durée limitée, un enseignement conforme au programme scolaire ordinaire devrait constituer la norme pour éviter des lacunes dans leur éducation (ibidem, §170). De surcroît, la Cour a eu l’occasion de préciser que l’exigence de « régularité » dans le contexte d’une détention « pour » les buts d’une « éducation surveillée » implique aussi le devoir de s’assurer que la mesure prise a été proportionnée à ces buts. Lorsque la détention vise un mineur, un critère essentiel pour apprécier la proportionnalité est celui de savoir que la détention a été décidée en tant que mesure de dernier ressort, dans le meilleur intérêt de l’enfant, et qu’elle vise à prévenir des risques sérieux pour son développement. Lorsque ce critère n’est plus rempli, la privation de liberté perd sa justification (D.L. c. Bulgarie, précité, § 74 avec les références qui s’y trouvent citées).

78. La Cour rappelle également que la détention à des fins d’éducation surveillée visée à l’article 5 § 1 d) doit se dérouler dans un établissement adapté disposant de ressources répondant aux objectifs pédagogiques requis et aux impératifs de sécurité. Toutefois, il peut ne pas s’agir d’un placement immédiat. L’alinéa d) de l’article 5 § 1 n’empêche pas une mesure provisoire de garde qui serve de préliminaire à un régime d’éducation surveillée sans en revêtir elle-même le caractère. Encore faut-il, dans cette hypothèse, que la mesure de garde provisoire débouche à bref délai sur l’application effective d’un tel régime dans un milieu spécialisé – ouvert ou fermé – qui jouisse de ressources suffisantes correspondant à sa finalité (Bouamar, précité, §§ 50 et 52 ; et D.G. c. Irlande, précité, § 78 ; voir aussi le paragraphe 48 ci-dessus).

79. En l’espèce, au sujet de la contestation par la requérante de la légalité de son placement dans le « centre de crise pour enfants » de Balvan du 14 au 16 septembre 2016, la Cour observe qu’il ressort du dossier que la décision litigieuse a été prise par le tribunal de district à la demande du directeur de l’assistance sociale. Cette demande a été déposée dans le délai d’un mois prévu à cet effet par la loi et le tribunal s’est lui aussi prononcé dans le délai légal d’un mois (paragraphes 10,12, 15, 29 et 30 ci-dessus). Ainsi, contrairement à ce qu’affirme la requérante (paragraphe 66 ci‑dessus), son placement a été ordonné par les autorités désignées par la loi et dans les délais requis. La Cour en conclut que la détention de la mineure a eu lieu « selon les voies légales ».

80. Ensuite, la Cour note que, dans sa décision de placement (paragraphe 15 ci-dessus), le tribunal de district a tenu compte de la condition familiale et sociale de la mineure, en particulier du manque d’encadrement familial et de l’exposition à des risques graves pour son développement. En effet, la direction de l’assistance sociale avait notamment précisé que le placement de la requérante dans un « centre de crise pour enfants » avait un caractère temporaire, en attendant l’adoption d’« un arrêté du ministère de l’Éducation pour le placement dans un centre éducatif – internat » (paragraphe 10 ci-dessus). Dans un tel contexte, la Cour peut accepter l’argument du Gouvernement selon lequel le séjour en cause visait la préparation de l’intégration de la requérante dans l’établissement fermé voué aux buts éducatifs (paragraphe 63 ci‑dessus), et elle estime qu’il ne peut pas être exigé des autorités que le but éducatif de l’article 5 § 1 d) soit accompli dans sa plénitude au cours de la mesure provisoire de garde. La Cour observe que la mise en œuvre effective du placement dans un établissement fermé a eu lieu le 16 septembre 2016, soit deux jours seulement après la décision litigieuse (paragraphe 16 ci-dessus).

81. Pour ce qui est de la question de savoir si ce délai peut être considéré comme suffisamment « bref » au regard des principes d’application de l’article 5 § 1 d) (paragraphe 78 ci-dessus), la Cour note qu’il s’agit d’une période assez courte, à savoir deux jours. Dans ce contexte, la Cour est d’avis qu’il ne peut être reproché aux autorités de ne pas avoir agi avec la diligence nécessaire, même en tenant compte du fait que cette période de détention venait succéder au placement de la requérante dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs du 8 juin au 20 juillet 2016 et au placement ordonné par le directeur de l’assistance sociale du 20 juillet au 14 septembre 2016 (voir, a contrario, Bouamar, précité, § 51, où le requérant a fait l’objet d’une sorte de « navette » entre la maison d’arrêt et sa famille et a ainsi au total subi, rien qu’au cours d’une année, 119 jours de privation de liberté sur une période de 291 jours examinés). La Cour estime donc qu’il n’est pas nécessaire de se pencher sur les arguments des parties liés à l’existence ou non, au sein du « centre de crise pour enfants » de Balvan, d’un programme éducatif pendant ces deux jours (paragraphes 63 in fine et 66 ci‑dessus).

