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10/07/2020 | CEDH | N°001-203935

CEDH | CEDH, AFFAIRE MUGEMANGANGO c. BELGIQUE, 2020, 001-203935


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE MUGEMANGANGO c. BELGIQUE

(Requête no 310/15)

ARRÊT


Art 3 P1 • Se porter candidat aux élections • Réclamation portant sur une demande de recomptage de bulletins de vote examinée par un organe manquant d’impartialité, dans une procédure ne présentant pas de garanties adéquates et suffisantes • Impossibilité d’exclure que le candidat fût déclaré élu à l’issue d’un recomptage, allégations sérieuses et défendables • Garanties insuffisantes quant à l’impartialité d’un parlement non encore constitué, l

organe décisionnaire comportant des parlementaires dont l’élection pouvait être remise en cause • Pouvoir d’apprécia...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE MUGEMANGANGO c. BELGIQUE

(Requête no 310/15)

ARRÊT

Art 3 P1 • Se porter candidat aux élections • Réclamation portant sur une demande de recomptage de bulletins de vote examinée par un organe manquant d’impartialité, dans une procédure ne présentant pas de garanties adéquates et suffisantes • Impossibilité d’exclure que le candidat fût déclaré élu à l’issue d’un recomptage, allégations sérieuses et défendables • Garanties insuffisantes quant à l’impartialité d’un parlement non encore constitué, l’organe décisionnaire comportant des parlementaires dont l’élection pouvait être remise en cause • Pouvoir d’appréciation de l’organe décisionnaire non circonscrit par des dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision • Garanties accordées sur une base discrétionnaire • L’autonomie parlementaire ne saurait valablement s’exercer que dans le respect de la prééminence du droit

Article 13 (+ Art 3 P1) • Recours effectif • Absence d’un recours effectif permettant de contester le résultat des élections et de demander un recomptage des voix

STRASBOURG

10 juillet 2020

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Mugemangango c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turković,
Angelika Nußberger,
Paul Lemmens,
Ganna Yudkivska,
Julia Laffranque,
Helen Keller,
Krzysztof Wojtyczek,
Valeriu Griţco,
Armen Harutyunyan,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Jovan Ilievski,
Ivana Jelić,
Arnfinn Bårdsen,
Raffaele Sabato, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 décembre 2019 et le 14 mai 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne un contentieux postélectoral. Elle a trait à la procédure d’examen de la réclamation du requérant portant sur une demande de recomptage d’un certain nombre de voix eu égard aux irrégularités qui auraient eu lieu au cours du processus électoral. En particulier, le requérant met en exergue le manque de garanties contre l’arbitraire ainsi que l’absence de recours devant un organe indépendant et impartial. Il invoque les articles 3 du Protocole no 1 et 13 de la Convention.

PROCÉDURE

2. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 310/15) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Germain Mugemangango (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 décembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

3. Le requérant a été représenté par Mes M. Pétré, O. Stein et I. Flachet, avocats à La Louvière pour la première, et à Bruxelles pour les deux autres. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 27 novembre 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement. Le 11 juin 2019, une chambre de cette section composée de Robert Spano, président, Paul Lemmens, Julia Laffranque, Valeriu Griţco, Stéphanie Mourou-Vikström, Ivana Jelić, Arnfinn Bårdsen, juges, ainsi que de S. Naismith, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de l’affaire. Le président de la Grande Chambre a invité la Commission européenne pour la démocratie par le droit (« Commission de Venise ») à intervenir dans la procédure écrite et a autorisé le Gouvernement du Danemark à faire de même (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 4 décembre 2019 (articles 71 et 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmeI. Niedlispacher, service public fédéral de la Justice, agent,
MmeI. Leclercq, bureau de l’agent du Gouvernement,

M.J.-C. Marcourt, président du Parlement wallon,
M. F. Janssens, greffier du Parlement wallon,

M. G. Lambison, porte-parole du Parlement wallon,

Mme S. Salmon, expert du Parlement wallon, conseillers;

– pour le requérant
M. G. Mugemangango, requérant,

MeM. Pétré, avocat,

MeO. Stein, avocat, conseils,

MeI. Flachet, avocat,

MeJ. Laurent, avocat,

MmeK. Van den Brande, conseillers.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions des juges, Mmes Niedlispacher et Leclercq, puis Mes Pétré et Stein. Le requérant, M. Mugemangango, a ensuite été autorisé par le président à s’exprimer brièvement sur l’affaire.

EN FAIT

8. Le requérant est né en 1973 et réside à Charleroi.

9. Lors de l’introduction de la requête, il était le président de la section de la province du Hainaut du Parti du Travail de Belgique (« PTB »). Il se porta candidat tête de liste pour l’élection du parlement de la région wallonne (ci-après, « parlement wallon ») du 25 mai 2014 sur la liste électorale PTB-GO ! dans la circonscription électorale de Charleroi, faisant partie de la province du Hainaut.

10. La liste PTB-GO ! recueillit 16 554 voix et dépassa ainsi le seuil de 5 % des voix du total général des votes valablement exprimés dans la circonscription de Charleroi. Le requérant explique que pour pouvoir bénéficier du système de l’apparentement, permettant à une liste de comptabiliser en sa faveur les voix non utilisées par des listes apparentées d’autres circonscriptions de la même province, une liste devait obtenir 16 567,83 voix dans la circonscription de Charleroi. Il aurait donc manqué 14 voix à la liste PTB-GO ! pour pouvoir bénéficier de l’apparentement et obtenir ainsi un siège au parlement wallon. Dans ce cas, le siège aurait été attribué au requérant en tant que candidat tête de liste.

11. Aussi, 21 385 bulletins de vote furent déclarés blancs, nuls ou contestés dans la circonscription électorale de Charleroi.

12. Dès le lendemain des élections, le requérant entreprit un certain nombre de démarches auprès du bureau électoral principal de la circonscription de Charleroi ainsi qu’auprès du bureau électoral central de la province du Hainaut afin d’obtenir le recomptage des bulletins de vote déclarés blancs, nuls ou contestés de la circonscription électorale de Charleroi. Les bureaux concernés refusèrent de faire droit à sa demande au motif qu’ils étaient incompétents pour ce faire et ils renvoyèrent le requérant vers le parlement wallon.

13. Le 6 juin 2014, le requérant introduisit une réclamation auprès du parlement wallon sur le fondement de l’article 31 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (« LSRI ») et sollicita un réexamen des 21 385 bulletins de vote déclarés blancs, nuls ou contestés dans la circonscription de Charleroi ainsi qu’un recomptage des votes valablement émis sur les bulletins éventuellement annulés par erreur. À l’appui de sa demande, il fit valoir que de multiples problèmes étaient apparus lors des opérations de dépouillement et de comptabilisation des bulletins de vote dans la circonscription. Il expliqua que ces irrégularités étaient susceptibles de modifier la répartition des sièges entre les différentes listes électorales et d’aboutir à l’attribution d’un ou deux sièges à la liste PTB-GO ! compte tenu du très faible nombre de voix manquantes au parti. En particulier, le requérant se plaignit : que des témoins présents au sein de certains bureaux de dépouillement firent état du fait que la fatigue avait pu être à l’origine d’erreurs dans les opérations de dépouillement qui durèrent parfois plus de 12 heures sans interruption ; des mauvaises conditions matérielles dans lesquelles les opérations de dépouillement eurent lieu ; des erreurs liées à des bureaux de dépouillement composés en extrême urgence le jour même des élections et au manque de formation des présidents et assesseurs des bureaux de vote et de dépouillement ; que des bulletins de vote furent retrouvés quelques jours après les élections sans qu’il ait pu être déterminé avec certitude si ceux-ci avaient été comptabilisés ou non ; que des erreurs furent découvertes du fait de la grande taille des bulletins de vote par rapport à la petite taille des « bulles » qu’il fallait cocher et que le crayon de couleur rouge donné aux électeurs n’apparaissait pas visiblement sur les bulletins de vote rose lorsqu’il n’était pas utilisé avec une force suffisante ; qu’il ressortait de plusieurs témoignages que, contrairement à ce que prévoyait la loi, les bulletins de vote contenant une marque ou un signe ne rendant pas leur auteur reconnaissable furent considérés comme nuls malgré le suffrage valablement exprimé. Le requérant présenta divers témoignages et articles de presse à l’appui de ses allégations.

14. La réclamation du requérant fut examinée par la commission de vérification des pouvoirs du parlement wallon (« la commission »), composée par tirage au sort en vertu de l’article 7 du règlement dudit parlement (paragraphe 29 ci-dessous), les 10, 11 et 12 juin 2014.

15. Le 10 juin 2014, le requérant et son conseil furent entendus par la commission en séance publique. Ensuite, la commission délibéra à huis clos. Il ressort des procès-verbaux des réunions de la commission que la proposition relative à la réclamation du requérant fut décidée par quatre des sept membres de la commission désignée conformément à l’article 7 § 1 du règlement du parlement wallon. Un des membres fut excusé pour les 11 et 12 juin et ne participa donc ni à la totalité des délibérations ni à la prise de décision. En ce qui concerne les deux autres membres qui ne se prononcèrent pas sur la réclamation du requérant, les procès-verbaux n’indiquent rien quant au motif de leur non-participation au vote. Le Gouvernement a indiqué dans ses observations que ces deux membres ressortaient de la même circonscription électorale que le requérant et décidèrent de leur propre initiative de ne pas se prononcer sur ladite réclamation. D’après les procès-verbaux, ils étaient néanmoins présents lors des délibérations et du vote sur la réclamation du requérant.

16. À l’issue des délibérations, la commission se prononça sur une première proposition de déclarer la réclamation recevable mais non fondée. Cette proposition recueillit 2 voix pour et 2 contre, et ne fut donc pas adoptée. Après de nouvelles délibérations qui durèrent plus de deux jours, la commission estima, par 3 voix pour et 1 contre, que la réclamation du requérant était recevable et fondée. La commission proposa que les bulletins blancs et nuls soient vérifiés et classés par le service public fédéral Intérieur (« SPF Intérieur ») au regard de la législation et des circulaires applicables en la matière et ensuite que l’ensemble des bulletins de la circonscription de Charleroi soient recomptés par le SPF Intérieur. Par conséquent, la commission proposa que les pouvoirs des élus de la province du Hainaut ne soient pas validés.

17. Les six membres de la commission présents adoptèrent par quatre voix contre deux le rapport qui allait être présenté en séance plénière sur l’ensemble des réclamations portées devant elle.

18. L’avis de la commission sur la réclamation du requérant était assorti d’une note visant à déterminer si un recomptage des voix pouvait avoir un effet sur la répartition des sièges. Cette analyse étudia plusieurs hypothèses. Elle conclut qu’il en ressortait clairement que, tant dans l’hypothèse extrême que dans des hypothèses plus modestes, la répartition des sièges dans la circonscription de Charleroi était susceptible d’être modifiée si les 21 385 votes comptés comme blancs ou nuls étaient recomptés et considérés au final comme des votes valables. Cette modification était également susceptible d’affecter la répartition des sièges dans d’autres circonscriptions de la province du Hainaut via le mécanisme de l’apparentement entre groupements de listes.

19. Le 13 juin 2014, la commission fit part de ses conclusions au parlement wallon lors de sa séance constitutive. Un débat eut lieu sur les conclusions de la commission. Celles-ci furent rejetées par 43 voix contre 32. Tous les membres du parlement wallon, y compris ceux ayant été élus dans la circonscription électorale du requérant, prirent part au vote.

20. Le même jour, tous les membres du parlement wallon prirent part au vote sur une motion validant l’ensemble des pouvoirs des élus. Cette motion fut adoptée par 43 voix contre 28 et 4 abstentions.

21. Suite au vote sur la réclamation du requérant, la décision du parlement wallon fut consignée dans un document contenant les motifs de la décision. S’appuyant sur les constatations faites par la commission, le parlement wallon y releva d’abord qu’il ressortait de la note jointe au rapport de la commission que la répartition des sièges était susceptible d’être modifiée si les 21 385 votes déclarés blancs, nuls ou contestés étaient finalement considérés comme des votes valables et que cette modification était également susceptible d’affecter la répartition des sièges dans d’autres circonscriptions de la province du Hainaut par le mécanisme de l’apparentement entre groupements de listes. Le nombre de voix manquant à la liste du requérant pour se qualifier serait toutefois différent selon l’hypothèse retenue. Il pouvait être de 15 voix dans une hypothèse et aller jusqu’à 1582 dans une autre. Cela étant, d’après le parlement wallon, la plupart des griefs soulevés par le requérant mettaient en cause des modalités propres au système électoral en général et il ne lui appartenait pas, dans le cadre de la procédure de vérification des pouvoirs, de remettre en cause la validité juridique de ces normes. Certains griefs procédaient de constats qui, aussi regrettables qu’ils fussent, pouvaient être effectués pour tous les scrutins et dans la vaste majorité des circonscriptions. Aussi, les coupures de presse présentées par le requérant ne constituaient pas un mode de preuve recevable dans le cadre d’un contentieux électoral et les déclarations des témoins auraient dû faire l’objet de mentions dans les procès-verbaux des bureaux de dépouillement respectifs et non pas de déclarations sur l’honneur faites a posteriori. Le parlement wallon releva encore que le nombre de bulletins de vote déclarés blancs, nuls ou contestés était inférieur au nombre correspondant lors des précédentes élections de juin 2009, ce qui n’était donc pas de nature, en soi, à éveiller de suspicion. Contrairement à ce qu’alléguait le requérant, il était accepté dans la doctrine et la pratique électorale que toute mention manuscrite autre que le vote proprement dit constituait une marque non autorisée par la loi au sens de l’article 157 du code électoral, rendant le bulletin nul. Certains membres du parlement wallon furent néanmoins alertés par le fait qu’un vote exprimé à l’aide d’un autre instrument que le crayon rouge avait pu être tenu pour nul dans certains bureaux de dépouillement mais pas dans tous, et il fut pris en considération que plusieurs témoins avaient estimé que des bulletins avaient à tort été considérés comme nuls. Cela étant, la réclamation du requérant ne mentionnait pas que ces éventuelles irrégularités auraient été consignées dans un quelconque procès-verbal.

22. La décision motivée du parlement wallon fut notifiée au requérant par lettre recommandée du 24 juin 2014.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

1. LE DROIT INTERNE
1. La compétence en matière de contentieux postélectoral

23. L’article 48 de la Constitution dispose :

« Chaque Chambre [fédérale] vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet. »

24. En ses parties pertinentes, l’article 31 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (« LSRI ») se lit comme suit :

« § 1. Chaque Parlement [fédéré] se prononce sur la validité des opérations électorales en ce qui concerne ses membres et leurs suppléants.

En cas d’annulation de l’élection, toutes les formalités doivent être recommencées, y compris les présentations de candidats.

§ 2. Toute réclamation contre une élection doit, à peine de déchéance, être formulée par écrit, être signée par un des candidats et mentionner l’identité et le domicile du réclamant.

Elle doit être remise dans les dix jours de l’établissement du procès-verbal, et en tout cas avant la vérification des pouvoirs, au greffier du Parlement concerné, qui est tenu d’en donner récépissé.

§ 3. Chaque Parlement vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet.

§ 4. Les greffiers du Parlement wallon et du Parlement flamand peuvent, en vue de la vérification des pouvoirs, par leurs assemblées respectives, se faire communiquer sans frais par les autorités administratives les documents qu’ils jugent utiles.

