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21/11/2019 | CEDH | N°001-198813

CEDH | CEDH, AFFAIRE ILIAS ET AHMED c. HONGRIE, 2019, 001-198813


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ILIAS ET AHMED c. HONGRIE

(Requête no 47287/15)

ARRÊT


Cette version a été rectifiée le 2 décembre 2019

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour

STRASBOURG

21 novembre 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Angelika Nußberger,
Robert Spano, <

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Ksenija Turković,

Paul Lemmens,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
André Potocki,
Aleš Pejchal,
Dmitry Dedov,...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ILIAS ET AHMED c. HONGRIE

(Requête no 47287/15)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 2 décembre 2019

conformément à l’article 81 du règlement de la Cour

STRASBOURG

21 novembre 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ilias et Ahmed c. Hongrie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Angelika Nußberger,
Robert Spano,
Jon Fridrik Kjølbro,

Ksenija Turković,

Paul Lemmens,
Ledi Bianku,
Işıl Karakaş,
Nebojša Vučinić,
André Potocki,
Aleš Pejchal,
Dmitry Dedov,
Yonko Grozev,
Mārtiņš Mits,
Georges Ravarani,
Jolien Schukking,
Péter Paczolay, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 18 et 19 avril 2018, et les 13 mars et 3 octobre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 47287/15) dirigée contre la Hongrie et dont deux ressortissants bangladais, MM. Ilias Ilias et Ali Ahmed (« les requérants »), ont saisi la Cour le 25 septembre 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me B. Pohárnok, avocat exerçant à Budapest. Le gouvernement hongrois (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. Z. Tallódi, du ministère de la Justice.

3. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 14 mars 2017, elle a été déclarée à l’unanimité partiellement recevable par une chambre de ladite section composée de Ganna Yudkivska, présidente, Vincent A. De Gaetano, András Sajó, Nona Tsotsoria, Krzysztof Wojtyczek, Gabriele Kucsko‑Stadlmayer et Marko Bošnjak, juges, ainsi que de Marialena Tsirli, greffière de section. Le 14 juin 2017, le Gouvernement a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 18 septembre 2017, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

4. La composition de la Grande Chambre a ensuite été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Le président de la Grande Chambre a décidé que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la présente espèce et l’affaire Z.A. et autres c. Russie (requêtes nos 61411/15 et 3 autres, 28 mars 2017) devaient être attribuées à la même formation de la Grande Chambre (articles 24, 42 § 2 et 71 du règlement).

5. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le fond de l’affaire. La Cour a par ailleurs reçu des observations écrites des gouvernements bulgare, polonais et russe, des observations écrites du HCR, des observations conjointes du Conseil néerlandais des réfugiés, de la Commission internationale de juristes et du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés, ainsi que des observations écrites séparées de cinq universitaires italiens, que le président de la Grande Chambre avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

6. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 18 avril 2018 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
M. Z. Tallódi,agent,
MmesA. Lőrincz, directrice de l’office de l’immigration
et de l’asile,
M. Weller, co-agente du Gouvernement,conseillères ;

– pour les requérants
MeB. Pohárnok, conseil,
MmesG. Matevzic,
N. Mole,conseillères.

La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu’en leurs réponses aux questions des juges, M. Tallódi ainsi que Me Pohárnok et Mme Matevzic.

EN FAIT

1. LE PROFIL DES REQUÉRANTS ET LEUR PARCOURS JUSQU’EN HONGRIE

7. Les requérants sont tous deux ressortissants du Bangladesh. Selon des informations datant de décembre 2017, le premier requérant, M. Ilias Ilias, vit à Uedem, en Allemagne, et le second requérant, M. Ali Ahmed, à Barcelone, en Espagne.

8. Le 15 septembre 2015, ils arrivèrent en Hongrie depuis la Serbie et pénétrèrent dans la zone de transit de Röszke, située à la frontière entre les deux pays, sur le territoire hongrois. Le même jour, ils déposèrent des demandes d’asile, qui furent rejetées quelques heures plus tard pour cause d’irrecevabilité, et leur expulsion fut ordonnée. Ayant introduit un recours contre ces décisions, ils passèrent vingt‑trois jours dans la zone de transit dans l’attente de l’issue de la procédure. Le 8 octobre 2015, leurs demandes d’asile respectives ayant été définitivement rejetées et leur expulsion ordonnée, ils furent conduits hors de la zone de transit et retournèrent en Serbie.

9. Le résumé du passé des requérants exposé ci-après est fondé sur l’ensemble des observations qu’ils ont soumises à la Cour. Il apparaît que certains éléments ne figuraient pas dans les allégations formulées auprès des autorités hongroises, que d’autres ont été communiqués uniquement dans le cadre de la deuxième procédure interne et que d’autres encore n’ont pas toujours été présentés de la même manière.

10. Le premier requérant est né au Bangladesh en 1983. À l’âge de huit ans, il se retrouva seul, sans sa famille, au Pakistan, où il vécut jusqu’à l’âge de 24 ou 25 ans (sauf pendant une période de trois mois au cours de laquelle, âgé de 14 ans, il fut expulsé vers l’Afghanistan, placé en détention, puis renvoyé au Pakistan). Enfant, il travailla illégalement dans un restaurant avant de devenir pêcheur puis tailleur. Il dit avoir subi des violences au Pakistan, de la part de la police notamment, et ajoute avoir fui en Iran et y avoir été maltraité à plusieurs reprises avant d’être renvoyé au Pakistan. En 2009 ou 2010, il retourna au Bangladesh, où il vécut un an ou un peu plus longtemps, sans domicile, et où il fut souvent maltraité par des policiers parce qu’il n’avait pas de papiers. Pendant cette période, il distribua des tracts pour le BNP, un parti politique, ce qui lui valut d’être menacé par les sympathisants d’un autre parti. En 2010 ou 2011, la police l’expulsa en Inde, où il resta deux semaines avant de retourner au Pakistan. Après avoir passé quatre mois au Pakistan, il partit pour l’Iran, où il vécut et travailla pendant 18 mois. De là, il se rendit en Turquie, où il travailla pendant 18 mois également. Il paya ensuite des passeurs qui le conduisirent en Grèce, où il resta deux mois et demi. En 2015, il passa à pied de Grèce en ex-République yougoslave de Macédoine, d’où il gagna la Serbie par le train. Il resta en Serbie pendant une durée indéterminée mais apparemment très brève avant d’entrer en Hongrie.

11. Le second requérant est né en 1980. Il vécut au Bangladesh jusqu’en 2010. Il quitta le pays parce que son habitation avait été détruite au cours des inondations de 2008 et que, devenu indigent, il vivait de mendicité. En 2010, il décida de se rendre en Inde, où il espérait trouver de meilleures perspectives. Les membres de sa famille restés au Bangladesh périrent au cours des inondations de 2010. Lui-même resta en Inde pendant deux mois puis il se rendit au Pakistan, où il fut retenu captif pendant six mois par des passeurs. Ceux-ci l’envoyèrent finalement par avion à Dubaï, où ils le firent travailler pendant deux ans avant de le transférer par bateau en Iran. Là, il travailla pendant deux mois pour ces mêmes passeurs, qui l’emmenèrent ensuite à pied en Turquie. Les passeurs l’y retinrent captif pendant deux semaines, puis le transférèrent en Grèce, où il travailla pendant deux ans et fit la connaissance du premier requérant. Les deux hommes quittèrent le pays ensemble et traversèrent l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Serbie avant d’arriver en Hongrie.

12. La langue maternelle des deux requérants est le sylheti, une langue apparentée au bengali, la langue officielle du Bangladesh.

13. L’un et l’autre comprennent l’ourdou et le premier requérant peut également s’exprimer dans cette langue. Il apparaît qu’ils ont déclaré à l’autorité hongroise compétente en matière d’asile qu’ils comprenaient aussi le turc et l’anglais.

14. Le premier requérant n’est jamais allé à l’école. Le second requérant n’y est allé que jusqu’à la fin de la troisième année ; il sait lire et écrire le sylheti et le bengali à un niveau élémentaire.

2. LE SÉJOUR DES REQUÉRANTS DANS LA ZONE DE TRANSIT

15. À l’époque des faits, la zone de transit de Röszke était un complexe composé de conteneurs installés dans une étroite zone en plein air, entourée de clôtures de quatre mètres de haut environ surmontées de fil de fer barbelé. Toute la zone était surveillée par des policiers et des gardes armés. Les demandeurs d’asile étaient logés dans une zone d’hébergement constituée d’une dizaine de conteneurs, dont chacun mesurait environ 2,5 mètres sur 5,5 mètres et était équipé de trois à cinq lits ainsi que d’un chauffage électrique. Un conteneur était aménagé en sanitaires et un autre, plus grand, en salle commune avec tables et chaises. La zone d’hébergement était entourée d’une petite surface extérieure mesurant approximativement 2,5 mètres de large sur 40 à 50 mètres de long. Le site était alimenté en eau courante chaude et froide et en électricité. Les requérants recevaient quotidiennement trois repas sans porc, qui étaient servis dans un conteneur faisant office de cantine.

16. Les requérants soutiennent qu’ils n’ont bénéficié d’aucune assistance sociale ou médicale au cours de leur séjour dans cette zone. De plus, ils n’auraient eu accès ni à la télévision ni à Internet, non plus qu’à un téléphone fixe ou à des installations de loisirs.

17. D’après le Gouvernement, des médecins des forces de défense hongroise assuraient un service médical deux heures par jour.

18. Selon le Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe (« le CPT »), les lits installés dans les conteneurs de la zone de Röszke étaient équipés de matelas, d’oreillers et de draps propres. La lumière naturelle et l’éclairage artificiel dans les conteneurs d’hébergement auraient été satisfaisants. De plus, il y aurait eu à l’entrée des conteneurs de petites zones délimitées auxquelles les ressortissants étrangers avaient librement accès pendant la journée. Les installations sanitaires auraient été convenables et un service médical aurait été assuré (paragraphe 65 ci‑dessous).

19. Les requérants avaient interdiction de quitter la zone pour se rendre ailleurs en Hongrie. Il apparaît qu’ils auraient pu choisir de repartir vers la Serbie, mais les parties sont en désaccord quant aux conséquences juridiques et pratiques d’un tel choix.

