La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/03/2020 | CEDH | N°001-201868

CEDH | CEDH, AFFAIRE CEGOLEA c. ROUMANIE, 2020, 001-201868


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE CEGOLEA c. ROUMANIE

(Requête no 25560/13)

ARRÊT


Art 14 + Art 3 P1 • Discrimination • Se porter candidat aux élections • Absence de contrôle judiciaire contre l’arbitraire quant au respect d’une condition d’éligibilité désavantageant les organisations de minorités nationales non encore représentées au Parlement • Justification insuffisante de la différence de traitement par rapport aux organisations déjà représentées

STRASBOURG

24 mars 2020

DÉFINITIF

24/07/2020

Cet arrê

t est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Cegolea c...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE CEGOLEA c. ROUMANIE

(Requête no 25560/13)

ARRÊT

Art 14 + Art 3 P1 • Discrimination • Se porter candidat aux élections • Absence de contrôle judiciaire contre l’arbitraire quant au respect d’une condition d’éligibilité désavantageant les organisations de minorités nationales non encore représentées au Parlement • Justification insuffisante de la différence de traitement par rapport aux organisations déjà représentées

STRASBOURG

24 mars 2020

DÉFINITIF

24/07/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cegolea c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier de section,

Vu :

la requête susmentionnée (no. 25560/13) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante ayant la double nationalité roumaine et italienne, Mme Gabriela Cegolea (« la requérante ») a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 8 avril 2013,

les observations des parties,

le fait que le gouvernement italien n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention),

Notant que le 8 février 2016, le grief concernant la discrimination prétendument subie par la requérante dans l’exercice de son droit de se porter candidate aux élections parlementaires a été communiqué au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 11 février et 3 mars 2020,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

INTRODUCTION

1. Dans sa requête, la requérante se plaint, sous l’angle de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et, en substance, de l’article 14 de la Convention, d’une violation de son droit de se porter candidate sans discrimination aucune aux élections parlementaires au nom d’une fondation représentant la minorité italienne.

EN FAIT

2. La requérante est née en 1948 et réside à Cernica. Elle a été représentée par Me B. Palade, avocat à Bucarest.

3. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, Mme C. Brumar puis M. V. Mocanu, représentants de la Roumanie à la Cour européenne des droits de l’homme.

4. La requérante est la présidente de la fondation « Vox Mentis » (« la fondation »). Cette fondation, en tant qu’organisation représentant la minorité nationale italienne de Roumanie, entendait se présenter aux élections parlementaires du 9 décembre 2012. La requérante en était la candidate.

5. En 2012, la fondation entreprit des démarches afin d’obtenir le statut d’utilité publique, qui était une condition requise par la loi électorale no 35/2008 (« la loi no 35/2008 » ; paragraphe 15 ci-dessous) pour présenter sa candidature. En application des dispositions légales (paragraphe 18 ci‑dessous), sa demande a été enregistrée le 8 mai 2012 par le Secrétariat général du Gouvernement (« le SGG »). Il ressort des informations dont dispose la Cour que le SGG a estimé que la demande de la requérante relevait de la compétence de la Direction pour les relations interethniques du gouvernement de la Roumanie (« la DRI ») et du ministère de la Culture et du Patrimoine national (« le ministère » ; paragraphes 7 et 13 ci‑dessous), et qu’il leur a transmis la demande pour l’examiner et rendre un avis (punct de vedere).

6. Le 10 mai 2012, le SGG informa la requérante que sa demande avait été transmise au ministère et à la DRI en vue de « prendre les mesures nécessaires, selon leurs compétences, conformément à la loi ».

7. Le 27 juin 2012, après avoir examiné la nature des activités entreprises par la fondation, la DRI notifia à la requérante sa réponse, par laquelle elle refusait de reconnaître le statut d’utilité publique. Sur contestation de la fondation, la DRI confirma son refus, le 14 août 2012, au motif que la fondation ne remplissait pas les conditions légales pour obtenir ce statut parce que son activité ne concernait pas les relations interethniques. La réponse de la DRI à la contestation formulée par la fondation était ainsi rédigée en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Selon les dispositions de l’article 38 de l’ordonnance du gouvernement no 26/2000 [sur les associations et les fondations], l’octroi du statut d’utilité publique aux associations, fondations et fédérations n’est pas un droit qui leur est reconnu, mais seulement une possibilité susceptible de se réaliser selon les conditions établies par la loi.

D’un autre côté, [selon le] texte de la loi – l’article 38 § 1 de l’ordonnance du gouvernement no 26/2000, (...) une association, une fondation ou une fédération peuvent être reconnues comme ayant une utilité publique ; [mais] le simple fait que les conditions requises par le texte sont remplies n’oblige pas le Gouvernement à une reconnaissance [de ce statut] ipso facto. Le texte de loi laisse à l’exécutif le soin de décider s’il est opportun ou non d’adopter une décision par laquelle une association, une fondation ou une fédération est reconnue d’utilité publique.

D’ailleurs, il convient de se prononcer sur l’opportunité d’octroyer le statut d’utilité publique non seulement en fonction des conditions qui doivent être remplies pour se retrouver dans la sphère de l’utilité publique définie comme étant « toute activité se déroulant dans des domaines d’intérêt public général ou [d’intérêt] d’une collectivité », mais aussi en fonction des conséquences de la reconnaissance de ce statut, qui confère à l’association ou à la fondation certains droits et obligations (...) »

8. Le 29 juillet 2012 entra en vigueur la loi no 145/2012 portant modification de l’ordonnance du gouvernement no 26/2000 sur les associations et les fondations (« l’ordonnance no 26/2000 » ; paragraphe 16 ci‑dessous). Les modifications visaient en particulier les dispositions relatives à l’octroi du statut d’utilité publique (paragraphe 17 ci‑dessous).

9. Le 9 octobre 2012, la requérante, en tant que candidate de la fondation aux élections parlementaires, déposa au bureau électoral central (« le BEC ») son dossier de candidature. Le 11 octobre 2012, le BEC lui signifia son refus d’enregistrer sa candidature, au motif que la fondation n’avait pas prouvé avoir acquis le statut d’utilité publique.

