La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/10/2020 | CEDH | N°001-205064

CEDH | CEDH, AFFAIRE MARIN YOSIFOV c. BULGARIE, 2020, 001-205064


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MARIN YOSIFOV c. BULGARIE

(Requête no 5113/11)

ARRÊT

Art 5 § 3 • Aussitôt traduit devant un juge • Détention de 24 + 72 heures (maximum légal) • Ensemble des preuves pertinentes recueillies durant les vingt-six premières heures après l’arrestation • Besoin d’un certain temps pour leur étude ne justifiant pas le maintien en détention durant trois jours supplémentaires

Art 5 § 4 • Introduire un recours • Maintien en détention pendant quatre jours sans avoir été traduit devant un magistrat • Absence de

recours judiciaire suffisamment établi permettant de contester la légalité et la nécessité de cette détention

...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE MARIN YOSIFOV c. BULGARIE

(Requête no 5113/11)

ARRÊT

Art 5 § 3 • Aussitôt traduit devant un juge • Détention de 24 + 72 heures (maximum légal) • Ensemble des preuves pertinentes recueillies durant les vingt-six premières heures après l’arrestation • Besoin d’un certain temps pour leur étude ne justifiant pas le maintien en détention durant trois jours supplémentaires

Art 5 § 4 • Introduire un recours • Maintien en détention pendant quatre jours sans avoir été traduit devant un magistrat • Absence de recours judiciaire suffisamment établi permettant de contester la légalité et la nécessité de cette détention

Art 8 • Respect de la vie privée • Perquisition • Dispense légale d’autorisation préalable d’un juge en cas d’urgence • Contrôle judiciaire a posteriori • Manque d’effectivité, faute de contrôle de la réalité de l’urgence • Ingérence non « prévue par la loi »

STRASBOURG

13 octobre 2020

DÉFINITIF

13/01/2021

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Marin Yosifov c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Faris Vehabović, président,
Yonko Grozev,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Péter Paczolay, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu :

la requête (no 5113/11) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. Marin Draganov Yosifov (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 9 décembre 2010,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement bulgare,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 22 septembre 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La présente affaire porte sur le droit du requérant à une prompte comparution devant un juge (article 5 § 3 de la Convention), sur l’absence alléguée, dans le droit interne, d’un recours apte à permettre au requérant de contester la légalité de sa détention initiale (article 5 § 4 de la Convention) et sur la perquisition du bureau de l’intéressé (article 8 de la Convention).

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1955 et réside à Sofia. Il a été représenté par Me E. Nedeva, avocate exerçant à Plovdiv.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agente, Mme I. Nedyalkova, du ministère de la Justice.

4. Le requérant est un officier de l’armée à la retraite. À l’époque des faits, il était le maire de la commune de Sadovo.

1. La perquisition du bureau du requérant

5. Le 2 décembre 2009, le parquet régional de Plovdiv ouvrit une enquête pénale (no 8/09) contre X pour corruption passive, infraction réprimée par l’article 304b du code pénal (« le CP »). L’enquête concernait des demandes de paiement de commissions illicites que des fonctionnaires de la mairie de Sadovo auraient faites dans le cadre de l’attribution de marchés publics.

6. Il ressort des pièces du dossier que le requérant était visé par deux autres procédures pénales, dont une, menée par le parquet régional de Plovdiv, concernait des soupçons d’abus de pouvoir, infraction réprimée par l’article 282 du CP.

7. Le 30 juin 2010, entre 9 h 30 et 13 heures, la police, agissant dans le cadre de l’enquête pénale no 8/09 sans avoir au préalable obtenu l’autorisation d’un juge, perquisitionna les bureaux du requérant et de son adjointe, situés à la mairie de Sadovo. Le requérant assista à la perquisition. Le procès-verbal qui fut dressé à cette occasion comportait une phrase standard par laquelle il était demandé à l’intéressé de présenter aux policiers tous les objets, documents ou systèmes informatiques susceptibles de contenir des informations relatives à l’enquête pénale en cours, en l’occurrence l’enquête no 8/09 ouverte par le parquet régional de Plovdiv. Dans le bureau du requérant, les policiers découvrirent une somme d’argent qu’ils saisirent. Dans celui de son adjointe, ils découvrirent et saisirent des documents liés à l’attribution de marchés publics, un ordinateur et un ordinateur portable, des téléphones mobiles, des cartes SIM et des disques de données informatiques.

8. Le requérant fit noter dans le procès-verbal ses observations et objections concernant la perquisition, à savoir qu’il avait déjà remis de son plein gré aux organes des poursuites pénales les documents liés au marché public litigieux et que l’argent trouvé lui appartenait et provenait de son indemnité de fin de carrière militaire.