3. LES DEMANDES D’ASILE DÉPOSÉES PAR LES REQUÉRANTS ET LEUR EXAMEN
1. La première décision rendue par l’autorité compétente en matière d’asile et le recours formé contre cette décision

20. Les requérants, assistés d’un interprète qui parlait ourdou bien que ce ne fût pas sa langue maternelle, furent entendus par l’Autorité de la citoyenneté et de l’immigration (« l’autorité compétente en matière d’asile ») peu après leur arrivée. Au cours des entretiens, qui durèrent deux heures pour le premier requérant et vingt-deux minutes pour le second, ils expliquèrent comment ils en étaient arrivés à quitter le Bangladesh et fournirent quelques éléments concernant leur périple. Le premier requérant reçut une brochure d’information de deux pages, en langue ourdoue, sur la procédure d’asile.

21. Selon les notes prises par les autorités hongroises au cours des entretiens, la Hongrie était le premier pays dans lequel les deux requérants demandaient l’asile. En Serbie, le premier requérant n’aurait rencontré aucun agent ou représentant des autorités, et il n’aurait même pas envisagé de demander à y bénéficier d’une protection. Le second requérant aurait rencontré des agents de police une fois lors de son séjour en Serbie, mais il n’aurait pas déposé de demande d’asile. Il aurait demandé instamment à pouvoir poursuivre sa route, et la police serbe l’aurait laissé partir après lui avoir remis un document lui intimant de quitter le pays.

22. Au cours de son entretien, le premier requérant fut informé qu’il disposait de trois jours pour expliquer pourquoi il avait décidé de ne pas solliciter de protection en Serbie et pourquoi il avait considéré que la possibilité de demander asile dans ce pays était inexistante ou ineffective. Le second requérant, quant à lui, fut contraint d’expliquer sur-le-champ pourquoi il pensait qu’il n’aurait pas pu bénéficier d’une protection en Serbie. Selon les notes prises au cours de l’entretien, il répondit qu’il n’avait pas déposé de demande d’asile en Serbie car il souhaitait poursuivre sa route.

23. Par deux décisions séparées rendues le même jour, à savoir le 15 septembre 2015, l’autorité compétente en matière d’asile (sans attendre, dans le cas du premier requérant, l’expiration du délai de trois jours qui lui avait été accordé pour lui permettre de contester la présomption selon laquelle la Serbie était un « pays tiers sûr ») rejeta la demande d’asile formée par les requérants au motif que la Serbie devait être considérée comme un « pays tiers sûr » en vertu du décret gouvernemental no 191/2015(VII.21.) et que les requérants n’avaient pas réfuté cette présomption puisqu’ils n’avaient même pas envisagé la possibilité de déposer une demande d’asile dans ce pays. Elle ordonna l’expulsion des requérants de Hongrie.

24. Les requérants contestèrent les décisions devant le tribunal administratif et du travail de Szeged (« le tribunal »). Une audience fut fixée au 21 septembre 2015 dans chaque affaire.

25. Les requérants, par le biais de représentants du HCR qui avaient accès à la zone de transit, donnèrent pouvoir à deux avocats du Comité Helsinki en Hongrie pour les représenter dans leurs actions en justice. Il apparaît cependant que les autorités ne permirent aux avocats d’entrer dans la zone de transit afin qu’ils pussent s’entretenir avec leurs clients que le 21 septembre 2015 au soir, soit après l’audience du tribunal.

26. Cela étant, le jour de l’audience, à savoir le 21 septembre 2015, les avocats des requérants déposèrent des observations écrites de plusieurs pages et plaidèrent leur cause oralement. Ils furent présents dans le prétoire de Szeged, et les requérants, assistés d’un interprète en langue ourdoue, communiquèrent avec le tribunal par vidéoconférence.

27. Les requérants déclarèrent tous deux qu’ils avaient reçu des autorités serbes un document rédigé en langue serbe qu’ils ne pouvaient pas comprendre, et qu’ils avaient été sommés de quitter le territoire serbe. Ils présentèrent les documents qu’ils avaient reçus des autorités serbes ; celui fourni par le premier requérant ne contenait pas son nom car il était destiné à quelqu’un d’autre. À l’audience, le second requérant précisa qu’il avait demandé l’asile en Serbie mais que sa demande n’avait pas été examinée.

28. Dans leurs observations écrites et orales, les avocats des requérants plaidèrent en substance que l’autorité compétente en matière d’asile avait méconnu les dispositions de la directive relative aux procédures d’asile (directive 2013/32/UE) en ce qu’elle n’avait pas véritablement cherché à déterminer si la Serbie pouvait être considérée comme un « pays tiers sûr » dans le cas particulier des requérants. Selon les avocats, les décisions étaient purement formelles et n’étaient pas fondées sur un examen individualisé de la situation des requérants. Les requérants se plaignaient en outre de ne pas avoir pu bénéficier du délai de trois jours prévu par la loi pour contester l’application du principe de « pays tiers sûr », l’autorité compétente en matière d’asile ayant rendu ses décisions le jour même des premiers entretiens. Ils soutenaient en outre que l’autorité n’avait pas tenu compte, dans ses décisions, des informations pertinentes sur le pays en question, en particulier des rapports du HCR et d’une déclaration en date du 14 septembre 2015 dans laquelle le ministre serbe du Travail et des Affaires sociales annonçait que la Serbie ne reprendrait plus aucun demandeur d’asile se trouvant en Hongrie.

29. Le jour même, le tribunal annula les décisions de l’autorité compétente en matière d’asile et ordonna le réexamen du dossier. S’appuyant sur l’article 3 § 2 du décret gouvernemental, il jugea que cette autorité aurait dû analyser de manière plus poussée la situation qui prévalait réellement en Serbie en matière de procédure d’asile. Il ajouta que cette autorité aurait dû signifier aux requérants ses conclusions sur ce point et accorder aux intéressés trois jours pour réfuter, avec l’aide d’un conseiller juridique, la présomption selon laquelle la Serbie faisait partie des « pays tiers sûrs ».

2. La deuxième décision de l’autorité compétente en matière d’asile et les recours visant à la contester

30. Dans le cadre de la nouvelle procédure devant l’autorité compétente en matière d’asile, les requérants communiquèrent une opinion écrite rédigée par une psychiatre. Désignée par le Comité Helsinki en Hongrie, celle-ci, à la demande des avocats des requérants, s’était rendue le 23 septembre 2015 dans la zone de transit pour s’entretenir avec les intéressés avec l’assistance téléphonique d’un interprète. Dans l’opinion, elle indiquait que le premier requérant avait quitté le Bangladesh en 2010 en partie à la suite d’inondations et en partie parce que deux partis politiques avaient tenté de le recruter et qu’il avait été agressé et blessé en raison de son refus d’y adhérer. Elle constatait qu’il avait les idées claires et qu’il était capable de se concentrer et de se remémorer des événements, mais qu’il montrait des signes d’anxiété, de peur et de désespoir et souffrait d’un syndrome de stress post-traumatique (« SSPT »). Concernant le second requérant, la psychiatre indiquait qu’il avait fui son pays cinq ans plus tôt, qu’il avait travaillé à l’étranger, et que toute sa famille avait péri dans une inondation pendant cette période. Elle expliquait qu’il avait ensuite émigré en passant par plusieurs pays afin de refaire sa vie. Elle constatait qu’il avait les idées claires et ne souffrait pas de perte de mémoire mais qu’il montrait des signes de dépression, d’anxiété et de désespoir, souffrait d’un SSPT et traversait une crise dépressive. Selon elle, les requérants n’avaient pas besoin d’un traitement médical ou d’une prise en charge psychologique, mais leur confinement risquait d’entraîner une dégradation de leur état de santé mental.

31. Le 23 septembre 2015, l’autorité compétente en matière d’asile informa les représentants en justice des requérants par téléphone qu’une audience se tiendrait deux jours plus tard. Cependant, considérant apparemment qu’ils n’avaient pas été convoqués régulièrement, les représentants ne se présentèrent pas à l’audience.

32. Lors de l’audience qui se déroula le 25 septembre 2015 devant l’autorité compétente en matière d’asile, les requérants décidèrent de ne faire aucune déclaration hors la présence de leurs représentants. Avec l’assistance d’un interprète en langue ourdoue, l’autorité compétente en matière d’asile leur expliqua qu’ils disposaient d’un délai de trois jours pour réfuter la présomption de « pays tiers sûr ».

33. Le 28 septembre 2015, les représentants en justice des requérants saisirent l’autorité compétente en matière d’asile. Critiquant la manière employée pour les convoquer, ils demandèrent la tenue d’une nouvelle audience à laquelle ils seraient présents. Ils soulignèrent également que les requérants devaient bénéficier d’une réelle possibilité de s’exprimer au sujet des documents sur la foi desquels la Serbie avait été présumée sûre.

34. Le 30 septembre 2015, l’autorité compétente en matière d’asile rejeta les demandes d’asile. Elle jugea que les rapports établis par la psychiatre ne fournissaient pas de raisons suffisantes pour accorder aux requérants le statut de « personnes appelant un traitement spécial » puisqu’ils ne faisaient apparaître aucun besoin spécial ne pouvant être satisfait dans la zone de transit. Sur la question de la classification de la Serbie en tant que « pays tiers sûr », elle tint compte des rapports du HCR et d’une organisation non-gouvernementale sur le sujet. Elle releva que les requérants n’avaient fait état d’aucune circonstance individuelle impérieuse de nature à étayer la thèse selon laquelle la Serbie n’était pas un pays tiers sûr dans leur cas, si bien qu’ils n’étaient pas parvenus à réfuter la présomption. Elle en conclut que les requérants devaient être expulsés du territoire hongrois.

35. Les requérants contestèrent cette décision devant le tribunal. Ils plaidèrent notamment que l’autorité compétente en matière d’asile avait fondé ses décisions sur des informations sélectives et mal interprétées concernant le pays en question. Ils soutinrent que c’était en premier lieu à l’autorité compétente en matière d’asile qu’il incombait de démontrer que la Serbie était un pays tiers sûr pour les requérants et d’étayer ce constat par des informations pertinentes sur le pays et par d’autres éléments probants. Ils considérèrent que le délai de trois jours qui leur avait été accordé pour contester l’application du principe de « pays tiers sûr » ne pouvait même pas commencer à courir légalement car, selon eux, l’autorité compétente en matière d’asile avait manqué à son obligation de prouver ses affirmations de manière convaincante. Ils ajoutèrent que l’autorité compétente en matière d’asile n’avait pas vérifié si les autorités serbes autoriseraient leur retour, ce qui aurait pourtant constitué une condition nécessaire à l’application du principe de « pays tiers sûr ». Enfin, ils estimèrent que la procédure avait été entachée de plusieurs vices de forme.