10. La requérante contesta, au nom de la fondation, le refus du BEC devant le tribunal départemental de Bucarest ; elle fut présente à l’audience du 13 octobre 2012. Elle soutint que la décision du BEC était discriminatoire et inconstitutionnelle et demanda la saisine de la Cour constitutionnelle d’une exception tirée de l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article 9 de la loi no 35/2008 (paragraphe 15 ci-dessous). Par une décision définitive du même jour, le tribunal rejeta sa contestation pour absence de statut d’utilité publique de la fondation, mais fit droit à sa demande de saisine de la Cour constitutionnelle.

11. Lors de l’audience du 23 octobre 2012 devant la Cour constitutionnelle, la requérante réitéra ses arguments tirés des dispositions, à ses yeux discriminatoires, de la loi en question. Elle argua en effet que ladite loi prévoyait des critères différents pour les organisations représentant les minorités nationales selon qu’elles étaient représentées ou non au Parlement. Par une décision définitive et obligatoire du même jour, la Cour constitutionnelle rejeta pour irrecevabilité l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par la requérante. Cette décision était ainsi libellée dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« À cet égard, la Cour [constitutionnelle] note que, selon les dispositions de l’article 38 de l’ordonnance du gouvernement no 26/2000, (...) toute fondation peut être reconnue d’utilité publique par le Gouvernement de la Roumanie si elle remplit les conditions exigées par la loi et si elle suit la procédure prévue par les articles 39 et suivants de cet acte normatif.

Ensuite, la Cour [constitutionnelle] constate que le texte de loi soumis au contrôle de constitutionnalité ne peut pas être considéré comme étant discriminatoire puisque le pouvoir législatif a cherché à donner également aux organisations des minorités non représentées au Parlement la possibilité de participer aux élections.

Ainsi, la Cour constitutionnelle a statué (...) dans sa décision no 146 du 15 mars 2005 (...) que « les organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales représentées au Parlement ne sont pas privilégiées [...] parce qu’elles ont rempli des conditions beaucoup plus sévères pour accéder au Parlement » et si les conditions sur la base desquelles ces organisations y ont obtenu un siège lors des dernières élections ne sont pas remplies lors des élections actuelles, le vote des électeurs tranchera (acest lucru va rezulta din votul alegătorilor). »

12. Le 30 octobre 2012, le délai pour déposer les candidatures aux élections parlementaires du 9 décembre 2012 expira. Devant la Cour, la requérante indique que l’organisation représentant déjà la minorité italienne au Parlement roumain a renouvelé sa candidature et a obtenu ainsi un mandat de député.

13. Le 8 janvier 2013, la requérante se vit notifier la réponse du ministère quant à l’acquisition du statut d’utilité publique par la fondation ; cette réponse était ainsi rédigée dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« Après avoir examiné les documents fournis conformément aux dispositions de l’ordonnance no 26/2000, le ministère de la Culture et du Patrimoine national a rédigé et communiqué, selon le circuit interministériel des avis, le projet de décision du gouvernement sur l’acquisition par la fondation « Vox Mentis » du statut d’utilité publique. Il convient de préciser que, lors du dépôt et de l’examen du dossier, la fondation « Vox Mentis » remplissait les conditions légales en vigueur au moment des faits pour se voir reconnaître le statut d’utilité publique.

Le 1er août 2012, après l’entrée en vigueur de la loi no 145/2012 portant modification de l’ordonnance no 26/2000 (...) de nouvelles conditions pour l’acquisition du statut d’utilité publique ont été arrêtées.

Le ministère des Finances (...) a examiné le projet par rapport à la loi no 145/2012 et a constaté, en se rapportant de façon correcte aux nouvelles modifications apportées à l’ordonnance no 26/2012, que la fondation « Vox Mentis » ne remplissait pas les conditions prévues pour l’acquisition du statut d’utilité publique. »

14. Il ressort des informations fournies par le SGG au Gouvernement en juin 2016 que le SGG n’avait pas été informé des réponses de la DRI et du ministère.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

15. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution de la Roumanie et de la loi no 35/2008 en vigueur au moment des élections législatives de 2008 sont décrites dans l’affaire Danis et l’Association des personnes d’origine turque c. Roumanie (no 16632/09, §§ 16 et 19-20, 21 avril 2015). En particulier, la loi no 35/2008 disposait que :

Article 9

« (...)

(2) Peuvent se porter candidates les organisations de citoyens appartenant aux minorités nationales représentées au Parlement.

(3) Peuvent également se porter candidates d’autres organisations, légalement constituées, de citoyens appartenant aux minorités nationales définies à l’article 2 § 29 qui sont reconnues d’utilité publique et qui présentent au Bureau électoral central, dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle les élections ont été arrêtées, une liste de leurs membres comptant au moins 15% du nombre total des citoyens qui, lors du dernier recensement, ont déclaré appartenir à la minorité en question. »

16. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordonnance no 26/2000 sont également décrites dans l’affaire Danis et l’Association des personnes d’origine turque (précitée, § 20). S’agissant en particulier de l’acquisition du statut d’utilité publique par une association ou une fondation, l’ordonnance no 26/2000, telle qu’elle était en vigueur en 2008, se lisait notamment comme suit :

Article 38

« (1) Le gouvernement roumain peut déclarer d’utilité publique une association ou une fondation si celle-ci remplit cumulativement les conditions suivantes :

a) son activité sert l’intérêt général ou, le cas échéant, celui d’une collectivité ;

b) l’association ou la fondation a une ancienneté d’au moins trois ans ;

c) elle présente un rapport d’activité qui confirme une activité antérieure significative de par le déroulement de programmes ou de projets spécifiques à son but, rapport accompagné des situations financières annuelles et [de l’état] des revenus et des dépenses pour les trois années ayant précédé la date de la présentation de la demande de reconnaissance du statut d’utilité publique ;

d) la valeur de son actif patrimonial pour chacune des trois dernières années est au moins égale à la valeur du patrimoine initial. »

17. Le 29 juillet 2012, la loi no 145/2012 portant modification de l’ordonnance no 26/2000 est entrée en vigueur (paragraphe 8 ci-dessus). Cette nouvelle loi a modifié, en particulier, les dispositions relatives à l’acquisition du statut d’utilité publique. Ses dispositions pertinentes en l’espèce sont ainsi rédigées :