9. Le 1er juillet 2010 à 13 h 30, un juge du tribunal régional de Plovdiv approuva la perquisition qui avait été menée dans les locaux de la mairie de Sadovo. Il motiva sa décision comme suit :

« La présente procédure a été [ouverte] en application de l’article 161, alinéa 2 du CPP [code de procédure pénale].

Le parquet régional de Plovdiv a introduit une demande, enregistrée sous le numéro 6794/09, datée du 1er juillet 2010 et relative à l’instruction préliminaire no 8/09, visant l’approbation des mesures d’instruction, de perquisition et de saisie qui furent menées le 30 juin 2010 de 9 h 30 à 13 heures dans les bureaux de la maire adjointe (...) et du maire (...) de Sadovo (...) et au cours desquelles des objets liés à l’enquête pénale furent découverts et saisis.

Il est précisé dans la demande que l’exécution immédiate de cette mesure d’instruction était le seul moyen de recueillir et préserver des preuves d’une infraction pénale réprimée par l’article 304b, alinéa 1 du code pénal. En l’occurrence, le délai légal de vingt-quatre heures dont le parquet dispose en vertu de l’article 161, alinéa 2 du CPP pour présenter le procès-verbal à un juge a été respecté (compte tenu de l’heure de réception du procès-verbal au tribunal). De plus, étant donné qu’il s’agit d’une affaire urgente et que le procès-verbal qui a été présenté est conforme aux exigences de forme (compte tenu de la nature des locaux perquisitionnés, l’absence d’adresse précise n’est pas un obstacle à l’approbation du procès-verbal), les conditions d’approbation du procès-verbal prévues à l’article 161, alinéa 2 du CPP sont réunies.

Pour ces motifs, et en vertu de l’article 161 alinéa 2 du CPP, (...) j’approuve le procès-verbal de perquisition et de saisie (...) »

2. La détention du requérant et l’issue des poursuites pénales dirigées contre lui

10. Le 30 juin 2010, un inspecteur de police ordonna le placement en détention du requérant pour une durée de vingt-quatre heures à compter de 10 h 30 au motif que l’intéressé était soupçonné d’avoir commis un abus de pouvoir, infraction réprimée par l’article 282 CP (paragraphe 6 ci-dessus).

11. Le même jour, le procureur régional de Plovdiv donna une conférence de presse, dans laquelle il fit le point sur l’état de l’enquête pénale qui visait le requérant, sur l’arrestation du requérant et de ses deux complices présumés et sur les soupçons qui pesaient contre eux. Cette information fut reprise par plusieurs sites d’information, qui publièrent des articles sur ce sujet.

12. Le requérant allègue qu’il ne fut pas remis en liberté à l’expiration du délai de vingt-quatre heures. Le 1er juillet 2010, à 11 heures, il fut convoqué par l’enquêteur responsable de l’enquête pénale no 8/09 et conduit par la police au service de l’instruction. À 11 h 55, il fut mis en examen par l’enquêteur pour corruption passive, infraction réprimée par l’article 304b du CP (paragraphe 5 ci-dessus). À la même heure, en vertu d’une ordonnance du procureur régional, il fut placé en détention pour une durée de soixante-douze heures sur le fondement de l’article 64, alinéa 2 du code de procédure pénale (« le CPP ») en vue d’être conduit devant la juridiction compétente pour statuer sur son placement en détention provisoire. Le procureur motiva sa décision par l’existence d’un risque de fuite et de commission d’autres infractions pénales.

13. Le 4 juillet 2010, le procureur régional, après avoir analysé les preuves rassemblées au cours de l’enquête pénale no 8/09, considéra que le requérant ne risquait ni de se soustraire à la justice ni de commettre de nouvelles infractions. Il décida donc de ne pas demander le placement du requérant en détention provisoire, mais d’exiger le versement d’une caution de 15 000 levs bulgares (BGN), soit 7 500 euros (EUR) environ.

14. Le 5 juillet 2010, le parquet régional de Plovdiv demanda au tribunal régional de la même ville de suspendre le requérant de ses fonctions de maire de la commune afin qu’il ne pût faire obstacle à la manifestation de la vérité dans le cadre de l’enquête pénale no 8/09. À l’appui de sa demande, il argua que les fonctionnaires de la mairie, qui étaient subordonnés au requérant, devaient être interrogés sous peu et qu’il était nécessaire de prévenir toute tentative de l’intéressé d’influencer leurs dépositions. Le 8 juillet 2010, le tribunal régional de Plovdiv accueillit cette demande du parquet et tous les recours subséquents du requérant contre cette mesure furent rejetés par les juridictions supérieures.

15. Le 15 septembre 2010, l’avocate du requérant introduisit deux recours contre l’ordonnance de placement en détention qui avait été prononcée par le procureur régional le 1er juillet 2010 (paragraphe 12 ci‑dessus) : l’un, basé directement sur l’article 5 §§ 3 et 4 de la Convention, qui était adressé au tribunal régional de Plovdiv, et l’autre, basé sur l’article 200 du CPP, qui était adressé au parquet d’appel de Plovdiv.

