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31/03/2020 | CEDH | N°001-202123

CEDH | CEDH, AFFAIRE DOS SANTOS CALADO ET AUTRES c. PORTUGAL, 2020, 001-202123


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DOS SANTOS CALADO ET AUTRES c. PORTUGAL

(Requête no 55997/14 et 3 autres – voir liste en annexe)

ARRÊT


Art 35 § 1 • Épuisement des voies de recours internes • Nécessité d’introduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tirée d’une inconstitutionnalité ou interprétation normative • Recours constitutionnel ne soulevant aucune question d’inconstitutionnalité sans pertinence pour le calcul du délai de six mois • Nécessité de former une opposition devant un co

mité de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la décision sommaire d’irrecevabilité d’un recour...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE DOS SANTOS CALADO ET AUTRES c. PORTUGAL

(Requête no 55997/14 et 3 autres – voir liste en annexe)

ARRÊT

Art 35 § 1 • Épuisement des voies de recours internes • Nécessité d’introduire un recours devant le Tribunal constitutionnel dans toute affaire soulevant une question tirée d’une inconstitutionnalité ou interprétation normative • Recours constitutionnel ne soulevant aucune question d’inconstitutionnalité sans pertinence pour le calcul du délai de six mois • Nécessité de former une opposition devant un comité de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la décision sommaire d’irrecevabilité d’un recours constitutionnel, rendue par un juge unique

Art 6 § 1 • Accès à un tribunal • Tribunal constitutionnel ayant fait preuve d’un formalisme excessif en déclarant irrecevables des recours constitutionnels pour non-respect des conditions légales • Irrecevabilité d’un recours, faute pour le requérant d’avoir soulevé une inconstitutionnalité tirée d’une interprétation normative, ne portant pas atteinte à la substance du droit d’accès à un tribunal

Art 6 § 1 • Tribunal impartial • Présence du juge ayant rendu la décision d’irrecevabilité attaquée, dans la composition du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel • Inapplicabilité des principes de l’impartialité objective, le comité de trois juges n’étant pas une entité à part entière et autonome

STRASBOURG

31 mars 2020

DÉFINITIF

31/07/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dos Santos Calado et autres c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une Chambre composée de :

Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Alena Poláčková,
María Elósegui,
Gilberto Felici,
Erik Wennerström, juges,
et de Milan Blaško, greffier de section,

Vu :

les requêtes (nos 55997/14, 68143/16, 78841/16 et 3706/17) dirigées contre la République portugaise et dont dix-neuf ressortissants de cet État, identifiés à l’annexe au présent arrêt, (« les requérants ») ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») aux dates indiquées dans le tableau annexé,

les observations des parties,

Notant que le 29 mai 2018, les griefs concernant le défaut d’accès au Tribunal constitutionnel et le manque d’impartialité du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel ont été communiqués au Gouvernement (concernant les requêtes nos 55997/14 et 68143/16) et les requêtes nos 68143/16, 78841/16 et 3706/17 ont été déclarées irrecevables pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 mars 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

Les requêtes concernent toutes l’irrecevabilité de recours introduits par les requérants devant le Tribunal constitutionnel. Les requêtes nos 55997/14 et 68143/16 concernent aussi un défaut allégué d’impartialité du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel. Les requérants se plaignent d’une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention et, s’agissant des requérants des requêtes nos 55997/14 et 68143/16, de leur droit à un procès équitable.

EN FAIT

1. La liste des requérants et de leurs représentants se trouve dans le tableau en annexe.

2. Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

1. Requête no 55997/14 (DOS Santos Calado)

3. Par une ordonnance du 26 février 2008, les services de sécurité sociale (« Segurança Social ») firent droit à la demande de retraite anticipée de la requérante de la requête no 55997/14, fixant le montant de sa pension à 4 074,11 euros (EUR) conformément à l’article 101 du décret-loi no 187/2007 du 10 mai 2007 (« le décret-loi no 187/2007 ») prévoyant les limites des pensions de retraite.

4. La requérante contesta le montant de sa pension devant les juridictions administratives, mais elle fut déboutée de ses prétentions par un jugement du tribunal administratif de Lisbonne du 4 mai 2012 confirmé par un arrêt du tribunal central administratif du Sud rendu le 24 janvier 2013. Elle saisit alors la Cour suprême administrative d’un pourvoi en cassation (« revista ») mais celui-ci fut déclaré irrecevable par un arrêt du 12 septembre 2013.

1. La décision sommaire du Tribunal constitutionnel du 10 décembre 2013

5. Le 25 septembre 2013, la requérante forma un recours devant le Tribunal constitutionnel. Invoquant l’article 70 § 1 b) de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel (« la LOTC »), régie par la loi no 28/82 du 15 novembre 1982 (paragraphe 44 ci-dessous), la requérante sollicitait l’appréciation par le Tribunal constitutionnel de la conformité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 avec les articles 2, 18 §§ 2 et 3 et 112 § 3 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessous) et avec l’article 66 § 2 b) de la loi no 4/2007 du 16 janvier 2007 régissant les bases générales du système de la sécurité sociale (« la LSS ») (paragraphe 55 ci-dessous). Elle indiquait avoir soulevé ces deux questions dans son mémoire introductif d’instance ainsi que dans son mémoire en recours devant le tribunal central administratif du Sud.

6. Par une décision sommaire du 10 décembre 2013, statuant en formation de juge unique, le Tribunal constitutionnel déclara le recours formé par la requérante irrecevable. En ce qui concerne la demande de l’intéressée portant sur la conformité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 avec l’article 66 § 2 b) de la LSS, le Tribunal constitutionnel estima que celle-ci avait fondé son moyen sur l’alinéa b) de l’article 70 § 1 de la LOTC alors qu’elle aurait dû se fonder sur l’alinéa f) de cet article. Les parties pertinentes en l’espèce de la décision sommaire étaient ainsi libellées :

« (...)

S’agissant de la question de la légalité, l’appelante a fondé son recours uniquement sur la compétence prévue à l’alinéa b) du no 1 de l’article 70, alors que c’est l’alinéa f) du même article qui donne compétence au Tribunal constitutionnel pour connaître de recours [relatifs à des] décisions ayant appliqué une norme dont l’illégalité a été soulevée parce qu’elle contrarie une décision ayant une valeur renforcée (« valor reforçado ») ;

(...) »

Quant à la partie du recours relative à la compatibilité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 avec la Constitution, le Tribunal constitutionnel, se référant à un arrêt par lequel il s’était déjà prononcé sur la question, indiqua que cette disposition était bien conforme à la Constitution. Cette décision sommaire fut rendue par le juge rapporteur J.C.M.

2. L’arrêt du 12 février 2014 du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel

7. Le 6 janvier 2014, la requérante forma une opposition (« reclamação ») contre cette décision devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel (« conferência »). Dénonçant un excès de formalisme, elle argua qu’elle avait bien précisé dans son mémoire en recours qu’elle souhaitait une appréciation non seulement du caractère conforme ou non à la Constitution de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 mais aussi du caractère légal ou non de cette même disposition au regard de la loi fixant les bases de la LSS, laquelle présentait selon elle une valeur renforcée. Elle ajouta avoir indiqué par erreur que cette partie de son recours s’inscrivait dans le cadre de l’alinéa b) de l’article 70 § 1 de la LOTC. Elle estime qu’elle aurait dû être invitée à corriger cette erreur, comme le prévoit selon elle l’article 75-A § 5 de la LOTC.

8. Par un arrêt du 12 février 2014, un comité de trois juges du Tribunal constitutionnel, composé entre autres du juge J.C.M., rejeta la réclamation de la requérante. S’agissant de la partie du recours portant sur le contrôle de la conformité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 avec l’article 66 § 2 b) de la LSS, il considéra que la demande de la requérante était dénuée de fondement étant donné qu’elle avait invoqué l’alinéa b) de l’article 70 § 1 de la LOTC tant pour son moyen tiré du défaut de légalité que pour celui tiré de l’inconstitutionnalité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007. Le comité de trois juges estima que, en l’absence d’une omission à proprement parler de la part de la requérante, il n’y avait donc pas lieu d’appliquer l’article 75 § 5 de la LOTC.

9. Le 27 février 2014, la requérante déposa une demande de rectification (« reforma ») de l’arrêt du 12 février 2014, répétant que le fait de ne pas avoir mentionné l’alinéa f) de l’article 70 § 1 de la LOTC était une erreur de frappe au sens de l’article 249 du code civil (paragraphe 54 ci-dessous) et que, selon elle, le fondement du recours portant sur l’illégalité supposée ressortait clairement de son recours. Par conséquent, la requérante considérait que son erreur devait être qualifiée d’omission et que, dès lors, elle devait donner lieu à une invitation à combler celle-ci, comme le prévoyait l’article 75 § 5 de la LOTC.

10. Le 26 mars 2014, sa demande fut rejetée par un arrêt du même comité de trois juges au motif qu’aucune erreur n’était à relever dans l’arrêt attaqué et, partant, qu’aucune correction ne devait être apportée à celui-ci.

2. Requête no 68143/16 (Amador de Faria E SILVA et autres)

11. Au moment des faits, les requérants de la requête no 68143/16 étaient des agents de la Direction générale des routes (« Direção Geral de Viação » ; la « DGV »). Même s’ils n’occupaient pas un poste d’inspecteur, ils exerçaient de fait les fonctions d’inspecteur.

12. Le 19 octobre 2005, avec des agents de la DGV qui occupaient, eux, un poste d’inspecteur, ils engagèrent devant le tribunal administratif et fiscal de Coimbra (« le tribunal ») une action contre le ministère des Finances et le ministère de l’Intérieur. Ils demandaient la déclaration d’une situation d’illégalité par omission en raison de l’absence de réglementation de leurs carrières, comme l’exigeait selon eux l’article 14 du décret-loi no 112/2001 du 6 avril 2001 (le « décret-loi no 112/2001 » ; paragraphe 57 ci-dessous).

13. Entre-temps, suite à la dissolution de la DGV, les agents de la DGV furent transférés vers l’Institut de la mobilité et des transports (« l’IMT »). Les requérants continuèrent à y exercer de fait des fonctions d’inspection.

14. Par un jugement du 2 octobre 2013, le tribunal fit droit à la demande des requérants et de leurs collègues. En ce qui concerne les requérants, il considéra que, dans la mesure où ceux-ci exerçaient de fait des fonctions d’inspection, ils pouvaient légitimement espérer intégrer la carrière de l’administration publique en vertu de l’article 14 du décret-loi no 112/2001. Il en conclut qu’il y avait bien eu, dans tous les cas, une illégalité par omission en raison de l’absence de réglementation de ces carrières. Cependant, constatant que la DGV avait entre-temps été dissoute, il ordonna à l’administration de verser une indemnisation aux demandeurs, invitant les parties à se mettre d’accord sur le montant à leur accorder.

15. Le 25 novembre 2013 et le 17 janvier 2014, les ministères défendeurs interjetèrent appel du jugement devant le tribunal central administratif du Nord. Dans leurs mémoires en appel, ils arguèrent que l’article 14 § 3 du décret-loi no 112/2001 distinguait les agents inspecteurs de ceux qui ne l’étaient pas mais exerçaient de telles fonctions de fait. Or, d’après les ministères défendeurs, la loi ne prévoyait à l’égard de ces derniers aucune obligation de réglementation aux fins de leur intégration dans la carrière d’inspecteur. Pour appuyer leur thèse, les ministères défendeurs faisaient référence à un arrêt de la Cour suprême du 12 juin 2012, confirmé par un arrêt rendu par la formation plénière de la même juridiction le 4 juillet 2013, qui distinguait entre les agents qui exerçaient les fonctions d’inspection de fait et ceux qui les exerçaient parce qu’ils avaient intégré la carrière d’inspecteur au sein de l’administration.

16. Le 16 janvier 2014, les requérants présentèrent leur mémoire en réponse. Ils contestèrent les arguments exposés par les ministères défendeurs en se plaignant d’une atteinte au principe de l’égalité consacré à l’article 13 de la Constitution et l’article 59 § 1 alinéa a) de la Constitution (paragraphes 41 et 43 ci-dessous). La conclusion de leur mémoire se lisait ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Les demandeurs sont victimes d’une omission portant atteinte au principe de l’égalité consacré aux articles 13 et 59 § 1 a) de la Constitution – dans le volet tiré de l’égalité du salaire pour un travail égal, découlant du fait que les régions autonomes des Açores et de Madère ont toutes deux (...) réglementé les carrières d’inspecteur des routes dans les régions autonomes conformément au décret-loi no 112/2001.

(...) »

17. Par un arrêt du 6 mars 2015, le tribunal central administratif du Nord annula la partie du jugement concernant les requérants et accueillit en partie les arguments des ministères défendeurs. En ce qui concerne les requérants, il jugea que l’obligation de réglementation des carrières ne concernait que les personnes qui avaient effectivement intégré la carrière d’inspecteur, excluant ainsi ceux qui exerçaient de fait les fonctions d’inspecteur.

18. Le 9 avril 2015, les requérants se pourvurent en cassation devant la Cour suprême administrative, arguant que l’article 14 du décret-loi no 112/2001 tel qu’il avait été interprété et appliqué par le tribunal central administratif du Nord n’était pas conforme aux articles 13 et 59 § 1 a) de la Constitution. Par un arrêt du 11 novembre 2015, la Cour suprême administrative déclara leur recours irrecevable au motif que l’affaire ne soulevait pas de question d’intérêt juridique ou social d’importance fondamentale.

1. La décision sommaire du Tribunal constitutionnel du 15 mars 2016

19. Les requérants introduisirent alors un recours devant le Tribunal constitutionnel, ainsi présenté :

« [Les requérants présentent un recours devant le Tribunal constitutionnel] sur le fondement de l’article 70 § 1 b) de la loi no 28/82 du 15 novembre (...), [recours] relatif à l’article 14 § 3 du décret-loi no 112/2001 du 6 avril, arguant de la violation des articles 13 et 59 § 1 a) de la Constitution :

a) lorsque [l’article 14 § 3 du décret-loi no 112/2001] est interprété et appliqué dans le sens qu’une entité publique qui réglemente les carrières d’inspecteur de ses agents dispose d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant de ne pas transférer vers ces carrières les agents exerçant de fait les fonctions d’inspecteur (...) alors qu’ils n’intègrent pas le système des carrières d’inspecteur ;

b) lorsque [cet article] est interprété dans le sens que les agents – qui exercent de fait des fonctions d’inspection alors qu’ils n’intègrent pas le système des carrières d’inspecteur – de deux entités publiques qui réglementent (ou qui ont réglementé) les carrières de ces agents et transfèrent ceux-ci dans les nouvelles carrières réglementées par le décret-loi no 112/2001 du 6 avril peuvent être traités de façon différente, en acceptant que certains, et pas d’autres, soient transférés dans la carrière d’inspecteur, que cette possibilité ait été prévue ou non dans le texte qui, au sein de ladite entité publique, réglementait la carrière d’inspecteur, aux termes du décret-loi no 112/2001. »

20. Dans leur mémoire en recours, les requérants précisaient avoir soulevé ces inconstitutionnalités normatives dans leur requête introductive d’instance (« petição inicial »), dans un recours antérieur interjeté devant le tribunal central administratif du Nord et dans leur pourvoi en cassation devant la Cour suprême.

21. Par une décision sommaire du 15 mars 2016, rendue par le juge J.C.M., siégeant en formation de juge unique, le Tribunal constitutionnel déclara le recours des requérants irrecevable au motif que ces derniers n’avaient pas soulevé l’inconstitutionnalité de l’interprétation normative dont ils s’étaient plaints devant le tribunal central administratif du Nord, plus spécifiquement dans le cadre de leurs mémoires en réponse à l’appel qui avait été interjeté par les ministères. La décision sommaire rendue le 15 mars 2016 par le Tribunal constitutionnel se lisait comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...) dans la mesure où la décision attaquée est l’arrêt rendu le 6 mars 2015 par le tribunal central administratif du Nord, les appelants (« os recorrentes ») auraient dû soulever les questions de constitutionnalité normative qu’ils posent au Tribunal constitutionnel dans le mémoire en réponse [présenté dans le cadre du] recours à l’origine de cette décision, étant donné que c’est seulement ainsi qu’ils peuvent contraindre le tribunal à connaître [d’une telle question] ».

