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16/07/2020 | CEDH | N°001-203565

CEDH | CEDH, AFFAIRE D c. FRANCE, 2020, 001-203565


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE D c. FRANCE

(Requête no 11288/18)

ARRÊT

Art 8 • Respect de la vie privée • Obligation d’emprunter la voie de l’adoption pour la reconnaissance du lien de filiation maternel des enfants nés par gestation pour autrui (GPA) • Absence d’atteinte disproportionnée aux droits de l’enfant requérante, eu égard à la célérité raisonnable des procédures d’adoption plénière de l’enfant du conjoint (4 mois en moyenne) • Considération valable nonobstant le fait que la mère d’intention soit aussi la mère génétique<

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CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE D c. FRANCE

(Requête no 11288/18)

ARRÊT

Art 8 • Respect de la vie privée • Obligation d’emprunter la voie de l’adoption pour la reconnaissance du lien de filiation maternel des enfants nés par gestation pour autrui (GPA) • Absence d’atteinte disproportionnée aux droits de l’enfant requérante, eu égard à la célérité raisonnable des procédures d’adoption plénière de l’enfant du conjoint (4 mois en moyenne) • Considération valable nonobstant le fait que la mère d’intention soit aussi la mère génétique

Art 14 (+ Art 8) • Discrimination • Différence de traitement justifiée de manière objective et raisonnable • Examen de la Cour limité à l’angle de comparaison soulevé par les requérants (enfants français nés à l’étranger d’une GPA/autres enfants français nés à l’étranger)

STRASBOURG

16 juillet 2020

DÉFINITIF

16/10/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire D c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Síofra O’Leary, President,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Mārtiņš Mits,
Lado Chanturia,
Anja Seibert-Fohr, judges,
et de Victor Soloveytchik, greffier adjoint de section,

Vu :

la requête (no 11288/18) dirigée contre la République française et dont trois ressortissants de cet État, Mme D (la « première requérante »), M. D (le « deuxième requérant » et ensemble, les « premiers requérants ») et Mlle D (la « troisième requérante ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 2 mars 2018,

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),

la décision de ne pas dévoiler l’identité des requérants,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 juin 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

L’affaire concerne le rejet de la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui pour autant qu’il désigne la mère d’intention comme étant sa mère, celle-ci étant sa mère génétique. Les requérants (l’enfant et les parents d’intention) dénoncent une violation du droit au respect de la vie privée de l’enfant ainsi qu’une discrimination fondée sur « la naissance » dans sa jouissance de ce droit. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention.

EN FAIT

1. Les requérants sont nés en 1972, 1957 et 2012 respectivement et résident à Canet en Roussillon. Ils sont représentés par Me Caroline Mécary, avocate à Paris.

2. Le gouvernement français est représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

3. Les deux premiers requérants se sont mariés en France en 2008.

4. La troisième requérante est née en Ukraine en septembre 2012 par un processus de gestation pour autrui. Établi le 3 octobre 2012 à Kiev, son acte de naissance indique que la première requérante est sa mère et que le deuxième requérant est son père. Il ne mentionne pas la femme qui a accouché d’elle.

5. Le 20 septembre 2014, les deux premiers requérants adressèrent à l’ambassade de France à Kiev une demande tendant à la transcription de l’acte de naissance sur les registres français de l’état civil.

6. Le 1er octobre 2014, la consule adjointe leur répondit qu’« en raison du caractère particulier de ce dossier », elle avait décidé de surseoir à la transcription et à l’établissement du livret de famille, et avisé le procureur de la République de Nantes. Ce dernier informa les deux premiers requérants le 13 novembre 2014 que, dans l’attente d’instructions écrites du ministère de la justice concernant les suites des arrêts de la Cour dans les affaires Mennesson c. France (no 65192/11, CEDH 2014 (extraits)) et Labassee c. France (no 65941/11, 26 juin 2014), tous les dossiers concernant des gestations pour autrui étaient suspendus.

7. Le 10 novembre 2015, le procureur de la République leur adressa la lettre suivante :

« (...) Dès lors que [l’arrêt de] la Cour de cassation du 3 juillet 2015 subordonne la transcription d’un acte d’état civil à sa conformité à l’article 47 du code civil, je suis au regret de ne pas pouvoir faire droit à cette demande dès lors que l’acte ukrainien désigne Madame D comme mère ce qui est contraire à la réalité, puisqu’elle n’a pas accouché.

Dans ces conditions, si vous persistez dans votre demande, seule une assignation de mon parquet devant le tribunal de grande instance de Nantes est susceptible d’autoriser cette transcription, cette procédure nécessite le recours obligatoire à un avocat (...) »

8. Le 27 janvier 2016, les premiers requérants, invoquant notamment les articles 8 et 14 de la Convention, firent assigner le procureur de la République devant le tribunal de grande instance de Nantes aux fins de voir ordonner la transcription de l’acte de naissance de la troisième requérante sur les registres de l’état civil.

9. Le tribunal de grande instance de Nantes fit droit à cette demande par un jugement du 12 janvier 2017. Il rappela qu’il résultait de l’article 47 du code civil que l’acte de naissance concernant un français, dressé en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays, devait être transcrit sur les registres de l’état civil sauf si d’autres éléments établissent qu’il est irrégulier ou falsifié, ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Il constata que la régularité formelle de l’acte de naissance de la troisième requérante n’était pas contestée, l’acte étant régulièrement apostillé conformément à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961. Il releva de plus qu’il résultait notamment de l’article 123 du code ukrainien de la famille que, « si un ovule conçu par les conjoints est implanté à une autre femme, les époux sont parents de l’enfant » (Sic). Il souligna en outre que le fait que la naissance de l’enfant est la suite de la conclusion par les parents d’une convention de gestation pour autrui prohibée par l’article 16-7 du code civil ne faisait pas obstacle à la reconnaissance en France du lien de filiation qui en résultait, et ce dans l’intérêt de l’enfant, qui ne peut se voir opposer les conditions de sa condition et de sa naissance. Le tribunal nota ensuite qu’il n’était pas contesté que le deuxième requérant était le père biologique de l’enfant. Il souligna que le fait que l’acte de naissance indiquait que la première requérante était la mère alors qu’elle n’avait pas accouché ne saurait, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant tel que déterminé par la Cour européenne des droits de l’homme, justifier le refus de reconnaissance de cette filiation maternelle, qui était « la seule juridiquement reconnue comme régulièrement établie dans le pays de naissance » et qui correspondait donc à la réalité juridique. Il constata ensuite qu’il n’était ni établi ni soutenu que l’acte de naissance avait été dressé en fraude de la loi ukrainienne, qu’il n’était pas justifié que l’enfant disposerait d’une filiation régulièrement établie dont les énonciations contrediraient celles figurant dans l’acte de naissance apostillé, et que le ministère public ne rapportait donc pas la preuve que cet acte n’était pas conforme à la réalité au sens de l’article 47 du code civil.

10. Par un arrêt du 18 décembre 2017, la cour d’appel de Rennes confirma le jugement du 12 janvier 2017 en ce qu’il faisait droit à la demande de transcription de l’acte de naissance au titre de la filiation paternelle. Elle l’infirma en revanche en ce qu’il y faisait droit au titre de la filiation maternelle. L’arrêt est rédigé comme il suit :

« (...) Concernant la désignation de la mère dans l’acte de naissance, la réalité au sens [de l’article 47 du code civil], est la réalité de l’accouchement ;

En effet, si le droit opère transformation du réel au sens [de cette disposition], le droit positif n’autorise une dérogation au principe mater semper certa est que dans le cas expressément limité prévu par le législateur, en matière d’adoption plénière (article 356 alinéa 1er du code civil), permettant ainsi de désigner valablement comme mère la femme adoptive qui n’a pas accouché ;

Le recours à une convention de mère porteuse consentie à l’étranger s’oppose à ce qu’un mécanisme de substitution soit opéré, de façon à ce que le nom de la mère d’intention qui n’a pas accouché, soit porté dans l’acte de naissance comme mère légale, du fait du rattachement de la maternité avec l’acte charnel d’accouchement, la réalité au sens de l’article précité correspondant à la réalité matérielle et factuelle et non à la réalité juridique, en l’absence de statut juridique conféré à la maternité d’intention ;

En l’espèce les époux D ne contestent pas avoir eu recours à une convention de gestation pour autrui à l’étranger, que Mme D n’a pas accouché de l’enfant, si bien que l’acte de naissance dressé à l’étranger, n’est pas conforme à la réalité en ce qu’il la désigne comme mère, de sorte qu’il n’est pas probant et ne peut, s’agissant de cette désignation, être transcrit sur les registres de l’état civil français ;

Le jugement déféré sera infirmé en ce qu’il a dit que le ministère public ne rapporte pas la preuve que l’acte litigieux n’est pas conforme à la réalité au sens de l’article 47 du code civil, s’agissant de la désignation de Mme D comme mère de l’enfant ;

S’agissant du droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, garanti par l’article 8 de la Convention (...), le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil ;

Le refus de transcription ne crée pas de discrimination injustifiée en raison de la naissance et ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de l’enfant, au regard du but légitime poursuivi ; en effet, l’accueil de l’enfant au sein du foyer constitué par son père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, et l’adoption permet, si les conditions légales sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre l’enfant et l’épouse de son père ;

Concernant la désignation du père dans l’acte de naissance, la cour étant saisie d’une action aux fins de transcription d’un acte de l’état civil étranger et non d’une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, il y a lieu de constater que l’acte de naissance n’est ni irrégulier, ni falsifié, que l’acte de naissance est régulier en la forme, traduit et apostillé par les autorités compétentes, que le ministère public ne rapporte la preuve d’aucun élément de nature à remettre en cause la force probante de l’acte d’état civil par application de l’article 47 du code civil, ce texte instituant une présomption d’exactitude des mentions de l’état civil établi à l’étranger et d’opposabilité directe de l’acte étranger, sauf en cas de fraude, ce qui n’est pas établi et en l’absence de données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même qui établissent que M. D n’est pas le père ;