16. Le tribunal régional renvoya la demande dont il avait été saisi à l’avocate au motif que l’ordonnance du procureur du 1er juillet 2010 ne pouvait être contestée que devant le procureur supérieur et en vertu de l’article 200 du CPP. Le 18 octobre 2010, la cour d’appel de Plovdiv confirma la décision du tribunal régional, précisant que la législation interne ne prévoyait pas la possibilité de contester devant les juridictions internes les ordonnances du parquet qui imposaient une détention de soixante-douze heures.

17. Le recours introduit devant le parquet d’appel fut rejeté le 28 octobre 2010 au motif que l’ordonnance de placement en détention avait été prise conformément à la législation interne.

18. En 2012, à la fin de l’instruction préliminaire, le requérant fut traduit en justice devant les juridictions compétentes. À l’issue de la procédure pénale, il fut reconnu coupable de corruption et condamné à trois ans et six mois d’emprisonnement. Il purgea sa peine et fut libéré le 1er juin 2016.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Le droit et la jurisprudence internes pertinents concernant les perquisitions menées sans autorisation d’un juge et le contrôle a posteriori de ces mesures ont été résumés dans l’arrêt Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, §§ 59 et 60, CEDH 2013).

20. Le droit et la jurisprudence internes pertinents concernant les actions en dommages et intérêts ouvertes aux personnes dont les logements et bureaux ont été perquisitionnés ont été résumés dans l’arrêt Posevini c. Bulgarie (no 63638/14, §§ 34-46, 19 janvier 2017).

21. Le droit interne pertinent concernant les détentions de vingt-quatre heures qui sont ordonnées par la police et les détentions de soixante-douze heures qui sont ordonnées par un procureur a été résumé dans l’arrêt Zvezdev c. Bulgarie (no 47719/07, §§ 12, 14 et 15, 7 janvier 2010). Par ailleurs, dans un certain nombre de décisions récentes (Décision du 16 octobre 2018 de la cour d’appel de Plovdiv en l’affaire pénale d’appel no 544/2018 ; Décision du 4 avril 2018 du tribunal de district de Sofia en l’affaire pénale no 5436/2018), certains tribunaux internes ont accepté d’examiner les recours de personnes détenues, reposant sur le fondement de l’article 5 § 4 de la Convention en combinaison avec l’article 17, alinéa 5 du CPP, contre leur détention, y compris lorsque celle-ci était ordonnée par un procureur.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

22. Le requérant se plaint d’avoir été détenu pendant quatre jours sans avoir été traduit devant un juge. Il invoque l’article 5 § 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

1. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties

23. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes. Il argue que le requérant aurait pu introduire une action en dommages et intérêts en vertu de l’article 2, alinéa 1, point 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, dans sa version applicable avant 2012, ainsi qu’une action en vertu de l’article 2, alinéa 1, point 2 de la même loi, dans sa version en vigueur après 2012.

24. Le requérant répond qu’à l’époque des faits, le droit interne ne prévoyait aucun recours propre à redresser le grief qu’il avait formulé sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention. Il ajoute que le recours prévu par l’article 2, alinéa 1, point 2 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage a été introduit en 2012, c’est-à-dire deux ans après les faits dont il se plaint.

2. Appréciation de la Cour

25. La Cour rappelle que l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, sauf exceptions, à la date d’introduction de la requête devant elle (Baumann c. France, no 33592/96, § 47, CEDH 2001-V (extraits)).

26. La Cour a déjà examiné la question de savoir si l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, dans sa version en vigueur avant 2012, constituait une voie de recours interne effective pour se plaindre d’une comparution tardive devant un tribunal dans des circonstances relativement similaires à celles de l’espèce. Dans son arrêt Gutsanovi c. Bulgarie (no 34529/10, § 141, CEDH 2013), elle a observé qu’en l’absence d’une décision formelle des tribunaux ayant constaté l’illégalité de la détention, et tant que la procédure pénale contre le requérant était pendante, l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage ne trouvait pas à s’appliquer.

27. En l’espèce, force est de constater que, comme dans l’affaire Gutsanovi précitée, les autorités internes ont toujours considéré que la détention du requérant était légale (paragraphes 16 et 17 ci-dessus). Qui plus est, à la date d’introduction de la requête, le 9 décembre 2010, la procédure pénale en cause était toujours pendante et se trouvait au stade de l’instruction préliminaire (paragraphe 18 ci-dessus). La Cour considère dès lors que contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, l’action en dommages et intérêts prévue à l’article 2, alinéa 1, point 1 de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage, dans sa version en vigueur avant 2012, ne saurait constituer une voie de recours interne effective en l’espèce.