2. L’arrêt du 4 mai 2016 du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel

22. Les requérants formèrent opposition devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel en soutenant qu’ils n’avaient pas pu soulever plus tôt la question tirée de l’atteinte alléguée au principe d’égalité car la distinction entre les inspecteurs de carrière et les inspecteurs exerçant ces fonctions de fait n’aurait été faite qu’à partir de l’arrêt rendu par le tribunal central administratif du Nord.

23. Par un arrêt du 4 mai 2016, le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel dont faisait partie le juge J.C.M. rejeta les arguments des requérants, jugeant que ces derniers auraient pu anticiper le revirement du jugement du tribunal central administratif du Nord compte tenu des thèses qui avaient été défendues par les ministères défendeurs dans leur recours devant ce tribunal s’agissant de la différence entre les deux groupes d’agents de la DGV établie par le décret-loi no 112/2001, différence qui avait été confirmée par la suite par un arrêt de l’arrêt de la Cour suprême mentionné par les ministères dans leurs mémoires.

24. L’arrêt se lisait ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...) la thèse selon laquelle le paragraphe 3 de l’article 14 du décret-loi no 112/2001 du 6 avril doit être interprété comme établissant que l’entité administrative qui régit les carrières d’inspecteur de ses fonctionnaires dispose du pouvoir discrétionnaire de ne pas réglementer le transfert vers ce type de carrières de ses agents qui exercent de fait, dans le cadre des attributions de cette entité, des fonctions d’inspection, même s’ils ne sont pas intégrés dans les carrières d’inspecteur, avait déjà été soulevée dans le mémoire en appel présenté par les ministères des Finances et de l’Intérieur au tribunal central administratif du Nord (points 20 et 22 des conclusions). Les appelants y ont répondu, et ils disposaient alors de la possibilité de soulever l’inconstitutionnalité d’une telle interprétation, thèse qui était d’ailleurs défendue dans une jurisprudence antérieure (arrêt de la Cour suprême du 12 juin 2012) à laquelle les requérants pouvaient facilement accéder (arrêt publié sur le site www.dgsi.pt)

Pour cette raison, les appelants n’étaient pas dispensés de soulever, devant le tribunal a quo, la question d’inconstitutionnalité normative soulevée devant le Tribunal constitutionnel.

Cette condition n’ayant pas été respectée, le recours ne peut être examiné (...). »

3. Requête no 78841/16 (Antunes Cardoso)

25. Par un jugement du 6 juin 2014, le tribunal de Tondela condamna le requérant pour fraude aggravée.

26. Le requérant interjeta appel du jugement devant la cour d’appel de Coimbra. Il se plaignait d’une atteinte au principe non bis in idem consacré à l’article 29 § 5 du code pénal (CP) (paragraphe 41 ci-dessous) en alléguant qu’il avait été acquitté le 27 février 2013 par le tribunal de Tábua du chef d’association de malfaiteurs pour certains des faits qui avaient fondé sa condamnation pour fraude qualifiée par le tribunal de Tondela. Son mémoire en appel se lisait comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...) Le jugement a violé l’article 29 § 5 de la Constitution et les articles 217 § 1 et 218 §§ 1 et 2 a) du code pénal. Il y a également eu atteinte à l’article 127 du CPP. (...) »

27. Par un arrêt du 9 septembre 2015, la cour d’appel de Coimbra rejeta la thèse du requérant. Elle considéra que les infractions d’association de malfaiteurs et de fraude qualifiée étaient deux infractions distinctes et que, par conséquent, il n’y avait pas eu atteinte au principe non bis in idem en l’espèce.

28. Le requérant présenta une réclamation dans laquelle il se plaignait de nouveau d’une violation du principe non bis in idem. La conclusion de cette réclamation se lisait ainsi :

« Est inconstitutionnelle compte tenu de la violation du principe consacré à [l’article 29] § 5 de la Constitution l’interprétation selon laquelle, après qu’une décision portant sur des faits relevant du domaine pénal a acquis force de chose jugée, il est possible de procéder à une nouvelle appréciation juridictionnelle (renvoyant à cet égard à l’article 127 du CPP et à toute l’ampleur normative de la portée de la compétence – « poderes de jurisdição » – du tribunal) concernant des faits qui visent la protection du même bien juridique, par les mêmes agents, et lorsque se vérifient les mêmes conditions objectives de la continuité (« continuação ») aux termes de l’article 30 § 2 du code pénal. En effet, l’appréciation portant sur la diminution de la faute et la conclusion selon laquelle un seul crime a été commis (et non pas plusieurs en situation de concours) ne pourra avoir lieu que dans le cadre du premier jugement ».

29. Par un arrêt du 13 janvier 2016, la réclamation du requérant fut rejetée.

1. La décision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016

30. Le requérant présenta alors un recours devant le Tribunal constitutionnel, qui se lisait notamment ainsi :

« (...)

– interprétation inconstitutionnelle des dispositions relatives à la portée de la compétence du tribunal, en particulier à l’article 127 du code de procédure pénale, lequel est interprété dans le sens qu’il est possible de faire en l’espèce une nouvelle appréciation juridictionnelle (cette fois condamnatoire) en procédant à une interprétation (libre) de faits qui intègrent la commission d’un crime de fraude qualifiée par rapport auquel un [jugement] (d’acquittement (...)) passé en force de chose jugée a déjà été rendu (...) ;

– l’interprétation de la portée de la compétence du tribunal prévue à l’article 127 du code de procédure pénale est inconstitutionnelle en raison de la violation du principe non bis in idem consacré à l’article 29 § 5 de la Constitution ;

– en l’espèce, l’article 127 du code de procédure pénale (libre appréciation de la preuve) est interprété et appliqué dans le sens qu’il est possible d’apprécier l’ensemble des faits ayant déjà été examinés par un tribunal [ayant statué par une décision ayant acquis force de chose jugée] (...). »

31. Par une décision sommaire du 4 mai 2016, statuant en formation de juge unique, le Tribunal constitutionnel déclara le recours irrecevable au motif qu’il concernait la condamnation du requérant et non une inconstitutionnalité normative. En ses parties pertinentes en l’espèce, la décision était ainsi libellée :

« (...) comme il l’avait déjà fait dans le cadre de son appel du jugement de première instance, l’appelant soutient que la cour d’appel a directement violé le principe non bis in idem. Il soutient qu’il avait déjà été jugé dans une autre affaire (...) pour les faits concrets qui sont appréciés en l’espèce. Or il ne semble pas qu’il s’agit d’une question normative pouvant faire l’objet d’une appréciation par le Tribunal constitutionnel dans le cadre d’un contrôle de constitutionnalité concret.

(...)

L’argument selon lequel les juridictions ont interprété et appliqué « l’article 127 du code de procédure pénale (libre appréciation de la preuve) au sens qu’il est possible d’apprécier l’ensemble des faits ayant déjà été soumis à une juridiction qui a statué par une décision passée en force de chose jugée (...) » continue à se reporter aux faits concrets ayant fait l’objet de discussion en l’espèce. Il ne s’agit donc pas d’un critère de décision pouvant être entendu comme relevant d’une interprétation possible de la loi ; il en va de même s’agissant de la possibilité d’avoir « deux appréciations juridictionnelles, même opposées, concernant les mêmes faits, relevant du domaine pénal (...) ». Il ne s’agit pas d’une quelconque possibilité interprétative autorisée de l’article 127 du code de procédure pénale mais d’un vice que l’appelant impute à la décision condamnatoire rendue en l’espèce, en violation du principe non bis in idem, question dont le Tribunal ne peut connaître. »

2. L’arrêt du 8 juin 2016 du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel

32. Le requérant forma une opposition devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel, dans laquelle il répétait qu’il souhaitait contester l’interprétation selon laquelle il était possible « de produire librement une appréciation nouvelle (différente) sur l’établissement des faits relevant d’un crime qu’une appréciation juridictionnelle de ces faits a déjà été faite dans le cadre d’une procédure antérieure. »

33. Par un arrêt du 8 juin 2016, le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel débouta le requérant de sa demande. Il considéra notamment ce qui suit :

« (...) en dépit de l’apparente généralité et abstraction [de l’inconstitutionnalité dénoncée], il est clair que [celle-ci] ne concerne pas l’article 127 du CPP en tant que tel, lequel se limite à consacrer le principe de la libre appréciation de la preuve, mais bien à la décision condamnatoire rendue en l’espèce, fondée sur une violation du principe non bis in idem. En réalité, en tenant compte des critères qui régissent le processus d’interprétation des lois (...), il est évident qu’il n’est pas possible d’extraire de la lecture de l’article 127 du CPP une quelconque des supposées interprétations soulevées, ni même celle que [le requérant] a essayé de dénoncer dans le cadre de son recours par la voie de la présente réclamation.

La non-vérification de la condition relative au caractère normatif du recours serait suffisante pour conclure au rejet de la réclamation (...). »

4. Requête no 3706/17 (Da Silva)

34. Par un jugement du 23 octobre 2015, le tribunal de Lisbonne condamna le requérant à trois ans et deux mois d’emprisonnement avec sursis pour violence domestique.

35. Le requérant interjeta appel du jugement. Il contestait, entre autres, l’établissement des faits auquel avait abouti le tribunal de Lisbonne ainsi que l’interprétation de l’article 127 du CPP (paragraphe 52 ci-dessous) et des articles 115, 118 et 152 du CP (paragraphes 48, 49 et 51 ci-dessous). Il arguait aussi que l’action publique ouverte à son égard pour les faits de violence domestique était prescrite. Enfin, il estimait que sa condamnation avait porté atteinte au principe de non-rétroactivité de la loi pénale consacré à l’article 3 du CP (paragraphe 46 ci-dessous) et à l’article 29 § 1 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessous), ainsi qu’au principe de la présomption d’innocence garanti par l’article 32 § 2 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessous).

36. Par un arrêt du 15 mars 2016, la cour d’appel de Lisbonne confirma le jugement du tribunal de Lisbonne.

37. Le requérant déposa alors un recours devant le Tribunal constitutionnel en se fondant sur l’article 75-A § 2 de la LOTC. Son mémoire en recours se lisait ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« (...)

2. Norme ou principe constitutionnel considéré comme violé (article 75-A § 2) :

Sont considérés comme manifestement violés les principes constitutionnels [découlant du principe] in dubio pro reo, consacré à l’article 32 § 2, première partie, de la Constitution, de la non-rétroactivité de la loi pénale, dont la prévision découle de l’article 2 § 1 de la Constitution, corollaire des principes de la sécurité juridique et de la protection de la confiance, en tant que dimension constitutionnelle de base de l’État de droit démocratique, conformément aux termes prévus à l’article 2 de notre Constitution.

(...)o »

38. Par une décision sommaire du 17 juin 2016 (porté à la connaissance du requérant le 20 juin 2016), la deuxième chambre (secção) du Tribunal constitutionnel, siégeant en une formation de juge unique conformément à l’article 78-A § 1 de la LOTC, déclara le recours constitutionnel introduit par le requérant irrecevable aux motifs que celui-ci n’avait pas spécifié l’interprétation normative dont il se plaignait ni soulevé une inconstitutionnalité normative au cours de la procédure pénale à l’issue de laquelle il avait été condamné, comme l’exige l’article 72 § 2 de la LOTC.

39. Le requérant n’a pas formé opposition contre cette décision sommaire devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel en vertu de l’article 78-A § 3 de la LOTC (paragraphe 44 ci-dessous).

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

1. La Constitution

40. Le Tribunal constitutionnel est composé de treize juges dont dix sont élus par le Parlement et trois sont cooptés par les premiers. Sur ces treize juges, six doivent obligatoirement être des magistrats de carrières, les sept autres étant des juristes. Le mandat des juges est d’une durée de neuf ans et il n’est pas renouvelable (article 212 §§ 1 à 3 de la Constitution).

41. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution portugaise se lisent comme suit :

Article 2

L’État de droit démocratique

« La République portugaise est un État de droit démocratique, fondé sur la souveraineté populaire, sur le pluralisme de l’expression et sur l’organisation politique démocratiques, le respect et la garantie des droits et des libertés fondamentaux et la séparation et l’interdépendance des pouvoirs. Elle a pour objectif la démocratie économique, sociale et culturelle et l’approfondissement de la démocratie participative. »

Article 13

Principe de l’égalité

« 1. Tous les citoyens ont la même dignité sociale et sont égaux devant la loi.

2. Nul ne peut être privilégié, avantagé, lésé, privé d’un droit ou dispensé d’un devoir pour des motifs fondés sur l’ascendance, le sexe, la race, la langue, le territoire d’origine, la religion, les convictions politiques ou idéologiques, l’instruction, la situation économique, la condition sociale ou l’orientation sexuelle. »

Article 18

Force juridique

« 1. Les dispositions constitutionnelles relatives aux droits, libertés et garanties fondamentales sont directement applicables et opposables aux personnes de droit public et de droit privé.

2. La loi ne peut limiter les droits, libertés et garanties fondamentales, hormis dans les cas expressément prévus par la Constitution, devant se limiter à ce qui est nécessaire pour sauvegarder d’autres droits ou d’autres intérêts protégés par la Constitution.

3. Les lois qui limitent les droits, les libertés et les garanties fondamentales doivent avoir une portée générale et abstraite et elles ne peuvent avoir d’effet rétroactif ni diminuer l’étendue et l’objectif du contenu essentiel des dispositions constitutionnelles. »

Article 29

Application de la loi pénale

« 1. Nul ne peut être condamné au pénal sinon en vertu d’une loi antérieure qui punit l’action ou l’omission, ni subir une mesure de sûreté dont une loi antérieure ne définit pas les conditions d’application.

(...)

3. Ne peuvent être appliquées une loi ou une mesure de sûreté que si elles étaient expressément prévues dans une loi antérieure.

4. Nul ne peut subir une peine ni une mesure de sûreté plus grave que celle prévue au moment de sa commission ou de la vérification des éléments constitutifs de l’infraction. Les lois pénales de contenu plus favorable à l’accusé s’appliquent de façon rétroactive.

5. Nul ne peut être jugé deux fois pour la même infraction.

(...) »

Article 103

[Système fiscal]

« (...)

2. Les impôts sont créés par la loi, qui détermine leur assiette, leurs taux, ainsi que les avantages fiscaux et les garanties des contribuables.

3. Nul ne peut être contraint à payer des impôts qui n’auraient pas été créés conformément à la Constitution, qui soient de nature rétroactive et dont la liquidation et le recouvrement ne soient pas effectués conformément à la loi. »

Article 112 § 3

[Les actes normatifs]

« Outre les lois organiques, les lois qui requièrent un vote à la majorité des deux tiers (...) ont une valeur renforcée, en vertu de la Constitution. »

Article 204

Appréciation de l’inconstitutionnalité

« Les tribunaux ne peuvent appliquer aux faits occasionnant un jugement des normes qui enfreignent les dispositions de la Constitution ou les principes qui y sont consignés. »

Article 221

Définition

« Le Tribunal constitutionnel est le tribunal ayant compétence spécifique pour administrer la justice en matière juridico-constitutionnelle. »

Article 280

Le contrôle concret de la constitutionnalité ou de la légalité

« 1. Il est possible de former un recours devant le Tribunal constitutionnel des décisions des tribunaux :

a) qui refusent l’application d’une norme sur le fondement de son inconstitutionnalité ;

b) qui appliquent une norme dont l’inconstitutionnalité a été soulevée au cours de la procédure.