Il en résulte que les faits qui y sont déclarés correspondent à la réalité, s’agissant de la désignation de M. D en qualité de père, si bien que la convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription partielle dudit acte de naissance s’agissant de la filiation paternelle de l’enfant (...) »

11. Les requérants ne se pourvurent pas en cassation.

12. Le 12 septembre 2019, répondant à une demande de renseignements de la présidente de la chambre (article 54 § 2 a) du règlement de la Cour), les requérants ont informé la Cour que la première requérante était la mère génétique de la troisième requérante.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

I. L’ARTICLE 47 DU CODE CIVIL

13. L’article 47 du code civil est ainsi rédigé :

« Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

II. L’INTERDICTION DE LA GESTATION POUR AUTRUI EN DROIT FRANÇAIS

14. Les articles 16-7 et 16-9 du code civil (créés par loi no 94-653 du 29 juillet 1994) sont ainsi libellés :

Article 16-7

« Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle. »

Article 16-9

« Les dispositions du présent chapitre sont d’ordre public. »

III. LE DROIT POSITIF RELATIF À LA RECONNAISSANCE DU LIEN DE FILIATION ENTRE UN ENFANT NÉ À L’ETRANGER D’UNE GESTATION POUR AUTRUI ET LA MÈRE D’INTENTION

15. En 2014, lorsque les requérants ont fait une demande dans ce sens, le droit positif français ne permettait pas la reconnaissance ou l’établissement d’un lien de filiation entre les enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui et les parents d’intention, que ce soit par la transcription sur les registres français de l’état civil de leur acte de naissance étranger, la reconnaissance de paternité, l’adoption ou la possession d’état. La Cour de cassation retenait en effet qu’il était contraire au principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, principe essentiel du droit français, de faire produire effet à une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, une telle convention étant nulle d’une nullité d’ordre public aux termes des articles 16-7 et 16-9 du code civil (voir Mennesson précité ; Labassee précité, §§ 17, 24-25 et 79, et Foulon et Bouvet c. France, nos 9063/14 et 10410/14, §§ 17 et 32, 21 juillet 2016).

16. Comme elle l’a relevé dans l’avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention [GC] (demande no P16-2018-001, Cour de cassation française, § 14, 10 avril 2019), la jurisprudence de la Cour de cassation a évolué à la suite des arrêts précités rendus par la Cour entre 2014 et 2016.

17. La Cour de cassation a en effet retenu le 5 juillet 2017 que la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance étranger d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger était possible pour autant qu’il désigne comme père le père biologique, mais pas pour autant que l’acte de naissance étranger désigne comme mère la mère d’intention, dès lors qu’il ne s’agit pas de la femme qui a accouché de l’enfant concerné (Civ. 1re, 5 juillet 2017, nos 824 (15-28.597) et 825 (16‑16.901 et 16-50.005)). Elle a toutefois jugé que l’enfant né à l’étranger à la suite d’une gestation pour autrui peut être adopté par la conjointe ou le conjoint du père biologique (Civ. 1re, 5 juill. 2017, nos 824 (15-28.597), 825 (16-16.901 et 16-50.005) et 826 (16‑16.455)).

18. Sur ce point les arrêts nos 824 et 825 sont ainsi rédigés :

« (...) Attendu qu’aux termes de l’article 8 de la Convention (...) ;

Attendu que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention, lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, résulte de la loi et poursuit un but légitime en ce qu’il tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, prohibée par les articles 16-7 et 16‑9 du code civil ;

Attendu que ce refus de transcription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, au regard du but légitime poursuivi ; qu’en effet, d’abord, l’accueil des enfants au sein du foyer constitué par leur père et son épouse n’est pas remis en cause par les autorités françaises, qui délivrent des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui à l’étranger ; qu’ensuite, en considération de l’intérêt supérieur des enfants déjà nés, le recours à la gestation pour autrui ne fait plus obstacle à la transcription d’un acte de naissance étranger, lorsque les conditions de l’article 47 du code civil sont remplies, ni à l’établissement de la filiation paternelle ; qu’enfin, l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre les enfants et l’épouse de leur père (...) ».

19. Sur ce même point l’arrêt no 826 est libellé comme il suit :

« (...) Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption simple, l’arrêt retient que la naissance de l’enfant résulte d’une violation, par M. Y..., des dispositions de l’article 16-7 du code civil, aux termes duquel toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle d’une nullité d’ordre public ; Qu’en statuant ainsi, alors que le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

(...) Attendu, selon [l’article 348 du code civil], que lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard de son père et de sa mère, ceux-ci doivent consentir l’un et l’autre à l’adoption ;

Attendu que, pour rejeter la demande d’adoption, l’arrêt retient encore que le consentement initial de [la mère génétique], dépourvu de toute dimension maternelle subjective ou psychique, prive de portée juridique son consentement ultérieur à l’adoption de l’enfant dont elle a accouché, un tel consentement ne pouvant s’entendre que comme celui d’une mère à renoncer symboliquement et juridiquement à sa maternité dans toutes ses composantes et, en particulier, dans sa dimension subjective ou psychique ;

Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu’elle constatait l’existence, la sincérité et l’absence de rétractation du consentement à l’adoption donné par la mère de l’enfant, la cour d’appel a violé les [articles 348 et 361] (...) ».

20. La Cour de cassation a par la suite confirmé l’impossibilité d’obtenir la transcription de l’acte de naissance étranger pour autant qu’il désigne la mère d’intention comme étant la mère de l’enfant (voir, par exemple, l’arrêt rendu le 14 mars 2018 par la première chambre civile dans le cas des requérants E (voir C et E c. France (déc.), nos 1462/18 et 1734/18, § 20, 19 novembre 2018).

21. À la suite de l’avis no P16-2018-001 précité, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a statué dans l’affaire Mennesson par un arrêt du 4 octobre 2019 (no 10-19053). Considérant cet avis, elle a souligné qu’il se déduisait de l’article 8 de la Convention qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée en droit français, ne pouvait, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’État étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé. Elle a ensuite jugé qu’en annulant la transcription de l’acte de naissance étranger des enfants Mennesson au motif qu’elles étaient nées à la suite d’une convention de gestation pour autrui, la cour d’appel avait notamment violé l’article 8 de la Convention. Ensuite, statuant au fond, la Cour de cassation a relevé qu’il résultait de l’avis consultatif que, s’agissant de la mère d’intention, les États parties n’étaient pas tenus d’opter pour la transcription des actes de naissance, le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parent d’intention tombant dans leur marge d’appréciation. Elle a rappelé qu’en droit français, la filiation était légalement établie par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire, par la possession d’état, par jugement et par l’adoption, simple ou plénière. Elle a ensuite relevé que, selon l’avis consultatif, l’adoption répondait aux exigences de l’article 8 à condition que ses modalités permettaient une décision rapide, de manière à éviter que l’enfant soit maintenu longtemps dans l’incertitude juridique quant à son lien de filiation à l’égard de sa mère d’intention, le juge devant tenir compte de la situation fragilisée des enfants tant que la procédure est pendante. Elle a ensuite retenu qu’« étant rappelé qu’en droit français, les conventions portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui sont nulles, eu égard à l’intérêt supérieur de l’enfant, (...) il convient de privilégier tout mode d’établissement de la filiation permettant au juge de contrôler notamment la validité de l’acte ou du jugement d’état civil étranger au regard de la loi du lieu de son établissement, et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant ». Elle a toutefois jugé qu’en l’espèce, s’agissant d’un contentieux perdurant depuis plus de quinze ans, en l’absence d’autre voie permettant de reconnaître la filiation dans des conditions qui ne porteraient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée des enfants requérantes, et alors qu’il y avait lieu de mettre fin à cette atteinte, la transcription sur les registres de l’état civil de leurs actes de naissance établis à l’étranger ne saurait être annulée. Elle a en conséquence annulé l’arrêt d’appel, sans renvoi, et rejeté la demande d’annulation de la transcription des actes de naissance étrangers qu’avait formulée le parquet.

22. Par deux arrêts de cassation du 18 décembre 2019 (pourvois nos 18‑11815 et 18-12327), relatifs à des refus de transcription des actes de naissance étrangers d’enfants nés d’une gestation pour autrui pour autant qu’ils désignaient comme « parent » le conjoint du père, la première chambre civile a jugé ce qui suit :

« (...) 8. Il se déduit [de l’article 8 de la Convention] tel qu’interprété par la Cour (...) (avis consultatif du 10 avril 2019), qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine une convention de gestation pour autrui, prohibée par les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ne peut, à elle seule, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant, faire obstacle à la transcription de l’acte de naissance établi par les autorités de l’État étranger, en ce qui concerne le père biologique de l’enfant, ni à la reconnaissance du lien de filiation à l’égard de la mère d’intention mentionnée dans l’acte étranger, laquelle doit intervenir au plus tard lorsque ce lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé (Ass. plén., 4 octobre 2019, pourvoi no 10-19.053, publié, paragraphe 6).

9. Le raisonnement n’a pas lieu d’être différent lorsque c’est un homme qui est désigné dans l’acte de naissance étranger comme « parent d’intention ».

10. La jurisprudence de la Cour de cassation (1re Civ., 5 juillet 2017, pourvois no 15-28.597, Bull. 2017, I, no 163, no 16-16.901 et 16-50.025, Bull. 2017, I, no 164 et no 16-16.455, Bull. 2017, I, no 165) qui, en présence d’un vide juridique et dans une recherche d’équilibre entre l’interdit d’ordre public de la gestation pour autrui et l’intérêt supérieur de l’enfant, a refusé, au visa de l’article 47 du code civil, la transcription totale des actes de naissance étrangers des enfants en considération, notamment, de l’absence de disproportion de l’atteinte portée au droit au respect de leur vie privée dès lors que la voie de l’adoption était ouverte à l’époux ou l’épouse du père biologique, ne peut trouver application lorsque l’introduction d’une procédure d’adoption s’avère impossible ou inadaptée à la situation des intéressés.