36. Le 5 octobre 2015, le tribunal rendit pour chaque requérant une décision séparée confirmant les décisions de l’autorité compétente en matière d’asile. Il observa en particulier que celle-ci, de nouveau saisie, avait cherché, conformément à ses instructions, à déterminer si la Serbie pouvait généralement être considérée comme un pays tiers sûr pour les réfugiés et que, sur la base du droit pertinent et des renseignements recueillis au sujet de ce pays, elle avait conclu par l’affirmative. Il releva que ladite autorité avait pris en compte le rapport du Centre des droits de l’homme de Belgrade publié en 2015, les rapports sur la Serbie publiés en août 2012 et en juin 2015 par le HCR, ainsi que d’autres documents produits par les requérants. Il jugea qu’elle avait établi sur la base de ces pièces que la Serbie satisfaisait aux conditions de l’article 2 i) de la loi relative à l’asile. Convaincu que l’autorité compétente en matière d’asile avait correctement établi les faits et appliqué les règles de procédure, il conclut que la décision était clairement motivée et raisonnable. Il souligna en outre que les requérants avaient livré au cours des audiences des dépositions contradictoires et incohérentes. Il nota que le premier requérant avait avancé diverses raisons pour expliquer pourquoi il avait quitté son pays et que ses déclarations sur la question de savoir si les autorités serbes lui avaient remis des documents étaient confuses. Il releva que la pièce finalement produite par l’intéressé n’était pas à son nom et qu’elle ne pouvait donc pas être versée au dossier. Il ajouta que jamais au cours de la procédure administrative qui avait précédé l’audience le premier requérant n’avait évoqué les agissements de trafiquants d’êtres humains. Il jugea incohérentes les déclarations du second requérant concernant la durée de son séjour en Serbie et la présentation de sa demande d’asile. Selon le tribunal, les requérants n’avaient invoqué aucun fait précis de nature à conduire l’autorité compétente en matière d’asile à considérer que la Serbie n’était pas un pays sûr pour ce qui les concernait, et ils n’avaient contesté la sûreté de la Serbie que de manière générale, ce qui ne suffisait pas à réfuter la présomption.

37. Les décisions définitives furent signifiées aux requérants le 8 octobre 2015. Elles étaient rédigées en hongrois mais leur furent expliquées en ourdou. L’après-midi même, les requérants furent reconduits par des policiers hors de la zone de transit et ils repassèrent en Serbie.

38. Le 22 octobre 2015, l’avocat des requérants reçut le procès-verbal de l’audience tenue le 5 octobre 2015. Le 10 décembre 2015, il obtint la traduction en bengali des décisions rendues par le tribunal à l’issue de l’audience. Le 9 mars 2016, les pourvois formés par les requérants furent rejetés pour des raisons procédurales, la Kúria s’étant jugée incompétente pour en connaître.

4. L’EXPULSION DES REQUÉRANTS VERS LA SERBIE LE 8 OCTOBRE 2015

39. Concernant leur expulsion, les requérants ont communiqué des descriptions qui figuraient dans une note et dans une lettre provenant respectivement du HCR et d’une ONG serbe, dont des représentants étaient présents lors de leur éloignement, ainsi que dans un entretien vidéo dans lequel ils s’exprimaient le soir de leur retour en Serbie, assistés d’un avocat d’une autre ONG serbe et d’un interprète en langue ourdoue. Le gouvernement défendeur ne conteste pas les descriptions fournies mais maintient que les requérants ont quitté la Hongrie de leur plein gré.

40. Il ressort de ces descriptions que le 8 octobre 2015 au matin, des membres du HCR sont allés à la rencontre des requérants dans la zone de transit et qu’ils leur ont expliqué que, puisque le tribunal avait statué sur leur cas, ils pouvaient soit retourner en Serbie de leur plein gré soit contester la décision, mais que dans ce dernier cas ils seraient privés de liberté pendant deux mois. Les requérants auraient alors exprimé le souhait de contester la décision et de rester en Hongrie, et ils auraient signé un document à cette fin. Les membres du HCR seraient alors repartis. En début d’après-midi, la police et les autorités compétentes en matière d’asile auraient dit aux requérants, avec l’aide d’un Afghan qui parlait un peu ourdou, que le tribunal avait décidé qu’ils devaient retourner en Serbie. Les requérants auraient répondu qu’ils ne voulaient pas retourner en Serbie et que les agents de l’ONU leur avaient dit qu’ils pourraient peut-être rester encore deux mois en Hongrie. Ils auraient produit une copie du document qu’ils avaient signé pour contester la décision du tribunal, mais les autorités auraient refusé de la prendre. Les policiers auraient insisté et leur auraient dit que s’ils ne partaient pas de leur plein gré ils seraient privés de liberté et remis de force à la police serbe. Se sentant menacés et exposés à un risque de violence, les requérants auraient alors décidé de partir. Les policiers leur auraient dit de se rendre en Serbie en passant par la forêt et non par le poste de contrôle officiel. Les agents du HCR seraient arrivés au moment où les requérants étaient escortés hors de la zone de transit et ils se seraient entretenus avec eux. Les policiers auraient dit aux agents du HCR que les requérants avaient décidé de quitter la Hongrie de leur plein gré et qu’ils ne seraient pas escortés jusqu’au côté serbe de la frontière. Les agents de la police des frontières serbe auraient informé les agents du HCR et ceux de la police hongroise qu’ils ne laisseraient pas les requérants rentrer en Serbie par le poste de contrôle officiel s’ils n’avaient pas de papiers, et que la seule possibilité pour eux serait de tenter de passer par la « frontière verte ». Le représentant du HCR aurait passé plusieurs appels téléphoniques pour s’assurer que quelqu’un accueillerait les requérants de l’autre côté de la frontière. Les requérants n’auraient été escortés que jusqu’à la sortie de la zone de transit. Les policiers hongrois leur auraient ensuite expliqué comment regagner seuls la Serbie, en suivant le côté droit de la clôture. Il n’aurait pas été fait usage de la force. Les agents du HCR auraient insisté jusqu’à ce qu’on les autorisât à informer les deux requérants que quelqu’un les attendrait du côté serbe de la frontière, mais qu’ils devaient, pour rejoindre le point de rencontre, prendre à gauche en direction de la voie rapide et traverser la frontière à Horgos au lieu de suivre la direction que leur avaient indiquée les policiers. Munis de ces informations, les requérants auraient traversé la frontière conformément aux instructions du HCR et non par la forêt. À la frontière, les policiers serbes auraient été présents et leur auraient simplement dit d’attendre les agents du HCR qui allaient venir les chercher. Ceux-ci seraient venus et les auraient pris en charge.

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

1. LE DROIT INTERNE
1. Le droit interne tel qu’en vigueur à l’époque des faits

41. La loi no LXXX de 2007 relative à l’asile (« la loi relative à l’asile ») énonçait en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

« Article 2

Aux fins de la présente loi, on entend par :

(...)

i) « pays tiers sûr » un pays à l’égard duquel l’autorité compétente en matière d’asile a acquis la certitude que le demandeur sera traité conformément aux principes suivants :

(...)

ib) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève[1] ;

ic) l’interdiction, prévue par le droit international, d’expulser le demandeur vers un pays où il serait soumis à des comportements définis à l’article XIV § 2 de la Loi fondamentale [autrement dit, où l’intéressé risquerait d’être condamné à la peine capitale ou soumis à la torture ou à d’autres formes de peine ou traitement inhumain] est respectée et appliquée ; et

id) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève ;

(...)

k) personnes appelant un traitement spécial les mineurs non accompagnés ou les personnes vulnérables – en particulier les mineurs, les personnes âgées ou handicapées, les femmes enceintes, les parents seuls élevant des mineurs et les personnes victimes de torture, de viol ou d’une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle – à l’égard desquelles il est conclu, après un examen individuel, qu’elles ont des besoins particuliers.

(...)

Article 5

1) Une personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié a le droit :

a) de séjourner sur le territoire hongrois dans les conditions énoncées dans la présente loi (...) ;

(...)

c) de travailler (...) dans un lieu d’hébergement désigné par l’autorité compétente en matière d’asile (...)

Article 31/A, intitulé « Rétention des demandeurs d’asile »

1) L’autorité compétente en matière d’asile peut, aux fins de conduire la procédure d’asile et d’organiser le transfert de type Dublin – en tenant compte de la restriction énoncée à l’article 31/B –, placer en rétention une personne dont le droit de séjourner dans le pays est exclusivement fondé sur une demande de reconnaissance du statut de réfugié, dans les cas suivants :

a) son identité ou sa nationalité sont incertaines, afin d’établir l’une et l’autre,

b) une procédure d’expulsion est en cours et il peut être prouvé sur la base de critères objectifs – y compris le fait que le demandeur a déjà eu auparavant la possibilité de déposer une demande d’asile –, ou il existe une bonne raison de supposer, qu’il demande l’asile aux seules fins de retarder ou d’entraver le déroulement de l’expulsion,

c) les faits et circonstances à l’origine de la demande d’asile doivent être établis et ils ne peuvent l’être sans placer le demandeur en rétention, surtout lorsque celui-ci risque de prendre la fuite,

d) la rétention du demandeur est nécessaire aux fins de la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public,

e) la demande a été formée dans le cadre d’une procédure à l’aéroport, ou

f) il est nécessaire de conduire un transfert de type Dublin et il existe un risque grave de fuite.

(...)

Article 45

1) Le principe du non-refoulement s’applique si, dans son pays d’origine, le demandeur ferait l’objet de persécutions fondées sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un certain groupe social ou l’opinion politique, ou d’un traitement proscrit par l’article XIV § 2 de la Loi fondamentale (...)

(...)

3) En cas de rejet de la demande de reconnaissance du statut de réfugié, ou de retrait de celle-ci, l’autorité compétente en matière d’asile dit si le principe du non‑refoulement est applicable ou non.

(...)

Article 51

1) Si les conditions d’application du règlement de Dublin ne sont pas réunies, l’autorité compétente en matière d’asile statue sur la recevabilité de la demande de statut de réfugié (...)

2) Une demande n’est pas recevable dans les cas suivants :

(...)

d) la demande est réitérée malgré l’absence d’éléments ou de faits nouveaux de nature à justifier qu’on accorde au demandeur le statut de réfugié ou de bénéficiaire d’une protection subsidiaire ;

e) un autre pays est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur (...)

4) Une demande ne peut être jugée irrecevable sur la base du paragraphe 2) e) du présent article que dans les cas suivants :

a) le demandeur a séjourné dans un pays tiers sûr où il pouvait solliciter une protection effective conformément à l’article 2 i) de la présente loi ;

b) le demandeur est passé par un pays tiers sûr où il pouvait solliciter une protection effective conformément à l’article 2 i) de la présente loi ;

c) le demandeur a dans ce pays [tiers sûr] un membre de sa famille et il est autorisé à entrer sur le territoire de ce pays ; ou

d) le pays tiers sûr a formé une demande tendant à l’extradition du demandeur.