2. Il est également possible de former un recours devant le Tribunal constitutionnel des décisions des tribunaux :

a) qui refusent l’application d’une norme figurant dans un acte législatif sur le fondement de son illégalité parce qu’elle viole une loi ayant valeur renforcée ;

b) qui refusent l’application d’une norme figurant dans un texte régional sur le fondement de son illégalité parce qu’elle viole le statut de la région autonome ;

c) qui refusent l’application d’une norme figurant dans un texte provenant d’un organe de souveraineté sur le fondement de son illégalité parce qu’elle viole le statut d’une région autonome ;

d) qui appliquent une norme dont la légalité est mise en cause au cours de la procédure, sur le fondement de l’un des motifs mentionné aux alinéas a), b) et c).

(...)

4. Les recours prévus à l’alinéa b) du numéro 1 et à l’alinéa d) du numéro 2 ne peuvent être interjetés que par la partie qui a soulevé la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité, la loi devant régir le régime d’admission de ces recours.

5. Il est aussi possible de former un recours devant le Tribunal constitutionnel, ceci étant obligatoire pour le Ministère Public, dans le cas où les tribunaux appliquent une norme ayant précédemment été jugée inconstitutionnelle ou illégale par le même Tribunal constitutionnel.

6. Les recours devant le Tribunal constitutionnel se limitent aux questions d’inconstitutionnalité ou d’illégalité, en fonction des cas. »

Article 281 § 3

[Le contrôle concret de la constitutionnalité ou de la légalité]

Le Tribunal constitutionnel examine et déclare encore, avec force obligatoire générale, l’inconstitutionnalité ou l’illégalité de toute norme, si celle-ci a été jugée inconstitutionnelle ou illégale dans trois cas concrets.

Article 282

Effets de la déclaration d’inconstitutionnalité ou illégalité

1. La déclaration d’inconstitutionnalité ou d’illégalité avec force obligatoire générale produit des effets depuis l’entrée en vigueur de la norme déclarée inconstitutionnelle ou illégale et détermine l’entrée de nouveau en vigueur des normes qu’elle avait abrogées.

(...)

3. Il est fait exception des affaires ayant passées en force de chose jugée, sauf s’il y a une décision en sens contraire du Tribunal constitutionnel et si la norme en cause relève de la matière pénale, disciplinaire ou une infraction administrative et son contenu est moins favorable à l’accusé.

4. Lorsque la sécurité juridique, des raisons d’équité ou d’intérêt public d’importance exceptionnelle, fondés, l’exigent, le Tribunal constitutionnel fixe les effets de l’inconstitutionnalité ou d’illégalité avec une portée plus restreinte de ce qui est prévu aux paragraphes 1 et 2. »

42. Le principe de la présomption d’innocence est consacré à l’article 32 § 2 de la Constitution.

43. Le principe de l’égalité salariale est quant à lui consacré à l’article 59 § 1 a) de la Constitution.

2. La loi organique sur le Tribunal constitutionnel

44. Les dispositions pertinentes de la loi organique sur le Tribunal constitutionnel (« la LOTC ») (approuvée par le décret-loi no 28/82 du 15 novembre 1982) se lisent comme suit :

Article 41

Chambres

« 1. Il y a trois chambres non spécialisées [au sein du Tribunal constitutionnel]. Chacune d’entre elle est composée du président ou du vice-président du Tribunal [constitutionnel] et de quatre autres juges.

2. La répartition des juges, y compris du vice-président, dans les chambres ainsi que le choix de la chambre normalement présidée par le vice-président, seront faits par le Tribunal [constitutionnel] au début de chaque année judiciaire. »

Article 70

Décision pouvant faire l’objet d’un recours

« 1. Peuvent faire l’objet d’un recours devant le Tribunal constitutionnel, réuni en chambre (secção), les décisions des tribunaux :

a) qui refusent l’application d’une norme sur le fondement de son inconstitutionnalité ;

b) qui appliquent une norme dont l’inconstitutionnalité a été soulevée au cours de la procédure ;

c) qui se refusent à appliquer une norme figurant dans un acte législatif en raison de son illégalité pour violation de la loi ayant valeur renforcée ;

d) qui se refusent à appliquer une norme figurant dans un texte régional, en raison de son illégalité pour violation du statut de la région autonome ou de la loi générale de la République ;

e) qui se refusent à appliquer une norme figurant dans un texte émanant d’un organe de souveraineté, en raison de son illégalité pour violation du statut d’une région autonome ;

f) qui appliquent une norme dont l’illégalité a déjà été soulevée au cours du procès sur l’un des fondements indiqués aux alinéas c), d) et e) ;

(...) »

Article 72 § 2

Qui peut saisir [le Tribunal constitutionnel]

« Les recours prévus aux alinéas b) et f) du paragraphe 1 de l’article 70 ne peuvent être interjetés que par la partie qui a soulevé la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité de manière adéquate au niveau procédural devant le tribunal qui a rendu la décision attaquée, obligeant celui-ci à connaître de la question. »

Article 75-A

Présentation du recours

« 1. Le recours devant le Tribunal constitutionnel est formé au moyen d’une requête mentionnant l’alinéa du paragraphe 1er de l’article 70 en vertu duquel le recours est présenté et la norme dont l’inconstitutionnalité ou l’illégalité doit être appréciée par le Tribunal.

2. Quand le recours est présenté en vertu des alinéas b) et f) du paragraphe 1er de l’article 70, la requête doit également indiquer quelle norme ou principe constitutionnel ou légal est considéré comme violé, ainsi que la pièce procédurale dans laquelle l’auteur de la requête a soulevé la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité.

(...)

5. Si la requête introductive du recours omet de mentionner un des éléments prévus dans le présent article, le juge invitera le requérant à fournir cette indication dans un délai de 10 jours.

6. Les dispositions des paragraphes précédents sont applicables par le rapporteur au Tribunal constitutionnel, lorsque le juge ou le rapporteur qui a admis le recours de constitutionnalité n’a pas procédé à l’invitation mentionnée au paragraphe 5.

7. Si le requérant ne répond pas à l’invitation faite par le rapporteur au Tribunal constitutionnel, le recours est aussitôt considéré sans effet (deserto). »

Article 76

Décision sur la recevabilité

« (...)

2. Le mémoire en recours formé devant le Tribunal constitutionnel doit être rejeté lorsqu’il ne satisfait pas aux critères de l’article 75-A, y compris, le cas échéant, après la correction prévue au paragraphe 5, lorsque le recours a été interjeté en dehors du délai, lorsque l’appelant n’a pas qualité pour agir ou encore, dans le cas des recours prévus aux alinéas b) et f) de l’article 70 § 1, lorsque ceux-ci sont manifestement mal fondés.

4. L’ordonnance qui déclare le recours irrecevable (...) peut être attaquée par voie d’opposition devant le Tribunal constitutionnel. »

Article 78-A

Examen préliminaire et décision sommaire du rapporteur

« 1. S’il estime ne pouvoir connaître de l’objet du recours ou que la question à laquelle il doit répondre est simple, notamment parce qu’elle a déjà fait l’objet d’une décision antérieure du Tribunal ou parce qu’elle est manifestement mal fondée, le rapporteur adopte une décision sommaire qui peut consister en un simple renvoi vers la jurisprudence antérieure du Tribunal.

(...)

3. Il est possible de contester la décision sommaire du rapporteur devant le comité de trois juges qui est composé du président ou du vice-président, du rapporteur et d’un autre juge de cette même chambre, désigné par l’assemblée plénière de la chambre (pleno da secção) à chaque année judiciaire.

4. Le comité de trois juges rend une décision définitive quant aux oppositions (reclamações) lorsque les juges intervenants prennent cette décision à l’unanimité. S’il n’y a pas unanimité, la décision est prise par l’assemblée plénière de la chambre.

5. S’il n’y a pas lieu d’appliquer ce qui est prévu au paragraphe 1 et lorsque le comité de trois juges ou l’assemblée plénière de la chambre décident de connaître de l’objet du recours, le rapporteur notifie l’appelant afin qu’il soumette ses conclusions de recours (alegações).

(...) »

Article 80

Effets de la décision

« 1. La décision sur le recours a autorité de chose jugée dans la procédure quant à la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité ayant été soulevée.

2. Si le Tribunal constitutionnel fait droit au recours, même partiellement, il renvoie le dossier au tribunal d’où il est venu, afin que ce tribunal, en fonction de l’affaire, change sa décision ou ordonne un changement en fonction du jugement portant sur la question de l’inconstitutionnalité ou de l’illégalité.

3. Si le jugement portant sur le caractère constitutionnel ou légal de la norme que la décision attaquée a appliqué ou a refusé d’appliquer se fonde sur une interprétation donnée de cette même norme, cette dernière doit être appliquée avec la même interprétation dans la procédure en cause.

4. Lorsque la décision déclarant le recours irrecevable ou le rejetant passe en force de chose jugée, la décision attaquée passe elle aussi en force de chose jugée si tous les recours internes ont été épuisés. Dans le cas contraire, le délai pour interjeter appel commence à courir.

(...) »

45. Dans sa rédaction originale issue de la loi no 85/89 du 7 septembre 1989, l’article 78-A de la LOTC était ainsi rédigé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. S’il estime qu’il n’est pas possible de connaître de l’objet du recours ou que la question à laquelle il doit répondre est simple, notamment parce qu’elle a déjà été tranchée par une décision antérieure du Tribunal, le rapporteur procède à un exposé écrit succinct de son avis (parecer), lequel peut consister en un simple renvoi à une jurisprudence du Tribunal, et demande à ce que chaque partie soit entendue (...).

2. Ensuite, le dossier de la procédure est envoyé aux autres juges de la formation et ceux-ci ont deux jours pour rendre leur avis (vistos) (...).

3. S’il estime que la procédure peut être jugée de suite, le rapporteur élabore immédiatement une décision sommaire.

4. Si le Tribunal estime que l’affaire ne peut être jugée immédiatement, l’article 79-B s’applique. »

Cet article a été modifié par la loi no 13-A/98 du 26 février 1998, la rédaction de l’article 78-A (rédaction transcrite ci-dessus au paragraphe 44) étant demeurée inchangée depuis.

3. Le Code pénal

46. L’article 3 du CP est ainsi libellé :

« Le fait (« o facto ») est considéré comme commis au moment où l’auteur (« o agente ») a agi ou, en cas d’omission, aurait dû agir, indépendamment du moment où le résultat s’est produit. »

47. L’escroquerie est punie d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans (article 217 § 1 du CP). En cas de préjudice matériel élevé, la peine d’amende pourra aller jusqu’à 600 jours-amende et la peine d’emprisonnement jusqu’à cinq ans (article 218 § 1 du CP). Si le préjudice est particulièrement élevé, l’infraction est punie d’une peine d’emprisonnement de deux à huit ans (article 218 § 2 a) du CP).

48. Toute plainte au pénal doit être déposée dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la victime a pris connaissance de l’infraction ou à compter de la date de son décès (article 115 § 1 du CP).

49. Les délais de prescription de l’action publique sont prévus à l’article 118 du CP.

50. L’article 119 § 1 a) du CP dans sa rédaction issue du décret-loi no 400/82 du 23 septembre 1982 disposait que la prescription de l’action publique était suspendue dans les cas où la procédure pénale ne pouvait commencer.

51. La loi nº 59/2007 du 4 septembre 2007 a reconnu la violence domestique comme une infraction pénale. Celle-ci est depuis prévue par l’article 152 du CP.

4. Autres dispositions pertinentes

52. L’article 127 du code de procédure pénale (« CPP ») est ainsi libellé :

« À moins qu’une loi n’en dispose autrement, les preuves sont appréciées à l’aune du bon sens et d’après l’intime conviction de l’autorité compétente. »

53. L’article 336 § 1 du CPP dans sa rédaction issue du décret-loi no 78/87 du 17 février 1987 disposait que la déclaration de contumace impliquait la suspension de la procédure jusqu’à ce que l’accusé se présentât aux autorités ou qu’il fût détenu.

54. Au terme de l’article 249 du code civil :

« La simple erreur de calcul ou d’écriture, ressortant du contexte de la déclaration elle-même ou des circonstances dans lesquelles la déclaration est faite, donne seulement droit à sa rectification. »

55. L’article 66 de la loi no 4/2007 du 16 janvier 2007 dispose ce qui suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Le principe de la protection des droits acquis et des droits en cours d’acquisition (« direitos em formação ») s’applique aux régimes du système providentiel (sistema previdencial) ;

2. Aux fins du paragraphe précédent, sont considérés :

(...)

b) [comme des] droits en formation, [les droits] correspondants aux périodes pendant lesquelles les contributions ont été faites et les rémunérations enregistrées au nom du bénéficiaire.

(...) »

56. L’article 101 du décret-loi no 187/2007 du 10 mai 2007 dispose que :

« 1. Pour les pensions calculées selon l’article 34, le P1 [montant de la pension] est limité à douze fois l’IAS [index des subventions sociales] sans préjudice de ce qui est indiqué aux paragraphes suivants.

(...) »

57. Le décret-loi no 112/2001 du 6 avril 2001 encadre et définit la structure des carrières d’inspecteur de l’administration centrale. D’après son article 2 § 1, il s’applique aux inspections générales, aux services et organismes de l’administration centrale et de l’administration régionale autonome ayant parmi leurs catégories professionnelles des carrières d’inspecteur propres à l’exercice de fonctions comprises dans le cadre du pouvoir de l’État.

L’article 14 du décret-loi no 112/2001 se lit ainsi dans sa partie pertinente en l’espèce :

« 1. L’application de ce qui est prévu dans le présent [décret-loi] aux services et organismes auquel se réfère l’article 2 § 1 se fait, dans chaque cas, par un décret-réglementaire.

2. Les décrets réglementaires, prévus au paragraphe précédent, doivent être adoptés dans un délai de 90 jours et établissent notamment les carrières à prévoir, la description des fonctions, les règles propres au transfert et toute autre réglementation jugée nécessaire.

3. Les décrets réglementaires peuvent aussi prévoir l’intégration dans les carrières d’inspecteur de fonctionnaires intégrés dans d’autres types de carrières, à condition qu’ils exercent des fonctions d’inspection et réunissent les conditions légales exigées.

(...) »

5. La pratique interne pertinente
1. Sur le contrôle de constitutionnalité normative

58. D’après une jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel, le contrôle concret de constitutionnalité prévu à l’article 280 de la Constitution ne peut porter que sur l’inconstitutionnalité alléguée d’une norme ; tout recours dirigé contre la décision judiciaire elle-même doit donc être déclaré irrecevable (voir, par exemple, les arrêts no 192/94 du 1er mars 1994, no 178/95 du 5 avril 1995, no 18/96 du 16 janvier 1996 et no 183/2008 du 12 mars 2008).

2. Sur le contrôle de constitutionnalité de l’interprétation normative
1. Sur la notion d’interprétation normative

59. Dans son arrêt no 26/85 du 15 février 1985, l’assemblée plénière (Plenário) du Tribunal constitutionnel a précisé qu’il fallait entendre la notion de « norme » au sens fonctionnel du terme, en tenant compte du système de contrôle de la constitutionnalité prévu aux articles 277 et suivants de la Constitution. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, cet arrêt se lit comme suit :

« (...) comme l’avait déjà souligné la Commission constitutionnelle, ce système vise à contrôler les actes du pouvoir normatif de l’État (au sens large) - et en particulier du pouvoir législatif - autrement dit, les actes qui contiennent une « règle de conduite » ou un « critère de décision » pour les particuliers, pour l’administration et pour les tribunaux.