28. Sur le deuxième volet de l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement, qui consiste à dire que le requérant pouvait introduire une action sur le fondement de l’article 2, alinéa 1, point 2 de la même loi dans sa nouvelle rédaction, la Cour observe que depuis la réforme législative de 2012, cette disposition prévoit la possibilité pour les justiciables d’invoquer directement l’article 5 § 3 de la Convention dans le cadre d’une action en dommages et intérêts contre l’État. Dans deux décisions (Kolev c. Bulgarie (déc.), no 69591/14, §§ 32-42, 30 mai 2017, et Tsonev c. Bulgarie (déc.), no 9662/13, §§ 52-70, 30 mai 2017), la Cour a admis qu’avant de déposer leurs requêtes respectives, les requérants auraient dû introduire le recours que de nouvelles dispositions légales avaient créé. De toute évidence, la situation du requérant dans la présente espèce diffère de celle des requérants dans ces deux décisions, mais est identique à celle du requérant dans l’arrêt Toni Kostadinov c. Bulgarie (no 37124/10, § 70, 27 janvier 2015). En effet, le nouveau recours a été introduit dans le droit interne deux ans après la fin de la détention du requérant et la loi ne prévoit pas de manière expresse son application dans des cas, comme celui en l’espèce, où les faits donnant lieu à la violation alléguée de l’article 5 précèdent l’entrée en vigueur de la nouvelle rédaction de l’article 2, alinéa 1 de la loi. Par conséquent, son introduction est sans incidence sur la recevabilité du grief que le requérant a formulé sur le terrain de l’article 5 § 3 de la Convention.

29. Il convient donc de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.

30. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

31. Le requérant expose qu’il a été détenu pendant vingt-quatre heures sur ordre de la police, puis pendant soixante-douze heures supplémentaires sur ordre du parquet. Il indique que sa détention a été ordonnée sans qu’il fût certain qu’il serait traduit devant un juge. Par conséquent, il estime qu’elle ne poursuivait aucun but légitime. Il ajoute qu’il n’a pas été traduit devant un juge et qu’il n’a pas été libéré en temps utile. Pour ces raisons, il plaide que sa détention n’a pas été conforme à l’article 5 § 3 de la Convention.

32. Le Gouvernement soutient que le requérant a été promptement libéré et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention en l’espèce. Il considère que la durée totale de la détention de l’intéressé, quatre jours, n’apparaît pas comme excessive. Il estime qu’il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle de nature à justifier une présentation plus rapide du requérant devant un juge. Il avance à l’appui de cet argument que l’intéressé n’était pas mineur, qu’il n’était pas privé de l’assistance d’un avocat et qu’il n’y a eu aucun recours à la force pendant son arrestation. Il estime qu’au contraire, les circonstances justifiaient son maintien en détention pendant quatre jours. Il soutient en effet que les preuves recueillies au cours de cette période par les organes chargés de l’enquête, à savoir les dépositions de quelques témoins, dont celles de deux proches collaborateurs du requérant à la mairie de Sadovo, ont permis au parquet d’arriver à la conclusion qu’il n’y avait pas lieu de solliciter son placement en détention et qu’il convenait d’ordonner sa remise en liberté.

33. Le Gouvernement soutient enfin qu’il y a lieu de distinguer le cas d’espèce de l’affaire Zvezdev c. Bulgarie (no 47719/07, 7 janvier 2010). Il estime en effet que, contrairement à l’affaire en question, le placement en détention du requérant ordonné par la police et celui ordonné par le parquet l’ont été dans le cadre de deux enquêtes pénales parallèles mais distinctes, et non dans le cadre de la même procédure pénale. Il affirme également qu’il existe désormais des voies de recours propres à éviter le cumul de périodes de détention répétées et à réparer tout préjudice susceptible d’en résulter.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

34. La Cour rappelle que l’article 5 § 3 garantit à chaque personne détenue au motif qu’on la soupçonne d’avoir commis une infraction pénale le droit d’être traduite rapidement devant un tribunal, ou un autre organe compétent présentant des garanties similaires, afin que celui-ci puisse effectuer un contrôle sur la légalité de la détention en question. Si la célérité de pareille procédure doit s’apprécier dans chaque cas suivant les circonstances de chaque cause, il n’en reste pas moins qu’en interprétant et en appliquant la notion de promptitude on ne peut témoigner de souplesse qu’à un degré très faible (Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 48, CEDH 1999-III).