5) Dans le cas d’une situation relevant du paragraphe 4) a) ou b), c’est au demandeur qu’il revient d’établir qu’il n’avait pas la possibilité d’obtenir une protection effective conformément à l’article 2 i).

(...)

11) Lorsque l’article 2 e) (...) est applicable, le demandeur peut, aussitôt après en avoir reçu notification, ou au plus tard dans les trois jours à compter de celle-ci, produire des éléments tendant à prouver que le pays en question ne peut être considéré comme un pays d’origine sûr ou un pays tiers sûr eu égard à sa situation personnelle.

Article 51/A

Si le pays d’origine sûr ou le pays tiers sûr refusent de reprendre ou d’admettre le demandeur, l’autorité compétente en matière d’asile retire sa décision et engage la procédure.

(...)

Article 53

(...)

2) La décision d’irrecevabilité (...) peut être contestée devant un tribunal. Sauf dans le cas d’une décision fondée sur l’article 51 2) e), (...) la demande de réexamen n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de la décision litigieuse.

(...)

4) Le tribunal rend sa décision sur la base des documents disponibles dans les huit jours à compter de la date de réception de la demande de réexamen. Dans le cadre de cette procédure de réexamen, non contentieuse par nature, il examine les faits ainsi que l’ensemble des questions de droit qui se posaient au moment de la prise de décision par l’autorité administrative. Le cas échéant, [le tribunal peut entendre les parties en personne].

5) Le tribunal ne peut modifier la décision de l’autorité compétente en matière d’asile ; il annule la décision administrative illégale (...) et, le cas échéant, renvoie l’affaire devant l’autorité compétente en matière d’asile en vue d’une nouvelle procédure. La décision du tribunal de clore la procédure est insusceptible de recours.

(...)

Article 66

2) L’autorité compétente en matière d’asile fonde sa décision sur les informations à sa disposition ou met fin à la procédure si la personne qui demande la reconnaissance du statut de réfugié

(...)

d) a quitté le lieu d’hébergement ou de résidence désigné pendant plus de 48 heures pour une destination inconnue et ne justifie pas son absence de manière satisfaisante ;

(...)

4) La décision de mettre un terme à la procédure pour l’un des motifs énumérés aux alinéas a) à d) du paragraphe 2) ci-dessus ne peut être contestée devant un tribunal.

(...)

6) Le demandeur peut, dans les neuf mois à compter de la notification de la décision de mettre fin à la procédure, solliciter la poursuite de la procédure close pour l’un des motifs énumérés aux alinéas b) à d) du paragraphe 2). Il ne peut introduire cette requête qu’en personne devant l’autorité compétente en matière d’asile. À réception d’une telle requête soumise dans les délais impartis, l’autorité compétente en matière d’asile reprend la procédure à partir de l’étape procédurale ayant précédé son interruption. Une telle requête ne peut être introduite qu’une seule fois.

(...)

Article 71/A

1) Si un demandeur formule sa demande d’asile avant d’être admis sur le territoire hongrois, dans une zone de transit définie par la loi sur les frontières d’État, les dispositions du présent chapitre [sur la procédure de reconnaissance du statut de réfugié ou de bénéficiaire d’une protection subsidiaire] s’appliquent [en conséquence, sous réserve des différences précisées dans le présent article].

2) Dans le cadre de la procédure à la frontière, le demandeur ne jouit pas des droits garantis par l’article 5 1) a) et c).

3) L’autorité compétente en matière d’asile statue sur la recevabilité d’une demande dans le cadre d’une procédure accélérée au plus tard huit jours après l’introduction de la demande. Elle communique dans les meilleurs délais la décision adoptée au terme de la procédure.

4) Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, l’autorité compétente en matière d’immigration autorise le demandeur à entrer sur le territoire, conformément aux dispositions légales.

5) Si la demande n’est pas irrecevable, l’autorité compétente en matière d’immigration autorise le demandeur à entrer sur le territoire, conformément aux dispositions légales.

6) Si le demandeur a été autorisé à entrer sur le territoire hongrois, l’autorité compétente en matière d’asile conduit la procédure conformément aux dispositions générales applicables.

7) Les règles relatives à la procédure dans la zone de transit ne s’appliquent pas aux personnes appelant un traitement spécial.

(...)

Article 80/A, intitulé « État de crise dû à une immigration massive »

1) Un état de crise dû à une immigration massive peut être déclaré dans les cas suivants :

a) le nombre de demandeurs d’asile arrivant en Hongrie dépasse

aa) cinq cents par jour en moyenne sur un mois, ou

ab) sept cent cinquante par jour en moyenne sur deux semaines consécutives, ou

ac) huit cents en moyenne sur une semaine ;

b) le nombre de personnes – hors personnel – se trouvant en zone de transit dépasse :

ba) mille par jour en moyenne sur un mois, ou

bb) mille cinq cents par jour en moyenne sur deux semaines consécutives, ou

bc) mille six cents par jour en moyenne sur une semaine ;

c) outre les cas visés aux alinéas a) et b), des problèmes d’ordre migratoire sont à l’origine d’une situation propre à représenter une menace pour la sûreté publique, l’ordre public ou la santé publique dans une agglomération, surtout si une station réceptrice ou une autre institution hébergeant des étrangers et située dans l’agglomération concernée, ou à sa périphérie, sont le théâtre de troubles ou d’actes violents.

2) L’état de crise dû à une immigration massive peut être déclaré par décret gouvernemental, à la demande du chef national de la police et du responsable de l’autorité compétente en matière d’asile, et sur proposition du ministre compétent. Il peut être déclaré pour la totalité du territoire hongrois ou pour une partie seulement.

(...) »

42. L’état de crise dû à une immigration massive fut déclaré le 15 septembre 2015 à midi pour les comtés de Bács-Kiskun et de Csongrád, où se situait la zone de transit de Röszke. Le 18 septembre 2015, il fut étendu aux comtés de Baranya, Somogy, Zala et Vas. Le 9 mars 2016, il fut étendu à l’ensemble du territoire hongrois, et ce jusqu’au 7 septembre 2018.

43. La loi no II de 2007 sur l’admission et le droit de séjour des ressortissants de pays tiers (« la loi sur l’immigration ») est ainsi libellée en ses dispositions pertinentes en l’espèce :

« Article 51

1) Le refoulement ou l’expulsion d’un ressortissant d’un État tiers ne peuvent être ordonnés ou exécutés ni vers le territoire d’un pays ne satisfaisant pas aux critères de « pays d’origine sûr » ou de « pays tiers sûr » à son égard – surtout lorsqu’il s’agit d’un pays où l’intéressé risque de faire l’objet de persécutions fondées sur la race, la religion, la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou l’opinion politique ‑, ni vers le territoire d’un pays ou la frontière d’un territoire où il existe de bonnes raisons de penser que l’intéressé risque de se voir infliger un traitement proscrit par l’article XIV § 2 de la Loi fondamentale[, notamment la peine capitale, des actes de torture ou toute autre forme de traitement ou de peine de nature inhumaine] (non‑refoulement).

2) Dès lors qu’un ressortissant d’un État tiers ayant déposé une demande d’asile est fondé, en vertu d’une loi distincte, à résider sur le territoire hongrois, son refoulement ou son expulsion ne peuvent être ni ordonnés ni mis à exécution tant que sa demande d’asile est en cours d’examen.

(...)

Article 52

1) L’autorité compétente en matière d’immigration tient compte du principe du non-refoulement dans toute procédure se rapportant au prononcé et à l’exécution d’un refoulement ou d’une expulsion.

(...) »

44. Le décret gouvernemental no 191/2015. (VII. (VII.21.) portant définition des pays d’origine sûrs et des pays tiers sûrs dispose :

« Article 2

Peuvent être considérés comme des « pays tiers sûrs », au sens de l’article 2 i) de la loi no LXXX de 2007 relative à l’asile, les États membres de l’Union européenne et les pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne (à l’exception de la Turquie)[2], les États membres de l’Espace économique européen, l’ensemble des états des États-Unis d’Amérique qui n’appliquent pas la peine de mort, ainsi que les pays suivants :

1. la Suisse,

2. la Bosnie-Herzégovine,

3. le Kosovo,

4. le Canada,

5. l’Australie,

6. la Nouvelle-Zélande.

Article 3

(...)

2) La procédure d’asile fondée sur la loi relative à l’asile offre à tout demandeur d’asile qui, avant d’arriver en Hongrie, a résidé dans un pays tiers classé comme sûr dans la liste de l’Union européenne ou à l’article 2 ci-dessus, ou est passé par un tel pays, la possibilité de démontrer que, dans son cas particulier, il ne pouvait pas avoir accès à une protection effective dans ce pays au sens de l’article 2 i) de la loi relative à l’asile. »

2. Évolution du droit interne en vigueur depuis le 28 mars 2017

45. La loi relative à l’asile fut modifiée le 28 mars 2017, notamment en sa partie relative aux règles applicables en cas de déclaration d’un état de crise dû à une immigration massive. En pareille situation, une demande de reconnaissance du statut de réfugié ne peut désormais être déposée – sauf à quelques rares exceptions près – que depuis la zone de transit, et les demandeurs sont tenus d’attendre dans cette zone jusqu’à ce que leur demande ait été examinée sur le fond et qu’une décision ait été prise (contrairement aux situations relevant de l’article 71/A § 5) ; ils ne sont pas autorisés à quitter la zone de transit même si leur demande n’a pas été jugée irrecevable). Les demandeurs d’asile disposent d’un délai de trois jours pour former un recours contre une décision d’irrecevabilité rendue par l’autorité compétente en matière d’asile (contre sept jours selon les règles ordinaires). Contrairement à la procédure ordinaire à la frontière, l’article 66 § 6 de la loi relative à l’asile ne s’applique pas, et le demandeur ne peut solliciter la reprise de la procédure si celle-ci a été interrompue consécutivement à son départ de la zone de transit.

46. En janvier 2018, les lois applicables furent à nouveau modifiées à la suite de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les procédures administratives générales (loi no CL de 2016) et du nouveau Code de la justice administrative (loi no I de 2017). Un nouvel amendement fut adopté en juillet 2018.

2. LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE
1. La directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte) (« la directive relative aux procédures d’asile »)

47. Le préambule de cette directive, en ses parties pertinentes en l’espèce, se lit ainsi :

« (...)