Ce ne sont donc pas, par conséquent, tous les actes du pouvoir publics qui sont couverts par le système de fiscalisation de constitutionnalité prévu dans la Constitution. À ce système échappent, d’une part (comme la Commission constitutionnelle l’avait déjà souligné), les décisions judiciaires et les actes de l’Administration sans caractère normatif, ou les actes administratifs à proprement dit, et, d’autre part, les « actes politiques » ou « les actes du Gouvernement », au sens strict (...). Les uns et les autres, en réalité, ne sont plus des « actes normatifs » mais des actes d’application, d’exécution ou de simple utilisation de « normes », c’est-à-dire des règles de conduite ou des critères de décision - que ce soit de normes infraconstitutionnelles (dans le cas des premiers) ou des normes constitutionnelles (dans le cas des seconds).

Cependant, si un acte du pouvoir public est plus que cela et s’il contient une règle de conduite pour les particuliers ou pour l’administration ou un critère de décision pour cette dernière ou pour le juge, alors nous nous trouverons devant un acte « normatif » dont les implications sont sujettes au contrôle de constitutionnalité.

(...) »

60. Dans son arrêt no 178/95 du 5 avril 1995, le Tribunal constitutionnel s’est exprimé ainsi :

« Le contrôle de constitutionnalité (...) est un contrôle normatif - un contrôle qui ne peut porter que sur des normes (autrement dit, des actes du pouvoir législatif public) et non sur d’autres types d’actes du pouvoir public, tels que les décisions judiciaires. En effet, notre système de contrôle de constitutionnalité ne prévoit pas un recours d’amparo.

Le recours devant le Tribunal constitutionnel ne peut porter sur l’inconstitutionnalité des décisions judiciaires elles-mêmes. Il doit avoir pour objet les dispositions normatives que les autres tribunaux ont refusé d’appliquer ou qu’ils ont appliquées, alors que l’appelant avait soulevé leur inconstitutionnalité au cours de la procédure (...).

(...)

(...) lorsque c’est la façon dont une disposition normative a été interprétée qui est soulevée, le sens de cette interprétation doit être spécifié afin que, s’il la déclare non conforme à la Constitution, [le Tribunal constitutionnel] puisse l’énoncer dans la décision à rendre. Ainsi, le tribunal ayant rendu la décision dont il est interjeté appel, s’il doit changer la décision, les autres destinataires de cette décision et les opérateurs juridiques en général savent quel est le sens de la norme en cause ne pouvant pas être adopté compte tenu de son incompatibilité avec la loi fondamentale.

(...) »

61. Dans son arrêt no 117/2001 du 14 mars 2001, le Tribunal constitutionnel a rappelé que :

« (...) la question de l’inconstitutionnalité peut concerner tant la norme que l’interprétation ou le sens avec lequel elle a été appliquée dans la décision attaquée (...). »

62. Dans ses arrêts nos 412/2003 (du 23 septembre 2003) et 110/2007 (du 15 février 2007), le Tribunal constitutionnel a souligné que, pour qu’une question fût soumise à un contrôle de constitutionnalité, il suffisait qu’il existât « un critère normatif, doté d’un niveau d’abstraction élevé, pouvant être invoqué et appliqué à une pluralité de situations concrètes ».

63. Dans son arrêt no 341/2019 (du 30 mai 2019), statuant en comité de trois juges, la première section du Tribunal constitutionnel a souligné ce qui suit :

« (...) la notion fonctionnelle de norme que le Tribunal a développée, en dépit de l’estompage (esbatimento) de la frontière entre « norme » et « décision », a permis l’élargissement de l’objet du contrôle concret de constitutionnalité à l’interprétation (ou critère normatif) ayant été faite d’une disposition légale, dans le cas concret, par le tribunal attaqué, ayant fondé le jugement. Toutefois, ceci ne justifie pas l’extension de la portée de la compétence du Tribunal constitutionnel au-delà du domaine matériel qui lui est propre, c’est-à-dire le cadre normatif.

(...) »

64. S’agissant d’une affaire où était soulevée une atteinte au principe non bis in idem consacré à l’article 29 § 5 de la Constitution dans le cadre d’une procédure pénale à l’issue de laquelle le requérant avait été condamné pour homicide et détention d’arme interdite, dans son arrêt no 319/2012 rendu le 20 juin 2012, siégeant en comité de trois juges, le Tribunal constitutionnel a jugé qu’il ne lui appartenait pas de déterminer s’il existait un concours d’infractions dans les circonstances concrètes de l’affaire. Il a relevé que sa tâche était uniquement de savoir si le tribunal a quo avait pu extraire des normes litigieuses un critère normatif pouvant amener à punir ces infractions en concours effectif, en portant atteinte au principe non bis in idem. Quant au fond, il a conclu que les deux infractions en cause protégeaient deux biens juridiques différents, et donc qu’il ne s’agissait donc pas de la même infraction mais bien d’un concours effectif d’infractions. À l’appui de son raisonnement, le Tribunal faisait référence à divers arrêts où il avait suivi la même analyse, dont les arrêts nos 102/99, 303/2005, 375/2005 et 356/2006.

2. Le contrôle de constitutionnalité d’une interprétation normative tirée d’une atteinte au principe de légalité

a) Les arrêts nos 674/99 et 196/2003

65. Les arrêts nos 674/99 (du 15 décembre 1999) et 196/2003 (du 10 avril 2003) du Tribunal constitutionnel, réuni en séance plénière, ont considéré que les recours constitutionnels soulevant des atteintes au principe de la légalité pénale consacré à l’article 29 § 1 de la Constitution ne concernaient pas une interprétation normative mais une décision judiciaire et qu’ils tombaient ainsi en dehors du champ de compétence de cette juridiction.

66. Dans son arrêt no 674/99, le Tribunal constitutionnel a tenu le raisonnement suivant :

« (...) [en l’espèce], l’appelant ne soutient pas que le contenu de la norme avec l’interprétation adoptée est incompatible avec le texte constitutionnel (...). Ce qu’[il] questionne en l’espèce est seulement que celui qui juge puisse aboutir à un tel contenu normatif au moyen d’un processus interprétatif, sans respecter les limites de l’interprétation de la loi pénale, ce qui violerait nécessairement le principe de la légalité pénale. Autrement dit, [en l’espèce], que le comportement de l’appelant puisse faire l’objet d’une incrimination [en tant que telle] n’est pas questionné. Ce qui l’est [en réalité] c’est uniquement qu’il puisse être considéré comme l’auteur d’une fraude.

Partant, nous pouvons conclure sans équivoque que ce qui est attaqué par l’appelant n’est pas la norme en elle-même mais plutôt la décision judiciaire (decisão judicial) l’ayant appliqué, par la voie d’un processus interprétatif constitutionnellement interdit.

Or une telle question - parce qu’elle ne concerne pas une inconstitutionnalité normative mais plutôt l’inconstitutionnalité de la décision judiciaire même, dépasse la compétence (poderes de cognição) du Tribunal constitutionnel étant donné que nous n’avons pas consacré le dénommé recours d’amparo, notamment dans la modalité d’amparo contre les décisions violant directement la Constitution.

Quoi qu’il en soit, même si l’on considérait que ce Tribunal était compétent pour connaître des questions d’inconstitutionnalité découlant d’une intégration analogique ou d’une « opération équivalente » interdite par la Constitution, notamment une interprétation « fondée sur des raisonnements analogiques » (...), ce qui sera toujours exclu c’est que le Tribunal constitutionnel puisse contrôler des interprétations faites par des tribunaux considérées comme erronées au motif qu’elles enfreignent le principe de la légalité.

En l’occurrence, s’il n’en était pas ainsi, le Tribunal constitutionnel pourrait contrôler, dans tous les cas, l’interprétation judiciaire des normes pénales (ou fiscales) puisque l’on pourrait reprocher à toutes les interprétations considérées erronées par les appelants une violation du principe de la légalité en matière pénale (ou fiscale). Et, ainsi, en suivant ce même raisonnement logique, le Tribunal constitutionnel, indirectement, devrait contrôler toute l’activité interprétative des lois à laquelle se livrent nécessairement les tribunaux - notamment les tribunaux supérieurs dans chacune des juridictions. En effet, il serait toujours possible d’attaquer une norme législative lorsqu’elle est interprétée dans un sens qui excède son « sens naturel » (...) sur le fondement de la violation du principe de la séparation des pouvoirs, parce qu’elle est le simple produit de la création judiciaire, en contradiction avec la réelle volonté du législateur (...).

Or, un tel raisonnement - élargissant ainsi le champ de compétence du Tribunal constitutionnel - doit être rejeté parce qu’il est en conflit avec un système de contrôle de constitutionnalité tel que dessiné dans la loi fondamentale étant donné qu’il vide pratiquement de son contenu la restriction des recours de constitutionnalité aux questions d’inconstitutionnalité normative. Ainsi, par exemple, et en l’espèce, pour décider la question de l’inconstitutionnalité, le Tribunal constitutionnel serait en première ligne pour résoudre les controverses de la doctrine concernant les faits constituant le crime de fraude (...)

En l’espèce, il n’y a même pas eu une intégration analogique ou une « opération équivalente » mais une simple interprétation de la loi que l’appelant conteste. Nous devons nécessairement conclure qu’il n’existe pas de question d’inconstitutionnalité normative devant être tranchée par le Tribunal.

(...).

67. Souscrivant à la thèse défendue dans l’arrêt no 674/99, dans son arrêt no 196/2003 du 10 avril 2003, concernant une affaire où était soulevée une atteinte au principe de la légalité fiscale consacré à l’article 103 § 2 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessus), l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel a ajouté ce qui suit :

« (...) d’autres arguments pourront être avancés contre la thèse qui admet un contrôle de constitutionnalité du processus d’interprétation relatif à des normes infraconstitutionnelles, lorsque celles-ci sont soumises aux principes de légalité pénale et fiscale (legalidade penal e tipicidade fiscal). Premièrement, il s’agit de principes constitutionnels qui, dans la perspective faisant l’objet de la présente analyse, sont dirigés essentiellement à celui qui juge, en lui imposant des limites dans son activité d’interprétation et d’application de la respective loi infraconstitutionnelle.

(...)

Finalement, il ne faut pas oublier que la tâche consistant à interpréter les lois infraconstitutionnelles relève de l’art d’appliquer la loi infraconstitutionnelle qui régit ses termes et est menée par les tribunaux. Parce qu’il en est ainsi, en tant que processus, et non résultat, elle devra être vue comme un acte relatif au jugement de l’affaire, même s’il est vicié ou frappé directement d’inconstitutionnalités. Il ne s’agit donc pas d’une question normative ou d’une question entrant dans la notion fonctionnelle de norme (...) en vue d’être soumise au système constitutionnel de contrôle de la constitutionnalité par le Tribunal constitutionnel.

(...) ».

68. Dans une autre affaire soulevant une atteinte au principe de légalité fiscale, par un arrêt du 10 avril 2003 (no 197/2003), la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel a considéré que ne constituait pas une interprétation normative requérant un contrôle de conformité avec l’article 103 § 2 de la Constitution l’interprétation donnée par un tribunal d’une norme du code sur l’impôt sur le revenu selon laquelle un certain type d’intérêt bancaire constituait un capital et était donc imposable.

b) L’arrêt no 183/2008

69. Saisie par son parquet, dans son arrêt no 183/2008 (précité), l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel a considéré que le Tribunal était compétent pour effectuer un contrôle sur le terrain de l’article 29 § 1 de la Constitution s’agissant d’un recours où était soulevée l’inconstitutionnalité de l’interprétation de l’article 119 § 1 a) du CP (dans sa rédaction issue du décret-loi no 400/82 du 23 septembre 1982) combiné avec l’article 336 § 1 du CPP (dans sa rédaction issue du décret-loi no 78/87 du 17 février 1987) selon laquelle la déclaration de contumace impliquait la suspension du délai de prescription de l’action publique (paragraphes 50 et 53 ci-dessus). L’assemblée plénière a tenu le raisonnement suivant :

« (...)

[En l’espèce], la question qui se pose est de savoir si est conforme ou pas au principe de la légalité pénale, consacré à l’article 29 §§ 1 et 3 de la Constitution, admettre que, à la lumière du code pénal de 1982 et du code de procédure pénale de 1987, la déclaration de contumace constitue une cause de suspension du délai de prescription de l’action publique.

On peut toutefois se demander si ce problème touchant au principe de la légalité pénale entre dans les compétences du Tribunal constitutionnel.

Cette question n’a pas toujours fait l’objet d’une jurisprudence uniforme, deux types de réponses ayant été données, comme l’illustrent les arrêts nos 110/07 et 524/07 qui sont contradictoires et portent des opinions dissidentes.

Ainsi, dans l’arrêt no 110/07 [du 15 février 2007], la deuxième section du Tribunal constitutionnel a considéré qu’était contraire à l’article 29 §§ 1 et 3 de la Constitution, la norme extraite des articles 119 § 1 a) du code pénal et 336 § 1 du CPP (...) dans l’interprétation selon laquelle la déclaration de contumace constitue une cause de suspension du délai de prescription de l’action publique d’une procédure pénale.

En revanche, dans l’arrêt no 524/07 [du 17 octobre 2007], la première section du Tribunal constitutionnel a considéré que le Tribunal constitutionnel n’était pas compétent pour se prononcer sur la [même] question (...).

Vu qu’il existe deux décisions sommaires favorables à une de ces deux positions (voir, par exemple, les décisions sommaires nos 379/07 et 576/07), les conditions sont réunies pour que la question se décide dans le cadre d’un contrôle abstrait [de constitutionnalité], aux termes des articles 281 § 3 de la Constitution et 82 de la Loi du Tribunal constitutionnel.

Voyons donc comment se présente le problème.

Nous savons que la Constitution n’a pas accueilli un système de recours d’amparo ou de plainte constitutionnelle (queixa constitucional) mais plutôt un système de contrôle de constitutionnalité normative qui empêche le Tribunal de statuer sur des actes (non normatifs) des pouvoirs publics enfreignant les droits fondamentaux, protégés par la Constitution. Ainsi, le Tribunal ne peut connaître de l’inconstitutionnalité éventuelle de décisions judiciaires mêmes.

(...)

Le système portugais de contrôle de constitutionnalité inclue la possibilité de contrôler la validité de ce que l’on appelle généralement les interprétations normatives. À cet égard, l’article 80 § 3 de la Loi du Tribunal constitutionnel admet qu’un « jugement de constitutionnalité sur la norme que la décision a appliquée ou refusé d’appliquer puisse se fonder sur une interprétation déterminée de cette même norme ».

Le contrôle de constitutionnalité des « interprétations normatives » ainsi reconnu n’attribue pas, néanmoins, au Tribunal la compétence qu’il ne peut avoir, eu égard notamment à ce qui est prévu à l’article 221 de la Constitution. Un tribunal à qui il appartient spécifiquement d’administrer la justice en matière juridico-constitutionnelle ne peut évidemment pas se transformer en instance de révision de la façon dont les tribunaux interprètent et appliquent le droit infraconstitutionnel, en se substituant à eux dans la tâche (qui leur appartient exclusivement) qui consiste à déduire de certains faits un certain type de détermination légale. Ceci ne peut avoir aucunement lieu ; et ceci n’a pas lieu d’être dans la présente espèce.

(...)

[En l’espèce], il s’agit de savoir si - dans l’abstrait - il est possible d’inclure le contenu normatif figurant dans une norme - l’article 336 du CPP- dans le contenu normatif d’une autre norme- l’article 119 § 1 du CP dans sa version originaire de 1982.

(...)

Il serait donc nécessaire que la question fût posée avec un degré suffisant de généralité ou d’abstraction, d’une façon telle qu’on pourrait dire qu’il s’agit d’une interprétation normative ne dépendant pas des circonstances factuelles concrètes.

On peut admettre que ce critère peut soulever des doutes en ce qui concerne des infractions sans prévision légale (realidades típicas sem previsão legal). On ne peut pas dire que cela se pose lorsqu’il s’agit d’une figure procédurale abstraite prévue au niveau normatif comme c’est le cas de la déclaration de contumace.