11. Ainsi, dans l’arrêt précité [du 4 octobre 2019], l’assemblée plénière de la Cour de cassation a admis, au regard des impératifs susvisés et des circonstances de l’espèce, la transcription d’actes de naissance étrangers d’enfants nées à l’issue d’une convention de gestation pour autrui, qui désignaient le père biologique et la mère d’intention.

12. Au regard des mêmes impératifs et afin d’unifier le traitement des situations, il convient de faire évoluer la jurisprudence en retenant qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, qui n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil.

13. Pour ordonner la transcription partielle de l’acte de naissance [du/des enfant/s] et rejeter la demande en ce que cet acte désigne [le conjoint du père] en qualité de parent, l’arrêt [d’appel] retient que cet acte n’est pas conforme à la réalité et que la transcription partielle ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’enfant dès lors que l’adoption permet, si les conditions légales en sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant, de créer un lien de filiation entre celui-ci et l’époux [ou le compagnon] de son père.

14. En statuant ainsi, alors que, saisie d’une demande de transcription d’un acte de l’état civil étranger, elle constatait que celui-ci était régulier, exempt de fraude et avait été établi conformément au droit [étranger applicable], la cour d’appel a violé [l’article 8 de la Convention notamment] (...) ».

23. Il en résulte que, sauf s’ils sont irréguliers, falsifiés ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité, les actes de naissance d’enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, faits en pays étranger et rédigés dans les formes usitées dans ce pays, peuvent désormais être transcrits sur les registres de l’état civil français tant en ce qu’ils concernent le père d’intention, père biologique, qu’en ce qu’ils concernent le conjoint ou la conjointe de celui-ci.

IV. L’ADOPTION PLÉNIÈRE DE L’ENFANT DU CONJOINT

24. L’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint (article 345-1 1o du code civil).

25. Les articles 353, 356, 358 et 359 du code civil précisent ce qui suit :

Article 353

« L’adoption [plénière] est prononcée à la requête de l’adoptant par le tribunal judiciaire qui vérifie dans un délai de six mois à compter de la saisine du tribunal si les conditions de la loi sont remplies et si l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Le mineur capable de discernement est entendu par le tribunal ou, lorsque son intérêt le commande, par la personne désignée par le tribunal à cet effet. Il doit être entendu selon des modalités adaptées à son âge et à son degré de maturité. Lorsque le mineur refuse d’être entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus. Le mineur peut être entendu seul ou avec un avocat ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre personne (...) ».

Article 356

« L’adoption [plénière] confère à l’enfant une filiation qui se substitue à sa filiation d’origine : l’adopté cesse d’appartenir à sa famille par le sang, sous réserve des prohibitions au mariage visées aux articles 161 à 164.

Toutefois l’adoption de l’enfant du conjoint laisse subsister sa filiation d’origine à l’égard de ce conjoint et de sa famille. Elle produit, pour le surplus, les effets d’une adoption par deux époux. »

Article 358

« L’adopté a, dans la famille de l’adoptant, les mêmes droits et les mêmes obligations qu’un enfant dont la filiation est établie en application du titre VII du présent livre [relatif à la filiation]. »

Article 359

« L’adoption [plénière] est irrévocable. »

26. L’article 1166 du code de procédure civil est ainsi rédigé :

« La demande aux fins d’adoption est portée devant le tribunal judiciaire.

Le tribunal compétent est :

. le tribunal du lieu où demeure le requérant lorsque celui-ci demeure en France ;

. le tribunal du lieu où demeure la personne dont l’adoption est demandée lorsque le requérant demeure à l’étranger ;

. le tribunal choisi en France par le requérant lorsque celui-ci et la personne dont l’adoption est demandée demeurent à l’étranger. »

27. Par une dépêche du 24 juillet 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice, a invité le parquet général concerné (le parquet général de la Cour d’appel de Rennes) à veiller, à l’occasion de l’examen de demandes d’adoptions de l’enfant du conjoint formées par des mères d’intention, à ce que le ministère public émette un avis favorable au prononcé de l’adoption, simple ou plénière, dès lors que celle-ci apparaît conforme à l’intérêt de l’enfant et que les conditions en sont remplies.

28. Dans son arrêt du 5 octobre 2018 portant demande d’avis consultatif à la Cour (no P16-2018-001), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a indiqué ce qui suit :

« (...) 6. La loi française facilite l’adoption de l’enfant du conjoint. Ainsi, la condition posée à l’article 343-2 du code civil, qui prévoit que l’adoptant doit être âgé de plus de vingt-huit ans, ne s’applique pas dans ce cas. Il en est de même de la condition exigée par l’article 348-5 concernant l’adoption d’un enfant de moins de deux ans, selon laquelle ce dernier doit avoir été effectivement remis à l’aide sociale à l’enfance. Par ailleurs, la différence d’âge exigée entre l’adoptant et l’adopté est de dix ans, au lieu de quinze dans le régime de droit commun. Le consentement du conjoint est nécessaire à moins qu’il ne soit dans l’impossibilité d’exprimer sa volonté (article 343-1, second alinéa). L’enfant doit également consentir à son adoption s’il a plus de treize ans. L’adoption est prononcée par une juridiction judiciaire « si les conditions de la loi sont remplies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant » (article 353, alinéa ler). La loi a également aménagé les effets de cette adoption plénière spécifique. En effet, le second alinéa de l’article 356 du code civil prévoit que l’adoption de l’enfant du conjoint laisse subsister sa filiation d’origine à l’égard de ce conjoint et de sa famille, et produit, pour le surplus, les effets d’une adoption par deux époux. Enfin, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005, l’article 310 du code civil pose le principe selon lequel « tous les enfants dont la filiation est légalement établie ont les mêmes droits et les mêmes devoirs dans leurs rapports avec leur père et mère » (...) ».

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

29. Les requérants dénoncent une violation du droit au respect de la vie privée de la troisième d’entre eux, résultant du refus du procureur de la République en 2015 puis de la cour d’appel de Rennes en 2017 de transcrire l’intégralité de son acte de naissance sur les registres de l’état civil français. Ils invoquent l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

30. Le Gouvernement indique que, bien que les requérants ne se soient pas pourvus en cassation, il n’entend pas soulever l’irrecevabilité de la requête pour défaut d’épuisement des voies de recours internes.

31. Le Gouvernement ne conteste pas que le refus de transcrire sur les registres d’état civil français les mentions relatives à la première requérante figurant sur l’acte de naissance étranger de la troisième requérante constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de cette dernière. Il rappelle ensuite que la Cour a admis dans l’arrêt Mennesson précité (§§ 58 et 62) que ce type d’ingérence était prévue par la loi et poursuivait des buts légitimes : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui », ceux de l’enfant et de la mère porteuse.

32. S’agissant de la nécessité de l’ingérence, au sens de l’article 8, le Gouvernement renvoie en particulier à trois arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2017 (paragraphes 15-17 ci-dessus) dont il ressort qu’un lien de filiation entre la mère d’intention et un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui peut être établi par le biais de l’adoption lorsque l’enfant est issu des gamètes du mari de la mère d’intention, et que l’acte de naissance étranger a été retranscrit dans les registres de l’état civil français en ce qu’il désigne le mari comme étant le père de l’enfant. Le Gouvernement ajoute qu’il résulte de cette même jurisprudence que l’adoption par le conjoint ou la conjointe du père est possible dès lors que les conditions légales sont remplies et que l’adoption est dans l’intérêt de l’enfant. Il souligne que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la possibilité d’adopter l’enfant de son conjoint n’est pas réservée aux personnes dont le nom ne figure pas sur l’acte de naissance établi à l’étranger. Il note à cet égard que, dans deux des trois arrêts précités du 5 juillet 2017, la Cour de cassation s’est précisément prononcée sur la situation de mères d’intention dont le nom figurait sur l’acte de naissance établi à l’étranger à la suite du recours à une gestation pour autrui et a explicitement indiqué que l’adoption était possible dans cette configuration. Il précise que, lorsque le nom de la mère porteuse figure sur l’acte de naissance, il peut s’agir d’une adoption simple ; si tel n’est pas le cas, il peut s’agir d’une adoption plénière. Il produit le résultat d’une étude réalisée en 2018 à la demande de la ministre de la justice, dont il ressort qu’il est fait droit à la très grande majorité des demandes d’adoptions formées dans ce contexte. Il indique de plus qu’il ressort des informations les plus récentes recueillies auprès des juridictions françaises que le délai moyen pour l’obtention d’une décision est de 4,7 mois pour l’adoption simple et de 4,1 mois pour l’adoption plénière.

33. Le Gouvernement souligne par ailleurs que la Cour de cassation a retenu dans son arrêt du 4 octobre 2019 que, dans le cas d’une gestation pour autrui réalisée à l’étranger, le lien avec la mère d’intention doit être établi en privilégiant un mode de reconnaissance permettant au juge français de contrôler la validité de l’acte ou du jugement étranger et d’examiner les circonstances particulières dans lesquelles se trouve l’enfant, ce que permet la procédure d’adoption.

34. Le Gouvernement renvoie aussi à l’avis consultatif no P16-2018-001 précité en ce qu’il indique que, s’agissant de la mère d’intention, les États parties ne sont pas tenus d’opter pour la transcription de l’acte de naissance étranger, le choix des moyens tombant dans leur marge d’appréciation. Selon lui, rien ne justifierait une conclusion différente lorsque comme en l’espèce l’enfant est issu des gamètes de la mère d’intention. En effet, premièrement, en droit français, la mère est celle qui accouche. Deuxièmement, le refus de transcrire la filiation maternelle inscrite sur les actes de naissance étrangers vise à dissuader le recours par des français à la gestation pour autrui à l’étranger alors qu’elle est interdite en France. Troisièmement, la procédure d’adoption est le mode d’établissement de la filiation le plus adapté car il permet un contrôle juridictionnel du jugement ou de l’acte étrangers et de l’intérêt de l’enfant. Quatrièmement, la Cour a indiqué dans l’avis consultatif no P16-2018-001 que l’article 8 ne pose pas une obligation générale pour les États de reconnaître ab initio un lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, l’intérêt supérieur de l’enfant exigeant seulement que la concrétisation des rapports entre l’enfant et la mère d’intention puisse être reconnue postérieurement à sa survenance.