(38) Un grand nombre de demandes de protection internationale sont présentées à la frontière ou dans une zone de transit d’un État membre avant qu’il ne soit statué sur l’entrée du demandeur. Les États membres devraient pouvoir prévoir, dans des circonstances bien définies, des procédures d’examen de la recevabilité et/ou au fond qui permettraient de prendre une décision concernant ces demandes en de tels lieux.

(39) Afin de déterminer si une situation d’incertitude prévaut dans le pays d’origine d’un demandeur, les États membres devraient veiller à obtenir des informations précises et actualisées auprès de sources pertinentes telles que le BEAA, le HCR, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes. Les États membres devraient veiller à ce que tout report de la conclusion de la procédure ait lieu dans le plein respect des obligations qui leur incombent au titre de la directive 2011/95/UE et de l’article 41 de la Charte, sans préjudice de l’efficacité et de l’équité des procédures prévues dans la présente directive.

(...)

(43) Les États membres devraient examiner toutes les demandes au fond, c’est‑à‑dire évaluer si le demandeur concerné peut prétendre à une protection internationale conformément à la directive 2011/95/UE, sauf dispositions contraires de la présente directive, notamment lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’un autre pays procéderait à l’examen ou accorderait une protection suffisante. Notamment, les États membres ne devraient pas être tenus d’examiner une demande de protection internationale au fond lorsqu’un premier pays d’asile a octroyé au demandeur le statut de réfugié ou lui a accordé à un autre titre une protection suffisante et que le demandeur sera réadmis dans ce pays.

(44) Les États membres ne devraient pas être tenus d’examiner une demande de protection internationale au fond lorsqu’ils peuvent raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur, du fait d’un lien suffisant avec un pays tiers tel que défini par le droit national, cherche à obtenir une protection dans ce pays tiers et qu’il existe des raisons de penser que le demandeur sera admis ou réadmis dans ce pays. Les États membres ne devraient procéder de la sorte que dans les cas où le demandeur en question serait en sécurité dans le pays tiers concerné. Afin d’éviter les mouvements secondaires de demandeurs, il convient d’établir des principes communs pour la prise en considération ou la désignation, par les États membres, de pays tiers comme pays sûrs.

(45) Par ailleurs, en ce qui concerne certains pays tiers européens qui observent des normes particulièrement élevées en matière de droits de l’homme et de protection des réfugiés, les États membres devraient être autorisés à ne procéder à aucun examen ou à ne pas effectuer d’examen complet des demandes de protection internationale émanant de demandeurs provenant de ces pays tiers européens qui entrent sur leur territoire.

(46) Lorsque les États membres appliquent les concepts de pays tiers sûr au cas par cas ou désignent des pays comme sûrs en adoptant des listes à cet effet, ils devraient tenir compte, entre autres, des lignes directrices et manuels opérationnels, et des informations sur les pays d’origine et des activités, y compris de la méthodologie du BEAA concernant la présentation de rapports d’information sur les pays d’origine, visées dans le règlement (UE) no 439/2010 du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile, ainsi que des orientations pertinentes du HCR.

(47) Afin de faciliter l’échange régulier d’informations relatives à l’application nationale des concepts de pays d’origine sûr, de pays tiers sûr et de pays tiers européen sûr ainsi que l’examen régulier, par la Commission, de l’utilisation de ces concepts par les États membres, et de préparer une harmonisation éventuelle plus poussée dans le futur, les États membres devraient aviser ou informer périodiquement la Commission au sujet des pays tiers auxquels ces concepts sont appliqués. La Commission devrait informer régulièrement le Parlement européen du résultat de son examen.

(48) Afin d’assurer l’application correcte des concepts de pays sûr sur la base d’informations actualisées, les États membres devraient procéder à l’examen régulier de la situation dans ces pays, en se fondant sur toute une série de sources d’informations, y compris notamment des informations communiquées par les autres États membres, le BEAA, le HCR, le Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales concernées. Lorsque les États membres prennent connaissance de changements importants dans la situation des droits de l’homme d’un pays qu’ils ont désigné comme sûr, ils devraient veiller à ce que cette situation soit examinée le plus rapidement possible et, le cas échéant, reconsidérer la désignation de ce pays comme sûr. (...) »

48. L’article 31, intitulé « Procédure d’examen », est ainsi libellé en ses passages pertinents :

« (...)

8. Les États membres peuvent décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, d’accélérer une procédure d’examen et/ou de mener cette procédure à la frontière ou dans les zones de transit conformément à l’article 43 lorsque :

(...)

b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de la présente directive (...) »

49. L’article 33, intitulé « Demandes irrecevables », énonce :

« 1. Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) no 604/2013, les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive 2011/95/UE, lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2. Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

a) une protection internationale a été accordée par un autre État membre ;

b) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 35 ;

c) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur en vertu de l’article 38 ;

d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE ; ou

e) une personne à charge du demandeur introduit une demande après avoir, conformément à l’article 7, paragraphe 2, consenti à ce que son cas soit traité dans le cadre d’une demande introduite en son nom, et que rien dans la situation de la personne à charge ne justifie une demande distincte. »

50. L’article 34, intitulé « Dispositions spéciales concernant l’entretien sur la recevabilité », se lit ainsi en son passage pertinent en l’espèce :

« 1. Avant que l’autorité responsable de la détermination ne prenne une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale, les États membres autorisent le demandeur à exposer son point de vue concernant l’application des motifs visés à l’article 33 à sa situation particulière. À cette fin, ils mènent un entretien personnel sur la recevabilité de la demande. Les États membres ne peuvent prévoir d’exception à cette règle que conformément à l’article 42 dans le cas d’une demande ultérieure. (...) »

51. L’article 35, intitulé « Le concept de premier pays d’asile », dispose :

« Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur :

a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ; ou

b) jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement,

à condition qu’il soit réadmis dans ce pays.

En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, les États membres peuvent tenir compte de l’article 38, paragraphe 1. Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de premier pays d’asile à sa situation personnelle. »

52. L’article 36, intitulé « Le concept de pays d’origine sûr », énonce :

« 1. Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément à la présente directive ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne, que si :

a) ce dernier est ressortissant dudit pays ; ou

b) l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle,

et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE.

2. Les États membres prévoient dans leur droit national des règles et modalités supplémentaires aux fins de l’application de la notion de pays d’origine sûr. »

53. L’article 38, intitulé « Le concept de pays tiers sûr », se lit ainsi dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Les États membres peuvent appliquer le concept de pays tiers sûr uniquement lorsque les autorités compétentes ont acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur de protection internationale sera traité conformément aux principes suivants :

a) les demandeurs n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques ;

b) il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens de la directive 2011/95/UE ;

c) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève ;

d) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée ; et

e) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève.

2. L’application du concept de pays tiers sûr est subordonnée aux règles fixées dans le droit national, et notamment :

a) les règles prévoyant qu’un lien de connexion doit exister entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays[3] ;

b) les règles relatives aux méthodes appliquées par les autorités compétentes pour s’assurer que le concept de pays tiers sûr peut être appliqué à un pays déterminé ou à un demandeur déterminé. Ces méthodes prévoient un examen au cas par cas de la sécurité du pays pour un demandeur déterminé et/ou la désignation par l’État membre des pays considérés comme étant généralement sûrs ;

c) les règles, conformes au droit international, qui autorisent un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour un demandeur déterminé, ce qui, au minimum, permet au demandeur de contester l’application du concept de pays tiers sûr au motif que le pays tiers n’est pas sûr dans son cas particulier. Le demandeur est en outre autorisé à contester l’existence d’un lien entre lui-même et le pays tiers conformément au point a).

3. Lorsqu’ils exécutent une décision uniquement fondée sur le présent article, les États membres :

a) en informent le demandeur ; et

b) lui fournissent un document informant les autorités du pays tiers, dans la langue de ce pays, que la demande n’a pas été examinée quant au fond.

4. Lorsque le pays tiers ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et garanties fondamentales énoncés au chapitre II (...) »

54. L’article 39, intitulé « Le concept de pays tiers européen sûr », est ainsi libellé :

« 1. Les États membres peuvent prévoir qu’aucun examen, ou aucun examen complet, de la demande de protection internationale et de la sécurité du demandeur dans son cas particulier, tel que décrit au chapitre II, n’a lieu dans les cas où une autorité compétente a établi, en se fondant sur les faits, que le demandeur cherche à entrer, ou est entré, illégalement sur son territoire depuis un pays tiers sûr conformément au paragraphe 2.

2. Un pays tiers ne peut être considéré comme un pays tiers sûr aux fins du paragraphe 1 que :

a) s’il a ratifié la Convention de Genève sans aucune limitation géographique et s’il en respecte les dispositions ;

b) s’il dispose d’une procédure d’asile prévue par la loi ; et

c) s’il a ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et s’il en respecte les dispositions, notamment les normes relatives aux recours effectifs.

3. Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de pays tiers européen sûr au motif que le pays tiers concerné n’est pas sûr dans son cas particulier.

4. Les États membres concernés prévoient dans leur droit national les modalités d’application des dispositions du paragraphe 1 ainsi que les effets des décisions arrêtées en vertu de ces dispositions dans le respect du principe de non-refoulement, notamment en prévoyant des dérogations à l’application du présent article pour des raisons humanitaires ou politiques ou pour des motifs tenant au droit international public.

5. Lorsqu’ils exécutent une décision uniquement fondée sur le présent article, les États membres :

a) en informent le demandeur ; et

b) lui fournissent un document informant les autorités du pays tiers, dans la langue de ce pays, que la demande n’a pas été examinée quant au fond.

6. Lorsque le pays tiers sûr ne réadmet pas le demandeur, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et garanties fondamentales énoncés au chapitre II.

7. Les États membres informent régulièrement la Commission des pays auxquels ce concept est appliqué conformément au présent article (...) »

55. L’article 43, intitulé « Procédures à la frontière », dispose :

« 1. Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur :

a) la recevabilité d’une demande, en vertu de l’article 33, présentée en de tels lieux ; et/ou

b) le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8.

2. Les États membres veillent à ce que toute décision dans le cadre des procédures prévues au paragraphe 1 soit prise dans un délai raisonnable. Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, le demandeur se voit accorder le droit d’entrer sur le territoire de l’État membre afin que sa demande soit traitée conformément aux autres dispositions de la présente directive.

3. Lorsque l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1, ces procédures peuvent également être appliquées dès lors et aussi longtemps que ces ressortissants de pays tiers ou apatrides sont hébergés normalement dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit. »

56. L’article 46, intitulé « Droit à un recours effectif », se lit ainsi en ses passages pertinents en l’espèce :

« 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a) une décision concernant leur demande de protection internationale, y compris : (...)

ii) les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 33, paragraphe 2 ;

iii) les décisions prises à la frontière ou dans les zones de transit d’un État membre en application de l’article 43, paragraphe 1 (...)