(...) »

25. En ce qui concerne les élections du parlement européen dont le contentieux postélectoral est principalement régi par le droit de chaque État membre de l’Union européenne (articles 8 et 12 de l’Acte portant élection des représentants au parlement européen au suffrage universel direct annexé à la décision 76/787/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 20 septembre 1976, tel que modifié par la décision 2002/772/CE, Euratom du Conseil, du 25 juin 2002 et du 23 septembre 2002), la Chambre des représentants belge statue sur la validité des opérations électorales qui se sont déroulées en Belgique ainsi que sur les éventuelles réclamations introduites à cet égard (article 43 de la loi du 23 mars 1989 relative à l’élection du parlement européen).

26. En application des dispositions précitées, les juridictions belges se déclarent, de manière constante, incompétentes pour traiter des questions relatives aux élections qui leur ont été soumises, qu’elles aient été portées devant la Cour constitutionnelle (arrêt no 34 du 19 février 1987, arrêt no 20/2000 du 23 février 2000, arrêt no 81/2000 du 21 juin 2000, arrêt no 152/2009 du 13 octobre 2009), la Cour de cassation (Cass., 18 octobre 1995, Pas., 1995, I, no 925, Cass., 11 juin 2004, C.D.P.K., 2004, no 553) ou le Conseil d’État (CE, no 13.893 du 13 janvier 1970, CE, no 15.876 du 15 mai 1973, CE, no 17.303 du 25 novembre 1975, CE, no 22.250 du 12 mai 1982, CE, no 24.614 du 12 septembre 1984, CE, no 27.619 du 4 mars 1987, CE, no 49.237 du 23 septembre 1994, CE, nos 53.170, 53.171 et 53.172 du 8 mai 1995, CE, no 53.793 du 16 juin 1995, CE, no 54.395 du 6 juillet 1995, CE, no 55.271 du 22 septembre 1995, CE, no 118.570 du 24 avril 2003, CE, no 171.527 du 24 mai 2007, CE, no 203.980 du 18 mai 2010, CE, no 227.344 du 12 mai 2014, CE, no 227.788 du 20 juin 2014).

27. La Cour constitutionnelle belge considère que la règle selon laquelle les assemblées législatives élues disposent, dans l’exercice de leur mission, de l’indépendance la plus large possible relève des principes de base de la structure démocratique de l’État. Cette indépendance s’exprime, entre autres, dans le contrôle qu’elles exercent elles-mêmes sur leurs membres, aussi bien pour ce qui concerne la validité du mandat que pour ce qui est de la manière dont celui-ci s’acquiert par voie d’élections (arrêt no 20/2000 du 23 février 2000, considérant B.3). L’absence de contrôle juridictionnel vise ainsi à garantir l’indépendance des assemblées législatives par rapport aux autres pouvoirs, et n’est dès lors pas manifestement dépourvue de justification (ibidem, considérant B.6).

28. En ce qui concerne les élections communales en Région wallonne et dans la Région de Bruxelles-Capitale, un recours est ouvert devant le Conseil d’État (respectivement article L4146-15 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation pour la région wallonne et article 76bis de la loi électorale communale pour la région de Bruxelles-Capitale). Pour les élections provinciales, c’est le conseil provincial qui est compétent (article L4146-18 du Code de la démocratie locale et de la décentralisation pour la région wallonne). En Région flamande, les réclamations contre les élections communales et provinciales peuvent être portées devant le conseil des contestations électorales (article 203 du décret du 8 juillet 2011 portant organisation des élections locales et provinciales et portant modification du décret communal du 15 juillet 2005, du décret provincial du 9 décembre 2005 et du décret du 19 décembre 2008 relatif à l’organisation des centres publics d’action sociale). Les décisions du conseil des contestations électorales sont susceptibles d’un recours en cassation administrative devant le Conseil d’État (article 215 du décret précité).

2. La procédure de vérification des pouvoirs devant le parlement wallon

29. L’article 7 du règlement du parlement wallon, relatif à la vérification des pouvoirs et à l’entrée en fonction, tel qu’en vigueur au moment des faits, était ainsi libellé :

« 1. Lors de la première séance plénière qui suit tout renouvellement du Parlement wallon, une commission de vérification des pouvoirs, composée de sept membres, est constituée par tirage au sort.

Elle désigne un ou plusieurs de ses membres pour faire rapport à l’assemblée.

2. Les pièces justificatives des élections ainsi que les réclamations auxquelles les élections auraient donné lieu sont remises à la commission.

3. Le Parlement wallon se prononce sur les conclusions de la commission et le président proclame membres du Parlement wallon et membres suppléants ceux dont les pouvoirs ont été déclarés valides.

(...)

6. Les membres du Parlement wallon proclamés élus qui n’ont pas encore prêté serment ne peuvent prendre part ni aux délibérations ni aux votes, sauf en ce qui concerne la validation des élections.

(...) »

30. Le 28 juillet 2017, l’article 7 du règlement du parlement wallon fut modifié. Il prévoit désormais que, lors du renouvellement du parlement, trois commissions de vérification des pouvoirs sont constituées par tirage au sort parmi les élus qui ne relèvent pas des circonscriptions concernées. Seuls les membres ainsi désignés peuvent assister aux réunions.

31. En application du nouvel article 7 § 3 du règlement, un règlement fixant la procédure d’examen des réclamations contre l’élection du parlement wallon fut adopté le 25 avril 2018. Celui-ci détermine la procédure d’examen des réclamations par la commission et le parlement wallon et prévoit notamment les éléments suivants : l’examen des réclamations par la commission en séance publique, la possibilité pour la commission de se faire assister par des experts, et la présence du greffier du parlement aux débats et aux délibérations (article 6) ; l’audition du réclamant (article 5) qui peut être assisté par un avocat pour présenter ses moyens (article 8) ; la possibilité pour les membres de la commission de poser des questions, de se faire produire des pièces, d’entendre des témoins et d’ordonner le recomptage des bulletins de vote avant de formuler leur proposition de décision (article 9) ; la motivation de la proposition de décision qui peut être complétée par une note sur l’impact d’une redistribution des voix entre les listes (article 10). La séance plénière se prononce ensuite sur les conclusions des commissions de vérification des pouvoirs par un vote distinct sur chaque réclamation (article 12 §§ 1 et 2). Si aucune majorité ne se dégage en séance plénière, les conclusions des commissions de vérification des pouvoirs sont renvoyées devant elles afin qu’elles formulent une nouvelle proposition après avoir donné la possibilité aux réclamants de s’exprimer à nouveau (article 12 §§ 3 et 4). La décision prise par la séance plénière est adressée par courrier recommandé au réclamant (article 13).

2. LES TEXTES INTERNATIONAUX
1. Les travaux de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (la Commission de Venise)
1. Le Code de bonne conduite en matière électorale

32. À ses 51e et 52e sessions des 5 et 6 juillet et 18 et 19 octobre 2002, la Commission de Venise a adopté ses lignes directrices en matière électorale et un rapport explicatif précisant celles-ci (CDL-AD (2002) 23). Les deux documents susmentionnés constituent ensemble le Code de bonne conduite en matière électorale, qui a été approuvé en 2003 par l’Assemblée parlementaire et par le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l’Europe. En leurs parties pertinentes, les lignes directrices sont ainsi libellées :

« 3.3. L’existence d’un système de recours efficace

a. L’instance de recours en matière électorale doit être soit une commission électorale, soit un tribunal. Un recours devant le Parlement peut être prévu en première instance en ce qui concerne les élections du Parlement. Dans tous les cas, un recours devant un tribunal doit être possible en dernière instance.

b. La procédure doit être simple et dénuée de formalisme, en particulier en ce qui concerne la recevabilité des recours.

c. Les dispositions en matière de recours, et notamment de compétences et de responsabilités des diverses instances, doivent être clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours.

d. L’instance de recours doit être compétente notamment en ce qui concerne le droit de vote – y compris les listes électorales – et l’éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et le résultat du scrutin.

e. L’instance de recours doit pouvoir annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat. L’annulation doit être possible aussi bien pour l’ensemble de l’élection qu’au niveau d’une circonscription ou au niveau d’un bureau de vote. En cas d’annulation, un nouveau scrutin a lieu sur le territoire où l’élection a été annulée.

f. Tout candidat et tout électeur de la circonscription ont qualité pour recourir. Un quorum raisonnable peut être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.

g. Les délais de recours et les délais pour prendre une décision sur recours doivent être courts (trois à cinq jours en première instance).

h. Le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.

i. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions inférieures. »

33. En ses parties pertinentes, le rapport explicatif précise ce qui suit :

« 3.3. L’existence d’un système de recours efficace

92. Afin que les règles du droit électoral ne restent pas lettre morte, leur non-respect doit pouvoir être contesté devant un organe de recours. Cela vaut en particulier du résultat de l’élection, dont la contestation permet d’invoquer les irrégularités dans la procédure de vote ; cela vaut aussi d’actes pris avant l’élection, en particulier en ce qui concerne le droit de vote, les listes électorales et l’éligibilité, la validité des candidatures, le respect des règles de la campagne électorale et l’accès aux médias ou le financement des partis.

93. Deux solutions sont envisageables :

– Les recours sont traités par des tribunaux – ordinaires, spéciaux ou constitutionnels.

– Les instances compétentes sont des commissions électorales. Ce système présente de réels avantages du fait que ces commissions sont très spécialisées et, donc, plus au fait des questions électorales que les tribunaux. Il est néanmoins souhaitable, à titre de précaution, de mettre en place une forme de contrôle juridictionnel. Dès lors, le premier degré de recours sera la commission électorale supérieure, et le deuxième le tribunal compétent.

94. Le recours devant le Parlement, comme juge de sa propre élection, est parfois prévu, mais risque d’entraîner des décisions politiques. Il est admissible en première instance là où il est connu de longue date, mais un recours judiciaire doit alors être possible.

95. La procédure de recours devrait être la plus brève possible, en tout cas en ce qui concerne les décisions à prendre avant l’élection. Sur ce point, il faut éviter deux écueils : d’une part, que la procédure de recours retarde le processus électoral ; d’autre part, que, faute d’effet suspensif, les décisions sur recours qui pouvaient être prises avant ne soient prises après les élections. En outre, les décisions relatives aux résultats de l’élection ne doivent pas tarder, surtout si le climat politique est tendu. Cela implique à la fois des délais de recours très courts et que l’instance de recours soit tenue de statuer aussitôt que possible. Les délais doivent cependant être assez longs pour permettre un recours, pour garantir l’exercice des droits de la défense et une décision réfléchie. Un délai de trois à cinq jours en première instance (aussi bien pour recourir que pour statuer) paraît raisonnable pour les décisions à prendre avant les élections. Il est toutefois admissible que les instances supérieures (Cours suprêmes, Cours constitutionnelles) se voient accorder un peu plus de temps pour statuer.

96. Par ailleurs, la procédure doit être simple. La mise à la disposition des électeurs désirant former un recours de formulaires spéciaux contribue à la simplification de la procédure. Il est nécessaire d’écarter tout formalisme, afin d’éviter des décisions d’irrecevabilité, notamment dans les affaires politiquement délicates.

97. En outre, il faut absolument que les dispositions en matière de recours, et notamment de compétence et de responsabilités des diverses instances, soient clairement réglées par la loi, afin d’éviter tout conflit de compétences positif ou négatif. Ni les requérants, ni les autorités ne doivent pouvoir choisir l’instance de recours. Le risque de déni de justice est en effet accru s’il est possible de recourir alternativement auprès des tribunaux et des commissions électorales ou en l’absence de délimitation claire des compétences entre plusieurs tribunaux – par exemple les tribunaux ordinaires et la Cour constitutionnelle.

(...)

99. La qualité pour recourir doit être reconnue très largement. Le recours doit être ouvert à tout électeur de la circonscription et à tout candidat qui se présente dans celle-ci. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections.

100. La procédure doit avoir un caractère judiciaire, en ce sens que le droit des requérants au contradictoire doit être sauvegardé.

101. Les pouvoirs de l’instance de recours sont également importants. Il doit lui être possible d’annuler le scrutin si une irrégularité a pu influencer le résultat, c’est-à-dire modifier la répartition des sièges. Ce principe général doit être affiné, en ce sens que le contentieux de l’annulation ne doit pas forcément porter sur l’ensemble du territoire, voire l’ensemble de la circonscription ; au contraire, l’annulation doit être possible par bureau de vote. Cela permettra à la fois d’éviter deux situations extrêmes : l’annulation de la totalité d’un scrutin alors que les irrégularités sont limitées géographiquement ; le refus d’annuler le scrutin si l’étendue géographique des irrégularités est insuffisante. L’annulation du scrutin doit entraîner la répétition de l’élection sur le territoire où l’élection a été annulée.

102. Lorsque les commissions électorales supérieures sont instances de recours, elles doivent pouvoir rectifier ou annuler d’office les décisions des commissions électorales supérieures. »

2. Le Rapport sur le droit électoral et l’administration des élections en Europe

34. Le Rapport sur le droit électoral et l’administration des élections en Europe (« Étude de synthèse sur certains défis et problèmes récurrents ») a été adopté par le Conseil des élections démocratiques lors de sa 17e réunion (Venise, 8-9 juin 2006) et par la Commission de Venise lors de sa 67e session plénière (Venise, 9-10 juin 2006). En ses parties pertinentes, il est ainsi libellé :

« XII. Recours en matière d’élections et responsabilité au titre des
violations du droit électoral

(...)

167. Les procédures de dépôt de recours doivent être ouvertes au moins à tout électeur, candidat et parti. Un quorum raisonnable peut toutefois être imposé pour les recours des électeurs relatifs aux résultats des élections ([CDL-AD(2002)023rev,](http://www.venice.coe.int/docs/2002/CDL-AD.2002.023rev-f.asp) paragraphe 99). Pour être conformes aux normes internationales, les procédures de recours doivent clairement conférer les droits suivants aux électeurs, aux candidats et aux partis politiques : droit de déposer un recours, droit de présenter des éléments de preuve à l’appui d’un recours, droit à un examen public et équitable d’un recours, droit à ce qu’un tribunal se prononce de façon transparente et impartiale sur un recours, droit à une solution effective et rapide ainsi que droit de s’adresser à un tribunal d’appel si le recours est rejeté (voir par exemple [CDL-AD(2004)027](http://www.venice.coe.int/docs/2004/CDL-AD.2004.027-f.asp), paragraphe 111). En pratique, cependant, ces droits ne sont pas toujours respectés. Il arrive que même des recours fondés ne puissent pas conduire à l’élimination de l’inégalité.