Partant, le Tribunal constitutionnel est compétent pour statuer s’agissant de la question de constitutionnalité ici soulevée (...) »

(...)»

c) La jurisprudence récente sur le contrôle de conformité d’interprétation normative au regard du principe de légalité pénale

70. Plus récemment, dans son arrêt no 587/2014 (du 17 septembre 2014), la première section du Tribunal constitutionnel s’est prononcée sur une question d’atteinte au principe de la légalité pénale en raison de l’interprétation analogique d’une disposition normative ayant abouti à l’incrimination de l’accusé.

S’agissant de l’admissibilité d’un tel recours, le Tribunal constitutionnel tint le raisonnement suivant :

« Comme nous le savons, il s’agit d’une question avec une très large base jurisprudentielle, d’où il n’est pas possible de retirer une position sédimentée et uniforme. Sont à relever, d’un côté, de nombreux arrêts où le Tribunal a conclu qu’il n’était pas possible de contrôler des processus d’application analogique d’une norme incriminante (incriminadora) étant donné que cela portait sur l’acte de juger à proprement dit et non sur une norme ou une interprétation normative extraite de celle-ci (voir arrêts nos 634/94, 154/98 et 674/99 (...)). Autrement dit, conformément à cette lecture, le Tribunal constitutionnel ne peut avoir pour tâche de contrôler des interprétations erronées faites par les tribunaux, sur le fondement de la violation du principe de légalité.

(...)

Toutefois, il ne s’agit pas d’une approche unanime. Dans d’autres arrêts, certains récents, le Tribunal a abouti à une interprétation diamétralement opposée, ne voyant aucun obstacle à ce que, dans certains domaines normatifs, on puisse contrôler la conformité du processus herméneutique suivi par le tribunal attaqué à la lumière du principe de la légalité pénale ou du principe de la légalité fiscale (voir arrêt nos 141/82, 205/99, 183/08 et 186/13 (...)). Contestant l’argumentation exposée ci-dessus, on a abouti à une approche selon laquelle l’objet du contrôle réclamé ne devait être vu ni comme un contrôle d’un acte de jugement ni une interférence illégitime dans les compétences des tribunaux ordinaires. (...)

(...) si la Constitution consacre, en son article 29 § 1, le principe de la légalité pénale, ce qui fait ressortir de son cadre de protection l’interdiction d’appliquer de façon analogique des normes incriminantes, une interprétation systématique du texte constitutionnel demande à ce que ce moment herméneutique se transforme en une « partie » de la normativité qui intègre l’objet du contrôle. Ceci ne veut pas dire que le Tribunal constitutionnel doit contrôler tout processus herméneutique qui, en matière pénale ou en procédure pénale, est adopté au niveau infraconstitutionnel. L’iter méthodologique suivi par le tribunal attaqué dans la détermination du sens normatif reste incontrôlable, il n’appartient pas au Tribunal constitutionnel de le revoir mais seulement de vérifier si ont été dépassées les limites constitutionnelles auquel cet iter est soumis en matière pénale, autrement dit, concrètement, l’interdiction de l’analogie in malam partem.

(...)

Partant, il y a lieu de statuer sur l’objet du recours. »

71. Plus récemment encore, dans son arrêt no 90/2019 (du 6 février 2019), s’agissant d’un recours portant sur une atteinte au principe de légalité pénale en raison de l’interprétation des articles 119 § 1 et 374 § 1 du CP selon laquelle, pour ce qui est du crime de corruption active de fonctionnaire, le délai de prescription de l’action publique compte à partir de la remise effective d’un avantage et non pas à partir de la date de la promesse dudit avantage, le Tribunal constitutionnel a considéré que la question soulevait un critère normatif par rapport auquel il pouvait exercer un contrôle de constitutionnalité. Sur ce point, il s’est exprimé comme suit :

« (...) [cette interprétation] présente un degré élevé d’abstraction, elle concerne en l’occurrence l’application d’une catégorie normative légale, concrètement le critère normatif applicable à la détermination du moment de la commission (« consumação ») du crime de corruption active.

En effet, le raisonnement suivi par le tribunal a quo peut être reproduit dans une multitude de cas, grosso modo dans toutes les situations où l’auteur [du crime] remet à un fonctionnaire un avantage patrimonial ou non patrimonial qui n’est pas dû, rendant toujours nécessaire de déterminer le moment de la commission de cette infraction aux fins du calcul du délai de prescription de l’action publique.

(...) »

72. Dans un arrêt no 374/2019 (du 19 juin 2019), concernant une affaire où était soulevée une atteinte au principe de la légalité pénale en raison de l’interprétation par un tribunal pénal d’une disposition juridique du code pénal, la troisième section du Tribunal constitutionnel a jugé qu’une telle question relevait du champ de sa compétence. Dans ses parties pertinentes, l’analyse portant sur ce point se lisait comme suit :

(...)

Le contrôle de constitutionnalité effectué par le Tribunal constitutionnel dans le cadre du contrôle concret (fiscalização concreta) doit comprendre la possibilité pour ce Tribunal de contrôler la conformité constitutionnelle du processus interprétatif tenu par le tribunal attaqué dans la formation/obtention de la norme qu’il décide d’appliquer, chaque fois que le principe de la légalité est mis en cause, vu le principe selon lequel il y a des interprétations qui sont constitutionnellement interdites.

(...)

Même s’il est évident que le Tribunal constitutionnel ne fonctionne pas comme une instance d’amparo, ceci ne l’empêche pas de considérer la spécificité des questions du contrôle de constitutionnalité lorsque c’est le principe de légalité pénale qui est en cause.

Ceci est d’ailleurs l’approche que le Tribunal constitutionnel suit, du moins, depuis l’arrêt no 183/2008, lequel a constitué une décision-clé sur la question étant donné qu’il a opéré un revirement de jurisprudence.

(...)

Tel qu’indiqué dans l’arrêt paradigmatique no 183/2008, il n’est pas demandé dans le recours interjeté si « un fait concret déterminé avec toutes ses circonstances peut rentrer dans le cadre de la norme » car naturellement le « Tribunal ne peut pas répondre à cette question. »

(...)

Autrement dit, à l’instar de ce qui s’est vérifié dans le cadre des affaires ayant donné lieu aux arrêts du Tribunal constitutionnel nos 395/2003, 183/2008 et 128/2010, entre autres, ce qui est en cause est l’appréciation d’un critère normatif, doté d’un niveau d’abstraction élevé et pouvant être invoqué et appliqué à propos d’une pluralité de situations concrètes. [Ce critère] pouvant donc faire l’objet d’un contrôle par le Tribunal constitutionnel, à la lumière du principe constitutionnel de la légalité pénale.

(...)

(...) nous pouvons relever, en particulier, l’arrêt no 90/2019 (...), lequel est très récent et prouve l’actualité de l’analyse suivie ci-dessus :

« (...) 37. Est ainsi définitivement écarté l’approche (juízo) selon laquelle les interprétations normatives extraites de dispositions normatives de nature pénale ne sont pas contrôlables par cette juridiction à la lumière du principe constitutionnel de la légalité pénale. Dans un tel contexte, le cadre sémantique (moldura semântica) du texte écrit est décisif (voir, entre autres, les arrêts nos 128/2010, 324/2013, 587/2014, 106/2017 et 641/2018). »

(...)

Dans les arrêts nos 183/2008, 128/2010, 186/2013, 324/2013, 587/2014, 106/2017, 659/2018 et 90/2019, il a toujours été question de savoir si, en vertu d’une interprétation, le tribunal a quo, avait abouti à une norme nouvelle (norma nova), une norme non contenue dans le contenu littéral de la loi, ce qui est interdit en matière pénale en vertu du principe de la légalité pénale.

(...) »

3. Le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel

73. Dans son arrêt no 20/2007 (du 17 janvier 2007), le Tribunal constitutionnel a rejeté le grief tiré du défaut d’impartialité du comité de trois juges qui avait été soulevé dans le cadre d’un recours constitutionnel. Son raisonnement était le suivant :

« (...) l’opposition (reclamação) formée devant le comité de trois juges est un moyen normal de réagir contre les ordonnances du rapporteur, elle va de pair avec l’idée selon laquelle le vrai détenteur du pouvoir judiciaire au sein des tribunaux supérieurs est la formation collégiale (...). Et, entre nous, le juge désigné comme rapporteur est toujours membre de la formation de jugement devant statuer sur une opposition contre les décisions qu’il a rendues, qu’il s’agisse d’une décision de juge unique résultant des pouvoirs traditionnels du rapporteur qui consistent à préparer le dossier en vue du jugement ou des pouvoirs plus élargis qui, en vertu de la réforme du code de procédure civile de 1995-1996, lui sont donnés pour statuer sur toute décision préalable ou incidente ou pour statuer sur le recours lorsqu’il est manifestement mal fondé ou s’il porte sur des questions simples ou répétitives. Dans ce sens, l’article 78-A § 3 de la LOTC n’a donc rien d’anormal ou de nouveau dans le panorama du droit procédural, notamment dans la définition des moyens de contestation (impugnação) et d’organisation et fonctionnement des organes judiciaires de nature collégiale.

(...)

[En l’espèce], la thèse de l’appelant semble reposer sur une erreur consistant à identifier l’opposition contre les ordonnances du rapporteur formées devant le comité de trois juges avec un recours, l’hypothèse [du défaut d’impartialité] étant inclue à l’alinéa e) de l’article 122 § 1 du code de procédure civile, soit dans la liste des empêchements [des juges] (...).

(...) l’opposition est fonctionnellement différente d’un recours, il s’agit d’une demande de reconsidération, à laquelle procède la même instance et ce, en procédant à un examen avec la même latitude que la décision attaquée. Comme nous avons commencé à l’indiquer, l’opposition devant le comité de trois juges vise à obtenir une décision finale sur une question du vrai détenteur du pouvoir judiciaire au sein des tribunaux supérieurs. (...) On peut dire que l’intéressé bénéficie ainsi d’une nouvelle opportunité pour convaincre la formation [collégiale] de ses arguments. D’ailleurs, en l’occurrence, il suffit de convaincre l’un des juges pour faire intervenir la formation plénière de la section.

(...) »

4. Statistiques du Tribunal constitutionnel

74. En 2018, 87,9 % des recours portés devant le Tribunal constitutionnel visaient un contrôle concret de constitutionnalité. Sur 1 579 recours en vue d’un contrôle concret de constitutionnalité, le Tribunal a rendu 929 décisions sommaires d’inadmissibilité.[1]

EN DROIT

1. JONCTION DES REQUÊTES

75. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION en raison du manque d’accÈs à un tribunal (grief commun À toutes les requêtes)

76. Les requérants allèguent que les décisions du Tribunal constitutionnel déclarant leurs recours constitutionnels irrecevables ont porté atteinte à leur droit d’accès à un tribunal. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention et l’article 2 § 1 du Protocole no 7 à la Convention.

77. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114-115 et 126, CEDH 2018), la Cour estime que les griefs des requérants se prêtent à un examen sous l’angle du seul article 6 § 1 de la Convention, qui est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »

1. Sur la recevabilité
1. Observations préliminaires

a) Sur la nature et la portée du recours constitutionnel au Portugal

78. La Cour note que les articles 204, 221 et 280 de la Constitution prévoient que tout recours formé par un justiciable, aux fins d’un contrôle concret de constitutionnalité, devant le Tribunal constitutionnel doit porter sur une question de constitutionnalité (paragraphes 40, 41 et 44 ci-dessus). Plus spécifiquement, d’après une jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel, il doit s’agir de l’inconstitutionnalité d’une norme ou de l’inconstitutionnalité de l’interprétation qui a été faite de celle-ci par un tribunal (paragraphes 58, 59, 60 et 61 ci-dessus). Le recours constitutionnel au Portugal n’est donc pas un recours sur les droits fondamentaux comme le recours d’amparo ou le Verfassungsbeschwerde, la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel excluant d’exercer son contrôle sur les décisions judiciaires mêmes des tribunaux inférieurs (paragraphes 60 et 69 ci-dessus). L’interprétation normative dénoncée par le requérant doit être suffisamment proche de la ratio decidendi de la décision attaquée, sans être dépendante des circonstances factuelles de l’affaire tranchée par la question litigieuse. En effet, d’après la jurisprudence interne, l’inconstitutionnalité alléguée doit avoir une portée générale, dépassant les circonstances concrètes de l’affaire où elle a été soulevée (paragraphe 62 ci-dessus).

79. La Cour note que la question de savoir si le contrôle de constitutionnalité du Tribunal constitutionnel pouvait s’appliquer aux interprétations normatives jugées contraires aux principes de la légalité pénale et de la légalité fiscale consacrés aux l’article 29 § 1 et 103 § 2 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessus) a connu des réponses divergentes au sein du Tribunal constitutionnel (à cet égard voir les considérations faites par l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel dans l’arrêt no 183/2008 au paragraphe 69 ci-dessus). Dans les arrêts nos 674/99 (dans lequel était soulevée une atteinte au principe de la légalité pénale), 196/2003 et 197/2003 (ces deux derniers arrêts portant sur une atteinte alléguée au principe de la légalité fiscale), l’assemblée plénière du Tribunal constitutionnel a considéré qu’une telle question relevait de la décision judiciaire et échappait donc à son contrôle (paragraphes 65, 67 et 68 ci-dessus). Il semble que cette approche ne soit plus suivie depuis l’arrêt no 183/2008 (concernant le principe de la légalité pénale) de l’assemblée plénière. Dans cet arrêt, l’assemblée plénière a considéré que la conformité d’une interprétation normative au principe de légalité pénale consacré à l’article 29 § 1 de la Constitution peut faire l’objet d’un contrôle du Tribunal constitutionnel pourvu qu’elle présente un degré de généralité ou d’abstraction, autrement dit une portée générale (paragraphe 69 ci-dessus). Une telle approche extensive a été suivie dans des arrêts plus récents, tels que les arrêts nos 587/2014, 90/2019, 341/2019 et 374/2019 portant sur des contrôles d’interprétation normatives à la lumière du principe de légalité pénale (paragraphes 70, 71 et 72 ci-dessus), et l’arrêt no 319/2012, concernant le contrôle de conformité d’une interprétation normative donnée avec le principe non bis in idem consacré à l’article 29 § 5 de la Constitution (paragraphe 64 ci-dessus).

b) Sur les conditions de saisine du Tribunal constitutionnel et les effets de ses décisions

80. Au niveau procédural, la Cour relève que le Tribunal constitutionnel ne statue qu’en dernière instance, et que la question tirée de l’inconstitutionnalité normative ou de l’interprétation normative doit donc avoir été soulevée devant les tribunaux inférieurs par la partie qui la soulève, comme le prévoient les articles 70 et 72 § 2 de la LOTC. Partant, le motif de recours tiré de l’inconstitutionnalité normative ou d’une interprétation normative doit concerner la question soulevée devant les tribunaux inferieurs et la ratio decidendi de la décision litigieuse (paragraphes 44 et 78 ci-dessus).

81. L’article 75-A de la LOTC prévoit quant à lui les formalités devant être respectées pour toute saisine du Tribunal constitutionnel.

82. En vertu des articles 76 § 2 et 78-A §§ 1, 3 et 4 de la LOTC, le Tribunal constitutionnel, siégeant en formation de juge unique, déclare irrecevable par une décision sommaire tout recours ne respectant pas ces formalités, cette décision pouvant être contestée par voie d’opposition devant un comité de trois juges dont l’unanimité sera requise pour confirmer l’irrecevabilité du recours, faute de quoi la chambre devra statuer en formation plénière (paragraphe 44 ci-dessus).