Article 38

« (1) Le gouvernement roumain peut déclarer d’utilité publique une association, une fondation ou une fédération si elle remplit cumulativement les conditions suivantes :

a) son activité sert l’intérêt général ou, le cas échéant, celui d’une collectivité ;

b) elle a une ancienneté d’au moins trois ans et a rempli une partie des objectifs déclarés, en apportant la preuve d’une activité ininterrompue par des actions significatives ;

c) elle présente un rapport d’activité qui confirme une activité antérieure significative de par le déroulement de programmes ou de projets spécifiques à son but, rapport accompagné des situations financières annuelles et [de l’état] des revenus et des dépenses pour les trois années ayant précédé la date de la présentation de la demande de reconnaissance du statut d’utilité publique ;

d) elle dispose d’un patrimoine, [de services] de logistique, de membres et de personnel employé de façon à remplir l’objectif déclaré ;

e) elle apporte la preuve de l’existence des contrats de collaboration et des partenariats avec des institutions publiques ou des associations et des fondations nationales ou internationales ;

f) elle apporte la preuve de l’obtention de résultats significatifs quant à l’objectif déclaré ou présente des lettres de recommandation de la part des autorités nationales ou internationales compétentes qui recommandent la continuation de l’activité. »

18. L’ordonnance no 26/2000, telle qu’elle était en vigueur au moment des faits, comporte en outre les dispositions suivantes :

Article 39

« (1) La reconnaissance d’une association ou d’une fondation comme étant d’utilité publique se fait par décision du Gouvernement. À cette fin, l’association ou la fondation intéressée fait une demande auprès du Secrétariat général du gouvernement qui la renvoie, dans un délai de quinze jours, à l’autorité de spécialité (organului de specialitate) de l’administration publique centrale qui a compétence pour l’activité déployée.

(...) »

Article 40

« (1) L’autorité administrative compétente est obligée, dans un délai de soixante jours, d’examiner la demande et de déterminer si celle-ci remplit les conditions prévues par la loi. Lorsqu’elle constate que les conditions sont remplies, l’autorité administrative compétente propose au gouvernement de la Roumanie la reconnaissance [d’utilité publique]. Dans le cas contraire, elle transmet aux personnes morales demanderesses une réponse motivée, dans un délai de trente jours à compter de la date de la prise de la décision.

(2) Dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours à compter de la date du dépôt de la demande prévue au premier paragraphe ainsi que de tous les documents nécessaires à la prise de la décision, le gouvernement de la Roumanie rend une décision relative à la proposition de reconnaissance. Si la proposition est rejetée, la décision est communiquée à l’association ou à la fondation par l’autorité administrative auprès de laquelle a été enregistrée la demande de reconnaissance dans un délai de cent vingt jours à compter de la date du dépôt de la demande et des documents nécessaires à la prise de la décision. »

Article 44

« Les litiges relatifs à l’acquisition du statut d’utilité publique des associations et des fondations sont examinés selon la loi no 554/2004 relative au contentieux administratif. »

19. Par un arrêt du 3 octobre 2007, la Haute Cour de cassation et de justice a rejeté une action par laquelle une association contestait le refus du gouvernement de lui octroyer le statut d’utilité publique. Dans cet arrêt, elle a noté que l’association en cause remplissait les critères légaux pour se voir accorder un tel statut, mais a conclu que la décision relevait de la discrétion de l’exécutif. L’arrêt en question est ainsi rédigé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« L’article 38 § 1 de l’ordonnance du gouvernement no 26/2000 (...) dispose qu’une « association ou une fondation peut être reconnue par le gouvernement roumain » comme étant d’utilité publique.

Il résulte de la rédaction [de la loi] que le seul fait [pour l’association ou la fondation] de remplir les conditions [nécessaires] n’oblige pas le gouvernement à adopter une décision d’octroi du statut d’utilité publique à l’égard de l’association ou de la fondation en cause.

(...)

Il s’impose dès lors de conclure que, même si les conditions prévues par la loi sont remplies, le gouvernement peut rejeter un projet d’acte normatif relatif à la reconnaissance d’une association comme étant d’utilité publique, celui-ci ayant la possibilité de décider en fonction de l’opportunité d’adopter un tel acte.

D’ailleurs, concernant l’opportunité d’adopter un tel statut, [le gouvernement rend sa décision] non seulement en fonction des conditions qui doivent être remplies pour que l’on se situe dans la sphère de l’utilité publique (...) mais aussi en fonction des conséquences de la reconnaissance du statut d’utilité publique, qui confère à l’association ou à la fondation certains droits et obligations ; s’agissant au moins de celles-ci, le gouvernement est le plus apte à décider de la recevabilité d’une telle demande. »

20. Le système de représentation des minorités nationales au Parlement roumain est décrit dans l’affaire Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, §§ 18‑20 et 24, CEDH 2010).

LE CADRE JURIDIQUE INTERNational PERTINENT

21. L’article 15 de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales (1998, STE no 157) est ainsi rédigé :

« Les Parties s’engagent à créer les conditions nécessaires à la participation effective des personnes appartenant à des minorités nationales à la vie culturelle, sociale et économique, ainsi qu’aux affaires publiques, en particulier celles les concernant. »

La Roumanie a ratifié la Convention-cadre le 11 mai 1995.

22. Les travaux de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe sont résumés dans l’arrêt Grosaru (précité, §§ 22-24). Le rapport explicatif du Code de bonne conduite en matière électorale indique notamment en ses passages pertinents :

« 63. La stabilité du droit est un élément important de la crédibilité du processus électoral, qui est elle-même essentielle à la consolidation de la démocratie. En effet, si les règles changent souvent, l’électeur peut être désorienté et ne pas les comprendre, notamment si elles présentent un caractère complexe ; il peut surtout considérer, à tort ou à raison, que le droit électoral est un instrument que ceux qui exercent le pouvoir manipulent en leur faveur, et que le vote de l’électeur n’est dès lors pas l’élément qui décide du résultat du scrutin.