35. Le fait qu’un détenu ne soit pas accusé ou traduit devant un tribunal ne méconnaît pas en lui-même la première partie de l’article 5 § 3. Il ne saurait y avoir une telle violation si l’intéressé recouvre sa liberté « aussitôt » avant qu’un contrôle judiciaire de la détention ait pu se réaliser (De Jong, Baljet et Van den Brink c. Pays-Bas, 22 mai 1984, § 52, série A no 77). Toutefois, si l’élargissement n’a pas lieu « aussitôt », la personne arrêtée a le droit de comparaître rapidement devant un juge ou un « autre magistrat » judiciaire (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, § 58, série A no 145-B).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

36. Dans la présente affaire, le requérant fut placé en détention le 30 juin 2010. Cette mesure fut ordonnée par la police dans le cadre de l’enquête pénale qui le visait et portait sur des soupçons d’abus de pouvoir (paragraphes 6 et 10 ci-dessus). Le lendemain, il fut placé en détention par le parquet pendant une durée de soixante-douze heures dans le cadre de la procédure pénale no 8/09, qui portait sur des soupçons de corruption passive (paragraphes 5 et 12 ci-dessus). Le Gouvernement a expressément évoqué le fait que les placements en détention du requérant ont eu lieu dans deux enquêtes parallèles mais distinctes pour établir une distinction entre la situation du requérant et celle observée dans l’affaire Zvezdev, précitée, dans laquelle la Cour avait jugé que le cumul de ces deux types de détention dans la même procédure était incompatible avec l’article 5 § 3 de la Convention (paragraphe 33 ci-dessus).

37. Force est de constater que même si les deux mesures en cause ont été formellement ordonnées dans le cadre de deux procédures pénales distinctes, les circonstances spécifiques de l’espèce font apparaître qu’il s’agissait en fait d’une seule et même période de détention. La Cour observe à cet égard que la décision de la police de placer le requérant en détention dans le cadre de l’enquête sur des allégations d’abus de pouvoir a été prise pendant que le requérant assistait à la perquisition de son bureau décidée dans le cadre de l’enquête pénale sur les soupçons de corruption passive qui pesaient sur lui (paragraphes 7 et 10 ci-dessus). À l’expiration de ces vingt‑quatre premières heures de détention, l’intéressé n’a pas été remis en liberté mais il a aussitôt été conduit au service de l’instruction de Plovdiv, où il a été inculpé du chef de corruption et détenu pour soixante-douze heures supplémentaires (paragraphe 12 ci-dessus). Il apparaît que toutes les mesures d’enquête qui ont été accomplies par la suite concernaient uniquement l’enquête pénale sur les allégations de corruption passive et non celle sur les allégations d’abus de pouvoir (paragraphes 13 et 14 ci-dessus). Ces constats sont autant d’éléments qui permettent à la Cour de conclure que les mesures en cause procédaient d’une démarche des autorités dont le but était, pour les besoins de l’enquête sur les soupçons de corruption passive, de maintenir le requérant en détention le plus longtemps possible sans le présenter à un juge.

38. Le requérant ne fut pas traduit devant un juge et il fut libéré le 4 juillet 2010, quatre jours après son arrestation, au motif que le parquet n’estimait pas nécessaire de demander sa détention provisoire, le versement d’une caution pouvant suffire à assurer la comparution de l’intéressé à l’audience (paragraphe 13 ci-dessus). La question de savoir s’il a été libéré « aussitôt » au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (paragraphe 35 ci‑dessus) se pose donc.

39. La Cour constate que le requérant a été remis en liberté principalement parce que le parquet régional a conclu à l’absence de tout risque de fuite ou de commission de nouvelles infractions (paragraphe 13 ci‑dessus). Elle relève en outre que sa libération n’a été ordonnée qu’à la fin de la durée maximale de détention autorisée par le droit interne avant comparution devant un tribunal (paragraphe 21 ci-dessus, avec les références qui y sont citées).

40. Le Gouvernement insiste sur le fait que les mesures d’instruction prises au cours de cette période ont permis de dissiper les doutes quant à l’existence d’un tel risque, et que c’est pour cette raison que le parquet a ordonné la libération du requérant (paragraphe 32 ci-dessus). Il renvoie aux dépositions de quelques témoins, y compris celles de deux proches collaborateurs du requérant à la mairie de Sadovo (ibidem), sans en communiquer à la Cour les procès-verbaux et sans préciser les dates auxquelles les auditions ont eu lieu.

41. La Cour observe pour sa part qu’il ressort des pièces du dossier dont elle dispose qu’à la date du 5 juillet 2010, c’est-à-dire au lendemain de la libération du requérant, les subordonnés de l’intéressé à la mairie n’avaient pas encore été entendus (paragraphe 14 ci-dessus). Elle relève en outre que les autres mesures d’instruction exécutées par les organes chargés de l’enquête pendant la détention du requérant ont eu lieu au cours des vingt‑six premières heures ayant suivi son arrestation (paragraphes 7-12 ci‑dessus). Elle constate ainsi que les éléments sur lesquels le parquet a fondé sa décision de libérer le requérant se trouvaient déjà en sa possession le 1er juillet 2010.