83. La Cour note que, conformément à l’article 80 § 3 de la LOTC, tout jugement du Tribunal constitutionnel statuant dans le cadre d’un contrôle concret de constitutionnalité a autorité de force jugée par rapport à l’affaire où la question de constitutionnalité a été soulevée (paragraphe 44 ci-dessus). Elle relève en outre que l’article 281 § 3 de la Constitution prévoit que, en cas d’inconstitutionnalité dans trois affaires concrètes, le Tribunal constitutionnel déclare l’inconstitutionnalité avec force obligatoire générale, ce qui porte les effets à l’entrée en vigueur de la norme litigieuse conformément à l’article 282 § 1 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessus).

c) Sur l’effectivité du recours constitutionnel au Portugal aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention

84. Prenant note de la portée spécifique du recours devant le Tribunal constitutionnel, dans un certain nombre d’affaires introduites contre le Portugal, la Cour a considéré qu’un recours devant le Tribunal constitutionnel n’était pas à épuiser aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention eu égard aux griefs qui étaient soulevés par les requérants devant elle (voir, parmi de nombreux exemples, Colaço Mestre et SIC – Sociedade Independente de Comunicação, S.A. c. Portugal (déc.), nos 11182/03 et 11319/03, 18 octobre 2005, Gouveia Gomes Fernandes et Freitas e Costa c. Portugal, no 1529/08, § 31, 29 mars 2011, Rolim Comercial, S.A. c. Portugal, no 16153/09, § 46, 16 avril 2013, Sérvulo & Associados – Sociedade de Advogados, RL et autres c. Portugal, no 27013/10, §§ 69-70, 3 septembre 2015, et, a contrario, Pereira Cruz et autres c. Portugal, nos 56396/12 et 3 autres, §§ 165-166, 26 juin 2018). Plus particulièrement, dans l’affaire Castanheira Barros c. Portugal (déc.) (no 36945/97, 3 février 2000), elle a jugé qu’un recours devant le Tribunal constitutionnel ne serait pas effectif pour porter remède à un grief tiré du défaut d’impartialité d’un tribunal. En revanche, dans l’affaire Traina c. Portugal (déc.) (no 59431/11, 21 mars 2017), la Cour a considéré que le recours constitutionnel aurait pu être effectif vu l’existence d’une jurisprudence sur la question litigieuse. Cela dit, parce que le requérant n’avait pas soulevé un grief tiré du défaut d’accès à un tribunal, s’agissant du Tribunal constitutionnel, la Cour a jugé la requête irrecevable pour tardiveté (paragraphes 25 à 30 de la décision Traina, précitée).

85. Par conséquent, dans toute affaire portée contre le Portugal soulevant une question tirée d’une inconstitutionnalité normative ou d’une interprétation normative, le requérant doit avoir introduit valablement un recours devant le Tribunal constitutionnel pour satisfaire à l’obligation d’épuiser les voies de recours internes posée par l’article 35 § 1 de la Convention (voir à cet égard, Mendrei c. Hongrie (déc.), no 54927/15, § 41, 19 juin 2018). En revanche, un recours constitutionnel portant sur une décision judiciaire même sera voué à l’échec et ne pourra être pris en compte pour le calcul du délai de six mois établi à l’article 35 § 1 de la Convention (Traina, précité, § 23).

2. Sur l’exception du non-épuisement des voies de recours internes concernant la requête no 3706/17

a) Thèses des parties

86. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne la requête no 3706/17. Il argue que le requérant a omis de former une opposition devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la décision sommaire d’irrecevabilité de son recours constitutionnel, comme le lui permettait l’article 78-A de la LOTC.

87. Le requérant conteste l’exception soulevée par le Gouvernement alléguant que la réclamation devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel ne peut être considérée comme une voie de recours effective étant donné qu’il s’agit d’un recours hiérarchique. En outre, celle-ci n’aurait aucune chance d’aboutir. Dès lors, il ne s’agissait pas, d’après le requérant, d’une voie de recours à épuiser aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention.

b) Appréciation de la Cour

1. Rappel des principes

88. La Cour rappelle que, selon l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. Cette règle se fonde sur l’hypothèse – objet de l’article 13 de la Convention, avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée (voir, par exemple, Selmouni c. France [GC], no [25803/94](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2225803/94%22%5D%7D), § 74, CEDH 1999-V). Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation incriminée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 74, 25 mars 2014). L’effectivité d’un recours au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. Cependant, les pouvoirs et les garanties procédurales qu’il présente entrent en ligne de compte pour déterminer si le recours est effectif (Klass et autres c. Allemagne, 6 septembre 1978, § 67, série A no 28, Silver et autres c. Royaume-Uni, 25 mars 1983, § 113 b), série A no 61, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI).

89. La Cour souligne qu’elle doit appliquer la règle de l’épuisement des voies de recours internes en tenant dûment compte du contexte : le mécanisme de sauvegarde des droits de l’homme que les parties contractantes sont convenues d’instaurer. Elle a ainsi reconnu que l’article 35 § 1 de la Convention doit s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 69, Recueil 1996‑IV).

2. Application à la présente espèce

90. Eu égard à la nature du recours constitutionnel au Portugal (paragraphes 78 et 79 ci-dessous), en supposant que le recours que le requérant avait formé devant le Tribunal constitutionnel était un recours effectif à épuiser aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention, la Cour constate que celui-ci a été déclaré irrecevable par une décision sommaire du 17 juin 2016, adoptée par une formation de juge unique de la deuxième chambre du Tribunal constitutionnel, en vertu de l’article 78-A § 1 de la LOTC (paragraphes 21 et 44 ci-dessus). Elle note que cette décision est devenue définitive faute pour le requérant d’avoir contesté cette décision sommaire par voie d’opposition devant un comité de trois juges de la deuxième chambre, comme lui permettait l’article 78-A § 3 de la LOTC. La question qui se pose est donc celle de savoir si une telle opposition aurait pu constituer un recours effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention pour remédier au grief tiré du défaut d’accès au Tribunal constitutionnel soulevé en l’espèce par le requérant.

91. Certes, il ne s’agit pas d’un recours au sens strict du terme, comme le confirme d’ailleurs l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 20/2007 (paragraphe 73 ci-dessus). Cet arrêt souligne effectivement que l’opposition est un moyen de contester les décisions prises par le rapporteur d’une formation judiciaire collégiale afin d’obtenir une reconsidération de la question, Cela dit, la Cour estime qu’un tel mécanisme aurait permis au requérant de réagir contre la décision litigieuse.

92. Premièrement, elle relève que l’opposition est formée devant un comité de trois juges du Tribunal constitutionnel, composé du rapporteur ayant rendu la décision sommaire litigieuse et de deux autres juges dont le président ou le vice-président du Tribunal constitutionnel, conformément à l’article 78-A § 3 de la LOTC. À titre subsidiaire, la Cour note que la procédure est prévue ainsi depuis la réforme de la LOTC issue de la loi no 13-A/98 du 26 février 1998 et que l’irrecevabilité d’un recours constitutionnel ne pouvait auparavant être prononcée que par un arrêt du comité de trois juges, sur proposition du juge rapporteur (paragraphe 45 ci-dessous). Aujourd’hui, en vertu de l’article 78-A de la LOTC, le juge rapporteur peut rendre cette décision sommaire sans consulter ses pairs. Ceux-ci ne seront donc consultés que si l’intéressé forme une opposition devant eux sur le fondement du paragraphe 3 de l’article 78-A de la LOTC.

93. Deuxièmement, elle note que, en vertu de l’article 78-A § 4 de la LOTC, l’irrecevabilité du recours ne peut être confirmée que par un vote unanime du comité de trois juges et que, en l’absence d’une telle unanimité, la question sera portée devant la chambre réunie en section plénière (paragraphe 44 ci-dessus).

94. Ces constatations suffisent à la Cour pour considérer que l’opposition devant le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel contre la décision sommaire litigieuse constituait un recours effectif au sens de l’article 35 § 1 de la Convention pour remédier au grief tiré du défaut d’accès à un tribunal soulevé devant elle.

95. Le requérant ayant omis de former une opposition devant le comité de trois juges, comme le prévoyait l’article 78 § 3 de la LOTC, il y a lieu de faire droit à l’exception soulevée par le Gouvernement et de déclarer la requête no 3706/17 irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

3. Conclusion

96. Constatant que les griefs tirés du défaut d’accès à un tribunal soulevés en l’espèce par les requérants s’agissant des requêtes nos 55997/14, 68143/16 et 78841/16 ne sont pas manifestement mal fondés ni irrecevables pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Arguments généraux

97. Les requérants voient dans l’irrecevabilité de leurs recours devant le Tribunal constitutionnel une atteinte à leur droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

98. Le Gouvernement combat la thèse des requérants. Il précise que le recours devant le Tribunal constitutionnel est un recours qui vise un contrôle de constitutionnalité ou de légalité normatives, autrement dit un contrôle sur la conformité de dispositions normatives à la Constitution ou à des lois ayant une valeur renforcée. Il ne peut donc être comparé au recours d’amparo ou à un recours relatif à des droits fondamentaux.

99. Le Gouvernement rappelle ensuite que les conditions de recevabilité des recours constitutionnels prévues à l’article 70 de la LOTC doivent être respectées par les parties d’une procédure souhaitant un contrôle concret de constitutionnalité. En se référant à l’arrêt du Tribunal constitutionnel no 178/95 (paragraphe 60 ci-dessus), il observe que tout appelant qui souhaite attaquer l’interprétation faite d’une disposition normative doit préciser quel est le sens normatif qu’il estime non conforme à la Constitution. D’après lui, les règles de saisie du Tribunal constitutionnel sont rigoureuses parce qu’elles visent à garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice.

100. À titre informatif, le Gouvernement ajoute que, pour l’année 2015, sur 1 226 procédures ouvertes, le Tribunal constitutionnel a rendu 800 décisions sommaires d’irrecevabilité et 700 arrêts.

b) Requête no 55997/14 (Dos Santos Calado)

101. La requérante allègue que le fondement de son recours tiré de l’illégalité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 du 10 mai 2007 ressortait clairement de son mémoire en recours et que le Tribunal constitutionnel avait bien relevé que le recours soulevait deux questions, l’une portant sur l’inconstitutionnalité de la disposition normative et l’autre sur son illégalité. Elle considère que l’irrecevabilité de cette dernière partie de son recours au motif qu’il était fondé sur l’alinéa b) et non sur l’alinéa f) du paragraphe 1 de l’article 70 de la LOTC est donc futile et que l’interprétation faite par le Tribunal constitutionnel des formalités prévues à l’article 75-A de la LOTC est excessivement formaliste. Elle ajoute que l’erreur de frappe dans son recours aurait pu être corrigée d’office ou après une demande de rectification conformément à l’article 75-A § 5 de la LOTC.

102. Le Gouvernement indique que le Tribunal constitutionnel s’est prononcé sur la question de constitutionnalité dans le cadre d’une décision sommaire car cette question aurait déjà été tranchée dans un autre arrêt. S’agissant de la partie du recours portant sur l’illégalité de la disposition normative attaquée, le Gouvernement admet que la décision du Tribunal constitutionnel est rigoureuse, voire même formaliste. Il est néanmoins d’avis qu’il n’y a pas eu atteinte au droit d’accès de la requérante à un tribunal. En effet, il expose que cette question n’a pas été examinée faute pour la requérante, qui était pourtant représentée par un avocat, d’avoir invoqué le fondement correct du recours ; il ne s’agissait donc pas, d’après lui, d’une erreur d’écriture, mais bien d’une erreur dans la qualification du moyen soulevé, d’où l’irrecevabilité de la deuxième partie du recours de la requérante.

c) Requête no 68143/16 (Amador de Faria e Silva et autres)

103. Les requérants se plaignent d’une interprétation excessivement formaliste de l’article 75–A de la LOTC par le Tribunal constitutionnel. Ils allèguent avoir soulevé au moment opportun la question constitutionnelle litigieuse, à savoir après que le tribunal central administratif du Nord a considéré que la loi distinguait les inspecteurs de carrière des inspecteurs de fait. Ils disent avoir, par conséquent, soumis la question de l’inconstitutionnalité normative à la Cour suprême administrative dans le cadre de leur pourvoi en cassation. Ils allèguent qu’ils n’auraient pas pu soulever la question plus tôt puisque l’interprétation litigieuse de l’article 14 § 3 du décret-loi no 112/2001 (paragraphe 57 ci-dessus) n’avait pas été appliquée auparavant, ni au cours de la procédure civile, ni par la Cour suprême dans ses arrêts du 12 juin 2012 et du 4 juillet 2013 (paragraphe 15 ci-dessus). En outre, selon les requérants, en supposant même que ces arrêts concernaient l’interprétation litigieuse, le tribunal central administratif du Nord n’avait pas à les suivre, la jurisprudence des tribunaux n’étant pas une source du droit au Portugal. Les requérants concluent donc qu’ils n’auraient pas pu prévoir l’interprétation qui a été faite par le tribunal central administratif du Nord. Ils indiquent aussi que lesdits arrêts n’ont été joints à la procédure par les ministères qu’après qu’ils eurent soumis leur mémoire en réponse devant le tribunal central administratif du Nord. Au surplus, ils indiquent que ces arrêts ont été rendus alors que leur procédure durait depuis plus de cinq ans devant les instances administratives. D’après les requérants, on ne saurait donc leur opposer le fait de ne pas avoir soulevé la question dans le cadre de leur mémoire en réponse au recours des ministères des Finances et de l’Intérieur.

104. Au demeurant, les requérants font référence à plusieurs décrets réglementaires ayant reconnu que des agents d’autres organismes publics tels que l’inspection du ministère de la Justice, l’inspection générale de l’environnement et l’inspection générale en charge du contrôle de la qualité alimentaire, exerçant de fait les fonctions d’inspecteur, pouvaient être transférés vers les carrières d’inspecteur.

105. Le Gouvernement soutient que les requérants ont omis de soulever la question d’inconstitutionnalité normative litigieuse devant les juridictions administratives saisies de l’affaire, comme l’exige selon lui l’article 70 § 1 b) de la LOTC. Ainsi, il expose que certes, les intéressés ont soulevé la question litigieuse dans le cadre leur pourvoi en cassation devant la Cour suprême administrative, mais que cette instance, n’ayant pas considéré le pourvoi comme recevable, ne s’est pas prononcée sur la question de l’inconstitutionnalité normative qui avait été soulevée. Il considère que le Tribunal constitutionnel ne pouvait donc se prononcer en première instance à cet égard, celui-ci ne pouvant intervenir qu’en dernier ressort dans le cadre d’un recours concret de constitutionnalité et la présente espèce ne relevant pas des situations exceptionnelles où l’inconstitutionnalité normative survient de manière imprévisible au terme d’une procédure. Or, selon le Gouvernement, la question portant sur la différence des deux catégories d’inspecteurs ayant été soulevée par les ministères dans le cadre de leur recours devant le tribunal central administratif du Nord, les requérants auraient donc pu soulever l’inconstitutionnalité normative dans leur mémoire en réponse devant cette juridiction. En outre, le Gouvernement indique que deux arrêts de la Cour suprême rendus le 12 juin 2012 et le 4 juillet 2013, tous deux publics, ont tranché la question alors que la procédure des intéressés était toujours pendante. Les requérants auraient pu, ainsi, selon le Gouvernement, satisfaire à la condition d’épuiser les recours ordinaires avant de saisir le Tribunal constitutionnel. Reconnaissant que les recours formés devant le Tribunal constitutionnel doivent remplir des conditions rigoureuses, le Gouvernement souscrit à l’analyse faite par le Tribunal dans la présente espèce, rejetant la thèse de l’excès de formalisme soulevée par les requérants et d’un défaut d’accès à un tribunal.

d) Requête no 78841/16 (Antunes Cardoso)

106. Le requérant n’a pas présenté d’observations.

107. Pour sa part, le Gouvernement considère que le recours du requérant devant le Tribunal constitutionnel ne portait pas sur une inconstitutionnalité normative, mais que le requérant y dénonçait une atteinte au principe non bis in idem, garanti par l’article 27 § 5 de la Constitution. Toutefois, ce qu’il aurait mis concrètement en cause, en invoquant l’article 127 du CPP, c’était l’appréciation qui avait été faite par les juridictions inférieures du caractère similaire ou non des faits qui lui étaient reprochés dans une autre procédure pénale à l’issue de laquelle il avait été acquitté. D’après le Gouvernement, le requérant ne mettait donc pas en cause l’interprétation même de l’article 127 du CPP mais bien la décision prise par les juridictions quant à la l’absence de similitude entre les faits.