64. La nécessité de garantir la stabilité ne concerne pas, en pratique, tant les principes fondamentaux, dont la mise en cause formelle est difficilement envisageable, que certaines règles plus précises du droit électoral, en particulier le système électoral proprement dit, la composition des commissions électorales et le découpage des circonscriptions. Ces trois éléments apparaissent souvent – à tort ou à raison – comme déterminants pour le résultat du scrutin, et il convient d’éviter non seulement les manipulations en faveur du parti au pouvoir, mais aussi les apparences mêmes de manipulations.

65. Ce qui est à éviter, ce n’est pas tant la modification du mode de scrutin, car celui-ci peut toujours être amélioré ; c’est sa révision répétée ou intervenant peu avant le scrutin (moins d’un an). Même en l’absence de volonté de manipulation, celle-ci apparaîtra alors comme liée à des intérêts partisans conjoncturels. »

23. Des lignes directrices visant à favoriser la participation des minorités nationales au processus électoral ont été adoptées, dans le cadre de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), à Varsovie en 2001. Ces lignes directrices renvoient aux recommandations sur la participation effective des minorités nationales à la vie publique (« recommandations de Lund »), dont la septième est ainsi libellée [traduction du greffe] :

« L’expérience en Europe et ailleurs démontre l’importance du processus électoral pour faciliter la participation des minorités dans la sphère politique. Les États doivent garantir le droit des personnes appartenant aux minorités nationales de participer à la conduite des affaires publiques, y compris par le droit de vote et [le droit] à se porter candidat sans discrimination. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 du protocole no 1 À LA CONVENTION

24. Invoquant l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et, en substance, l’article 14 de la Convention, la requérante dénonce une violation de son droit de se porter candidate sans discrimination aucune aux élections parlementaires au nom d’une fondation représentant la minorité italienne car sa candidature était, selon elle, assortie de conditions supplémentaires par rapport à celle du candidat qui représentait déjà la minorité italienne au Parlement roumain. Elle soutient que, en raison de l’imposition de ces conditions supplémentaires, elle a été défavorisée par rapport au candidat susmentionné.

25. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, CEDH 2018), la Cour examinera ce grief sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention (voir, mutatis mutandis, Özgürlük ve Dayanışma Partisi (ÖDP) c. Turquie, no 7819/03, § 23, CEDH 2012).

L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

L’article 3 du Protocole no 1 à la Convention dispose que :

« Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

1. Sur la recevabilité
1. Sur la qualité de victime

26. Le Gouvernement soulève une exception tirée du défaut de qualité de victime de la requérante. En effet, il indique que cette dernière conteste les dispositions légales régissant les conditions que doivent remplir les organisations représentant les minorités nationales pour se présenter aux élections parlementaires. Or, selon le Gouvernement, la violation alléguée par la requérante concernait la fondation et non la requérante elle-même. Le Gouvernement soutient donc que la requérante a en fait saisi la Cour d’une actio popularis.

27. La requérante n’a pas présenté d’observations sur la recevabilité de la requête.

28. La Cour note que l’exception soulevée par le Gouvernement a trait à la qualité de la requérante pour agir devant elle et rappelle avoir rejeté une exception similaire dans l’affaire Cernea c. Roumanie (no 43609/10, § 31, 27 février 2018). Elle note que, à l’instar du requérant dans l’affaire Cernea précitée, la requérante a, en l’espèce, agi au nom de la fondation et a activement participé à la procédure interne (paragraphes 9-11 ci‑dessus). Partant, elle est d’avis que la requérante peut se prétendre victime d’une violation de ses droits. La Cour rejette, dès lors, cette exception du Gouvernement.

2. Sur l’épuisement des voies de recours internes

29. Ensuite, le Gouvernement expose que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes puisqu’elle n’a pas saisi les tribunaux roumains d’une action en contentieux administratif afin de contester le refus de la DRI d’octroyer à la fondation le statut d’utilité publique (paragraphe 7 ci‑dessus). Se fondant sur les avis que lui ont communiqués plusieurs cours d’appel roumaines, le Gouvernement estime que cette voie de recours était effective. Selon le Gouvernement, la requérante a choisi à tort de contester le refus du BEC d’enregistrer sa candidature (paragraphe 10 ci‑dessus).

30. La requérante n’a pas présenté d’observations sur la recevabilité de la requête.

31. La Cour considère que cette exception est étroitement liée à la substance du grief de la requérante et décide par conséquent de la joindre au fond.

3. Sur l’applicabilité de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention

32. Puisque la requête tombe dans le champ d’application de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention, la Cour estime que l’article 14 de la Convention trouve à s’appliquer (voir, mutatis mutandis, Partei Die Friesen c. Allemagne, no 65480/10, §§ 30-35, 28 janvier 2016).

4. Conclusion

33. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

34. La requérante se plaint que la compétition électorale aux élections de décembre 2012 a été déloyale. Elle indique que l’organisation représentant déjà la minorité italienne au Parlement roumain a simplement renouvelé sa candidature et que son candidat a été réélu en décembre 2012. La requérante allègue que ladite organisation n’a pas dû remplir d’autres conditions alors que sa représentativité faisait, selon elle, l’objet de doutes. Elle ajoute que cette situation était la même lors des élections de décembre 2016.

35. Le Gouvernement indique que l’établissement des conditions d’éligibilité relève de la large marge d’appréciation que la Cour reconnaît aux États en matière électorale et renvoie aux spécificités du système de représentation des minorités nationales au Parlement roumain identifiées par la Cour dans l’arrêt Grosaru c. Roumanie (no 78039/01, § 24, CEDH 2010). Il déclare que les dispositions légales applicables en la matière sont claires, précises et transparentes et que les modifications législatives ayant introduit la condition d’obtention du statut d’utilité publique pour se présenter aux élections parlementaires sont intervenues en 2008, ce qui avait, selon lui, laissé suffisamment de temps à la fondation pour faire les démarches nécessaires. De plus, d’après le Gouvernement, la procédure d’octroi du statut d’utilité publique est susceptible de contrôle par les tribunaux. Le Gouvernement en déduit que la procédure est transparente et dépourvue d’arbitraire. Il argue en outre que la requérante n’a contesté ni le refus de la DRI ni celui du ministère de la Culture et du Patrimoine national de reconnaître le statut d’utilité publique à la fondation.