3. Pour se conformer au paragraphe 1, les États membres veillent à ce qu’un recours effectif prévoie un examen complet et ex nunc tant des faits que des points d’ordre juridique, y compris, le cas échéant, un examen des besoins de protection internationale en vertu de la directive 2011/95/UE, au moins dans le cadre des procédures de recours devant une juridiction de première instance. »

57. Dans l’arrêt qu’elle rendit le 21 décembre 2011 dans les affaires conjointes N. S. et M.E. (C-411/10 et C-493/10), la CJUE statua, entre autres, sur le concept de pays tiers européen sûr. Elle conclut que le droit de l’Union européenne s’oppose à l’application d’une présomption irréfragable selon laquelle l’État membre que le règlement Dublin II désigne comme responsable respecte les droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle dit notamment ce qui suit :

« 103. (...) [l]a simple ratification des conventions par un État ne saurait entraîner l’application d’une présomption irréfragable de respect de ces conventions par cet État. (...)

104. Dans ces conditions, la présomption (...) que des demandeurs d’asile seront traités de manière conforme aux droits de l’homme doit être considérée comme réfragable. »

Dans le paragraphe 103 de son arrêt, la CJUE souligna clairement que ce principe s’applique tant aux États membres qu’aux États tiers.

2. La directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) (« la directive relative aux conditions d’accueil »)

58. L’article 8, intitulé « Placement en rétention », énonce :

« 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur conformément à la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

2. Lorsque cela s’avère nécessaire et sur la base d’une appréciation au cas par cas, les États membres peuvent placer un demandeur en rétention, si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

3. Un demandeur ne peut être placé en rétention que :

a) pour établir ou vérifier son identité ou sa nationalité ;

b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu’il y a risque de fuite du demandeur ;

c) pour statuer, dans le cadre d’une procédure, sur le droit du demandeur d’entrer sur le territoire ;

d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d’une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (...), pour préparer le retour et/ou procéder à l’éloignement, et lorsque l’État membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d’accéder à la procédure d’asile, qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ;

e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l’ordre public l’exige ;

f) conformément à l’article 28 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride.

Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national.

4. Les États membres veillent à ce que leur droit national fixe les règles relatives aux alternatives au placement en rétention, telles que l’obligation de se présenter régulièrement aux autorités, le dépôt d’une garantie financière ou l’obligation de demeurer dans un lieu déterminé. »

3. L’accord entre la Communauté européenne et la République de Serbie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier

59. Cet accord, approuvé par décision du Conseil le 8 novembre 2007 (2007/819/CE), dispose ce qui suit, en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Article 3

Réadmission des ressortissants des pays tiers et des apatrides

1. À la demande d’un État membre et sans autres formalités que celles précisées dans le présent accord, la Serbie réadmet sur son territoire tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions légales d’entrée, de présence ou de séjour applicables sur le territoire de l’État membre requérant, lorsqu’il est prouvé ou peut être valablement présumé sur la base du commencement de preuve fourni, que cette personne :

(...)

b) est entrée illégalement et directement sur le territoire des États membres après avoir séjourné sur, ou transité par, le territoire de la Serbie.

(...)

4. Lorsque la Serbie fait droit à la demande de réadmission, l’État membre requérant délivre à la personne qui en est l’objet le modèle type de document de voyage de l’Union européenne établi à des fins d’éloignement. »

4. La Recommandation (UE) 2016/2256 de la Commission européenne du 8 décembre 2016 adressée aux États membres concernant la reprise des transferts vers la Grèce au titre du règlement (UE) no 604/2013

60. Les passages pertinents de cette recommandation se lisent comme suit :

« 1) Depuis 2011, le transfert vers la Grèce de demandeurs d’une protection internationale au titre du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil (...) (ci-après le « règlement de Dublin ») est suspendu par les États membres, à la suite de deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH ») et de la Cour de justice de l’Union européenne, constatant, dans le régime d’asile grec, des défaillances systémiques constituant une violation des droits fondamentaux des demandeurs d’une protection internationale transférés depuis d’autres États membres vers la Grèce en vertu du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil. (...)

8) Dans ses précédentes recommandations, la Commission a pris note des améliorations que la Grèce a apportées à son cadre législatif afin de transposer dans son droit national les nouvelles dispositions juridiques de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil (...) relative aux procédures d’asile et certaines dispositions de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil (...) relative aux conditions d’accueil, deux instruments qui ont fait l’objet d’une refonte. Une nouvelle loi (la loi 4375/2016) a été adoptée par le Parlement grec le 3 avril 2016. Le 22 juin 2016, le Parlement a approuvé une modification de la loi 4375/2016, qui a notamment modifié la composition des commissions de recours et le droit des demandeurs d’asile à une procédure orale devant celles-ci. Le 31 août 2016, le Parlement grec a également adopté une loi concernant les enfants réfugiés en âge scolaire résidant en Grèce.

(...)

33) La Commission reconnaît l’importance des progrès accomplis par la Grèce, avec l’aide de la Commission, de l’EASO, des États membres et d’organisations internationales et non gouvernementales, dans le but d’améliorer le fonctionnement du régime d’asile grec depuis l’arrêt M.S.S./Belgique et Grèce rendu en 2011. La Grèce a néanmoins toujours des difficultés à traiter le grand nombre de nouvelles demandes d’asile, dues notamment à la mise en œuvre de l’exercice d’enregistrement préalable et à la poursuite des arrivées de migrants en situation irrégulière, bien qu’à des niveaux inférieurs à ceux observés avant mars 2016, et à ses obligations prévues dans la déclaration UE-Turquie. (...)

34) La Grèce a toutefois accompli des progrès sensibles en mettant en place les structures institutionnelles et juridiques indispensables au bon fonctionnement d’un régime d’asile, et il y a de bonnes chances qu’elle dispose d’un régime fonctionnant correctement dans un proche avenir, une fois que les derniers manquements auront été corrigés, notamment en ce qui concerne les conditions d’accueil et le traitement des personnes vulnérables, dont les mineurs non accompagnés. Il est dès lors approprié de recommander de reprendre les transferts progressivement et après avoir reçu des assurances au cas par cas, compte tenu, d’une part, des capacités d’accueil et de traitement des demandes en conformité avec la législation de l’Union européenne concernée et, d’autre part, du traitement non satisfaisant, à l’heure actuelle, de certaines catégories de personnes, en particulier les demandeurs vulnérables, dont les mineurs non accompagnés. En outre, la reprise devrait non pas être rétroactive, mais concerner uniquement les demandeurs d’asile dont la Grèce sera responsable à partir d’une date précise, afin d’éviter de lui imposer une charge insupportable. Il convient de recommander que cette date soit fixée au 15 mars 2017. »

3. LES RECOMMANDATIONS ET LIGNES DIRECTRICES DU CONSEIL DE L’EUROPE

61. En 1997, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe adopta des lignes directrices sur l’application de la notion de pays tiers sûr[4] aux demandeurs d’asile. Ces lignes directrices disposent qu’afin de déterminer si un État est un pays tiers sûr dans lequel un demandeur d’asile peut être envoyé, il convient de vérifier que toutes les conditions ci-dessous sont remplies dans chaque cas :

« a) respect par le pays tiers des normes internationales des droits de l’homme relatives à l’asile, telles qu’elles sont fixées par les instruments universels et régionaux, y compris le respect de l’interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

b) respect par le pays tiers des principes internationaux régissant la protection des réfugiés, tels qu’ils sont énoncés dans la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, eu égard en particulier au principe de non-refoulement ;

c) le pays tiers assurera une protection effective contre le refoulement et la possibilité de demander l’asile et d’en bénéficier ;

d) une protection effective a déjà été accordée au demandeur d’asile dans le pays tiers, ou il a eu la possibilité, à la frontière ou sur le territoire du pays tiers, d’entrer en contact avec les autorités de ce pays pour y solliciter une protection avant de se rendre dans l’État membre où il a demandé asile, ou le demandeur d’asile, en raison de sa situation personnelle, notamment de ses relations antérieures avec le pays tiers, peut être admis dans le pays tiers sur la base d’une preuve manifeste. »

62. En outre, les lignes directrices disposent ce qui suit :

« Les États devraient adopter des procédures visant à informer le demandeur d’asile et, dans la mesure où cela est nécessaire, les autorités du pays tiers que, lorsqu’un pays est considéré comme sûr selon les critères énoncés plus haut, les demandes d’asile ne sont généralement pas examinées au fond. »

63. En 2009, le Comité des Ministres, dans ses lignes directrices sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des procédures d’asile accélérées[5], dit que tous les demandeurs d’asile devaient avoir la possibilité effective de réfuter la présomption de sûreté du pays tiers. Il souligna que l’application de cette notion ne déchargeait pas un État de ses obligations en vertu de l’article 3 de la Convention. Il ajouta que les critères suivants devaient être respectés lorsque le concept de pays sûr était appliqué :

« a. le pays tiers a ratifié et mis en œuvre la Convention de Genève et son Protocole de 1967 sur le Statut des réfugiés ou des normes juridiques équivalentes et d’autres traités internationaux en matière de droits de l’Homme ;

b. le principe de non-refoulement est effectivement respecté ;

c. le demandeur d’asile concerné a accès, en droit et en pratique, à une procédure d’asile complète et équitable dans le pays tiers, en vue de déterminer son besoin de protection internationale ; et

d. le pays tiers accepte le demandeur d’asile. »

64. Dans sa Résolution 1471 (2005) relative aux procédures d’asile accélérées dans les États membres du Conseil de l’Europe, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe déclara, entre autres, ce qui suit :

« (...) l’Assemblée parlementaire invite les gouvernements des États membres du Conseil de l’Europe à prendre les mesures suivantes :

(...)