168. En raison de traditions juridiques et politiques différentes selon les pays, diverses procédures sont utilisées pour résoudre les litiges électoraux. Dans nombre de démocraties bien établies d’Europe de l’Ouest (comme l’Allemagne, la France, l’Italie ou le Royaume-Uni), les recours en matière électorale sont entendus par les organes administratifs et judiciaires ordinaires dans le cadre de procédures spéciales. Par contre, dans la plupart des démocraties nouvelles ou émergentes d’Europe centrale et de l’Est (ainsi que dans d’autres régions du monde), des commissions électorales indépendantes et des tribunaux ordinaires se partagent la responsabilité d’examiner les recours en matière électorale. (...) »

2. Les rapports et recommandations de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)

35. Dans son rapport intitulé “Existing commitments for democratic elections in OSCE participating States” d’octobre 2003, le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH/ODIHR) de l’OSCE indiqua ce qui suit :

« 10.3 Les candidats aux élections doivent avoir la possibilité de former une réclamation concernant tout élément d’une opération électorale, de saisir à cette fin l’autorité administrative ou judiciaire compétente, et de former un recours devant la juridiction compétente. Les électeurs doivent avoir la possibilité de former une réclamation et un recours concernant toute violation de leurs droits électoraux, y compris en matière d’inscription sur les listes électorales. »

36. Dans son rapport daté du 19 octobre 2007 faisant suite à l’observation des élections législatives fédérales du 10 juin 2007 en Belgique, le BIDDH/ODIHR conclut :

« Indépendamment de toute éventuelle considération tenant au fond des [affaires soumises aux commissions de vérification des deux chambres du Parlement] et de leur traitement par les commissions de vérification, le principe selon lequel c’est [aux] partis qui ont remporté l’élection qu’il revient de juger en dernier ressort des litiges électoraux est peu courant et risque de poser problème. Ce système peut certainement faire douter de l’impartialité de l’organe qui statue et de l’effectivité du recours ouvert aux parties réclamantes. À cet égard, certains interlocuteurs ont suggéré que la Cour constitutionnelle puisse contrôler les décisions des chambres du Parlement.

L’inventaire des engagements et les autres principes du BIDDH/ODIHR régissant les élections démocratiques précisent que les candidats aux élections doivent avoir la possibilité de contester tout élément d’une opération électorale devant le tribunal compétent (...)

Indépendamment de la base légale établie de la procédure de réclamation existante, le nouveau Parlement devrait songer à des mesures qui permettraient un règlement impartial des litiges électoraux, y compris la possibilité de saisir les tribunaux. »

37. Dans son rapport daté du 8 avril 2014 relatif à l’évaluation de la nécessité d’organiser une mission pour observer les élections législatives du 25 mai 2014 en Belgique, le BIDDH/ODIHR rappela ce qui suit :

« Les décisions et actions des [principales commissions électorales des circonscriptions] en matière de tenue du scrutin, y compris l’utilisation des sigles des partis ainsi que les décisions par lesquelles les candidats sont déclarés élus avant le jour du scrutin, peuvent elles aussi être contestées devant la Cour de cassation. Les autres décisions des commissions électorales ne peuvent pas être contestées devant les tribunaux, notamment celles relatives aux résultats des élections, à la répartition des sièges et aux plaintes le jour du scrutin. Une telle pratique n’est pas conforme aux engagements dans le cadre de l’OSCE. C’est au contraire la Chambre des représentants qui statue en définitive sur les litiges électoraux lorsqu’elle valide les résultats du scrutin, sans possibilité de recours. La seule exception concerne la décision de retirer son mandat à un député nouvellement élu qui aurait violé les règles de financement des campagnes, décision qui peut être attaquée devant la cour constitutionnelle. Le pouvoir qu’a la Chambre des représentants de valider l’élection de ses propres membres, sans possibilité de saisir le juge, est contraire aux engagements dans le cadre de l’OSCE et aux bonnes pratiques internationales. Le OSCE/BIDDH avait recommandé auparavant que les autorités songent à adopter des mesures permettant le règlement impartial des litiges électoraux, y compris la possibilité d’un recours en justice. »

3. Les observations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies

38. L’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit à tout citoyen le droit et la possibilité, sans aucune discrimination et sans restrictions déraisonnables, de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; et d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays.

39. Dans son observation générale no 25 (57) du 27 août 1996 adoptée au titre du paragraphe 4 de l’article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (CCPR/C/21/Rev.1/Add.7), le Comité des droits de l’homme des Nations Unies indiqua ce qui suit :

« 20. Une autorité électorale indépendante devrait être créée afin de superviser le processus électoral et de veiller à ce qu’il soit conduit dans des conditions d’équité et d’impartialité, conformément à des lois établies qui soient compatibles avec le Pacte. Les États devraient prendre des mesures pour assurer le secret du processus électoral, y compris dans le cas du vote par correspondance ou par procuration lorsque cette possibilité existe. Cela suppose que les citoyens soient protégés contre toute forme de coercition ou de contrainte les obligeant à révéler leurs intentions de vote ou dans quel sens ils ont voté, et contre toute immixtion illégale ou arbitraire dans le processus électoral. Toute renonciation à ces droits est incompatible avec l’article 25 du Pacte. La sécurité des urnes doit être garantie et le dépouillement des votes devrait avoir lieu en présence des candidats ou de leurs agents. Il devrait y avoir un contrôle indépendant du vote et du dépouillement et une possibilité de recourir à un examen par les tribunaux ou à une autre procédure équivalente, afin que les électeurs aient confiance dans la sûreté du scrutin et du dépouillement des votes. L’aide apportée aux handicapés, aux aveugles et aux analphabètes devrait être indépendante. Les électeurs devraient être pleinement informés de ces garanties. »

3. éléments de droit comparé

40. Il résulte des éléments dont la Cour dispose sur la législation des États membres du Conseil de l’Europe, notamment d’une étude portant sur 38 États membres et des informations fournies par la Commission de Venise relatives à 2 États supplémentaires, les informations exposées ci-dessous.

41. Dans 5 États (le Danemark, l’Islande, le Luxembourg, la Norvège et les Pays-Bas), à l’instar du système de vérification des pouvoirs belge, les recours mettant en cause la régularité des élections sont décidés par le parlement lui-même et aucun recours devant une instance juridictionnelle n’est prévu.

42. Dans un État (l’Italie), on distingue deux phases procédurales. Le contrôle des résultats et les décisions sur les réclamations des candidats et des partis sont confiés à des collèges institués au sein des cours d’appel, lesquels collèges exercent un contrôle de nature administrative. Ils statuent sur les votes et le décompte des votes contestés et transmettent les résultats à la Cour de cassation. Celle-ci statue sur les recours formés contre les décisions des bureaux de vote locaux et les recours internes (revisione in autotutela). Elle proclame également les résultats du scrutin, assigne les sièges obtenus et en informe la Chambre en question. Après la proclamation des élus par la Cour de cassation, les commissions compétentes des Chambres du parlement instruisent les éventuels recours, dans le respect de certaines garanties (paragraphe 47 ci-dessous). Cependant, la décision finale est prise par l’assemblée plénière de chaque Chambre.

43. Dans un État (la Suède), la seule instance de recours est un organe collégial subordonné au parlement, sans recours devant une instance juridictionnelle. Les membres de cet organe sont élus par le parlement et le président doit être un juge permanent.

44. Dans les 33 autres États étudiés, il existe un recours juridictionnel. Dans 14 États, le recours juridictionnel est direct, c’est-à-dire que les recours sont adressés directement à la juridiction compétente. Dans 19 États, le recours juridictionnel intervient en deuxième instance, en général après un premier recours devant une commission électorale centrale (notamment dans la grande majorité des pays d’Europe centrale et orientale), parfois après une décision du parlement (Allemagne) ou du pouvoir exécutif (Suisse).

45. La juridiction compétente pour se prononcer sur les contentieux postélectoraux varie d’un État à l’autre. Il peut s’agir des juridictions supérieures (telle que la Cour constitutionnelle, la Cour suprême, la Cour suprême administrative ou la High Court), d’une juridiction électorale spéciale ou des juridictions administratives ordinaires.

46. En ce qui concerne les garanties procédurales, lorsque la contestation est tranchée par une juridiction, le droit interne accorde en général aux plaignants le même ensemble de droits procéduraux que ceux dont jouissent les justiciables dans un procès ordinaire (principe du contradictoire, droit de présenter des observations écrites et/ou orales, accès au dossier, droit d’obtenir une décision motivée et publique, droit de solliciter l’assistance judiciaire). Une audience publique n’est pas prévue dans tous les États.

47. Dans les États dans lesquels le parlement est le seul organe compétent pour se prononcer sur une contestation relative au résultat de l’élection ou à la répartition des sièges, le plaignant ne dispose pas de garanties procédurales au Danemark, en Islande, en Norvège et aux Pays-Bas. Au Danemark, le compte-rendu de la commission parlementaire chargée d’examiner la plainte est néanmoins rendu public. En Italie, les débats devant les commissions compétentes des deux chambres du parlement ont un caractère contradictoire et un certain nombre de garanties procédurales sont prévues : une audience publique est organisée, le plaignant peut soumettre des observations et des documents, il peut être représenté par un avocat et il a le droit de répondre à l’analyse du rapporteur de la commission et de présenter ses observations orales finales en personne. La décision prise par la commission est ensuite transmise à l’assemblée plénière de l’assemblée législative concernée.

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 du protocole no 1 à LA CONVENTION

48. Le requérant allègue que le refus du parlement wallon de recompter les bulletins de vote déclarés blancs, nuls ou contestés dans la circonscription de Charleroi, alors que le parlement a agi comme juge et partie lors de l’examen de sa réclamation, a porté atteinte à son droit de se porter candidat à des élections libres tel que garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

1. Sur la recevabilité

49. Constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le requérant

50. Le requérant soutient que la Belgique a, en vertu de l’article 3 du Protocole no 1, une obligation positive d’organiser des élections libres. Le droit de se porter candidat ne serait effectif et réel que si des instances adéquates pouvaient vérifier le respect de ce droit tout au long du processus électoral, et en particulier, que le traitement des réclamations soit effectué par un organe compétent capable d’examiner les griefs des plaignants de façon effective. Or tel n’aurait pas été le cas en l’espèce puisque le parlement wallon n’aurait pas pris sa décision de manière impartiale.

51. Il rappelle qu’avec 14 voix supplémentaires, son parti politique aurait obtenu, au minimum, un siège supplémentaire et que le requérant aurait été élu. D’après lui, les voix manquantes sont en fait dues aux irrégularités ayant eu lieu au cours du processus électoral. Le fait que les bulletins de vote n’aient pas été recomptés créerait une incertitude quant à la volonté des électeurs. Le requérant souligne que la commission de vérification des pouvoirs lui a donné raison en reconnaissant que les irrégularités dénoncées étaient sérieuses, exigeaient un recomptage des bulletins, et étaient susceptibles de modifier le résultat du scrutin. Le parlement wallon a également confirmé qu’un recomptage était susceptible d’avoir un effet sur l’élection ou non du requérant.

52. Le requérant n’a pu faire valoir ses griefs que devant la commission de vérification des pouvoirs qui n’avait qu’une compétence pour donner un avis. Le parlement wallon était le seul organe décisionnel et aucun recours juridictionnel n’était possible. Le requérant se réfère aux recommandations de la Commission de Venise, aux observations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies et aux conclusions de la Cour dans l’arrêt Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, CEDH 2010) pour en déduire une violation manifeste de l’article 3 du Protocole no 1.

53. Il souligne que la commission de vérification des pouvoirs, appelée à donner un avis au parlement wallon, considéra sa réclamation fondée et que cet avis ne fut pas suivi par ce dernier. Le pouvoir de décision appartenait en l’espèce uniquement au parlement wallon, c’est-à-dire à des parlementaires dont l’élection pouvait être remise en cause si la réclamation était déclarée fondée et qui avaient un intérêt directement opposé au sien puisqu’ils appartenaient à d’autres partis politiques. Les membres du parlement wallon avaient donc un intérêt direct et personnel à la solution du litige. Ainsi, de l’avis du requérant, le seul recours ouvert a été tranché par une instance qui était à la fois juge et partie et ne présentait en rien les garanties d’impartialité.

54. De surcroît, il estime n’avoir bénéficié d’aucune garantie procédurale devant l’organe décisionnaire : le pouvoir autonome d’appréciation du parlement wallon n’était pas circonscrit par les dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision ; ni le droit à un examen public et équitable du recours, ni le droit à ce qu’un tribunal se prononce de façon transparente et impartiale sur le recours n’ont été respectés ; le parlement wallon s’est prononcé sans entendre le requérant et sans respecter son droit au contradictoire ; le requérant n’a pas eu la possibilité de prendre connaissance et, le cas échéant, de répondre aux pièces sur base desquelles le parlement wallon a pris sa décision. Or, à son avis, la Cour a établi dans sa jurisprudence antérieure la nécessité d’un contrôle juridictionnel de l’application des règles électorales.

55. Le requérant considère que si la Belgique jouit d’une longue tradition démocratique, cela l’oblige justement à perfectionner son système pour garantir que toute élection soit pleinement conforme à cette tradition. La séparation des pouvoirs ne saurait pas justifier le système de contentieux postélectoral belge puisque ce principe doit s’analyser comme exigeant la mise en place d’un parlement véritablement démocratique et pluraliste, ce qui impliquerait un contrôle juridictionnel des litiges postélectoraux. Le requérant se réfère à la doctrine et au fait que d’éminents auteurs ont indiqué leur conviction que le système de vérification des pouvoirs tel qu’en vigueur en Belgique est dépassé, inadapté aux besoins de l’époque et contraire à la nécessité de préserver l’indépendance du parlement et de protéger les droits fondamentaux et la démocratie.

b) Le Gouvernement

56. Le Gouvernement estime que les erreurs alléguées par le requérant n’ont pas entaché la fiabilité des résultats de l’élection et qu’elles n’ont pas entravé la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. Il rappelle qu’une simple erreur ou irrégularité ne révèle pas en elle-même un manque d’équité des élections si les principes généraux d’égalité, de transparence, d’impartialité et d’indépendance de l’administration électorale sont respectés. Tel serait le cas en l’espèce. En effet, le Gouvernement explique que le scrutin est encadré par une législation précise, que le décompte des suffrages, l’enregistrement et le transfert des résultats du vote sont ouverts et transparents, et que le code électoral prévoit différentes mesures pour assurer la neutralité des bureaux de vote et de dépouillement, le tout conformément aux recommandations de la Commission de Venise. Le Gouvernement insiste sur le fait que les erreurs alléguées n’ont pas fait l’objet de consignation dans les procès-verbaux des bureaux de dépouillement et qu’elles n’ont pas été évoquées par d’autres partis politiques que le PTB.

57. De plus, la décision prise par le parlement wallon sur la réclamation du requérant l’a été sur la base d’une appréciation acceptable et proportionnée des faits pertinents. Rappelant les motifs de la décision contestée, le Gouvernement conclut que les erreurs alléguées ne pouvaient être considérées comme d’une ampleur ou d’une gravité anormale. En outre, en ce qui concerne les effets des erreurs alléguées sur le résultat des élections, il se réfère au constat fait par le parlement wallon selon lequel, dans une des hypothèses, il aurait manqué à la liste du requérant 1582 voix pour se qualifier. Le fait que l’élection du requérant se soit jouée à quelques voix près ne constitue pas un motif suffisant pour recompter certains bulletins. Si tel avait été le cas, cela eut été discriminatoire vis-à-vis des candidats d’autres circonscriptions.

58. Pour le Gouvernement, le système belge de vérification des pouvoirs offre l’avantage d’être construit sur le mode d’une voie de recours unique et non équivoque, ce qui serait de nature à renforcer la sécurité juridique. De plus, ce système fait partie du patrimoine constitutionnel de l’État belge et est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs qui a une valeur constitutionnelle. Il s’inscrit au sein d’un ensemble de dispositions qui visent à assurer l’indépendance parlementaire. Le fait que les parlementaires puissent être considérés comme « juges et parties » serait un inconvénient proportionné aux avantages qu’offre ce système quant à l’indépendance du pouvoir législatif par rapport aux pouvoirs exécutif et judiciaire. Ainsi, les règles organisant le contentieux postélectoral ne sont pas le fruit d’un choix anodin, mais une application d’un des principes de base de la structure démocratique.