36. Le Gouvernement soutient que la différence de traitement subie par la requérante par rapport aux organisations des minorités nationales déjà représentées au Parlement poursuit un but légitime et qu’elle est justifiée. Il renvoie aux conclusions de la Cour dans l’arrêt Ofensiva tinerilor c. Roumanie (no 16732/05, 15 décembre 2015). En outre, il indique que la condition d’obtention du statut d’utilité publique a pour but d’assurer la représentativité de la fondation et le sérieux de sa candidature.

2. Appréciation de la Cour

(a) Principes généraux

37. La Cour rappelle que la discrimination consiste à traiter de manière différente sans justification objective et raisonnable des personnes placées dans des situations comparables. Un traitement différencié est dépourvu de « justification objective et raisonnable » lorsqu’il ne poursuit pas un « but légitime » ou qu’il n’existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (voir, parmi beaucoup d’autres, Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 42, CEDH 2009). Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement. L’étendue de cette marge varie selon les circonstances, les domaines et le contexte (Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 82, CEDH 2009).

38. Par ailleurs, la Cour rappelle que l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention consacre un principe fondamental dans un régime politique véritablement démocratique et qu’il revêt donc dans le système de la Convention une importance capitale (Mathieu-Mohin et Clerfayt c. Belgique, 2 mars 1987, § 47, série A no 113). Le rôle de l’État, en tant qu’ultime garant du pluralisme, implique l’adoption de mesures positives pour « organiser » des élections démocratiques dans des « conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif » (ibidem, § 54).

39. La Cour rappelle également que les mots « libre expression de l’opinion du peuple » signifient que les élections ne sauraient comporter une quelconque pression sur le choix d’un ou de plusieurs candidats et que, dans ce choix, l’électeur ne doit pas être indûment incité à voter pour un parti ou pour un autre. Le mot « choix » implique qu’il faut assurer aux différents partis politiques des possibilités raisonnables de présenter leurs candidats aux élections (Yumak et Sadak c. Turquie [GC], no 10226/03, § 108, CEDH 2008).

40. Cela étant, les droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention ne sont pas absolus. Il y a place pour des « limitations implicites » et les États contractants doivent se voir accorder une large marge d’appréciation en la matière (voir, parmi d’autres, Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, § 63, CEDH 1999‑I, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 201, CEDH 2000‑IV). Quant au droit de se présenter aux élections, c’est-à-dire l’aspect « passif » des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1, la démarche adoptée par la Cour se limite pour l’essentiel à vérifier l’absence d’arbitraire dans les procédures internes conduisant à priver un individu de l’éligibilité (Etxeberria et autres c. Espagne, nos 35579/03 et 3 autres, § 50 in fine, 30 juin 2009 ; voir également Melnitchenko c. Ukraine, no 17707/02, § 57, CEDH 2004‑X, et Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 115 in fine, CEDH 2006‑IV).

41. Cependant, il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur l’observation des exigences de l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention ; il lui faut s’assurer que les conditions auxquelles sont subordonnés le droit de vote ou le droit de se porter candidat à des élections ne réduisent pas les droits dont il s’agit au point de les atteindre dans leur substance même et de les priver de leur effectivité (Mathieu-Mohin et Clerfayt, précité, § 52).

42. La Cour rappelle également que l’objet et le but de la Convention appellent à interpréter et à appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences non pas théoriques ou illusoires, mais concrètes et effectives (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37). Or le droit de se porter candidat aux élections, garanti par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention et inhérent à la notion de régime véritablement démocratique, ne serait qu’illusoire si l’intéressé pouvait à tout moment en être arbitrairement privé. Par conséquent, s’il est vrai que les États disposent d’une grande marge d’appréciation pour établir des conditions d’éligibilité in abstracto, le principe d’effectivité des droits exige que la procédure qui permet de déterminer l’éligibilité s’accompagne de suffisamment de garanties pour éviter l’arbitraire (Melnitchenko, précité, § 59).

43. La Cour rappelle enfin que la stabilité de la législation électorale revêt une importance particulière pour le respect des droits garantis par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention. En effet, si un État modifie trop souvent les règles électorales fondamentales ou s’il les modifie à la veille d’un scrutin, il risque de saper le respect du public pour les garanties censées assurer des élections libres ou sa confiance dans leur existence (Parti travailliste géorgien c. Géorgie, no 9103/04, § 88, CEDH 2008). La Cour se doit d’examiner avec un soin particulier toute mesure adoptée dans le domaine de la législation électorale qui semble opérer, seule ou à titre principal, au détriment de l’opposition, surtout si de par sa nature la mesure compromet les chances mêmes des partis d’opposition de parvenir un jour au pouvoir. L’adoption d’une telle mesure peu de temps avant le scrutin, à un moment où la part des voix revenant au parti au pouvoir est en déclin, peut servir d’indication de son caractère disproportionné (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 179, CEDH 2010, et Ekoglasnost c. Bulgarie, no 30386/05, § 68, 6 novembre 2012).

(b) Application de ces principes en l’espèce

(i) Sur l’existence d’une différence de traitement

44. La Cour note que la requérante allègue avoir subi une différence de traitement par rapport aux organisations des minorités nationales déjà représentées au Parlement en ce qui concerne la présentation d’une candidature à un mandat de député. De l’avis de la requérante, l’organisation représentant déjà la minorité italienne au Parlement roumain avait simplement renouvelé sa candidature, alors qu’elle avait dû remplir des conditions supplémentaires (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour rappelle qu’elle a examiné des arguments similaires dans l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque c. Roumanie (no 16632/09, 21 avril 2015). Elle a constaté dans cette dernière affaire que la loi no 35/2008 avait instauré, lors des élections parlementaires de 2008, un double système d’évaluation des candidatures des organisations des minorités nationales : d’un côté, les organisations représentées au Parlement renouvelaient automatiquement leur candidature, leur représentativité étant présumée du seul fait qu’elles avaient remporté les élections précédentes, et, de l’autre, les organisations non représentées devaient entreprendre des démarches supplémentaires afin d’apporter la preuve de leur représentativité (ibid., § 41).