42. La Cour admet que les organes chargés de l’enquête ont pu prendre un certain temps pour analyser les preuves recueillies au cours des premières heures qui ont suivi l’arrestation de l’intéressé. Elle note cependant que le Gouvernement n’a invoqué aucune circonstance de nature à justifier le fait que le requérant n’ait été libéré que trois jours plus tard.

43. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, le requérant n’a pas été libéré « aussitôt », comme le veut l’article 5 § 3.

44. Partant, il y a eu violation de cette disposition de la Convention.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

45. Le requérant se plaint d’une absence de recours en droit interne pour contester la légalité de sa détention ordonnée par le parquet. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1. Sur la recevabilité

46. Le Gouvernement soutient que le requérant a été libéré rapidement. Il considère que, dans cette situation, la Cour n’a pas à rechercher in abstracto si, dans le cas contraire, l’étendue des recours disponibles en Bulgarie aurait rempli ou non les conditions de l’article 5 § 4 de la Convention. En tout état de cause, le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, car il aurait pu saisir le tribunal pénal de première instance d’un grief fondé sur l’article 5 § 4 de la Convention et lui demander d’examiner la légalité de sa détention ordonnée par le parquet. Il argue que même s’il existait à cette époque une divergence dans la jurisprudence interne quant à la recevabilité d’un tel recours, l’intéressé aurait dû porter ses doléances devant les tribunaux internes avant de saisir la Cour. À l’appui de cet argument, il renvoie à trois décisions, rendues par deux juridictions pénale distinctes en 2015 et 2018 respectivement, dans lesquelles les juges ont accepté d’examiner sur le fondement de l’application directe de l’article 5 § 4 de la Convention la légalité de la détention ordonnée par le parquet.

47. Concernant les recours introduits par le requérant après sa libération, le Gouvernement estime, en renvoyant à l’arrêt Slivenko c. Lettonie ([GC], no 48321/99, § 158, CEDH 2003-X), que l’article 5 § 4 ne trouvait pas à s’appliquer.

48. Le requérant répond qu’à l’époque des faits, la jurisprudence des juridictions internes était très contradictoire en ce qui concerne la question de savoir si les détenus pouvaient faire contrôler, sur la base de l’article 5 § 4 de la Convention, la légalité et la nécessité d’un placement en détention ordonné par un procureur. Il soutient cependant que l’approche qui prévalait, et qui d’après lui a persisté depuis, consistait à déclarer les recours de cette nature irrecevables au motif qu’ils n’étaient prévus par aucune disposition du CPP. Il allègue en outre que même lorsque les tribunaux acceptaient d’examiner pareil recours, ils repoussaient cet examen pour qu’il eût lieu postérieurement à leur décision sur le placement en détention provisoire, le rendant par là même ineffectif faute de pouvoir aboutir à la libération immédiate du détenu en cas de constat d’illégalité ou d’absence de nécessité de la détention ordonnée par le parquet.

49. La Cour constate que les questions concernant l’existence et l’effectivité du recours invoqué par le Gouvernement sont étroitement liées au fond du grief soulevé par le requérant et elle estime donc qu’il y a lieu de les joindre à l’examen de celui-ci.

50. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

51. La Cour observe qu’à la différence des requérantes dans l’arrêt Slivenko (précité, § 158), le requérant dans la présente affaire a été maintenu en détention pendant quatre jours. Qui plus est, au cours de cette période il n’a pas été traduit devant un magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, ce qui a amené la Cour à constater une violation de l’article 5 § 3 de la Convention (paragraphes 36-44 ci-dessus). Dans ces circonstances la Cour n’accepte pas que le requérant a été libéré rapidement et elle estime donc qu’il est nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si l’intéressé avait à sa disposition un recours propre à lui permettre de faire contrôler la légalité et la nécessité de sa détention, comme l’exige l’article 5 § 4 de la Convention.

52. Force est de constater qu’aucune disposition du CPP ne prévoit expressément l’existence d’un tel recours judiciaire propre à répondre aux critères d’effectivité tirés de l’article 5 § 4 et établis dans la jurisprudence de la Cour (paragraphe 21 ci-dessus, avec les références qui y sont citées).