59. Ensuite, le Gouvernement soutient que le pouvoir autonome d’appréciation des différents parlements existant en Belgique ne saurait être considéré comme exorbitant : il serait précisément circonscrit par l’article 48 de la Constitution et l’article 31 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles (« LSRI »). Constatant que ni la LSRI ni le règlement du parlement wallon ne prévoyaient une procédure suffisamment précise pour se plaindre de la validité des élections et conscient du fait que la procédure ne correspondait plus aux critères démocratiques actuellement reconnus par les États européens, le parlement wallon – appelé à se prononcer sur une réclamation pour la première fois – utilisa en l’espèce son autonomie parlementaire afin de faire correspondre la procédure d’examen de la réclamation aux critères actuels en octroyant au requérant un certain nombre de garanties procédurales.

60. Le Gouvernement estime que ces garanties procédurales étaient adéquates et suffisantes contre l’arbitraire. Il souligne qu’en l’espèce les parlementaires issus de la circonscription électorale du requérant ne participèrent ni au débat ni au vote de la commission de vérification des pouvoirs, ce qui démontre que le parlement wallon a veillé, dans l’exercice de sa souveraineté, à ce que la commission chargée de la vérification des pouvoirs présente toutes les garanties d’impartialité. Aussi, la réclamation du requérant a été examinée par la commission en séance publique, le requérant a pu présenter ses arguments devant la commission et être assisté par un avocat. De plus, le parlement wallon a répondu de manière détaillée aux moyens avancés par le requérant. Ces garanties ont permis de protéger le requérant contre l’apparence d’un poids prépondérant des parlementaires concernés dans le processus décisionnel et d’éviter les accusations d’abus de la majorité. Enfin, le Gouvernement indique que les garanties procédurales dont le requérant a bénéficié sont désormais prévues par le nouveau règlement du parlement wallon.

2. Thèses des tiers intervenants

a) La Commission de Venise

61. La Commission de Venise indique que le système de vérification des pouvoirs par l’assemblée elle-même trouve son origine aux XVIIème et XVIIIème siècles avec le Bill of Rights anglais de 1689 et la Constitution des États-Unis de 1787. Il a ensuite été mis en place dans les pays européens au fur et à mesure de leur accès à des régimes parlementaires au cours du XIXème siècle. Ce système, fortement ancré dans l’histoire constitutionnelle de plusieurs pays, repose sur une certaine conception de la séparation des pouvoirs et l’idée que le parlement est un organe souverain qui dispose de prérogatives auxquelles aucun pouvoir juridictionnel ne saurait porter atteinte. Cela étant, les incidents et abus constatés dans certains pays ont fait ressentir le besoin de transférer le contentieux électoral à des institutions indépendantes et impartiales et ont conduit plusieurs pays à retirer aux assemblées la fonction de contrôler l’élection de leurs membres. Les constitutions européennes du XXème siècle ont généralement aboli la compétence du parlement d’être juge de sa propre élection, du moins en dernière instance, et la plupart des États européens confient désormais cette compétence à un organe juridictionnel, même s’il existe encore une grande variété de voies de recours dans ces États.

62. La Commission de Venise considère que des élections libres imposent que le choix des représentants obéisse à des règles précises dont l’application doit pouvoir être vérifiée et ne peut laisser aucune place à l’incertitude ou à l’arbitraire. Le principe de l’État de droit comprend le principe de légalité, qui inclut la primauté du droit et le respect du droit. Un des autres principes de l’État de droit est que la loi doit être la même pour tous : tout doute à ce sujet contribue à la défiance et donc à la remise en cause du pouvoir de celui qui en a fait ou qui est soupçonné de pouvoir en faire un mauvais usage. Quelle que soit l’instance compétente en matière de contentieux électoral, la Commission de Venise estime que ces principes ne peuvent être mis en œuvre que si sont garantis des droits processuels tels que l’existence d’un recours effectif et un mode de traitement des réclamations s’inspirant des principes du procès équitable.

63. Ainsi, se référant en particulier au Code de bonne conduite en matière électorale (paragraphe 32 ci-dessus), la Commission de Venise insiste sur le fait que ledit Code ne s’oppose pas à ce qu’un recours soit prévu devant le parlement en ce qui concerne l’élection de ses membres, mais un recours devant un tribunal doit alors être possible en dernière instance. En effet, dès lors que les recours électoraux ne portent pas sur des questions politiques, la sauvegarde du droit à des élections libres implique l’existence d’un recours juridictionnel. Le type de juridiction importe peu, l’essentiel étant que la décision soit prise pas un organe établi par la loi, indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou, dans une affaire donnée, qui statue en toute indépendance et impartialité sur des questions juridiques dans le cadre de procédures à caractère juridictionnel, et fournit donc des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes contre les décisions arbitraires et politiques.

64. Cela étant dit, même lorsqu’un recours devant le parlement est prévu en première instance, la composition de l’organe compétent et les règles de vote doivent laisser le moins de place possible à des décisions partisanes. Ainsi, les compétiteurs directs doivent être écartés dans tous les cas et la règle de majorité retenue pour les décisions doit assurer une représentation équitable. En outre, la Commission de Venise recommande que la procédure prévue soit simple, dénuée de formalisme et contradictoire. Les délais de recours et les délais pour prendre une décision doivent être courts. L’audience doit être publique et les décisions doivent être motivées et rendues publiques.

b) Le Gouvernement du Danemark

65. Le gouvernement danois indique que la Constitution danoise de 1849 prévoit un système de vérification des pouvoirs des membres du parlement similaire au système belge en cause en l’espèce. Mis en place dans le but de garantir l’indépendance du parlement et de le protéger de l’intervention du Roi, ce système fait partie intégrante de la structure constitutionnelle, de la séparation des pouvoirs et des longues traditions démocratiques fermement ancrées du pays.

66. Le gouvernement danois estime que ni l’article 3 du Protocole no 1 ni l’article 13 de la Convention ne sauraient obliger les États à abolir les systèmes électoraux établis de longue date par lesquels les parlements valident les pouvoirs de leurs membres. À son avis, lorsque la Cour vérifie si un système électoral prévoit suffisamment de garanties contre l’arbitraire, elle devrait faire un examen global de tous les facteurs pertinents, y inclus le contexte spécifique et la tradition démocratique de l’État concerné. Il rappelle que les États disposent d’une large marge d’appréciation lorsqu’est en cause le droit de se porter candidat à une élection. L’accès à un recours juridictionnel n’est qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte dans l’examen de la conformité du système de vérification des pouvoirs avec la Convention. La Cour devrait attacher un certain poids au pouvoir discrétionnaire du parlement : si des règles et procédures claires et accessibles réglementent la tenue des élections et limitent ainsi le pouvoir discrétionnaire du parlement, cela réduit de manière significative le risque d’arbitraire et de décisions politiquement motivées et est dès lors indicatif d’un système qui assure l’équité et l’objectivité requises par la Convention. Ainsi, l’absence d’un recours juridictionnel pour contester la décision du parlement de valider les pouvoirs de ses membres ne constituerait pas, en soi, une violation de l’article 3 du Protocole no 1 pris seul ou lu en combinaison avec l’article 13 de la Convention.

3. Appréciation de la Cour

a) Les principes établis dans la jurisprudence de la Cour relative à l’article 3 du Protocole no 1

67. La démocratie représente un élément fondamental de « l’ordre public européen ». Les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 sont cruciaux pour l’établissement et le maintien des fondements d’une véritable démocratie régie par la prééminence du droit et revêtent donc dans le système de la Convention une importance capitale (voir, parmi d’autres, Mathieu‑Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113, Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, §§ 98 et 103, CEDH 2006‑IV, Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, § 63, CEDH 2012, et Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 141, 17 mai 2016).

68. L’article 3 du Protocole no 1 consacre non une obligation d’abstention ou de non-ingérence, comme pour la majorité des droits civils et politiques, mais celle, à la charge de l’État, en tant qu’ultime garant du pluralisme, d’adopter des mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques du corps législatif (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 50). En ce qui concerne le mode de désignation du « corps législatif », cette disposition se borne à prescrire des élections « libres » se déroulant « à des intervalles raisonnables », « au scrutin secret » et « dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple ». Sous cette réserve, il n’engendre aucune « obligation d’introduire un système déterminé » (ibidem, § 54).

69. L’article 3 du Protocole no 1 pose ainsi certaines obligations positives de nature procédurale. En particulier, il exige la mise en place d’un système interne permettant l’examen effectif des recours et griefs individuels en matière de droits électoraux (Namat Aliyev c. Azerbaïdjan, no 18705/06, §§ 81 et suivants, 8 avril 2010, et Davydov et autres c. Russie, no 75947/11, § 274, 30 mai 2017). L’existence d’un tel système est l’une des garanties essentielles d’élections libres et régulières (ibidem) et constitue une garantie importante contre l’arbitraire dans le processus électoral (Petkov et autres c. Bulgarie, nos 77568/01 et 2 autres, § 63, 11 juin 2009). Pareil système permet de veiller à l’exercice effectif du droit de vote et du droit de se porter candidat à des élections, préserve la confiance générale dans l’administration par l’État du processus électoral, et constitue un outil important dont l’État dispose pour satisfaire à l’obligation positive que l’article 3 du Protocole no 1 fait peser sur lui d’organiser des élections démocratiques. En effet, l’engagement solennel pris par l’État en vertu de l’article 3 du Protocole no 1 et les droits individuels garantis par cette disposition seraient illusoires si, au cours du processus électoral, des cas précis faisant ressortir une absence de garantie d’une élection démocratique ne pouvaient être contestés par des individus devant un organe interne compétent habilité à trancher effectivement en la matière (Namat Aliyev, précité, § 81 et Davydov et autres, précité, § 274).

70. L’effectivité de l’examen des recours implique que le processus décisionnel concernant la contestation de résultats électoraux soit entouré de garanties adéquates et suffisantes permettant notamment d’éviter l’arbitraire. En particulier, les décisions en cause doivent être prises par un organe présentant des garanties suffisantes d’impartialité. En même temps, le pouvoir d’appréciation de cet organe ne peut pas être excessif ; il doit être, à un niveau suffisant de précision, circonscrit par les dispositions du droit interne. Enfin, la procédure doit être de nature à garantir une décision équitable, objective et suffisamment motivée (parmi d’autres, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 35, CEDH 2002‑II, Kovatch c. Ukraine, no 39424/02, §§ 54-55, CEDH 2008, Kerimova c. Azerbaïdjan, no 20799/06, §§ 44-45, 30 septembre 2010, et Riza et autres c. Bulgarie, nos 48555/10 et 48377/10, § 143, 13 octobre 2015).

71. En vertu du principe de subsidiarité, il n’appartient pas à la Cour de se substituer aux autorités nationales dans l’interprétation du droit interne ou dans l’appréciation des faits. Dans le contexte particulier des litiges électoraux, elle n’est pas appelée à déterminer si les irrégularités du processus électoral alléguées par les parties représentent des violations du droit interne pertinent (Namat Aliyev, précité, § 77). La Cour n’est pas non plus en mesure d’établir elle-même les faits en essayant de déterminer si les irrégularités alléguées ont eu lieu et si elles étaient de nature à avoir des conséquences sur le résultat des élections. La Cour doit se garder d’assumer le rôle de juge du fait de première instance lorsque cela n’est pas rendu inévitable par les circonstances de l’affaire dont elle se trouve saisie (Davydov et autres, précité, § 276). En revanche, il appartient à la Cour de statuer sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 et de vérifier, d’une manière plus générale, que l’État défendeur s’est acquitté de son obligation d’organiser des élections libres et équitables et qu’il a veillé à ce que les droits électoraux individuels aient pu être exercés de manière effective (I.Z. c. Grèce, no 18997/91, décision de la Commission du 28 février 1994, Décisions et rapports 76-B, p. 65, Babenko c. Ukraine (déc.), no 43476/98, 4 mai 1999, Gahramanli et autres c. Azerbaïdjan, no 36503/11, § 72, 8 octobre 2015, et Davydov et autres, précité, § 276).

72. Une simple erreur ou irrégularité dans le processus électoral ne révèle pas en elle-même un manque d’équité des élections si les principes généraux d’égalité, de transparence, d’impartialité et d’indépendance dans l’organisation et la gestion des élections ont été respectés (Davydov et autres, précité, § 287). La notion d’élections libres n’est menacée qu’en présence de violations procédurales propres à dénaturer la libre expression du choix du peuple, et en l’absence d’examen effectif des allégations en ce sens formulées au niveau interne (ibidem, §§ 283-288).

73. Dans ce domaine, la marge d’appréciation est large (Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, § 61, CEDH 2005‑IX, et les références qui y sont citées). Il existe en effet de nombreuses manières d’organiser et de faire fonctionner les systèmes électoraux et une multitude de différences au sein de l’Europe, notamment dans l’évolution historique, la diversité culturelle et la pensée politique (Hirst, précité, § 61, Ždanoka, précité, § 103, et Sitaropoulos et Giakoumopoulos, précité, § 66). La Cour a ainsi jugé que toute loi électorale doit s’apprécier à la lumière de l’évolution politique du pays, de sorte que des détails considérés comme inacceptables dans le cadre d’un système déterminé peuvent se justifier dans un autre ; elle a toutefois souligné que cette marge de manœuvre reconnue à l’État est limitée par l’obligation de respecter le principe fondamental de l’article 3 du Protocole no 1, à savoir « la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 54, Podkolzina, précité, § 33, Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 157, CEDH 2010, et Cernea c. Roumanie, no 43609/10, § 40, 27 février 2018).

b) Les principes établis dans la jurisprudence de la Cour relative à l’autonomie parlementaire

74. Les principes relatifs à l’autonomie parlementaire ont été décrits par la Cour dans l’affaire Karácsony et autres (précitée, §§ 138-147), laquelle concernait un litige en matière disciplinaire examiné sous l’angle de l’article 10 de la Convention. Ils peuvent être résumés comme suit. Dans une société démocratique, le parlement est un lieu unique de débat qui revêt une importance fondamentale (§ 138). Il existe un lien étroit entre le caractère démocratique d’un régime politique et le fonctionnement du parlement (§ 141). Les règles régissant le fonctionnement interne du parlement sont une illustration du principe bien établi de l’autonomie parlementaire. Conformément à ce principe, le parlement peut, à l’exclusion des autres pouvoirs et dans les limites du cadre constitutionnel, réglementer ses affaires internes, notamment la composition de ses organes. Cela relève de « l’autonomie juridictionnelle du parlement » (§ 142). En principe, les règles de fonctionnement interne d’un parlement, du fait qu’elles constituent un aspect de l’autonomie parlementaire, relèvent de la marge d’appréciation de l’État contractant (§ 143). Cela dit, l’étendue de la marge d’appréciation à accorder à l’État dans ce domaine est tributaire d’un certain nombre de facteurs (§ 144). En ce qui concerne l’article 10 de la Convention, la Cour a souligné que la latitude dont jouissent les autorités nationales n’est pas absolue mais qu’elle doit être compatible avec les notions de « régime politique véritablement démocratique » et de « prééminence du droit » auxquelles renvoie le Préambule de la Convention (§ 147).

c) L’application de ces principes en l’espèce

75. La présente affaire concerne la manière dont la réclamation du requérant a été examinée par les autorités internes compétentes. Le requérant avait allégué que des irrégularités s’étaient produites au cours du processus électoral dans la circonscription de Charleroi et avait demandé à ce qu’un certain nombre de bulletins de cette circonscription soient recomptés. L’absence de ces irrégularités aurait, d’après lui, abouti à ce qu’il soit élu et qu’il obtienne un siège au sein du parlement wallon.