8.2. en ce qui concerne le principe du pays d’origine sûr :

1. adopter des mécanismes de protection clairs et démontrables destinés à garantir un accès effectif à une procédure de détermination de l’asile pouvant conduire à l’octroi du statut de réfugié ou à d’autres formes de protection internationale ;

2. faire en sorte que la charge de la preuve ne soit pas renversée, que le demandeur n’ait pas à prouver qu’un pays n’est pas sûr et qu’il ait une possibilité effective de réfuter la présomption de sûreté ;

3. prendre garde, lors de l’adoption d’une liste de pays d’origine sûrs dans le cadre de la proposition de directive du Conseil européen, de ne pas affaiblir les normes de protection des demandeurs d’asile venant des pays concernés et de ne pas remettre en cause le principe de la protection des réfugiés qui est fondé sur la situation individuelle du demandeur d’asile plutôt que sur une analyse générale et une évaluation du pays (...) »

4. RAPPORTS SUR LES VISITES ET ÉTUDES MENÉES PAR DES ORGANES INTERNATIONAUX ET DES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES
1. Sur la Hongrie

65. Le rapport adressé au gouvernement hongrois par le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements ou peines inhumains ou dégradants (« le CPT ») relativement à sa visite en Hongrie du 21 au 27 octobre 2015 renferme les passages suivants [traduction du greffe] :

« Le CPT note les efforts déployés aux fins de l’information et de l’assistance juridique aux ressortissants étrangers en rétention d’immigration et d’asile. Cependant, les ressortissants étrangers rencontrés dans la plupart des lieux visités estimaient très problématique l’absence d’informations sur leur situation juridique, sur les démarches futures à accomplir dans leurs procédures respectives et sur la durée de leur rétention (...)

Pour ce qui est des garanties protégeant les ressortissants étrangers contre le refoulement, le CPT, au vu du cadre législatif pertinent et de son application en pratique, doute que les procédures d’asile à la frontière soient concrètement entourées des garanties appropriées, qu’elles donnent aux ressortissants étrangers une possibilité réelle de présenter leurs arguments et qu’elles comportent une appréciation individuelle du risque de mauvais traitements dans le pays de refoulement.

(...)

Les deux zones de transit visitées par la délégation à Röszke et Tompa sont situées en territoire hongrois (...) Différents conteneurs servaient de bureaux, de salles d’attente, de réfectoires et de sanitaires (dotés de toilettes, de lavabos, de douches et de chauffe-eau), et une dizaine servaient à loger les ressortissants étrangers (en bas de page : les sanitaires étaient en bon état et n’appellent aucun commentaire particulier).

(...)

Tous les conteneurs d’hébergement avaient une superficie d’environ 13 m² et étaient meublés de deux à cinq lits équipés de matelas, d’oreillers et de draps propres. Ils étaient propres, la lumière naturelle et l’éclairage artificiel y étaient satisfaisants, et ils étaient équipés d’un appareil de chauffage électrique. Dans les deux zones de transit visitées, il y avait devant les conteneurs une petite zone, séparée du reste de l’enceinte de la zone de transit par une clôture, à laquelle les ressortissants étrangers avaient librement accès pendant la journée.

D’après ce que la délégation a pu constater, les ressortissants étrangers n’étaient habituellement retenus dans les zones de transit que pour une courte durée (jusqu’à 13 heures) et ne l’étaient quasiment jamais pendant la nuit. Cela dit, dans l’hypothèse où les ressortissants étrangers devraient être détenus dans la zone de transit pendant une plus longue durée, il faudrait alors réduire la capacité maximale des conteneurs d’hébergement et les doter d’un mobilier rudimentaire.

(...)

Globalement, les installations de santé et les soins médicaux généraux dispensés aux ressortissants étrangers dans l’ensemble des lieux visités ont fait bonne impression à la délégation.

(...)

De plus, certains ressortissants étrangers en rétention qui se sont entretenus avec la délégation ignoraient qu’ils avaient droit à un avocat, qui plus est à un avocat désigné d’office. Quelques-uns ont affirmé que des policiers leur avaient dit qu’un tel droit n’existait pas en Hongrie. La majorité des ressortissants étrangers ayant effectivement bénéficié du concours d’un avocat commis d’office se sont par ailleurs plaints de ce qu’ils n’avaient pu le consulter avant d’être interrogés par la police ou de comparaître en justice, ou de ce que l’avocat était selon eux resté complètement passif tout au long de l’interrogatoire de police ou de l’audience judiciaire. À cet égard, il faut noter aussi que plusieurs ressortissants étrangers ont dit qu’ils n’étaient pas sûrs de savoir si un avocat avait été désigné pour les assister parce qu’il y avait simplement eu à leur côté au cours des procédures officielles une personne inconnue qui ne leur avait pas adressé la parole et n’avait rien dit dans leur intérêt.

(...)

Cependant, la majorité des ressortissants étrangers avec lesquels la délégation s’est entretenue ont affirmé qu’ils n’avaient pas été informés de leurs droits lors de leur interpellation par la police (et encore moins dans une langue qu’ils pouvaient comprendre) et que tous les documents qu’ils avaient reçus depuis leur entrée dans le pays étaient en hongrois.

(...)

[D]e nombreux ressortissants étrangers (y compris des mineurs non accompagnés) se sont plaints de la qualité des services d’interprétation et en particulier du fait qu’on les avait obligés à signer des documents en hongrois dont le contenu ne leur avait pas été traduit et qu’ils ne pouvaient donc pas comprendre.

(...)

(...) le CPT doute fortement que les procédures d’asile à la frontière soient en pratique entourées des garanties appropriées, qu’elles donnent aux ressortissants étrangers une possibilité réelle de présenter leurs arguments et qu’elles comportent une appréciation individuelle du risque de mauvais traitements en cas d’éloignement, et donc qu’elles offrent une protection effective contre le refoulement, compte tenu aussi de ce que, selon le HCR, la Serbie ne peut plus être considérée comme un pays d’asile sûr en raison des lacunes de son système d’asile, notamment de son incapacité à faire face au nombre croissant de demandes d’asile (...) »

66. Le CPT se rendit de nouveau dans la zone de transit de Röszke en octobre 2017. Dans le rapport qu’il rédigea à la suite de cette visite, il indiquait que la zone avait certes été agrandie mais que la liberté de mouvement des demandeurs d’asile restait limitée au secteur dans lequel se trouvait leur conteneur. Il observait que les lieux étaient bien entretenus et que des efforts étaient faits pour permettre des activités récréatives. Il relevait toutefois que la quasi-totalité des conteneurs étaient utilisés à leur capacité maximale, ce qui signifiait que cinq personnes devaient dormir dans un conteneur de 13 m².

67. Dans le rapport (SG/Inf(2017)33) qu’il rendit le 13 octobre 2017 consécutivement à une mission d’enquête menée en juin 2017, l’ambassadeur Tomáš Boček, Représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés, formulait, entre autres, les observations suivantes concernant la zone de transit de Röszke : la zone était entourée d’une clôture de barbelés et gardée en permanence ; elle était divisée en deux sections, l’une pour les familles, l’autre pour les hommes seuls ; la section réservée aux hommes seuls était composée d’une rangée de conteneurs placés l’un à côté de l’autre, de part et d’autre d’une allée d’environ deux mètres de large ; les personnes hébergées dans une section donnée ne pouvaient se rendre dans les autres parties de la zone que pour des visites médicales ou pour leurs entretiens avec les autorités compétentes en matière d’asile, toujours sous l’escorte de gardiens, même à l’intérieur de la zone de transit. Il exposait également qu’à l’époque de sa visite, en juin 2017, les autorités hongroises lui avaient indiqué que la durée moyenne de séjour dans la zone était de 33 jours, mais qu’il s’était entretenu avec des personnes qui avaient mentionné des durées de confinement de deux mois et plus. Il décrivait par ailleurs les conditions de vie dans la zone et observait que les conditions d’hygiène y étaient bonnes, que les personnes qui y séjournaient recevaient trois repas par jour, dont un repas chaud, et qu’il y avait un cabinet médical où des soins médicaux élémentaires étaient dispensés.

68. Dans un rapport intitulé « La Hongrie, pays d’asile. Observations sur les mesures juridiques restrictives et la pratique consécutive adoptées entre juillet 2015 et mars 2016 » (Hungary as a country of asylum. Observations on restrictive legal measures and subsequent practice implemented between July 2015 and March 2016), publié en mai 2016, le HCR fit les observations suivantes [traduction du greffe] :

« 19. De plus, ainsi qu’il a été noté au paragraphe 15 ci-dessus, la loi relative à la frontière d’État dispose que les demandeurs d’asile doivent être « logés temporairement » dans la zone de transit. Les autorités hongroises affirment que ces individus ne sont pas « détenus » puisqu’ils sont libres de quitter la zone de transit à tout moment en direction de l’endroit d’où ils viennent. Cependant, ainsi qu’il a été souligné au paragraphe 16 ci-dessus, ils ne sont pas autorisés à entrer en Hongrie. Le HCR y voit une lourde restriction à la liberté de circulation assimilable à une privation de liberté. À ce titre, ces mesures devraient notamment être entourées des garanties en matière de rétention énoncées dans la directive de l’Union européenne sur les conditions d’accueil (refonte).

(...)

71. En tout état de cause, le HCR s’en tient à la position, exposée en août 2012 dans ses observations sur le système d’asile en Serbie, selon laquelle aucun demandeur d’asile ne devrait être reconduit dans ce pays. Alors que le nombre de demandeurs d’asile transitant par la Serbie a depuis lors fortement augmenté, nuisant encore plus qu’auparavant à la capacité de ce système à apporter des solutions conformes aux normes internationales, bon nombre des constats et conclusions tirés par le HCR en août 2012 demeurent valables. Par exemple, entre le 1er janvier et le 31 août 2015, le tribunal des délits de Kanjiža a sanctionné pour séjour illégal ou franchissement illégal de frontière 3 150 ressortissants d’États tiers renvoyés de Hongrie vers la Serbie, leur imposant une amende dans la plupart des cas. Ces personnes se voient refuser le droit de (re)demander l’asile en Serbie. »

69. Le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés (« l’ECRE ») établit le 1er octobre 2015 un rapport intitulé « Franchir les frontières : la nouvelle procédure d’asile à la frontière et les restrictions à l’accès à la protection en Hongrie » (Crossing Boundaries: The new asylum procedure at the border and restrictions to accessing protection in Hungary), qui contient les passages suivants [traduction du greffe] :

« En cas d’expulsion vers la Serbie [depuis la Hongrie], les demandeurs ne peuvent en principe ni lancer une procédure d’asile ni bénéficier des conditions d’accueil en Serbie. À leur retour, ils sont poursuivis pour franchissement illégal de frontière, une infraction pénale sanctionnée par une amende ou une peine d’emprisonnement. Dans la pratique, la plupart des demandeurs reçoivent un avertissement et ne se voient pas infliger de sanction après leur condamnation. La décision du tribunal est toutefois accompagnée d’une décision du Ministre révoquant le droit des intéressés de résider sur le territoire serbe. À la suite d’une telle décision, les demandeurs ne sont plus autorisés à séjourner dans les camps de réfugiés du pays et, n’ayant pas d’adresse officielle, ils ne peuvent déposer officiellement une demande d’asile en Serbie.