2. Les requérants

35. Les requérants estiment que le refus de transcription complet de l’acte de naissance de l’enfant né grâce à une gestation pour autrui ne protège en rien les droits et libertés de l’enfant ou de la femme porteuse.

36. Ils soulignent ensuite que, lorsque – premier cas de figure – le père et la mère d’intention sont tous deux indiqués sur l’acte de naissance étranger comme étant les parents de l’enfant, la filiation est établie à l’égard de l’un comme de l’autre, et il n’est pas nécessaire de mettre en place une adoption. Ils ajoutent que, lorsque – deuxième cas de figure – le père et la femme porteuse sont indiqués sur l’acte de naissance étranger, la conjointe du père peut envisager l’adoption simple de l’enfant du conjoint. Toutefois, si c’est bien ce que la Cour de cassation a admis dans l’un des arrêts du 5 juillet 2017 susmentionnés, l’affaire en question ne concernait pas une adoption après un refus de transcription, et le conjoint du père, qui était l’adoptant, ne figurait pas sur l’acte de naissance étranger. Les requérants évoquent un troisième cas de figure, lorsque le père est le seul à être indiqué sur l’acte de naissance étranger ; dans un tel cas, l’adoption plénière de l’enfant par la femme ou le mari du père est possible.

37. Les requérants estiment que le recours à une procédure d’adoption ne résoudrait rien dans leur cas car ils « ne demandent pas l’établissement d’une filiation déjà établie », mais le droit pour la troisième requérante à disposer d’un acte de naissance transcrit sur les registres, afin de cesser de subir des tracasseries administratives de toutes natures en raison de suspicion de gestation pour autrui.

38. Dans des observations complémentaires du 11 février 2020, les requérants considèrent que, dès lors que les premiers d’entre eux sont les parents génétiques de la troisième requérante, l’article 8 de la Convention requiert tout particulièrement que la reconnaissance du lien de filiation puisse se faire par la transcription de l’acte de naissance étranger sur les registres de l’état civil français. Ils ajoutent que, dans la pratique, en Île de France, les procédures d’adoption prennent entre neuf et quinze mois à cause de l’encombrement des juridictions.

39. Ils font valoir que c’est en raison de ce manque de célérité de la procédure d’adoption que la première chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence le 18 décembre 2019 dans deux affaires dans lesquelles des couples d’hommes avaient eu recours à la gestation pour autrui aux états-Unis. Elle a jugé qu’en présence d’une action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant, ni la circonstance que l’enfant soit né à l’issue d’une convention de gestation pour autrui ni celle que cet acte désigne le père biologique de l’enfant et un deuxième homme comme père ne constituent des obstacles à la transcription de l’acte sur les registres de l’état civil, lorsque celui-ci est probant au sens de l’article 47 du code civil.

2. Appréciation de la Cour

40. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

Sur le fond

a) Sur l’existence d’une ingérence

41. Les parties s’accordent à considérer que le rejet de la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance étranger de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère est constitutif d’une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante. Renvoyant mutatis mutandis aux arrêts précités Mennesson (§ 49), Labassee (§ 50) et Foulon et Bouvet, ainsi qu’à la décision précitée C et E c. France (§ 37), la Cour marque son accord.

42. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre. La notion de « nécessité » implique une ingérence fondée sur un besoin social impérieux et, notamment, proportionnée au but légitime poursuivi (voir, par exemple, Mennesson, précité, § 50).

b) « Prévue par la loi » et but légitime

43. La Cour constate qu’en 2014, lorsque les requérants ont fait une demande dans ce sens, le droit positif français ne permettait pas la transcription sur les registres français de l’état civil de l’acte de naissance étranger des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui. Le droit positif a évolué alors que la procédure initiée par les requérants au plan interne était pendante s’agissant de la transcription de l’acte de naissance mais uniquement pour autant qu’il désignait le père d’intention, père biologique, comme étant le père de l’enfant (paragraphes 15-18 ci-dessus). Il n’est donc pas douteux qu’à l’époque des faits de la cause, le rejet de la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance étranger de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère était prévu par la loi, au sens du second paragraphe de l’article 8. Les requérants n’en disconviennent du reste pas.

44. Quant au but légitime, la Cour constate que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 18 ci-dessus), la cour d’appel de Rennes a indiqué dans l’arrêt qu’elle a rendu en la cause des requérants le 18 décembre 2017, que le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention lorsque l’enfant est né à l’étranger à l’issue d’une convention de gestation pour autrui tend à la protection de l’enfant et de la mère porteuse et vise à décourager cette pratique, qui est prohibée en France (paragraphe 10 ci-dessus). Renvoyant aux arrêts Mennesson et Labassee précités (§§ 62 et 54 respectivement), elle admet en conséquence qu’il puisse être considéré que l’ingérence litigieuse visait deux des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8 de la Convention : la « protection de la santé » et « la protection des droits et libertés d’autrui ».

c) « Nécessaire », « dans une société démocratique »

1. La jurisprudence Mennesson et l’avis consultatif no P16-2018-001

45. Dans l’arrêt Mennesson, (précité ; voir aussi Labassee, précité), la Cour a examiné sous l’angle de l’article 8 de la Convention l’impossibilité pour deux enfants nées en Californie d’une gestation pour autrui d’obtenir en France la reconnaissance de la filiation légalement établie aux États-Unis entre elles et les parents d’intention.

46. La Cour a conclu qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants.

47. Pour parvenir à cette conclusion, elle a tout d’abord souligné que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain, ce qui inclut sa filiation », et qu’« un aspect essentiel de l’identité des individus est en jeu dès lors que l’on touche à la filiation » (voir le paragraphe 96 de l’arrêt). Elle a ajouté que « le droit au respect de la vie privée [des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui], qui implique que chacun puisse établir la substance de son identité, y compris sa filiation, se trouv[ait] significativement affecté [par la non-reconnaissance en droit français du lien de filiation entre ces enfants et les parents d’intention] ». Elle en a déduit que se posait « une question grave de compatibilité de cette situation avec l’intérêt supérieur des enfants, dont le respect doit guider toute décision les concernant » (voir les paragraphes 96 et 99 de l’arrêt).

48. Elle s’est ensuite prononcée expressément sur la question de la reconnaissance du lien de filiation entre les deux enfants et le père d’intention, qui était leur père biologique. Elle a jugé ce qui suit (paragraphe 100 de l’arrêt) :

« [L’]analyse [rappelée ci-dessus] prend un relief particulier lorsque, comme en l’espèce, l’un des parents d’intention est également géniteur de l’enfant. Au regard de l’importance de la filiation biologique en tant qu’élément de l’identité de chacun (...), on ne saurait prétendre qu’il est conforme à l’intérêt d’un enfant de le priver d’un lien juridique de cette nature alors que la réalité biologique de ce lien est établie et que l’enfant et le parent concerné revendiquent sa pleine reconnaissance. Or non seulement le lien entre les [enfants] requérantes et leur père biologique n’a pas été admis à l’occasion de la demande de transcription des actes de naissance, mais encore sa consécration par la voie d’une reconnaissance de paternité ou de l’adoption ou par l’effet de la possession d’état se heurterait à la jurisprudence prohibitive établie également sur ces points par la Cour de cassation (...). La Cour estime, compte tenu des conséquences de cette grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des [enfants] requérantes, qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur est allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. »

49. La Cour n’a donc pas jugé qu’en tant que tel, le refus de transcrire l’acte de naissance étranger pour autant qu’il désigne comme étant le père, le père d’intention, père biologique, caractérisait une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privée de l’enfant. Constatant qu’en droit positif français, étaient closes non seulement la voie de la transcription, mais aussi celles de la reconnaissance de paternité, de l’adoption et de la possession d’état, elle a estimé « qu’en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne [du] lien de filiation [de l’enfant] à l’égard de [son] père biologique, l’État défendeur [était] allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation ».

50. Autrement dit, l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant tel qu’il se trouve garanti par l’article 8 de la Convention requiert que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant.

51. Par la suite, la Cour a indiqué dans l’avis consultatif no P16‑2018‑001 précité (voir le dispositif) que, dans la situation où un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse, et où le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne, le droit au respect de la vie privée de l’enfant, au sens de l’article 8 de la Convention, requérait que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention, désignée dans l’acte de naissance légalement établi à l’étranger comme étant la « mère légale ». Elle a ajouté que le droit au respect de la vie privée de l’enfant ne requérait toutefois pas que cette reconnaissance se fasse par la transcription sur les registres de l’état civil de l’acte de naissance légalement établi à l’étranger, et qu’elle pouvait se faire par une autre voie, telle que l’adoption de l’enfant par la mère d’intention, à la condition que les modalités prévues par le droit interne garantissent l’effectivité et la célérité de sa mise en œuvre, conformément à l’intérêt supérieur de l’enfant.

52. Plus généralement, la Cour a souligné dans l’avis consultatif no P16‑2018-001 (§ 51) que le choix des moyens à mettre en œuvre pour permettre la reconnaissance du lien enfant-parents d’intention tombe dans la marge d’appréciation des États. Elle a observé à cet égard qu’il n’y avait pas de consensus européen en la matière (lorsque l’établissement ou la reconnaissance du lien entre l’enfant et le parent d’intention est possible, leurs modalités variant d’un État à l’autre), et que l’identité de l’individu est moins directement en jeu lorsqu’il s’agit non du principe même de l’établissement ou de la reconnaissance de sa filiation mais des moyens à mettre en œuvre à cette fin.

53. La Cour a ajouté dans l’avis consultatif no P16-2018-001 (§ 47) que la nécessité d’offrir une possibilité de reconnaissance du lien entre l’enfant et la mère d’intention valait a fortiori lorsque l’enfant a été conçu avec les gamètes du père d’intention et les gamètes de la mère d’intention, et que le lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention a été reconnu en droit interne.