53. Il ressort des observations et des documents présentés par les parties qu’en différentes occasions, certaines juridictions internes ont accepté d’examiner, en appliquant directement l’article 5 § 4 de la Convention, la légalité et la nécessité de détentions qui avaient été ordonnées par le parquet. Il apparaît que le Gouvernement n’a présenté que des décisions postérieures à 2015 et qu’il a admis qu’à l’époque des faits pertinents en l’espèce il existait une jurisprudence interne contradictoire sur cette question (paragraphe 46 ci-dessus). Par ailleurs, la décision rendue le 18 octobre 2010 dans la présente affaire par la cour d’appel de Plovdiv (paragraphe 16 ci‑dessus) montre qu’il existait une ligne de jurisprudence qui excluait toute possibilité de contrôle de cette détention par les tribunaux. La Cour rappelle également sa jurisprudence élaborée dans le cadre de l’épuisement des voies de recours internes, selon laquelle l’effectivité d’un recours s’apprécie, sauf exceptions, à la date d’introduction de la requête devant elle (Baumann, précité, § 47). Dans ces conditions, la Cour ne saurait conclure à l’existence, à l’époque des faits, d’un recours suffisamment établi de nature à permettre au requérant de contester devant les juridictions internes la légalité et la nécessité de sa détention.

54. Partant, il y a lieu de rejeter l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement et de conclure à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

55. Enfin, le requérant voit dans la perquisition de son bureau une ingérence injustifiée dans l’exercice par lui de son droit au respect de sa vie privée. Il invoque l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties

56. Le Gouvernement soutient que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il estime que l’intéressé aurait pu formuler des objections au cours de la perquisition de son bureau et contester en justice, dans le cadre de la procédure pénale, la recevabilité des preuves ainsi recueillies. Il considère également que le requérant aurait pu introduire une action en dédommagement en vertu des articles 45 et 49 de la loi sur les obligations et les contrats, qui régissaient la responsabilité civile délictuelle, en vue d’obtenir le versement d’une indemnité en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi du fait de la perquisition. Il renvoie à cet égard à sept décisions rendues par différents juridictions internes entre 2010 et 2018, dont deux arrêts de la Cour suprême de cassation.

57. Le requérant répond que les objections qu’il entendait soulever contre la perquisition de son bureau ont été notées dans le procès-verbal qui fut dressé à cette occasion par les organes de l’enquête (paragraphe 8 ci‑dessus). Sur la question de la possibilité qui lui aurait été offerte de contester la recevabilité des preuves obtenues au cours de la procédure pénale, il argue que la question de la recevabilité ou non de telle ou telle preuve était examinée d’office par les juridictions internes et non à l’initiative du prévenu. En ce qui concerne l’action en dédommagement en vertu de la loi sur les obligations et les contrats, il soutient qu’il était question non pas d’une activité administrative mais d’une mesure d’enquête menée dans le cadre d’une procédure pénale, et que cette loi n’était donc pas applicable en l’espèce. Il considère qu’en vertu de la jurisprudence constante de la Cour suprême de cassation, les policiers ont en réalité agi sous le contrôle des organes de poursuites pénales, et que leur responsabilité délictuelle ne pouvait donc pas être engagée. Il soutient que le manquement principal en cause ne concernait pas le comportement des policiers lors de la perquisition, mais le fait que cette mesure ait été exécutée en l’absence d’une autorisation préalable et d’un contrôle a posteriori effectif. Il ajoute que les juridictions internes n’ont donné gain de cause aux demandeurs dans aucune des décisions citées par le Gouvernement.

2. Appréciation de la Cour

58. En ce qui concerne le premier volet de l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement, la Cour constate que le requérant a émis des objections concernant la nécessité de la perquisition de son bureau, et que celles-ci ont été consignées au procès-verbal dressé à cette occasion par les policiers (paragraphe 8 ci-dessus).

59. Concernant son deuxième volet, la Cour observe que le requérant n’aurait eu la possibilité de contester devant les juridictions internes la recevabilité des preuves ainsi recueillies qu’après l’ouverture de la phase judiciaire de la procédure pénale. Or, au moment de l’introduction de sa requête, c’est-à-dire le 9 décembre 2010, date à laquelle il y a lieu de se placer pour apprécier la disponibilité d’un recours interne aux fins de l’épuisement des voies de recours internes (paragraphe 25 ci-dessus), les poursuites pénales contre l’intéressé en étaient encore au stade de l’enquête (paragraphe 18 ci-dessus). Partant, cet argument du Gouvernement est inopérant dans le cas d’espèce.

60. Sur le troisième volet, la Cour rappelle que dans son arrêt Posevini c. Bulgarie (no 63638/14, §§ 85 in fine et 86, 19 janvier 2017), elle a examiné la même question sous l’angle de l’article 13 de la Convention et a constaté qu’une action en dédommagement introduite en vertu des articles 45 et 49 de la loi sur les obligations et les contrats ne permettait pas aux particuliers de faire valoir leurs droits protégés par l’article 8 parce que les tribunaux civils étaient très réticents à remettre en cause les décisions des organes de l’enquête et des juridictions pénales d’autoriser des perquisitions. La Cour estime que ces mêmes considérations s’appliquent dans le cas d’espèce et qu’il y a donc lieu de rejeter cet argument du Gouvernement.