2. Appréciation de la Cour

a) Rappel des principes

1. Principes généraux relatifs à l’accès à un tribunal

108. Les principes généraux relatifs à l’accès à un tribunal ont été rappelés récemment dans les arrêts Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie ([GC], no 76943/11, §§ 84-90, 29 novembre 2016) et Zubac c. Croatie ([GC], no 40160/12, §§ 76-79, 5 avril 2018).

109. La Cour rappelle, en particulier, que le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect, n’est pas absolu ; il se prête à des limitations implicitement admises, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. La Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes ; c’est effectivement au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (Vučković, précité, § 80). Sous réserve d’une interprétation arbitraire ou manifestement déraisonnable, le rôle de la Cour se limitant à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011 et Molla Sali c. Grèce [GC], no 20452/14, § 149, 19 décembre 2018).

110. Cependant, les limitations appliquées ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres, précité, § 89, Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 115, 15 mars 2018, Zubac, précité, § 78 et Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie [GC], no 41720/13, § 195, 25 juin 2019).

2. Principes généraux relatifs à l’accès à une juridiction supérieure

111. L’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation, et encore moins, des juridictions compétentes en matière d’amparo (Arrozpide Sarasola et autres c. Espagne, nos 65101/16 et 2 autres, § 99, 23 octobre 2018). Toutefois, un État qui se dote de juridictions de cette nature a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 (Zubac, précité, § 80, et Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11).

112. Vu que la juridiction du Tribunal constitutionnel est limitée aux questions de constitutionnalité, on peut admettre que les conditions de recevabilité pour un recours constitutionnel puissent être plus rigoureuses que pour un appel. Cela dit, les autorités nationales ne jouissent pas d’un pouvoir discrétionnaire illimité à cet égard (voir, Zubac, précité, §§ 108-109). Il convient donc de prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle que le Tribunal constitutionnel y a tenu (Arrozpide Sarasola et autres, précité, § 99, et les références qui y sont citées).

113. Pour déterminer la proportionnalité de restrictions légales appliquées à l’accès aux juridictions supérieures, tel que rappelé dans l’affaire Zubac (précitée, §§ 85-99), il y a lieu de prendre en considération trois facteurs.

114. Premièrement, la Cour doit rechercher si les modalités d’exercice du recours peuvent passer pour prévisibles aux yeux d’un justiciable (voir, Zubac, § 87 et les références qui y sont citées).

115. Deuxièmement, après avoir identifié les erreurs procédurales commises au cours de la procédure et qui, en définitive, ont empêché le requérant d’accéder à un tribunal, il convient de déterminer si l’intéressé a dû supporter une charge excessive en raison de ces erreurs. Lorsque l’erreur procédurale en question n’est imputable qu’à un côté, selon le cas celui du requérant ou celui des autorités compétentes, notamment la juridiction (ou les juridictions), la Cour a habituellement tendance à faire peser la charge sur celui qui a commis l’erreur (voir, Zubac, précité, § 90 et les exemples qui y sont cités).

116. Troisièmement, il s’agira de savoir si les restrictions en question peuvent passer pour révéler un « formalisme excessif ». Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour qu’un « formalisme excessif » peut nuire à la garantie d’un droit « concret et effectif » d’accès à un tribunal découlant de l’article 6 § 1 de la Convention. Pareil formalisme peut résulter d’une interprétation particulièrement rigoureuse d’une règle procédurale, qui empêche l’examen au fond de l’action d’un requérant et constitue un élément de nature à emporter violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux (Zubac, précité, § 97). La Cour a, ainsi, constaté, à plusieurs reprises, sur ce fondement, une violation du droit d’accès à un tribunal (voir, par exemple, Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97 et 9 autres, § 38, CEDH 2000‑I, Běleš et autres c. République tchèque, no 47273/99, §§ 50-51, CEDH 2002‑IX, Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, §§ 48‑55, CEDH 2002-IX, Bulena c. République tchèque, no 57567/00, §§ 30-31, 20 avril 2004, Henrioud c. France, no 21444/11, § 67, 5 novembre 2015, Meggi Cala c. Portugal, no 24086/11, § 49, 2 février 2016, et Miessen c. Belgique, no 31517/12, §§ 72-74, 18 octobre 2016).

117. Au demeurant, si le droit d’exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par les lois (Walchli c. France, no 35787/03, § 29, 26 juillet 2007). Le droit d’accès à un tribunal se trouve atteint dans sa substance lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente (Zubac, précité, § 98, Efstathiou et autres c. Grèce, no 36998/02, § 24, 27 juillet 2006).

b) Application à la présente espèce

1. Requête no 55997/14 (Dos Santos Calado)

118. La requérante se plaint de l’irrecevabilité de la partie de son recours formé devant le Tribunal constitutionnel qui se fondait sur le caractère non conforme à ses yeux de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 à l’article 66 § 2 b) de la loi no 4/2007 du 16 janvier 2007 régissant la LSS (paragraphes 5, 6, 8 et 101 ci-dessus). Il s’agissait donc d’un moyen tiré de l’illégalité, au sens de l’article 280 § 1 d) de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessus), de l’article 101 du décret-loi no 187/2007.

119. La Cour note que, par une décision sommaire du 10 décembre 2013, confirmée par un arrêt du comité de trois juges du 6 décembre 2014, cette partie de son recours a été déclarée irrecevable au motif que, dans son mémoire de recours, la requérante s’était uniquement fondée sur l’alinéa b) de l’article 70 § 1 de la LOTC qui prévoit le motif de recours tiré de l’inconstitutionnalité normative alors qu’elle aurait dû se fonder sur l’alinéa f) de cette disposition (paragraphes 6 et 8 ci-dessus).

120. Elle constate que, en vertu de l’article 75-A de la LOTC, pour saisir valablement le Tribunal constitutionnel, tout mémoire en recours doit préciser l’alinéa de l’article 70 § 1 de la LOTC sur lequel il se fonde (paragraphe 44 ci-dessus). La restriction appliquée à l’accès au Tribunal constitutionnel était donc légale. La Cour ne doute en outre pas qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir le respect de la prééminence du droit et la bonne administration de la justice constitutionnelle. Il reste donc à apprécier la proportionnalité de cette restriction au regard des circonstances de l’espèce.

121. La Cour relève que la requérante était représentée par un avocat de son choix à qui il incombait de faire preuve de la diligence requise pour l’accomplissement des actes de procédure pertinents (sur ce point, voir Zubac, précité, § 93). L’irrecevabilité de la partie du recours tirée de l’illégalité de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 en raison de l’erreur procédurale commise au moment de la saisine du Tribunal constitutionnel est donc, à première vue, de l’entière responsabilité de la requérante (voir, a contrario, Henrioud, précité, § 65 et Gregório de Andrade c. Portugal, no 41537/02, § 41, 14 novembre 2006).

122. La Cour constate, néanmoins, que, dans sa décision sommaire du 10 décembre 2013 et son arrêt du 12 février 2014, le Tribunal constitutionnel avait bien relevé que la requérante soulevait deux moyens, l’un tiré de l’inconstitutionnalité normative et l’autre tiré de l’illégalité de la norme litigieuse (paragraphe 6 ci-dessus). L’irrecevabilité de cette deuxième partie du recours se fonde donc uniquement sur une simple omission rédactionnelle concernant un moyen de recours qui ressortait pourtant de façon claire et évidente du mémoire en recours de la requérante. Celui-ci avait, de surcroît, été identifié par le Tribunal constitutionnel.

123. Aux yeux de la Cour, une telle approche est excessivement formaliste (voir, en ce sens, Dakir c. Belgique, no 4619/12, §§ 80-81, 11 juillet 2017). Si la réglementation des formalités de recours poursuit un but légitime, à savoir la bonne administration de la justice, d’autant s’agissant du Tribunal constitutionnel, l’interprétation particulièrement stricte de l’article 75-A de la LOTC suivie en l’espèce a restreint de façon disproportionnée le droit de la requérante à voir son recours tiré d’une illégalité normative examiné au fond. Elle n’a donc pas pu se prévaloir d’une voie de recours que lui offrait le droit interne par rapport à la question litigieuse.

124. À titre subsidiaire, faisant droit à l’argument de la requérante, la Cour est d’avis que, à défaut de pouvoir requalifier son moyen de recours, le Tribunal constitutionnel aurait pu l’inviter à corriger l’omission en cause, comme le prévoyait l’article 75-A § 5 de la LOTC vu que la question litigieuse tirée d’une illégalité normative ressortait, en substance, de façon claire et évidente du mémoire en recours de la requérante.

125. Dès lors, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’accès de la requérante à un tribunal.

2. Requête no 68143/16 (Amador de Faria e Silva et autres)

126. La Cour constate que les requérants ont formé un recours devant le Tribunal constitutionnel dans lequel ils se plaignaient d’une atteinte aux articles 13 et 59 § 1 a) de la Constitution en raison de l’interprétation qui avait été faite de l’article 14 § 3 du décret-loi no 112/2001 du 6 avril (paragraphe 19 ci-dessus).

127. Elle note que ce recours a été déclaré irrecevable par une décision sommaire du Tribunal constitutionnel du 15 mars 2016, confirmée par un arrêt du comité de trois juges du 4 mai 2016, au motif que les requérants n’avaient pas soulevé l’inconstitutionnalité alléguée devant le tribunal central administratif du Nord, faisant ainsi défaut à l’obligation qui leur revenait en vertu des articles 70 et 72 § 2 de la LOTC (paragraphes 21, 23 et 44 ci-dessus).

128. La Cour observe que, en vertu des articles 70 § 1 b) et 75 § 2 de la LOTC, toute personne souhaitant porter une question devant le Tribunal constitutionnel doit l’avoir soulevée au cours de la procédure. En effet, comme elle l’a relevé ci-dessus au paragraphe 80 s’agissant du contrôle concret de constitutionnalité prévu par l’article 280 de la Constitution, le Tribunal constitutionnel n’intervient qu’en dernier ressort, après que la question de constitutionnalité ait été examinée par les tribunaux en vertu de leur obligation de ne pas appliquer une norme non conforme à la Constitution ou aux principes qui y sont consignés, en vertu de l’article 204 de la Constitution (paragraphe 41 ci-dessus).

129. En l’espèce, la Cour constate que les requérants ont bien soulevé une question tirée de l’inconstitutionnalité d’une interprétation normative (voir, à cet égard, le paragraphe 78 ci-dessus) dans le cadre de leur mémoire en réponse au recours qui avait été interjeté par les ministères contre le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra (paragraphes 14, 15, 16 ci-dessus). Cela dit, cette question était différente de celle qui a finalement été retenue par le tribunal central administratif du Nord. En effet, alors que les requérants soulevaient une inconstitutionnalité en raison d’une interprétation normative faisant une différence de traitement entre les agents inspecteurs au Portugal continental et dans les régions autonomes des Açores et de Madère, le tribunal central administratif du Nord a opéré une distinction entre deux catégories d’agents, à savoir d’une part les inspecteurs de carrières et d’autre part les agents exerçant des fonctions d’inspecteur sans intégrer pour autant la carrière d’inspecteur au sein de l’administration, jugeant que le devoir de réglementation en vertu de l’article 14 du décret-loi no 112/2001 (paragraphe 57 ci-dessus) ne concernait que le premier groupe. D’après le Tribunal constitutionnel, les requérants auraient été en mesure de soulever la question d’inconstitutionnalité normative dont ils se plaignaient devant le tribunal central administratif du Nord puisqu’elle était déjà ressortie d’un arrêt rendu par la Cour suprême dans une autre affaire (paragraphe 23 ci-dessus). Or, d’une part, il s’agissait d’une affaire qui ne les concernait pas. D’autre part, l’arrêt en cause avait été rendu quelques mois avant le jugement du tribunal administratif et fiscal de Coimbra qui leur avait été favorable et n’avait, en outre, fait aucune distinction entre les catégories d’agents. Aussi, les requérants ont-ils pu être surpris par le revirement rendu par le tribunal central administratif du Nord (paragraphe 17 ci-dessus).

130. Eu égard à ces constatations, la Cour conclut que le Tribunal constitutionnel a fait preuve d’un formalisme excessif en ce qui concerne l’application des articles 70 et 72 § 2 de la LOTC posant l’obligation d’épuisement préalable de la question tirée de l’inconstitutionnalité, ce qui les a privés de voir examiner au fond la question de l’inconstitutionnalité portée devant le Tribunal constitutionnel. Il y a donc eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Requête no 78841/16 (Antunes Cardoso)

131. S’agissant de la requête no 78841/06, la Cour note que le requérant a été condamné pour associations de malfaiteurs et fraude qualifiée par un jugement du tribunal de Tondela du 6 juin 2014, confirmé par un arrêt de la cour d’appel de Coimbra du 9 septembre 2015 (paragraphes 25 et 27 ci-dessus). Elle constate que, dans le cadre de son appel devant le tribunal de Tondela, le requérant a soulevé une atteinte au principe non bis in idem consacré à l’article 29 § 5 de la Constitution en raison de l’interprétation qui avait été faite de l’article 127 du CPP (paragraphes 40 et 28 ci-dessus). N’ayant pas obtenu gain de cause concernant cette question, le requérant a soulevé cette question devant le Tribunal constitutionnel (paragraphe 30 ci-dessus).

132. La Cour constate que, par une décision sommaire du Tribunal constitutionnel du 4 mai 2016, confirmée par un arrêt du comité de trois juges du 8 juin 2016, le recours constitutionnel fut déclaré irrecevable au motif que le requérant n’avait pas soulevé une inconstitutionnalité normative ou une inconstitutionnalité concernant l’interprétation d’une norme. Le recours du requérant ne rentrait pas dans le champ de compétence du Tribunal constitutionnel étant donné qu’il concernait la décision judiciaire (paragraphes 31 et 33 ci-dessus).

133. Eu égard à la nature spécifique du recours devant le Tribunal constitutionnel, identifiée comme telle au paragraphe 78 ci-dessus et, en particulier, aux conditions devant être remplies pour saisir la plus haute juridiction portugaise, la Cour accepte que les formalités procédurales puissent être rigoureuses pour garantir la bonne administration de la justice constitutionnelle au plus haut degré de la hiérarchie judiciaire (paragraphe 112 ci-dessus). Or, en l’espèce, eu égard aux observations faites au paragraphe 79 ci-dessus, lorsque c’est l’interprétation d’une norme qui est jugée non conforme à la Constitution, celle-ci doit présenter un degré de généralité ou d’abstraction démontré de manière précise (paragraphes 58-60 et 69 ci-dessus). D’après la jurisprudence interne, ceci est particulièrement valable lorsque c’est une atteinte au principe de la légalité consacré à l’article 29 § 1 de la Constitution qui est soulevée (voir les arrêts du Tribunal constitutionnel nos 587/2014, 341/2019 et 374/2019 cités aux paragraphes 70, 63 et 72 ci-dessus) ou, comme dans la présente espèce, une atteinte au principe non bis in idem consacré à l’article 29 § 5 de la Constitution (voir l’arrêt no 319/2012 cité au paragraphe 64 ci-dessus). Partant, le Tribunal constitutionnel doit éviter que des recours fondés sur l’inconstitutionnalité d’une interprétation normative soient rejetés en raison d’une interprétation excessivement restrictive ou formaliste, et que, par conséquent, la Cour soient appelée à décider en première instance des questions faisant l’objet de ces recours.