54. Il résulte de qui précède que, lorsqu’un enfant est né à l’étranger par gestation pour autrui et est issu des gamètes du père d’intention, le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que le droit interne offre une possibilité de reconnaissance d’un lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention et entre l’enfant et la mère d’intention, qu’elle soit ou non sa mère génétique. Il en ressort de plus que cette reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique, et entre l’enfant et la mère d’intention qui n’est pas la mère génétique peut dûment se faire par d’autres moyens que la transcription de l’acte de naissance étranger de l’enfant.

2. Le cas d’espèce

55. En l’espèce, la cour d’appel de Rennes a, le 18 décembre 2017, accueilli la demande tendant à la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désignait comme étant son père le deuxième requérant, père d’intention et père biologique. Elle a en revanche rejeté la demande de transcription pour autant que l’acte de naissance désignait la première requérante comme étant sa mère ; ce faisant, elle a toutefois souligné que le lien de filiation entre l’une et l’autre pouvait être juridiquement établi par la voie de l’adoption (paragraphe 10 ci-dessus).

56. La Cour observe que la thèse défendue aujourd’hui par les requérants (paragraphe 38 ci-dessus) revient à dire que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée dès lors que la première requérante est sa mère génétique.

57. La Cour constate tout d’abord que les pièces relatives à la procédure internes produites par les parties indiquent que les requérants n’ont pas informé les autorités et le juge internes du fait que la première requérante était la mère génétique de l’enfant. En particulier, il ne ressort ni du jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 12 janvier 2017 (paragraphe 9 ci-dessus) ni de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 18 décembre 2017 (paragraphe 10 ci-dessus) qu’ils auraient donné cette information à ces juridictions. Elle ne figurait du reste ni dans la requête qu’ils ont introduite devant la Cour le 2 mars 2018, ni dans leurs observations du 15 novembre 2018 en réplique à celles du Gouvernement. Les requérants n’ont donné cette précision à la Cour que le 12 septembre 2019, en réponse à une demande de renseignement complémentaire adressée par elle aux parties à la suite de l’avis consultatif no P16-2018-001 (paragraphe 12 ci-dessus). Par ailleurs les requérants ne se sont pas pourvus en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Rennes. La Cour ne tire toutefois pas de conséquence de ces deux circonstances dès lors qu’à l’époque où l’affaire était pendante au plan interne, la jurisprudence de la Cour de cassation excluait la transcription de l’acte de naissance étranger des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui pour autant qu’il désignait la mère d’intention comme étant leur mère, sans distinguer la situation où elle était leur mère génétique de celle où elle ne l’était pas.

58. Ceci étant, comme indiqué précédemment, la Cour s’est déjà prononcée sur une question similaire s’agissant du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, père biologique (paragraphes 49-50 ci‑dessus). Il ressort de sa jurisprudence que l’existence d’un lien génétique n’a pas pour conséquence que le droit au respect de la vie privée de l’enfant requiert que la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et le père d’intention, puisse se faire spécifiquement par la voie de la transcription de son acte de naissance étranger.

59. La Cour ne voit pas de raison dans les circonstances de l’espèce d’en décider autrement s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention, mère génétique.

60. On ne saurait donc retenir que le rejet de la demande de transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante pour autant qu’il désigne la première requérante est constitutif d’une ingérence disproportionnée dans son droit au respect de sa vie privée du seul fait que la première requérante est sa mère génétique, dès lors que le lien de filiation entre l’une et l’autre peut être effectivement établi par une autre voie (paragraphes 62, 64 et 70 ci-dessous).

61. Certes, sur le plan interne, en l’état du droit positif français à l’époque des faits de la cause, il était à l’inverse possible d’obtenir la transcription de l’acte de naissance étranger pour autant qu’il désignait le père d’intention, père biologique. Comme l’illustre les circonstances de l’espèce, cela créait une différence de traitement quant à l’établissement du lien de filiation entre le père d’intention, père biologique, et la mère d’intention, mère génétique. La présente requête ne concerne toutefois pas les droits des parents d’intention au regard de la Convention, mais uniquement ceux de l’enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui. De plus, pour autant que les requérants entendent dénoncer une discrimination dont la troisième d’entre eux aurait à souffrir du fait de cette différence de traitement, la Cour renvoie aux paragraphes 81-82 ci-dessous.

62. Or, selon la Cour, ce qui est déterminant s’agissant de la proportionnalité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée de la troisième requérante c’est que le rejet de la demande tendant à la transcription de son acte de naissance ukrainien pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère ne faisait pas obstacle à l’établissement du lien de filiation entre l’une et l’autre. Comme indiqué précédemment, la cour d’appel de Rennes a pris soin de souligner que la voie de l’adoption leur est ouverte (paragraphe 10 ci-dessus), ce que confirme la jurisprudence de la Cour de cassation (paragraphe 17 ci-dessus).

63. La Cour comprend qu’en tant que parent génétique de la troisième requérante, la première requérante puisse avoir des difficultés à envisager de passer par une procédure d’adoption pour établir leur lien de filiation en droit français. Il faut toutefois là aussi rappeler que la présente requête ne concerne pas les droits de la première requérante, mais uniquement ceux de la troisième requérante.

64. Ce qu’il faut au regard du droit au respect de la vie privée de la troisième requérante c’est qu’elle ait accès à un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre elle et la première requérante. La Cour a retenu ce critère dans l’avis consultatif no P16-2018-001 s’agissant de la situation où l’enfant est issue des gamètes du père d’intention et d’une tierce donneuse et n’a donc pas de lien génétique avec la mère d’intention. Elle estime qu’il vaut aussi dans la situation où, comme en l’espèce, l’enfant est issu des gamètes du père d’intention et de celles de la mère d’intention.

65. Or, comme le souligne le Gouvernement (paragraphe 32 ci-dessus), les deux premiers requérants étant mariés et l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante ne mentionnant pas la femme qui a accouché d’elle, la première requérante a la possibilité de saisir le juge d’une demande tendant à son adoption plénière au titre de l’adoption de l’enfant du conjoint (paragraphe 24-26 ci-dessus). Elle note à cet égard que, par une dépêche du 24 juillet 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice, a invité le parquet général concerné à veiller, à l’occasion de l’examen de demandes d’adoptions de l’enfant du conjoint formées par des mères d’intention, à ce que le ministère public émette un avis favorable au prononcé de l’adoption dès lors que celle-ci apparaît conforme à l’intérêt de l’enfant et que les conditions en sont remplies (paragraphe 27 ci-dessus). Elle note aussi les indications données par le Gouvernement selon lesquelles il est fait droit à la grande majorité des demandes d’adoption de l’enfant du conjoint de ce type (paragraphe 32 ci-dessus).

66. Ainsi que l’a relevé la Cour dans son avis consultatif no P16‑2018‑001 (§ 53), l’adoption produit des effets de même nature que la transcription de l’acte de naissance étranger s’agissant de la reconnaissance du lien de filiation entre l’enfant et la mère d’intention.

67. Certes, cette possibilité n’est établie de manière certaine que depuis les arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 5 juillet 2017, alors que, née en septembre 2012, la troisième requérante avait presque cinq ans soit, selon toute vraisemblance au vu du dossier, bien après la concrétisation du lien entre elle et sa mère d’intention. Or, la Cour a précisé dans l’avis consultatif précité (§§ 52 et 54) qu’un mécanisme effectif permettant la reconnaissance d’un lien de filiation entre les enfants concernés et la mère d’intention doit exister au plus tard lorsque, selon l’appréciation des circonstances de chaque cas, le lien entre l’enfant et la mère d’intention s’est concrétisé. La Cour, qui observe non seulement que cette évolution du droit positif est antérieure à la décision interne définitive et, donc, à sa saisine par les requérants, mais aussi que ces derniers ont été directement informés de cette possibilité le 18 décembre 2017 par l’arrêt rendu en leur cause par la cour d’appel de Rennes (paragraphe 10 ci‑dessus), estime toutefois que, dans les circonstances de la cause, ce n’est pas imposer à la troisième requérante un fardeau excessif que d’attendre des requérants qu’ils engagent une procédure d’adoption, cette procédure étant susceptible d’aboutir rapidement. Elle observe notamment qu’il résulte des indications données par le Gouvernement que la durée moyenne d’obtention d’une décision n’est que de 4,1 mois en cas d’adoption plénière. Ainsi, si la procédure d’adoption avait été initiée à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes du 18 décembre 2017, la situation de la troisième requérante au regard de sa filiation maternelle aurait vraisemblablement pu être réglée avant qu’elle ait atteint l’âge de six ans, et plus ou moins à la date à laquelle les requérants ont saisi la Cour.

68. La Cour note que les requérants soutiennent que la procédure d’adoption est plus lente que ce qu’indique le Gouvernement. Ils se réfèrent pour cela au délai moyen de jugement en Île de France. La Cour constate toutefois que le juge territorialement compétente pour une adoption en France est celui du lieu du domicile de l’adoptant (paragraphe 26 ci-dessus). Or il ressort du dossier que les requérants ne sont pas domiciliés dans la région Île de France.

69. Enfin, la Cour relève que les requérants font valoir que c’est à cause du manque de célérité de la procédure d’adoption que la première chambre civile de la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence par deux arrêts du 18 décembre 2019, en posant le principe de la transcription de l’acte de naissance étranger (paragraphe 39 ci-dessus). Elle constate toutefois non seulement que les requérants n’apportent aucun élément à l’appui de cette thèse, mais aussi qu’il ne ressort pas des motifs de ces arrêts (paragraphe 22 ci-dessus) que la raison pour laquelle la première chambre civile a procédé à ce revirement de jurisprudence se trouverait dans la durée de la procédure d’adoption ou dans son ineffectivité.

70. La Cour retient ainsi que l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif et suffisamment rapide permettant la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes.