82. Au vu de ce qui précède, et eu égard notamment aux motifs de placement invoqués par les autorités, la Cour conclut que la détention de la requérante en « centre de crise pour enfants » du 14 au 16 septembre 2016 visait à permettre son accueil provisoire uniquement pour la durée nécessaire, qui ne semble pas excessive dans les circonstances particulières de l’espèce, à la mise en place de la solution durable adoptée dans la décision judiciaire du 22 juin 2016 (paragraphe 8 ci-dessus). Dans ce contexte, cette mesure n’avait pas obligatoirement à pourvoir à l’« éducation surveillée » de la mineure.

83. Par ailleurs, la Cour prend note de l’argument de la requérante selon lequel les autorités n’ont pas envisagé d’autres mesures moins sévères non privatives de liberté avant de décider son placement (paragraphe 66 in fine ci-dessus). Elle renvoie à cet égard aux principes applicables, résumés dans l’affaire D.L. c. Bulgarie (précitée, § 74 ; voir aussi le paragraphe 77 ci‑dessus). Pour ce qui est du cas d’espèce, la Cour note, en plus des circonstances déjà observées (paragraphes 79-82 ci-dessus), que, après avoir tenu une audience publique et entendu les personnes concernées, le tribunal de district a évalué la situation personnelle de la requérante, ainsi que le caractère adéquat de la mesure critiquée par rapport à ses besoins en termes de suivi et de soins (paragraphes 14-15 ci-dessus). Ces éléments, examinés à la lumière de la courte durée de la mesure litigieuse, permettent à la Cour de conclure que le placement de la requérante dans le « centre de crise pour enfants » de Balvan du 14 au 16 septembre 2016 a été proportionné au but éducatif poursuivi.

84. Partant, la Cour considère que ce placement entre dans le champ d’application de l’article 5 § 1 d) et qu’il était conforme aux exigences de cette disposition. Elle estime dès lors qu’il ne s’impose pas de rechercher si d’autres alinéas de l’article 5 § 1 entrent également en jeu.

85. Par conséquent, la Cour constate que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention

86. La requérante soutient également que le placement en « centre de crise pour enfants » du 20 juillet au 16 septembre 2016 a été décidé selon des procédures non entourées des garanties nécessaires et qu’aucun recours juridictionnel ne permettait d’en faire examiner la légalité. Elle invoque à cet égard l’article 5 § 4, ainsi que l’article 6 de la Convention.

87. La Cour estime qu’il convient d’examiner ces allégations sous l’angle de l’article 5 § 4 de la Convention uniquement, cette dernière disposition étant la lex specialis par rapport à l’article 6 (Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 55, CEDH 2005‑XII, et Amie et autres c. Bulgarie, no 58149/08, § 109, 12 février 2013).

1. Arguments des parties

88. Le Gouvernement renvoie à ses arguments selon lesquels la requérante et sa mère auraient pu employer le recours en appréciation de légalité contre la décision du directeur de l’assistance sociale, ainsi que le recours suspensif (paragraphe 63 ci-dessus). Enfin, dans les circonstances de la présente espèce, un contrôle judiciaire du placement litigieux était incorporé à la décision du tribunal de district du 14 septembre 2016, selon une procédure présentant toutes les garanties contre l’arbitraire et veillant aux intérêts de la mineure.

89. La requérante affirme qu’elle ne disposait d’aucun recours effectif pour remettre en question son placement au « centre de crise pour enfants » de Balvan (paragraphe 65 ci-dessus). Par ailleurs, elle n’était pas habilitée à engager la procédure devant le tribunal de district et, même si une telle procédure a été déclenchée, elle n’en a pas bénéficié car cette juridiction s’est prononcée seulement deux jours avant la fin du séjour. La seule chose qui lui restait à faire, selon elle, c’était de contester la décision prise par ce tribunal le 14 septembre 2016. En ce qui concerne la suite de la procédure, la requérante dit que le tribunal régional a considéré à tort qu’elle n’avait pas un intérêt légitime à poursuivre celle-ci (paragraphe 19 ci-dessus). Selon elle, l’examen par ce dernier tribunal n’était pas entouré de garanties contre l’arbitraire, tels une représentation effective, un examen rapide au fond de ses allégations et la conduite d’un procès contradictoire.

2. Appréciation de la Cour

90. La Cour renvoie aux principes applicables en l’espèce (paragraphe 46 ci-dessus) et à sa remarque concernant l’absence de recours de type habeas corpus en droit bulgare (paragraphe 47 ci-dessus).