76. La Cour a déjà jugé que l’attribution d’un mandat de député est une problématique cruciale, qui influe directement sur le résultat des élections, circonstance à laquelle la Cour accorde une très grande importance (I.Z. c. Grèce, décision précitée, Babenko, décision précitée, et Grosaru, précité, § 46). La marge d’appréciation de l’État reste large dans ce domaine également, mais ne saurait faire obstacle au contrôle exercé par la Cour sur le caractère arbitraire ou non d’une décision (Kovatch, précité, § 55).

77. Il y a également lieu de relever que le requérant avait demandé le réexamen des bulletins de vote déclarés blancs, nuls ou contestés et le recomptage des votes valablement exprimés dans la circonscription de Charleroi. Il n’avait pas demandé l’annulation du scrutin et l’organisation de nouvelles élections. À ce sujet, la Cour a déjà jugé que lorsqu’étaient en cause des irrégularités dans le comptage des voix ou les documents électoraux qui étaient de nature à avoir un impact sur le résultat des élections, une procédure équitable de recomptage des voix est une garantie importante de l’équité et de la réussite de l’ensemble du processus électoral (Kerimova, précité, § 49).

78. La Cour réitère que la notion d’élections libres n’est toutefois menacée qu’en présence de violations procédurales propres à dénaturer la libre expression du choix du peuple et en l’absence d’examen effectif au niveau interne des allégations dénonçant de telles violations (paragraphe 72 ci-dessus).

79. La Cour doit donc vérifier, d’abord, si les allégations du requérant étaient suffisamment sérieuses et défendables (i), puis si elles ont été examinées de manière effective (ii).

1. Sur le caractère sérieux et défendable des allégations du requérant

80. À l’appui de sa réclamation, le requérant a fait valoir qu’un certain nombre de dysfonctionnements et erreurs s’étaient produits pendant les opérations de dépouillement qui, selon lui, mettaient en doute le résultat des élections dans la circonscription de Charleroi. Le Gouvernement fait quant à lui valoir que les erreurs constatées n’ont pas entaché la fiabilité du résultat.

81. Comme il a été rappelé ci-dessus (paragraphe 71), il n’appartient pas à la Cour d’établir elle-même les faits en essayant de déterminer si les irrégularités alléguées par le requérant ont eu lieu et si elles étaient de nature à avoir des conséquences sur le résultat des élections. Cela dit, la Cour doit s’assurer que les allégations du requérant étaient suffisamment sérieuses et défendables (Davydov et autres, précité, § 289).

82. Aussi, contrairement aux affaires dans lesquelles les autorités nationales appelées à se prononcer avaient estimé que les irrégularités alléguées n’avaient pas compromis le résultat des élections (I.Z. c. Grèce, et Babenko, décisions précitées), il y a lieu de constater qu’en l’espèce, il a été établi par la commission de vérification des pouvoirs que la répartition des sièges dans la circonscription électorale de Charleroi était, dans plusieurs des hypothèses envisagées, susceptible d’être modifiée si les votes blancs, nuls et contestés étaient finalement considérés comme des votes valables. Cette modification était également susceptible d’affecter la répartition des sièges dans d’autres circonscriptions de la province du Hainaut (paragraphe 18 ci‑dessus). Cela a été confirmé par l’assemblée plénière du parlement wallon, même si dans sa décision motivée sont aussi décrites des hypothèses dans lesquelles la liste du requérant n’aurait pas eu besoin de seulement 14 voix pour se qualifier pour l’apparentement, mais de 1582 voix (paragraphe 21 ci‑dessus).

83. Ainsi, en tout état de cause, il ne pouvait pas être exclu que le requérant fût déclaré élu à l’issue du recomptage demandé. Contrairement à ce qu’allègue le Gouvernement, il ne peut donc pas être affirmé que les erreurs alléguées n’auraient pas pu entacher la fiabilité du résultat.

84. De surcroît, le fait que la commission conclut que la réclamation du requérant était recevable et fondée tend à démontrer que ses allégations d’irrégularités n’étaient pas manifestement dénuées de tout fondement.

85. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le requérant a présenté des allégations suffisamment sérieuses et défendables, susceptibles de modifier la répartition des sièges.

86. Pour autant, il n’en résulte pas nécessairement que le parlement wallon aurait dû faire droit à la demande de recomptage du requérant. En effet, même si le recomptage des voix constitue une garantie importante de l’équité du processus électoral (paragraphe 77 ci-dessus), il n’appartient pas à la Cour de déterminer les conséquences précises que les autorités devaient tirer de la réclamation du requérant. En revanche, il lui revient de s’assurer de l’effectivité du droit du requérant de se porter candidat à des élections libres, laquelle requerrait que ses allégations, suffisamment sérieuses et défendables, fissent l’objet d’un examen effectif répondant aux exigences développées ci-dessous.

2. Sur l’effectivité de l’examen des allégations du requérant

87. Afin de déterminer si la réclamation du requérant a été examinée de manière effective, la Cour doit vérifier si la procédure prévue par le droit national à cet effet offrait des garanties adéquates et suffisantes permettant notamment d’éviter l’arbitraire (paragraphe 70 ci-dessus). De telles garanties servent à assurer le respect de la prééminence du droit au cours de la procédure d’examen des contestations électorales et donc l’intégrité du scrutin, afin de garantir la légitimité du parlement et, ainsi, de lui permettre de fonctionner à l’abri de toute critique quant à sa composition. Il y va de la préservation de la confiance de l’électorat envers le parlement (mutatis mutandis, Magyar Kétfarkú Kutya Párt c. Hongrie [GC], no 201/17, § 99, 20 janvier 2020). À ce titre, ces garanties assurent le bon fonctionnement d’un régime politique véritablement démocratique et représentent donc un préalable à toute autonomie parlementaire.

88. Certes, les règles de fonctionnement interne d’un parlement, y compris la composition de ses organes, relèvent en principe, parce qu’elles constituent un aspect de l’autonomie parlementaire, de la marge d’appréciation de l’État contractant (paragraphe 74 ci-dessus). La latitude dont jouissent les autorités nationales doit néanmoins être compatible avec les notions de « régime politique véritablement démocratique » et de « prééminence du droit » auxquelles renvoie le préambule de la Convention (ibidem). Il en découle que l’autonomie parlementaire ne saurait valablement s’exercer que dans le respect de la prééminence du droit.

89. La présente espèce concerne un litige postélectoral relatif au résultat de l’élection, c’est-à-dire à la légalité et la légitimité de la composition de l’assemblée nouvellement élue. À cette occasion, il s’agit de s’assurer que « l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif », au sens littéral de l’expression utilisée par l’article 3 du Protocole no 1, est respectée.

90. En cela, la présente requête se distingue des litiges qui peuvent survenir après l’élection valide d’un candidat, c’est-à-dire à l’égard d’un membre à part entière du parlement et à un moment où la composition de l’assemblée législative a été validée selon la procédure en vigueur dans le système national concerné (voir, par exemple, Kart c. Turquie [GC], no 8917/05, CEDH 2009 (extraits) s’agissant de demandes de levée de l’immunité parlementaire, Podkolzina, précité, et Berlusconi c. Italie [GC], no 58428/13, 27 novembre 2018 relatifs à la déchéance d’un mandat, G.K. c. Belgique, no 58302/10, 21 mai 2019 concernant la démission contestée d’un sénateur, ou Karácsony et autres, précité, relatif à des amendes infligées à des députés en raison de leur comportement dans l’enceinte de l’assemblée législative).

91. En effet, dans la présente affaire, tant la commission de vérification des pouvoirs que l’assemblée plénière du parlement wallon étaient, au moment où elles ont examiné et statué sur la réclamation du requérant, composées de députés élus lors des élections dont la validité était contestée par le requérant. De plus, au moment où le parlement wallon a décidé de rejeter la réclamation litigieuse, les pouvoirs de ses membres n’avaient pas encore été validés et ces derniers n’avaient pas prêté serment conformément à l’article 7 §§ 1 et 6 du règlement du parlement wallon (paragraphe 29 ci-dessus). Le parlement n’était donc pas encore constitué.

92. Cette circonstance doit être prise en compte dans le poids accordé à l’autonomie parlementaire lors du contrôle du respect des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 effectué par la Cour.

93. Conformément à la jurisprudence (paragraphe 70 ci-dessus), ce contrôle portera en particulier sur les garanties d’impartialité que présente l’organe décisionnaire (α), sur l’étendue de son pouvoir d’appréciation et sa définition dans la loi (β) et sur le point de savoir si la procédure suivie était de nature à garantir une décision équitable, objective et suffisamment motivée (χ).

 Les garanties d’impartialité que présente l’organe décisionnaire

94. Tout d’abord, les organes chargés d’examiner la réclamation du requérant devaient présenter des garanties suffisantes quant à leur impartialité (Podkolzina, précité, § 35, Kovatch, précité, § 54, et Riza et autres, précité, § 143).

95. Dans les affaires examinées sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et où était en cause l’impartialité du pouvoir judiciaire, la Cour a estimé que tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit se déporter (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 98, CEDH 2009, et Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal [GC], nos 55391/13 et 2 autres, § 149, 6 novembre 2018). Elle a précisé que même les apparences peuvent revêtir de l’importance dans ce domaine (ibidem, et Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 63, 25 septembre 2018).

96. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, les litiges électoraux n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention parce qu’ils n’ont trait ni à une « contestation sur un droit de caractère civil » ni à « une accusation en matière pénale » (Pierre-Bloch c. France, 21 octobre 1997, §§ 51 et 53-59, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI, Cheminade c. France (déc.), no 31599/96, 26 janvier 1999, et Riza et autres, précité, § 184). Cela étant, eu égard au fait que l’article 3 du Protocole no 1 vise à consolider la confiance des citoyens dans le parlement en assurant la légitimité démocratique de ce dernier (paragraphe 87 ci‑dessus), la Cour estime qu’il en résulte aussi certaines exigences quant à l’impartialité de l’organe chargé de trancher les litiges électoraux et à l’importance que peuvent revêtir les apparences à cet égard.

97. Dans le cadre du droit à des élections libres garanti par l’article 3 du Protocole no 1, les garanties d’impartialité requises visent à assurer que la décision prise soit fondée exclusivement sur des considérations factuelles et juridiques, et non pas politiques. En effet, l’examen d’une réclamation relative au résultat des élections ne doit pas devenir le théâtre d’un combat politique entre les partis (mutatis mutandis, Parti travailliste géorgien c. Géorgie, no 9103/04, § 108, CEDH 2008).

98. À cet égard, la Cour a déjà dit que des députés ne peuvent, par définition, pas être « politiquement neutres » (Ždanoka, précité, § 117). Il en résulte que, dans un système tel que celui en vigueur en Belgique où le parlement est le seul juge de l’élection de ses membres, une attention toute particulière doit être portée aux garanties d’impartialité prévues par le droit national en ce qui concerne la procédure d’examen des contestations du résultat des élections.

99. Dans son appréciation, la Cour tient compte, en tant que de besoin, des normes élaborées et des recommandations formulées par d’autres organes européens et internationaux, sans toutefois les considérer comme déterminants (dans le même sens, mutatis mutandis, Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, § 111, 20 octobre 2016). Ainsi, dans son Code de bonne conduite en matière électorale, la Commission de Venise a indiqué que le recours devant le parlement, comme juge de sa propre élection, risquait d’entraîner des décisions politiques ; qu’un tel recours était admissible en première instance dans les cas où il était en place de longue date, mais qu’un recours devant un tribunal devait alors être possible en dernière instance (paragraphe 32 ci-dessus). Elle a précisé qu’il convient de prévoir des garanties institutionnelles et procédurales suffisantes contre les décisions politiques et partisanes (paragraphe 63 ci-dessus).

100. Le Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH/ODIHR) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), quant à lui, a émis les mêmes préoccupations que la Commission de Venise (paragraphes 35 et 36 ci-dessus). Il a indiqué à plusieurs reprises dans ses rapports concernant la Belgique que le système actuellement prévu par le droit belge ne respecte pas les engagements pour des élections démocratiques pris par les États membres de l’OSCE (paragraphe 37 ci-dessus).

101. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a, lui aussi, considéré qu’en matière électorale, il devrait y avoir un contrôle indépendant du vote et du dépouillement ainsi qu’une possibilité de recourir à un examen par les tribunaux ou à une autre procédure équivalente, afin d’assurer la confiance des électeurs dans la sûreté du scrutin et du dépouillement des votes (paragraphe 39 ci-dessus).

102. À la lumière de ce qui précède, la question se pose donc de savoir si le système mis en place par le droit belge et tel qu’appliqué dans les circonstances de l’espèce a présenté des garanties suffisantes d’impartialité.

103. À cet égard, la Cour relève que la réclamation du requérant a d’abord été examinée par la commission de vérification des pouvoirs. Celle‑ci était composée de sept membres tirés au sort parmi les personnes élues au parlement wallon (paragraphe 29 ci-dessus). Y siégeaient uniquement des parlementaires et aucune condition de représentativité des divers groupes politiques au sein du parlement n’était prévue par la loi.

104. Le Gouvernement indique que les deux parlementaires, membres de la commission et issus de la même circonscription que le requérant, n’ont participé ni aux délibérations ni au vote de la commission, ce qui n’a pas été contesté par le requérant. La Cour constate toutefois que le retrait desdits parlementaires n’était pas, à l’époque des faits, prévu par le règlement du parlement wallon ou un autre texte normatif et que c’est de leur propre chef que ces deux parlementaires se sont abstenus. De plus, il ressort de la conclusion du rapport de la commission que les membres en question étaient tout de même présents pendant les délibérations relatives à la réclamation du requérant et qu’ils ont voté sur le rapport final à soumettre à l’assemblée plénière, lequel incluait l’avis sur le bien-fondé de la réclamation du requérant (paragraphe 16 ci-dessus).

105. En tout état de cause, l’avis de la commission a ensuite été présenté à l’assemblée plénière du parlement wallon qui n’a pas suivi les conclusions du rapport. Comme le souligne à juste titre le requérant, le parlement wallon était le seul organe compétent en droit belge pour prendre une décision sur sa réclamation (paragraphes 24 et 29 ci-dessus). Or, lors de la vérification des pouvoirs, tous les membres nouvellement élus du parlement wallon dont les pouvoirs n’avaient pas encore été validés ont participé au vote relatif à la réclamation du requérant, y compris les membres issus de la même circonscription électorale que ce dernier.

106. Ainsi, contrairement aux recommandations de la Commission de Venise (paragraphes 32, 33 et 63 ci-dessus), les membres élus dans la circonscription du requérant, compétiteurs directs de celui-ci, n’ont pas été écartés du vote de l’assemblée plénière du parlement wallon. La décision a donc été prise par un organe au sein duquel ont siégé des parlementaires dont l’élection pouvait être remise en cause si la réclamation du requérant était déclarée fondée et qui avaient un intérêt directement opposé au sien. Or la Cour a déjà jugé qu’une personne dont la nomination à une fonction de député a été refusée a des raisons légitimes de craindre que la grande majorité des membres de l’organe ayant examiné la légalité des élections, lorsque ces membres représentaient d’autres partis politiques, aient eu un intérêt contraire au sien (Grosaru, précité, § 54).