45. La présente affaire concerne les élections parlementaires de décembre 2012, ce qui semblerait la distinguer de l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque, laquelle portait sur les élections parlementaires de novembre 2008 et sur la modification récente de la loi no 35/2008, qui avait introduit une nouvelle condition pour les organisations non représentées au Parlement, à savoir l’octroi du statut d’utilité publique (ibid., §§ 8-9). Toutefois, lorsqu’il s’agit de statuer sur l’existence d’une différence de traitement dans la présentation de candidatures pour un mandat de député, la Cour estime que les conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque précitée quant à l’existence d’un double système d’évaluation des candidatures des organisations des minorités nationales demeurent valables.

46. La Cour constate en effet que, lors des élections de décembre 2012, les organisations non représentées au Parlement étaient toujours tenues d’entreprendre des démarches supplémentaires afin de présenter leur candidature, notamment en prouvant avoir obtenu le statut d’utilité publique (paragraphe 15 ci‑dessus), comme cela a été le cas lors des élections de novembre 2008 dans l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque précitée. La présente affaire se distingue de cette dernière par un seul aspect formel, qui est l’étendue des conditions légales nécessaires pour acquérir le statut d’utilité publique puisque celles-ci ont été modifiées le 29 juillet 2012, lorsque la loi no 145/2012 portant modification de l’ordonnance no 26/2000 est entrée en vigueur (paragraphes 16 et 17 ci‑dessus). Cependant, dans les deux affaires, les organisations des minorités nationales non‑représentées dans le Parlement étaient tenues d’entreprendre des démarches supplémentaires. Il s’ensuit que la différence de traitement vis‑à‑vis des organisations déjà représentées au Parlement n’a subi aucun changement.

47. Partant, la Cour est d’avis que la requérante a fait l’objet d’une différence de traitement dans l’exercice de ses droits électoraux protégés par l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention à raison du fait que, à la différence des organisations déjà représentées au Parlement, la fondation dont elle était membre et candidate devait obtenir le statut d’utilité publique afin de présenter sa candidature aux élections parlementaires de décembre 2012.

48. La présente affaire se distingue ainsi de l’affaire Ofensiva tinerilor précitée, à laquelle le Gouvernement a fait référence dans ses observations (paragraphe 36 ci-dessus). En effet, cette affaire portait sur les élections parlementaires de 2004 (ibid., §§ 9-10) qui avaient été organisées sur une base légale différente de celle visée dans l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque, précitée, et dans la présente affaire (paragraphes 15-17 ci-dessus). En outre, la requérante dans l’affaire Ofensiva tinerilor précitée se plaignait d’avoir dû prouver son appartenance à une minorité nationale (ibid., § 69), ce qui n’est pas le cas dans la présente affaire.

(ii) Sur le but légitime poursuivi par la différence de traitement

49. La Cour note que, selon le Gouvernement, dont les arguments ne sont pas contredits par la requérante, la différence de traitement subie par l’intéressée avait pour but d’assurer la représentativité des organisations qui entendaient présenter des candidatures et le sérieux de ces candidatures (paragraphe 36 ci-dessus).

50. La Cour a accepté des arguments similaires de la part du Gouvernement dans l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque (précité, § 44). En l’absence d’arguments déterminants présentés par la requérante, la Cour accepte ainsi que la différence de traitement consistant à exiger des conditions supplémentaires de la part des organisations non représentées au Parlement avait pour but de garantir une représentativité effective et d’éviter les candidatures dépourvues de sérieux (voir également, mutatis mutandis, Özgürlük ve Dayanışma Partisi (ÖDP), précité, § 42).

(iii) Sur la justification de la différence de traitement

51. La Cour rappelle que les conditions de participation aux élections imposées aux formations politiques font partie des règles électorales fondamentales. Dans les systèmes électoraux qui imposent un certain nombre de conditions spécifiques aux formations politiques pour qu’elles puissent participer au scrutin, l’introduction de nouvelles exigences peu de temps avant la date des élections peut amener, dans des cas extrêmes, à la disqualification d’office de partis et coalitions d’opposition bénéficiant d’un soutien populaire important, et ainsi favoriser les formations politiques au pouvoir. Il va de soi qu’une telle pratique est incompatible avec l’ordre démocratique et qu’elle sape la confiance des citoyens dans les pouvoirs publics de leur pays. La Cour rappelle à cet égard que les conditions de présentation des formations politiques aux élections doivent bénéficier de la même stabilité temporelle que les autres éléments fondamentaux du système électoral (Ekoglasnost, précité, § 69).

52. La Cour examinera la justification de la différence de traitement subie par la requérante à la lumière de ces principes. En effet, il ressort des faits de l’espèce, et le Gouvernement n’a pas soutenu le contraire, que les organisations des minorités nationales participent aux élections parlementaires au même titre que les partis ou autres formations politiques (paragraphe 15 ci-dessus).

53. Il convient donc d’examiner si, comme le soutient le Gouvernement (paragraphe 36 ci-dessus), l’exigence imposée à la fondation d’obtenir le statut d’utilité publique en remplissant les critères énoncés et en poursuivant la procédure prévue par la loi no 145/2012 portant modification de l’ordonnance no 26/2000 (paragraphe 17 ci-dessus) était justifiée. À la différence de l’affaire Danis et Association des personnes d’origine turque précitée, dans laquelle la Cour a conclu que, en modifiant la législation électorale sept mois avant les élections parlementaires de 2008, les autorités nationales n’ont pas donné aux requérants dans cette affaire l’occasion d’organiser leur activité afin de pouvoir se voir reconnaître le statut d’utilité publique (ibid., § 54), la requérante dans la présente affaire n’a pas été prise au dépourvu par une nouvelle condition. Elle a pu organiser, avant les élections de décembre 2012, l’activité de sa fondation afin de demander l’octroi du statut d’utilité publique (paragraphe 5 ci‑dessus).