71. En conséquence, en refusant de procéder à la transcription de l’acte de naissance ukrainien de la troisième requérante sur les registres de l’état civil français pour autant qu’il désigne la première requérante comme étant sa mère, l’État défendeur n’a pas, dans les circonstances de la cause, excédé sa marge d’appréciation.

72. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 8

73. Les requérants dénoncent une atteinte discriminatoire au droit au respect de la vie privée de la troisième d’entre eux, fondée sur « la naissance ». Ils invoquent, combiné avec l’article 8 de la Convention précité, l’article 14, aux termes duquel :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.

74. Les requérants font en outre valoir dans des observations complémentaires du 11 février 2020 qu’exclure la transcription de l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger d’une gestation pour autrui pour autant qu’il désigne la mère d’intention, mère génétique, comme étant sa mère, alors que la transcription est possible s’agissant du père d’intention, père biologique, est constitutif d’une discrimination à l’encontre de la mère.

1. Thèses des parties
1. Le Gouvernement

75. Le Gouvernement soutient à titre principal que les autorités nationales n’ont pas procédé à une distinction basée sur le mode de conception. Il souligne à cet égard que le refus de transcription des mentions relatives à la mère d’intention figurant sur l’acte de naissance étrangers résulte du simple constat que la première requérante n’a pas accouché de la troisième requérante. Le fait que la transcription des actes de naissance étrangers est possible s’agissant des mentions relatives au père d’intention le démontrerait. Il ajoute que, si la Cour devait juger qu’il y a une distinction fondée sur le mode de conception de l’enfant, il faudrait retenir que les enfants dont l’acte de naissance indique une filiation maternelle d’intention et ceux dont l’acte de naissance indique une « filiation maternelle réelle (découlant de l’accouchement) » ne sont pas placés dans une situation comparable au regard de l’examen de la demande de transcription de leur acte de naissance.

76. À titre subsidiaire, le Gouvernement soutient que la distinction dénoncée reposait sur une justification objective et raisonnable. Tout d’abord, elle poursuivait des buts légitimes, ceux évoqués dans le contexte de l’article 8. Ensuite, elle était proportionnée et adéquate puisque la reconnaissance du lien de filiation enfant-mère d’intention pouvait se faire par l’adoption.

77. Selon le Gouvernement, imposer aux enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui le passage par un autre mode d’établissement de la filiation, ce qui les différencie en effet des autres enfants nés à l’étranger, découlait logiquement de ce mode de conception. La filiation maternelle étant, dans un premier temps, déconnectée de l’accouchement, il était justifié, afin de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant, que l’établissement de la filiation qui en résulte, qui ne peut être constatée immédiatement, soit judiciairement établie à l’instar de la situation qui prévaut dans les autres cas d’adoption. En matière de filiation adoptive, l’intervention judiciaire serait en effet nécessaire pour vérifier que les conditions légales de l’adoption sont remplies et qu’elle est dans l’intérêt de l’enfant. Or, au regard de la mère d’intention, les enfants nés à l’issue d’une gestation pour autrui seraient dans une situation analogue à celle des enfants vis-à-vis desquels une femme a un projet parental pouvant se matérialiser par l’adoption. Il serait donc justifié que les enfants requérants fassent l’objet d’une procédure d’adoption pour voir la filiation avec leurs mères d’intention reconnue en droit interne. Le Gouvernement ajoute qu’une fois l’adoption prononcée, les enfants requérants se trouvent strictement dans la même situation, au regard de la filiation maternelle, que les autres enfants nés à l’étranger.

2. Les requérants

78. Les requérants indiquent que la troisième requérante est dans une situation comparable à celle d’enfants nés à l’étranger sans recours à la gestation pour autrui dont les parents demandent la transcription de l’acte de naissance étranger ; elle a exactement le même acte de naissance valablement établi par les autorités étrangères, lequel est opposable aux autorités françaises. Cependant, soulignent les requérants, parce qu’elle est née par gestation pour autrui, elle n’a pu obtenir qu’une transcription partielle, et le Gouvernement cherche à imposer aux enfants qui sont dans cette situation une « adoption sanction ». Cela reviendrait à leur reprocher leur mode de conception, dont ils ne sont pourtant pas responsables.

79. Selon les requérants, le choix de l’État défendeur de lutter contre le recours à l’étranger à la gestation pour autrui ne saurait justifier qu’il fasse payer les enfants en ne permettant qu’une transcription partielle des actes de naissance étrangers, amputée de la branche maternelle, et cela d’autant moins qu’il existe d’autres solutions ne faisant pas peser sur les enfants les conséquences d’un choix dont ils ne peuvent être tenus pour responsables : soit légaliser la gestation pour autrui en France selon les principes, les valeurs et les critères que la société française se donnera ; soit modifier les règles de droit pénal.

80. La troisième requérante subirait ainsi un traitement discriminatoire fondé sur la naissance, par rapport aux autres enfants nés à l’étranger.

2. Appréciation de la Cour
1. Sur la recevabilité

81. La Cour note la thèse avancée par les requérants dans leurs observations du 11 février 2020 selon laquelle, en l’état du droit positif applicable dans leur cas, un problème de discrimination entre le père et la mère d’intention se posait du fait de la différence de traitement entre l’un et l’autre quant aux modalités d’établissement de la filiation. Elle en déduit que les requérants entendent ainsi la saisir d’un grief relatif à une discrimination, au sens de l’article 14 de la Convention, dont la première requérante aurait à souffrir. Il s’agit là d’un grief distinct de ceux que les requérants ont développés dans leur requête, qui visent uniquement les droits de la troisième d’entre eux au regard des articles 8 et 14 de la Convention, en tant qu’enfant née à l’étranger d’une gestation pour autrui. La Cour constate au surplus que ce grief repose sur un fait – la circonstance que la première requérante est la mère génétique de la troisième requérante -que les requérants ont omis d’indiquer dans la requête qu’ils ont introduite devant elle le 2 mars 2018, et qu’ils ne lui ont révélé que le 12 septembre 2019 à la suite d’une demande de la présidente de la chambre (paragraphe 12 ci-dessus). Il ressort de plus des pièces de la procédure interne produites par les parties que les requérants n’avaient pas informé les autorités et juridictions internes de ce fait, lequel n’a donc pas été intégré aux débats.

82. La Cour retient qu’en tout état de cause, ce nouveau grief se heurte désormais au délai de six mois de l’article 35 § 1 de la Convention. Il doit donc être rejeté en application de l’article 35 § 1 et 4 de la Convention.

83. Quant au grief relatif à la discrimination dont la troisième requérante serait victime dans la jouissance de son droit au respect de la vie privée, la Cour constate qu’il n’est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention. Elle le déclare donc recevable.

2. Sur le fond

84. La Cour renvoie aux principes généraux qui se dégagent de sa jurisprudence, tels qu’ils se trouvent énoncés dans l’arrêt Biao c. Danemark [GC] (no 38590/10, §§ 88-93, 24 mai 2016) notamment. Il en résulte en particulier que, pour qu’un problème se pose au regard de l’article 14, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables, et qu’une différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Il en résulte aussi que les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des différences de traitement.

85. En l’espèce, à supposer que l’on puisse considérer que les enfants français nés d’une gestation pour autrui à l’étranger et les autres enfants français nés à l’étranger se trouvent dans des situations analogues ou comparables quant à leur filiation maternelle, la différence de traitement dont il est question ne tient pas à ce qu’à l’inverse des seconds, les premiers ne pourraient obtenir la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation à l’égard de celle dont le nom figure sur l’acte de naissance étranger. Cette différence consiste en ce qu’à l’époque des faits de la cause, contrairement aux seconds, ils ne pouvaient à cette fin obtenir la transcription intégrale de l’acte de naissance étranger et devaient passer par la voie de l’adoption s’agissant de leur filiation maternelle. Or, comme l’a souligné la Cour précédemment, l’adoption de l’enfant du conjoint constitue en l’espèce un mécanisme effectif permettant la reconnaissance du lien de filiation entre les première et troisième requérantes (paragraphe 70 ci-dessus).

86. Ceci étant souligné, il ressort des explications du Gouvernement que cette différence de traitement quant aux modalités d’établissement du lien maternel de filiation visait, en ce qu’elle induisait un contrôle juridictionnel, à s’assurer au regard des circonstances particulières de chaque cas qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant né d’une gestation pour autrui qu’un tel lien soit établi à l’égard de la mère d’intention.

87. Le choix qui était celui du droit positif français à l’époque des faits de la cause d’imposer un tel examen judiciaire s’expliquait ainsi par la volonté de limiter les risques que la gestation pour autrui peut engendrer, notamment pour l’enfant, lorsqu’elle est pratiquée à l’étranger par des ressortissants d’un pays où elle n’est pas autorisée.

88. La Cour, qui, comme il se doit, se prononce uniquement à l’aune des éléments de comparaison évoqués par les requérants, admet donc que la différence de traitement qu’ils dénoncent entre les enfants français qui, telle la troisième requérante, sont nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, et les autres enfants français nés à l’étranger quant aux modalités de la reconnaissance du lien de filiation avec leur mère génétique reposait sur une justification objective et raisonnable.

89. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare les griefs tirés d’une violation des droits de la troisième requérante au regard de l’article 8 de la Convention, pris isolément et combiné avec l’article 14, recevables ;
2. Déclare le grief tiré d’une violation des droits de la première requérante au regard de l’article 14 de la Convention irrecevable ;
3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 juillet 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Victor SoloveytchikSíofra O’Leary
Greffier adjointPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée de la juge O’Leary.

S.O.L.
V.S.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE O’LEARY

1. La chambre a conclu en l’espèce à l’absence de violation de l’article 8 de la Convention, seul et combiné avec l’article 14, s’agissant du refus de transcription, par le procureur en 2015 et par la Cour d’appel de Rennes en 2017, de l’acte de naissance de la troisième requérante qui avait été délivré par les autorités étatiques du pays où cette dernière est née à la suite d’un processus de gestation pour autrui (GPA), pour autant que cet acte concernait la première requérante, la mère d’intention.