107. De même, la Cour rappelle qu’elle doit examiner avec un soin particulier toute mesure qui semble opérer, seule ou à titre principal, au détriment de l’opposition, surtout si de par sa nature elle compromet les chances mêmes des partis d’opposition d’accéder un jour au pouvoir (Tănase, précité, § 179). Or, en l’espèce, les risques de décisions politiques liés aux considérations qui précèdent (paragraphes 103 à 106 ci-dessus) n’ont pas été écartés par les règles de vote applicables. En effet, la décision sur la réclamation du requérant a été prise à la majorité simple. Une telle règle de vote permettait à la majorité en cours de formation d’imposer son point de vue, quand bien même la minorité serait importante. Ainsi, contrairement aux recommandations de la Commission de Venise (paragraphe 64 ci-dessus), la règle de vote à la majorité simple, appliquée en l’espèce sans aucun aménagement, n’était pas de nature à protéger le requérant, candidat issu d’un parti politique non représenté au parlement wallon avant les élections du 25 mai 2014, contre une décision partisane.

108. Il en résulte que la réclamation du requérant a été examinée par un organe qui ne présentait pas de garanties suffisantes d’impartialité.

 Le pouvoir d’appréciation de l’organe décisionnaire

109. La Cour a considéré que le pouvoir d’appréciation de l’organe chargé de prendre la décision en matière électorale ne peut pas être excessif ; il doit être, à un niveau suffisant de précision, circonscrit par les dispositions du droit interne (paragraphe 70 ci-dessus). Les normes applicables doivent être suffisamment certaines et précises (Ždanoka, précité, § 108). En effet, si l’article 3 du Protocole no 1 ne contient pas une référence explicite à la « légalité » de toute mesure prise par l’État, la prééminence du droit, un des principaux fondamentaux d’une société démocratique, est une notion inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1996‑III, et G.K. c. Belgique, précité, § 57). Ce principe implique l’obligation pour les États de mettre en place un cadre normatif assurant le respect des obligations découlant de la Convention en général et de l’article 3 du Protocole no 1 en particulier (Paunović et Milivojević c. Serbie, no 41683/06, § 61, 24 mai 2016).

110. En l’espèce, ni la loi ni le règlement du parlement wallon ne prévoyaient, à l’époque des faits, une procédure pour le traitement des réclamations introduites en vertu des articles 31 de la LSRI et 7 du règlement du parlement wallon.

111. Ces deux dispositions attribuent au parlement wallon la compétence exclusive pour se prononcer sur la validité des opérations électorales et pour juger des contestations qui s’élèvent au sujet des pouvoirs de ses membres. Elles déterminent la composition de la commission de vérification des pouvoirs et prévoient que toute réclamation contre une élection doit, à peine de déchéance, être formulée par écrit, être signée par un des candidats, mentionner l’identité et le domicile du réclamant, et être remise dans les dix jours de l’établissement du procès-verbal, et en tout cas avant la vérification des pouvoirs, au greffier du parlement concerné. Elles précisent que la commission reçoit les réclamations et les pièces justificatives des élections et fait rapport à l’assemblée plénière qui se prononce in fine sur les conclusions de la commission.

112. En revanche, les critères susceptibles d’être retenus par le parlement wallon pour statuer sur des réclamations telles que celle du requérant n’étaient pas énoncés avec une clarté suffisante dans les dispositions applicables du droit interne (mutatis mutandis, Riza et autres, précité, § 176). Celles-ci ne prévoyaient pas non plus les effets des décisions accueillant une réclamation, en l’occurrence les cas dans lesquels un recomptage des votes ou une annulation du scrutin devaient avoir lieu.

113. À cet égard, la Cour remarque d’ailleurs que, dans ses observations, le Gouvernement a indiqué que le cas présent était le premier dans lequel le parlement wallon avait été confronté à une réclamation introduite en vertu de l’article 31 de la LSRI (paragraphe 59 ci-dessus). Il a admis en outre que lors de la réception de la réclamation du requérant, le parlement wallon avait dû constater que ni la LSRI ni le règlement ne prévoyaient une procédure suffisamment précise en vue de se plaindre de la validité des élections (ibidem). Dès lors, une procédure avait été mise en place pour les besoins de la cause afin d’assurer des garanties procédurales au requérant.

114. Dans ces circonstances, la Cour estime que le pouvoir d’appréciation du parlement wallon n’était pas circonscrit par des dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision.

 Les garanties d’une décision équitable, objective et motivée

115. La Cour a également déjà jugé que la procédure suivie en matière de contestation électorale doit garantir une décision équitable, objective et suffisamment motivée (Podkolzina, précité, § 35, et Davydov et autres, précité, § 275).

116. En particulier, les plaignants doivent avoir la possibilité de faire valoir leur point de vue et de présenter les arguments qu’ils jugent utiles à la défense de leurs intérêts au travers d’une procédure écrite ou, le cas échéant, au cours d’une audience publique. C’est ainsi leur droit à une procédure contradictoire qui est sauvegardé. De plus, il doit ressortir de la motivation publique de la décision de l’organe décisionnaire compétent que les arguments des plaignants ont été dûment appréciés et qu’une réponse adéquate y a été apportée (voir, dans ce sens, Babenko, décision précitée, Davydov et autres, précité, §§ 333-334, et G.K. c. Belgique, précité, §§ 60‑61).

117. En l’espèce, ni la Constitution, ni la loi, ni le règlement du parlement wallon, tel qu’applicable à l’époque des faits, ne prévoyaient l’obligation de respecter ce type de garanties dans le cadre de la procédure de vérification des pouvoirs (voir les paragraphes 23 à 29 ci-dessus).

118. Le requérant a néanmoins bénéficié, en pratique, de certaines garanties procédurales au cours de l’examen de sa réclamation par la commission de vérification des pouvoirs (paragraphe 15 ci-dessus). En effet, son conseil et lui-même ont été entendus en séance publique et les conclusions de la commission étaient motivées. Ensuite, la décision du parlement wallon était, elle aussi, motivée et a été notifiée au requérant.

119. La Cour considère toutefois que les garanties dont le requérant a bénéficié au cours de la procédure ne sont pas suffisantes. En effet, en l’absence de procédure prévue par les textes applicables, ces garanties étaient le résultat de décisions discrétionnaires ad hoc prises par la commission de vérification des pouvoirs et l’assemblée plénière du parlement wallon. Elles n’étaient ni prévisibles ni accessibles (voir, en ce qui concerne les exigences relatives à la qualité de la loi, communes à toute la Convention, parmi d’autres, De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, §§ 106-109, 23 février 2017). Or la Cour rappelle que les exigences de l’article 3 du Protocole no 1, tout comme celles des autres dispositions de la Convention, sont de l’ordre de la garantie et non du simple bon vouloir ou de l’arrangement pratique (mutatis mutandis, Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 83, CEDH 2002‑I). C’est là une des conséquences de la prééminence du droit.

120. De surcroît, la plupart de ces garanties n’ont été octroyées au requérant que devant la commission (paragraphe 118 ci-dessus) qui ne disposait d’aucun pouvoir décisionnel et dont le parlement wallon n’a pas suivi les conclusions. Certes, le parlement wallon a motivé sa décision (ibidem). Cependant, il n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas suivre l’avis de la commission, alors que celle-ci avait estimé, pour des motifs identiques à ceux repris par le parlement, que la réclamation du requérant était recevable et fondée et suggéré que l’ensemble des bulletins de la circonscription de Charleroi fussent recomptés par le service public fédéral Intérieur (paragraphe 21 ci-dessus).

121. À cet égard, la Cour note qu’en 2017, bien après les faits en cause en l’espèce, le règlement du parlement wallon a été modifié et qu’il prévoit désormais la constitution de trois commissions de vérification des pouvoirs par tirage au sort parmi les élus qui ne relèvent pas des circonscriptions concernées (paragraphe 30 ci-dessus). En outre, un règlement fixant la procédure d’examen des réclamations contre l’élection du parlement wallon a été adopté le 25 avril 2018. Celui-ci prévoit un certain nombre de garanties procédurales : l’examen des réclamations par la commission en séance publique ; l’audition du réclamant qui peut être assisté par un avocat pour présenter ses moyens ; la possibilité pour les membres de la commission de poser des questions, de se faire produire des pièces, d’entendre des témoins et d’ordonner le recomptage des bulletins de vote avant de formuler leur proposition de décision ; la motivation de la proposition de décision (paragraphe 31 ci-dessus).

3. Conclusion

122. Il résulte de tout ce qui précède que la réclamation du requérant a été examinée par un organe qui ne présentait pas les garanties d’impartialité requises (paragraphe 108 ci-dessus) et dont le pouvoir d’appréciation n’était pas circonscrit par les dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision (paragraphe 114 ci-dessus). Les garanties dont le requérant a bénéficié au cours de la procédure n’étaient pas non plus suffisantes dans la mesure où elles ont été mises en place de manière discrétionnaire (paragraphe 119 ci-dessus). La Cour en déduit que ses griefs n’ont pas fait l’objet d’une procédure offrant des garanties adéquates et suffisantes pour exclure l’arbitraire et en assurer un examen effectif, conforme aux exigences de l’article 3 du Protocole no 1.

123. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION combiné avec l’article 3 du protocole no 1

124. Le requérant se plaint également de ce que le recours devant le parlement wallon n’a pas constitué un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention, qui se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

125. Dans les affaires relatives à des litiges postélectoraux, la Cour a opéré une distinction selon que les litiges avaient fait l’objet au niveau national d’un examen par une instance juridictionnelle ou non (voir, parmi d’autres, Riza et autres, précité, § 94, Paunović et Milivojević, précité, § 68, et les références qui y sont citées). Lorsque le droit national confiait l’examen des litiges postélectoraux à une instance juridictionnelle, la Cour a examiné l’affaire uniquement sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1, considérant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner séparément l’article 13 de la Convention (voir, par exemple, Podkolzina, précité, § 45, Kerimova, précité, §§ 31-32, Gahramanli et autres, précité, § 56, Davydov et autres, précité, § 200, et Abdalov et autres c. Azerbaïdjan, nos 28508/11 et 33773/18, § 108, 11 juillet 2019) ou qu’aucune question distincte ne se posait sous l’angle de cette disposition (Riza et autres, précité, § 95).

126. En revanche, lorsque le litige postélectoral n’avait pas fait l’objet d’un examen par une instance juridictionnelle au niveau national, la Cour s’est livrée à un examen séparé du grief tiré de l’article 13 (Grosaru, précité, et Paunović et Milivojević, précité). Partant, compte tenu de l’absence d’un examen par une instance juridictionnelle en l’espèce, la Cour va procéder à un examen séparé sous l’angle de cette disposition.

127. Par ailleurs, la Cour relève que ce grief est intrinsèquement lié à celui qu’elle a examiné ci-dessus et qu’il doit donc, lui aussi, être déclaré recevable.

1. Thèses des parties

128. Le requérant considère que le seul recours qui était ouvert en l’espèce, c’est-à-dire l’introduction d’une réclamation devant le parlement wallon, ne saurait passer pour un recours effectif compte tenu du manque d’impartialité de cet organe.

129. Le Gouvernement considère que le recours ouvert par le droit belge devant le parlement wallon permet de connaître de l’ensemble des contestations portant sur les opérations électorales introduites par des candidats. Le fait que cette compétence soit confiée à un organe non‑juridictionnel ne serait pas en soi incompatible avec l’article 13 de la Convention dans la mesure où les États disposent d’un large pouvoir discrétionnaire en la matière. Aussi, il est communément admis en Belgique que les recours adressés au parlement dans le contentieux électoral ont une nature juridictionnelle. Le Gouvernement fournit des exemples d’annulation de scrutins et de recomptage des voix ayant eu lieu au cours de l’histoire parlementaire belge dans le but de démontrer que le système est également effectif dans son application. Ainsi, il estime que le requérant a bénéficié d’un recours effectif devant un organe compétent pour connaître de son grief et dont le pouvoir était circonscrit par une norme garantissant l’impartialité de sa décision. Les spécificités du système institutionnel belge auraient pour conséquence que l’autonomie parlementaire était et demeure encore le meilleur moyen pour le parlement wallon de répondre efficacement aux exigences d’un recours effectif.

2. Appréciation de la Cour
1. Les principes établis dans la jurisprudence de la Cour

130. L’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié (voir, mutatis mutandis, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 152, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 148, CEDH 2014, et N.D. et N.T. c. Espagne [GC], nos 8675/15 et 8697/15, § 240, 13 février 2020).

131. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit (voir, par exemple, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 97, CEDH 2000-VII, Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 268, 15 décembre 2016, et De Tommaso, précité, § 179). L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution juridictionnelle, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Kudła, précité, § 157, et Khlaifia et autres, précité, § 268).

2. L’application de ces principes en l’espèce

132. La Cour ayant conclu qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 (paragraphe 123 ci-dessus), il peut en être déduit que le requérant avait un grief « défendable » à faire valoir, ce qui exigeait qu’il disposât d’un recours effectif lui permettant de dénoncer les atteintes à ses droits protégés par la Convention et le Protocole et d’obtenir un redressement approprié (dans le même sens, De Tommaso, précité, § 181).

133. La question qui se pose est celle de savoir si le recours dont le requérant a disposé pour contester le résultat des élections et demander le recomptage de certaines voix dans sa circonscription était « effectif » en ce sens qu’il aurait pu empêcher la survenance ou la continuation de la violation alléguée ou aurait pu lui fournir un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite.

134. En l’espèce, le requérant a eu la possibilité, dont il s’est prévalu, d’introduire une réclamation devant le parlement wallon pour faire valoir ses griefs à l’égard du résultat des élections. Dans le système belge actuel, aucun autre recours n’est possible après la décision dudit parlement, que ce soit devant une instance juridictionnelle ou un autre organe. En effet, le droit interne attribue une compétence exclusive au parlement wallon pour se prononcer sur la validité des opérations électorales en ce qui concerne ses membres (paragraphe 24 ci-dessus). En application de ces dispositions, les juridictions se déclarent incompétentes pour connaître de litiges relatifs à des questions postélectorales (paragraphe 26 ci-dessus).

135. La Cour a conclu, sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1, que la procédure de réclamation prévue devant le parlement wallon n’a pas présenté les garanties adéquates et suffisantes pour assurer un examen effectif des doléances du requérant (paragraphe 122 ci-dessus). Dès lors, en l’absence de telles garanties, ce recours ne saurait pas non plus passer pour « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention.

136. Ce constat suffit à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1.

137. La Cour a déjà jugé que l’« instance » dont parle l’article 13 de la Convention n’a pas besoin d’être une institution juridictionnelle au sens strict (Kudła, précité, § 157, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 149). Dans une affaire portant sur un contentieux postélectoral relatif au résultat de l’élection et à la répartition des sièges, il faut et il suffit que l’organe compétent présente des garanties suffisantes d’impartialité, que son pouvoir d’appréciation soit circonscrit par les dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision et que la procédure suivie présente des garanties effectives de nature à assurer une décision équitable, objective et suffisamment motivée (paragraphe 70 ci‑dessus).