61. Pour ces motifs, la Cour rejette l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

62. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

63. Le requérant soutient que la perquisition de son bureau s’analyse en une ingérence injustifiée dans l’exercice par lui de son droit au respect de sa vie privée. Il argue d’une part qu’aucun juge n’avait délivré d’autorisation préalable et que la situation n’était pas urgente, et d’autre part que cette mesure était contraire à la législation interne. Il ajoute que le contrôle judiciaire a posteriori qui a été effectué de cette mesure n’a pas été effectif, le tribunal compétent ayant selon lui omis de motiver sa conclusion selon laquelle il y avait urgence à mener la perquisition en question sans l’autorisation d’un juge (paragraphe 9 ci-dessus). Il considère que l’absence d’un tel contrôle effectif était d’autant plus grave que les policiers n’avaient pas précisé quels étaient les documents et les objets liés à l’enquête pénale qu’ils cherchaient et que lui-même n’était pas assisté par un avocat lorsque son bureau avait été perquisitionné.

64. Le Gouvernement reconnaît que la perquisition en cause s’analyse en une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie privée. Il soutient cependant qu’elle était « prévue par la loi », poursuivait un but légitime et était proportionnée à ce but, et qu’elle était donc justifiée. Il indique en particulier que la perquisition a été approuvée a posteriori par un juge, comme l’exigeait selon lui le droit interne, qu’elle avait pour but de rassembler des preuves dans le cadre d’une procédure pénale relative à des faits de corruption, que les moyens employés à cet effet n’ont pas dépassé le strict nécessaire et que les garanties contre l’arbitraire ont été respectées.

2. Appréciation de la Cour

65. La Cour estime qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie privée : son bureau a été perquisitionné et les responsables de l’enquête pénale y ont découvert et saisi une somme d’argent qui lui appartenait (paragraphe 7 ci-dessus).

66. Elle observe que le cas d’espèce concerne une perquisition menée sans autorisation préalable d’un juge. Or le CPP bulgare autorise ce type de perquisitions uniquement dans les cas urgents où il existe un danger d’altération de preuves et sous condition de l’approbation a posteriori par un juge (Gutsanovi, précité, § 221). Ainsi qu’elle l’a fait dans d’autres affaires relativement similaires (voir Gutsanovi, précité, §§ 222-226, et Govedarski c. Bulgarie, no 34957/12, §§ 83-88, 16 février 2016), la Cour doit donc rechercher si ce contrôle a été opéré de manière effective afin de déterminer si le droit interne offrait des garanties suffisantes contre l’arbitraire.

67. La Cour constate que comme dans l’affaire Govedarski (précitée, § 85), le juge a simplement déclaré dans sa décision d’approbation de la mesure en question que la situation en cause était urgente, sans exposer aucun argument particulier à l’appui de ce constat (paragraphe 9 ci-dessus). Elle considère donc qu’il n’a pas été démontré que le magistrat du siège ait exercé un contrôle effectif sur la légalité et la nécessité de la mesure contestée.

68. La Cour estime que le contrôle effectif de la légalité et de la nécessité de cette mesure d’instruction était d’autant plus nécessaire que d’une part, le requérant n’avait à aucun moment avant son exécution été informé concrètement du type d’objets liés à l’enquête pénale que les enquêteurs cherchaient à découvrir et à saisir à son bureau, et que, d’autre part, l’enquête pénale en cause avait commencé plusieurs mois auparavant, ce qui pose la question de savoir si les organes de l’enquête n’auraient pas pu solliciter un mandat judiciaire avant de procéder à la perquisition litigieuse (paragraphes 5 et 7 ci-dessus ; voir également, mutatis mutandis, Govedarski, précitée, § 86).

69. Les considérations qui précèdent sont suffisantes pour permettre à la Cour de conclure que le requérant a été privé de la protection contre l’arbitraire que lui conférait le principe de la prééminence du droit dans une société démocratique. L’ingérence dans l’exercice par lui de son droit au respect de sa vie privée n’était donc pas « prévue par la loi » au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

70. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

71. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

72. Le requérant demande 25 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

73. Le Gouvernement conteste cette prétention et considère que la somme demandée est exorbitante et injustifiée.

74. La Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 9 750 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

2. Frais et dépens

75. Le requérant réclame 2 150 EUR pour les frais d’avocat engagés par lui devant la Cour et 500 BGN (environ 255 EUR) pour les frais de traduction exposés par lui au cours de la même procédure.

76. Le Gouvernement estime que les sommes demandées sont excessives et partiellement dépourvues d’éléments justificatifs.

77. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 2 405 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

3. Intérêts moratoires

78. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond du grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention l’exception préliminaire du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;
6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares au taux applicable à la date du règlement :

1. 9 750 EUR (neuf mille sept cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 2 405 EUR (deux mille quatre cent cinq euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 13 octobre 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea TamiettiFaris Vehabović
GreffierPrésident


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award