2. Toutefois, ce constat de non-violation est, à mon sens, lié aux faits tout à fait particuliers qui caractérisent la requête des requérants et à la manière dont ceux-ci ont plaidé, ou omis de plaider, leurs griefs, tant devant les juridictions françaises que devant la Cour.

I. RAPPEL DES FAITS ET MISE EN CONTEXTE DE LA JURISPRUDENCE EXISTANTE

3. La demande des requérants, datant du 20 septembre 2014, a été rejetée par le procureur compétent en vertu de l’article 47 du Code civil français, ce dernier faisant obstacle à la désignation comme mère d’une femme qui n’a pas accouché de l’enfant concerné. Le 12 janvier 2017, le tribunal de grande instance de Nantes a toutefois fait droit à leur demande de transcription.

4. Il y a lieu de préciser que la demande de transcription formulée par les requérants en 2014 est intervenue trois mois à peine après le prononcé de l’arrêt Mennesson c. France (no 65192/11, CEDH 2014 (extraits)). Cette dernière affaire avait trait à l’impossibilité absolue en droit français, à l’époque, pour les parents d’intention de faire établir un lien de filiation avec des enfants nés d’un processus de GPA. Dans l’arrêt Mennesson, la Cour a jugé que, compte tenu des conséquences de la grave restriction sur l’identité et le droit au respect de la vie privée des enfants requérantes, en faisant ainsi obstacle tant à la reconnaissance qu’à l’établissement en droit interne de leur lien de filiation à l’égard de leur père biologique, l’État défendeur était allé au-delà de ce que lui permettait sa marge d’appréciation. Étant donné aussi le poids qu’il y a lieu d’accorder à l’intérêt de l’enfant lorsqu’on procède à la balance des intérêts en présence, la Cour a conclu que le droit des enfants requérantes au respect de leur vie privée avait été méconnu.

5. La réponse de la Cour de Cassation à cet arrêt de la Cour a été prononcée le 5 juillet 2017. Opérant un premier revirement de sa jurisprudence dans ce domaine, la Cour de Cassation a relevé que la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance étranger d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une GPA pratiquée à l’étranger était possible pour autant qu’il désignait comme père le père biologique[1], mais pas pour autant que l’acte de naissance étranger désignait comme mère la mère d’intention, dès lors qu’il ne s’agissait pas de la femme qui avait accouché de l’enfant concerné.

6. Quelques mois plus tard, le 18 décembre 2017, la cour d’appel de Rennes, statuant en tant que juridiction de renvoi dans l’affaire des requérants de la présente espèce, a confirmé le jugement de première instance mais uniquement pour autant qu’il faisait droit à la demande de transcription de l’acte de naissance au titre de la filiation paternelle, le père étant le père biologique. Pour la cour d’appel de Rennes, le lien de filiation de la mère d’intention devait quant à lui être établi par voie d’adoption, suivant ainsi la décision précitée de la Cour de Cassation et la distinction y opérée entre le père biologique et la mère d’intention.

7. Par conséquent, à ce stade, la marge d’appréciation dont jouit l’État défendeur avait été exercée dans un sens permettant la transcription de l’acte de naissance s’agissant du parent d’intention biologique, ce parent étant le père. Le refus de transcription de la filiation maternelle d’intention était en revanche maintenu, la cour d’appel de Rennes l’expliquant ainsi :

« Concernant la désignation de la mère d’intention dans l’acte de naissance, la réalité au sens (de l’article 47 du code civil), est la réalité de l’accouchement ;

(...) le droit positif n’autorise une dérogation au principe mater semper certa est que dans le cas expressément limité prévu par le législateur, en matière d’adoption plénière (...), permettant ainsi de désigner valablement comme mère la femme adoptive qui n’a pas accouché ».

II. DÉFAUTS DE PROCÉDURE AYANT CONDUIT, DANS CETTE AFFAIRE, AUX CONSTATS DE NON-VIOLATION

8. Deux aspects essentiels méritent d’être notés à ce stade.

D’une part, plusieurs informations essentielles ne sont apparues que tardivement au cours de la procédure. Tout d’abord, il s’avère que la première requérante est la mère génétique de la troisième requérante. Ce fait n’a toutefois été éclairci qu’en 2019, à la suite d’une demande expresse de la Cour et malgré un premier refus des requérants de partager cette information. Ce fait nouveau et potentiellement clé n’a jamais été porté, selon les informations dont dispose la Cour, à l’attention des autorités françaises dont les décisions de refus sont en cause en l’espèce. Ensuite, s’agissant du grief relatif à l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention, ce n’est que dans des observations supplémentaires soumises à la Cour le 11 février 2020 que les requérants ont mis en avant une différence de traitement entre un père biologique et une mère biologique, méconnaissant ainsi très clairement la règle des six mois (voir §§ 81-82 de l’arrêt de la chambre).

D’autre part, à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes de décembre 2017, les requérants ne se sont pas pourvus en cassation. Ainsi, au lieu d’agir devant la Cour de Cassation, ils ont introduit leur demande directement devant la Cour.

9. En pareil cas, il est habituel qu’un gouvernement défendeur introduise une exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes au titre de l’article 35 § 1 de la Convention, les requérants n’ayant pas épuisé la voie de recours apparemment effective qui était à leur disposition. Toutefois, en l’espèce, ainsi qu’il ressort du paragraphe 30 de l’arrêt de la chambre, malgré une question explicite de la Cour relative à l’épuisement des voies de recours internes, le Gouvernement a renoncé à soulever l’irrecevabilité de la requête[2].

10. Il s’ensuit que, dans la présente affaire, tant les requérants (qui se sont abstenus de communiquer des informations essentielles au niveau interne et devant la Cour et de se pourvoir devant la Cour de Cassation, et qui ont élargi tardivement leur grief relatif à l’article 14 devant la Cour) que le gouvernement défendeur (qui n’a pas soulevé d’exception d’irrecevabilité pour non-épuisement) ont placé la Cour dans une situation impossible. En s’abstenant de soulever une exception d’irrecevabilité pour non-épuisement, le Gouvernement n’a pas permis à la Cour de statuer par voie d’une décision concluant à l’irrecevabilité pour cette raison limitée. En ce qui concerne les requérants, outre que leur façon de plaider leur affaire pose de multiples problèmes, une décision de la chambre concluant au défaut manifeste de fondement pour leur grief relatif à l’article 8 de la Convention aurait pu donner une impression erronée de la portée de la jurisprudence actuelle de la Cour relative à l’article 8 de la Convention, dès lors que la Cour n’a pas encore traité le cas de figure d’une mère d’intention génétique.

11. S’agissant du défaut d’épuisement des voies de recours internes, il convient de souligner que la Cour n’a pas actuellement pour pratique de soulever pareille exception proprio motu (voir, par exemple, Banque internationale pour le commerce et le développement AD et autres c. Bulgarie, no 7031/05, § 131, 2 juin 2016, et la jurisprudence qui y est citée). Si la règle du délai de six mois endéans lesquels il convient de saisir la Cour à partir de la date de décision interne définitive, également prévue par l’article 35 § 1 de la Convention, est considérée comme une règle d’ordre public touchant à la compétence même de la Cour, de sorte qu’elle peut et doit être soulevée d’office, tel n’est pas le cas pour la règle de non-épuisement :

« (...) [l’]incompatibilité ratione temporis est une question qui touche à la compétence de la Cour plutôt qu’une question de recevabilité au sens étroit du terme. Dès lors que l’étendue de la compétence de la Cour est déterminée par la Convention elle-même, spécialement par son article 32, et non par les observations soumises par les parties dans une affaire donnée, l’absence d’une exception d’incompatibilité ne saurait en soi avoir pour effet d’étendre cette compétence. » (Blečić c. Croatie [GC], no 59532/00, § 67, 8 mars 2006, italique ajouté).

12. Par conséquent, selon la jurisprudence actuelle de la Cour, l’application de la règle de non-épuisement, pourtant essentielle à l’égard du respect du principe de subsidiarité, dépend de la formulation par un gouvernement défendeur d’une exception préliminaire.

13. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 35 § 1 de la Convention, la ratio et l’importance de cette règle n’en sont pas moins impérieuses que celles du délai de six mois :

« Les États n’ont pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne (...) » (Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], no 17153/11 et 29 autres, § 70, 25 mars 2014), italique ajouté)

14. En outre, ainsi que la Cour l’a souligné à plusieurs reprises dans des affaires sensibles relatives, entre autres, à l’article 8 de la Convention :

« (...) [l’]obligation d’épuiser préalablement les voies de recours internes vise, entre autre, à donner aux États membres la possibilité de redresser la situation qui fait l’objet de la requête avant de devoir répondre de leurs actes devant un organisme international. Ce principe revêt une importance particulière s’agissant de griefs tirés de l’article 8, que cet article soit pris isolément ou combiné avec l’article 14. Il est en effet primordial lorsque la Cour aborde la question complexe et délicate de la balance à opérer entre les droits et intérêts en jeu dans le cadre de l’application de cette disposition que cette balance ait préalablement été faite par les juridictions internes, celles-ci étant en principe mieux placées pour le faire. » (Charron et Merle Montet c. France (déc.), no 22612/15, § 30, 16 janvier 2018 ; voir d’autres décisions et arrêts comme Courtney c. Irlande (déc.), no [69558/10](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2269558/10%22%5D%7D), 18 décembre 2012 ; Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, no 58170/13 et 2 autres, § 245, 13 septembre 2019, arrêt non encore définitif, et, plus récemment, Graner c. France, no 84536/17, 5 février 2020).

15. En l’espèce, donc, quelles voies étaient ouvertes à la chambre ?

Premièrement, une information revêtant une importance potentiellement cruciale, à savoir le fait que la mère d’intention était la mère génétique des enfants, ne semble pas avoir été dévoilée devant les juridictions françaises au moment où celles-ci ont statué et n’a été communiquée à la Cour qu’à un stade très avancé de la procédure. Il en va de même s’agissant du second grief relatif à l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention, introduit tardivement auprès de la Cour.