138. Eu égard au principe de subsidiarité et à la diversité des systèmes électoraux existant en Europe (paragraphes 40-47 ci-dessus), il n’appartient pas à la Cour d’indiquer quel type de recours devrait être prévu pour satisfaire aux exigences de la Convention (mutatis mutandis, Paunović et Milivojević, précité, § 60). Étroitement liée au principe de la séparation des pouvoirs, cette question relève de la large marge d’appréciation dont disposent les États contractants pour organiser leur système électoral (Hirst, précité, § 61, Ždanoka, précité, § 115, et les références qui y sont citées).

139. Cela étant, il y a lieu de noter qu’un recours juridictionnel ou de type juridictionnel, qu’il intervienne en première instance ou après la décision d’un organe non-juridictionnel, est en principe de nature à remplir les exigences de l’article 3 du Protocole no 1.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

140. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage
1. Dommage matériel

141. Le requérant soutient qu’en perdant une chance d’être élu en qualité de député du parlement wallon, il a subi un préjudice qui doit être réparé. Il évalue sa perte de chance d’être élu, vu les circonstances, à une probabilité de 75 %. Comptabilisant les indemnités qu’il aurait perçues s’il avait été élu en y soustrayant les rémunérations qu’il a perçues du fait de son activité professionnelle pendant la période litigieuse du mandat, il évalue son dommage matériel à la somme de 108 415,16 euros (EUR).

142. Le Gouvernement demande le rejet de la demande dès lors que rien ne permet de dire que le requérant aurait été élu s’il avait été procédé au recomptage.

143. La Cour estime qu’il ne saurait être spéculé sur ce qu’aurait été l’issue de la procédure si elle avait été accompagnée de garanties adéquates et suffisantes assurant un examen effectif du recours litigieux (voir, dans le même sens, Grosaru, précité, § 67). Partant, elle rejette la demande du requérant au titre du préjudice matériel.

2. Dommage moral

144. Le requérant explique que le fait de ne pas avoir pu exercer un recours effectif auprès d’une instance réellement impartiale et indépendante dans le cadre d’un processus aussi fondamental pour les systèmes démocratiques que le processus électoral a engendré chez lui un sentiment d’injustice profond. Il demande dès lors 2 000 EUR.

145. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas de lien de causalité entre la demande et les violations que la Cour pourrait constater. Il considère qu’un éventuel constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable pour le requérant.

146. La Cour estime, à la lumière des circonstances de l’espèce, que la procédure litigieuse a incontestablement causé au requérant un tort moral auquel le constat de violation figurant dans le présent arrêt ne suffit pas à remédier (voir, dans le même sens, G.K. c. Belgique, précité, § 73). Partant, elle décide de lui accorder la somme qu’il a demandée, soit 2 000 EUR.

2. Frais et dépens

147. Le requérant produit le relevé chiffré des prestations et des frais facturés par ses avocats pour assumer sa défense. Ses avocats ont fixé un taux horaire de 80 EUR. Factures à l’appui, le requérant demande ainsi la somme totale de 12 915,14 EUR au titre des frais et dépens.

148. Le Gouvernement ne se prononce pas.

149. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable la somme demandée et l’octroie au requérant.

3. Intérêts moratoires

150. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 du Protocole no 1 ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 ;
4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, les sommes suivantes :

1. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 12 915,14 EUR (douze mille neuf cent quinze euros et quatorze centimes), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 10 juillet 2020.

Johan CallewaertLinos-Alexandre Sicilianos
Adjoint au Greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante commune aux juges Turković et Lemmens ;

– opinion concordante commune aux juges Lemmens et Sabato ;

– opinion concordante du juge Wojtyczek.

L.A.S.
J.C.

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES TURKOVIĆ ET LEMMENS

1. Nous souscrivons aux constats de violation de l’article 3 du Protocole no 1 et de l’article 13 de la Convention. Dans la présente opinion séparée, nous voudrions nous attarder sur un aspect du raisonnement relatif à l’article 13 de la Convention, à savoir le type de recours exigé par cette disposition pour la contestation du résultat d’une élection.

2. Sous l’angle de l’article 13 de la Convention, l’arrêt conclut que le requérant n’a pas disposé d’un « recours effectif » étant donné que le Parlement wallon, statuant en premier et dernier ressort, ne présentait pas des « garanties adéquates et suffisantes pour assurer un examen effectif des doléances du requérant » (paragraphe 135 de l’arrêt). Pour nos estimés collègues, cette conclusion suffit pour constater une violation de l’article 13 (paragraphe 136 de l’arrêt). Ils ne vont pas plus loin. Ils estiment qu’il entre dans la marge d’appréciation des États contractants d’organiser leur système électoral (paragraphe 138 de l’arrêt). Ils laissent néanmoins entendre « qu’un recours juridictionnel ou de type juridictionnel, qu’il intervienne en première instance ou après la décision d’un organe non-juridictionnel, est en principe de nature à remplir les exigences de l’article 3 du Protocole no 1 » (paragraphe 139 de l’arrêt).

3. Pour notre part, même si nous sommes attachés au principe de la subsidiarité du contrôle de la Cour, nous aurions préféré que celle-ci prenne clairement position et lise dans l’article 13 une véritable obligation de prévoir un recours de type juridictionnel ou quasi-juridictionnel contre les décisions prises par un parlement statuant en matière électorale. Une telle interprétation de l’article 13 serait pleinement conforme aux évolutions qui peuvent être constatées dans les ordres constitutionnels des États membres du Conseil de l’Europe. Déjà en 2010, la Cour avait noté que « plusieurs [de ces États] ont adopté un contrôle juridictionnel, seuls quelques États gardant encore un contrôle des élections purement politique » (Grosaru, précité, § 56). Il ressort de l’aperçu des systèmes existants exposé dans le présent arrêt qu’il existe dans la très grande majorité des États un recours juridictionnel (paragraphes 44-45 de l’arrêt). Effectivement, seuls « quelques États », dont la Belgique, ont maintenu un système de résolution des contentieux électoraux par le parlement lui-même, sans possibilité de recours contre les décisions de celui-ci (paragraphes 41-42 de l’arrêt).

4. La Commission de Venise est également d’avis qu’une possibilité de réclamation devant le seul parlement ne saurait satisfaire aux exigences d’un recours effectif. Si rien « ne s’oppose [...] à ce qu’un recours soit prévu devant le parlement en ce qui concerne l’élection de ses membres », il faut en pareil cas qu’un recours devant un tribunal soit ouvert, afin que ce tribunal puisse se prononcer en dernier ressort. « En effet, dès lors que les recours électoraux ne portent pas sur des questions politiques, la sauvegarde du droit à des élections libres implique l’existence d’un recours juridictionnel » (observations de la Commission de Venise en tant que partie intervenante, paragraphe 63 de l’arrêt). Peut-être ne faut-il pas aller jusqu’à exiger un recours devant une instance juridictionnelle. Une instance quasi-juridictionnelle peut également satisfaire aux exigences de l’article 13 de la Convention dès lors qu’elle offre des garanties de procédure suffisantes (voir paragraphe 137 de l’arrêt, et les arrêts y cités).

5. Quelles sont les conclusions à tirer du présent arrêt ? Si théoriquement, selon l’arrêt, les États ont le choix entre une réclamation devant le parlement et un recours devant une instance juridictionnelle ou quasi-juridictionnelle, à tout le moins en dernier ressort, il y a de bonnes raisons de penser qu’en pratique, seule la seconde voie est ouverte (voir dans le même sens l’opinion concordante de notre collègue Wojtyczek, point 9). En effet, on ne voit guère comment le parlement issu des élections dont le résultat est contesté pourrait être considéré comme objectivement impartial, alors pourtant que l’impartialité est une des conditions auxquelles l’instance décisionnaire doit répondre (voir, sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1, les paragraphes 70 et 94-108 de l’arrêt). Comme la Cour l’a dit par le passé, les députés, « par définition, ne [peuvent] pas être « politiquement neutres » » (Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 117, CEDH 2006‑IV, cité au paragraphe 98 du présent arrêt), et ce d’autant moins quand ils doivent prendre une décision qui peut avoir des conséquences pour leur propre élection ou pour l’influence respective qu’auront au sein du parlement les différents partis politiques.

Comment alors une réclamation devant le parlement, sans possibilité de recours, pourrait-elle satisfaire aux exigences de l’article 13 ?

OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES LEMMENS ET SABATO

1. Nous souscrivons aux constats de violation de l’article 3 du Protocole no 1 et de l’article 13 de la Convention.

Dans la présente opinion séparée, nous voudrions nous attarder sur un aspect du raisonnement relatif à l’article 3 du Protocole no 1, à savoir le pouvoir d’appréciation de l’organe décisionnel en matière électorale.

2. Au paragraphe 70 de l’arrêt, la Cour rappelle les trois conditions auxquelles l’article 3 du Protocole no 1 subordonne le processus décisionnel concernant la contestation de résultats électoraux afin de donner une effectivité à l’examen des recours. La deuxième de ces conditions est que « le pouvoir d’appréciation de [l’organe compétent] ne peut pas être excessif ; il doit être, à un niveau suffisant de précision, circonscrit par les dispositions du droit interne ». Cette condition est réitérée au paragraphe 109 de l’arrêt.

Ladite condition trouve son origine dans l’arrêt Podkolzina c. Lettonie (no 46726/99, § 35, CEDH 2002‑II). Cette affaire concernait la décision par laquelle la requérante avait été radiée de la liste des candidats aux élections législatives au motif qu’elle ne disposait pas d’une connaissance suffisante du letton. La Cour a estimé que les États disposaient d’une grande marge d’appréciation pour établir des conditions d’éligibilité, mais que les décisions constatant le non-respect de ces conditions dans le cas de tel ou tel candidat devaient être conformes à un certain nombre de critères permettant d’éviter l’arbitraire, et que le processus décisionnel devait en conséquence répondre à trois conditions, à savoir celles qui sont rappelées au paragraphe 70 du présent arrêt (Podkolzina, précité, § 35). Dans l’affaire en question, la Cour a jugé que la deuxième condition n’était pas remplie, étant donné que « l’évaluation des connaissances linguistiques de la requérante [avait] été laissée à l’entière appréciation d’un seul et unique fonctionnaire, qui jouissait en la matière d’un pouvoir exorbitant » (ibidem, § 36).

Depuis l’affaire Podkolzina, le « pouvoir d’appréciation » dont il s’agit a toujours été interprété comme concernant l’appréciation, par l’organe compétent, de certaines « conditions » posées par le droit interne. Ces conditions peuvent concerner, par exemple, l’éligibilité de candidats (voir, outre Podkolzina, précité, Ādamsons c. Lettonie, no 3669/03, §§ 121 et 125, 24 juin 2008 ; et Ofensiva tinerilor c. Roumanie, no 16732/05, §§ 56-59, 15 décembre 2015), la régularité d’une élection et la validité du résultat de celle-ci (Kovatch c. Ukraine, no 39424/02, §§ 54 et 57-59, CEDH 2008 ; et Riza et autres c. Bulgarie, nos 48555/10 et 48377/10, §§ 143 et 172-176, 13 octobre 2015), l’attribution des sièges sur la base du résultat des élections (Grosaru c. Roumanie, no 78039/01, §§ 47 et 49-52, CEDH 2010), ou la validité de la démission d’une personne élue (G.K. c. Belgique, no 58302/10, §§ 57-59, 21 mai 2019).

Le fait qu’il n’y avait pas, dans la présente affaire, de règles claires concernant la procédure à suivre devant la commission de vérification des pouvoirs et l’assemblée plénière du Parlement wallon, et qu’un certain arrangement procédural avait été adopté pour les besoins de la cause du requérant (voir paragraphes 110-111 et 113 de l’arrêt), est selon nous sans rapport avec la condition concernant l’étendue du pouvoir d’appréciation du Parlement.

3. En fait, la procédure constitue l’objet d’une autre condition, la troisième de celles qui ont été posées dans l’arrêt Podkolzina précité : « la procédure [...] doit être de nature à garantir une décision équitable et objective, ainsi qu’à éviter tout abus de pouvoir de la part de l’autorité compétente » (Podkolzina, précité, § 35). Cette condition est rappelée au paragraphe 70 du présent arrêt, où il est dit que « la procédure doit être de nature à garantir une décision équitable, objective et suffisamment motivée » ; le respect de cette condition est ensuite vérifié aux paragraphes 115-121 de l’arrêt, sous l’intitulé « Les garanties d’une décision équitable, objective et motivée ». C’est dans le cadre de cet examen que l’absence de règles procédurales claires est (de nouveau) mentionnée (paragraphe 117 de l’arrêt).

À notre avis, c’est effectivement dans ce cadre-là que cette circonstance est pertinente. S’il n’y a pas de règles procédurales claires, préétablies, le système du contentieux post-électoral ne protège pas les intéressés contre d’éventuels abus.

4. Nous regrettons qu’une certaine confusion entre les deux conditions précitées, celle concernant le pouvoir d’appréciation de l’organe décisionnaire et celle concernant les garanties de procédure, se soit semble-t-il glissée dans le raisonnement de l’arrêt.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK

(Traduction)

1. Je souscris pleinement au dispositif du présent arrêt, toutefois sa motivation m’inspire quelques réserves. Elles concernent, d’une part, la méthode générale d’interprétation de la Convention et, d’autre part, certaines questions précises de droit électoral.

2. La présente affaire soulève d’importantes questions d’interprétation des traités, liées au fait que la tradition constitutionnelle de quelques-uns des états membres du Conseil de l’Europe reconnaît au parlement le pouvoir de statuer sur les litiges concernant l’élection de ses membres.

3. La Convention européenne des droits de l’homme doit être interprétée à la lumière des directives énoncées dans son préambule. Celui-ci comporte trois considérants revêtant une importance particulière en l’espèce. Il nous rappelle d’abord que « le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ». En cas de doute, la Cour doit privilégier l’interprétation contribuant à la réalisation d’une union plus étroite entre les Hautes Parties contractantes et éviter les décisions interprétatives susceptibles de les diviser. L’interprétation et l’application de la Convention doivent viser à élaborer des solutions juridiques conciliant au mieux des traditions juridiques différentes et convenant à différents systèmes juridiques. Le préambule renvoie ensuite à une « conception commune et un commun respect des droits de l’homme ». Enfin, il évoque des « États européens animés d’un même esprit et possédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit ».

La « conception commune des droits de l’homme » et le « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » circonscrivent clairement le projet européen de protection collective des droits de l’homme et codéfinissent les limites du mandat confié à la Cour européenne des droits de l’homme. La dynamique du système en général, et en particulier l’interprétation dite « évolutive » de la Convention ne doivent pas dépasser le cadre des idéaux et des principes communs et doivent se garder – autant que possible – d’imposer des standards juridiques non reconnus comme faisant partie de ce patrimoine juridique commun (comparer avec mon opinion dissidente jointe à l’arrêt Firth et autres c. Royaume-Uni, nos 47784/09 et 9 autres, 12 août 2014, § 3, et avec l’opinion dissidente commune aux juges Pejchal et Wojtyczek jointe à l’arrêt Orlandi et autres c. Italie, nos 26431/12 et 3 autres, 14 décembre 2017, §§ 2 et 5). Dans ce contexte, les renvois à la « conception commune des droits de l’homme » et au « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » constituent également le fondement juridique pour déduire la directive selon laquelle la Convention doit être interprétée de manière à protéger les identités constitutionnelles nationales. Il importe de souligner que ces garanties contre les ingérences internationales injustifiées dépassent le champ des identités constitutionnelles nationales pour englober d’autres éléments de droit constitutionnel interne qui codéfinissent le patrimoine constitutionnel commun (comparer avec mon opinion séparée jointe à l’arrêt Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, 23 juin 2016, paragraphe 14).