134. En l’espèce, la Cour note que, dans le cadre de son recours devant le Tribunal constitutionnel le requérant soulevait une atteinte au principe non bis in idem (paragraphe 30 ci-dessus). Cependant, l’interprétation normative qu’il dénonçait se rapportait, en réalité, à la manière dont les tribunaux de première et deuxième instance avaient appliqué les dispositions du code pénal sanctionnant les infractions d’association de malfaiteurs et de fraude qualifiée en vertu de l’article 127 du CPP qui consacre le principe de la libre appréciation des preuves (paragraphe 52 ci-dessus). Le recours du requérant portait donc bien essentiellement sur l’examen des faits qui lui étaient reprochés et aucun critère normatif au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel n’était donc mis en cause en l’espèce.

135. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que, faute pour le requérant d’avoir soulevé une inconstitutionnalité tirée d’une interprétation normative, comme l’exigeait la jurisprudence interne, on ne saurait conclure que les limitations appliquées au requérant ont porté atteinte à la substance du droit d’accès de celui-ci à un tribunal.

136. Dès lors, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

3. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut d’impartialité du comité de trois juges du tribunal constitutionnel (grief spécifique aux requêtes nos 55997/14 et 68143/16)

137. Les requérants des requêtes nos 55997/14 et 68143/16 estiment que la formation judiciaire composée de trois juges du Tribunal constitutionnel ayant statué sur la recevabilité de leur recours constitutionnel ne constituait pas un tribunal impartial au sens de l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

1. Thèses des parties

138. Les requérants des requêtes nos 55997/14 et 68143/16 soutiennent que le comité de trois juges du Tribunal constitutionnel ayant statué sur l’opposition qu’ils avaient formée contre la décision sommaire d’irrecevabilité de leur recours constitutionnel n’était pas un tribunal impartial compte tenu de la présence dans sa composition du juge qui avait rendu la décision d’irrecevabilité attaquée, à savoir J.C.M, d’autant plus que celui-ci était toujours le juge rapporteur (paragraphes 6, 8, 21 et 23 ci-dessus). Les requérants estiment que la participation automatique du même juge, de surcroît comme rapporteur, en vertu de l’article 78-A § 4 de la LOTC, dans la formation judiciaire collégiale, compromet l’impartialité de celle-ci.

139. Le Gouvernement avance que l’opposition prévue à l’article 78-A de la LOTC constitue un mécanisme permettant, non pas une réappréciation, mais une reconsidération de l’irrecevabilité d’un recours formé devant le Tribunal constitutionnel, par une formation judiciaire élargie. Il indique qu’il ne s’agit donc pas d’un recours à proprement parler et que la présente espèce doit donc, d’après lui, être distinguée de l’affaire Pereira da Silva c. Portugal (no 77050/11, arrêt du 22 mars 2016), laquelle concernait le défaut d’impartialité d’une formation judiciaire au sein de la Cour suprême appelée à statuer dans le cadre d’un recours. Il ajoute que le juge rapporteur ayant rendu la décision sommaire litigieuse fait automatiquement partie du comité de trois juges, en vertu de l’article 78-A § 3 de la LOTC. Cela dit, il précise que l’unanimité est requise pour confirmer la décision sommaire d’irrecevabilité et qu’en l’absence d’unanimité, la question doit être tranchée par la section plénière de la chambre en cause du Tribunal constitutionnel conformément à l’article 78-A § 4 de la LOTC.

140. Le Gouvernement soutient que l’objectif poursuivi par une telle procédure est de simplifier et d’assouplir le traitement des recours constitutionnels. Sur ce point, il se réfère à l’arrêt no 20/2007 du Tribunal constitutionnel rendu le 17 janvier 2007.

2. Appréciation de la Cour

141. Dans son arrêt récent Ramos Nunes de Carvalho e Sá c. Portugal ([GC], nos 55391/13 et 2 autres, 6 novembre 2018), la Cour a rappelé les principes concernant l’impartialité d’un tribunal :

« 145. La Cour rappelle que l’impartialité se définit d’ordinaire par l’absence de préjugé ou de parti pris et peut s’apprécier de diverses manières. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement du juge, c’est-à-dire en recherchant si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans le cas d’espèce, ainsi que selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, par exemple, Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, § 118, CEDH 2005-XIII, et Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 93, CEDH 2009).

146. Dans la très grande majorité des affaires soulevant des questions relatives à l’impartialité, la Cour a eu recours à la démarche objective (Micallef, précité, § 95, et Morice c. France [GC], no 29369/10, § 75, 23 avril 2015). La frontière entre l’impartialité subjective et l’impartialité objective n’est cependant pas hermétique car non seulement la conduite même d’un juge peut, du point de vue d’un observateur extérieur, entraîner des doutes objectivement justifiés quant à son impartialité (démarche objective), mais elle peut également toucher à la question de sa conviction personnelle (démarche subjective) (Kyprianou, précité, § 119). Ainsi, dans des cas où il peut être difficile de fournir des preuves permettant de réfuter la présomption d’impartialité subjective du juge, la condition d’impartialité objective fournit une garantie importante supplémentaire (Pullar c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, § 32, Recueil 1996-III).

147. Pour ce qui est de l’appréciation objective, elle consiste à se demander si, indépendamment de la conduite personnelle du juge, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ce dernier. Il en résulte que, pour se prononcer sur l’existence, dans une affaire donnée, d’une raison légitime de redouter d’un juge ou d’une juridiction collégiale un défaut d’impartialité, l’optique de la personne concernée entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si l’on peut considérer les appréhensions de l’intéressé comme objectivement justifiées (Micallef, précité, § 96, et Morice, précité, § 76).

148. L’appréciation objective porte essentiellement sur les liens hiérarchiques ou autres entre le juge et d’autres acteurs de la procédure (Micallef, précité, § 97). Il faut en conséquence décider dans chaque cas d’espèce si la nature et le degré du lien en question sont tels qu’ils dénotent un manque d’impartialité de la part du tribunal (Pullar, précité, § 38).

149. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance ou, comme le dit un adage anglais, « justice must not only be done, it must also be seen to be done » (il faut non seulement que justice soit faite, mais aussi qu’elle le soit au vu et au su de tous) (De Cubber c. Belgique, 26 octobre 1984, § 26, série A no 86). Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables. Tout juge dont on peut légitimement craindre un manque d’impartialité doit donc se déporter (Castillo Algar c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998-VIII, et Micallef, précité, § 98). »

142. En l’espèce, les requérants ne mettent en doute que l’impartialité objective du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel, en raison de la participation du juge rapporteur qui avait rendu la décision d’irrecevabilité de leur recours constitutionnel dans le cadre du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel.

143. Eu égard aux constatations faites ci-dessus aux paragraphes 91, 92 et 93 ci-dessus, la Cour estime que les principes tirés de sa jurisprudence concernant l’impartialité objective ne sauraient être appliqués à la présente espèce étant donné la nature de l’intervention du comité de trois juges dans le cadre d’une opposition formée au titre de l’article 78-A § 3 de la LOTC. En l’occurrence, la Cour relève que le comité de trois juges est l’instance statuant définitivement sur la question de la recevabilité d’un recours constitutionnel, la décision sommaire adoptée par le juge rapporteur n’est donc qu’une étape préalable, celle-ci ne devient au demeurant définitive que si l’intéressé ne forme pas d’opposition contre elle, c’est-à-dire, s’il ne demande pas au rapporteur de reconsidérer sa décision avec, cette fois, l’assistance des deux autres juges du comité (paragraphe 73 ci-dessus). La procédure devant le juge rapporteur fait ainsi entièrement partie de la procédure d’admissibilité des recours constitutionnels prévue à l’article 78-A de la LOTC, le comité de trois juges n’est donc pas une entité à part entière et autonome appelée à se prononcer sur la question litigieuse (comparer avec San Leonard Band Club c. Malte, no 77562/01, § 61-63, CEDH 2004‑IX, Driza c. Albanie, no 33771/02, § 78-79, CEDH 2007‑V (extraits), Kayasu c. Turquie, nos 64119/00 et 76292/01, § 121, 13 novembre 2008, Pereira da Silva c. Portugal, no 77050/11, § 59-60, 22 mars 2016, Warsicka c. Pologne, no 2065/03, § 41, 16 janvier 2007, et Binder c. Allemagne (déc.), no 44455/07, 20 septembre 2011).

144. Il s’ensuit que les griefs tirés du défaut d’impartialité du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel sont manifestement mal fondés et qu’ils doivent être rejetés, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

4. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

145. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage
1. Dommage matériel

146. La requérante de la requête no 55997/14 réclame 646 422,66 euros (EUR) pour dommage matériel, somme qui correspond selon elle au montant total de la pension qu’elle aurait perdue en vertu de l’article 101 du décret-loi no 187/2007 du 10 mai 2007, entre le 1er mars 2008 et l’année 2031, date à laquelle elle aura atteint l’âge de 83,41 ans, soit l’âge moyen de l’espérance de vie au Portugal.

147. Les requérants de la requête no 68143/16 demandent chacun 50 000 EUR au titre du dommage matériel qu’ils estiment avoir subi en raison de la perte moyenne de leur salaire résultant de leur non-intégration dans le système de carrière des inspecteurs depuis l’entrée en vigueur du décret-loi no 112/2001 du 6 avril 2001.

148. Le Gouvernement estime qu’il n’existe aucun lien entre les griefs soulevés et les préjudices matériels allégués, et considère aussi que l’on ne saurait spéculer sur l’issue de la procédure si le recours constitutionnel avait été déclaré recevable.

149. La Cour rappelle qu’une réparation pour dommage matériel ne peut être octroyée que s’il existe un lien de causalité entre la perte ou le préjudice allégué et la violation constatée (Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 81, CEDH 2014, Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 111, CEDH 2009, et Kingsley c. Royaume-Uni [GC], no 35605/97, § 40, CEDH 2002‑IV). En l’espèce, la Cour estime que la seule base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside dans le fait que les requérants n’ont pu jouir du droit d’accès à un tribunal statuant en dernière instance. Or, faisant droit à la thèse du Gouvernement, elle estime qu’on ne saurait spéculer sur l’issue des procédures internes engagées par les requérants si la violation du droit d’accès à un tribunal des requérants n’avait pas eu lieu. En conséquence, rien ne justifie qu’elle accorde aux requérants une indemnité pour dommage matériel.

2. Dommage moral

150. La requérante de la requête no 55997/14 demande en outre 50 000 EUR pour le préjudice moral qu’elle dit avoir subi en raison des décisions litigieuses du Tribunal constitutionnel. Au même titre, les requérants de la requête no 68143/16 réclament quant à eux 20 000 EUR chacun.

151. Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants, les jugeant excessives.

152. La Cour estime que les requérants des requêtes nos 55997/14 et 68143/16 ont subi un préjudice moral certain du fait de ne pas avoir vu le Tribunal constitutionnel statuer sur le fond des recours formés devant lui. Statuant en équité, elle estime qu’il y a lieu d’octroyer à chacun des requérants 3 300 EUR de ce chef.

2. Frais et dépens

153. La requérante de la requête no 55997/14 réclame 3 264 EUR pour les frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans le cadre de la procédure devant le Tribunal constitutionnel. Elle ne demande aucune somme pour les frais et dépens pour la procédure devant la Cour.

154. Les requérants de la requête no 68143/16 réclament le remboursement de 503,50 EUR pour les frais et dépens qu’ils disent avoir payés dans le cadre de leur pourvoi en cassation devant la Cour suprême administrative. Ils demandent aussi 3 673,56 EUR pour ceux qu’ils auraient versés dans le cadre de leur recours devant le Tribunal constitutionnel. Enfin, ils réclament au moins 2 000 EUR chacun pour les honoraires estimés de leur avocat pour l’ensemble de la procédure.

155. Le Gouvernement conteste les prétentions des requérants, les jugeant non étayées et sans rapport avec les griefs soulevés en l’espèce.

156. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la Convention, elle peut accorder à un requérant le paiement des frais et dépens qu’il a engagés devant les juridictions nationales pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation (voir, notamment, Papon c. France, no 54210/00, § 115, 25 juillet 2002). En outre, selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

157. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison des décisions d’irrecevabilité des recours formés devant le Tribunal constitutionnel par les requérants des requêtes nos 55997/14 et 68143/16. Or la demande des requérants concerne les frais engagés dans le cadre de la procédure ayant débouché sur ces procédures. Partant, la Cour rejette la demande de remboursement des frais et dépens pour les procédures internes.

158. S’agissant du remboursement des honoraires de l’avocat pour la procédure devant elle, s’agissant des requérants de la requête no 68143/16, la Cour exige des notes d’honoraires et des factures détaillées. Celles-ci doivent être suffisamment précises pour lui permettre de déterminer dans quelle mesure les conditions susmentionnées se trouvent remplies (Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos [2312/08](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%222312/08%22%5D%7D) et [34179/08](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2234179/08%22%5D%7D), § 94, CEDH 2013). Les requérants n’ayant soumis aucune pièce justificative concernant les honoraires payés ou devant être versés à leur représentant, la Cour rejette leur prétention au titre des frais et dépens engagés devant elle.

3. Intérêts moratoires

159. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;
2. Déclare, à l’unanimité, les requêtes nos 55997/14, 68143/16 et 78841/16 recevables et la requête no 3706/17 irrecevable, s’agissant du grief tiré du droit d’accès à un tribunal ;
3. Déclare, à la majorité, les requêtes nos 55997/14 et 68143/14 irrecevables, s’agissant du grief tiré du manque d’impartialité du comité de trois juges du Tribunal constitutionnel ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’atteinte au droit d’accès des requérants des requêtes nos 55997/14 et 68143/16 ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de l’atteinte au droit d’accès du requérant de la requête no 78841/16 ;
6. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser à chacun des requérants, s’agissant des requêtes nos 55997/14 et 68143/16, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 300 EUR (trois mille trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, le surplus de la demande de satisfaction équitable.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan BlaškoPaul Lemmens
GreffierPrésident

ANNEXE

Liste des requérants

No

|

Requête no

|

Requérant

Date de naissance

Lieu de résidence

|

Représenté par

---|---|---|---

1

|

55997/14

|

Maria da Graça DOS SANTOS CALADO

1948

Lisbonne

|

Maria da Glória LEITÃO

2

|

68143/16

|

Luís Carlos AMADOR DE FARIA E SILVA

1954

Faro

Constantino Alberto ABRANTES RODRIGUES

1946

Alhadas

Carlos Alberto REBELO MOTA

1947

Coimbra

José Joaquim RIBEIRO MANSO

1949

Setúbal

Nélson Manuel VIEIRA PINTO

1950

Oliveirinha

António Henrique PARREIRA DA PALMA

1944

Palmela

José Albertino FIGUEIREDO MARQUES

1954

Aveiro

Augusto Manuel FIGUEIREDO MARQUES

1955

Quiaios

Miguel Augusto BORGES LEITÃO

1946

Coimbra

Carlos Alberto VARELA DOS SANTOS

1946

Coimbra

Rui Manuel MARINHEIRO CARVALHEIRO

1955

Figueira da Foz

Rui Manuel CORREIA PANCAS

1965

Ribeira de Frades (Coimbra)

Fernando Henriques COIMBRA DA FONSECA

1947

Coimbra

Joaquim FERREIRA GUEDES

1951

Massamá

Fernando José BARBAS CORREIA CARITA

1957

Évora

Arlindo VALENTE DOMINGUES PRINA

1951

Ílhavo

|

Tiago MARIZ

3

|

78841/16

|

Fernando Manuel ANTUNES CARDOSO

1956

Benedita

|

Gregório Manuel VICENTE INÊS

4

|

3706/17

|

Manuel José DA SILVA

1943

São João da Talha

|

Martim MENEZES

* * *

[1] [https://www.tribunalconstitucional.pt/tc/tribunal-estatisticas.html](https://www.tribunalconstitucional.pt/tc/tribunal-estatisticas.html)


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