Deuxièmement, il semble difficile de conclure, en l’absence d’un pourvoi en cassation à la suite de l’arrêt de la cour d’appel de Rennes, que l’État défendeur a eu la possibilité de redresser la situation qui fait l’objet de la présente requête. Un tel recours était essentiel dès lors que le droit interne était potentiellement en voie d’évolution précisément en conséquence de recours introduits devant la Cour de Cassation par des parents d’intention.

16. En effet, ainsi qu’il est indiqué ci-dessus, la Cour de Cassation a reconnu en juillet 2017 aux pères d’intention biologiques la possibilité de faire établir leur lien de filiation par voie de transcription. En octobre 2018, dans le cadre de la même affaire Mennesson, la Cour de Cassation a, en vertu du Protocole no16, saisi la Cour d’une demande d’avis consultatif relatif aux obligations des États membres en matière de transcription s’agissant d’une mère d’intention sans lien biologique avec les enfants concernés. La Cour a statué en avril 2019, limitant explicitement sa réponse à ce cas de figure (Avis consultatif relatif à la reconnaissance en droit interne d’un lien de filiation entre un enfant né d’une gestation pour autrui pratiquée à l’étranger et la mère d’intention [GC], demande no P16‑2018‑001, Cour de cassation française, § 36, 10 avril 2019). La Cour de Cassation a rendu sa décision à la suite de l’avis consultatif le 4 octobre 2019. Le 18 décembre 2019, cette même juridiction a opéré un nouveau revirement de sa jurisprudence dans le domaine de la GPA, ouvrant à d’autres cas de figure, lorsque l’adoption n’est pas possible, la possibilité d’une transcription de l’acte de naissance étranger (voir les arrêts mentionnés au paragraphe 22 de l’arrêt de la chambre). En outre, dans un rapport de 2018 sur la révision de la loi de bioéthique en France, le Conseil d’État a noté la vision traditionnelle, non remise en cause jusqu’ici, selon laquelle la mère biologique est toujours certaine puisqu’elle accouche de l’enfant, et a relevé ce qui suit :

« Or, cette affirmation peut ne plus être vraie. En effet, certaines GPA peuvent être réalisées avec les gamètes de la mère d’intention qui ne mettra plus l’enfant au monde pour autant. Une telle fragmentation de la maternité entre le lien génétique, le lien gestationnel et le projet parental fragilise nécessairement cette approche de la maternité comme une et évidente[3] ».

17. Il ressort de ces développements jurisprudentiels et des réflexions juridiques engagées au niveau interne que, loin d’être ineffectif, un pourvoi en cassation paraissait essentiel en l’espèce. Comme la Cour l’a déjà indiqué dans une affaire britannique :

« La règle de l’épuisement des voies de recours internes telle qu’énoncée à l’article 35 § 1 reflète le rôle subsidiaire du mécanisme de la Convention. La Cour suprême, qui occupe le sommet de la hiérarchie judiciaire dans la plupart des domaines du droit au Royaume-Uni, est investie d’une certaine responsabilité lorsqu’il s’agit de faire appliquer la Convention dans l’État défendeur. Il serait absurde et irait à l’encontre du principe de subsidiarité que cette Cour interprète l’article 35 § 1 dans un sens qui priverait la Cour suprême de son rôle juridique dans le fonctionnement du système de la Convention. » (Roberts c. Royaume-Uni (déc.), no 59703/13, § 43, 5 janvier 2016)

18. Toutefois, en l’absence d’une exception soulevée par le gouvernement français, la Cour était obligée d’avancer. Je suis loin d’être le seul juge à me demander si la jurisprudence actuelle de la Cour selon laquelle celle-ci ne peut soulever une absence d’épuisement proprio motu est la plus adaptée et si les dispositions pertinentes de la Convention l’imposent (voir, entre autres, l’opinion séparée exprimée par la juge Koskelo (et moi-même) dans l’affaire Fabian c. Hongrie [GC], no 78117/13, 5 septembre 2017 ; le paragraphe 17 de l’opinion des juges Wojtyczek, Eicke et Ilievski jointe à l’arrêt Pasquini c. Saint-Marin, no 50956/16, 2 mai 2019, ainsi que l’exposé extrajudiciaire du juge Eicke intitulé, « The Court’s approach to exhaustion of domestic remedies in the age of subsidiarity », in L.-A. Sicilianos et al. (eds.), Regards croisés sur la protection nationale et internationale des droits de l’homme - Intersecting views on national and international human rights protection: Liber amicorum Guido Raimondi, Tilburg, Wolf Legal Publishers, 2019, pp. 231‑254)[4].

III. QUESTIONS JURIDIQUES NON TRANCHÉES PAR L’ARRÊT

19. Le constat de non-violation dans cette situation inédite ne doit pas cacher le fait qu’une demande telle que celle en cause confronterait la Cour à des questions juridiques qui ne sont pas simplement difficiles et sensibles (Mennesson, précité, §§ 78-79), mais qui sont également nouvelles. Dans son avis du 10 avril 2019, la Cour indique très clairement que le litige interne faisant l’objet de la demande d’avis « ne concerne donc pas le cas où l’enfant est issu des gamètes de la mère d’intention » (no P-16-2018-001, précité, § 28). En outre, au paragraphe 36 de l’avis, la Cour a fait valoir ce qui suit :

« Elle rappelle à cet égard que la question à examiner en l’espèce inclut explicitement un élément factuel selon lequel le père d’intention a un lien biologique avec l’enfant concerné. La Cour va circonscrire sa réponse en conséquence. Elle précise toutefois qu’elle pourrait être appelée à l’avenir à développer sa jurisprudence dans ce domaine, étant donné en particulier l’évolution de la question de la gestation pour autrui. »

20. Compte tenu de l’importance que la Cour attache jusqu’à présent à l’existence d’un lien biologique entre le(s) parent(s) d’intention et l’enfant issu d’une GPA (voir Mennesson, précité, § 100 ou Paradiso et Campanelli c. Italie, no 25358/12, §§ 157 et 195, 24 janvier 2017), il reste à savoir si la marge d’appréciation des États membres en vertu de l’article 8, lu seul ou combiné avec l’article 14, permet la transcription à l’égard du père biologique d’intention alors que le lien de filiation avec la mère génétique d’intention doit être établi par voie d’adoption. Que l’on soit d’accord ou pas, l’importance du lien biologique se trouve au cœur d’autres affaires, liées ou non au contexte de la GPA, qui portent sur l’article 8 de la Convention (voir, par exemple, Mandet c. France, no 30955/12, § 59, 14 janvier 2016, et Boljević c. Serbie, no 47443/14, §§ 28 et 54, 16 juin 2020, où, du point de vue de l’enfant, l’établissement de l’identité du père biologique a été considéré comme étant « un intérêt vital protégé par la Convention » même après le passage de plusieurs décennies).

21. Pour les raisons exposées ci-dessus, cette affaire ne permettait pas, à mon sens, à la Cour de répondre à de telles questions. Tôt ou tard, les juridictions nationales pourraient être confrontées à la question de savoir si le dictum mater semper certa est doit ou peut toujours être appliqué par les autorités internes comme il l’a été en l’espèce par la cour d’appel de Rennes, qui a rattaché « la maternité avec l’acte charnel d’accouchement » (voir le paragraphe 10 de l’arrêt de la chambre). Dans une telle affaire, la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant concerné restera primordiale lors de l’examen mené sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

22. L’arrêt de la chambre met en exergue le dialogue judiciaire important qui s’est tissé au cours des dernières années dans un domaine sensible entre la plus haute juridiction d’un État membre et la Cour. Afin de faire fonctionner ce type de dialogue, reflétant le fait qu’il incombe en premier lieu aux autorités nationales de garantir les droits et libertés énoncés par la Convention (voir, entre autres, la déclaration de Copenhague du 13 avril 2018, § 10), tant les requérants que les gouvernements défendeurs doivent assumer leurs propres responsabilités.

* * *

[1] Selon le gouvernement défendeur dans une autre affaire (Foulon et Bouvet c. France, n° 9063/14 et 10410/14, § 56, 21 juillet 2016), ce revirement était intervenu antérieurement, à la suite de l’arrêt Mennesson de la Cour, dans deux arrêts de la Cour de Cassation du 3 juillet 2015. La Cour n’a toutefois pas accepté cette thèse.

[2] Selon la jurisprudence de la Cour, « si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l’exception et les circonstances le permettent, dans ses observations écrites ou orales sur la recevabilité de la requête » (voir Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 52, 15 décembre 2016, italique ajouté). Toutefois, compte tenu de l’élément factuel nouveau qui est apparu à la suite de la décision de la Cour de re-communiquer l’affaire en 2019, il me semble évident que ce principe de célérité n’aurait pas pu être opposé au gouvernement défendeur en l’espèce.

[3] Conseil d’État, Les Études du Conseil d’État, « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? » 2018, p. 86. Voir, dans le même sens, Clarke J., dans son opinion dissidente dans l’affaire de la Cour Suprême d’Irlande M.R. et D.R. c. An tArd Chlaraitheoir, Irlande et Attorney General (2014) IESC 60, § 7.3 : « What then is the consequence for the meaning of the term ‘mother’ (unless specifically defined for a particular purpose in a particular statutory context) of the development of reproductive techniques which now allow those two rules (those of genetic mother and birth mother) to fall on different persons. The law did not distinguish between a birth mother and a genetic mother because there was no distinction in scientific fact. Now that there is a distinction in scientific fact how does that previous legal definition [mater certa semper est] apply? »

[4] En outre, il existe des exemples de griefs pour lesquels les voies de recours internes n’avaient pas été épuisées et qui ont été rejetés par les organes de la Convention alors même que l’État défendeur n’avait pas soulevé d’exception d’irrecevabilité (voir, par exemple, Laidin c. France (déc.), n° 43191/98, 8 janvier 2002, ou la décision de la Commission dans l’affaire Veenstra c. le Royaume-Uni, n°20946/92, 31 août 1994).


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