La garantie collective des droits de l’homme mentionnée dans le préambule de la Convention consiste à transformer des principes et idéaux communs généraux et vagues en règles de droit plus spécifiques et plus précises, établissant des standards communs de protection des droits de l’homme. Dans un premier temps, ces principes et idéaux communs plus ou moins vagues sont concrétisés et transformés en dispositions conventionnelles. Dans un second temps, celles-ci peuvent à leur tour – si nécessaire et dans les strictes limites fixées par les règles applicables d’interprétation des traités – être concrétisées et transformées par la jurisprudence en règles de droit plus spécifiques susceptibles de sanction judiciaire.

Cependant, le patrimoine juridique commun qui constitue le socle de la Convention et de son interprétation ne peut à l’évidence être assimilé à une simple juxtaposition des normes juridiques communes à l’ensemble des états membres. Il faut établir une distinction entre, d’une part, le noyau commun des principes fondamentaux et, d’autre part, les aspects des systèmes juridiques qui revêtent une importance secondaire et reflètent la grande diversité des opinions juridiques et des approches nationales du droit. Il arrive parfois que la mise en œuvre des principes communs fondamentaux entre en conflit avec telle ou telle règle particulière des systèmes juridiques internes et même – exceptionnellement – avec des normes de valeur constitutionnelle. Plus précisément, les angles morts du système de garanties de l’État de droit ne font pas partie du noyau du patrimoine constitutionnel commun, même s’ils sont profondément ancrés dans une tradition constitutionnelle nationale.

4. Le pouvoir reconnu aux chambres du parlement de statuer sur les litiges concernant l’élection de leurs membres visait initialement à garantir l’autonomie de ces chambres vis-à-vis du monarque et, plus généralement, du pouvoir exécutif. Cette solution a été adoptée par le constitutionalisme des 18ème et 19ème siècles, à une époque où le pouvoir judiciaire ne jouissait pas encore de la confiance qu’on lui accorde aujourd’hui. A. Esmein a expliqué la logique de ce système dans le contexte du régime constitutionnel français de la façon suivante :

« Chacune des Chambres est juge de l’éligibilité de ses membres et de la régularité de leur élection » 1. L. const. 16 juillet 1875, art. 10. C’est une prérogative qui a surtout une importance politique; c’est avant tout une arme défensive aux mains des assemblées contre le pouvoir exécutif. (...) Si ce droit ne lui appartenait pas, en cas de contestation, il faudrait soumettre le litige aux tribunaux. On peut craindre encore de leur part une complaisance pour le pouvoir exécutif ou la formation de jurisprudences contraires ou changeantes, enfin, peut-être aussi des sentences légales mais inutilement rigoureuses. La Constitution fait de chaque Assemblée l’unique et souverain juge de ces questions, malgré les inconvénients qui peuvent résulter de ce système et dont il sera bientôt parlé. Le souci de leur indépendance prime toute autre considération.” (A. Esmein, Éléments de droit constitutionnel français et comparé, Librairie de la société du Recueil Sirey, Paris, 1914, 6ème éd., pp. 928-929).

Le système du règlement des contentieux électoraux par le parlement ayant donné lieu à des abus politiques dans de nombreux pays, il a été progressivement remplacé par un contrôle juridictionnel.

Si l’autonomie parlementaire constitue une composante du noyau du patrimoine constitutionnel européen commun, le pouvoir de statuer sur les litiges relatifs aux élections des membres du parlement n’en fait certainement pas partie. En outre, du point de vue de l’ordre juridique interne de l’État défendeur, le pouvoir du parlement d’examiner les recours en matière électorale ne semble pas être un élément important du régime constitutionnel national, et moins encore un élément constitutif de l’identité constitutionnelle de la Belgique.

La motivation de l’arrêt part à juste titre de l’hypothèse selon laquelle l’autonomie parlementaire prend normalement effet une fois que le parlement est constitué (paragraphes 89-92). Le pouvoir reconnu au parlement de statuer sur les contentieux électoraux est un vestige constitutionnel des débuts du constitutionnalisme. Il ne reflète pas un choix axiologique ou politique fondamental. Il ne constitue nullement un enjeu de société. Il ne sert aucun objectif juridique particulier et reconnu qui pourrait se justifier, par exemple, par l’idée selon laquelle certaines questions ne sont pas susceptibles de contrôle juridictionnel ou par la nécessité de tenir les juges éloignés du « maquis du politique » (political thicket). Il n’y a pas non plus de raisons axiologiques ou politiques solides de défendre un tel système, dont l’abandon conforterait grandement les principes fondamentaux de l’État de droit et l’effectivité de la démocratie politique.

5. L’approche suivie dans l’arrêt repose sur un postulat général sous-jacent, qui consiste à « procéduraliser » l’article 3 du Protocole no 1, c’est-à-dire à s’intéresser exclusivement aux garanties formelles d’équité des élections et à essayer d’éviter l’examen des règles matérielles auxquelles les élections doivent satisfaire pour être équitables. À cet égard, j’observe que les irrégularités du processus électoral ne peuvent pas toutes être réduites à la question de savoir s’il y a eu un « examen effectif des griefs du requérant ». Un recours électoral peut être bien fondé mais demeurer infructueux, alors même que l’État a respecté toutes les garanties procédurales imposées par l’article 3 du Protocole no 1. En pareil cas, il peut s’avérer nécessaire d’examiner la substance des irrégularités alléguées au regard des normes matérielles garantissant l’équité des élections.

6. S’agissant des questions précises de droit électoral appelant des réserves de ma part, je souhaiterais d’abord faire observer qu’il est indiqué, dans la motivation de l’arrêt, au paragraphe 71, que :

« Dans le contexte particulier des litiges électoraux, [la Cour] n’est pas appelée à déterminer si les irrégularités du processus électoral alléguées par les parties représentent des violations du droit interne pertinent (Namat Aliyev, précité, § 77). »

Je ne suis pas convaincu que cette approche soit défendable. En premier lieu, le droit électoral national détermine les règles de la compétition politique et fait naître des attentes légitimes chez les candidats concurrents. Certaines pratiques deviennent de graves irrégularités du processus électoral pour la seule raison qu’elles enfreignent les règles du jeu fixées par le droit interne. En l’espèce, les irrégularités dénoncées par le requérant dans le comptage des voix et la répartition des sièges s’analysent en des allégations de violation de règles du droit interne. Le requérant n’a pas allégué que le comptage des voix et la répartition des sièges parlementaires entre les candidats par l’État défendeur violaient les principes généraux européens garantissant la liberté du scrutin en tant que tels. En deuxième lieu, il ressort de la présente affaire que la Cour devait se prononcer sur la question de savoir si le requérant avait à tout le moins un grief défendable de violation du droit interne, et qu’il lui fallait donc examiner les dispositions du droit interne. En troisième lieu, comme indiqué ci-dessus, il est nécessaire, au moins dans certains cas, de rechercher si les règles matérielles garantissant des élections libres ont été respectées (voir, par exemple, Parti communiste de Russie et autres c. Russie, no 29400/05, §§ 123-28, 19 juin 2012), qui plus est à la lumière du droit interne (voir, par exemple, Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, §§ 116-48, CEDH 2008, Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, §§ 76-81, CDH 2012, Oran c. Turquie, nos 28881/07 et 37920/07, §§ 55-68, 15 avril 2014, et Mihaela Mihai Neagu c. Roumanie (déc.), no 66345/09, §§ 34-42, 6 mars 2014).

7. Les paragraphes 109 à 114 de l’arrêt figurent dans la rubrique intitulée « Le pouvoir d’appréciation de l’organe décisionnaire ». Bien que cet intitulé évoque des questions de droit matériel, cette partie de la motivation de l’arrêt porte à la fois sur des aspects matériels et des aspects procéduraux. Or ces derniers relèvent plutôt de la rubrique suivante, intitulée « Les garanties d’une décision équitable, objective et motivée ».

La motivation de l’arrêt affirme :

« 112. En revanche, les critères susceptibles d’être retenus par le parlement wallon pour statuer sur des réclamations telles que celle du requérant n’étaient pas énoncés avec une clarté suffisante dans les dispositions applicables du droit interne (mutatis mutandis, Riza et autres, précité, § 176). Celles-ci ne prévoyaient pas non plus les effets des décisions accueillant une réclamation, en l’occurrence les cas dans lesquels un recomptage des votes ou une annulation du scrutin devaient avoir lieu.

(...)

114. (...) [L]e pouvoir d’appréciation du parlement wallon n’était pas circonscrit par des dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision. »

J’estime que cette question n’a pas été correctement examinée. Premièrement, les règles juridiques ne se résument pas aux dispositions légales. Sans entrer dans de longs développements sur la théorie du droit, il suffit de relever très succinctement, entre autres choses, que de nombreux systèmes juridiques comportent des règles de droit valides qui ne reposent sur aucun fondement textuel figurant dans une disposition juridique. Deuxièmement, la motivation de l’arrêt se concentre uniquement sur des dispositions particulières du droit interne, sans essayer de recenser l’ensemble des règles et principes juridiques pertinents. En particulier, elle n’aborde pas la question de savoir si le principe général de proportionnalité est applicable et s’il limite la latitude du parlement. Il importe également de relever que la jurisprudence de la Cour a élaboré certains principes devant orienter l’action des organes chargés de statuer sur les questions électorales (voir, par exemple, Riza et autres c. Bulgarie, nos 48555/10 et 48377/10, §§ 153-179, 13 octobre 2015, Davydov et autres c. Russie, no 75947/11, §§ 335-338, 30 mai 2017, et Kovatch c. Ukraine, no 39424/02, §§ 54-62, CEDH 2008). Ces principes limitent les pouvoirs du parlement wallon. Troisièmement, il ne paraît pas nécessaire d’élaborer des règles de droit très précises lorsque les principes juridiques généraux fournissent des indications suffisantes à l’organe décisionnel. En tout état de cause, le principe directeur fondamental en la matière doit être le principe d’adéquation : la réaction de l’organe compétent pour examiner les recours électoraux doit être en adéquation avec la nature des irrégularités constatées et tenir compte en particulier de leur incidence sur le résultat des élections.

8. Au paragraphe 107 de l’arrêt, la Cour s’est exprimée ainsi :

« De même, la Cour rappelle qu’elle doit examiner avec un soin particulier toute mesure qui semble opérer, seule ou à titre principal, au détriment de l’opposition, surtout si de par sa nature elle compromet les chances mêmes des partis d’opposition d’accéder un jour au pouvoir (Tănase, précité, § 179). Or, en l’espèce, les risques de décisions politiques liés aux considérations qui précèdent (paragraphes 103 à 106 ci-dessus) n’ont pas été écartés par les règles de vote applicables. En effet, la décision sur la réclamation du requérant a été prise à la majorité simple. Une telle règle de vote permettait à la majorité en cours de formation d’imposer son point de vue, quand bien même la minorité serait importante. Ainsi, contrairement aux recommandations de la Commission de Venise (paragraphe 64 ci-dessus), la règle de vote à la majorité simple, appliquée en l’espèce sans aucun aménagement, n’était pas de nature à protéger le requérant, candidat issu d’un parti politique non représenté au parlement wallon avant les élections du 25 mai 2014, contre une décision partisane. »

La motivation renvoie également aux observations de la Commission de Venise. Au paragraphe 32 des observations de tiers intervenant qu’elle a soumises dans la présente affaire, la Commission de Venise s’est exprimée ainsi:

« Ce n’est évidemment pas qu’en première instance que les « juges » doivent être impartiaux, y compris lorsqu’il s’agit d’une assemblée politique ou d’une instance non juridictionnelle telle qu’une commission électorale. La composition de l’instance compétente et les règles de vote doivent laisser le moins de place possible à des décisions partisanes, en correspondance avec l’exigence d’impartialité objective qui s’applique dans le contentieux juridictionnel. Les compétiteurs directs doivent être écartés dans chacun des cas. La règle de majorité retenue pour les décisions doit assurer une représentation équitable. C’est évidemment dans cet ensemble de règles que réside le plus grand risque d’absence d’objectivité des systèmes purement parlementaires. La problématique n’est toutefois pas tellement différente de celle des commissions électorales partisanes (dont les membres sont nommés par les partis politiques), qui sont très souvent instances de recours. Il est dès lors possible de s’inspirer de la recommandation du Code de bonne conduite en matière électorale, qui considère pour le moins « souhaitable que les décisions des commissions électorales se prennent à la majorité qualifiée ou par consensus »». (notes de bas de page omises).

L’argumentation développée au paragraphe 107 de l’arrêt reproduit ci-dessus critique sans équivoque la règle de la majorité simple et donne à entendre que le parlement wallon aurait dû l’appliquer avec des « aménagements », suggérant la nécessité d’une majorité qualifiée. Cette partie de la motivation ne semble pas refléter fidèlement les recommandations de la Commission de Venise. Celle-ci ne préconise pas que les parlements prennent des décisions sur les recours électoraux à la majorité qualifiée.

Le paragraphe 107 inspire d’autres réserves, plus importantes. Le remplacement de la règle de la majorité simple par la règle de la majorité qualifiée ne paraît pas être une bonne solution, car il permettrait à la minorité parlementaire de bloquer n’importe quelle décision. Il entraînerait un risque sérieux de déni de justice et constituerait une forte incitation à négocier un arrangement politique au sein du parlement au lieu de statuer en droit. Force est donc de constater que la solution préconisée au paragraphe 107 est inappropriée.

9. Le paragraphe 98 de l’arrêt énonce à juste titre que:

« À cet égard, la Cour a déjà dit que des députés ne peuvent, par définition, pas être « politiquement neutres » (Ždanoka, précité, § 117). »

Au paragraphe 137 de l’arrêt, il est également indiqué que :

« La Cour a déjà jugé que l’« instance » dont parle l’article 13 de la Convention n’a pas besoin d’être une institution juridictionnelle au sens strict (Kudła, précité, § 157, et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu, précité, § 149). Dans une affaire portant sur un contentieux postélectoral relatif au résultat de l’élection et à la répartition des sièges, il faut et il suffit que l’organe compétent présente des garanties suffisantes d’impartialité, que son pouvoir d’appréciation soit circonscrit par les dispositions du droit interne à un niveau suffisant de précision et que la procédure suivie présente des garanties effectives de nature à assurer une décision équitable, objective et suffisamment motivée (paragraphe 70 ci-dessus). »

La seule conclusion que l’on peut en tirer est que les recours électoraux doivent être examinés, à tout le moins en dernier ressort, par un organe indépendant extérieur au parlement. Seul un tel organe est en mesure de présenter des garanties suffisantes d’impartialité. Un organe composé de parlementaires souffrirait nécessairement des défauts fondamentaux relevés dans la motivation.

10. Le présent arrêt a le mérite de s’efforcer de tenir compte des traditions juridiques de certains états membres du Conseil de l’Europe dont les parlements respectifs ont compétence pour statuer sur les recours dirigés contre les irrégularités des élections législatives. Toutefois, il est critiquable en ce qu’il ne propose aucune vision structurée du patrimoine constitutionnel européen et qu’il hésite à poser clairement la seule conclusion possible, qui consiste à dire que l’attribution au parlement du pouvoir de statuer en dernier ressort sur les recours électoraux est inconciliable avec les principes exposés dans la motivation.


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