91. Cependant, la Cour a aussi constaté, en examinant l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement au regard du grief tiré de l’article 5 § 1, que le droit interne offrait à la requérante deux recours a priori effectifs pour contester la légalité de l’arrêté de placement en « centre de crise pour enfants » émis par le directeur de l’assistance sociale et servant de fondement pour la période de placement du 20 juillet au 14 septembre 2016 (paragraphes 70‑73 ci‑dessus). Il s’agit notamment du recours en appréciation de légalité et du recours suspensif, visés à l’article 27, alinéa 6 de la loi sur la protection de l’enfance, combiné avec les dispositions applicables du code de procédure administrative (paragraphe 28 ci‑dessus). Eu égard à ces constats, la Cour note que le droit interne permettait à la requérante de contester la légalité de sa privation de liberté ordonnée par le directeur de l’assistance sociale. L’exercice de ces deux recours aurait pu aboutir, le cas échéant, à l’élargissement de la mineure, conformément aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

92. Il reste à examiner les allégations de la requérante au regard de l’absence de recours effectif en lien avec son placement en « centre de crise pour enfants » du 14 au 16 septembre 2016. La Cour observe à cet égard que le tribunal, saisi de la demande de placement, a examiné les circonstances avancées pour justifier cette mesure et a entendu la requérante en personne, représentée par un avocat, ainsi que sa mère (paragraphes 13 et 14 ci-dessus). Dès lors, le contrôle juridictionnel exigé par l’article 5 § 4 de la Convention se trouve incorporé à la décision de ce même tribunal. Par ailleurs, la Cour ne relève pas dans la procédure devant cette juridiction d’éléments compromettant son caractère contradictoire ou le principe d’égalité des armes entre les parties (voir, mutatis mutandis, Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II). La requérante soutient essentiellement que c’est la procédure devant le tribunal régional, amené à statuer sur son recours contre le placement, qui n’était pas entourée de garanties nécessaires à l’examen de son cas (paragraphe 89 ci‑dessus). Or la Cour note que le placement litigieux s’est terminé le 16 septembre 2016 et que l’article 5 § 4 ne s’applique plus à la période postérieure à cette date.

93. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime que la requérante avait à sa disposition, selon le droit applicable et les circonstances de la cause, un recours juridictionnel pour faire examiner la légalité de son placement en « centre de crise pour enfants », ordonné d’abord par le directeur de l’assistance sociale, le 20 juillet 2016, puis par le tribunal de district, le 14 septembre 2016.

94. Partant, elle constate que la partie du grief concernant l’absence alléguée d’un recours juridictionnel, tel que prévu par l’article 5 § 4, au cours du placement de la requérante dans le centre de Balvan est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

95. Enfin, ce placement ayant pris fin le 16 septembre 2016 et l’article 5 § 4 n’ayant dès lors plus vocation à s’appliquer après cette date en l’espèce, la Cour rejette, pour incompatibilité ratione materiae, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention, la partie du grief portant sur l’absence d’un recours juridictionnel à partir de cette dernière date.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

96. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

97. La requérante réclame 8 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi en conséquence des violations alléguées de la Convention.

98. Le Gouvernement considère que cette prétention est excessive.

99. La Cour observe que les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 et 4 relatifs au placement de la requérante dans un « centre de crise pour enfants » ont été rejetés pour cause d’irrecevabilité. Dès lors, il n’y a pas lieu d’accorder à la requérante une somme à ce titre. La Cour considère en revanche que la requérante a subi un préjudice moral à raison de l’absence d’un recours qui lui aurait permis de bénéficier d’un examen de la légalité de son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, tel que garanti par l’article 5 § 4 de la Convention. Ce constat justifie l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder à la requérante 3 000 EUR à ce titre.

2. Frais et dépens

100. La requérante demande également 2 924,61 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Elle présente des justificatifs correspondant à des frais de poste et de transport (24,61 EUR), ainsi qu’à des frais de représentation pour un total de 29 heures de travail rémunérées à 100 EUR l’heure. Elle demande par ailleurs que le montant octroyé par la Cour soit versé directement sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare.

101. Le Gouvernement considère que cette prétention est excessive.

102. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante, tous frais confondus, la somme de 1 500 EUR, à verser directement sur le compte bancaire du Comité Helsinki de Bulgarie (voir, mutatis mutandis, Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 288, 15 décembre 2016).

3. Intérêts moratoires

103. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement quant au grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention relatif au placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention relatif au placement de la requérante en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention relativement au placement de la requérante en foyer d’accueil temporaire pour mineurs ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement :

1. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,
2. 1 500 EUR (mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire du Comité Helsinki de Bulgarie ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 décembre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

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Andrea TamiettiTim Eicke
GreffierPrésident


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