54. La Cour note que la requérante a bien demandé la reconnaissance de ce statut pour la fondation et que cette demande a reçu des réponses négatives de la part des autorités administratives auxquelles le SGG l’avait envoyée pour examen : une première fois avant les élections de décembre 2012, de la part de la DRI (paragraphe 7 ci-dessus), et une seconde fois après les élections, de la part du ministère (paragraphe 13 ci‑dessus). Dès lors, la Cour estime nécessaire de vérifier, comme l’y invite le Gouvernement (paragraphes 29 et 35 ci‑dessus), si la procédure d’octroi du statut d’utilité publique, telle que régie par les modifications législatives subséquentes, a été transparente et dépourvue d’arbitraire et si la requérante pouvait contester devant les juridictions nationales le refus de reconnaître à la fondation le statut en question.

55. La Cour observe que les parties ne soutiennent pas, en l’espèce, que la loi électorale, à savoir la loi no 35/2008, avait subi des modifications répétées (paragraphe 15 ci-dessus). Elle relève que c’est plutôt la législation qui régissait les associations et les fondations, l’ordonnance no 26/2000 en l’occurrence, et notamment les conditions qui devaient être remplies pour pouvoir demander la reconnaissance du statut d’utilité publique, qui ont été modifiées moins de cinq mois avant les élections parlementaires de décembre 2012 (paragraphe 17 ci-dessus) et après que la fondation avait demandé le statut d’utilité publique. Or, en édictant les conditions que devait remplir toute organisation d’une minorité nationale qui entendait présenter sa candidature aux élections pour la première fois, notamment l’acquisition du statut d’utilité publique, l’ordonnance no 26/2000 a eu un impact direct sur la législation électorale. Dès lors, la Cour estime qu’il convient de rechercher la manière dont la modification de l’ordonnance no 26/2000 a affecté le droit de la requérante de présenter sa candidature aux élections parlementaires.

56. S’agissant de l’application de l’ordonnance no 26/2000, la Cour prend en considération les éléments suivants. Elle observe tout d’abord que la demande d’octroi du statut d’utilité publique formulée par la requérante a été soumise par le SGG à deux autorités distinctes : la DRI (la Direction pour les relations interethniques du gouvernement de la Roumanie) et le ministère de la Culture et du Patrimoine national (paragraphe 5 ci‑dessus) et que la demande de l’intéressée a été traitée de manière différente en fonction de l’autorité publique à laquelle elle a été soumise. Le Gouvernement n’a pas expliqué devant la Cour pourquoi un traitement de la demande de la requérante par deux autorités distinctes était nécessaire en l’espèce.

57. Ensuite, la Cour note que l’ordonnance no 26/2000 prévoit des délais – de soixante et quatre-vingt-dix jours respectivement – pour le traitement, par l’autorité administrative compétente et ensuite par le gouvernement, des demandes d’octroi du statut d’utilité publique (paragraphe 18 ci-dessus), mais que le Gouvernement n’a pas expliqué devant elle si ces délais sont indicatifs ou impératifs. Or la Cour estime que la question de la nature de ces délais est importante dans les circonstances de l’espèce puisque la requérante devait obtenir ce statut avant la date limite pour la présentation de sa candidature aux élections. Ainsi, la requérante a reçu la réponse de la DRI les 27 juin et 14 août 2012 (paragraphe 7 ci‑dessus), c’est-à-dire avant la date limite de la présentation des candidatures, qui était fixée au 30 octobre 2012 (paragraphe 12 ci-dessus). Toutefois, la réponse du ministère ne lui a été communiquée que le 8 janvier 2013, soit après les élections parlementaires (paragraphe 13 ci‑dessus).

58. La Cour note également que les autorités auxquelles la demande de la requérante a été soumise avaient des avis divergents sur les critères que la fondation était tenue de remplir pour se voir octroyer le statut d’utilité publique. Le refus de la DRI était justifié par le fait que l’activité de la fondation ne concernait pas les relations interethniques, ce qui semble suggérer que la requérante ne remplissait pas les critères légaux. Néanmoins, il ressort clairement du libellé de la réponse de la DRI, communiquée à la requérante le 14 août 2012, que le simple fait que les conditions requises par les dispositions pertinentes en l’espèce étaient remplies n’obligeait pas le Gouvernement à octroyer le statut d’utilité publique à la fondation, l’exécutif conservant le pouvoir de décider s’il était opportun ou non d’adopter une telle décision (paragraphe 7 ci-dessus). La Cour relève ensuite que le ministère a exprimé l’avis que, lors du dépôt et de l’examen du dossier, la fondation remplissait toutes les conditions légales en vigueur au moment des faits pour se voir reconnaître le statut d’utilité publique. Toutefois, le ministère a indiqué à la requérante que sa demande devait être analysée en fonction des critères nouvellement introduits par la loi no 145/2012, qu’elle ne remplissait plus (paragraphe 13 ci‑dessus). Par ailleurs, il ne ressort pas des éléments présentés à la Cour que le ministère a envisagé de donner à la requérante une occasion de compléter sa demande initiale en fonction des critères nouvellement introduits.

59. La Cour relève que les réponses données à la requérante par les autorités administratives saisies ne sont pas uniformes sur l’interprétation à donner aux critères légaux et à leur application dans le temps. Elle observe ensuite que la nature juridique de ces réponses ne ressort pas clairement de la législation et de la pratique internes telles que présentées par le Gouvernement. L’article 40 de l’ordonnance no 26/2000 dispose que l’autorité administrative communique au demandeur « une réponse motivée » dans un délai de trente jours calculé à compter de la date de « la prise de la décision » (paragraphe 18 ci‑dessus). Cependant, en l’espèce, le SGG a demandé à la DRI et au ministère de communiquer leurs avis (punct de vedere ; paragraphe 5 ci-dessus). Ces éléments ne permettent pas de conclure avec certitude que la DRI et le ministère ont accompli des actes préparatoires ou qu’ils ont pris de décisions administratives. De plus, il ne ressort pas du libellé de l’article 40 de l’ordonnance no 26/2000 que, en cas de refus, la réponse de l’administration doit ensuite être communiquée au SGG en vue de l’adoption d’une décision formelle, comme c’est le cas lorsque l’administration propose la reconnaissance du statut d’utilité publique (paragraphe 18 ci-dessus). La Cour en déduit que la réponse de la DRI et celle du ministère ont été définitives dans le cas de la requérante et qu’elles ont mis fin à la procédure administrative en l’espèce.

60. Ceci étant, il convient d’examiner si les tribunaux internes, auxquels il revient au premier chef la tâche d’interpréter et d’appliquer la législation nationale, pouvaient procéder à un contrôle juridictionnel des réponses de la DRI et du ministère. La Cour note que le texte de l’ordonnance no 26/2000 prévoit que la compétence d’octroyer à une association ou à une fondation le statut d’utilité publique relève du « gouvernement roumain », donc de l’exécutif (paragraphes 16 et 17 ci‑dessus). Elle remarque que le Gouvernement estime qu’un refus de l’exécutif est susceptible d’un contrôle juridictionnel dans le cadre du contentieux administratif. Les arguments du Gouvernement se fondent sur les avis que lui avaient communiqués plusieurs cours d’appel roumaines (paragraphe 29 ci‑dessus).

61. Toutefois, la Cour observe que, dans son arrêt du 3 octobre 2007, la Haute Cour de cassation et de justice roumaine a rejeté une action par laquelle une association contestait le refus de l’exécutif de lui octroyer le statut d’utilité publique même si cette association remplissait les critères légaux (paragraphe 19 ci‑dessus). Pour arriver à cette conclusion, la Haute Cour a jugé que l’exécutif était le plus apte à décider de la recevabilité d’une telle demande compte tenu des conséquences de la reconnaissance d’un tel statut pour l’association ou la fondation. La Cour en déduit que, de l’avis de la Haute Cour de cassation et de justice, l’octroi d’un tel statut est à la discrétion de l’exécutif, même si l’association ou la fondation qui en fait la demande remplit les critères légaux, et que le refus de l’exécutif d’octroyer ce statut ne peut pas faire l’objet d’un contrôle juridictionnel.

62. Dès lors, même si l’on accepte l’argument du Gouvernement, fondé sur les opinions des cours d’appel, selon lequel la requérante pouvait contester le refus de la DRI d’octroyer à la fondation le statut d’utilité publique (paragraphe 29 ci-dessus), la Cour doute de l’utilité d’un tel recours. En effet, le contrôle de légalité allégué aurait de toute manière eu un caractère limité, dans la mesure où il aurait seulement permis aux tribunaux de vérifier si la fondation remplissait les conditions légales pour obtenir le statut d’utilité publique, sans leur attribuer le pouvoir d’octroyer à celle‑ci ledit statut. En effet, la décision finale à cet égard était fondée sur des critères d’opportunité et non pas de légalité puisqu’elle relevait, selon la jurisprudence de la Haute Cour, de la discrétion de l’exécutif, qui pouvait refuser l’octroi du statut d’utilité publique même si la requérante remplissait tous les critères prévus par la loi (paragraphe 19 ci-dessus).

63. Il s’ensuit que la requérante ne disposait pas d’une voie de recours effective pour contester la réponse de la DRI par laquelle celle-ci refusait d’octroyer à la fondation le statut d’utilité publique. D’ailleurs, la réponse du ministère a été notifiée à la requérante après les élections de décembre 2012 (paragraphe 13 ci-dessus). À cet égard, la Cour estime que la requérante n’était pas tenue d’exercer un recours qui n’était pas, en tout état de cause, susceptible de remédier à son grief dans un délai lui permettant de soumettre sa candidature aux élections. Il s’ensuit que l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes (paragraphes 29 et 31 ci-dessus) doit être rejetée.

64. La Cour note ensuite que, comme souligné au paragraphe 61 ci‑dessus, de l’avis de la Haute Cour de cassation et de justice, l’octroi du statut d’utilité publique relève du pouvoir discrétionnaire de l’exécutif (paragraphe 19 ci-dessus). Elle estime que, dans le contexte électoral de la présente espèce, où, pour présenter sa candidature, la requérante devait prouver que la fondation avait acquis ce statut, une telle discrétion laissée à l’exécutif est sujette à caution (voir, mutatis mutandis, Podkolzina c. Lettonie, no 46726/99, § 36, CEDH 2002‑II). Qui plus est, la procédure par laquelle la requérante aurait pu contester le refus de l’exécutif de reconnaître le statut d’utilité publique à la fondation ne donnait pas aux tribunaux internes un vrai pouvoir de contrôle et n’était donc pas accompagnée de suffisamment de garanties pour éviter l’arbitraire (voir la jurisprudence citée au paragraphe 42 ci-dessus).

65. Ayant égard à l’ensemble des éléments mentionnés ci-dessus et notamment à l’absence de contrôle judiciaire contre l’arbitraire (paragraphe 62 ci‑dessus), et tout en tenant compte de la large marge d’appréciation de l’État en la matière (voir la jurisprudence citée au paragraphe 42 ci-dessus), la Cour conclut que la différence de traitement dont la requérante a fait l’objet par rapport aux organisations des minorités nationales déjà représentées au Parlement n’était pas suffisamment justifiée par rapport au but légitime poursuivi.

66. Partant, il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

67. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

68. La requérante réclame 1 000 000 euros (EUR) au titre des préjudices matériel et moral qu’elle estime avoir subis. Elle fait notamment référence aux indemnités et bénéfices auxquels elle considère qu’elle aurait pu avoir droit si elle avait été élue députée au Parlement roumain et argue que sa réputation et sa crédibilité ont été affectées par le rejet de sa candidature.

69. Le Gouvernement estime que la somme réclamée est excessive et revêt un caractère spéculatif.

70. La Cour estime que la requérante n’a pas prouvé l’existence d’un lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué, et rejette cette demande. En outre, elle estime que le constat d’une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par la requérante.

2. Frais et dépens

71. La requérante demande également le remboursement des honoraires d’avocat, sans toutefois préciser le montant de ces honoraires ni envoyer de documents justificatifs à cet égard.

72. Le Gouvernement prie la Cour de rejeter la demande de la requérante comme non étayée.

73. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Compte tenu du fait que la requérante a omis d’indiquer le montant des honoraires de son avocat et n’a produit aucune pièce justificative à cet égard, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.

3. Intérêts moratoires

74. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 3 du Protocole no 1 à la Convention ;
4. Dit que le constat de violation constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par la requérante ;
5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 24 mars 2020, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Andrea TamiettiJon Fridrik Kjølbro
GreffierPrésident


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award