(...)

(...) [L]es transferts vers la Hongrie sont susceptibles d’exposer les demandeurs à un risque réel d’expulsions en chaîne vers la Serbie, ce qui peut faire naître une pratique de refoulement indirect interdite par les règles de protection des droits de l’homme. Sur ce même fondement, un certain nombre de transferts de type Dublin vers la Hongrie ont été suspendus par des juridictions allemandes ou autrichiennes.

Étant donné que la notion de « pays tiers sûr » s’applique automatiquement (de manière rétroactive) aux personnes entrant par la Serbie et que la reconduite de ces personnes en Hongrie crée un risque de refoulement, l’ECRE appelle les États membres à cesser les transferts vers la Hongrie, en vertu du règlement Dublin, de demandeurs de protection internationale. »

70. La « Fiche d’information jurisprudentielle : prévention des transferts de type Dublin vers la Hongrie » (Case Law Fact Sheet: Prevention of Dublin Transfers to Hungary) publiée par l’ECRE en janvier 2016 renferme les passages suivants [traduction du greffe] :

« Une très riche jurisprudence récente renvoie, en lien avec la prévention des transferts vers le pays, aux modifications apportées en août et en septembre à la loi hongroise relative à l’asile. De plus, les réformes législatives hongroises ont eu une incidence sur les réformes entreprises ailleurs, comme le montre la décision prise en octobre 2015 par la Commission de recours des réfugiés danoise de suspendre tous les transferts de type Dublin vers la Hongrie.

(...)

L’entrée en vigueur en août et septembre 2015 de la législation établissant une base juridique pour la construction d’une clôture à la frontière serbo-hongroise, conjointement à d’autres réformes législatives érigeant en infractions pénales l’entrée irrégulière sur le territoire et l’endommagement de la clôture, a fait naître un climat extrêmement hostile à l’égard des demandeurs d’asile, en violation du droit à l’asile, du droit à l’accès effectif à des procédures et du principe de non-criminalisation des réfugiés. (...)

C’est l’imposition d’une procédure de recevabilité dans les zones de transit, et en particulier d’un motif d’irrecevabilité se rapportant à la notion de pays tiers sûr, qui est au cœur d’une bonne partie de cette jurisprudence. Le décret gouvernemental no 191/2015 qualifie de sûrs certains pays tels que la Serbie, ce qui a conduit les autorités hongroises à déclarer irrecevables toutes les demandes d’asile de personnes passées par ce pays. Vu l’emplacement des zones de transit à la frontière serbo‑hongroise, plus de 99 % des demandes d’asile ont été rejetées sur cette base, sans examen au fond, par l’Office de l’immigration et de la nationalité. De plus, les violations procédurales patentes des règles de l’Union européenne engendrées par ce processus sont attestées par le Comité Helsinki en Hongrie ainsi que par l’ECRE. Au vu des dernières statistiques, ce processus est encore en plein essor, le Commissaire aux droits de l’homme ayant indiqué que, entre la mi-septembre et la fin du mois de novembre 2015, 311 des 372 décisions d’irrecevabilité rendues tant à la frontière que dans le cadre d’une procédure accélérée étaient elles-mêmes fondées sur la notion de pays tiers sûr. Face à l’absence manifeste de recours effectifs contre les décisions de ce type et à l’interdiction de territoire d’une ou deux années dont elles sont assorties, différents acteurs ainsi que des magistrats ont dit que la Hongrie manquait à ses obligations de non-refoulement. »

71. Dans un rapport de 2015 intitulé « Parqués – la Hongrie viole les droits des réfugiés et des migrants » (Fenced Out, Hungary’s Violations of the Rights of Refugees and Migrants), Amnesty International indiquait ce qui suit [traduction du greffe] :

« Les personnes qui, à partir du 15 septembre, étaient confinées au poste-frontière de Röszke/Horgoš pouvaient en théorie déposer une demande d’asile (...) Une ou deux fois par heure, un agent de police accompagné d’un interprète en langues arabe, farsi et ourdoue ouvrait la porte du conteneur et choisissait au hasard des groupes de deux à cinq personnes qu’il autorisait à pénétrer dans la « zone de transit ». Ces personnes pensaient qu’on les autoriserait ensuite à se rendre en Hongrie. (...) [C]ependant, la majorité d’entre elles étaient directement renvoyées en Serbie. Les autres se retrouvaient coincées dans le camp de fortune qui avait été installé à la frontière, à espérer que la frontière serait ouverte à un moment donné. Certaines abandonnaient et quittaient la zone immédiatement, et d’autres restaient quelques jours de plus avant de se rendre en Croatie car il devenait évident que la frontière resterait close indéfiniment. Un homme, qui voyageait avec un groupe de cinquante Syriens et qui avait quitté le 16 septembre 2015 le camp de fortune installé au poste-frontière de Röszke/Horgoš [apparemment en direction de la Serbie] expliqua à Amnesty International : « Nous n’avons pas essayé [d’entrer] dans les « zones de transit ». Nous avons entendu que tous ceux qui avaient essayé avaient échoué et nous craignions de ne pas pouvoir tenter notre chance ailleurs par la suite [parce que nous aurions été enregistrés dans le système d’information Schengen]. » »

2. Sur la Serbie

72. Depuis 2001, la Serbie est partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et à son Protocole additionnel de 1967.

73. Un rapport intitulé « La Serbie, pays d’asile : observations sur la situation des demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection internationale en Serbie » (Serbia as a Country of Asylum; Observations on the Situation of Asylum-Seekers and Beneficiaries of International Protection in Serbia), rédigé en août 2012 par le HCR, contient les passages suivants [traduction du greffe] :

« 37. Selon le HCR, la liste de pays tiers sûrs adoptée par le gouvernement serbe est trop longue et elle est appliquée de manière trop large (...)

38. L’Office de l’asile applique la « notion de pays tiers sûr » à l’ensemble des demandeurs d’asile qui sont passés par des pays figurant sur la liste, sans veiller à la mise en place, au cas par cas, de garanties adéquates, comme une garantie de réadmission et d’accès à la procédure d’asile dans le soi-disant pays tiers sûr.

(...)

75. Le risque d’expulsion vers le pays d’origine est relativement faible pour les personnes transférées vers la Serbie en vertu d’accords de réadmission. À la connaissance du HCR, bien que la Serbie ait signé des accords de réadmission avec la Communauté européenne et plusieurs accords bilatéraux avec des États membres de l’Union européenne et d’autres États, les ressortissants étrangers sont transférés vers la Serbie depuis la Hongrie, la Croatie et la Bosnie-Herzégovine uniquement. Lorsqu’ils sont accueillis par la police des frontières serbe à leur retour, les ressortissants étrangers sont généralement présentés aux tribunaux locaux et condamnés pour franchissement illégal de frontière à une courte peine de prison (dix à quinze jours) ou à une amende (habituellement équivalente à 50 euros). Ils reçoivent généralement l’ordre de quitter le territoire serbe sous trois jours, mais cet ordre n’est pas mis à exécution. Étant donné l’absence de procédure d’expulsion, on les laisse le plus souvent repartir par leurs propres moyens, et nombre d’entre eux poursuivent leur voyage vers l’Europe de l’Ouest.

76. Le HCR a néanmoins reçu, en novembre 2011 puis en février 2012, des éléments indiquant que des migrants renvoyés en Serbie depuis la Hongrie étaient directement conduits en autocar vers l’ex-République yougoslave de Macédoine (...) D’après d’autres éléments, la police serbe rassemble des migrants irréguliers en Serbie et les renvoie de la même manière vers l’ex-République yougoslave de Macédoine.

(...)

79. (...) Malgré des améliorations progressives, concernant les normes en matière d’accueil notamment, le système d’asile de la Serbie ne permet pas de gérer l’augmentation récente du nombre de demandeurs d’asile. Cette situation a mis en lumière des défaillances importantes en matière d’effectifs, d’expertise, d’infrastructures, de mise en œuvre législative et de soutien des pouvoirs publics. (...) Le système actuel n’est manifestement pas en mesure d’apporter au nombre croissant de demandeurs d’asile une réponse conforme aux normes internationales et européennes. Ces défaillances, auxquelles s’ajoute le fait qu’absolument aucun étranger ne s’y est vu reconnaître le statut de réfugié depuis avril 2008, montrent clairement que le système d’asile en général ne reconnaît pas correctement les personnes ayant besoin d’une protection internationale.

80. Il est nécessaire de mettre en place une procédure d’asile juste et efficace qui non seulement soit conforme au cadre législatif existant mais qui permette aussi de traiter d’une manière appropriée et conforme aux règles internationales les demandes d’un nombre croissant de demandeurs d’asile. (...)

81. Pour les raisons énoncées ci-dessus, le HCR recommande, tant qu’un système n’aura pas été pleinement mis en place en Serbie, que ce pays ne soit pas considéré comme un pays d’asile tiers sûr, et que les pays s’abstiennent donc d’y renvoyer des demandeurs d’asile. »

74. D’après le « Rapport par pays : Serbie » (Country Report: Serbia) de l’AIDA (Asylum Information Database), publié par l’ECRE et mis à jour au 31 décembre 2016, « l’adoption de la nouvelle loi relative à l’asile, initialement prévue pour 2016, a été ajournée ».

75. Dans le rapport (SG/Inf(2017)33) qu’il rendit le 13 octobre 2017 consécutivement à une mission d’enquête menée en juin 2017, l’ambassadeur Tomáš Boček, Représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l’Europe sur les migrations et les réfugiés formulait, entre autres, les observations suivantes relativement à la Serbie [traduction du greffe] :

« Les rapports des ONG (...) tendent à montrer qu’en 2016, des étrangers ont fait l’objet d’expulsions arbitraires et collectives depuis la Serbie vers l’ex-République yougoslave de Macédoine et la Bulgarie. Au cours de notre mission, les autorités serbes nous ont confirmé qu’il était arrivé que des réfugiés et des migrants fussent refoulés de Serbie vers les pays voisins susmentionnés (...)

Il convient de souligner que l’écrasante majorité de ceux qui ont exprimé leur intention de demander l’asile en Serbie ne souhaitent pas y rester, leur objectif étant d’atteindre d’autres pays européens. En conséquence, ils ne déposent pas de demande d’asile en Serbie, ou abandonnent la procédure s’ils en ont engagé une. Au cours des six premiers mois de l’année 2017, sur 3 251 personnes ayant fait part de leur intention de demander l’asile, 151 seulement ont effectivement déposé une demande. (...) »

76. Selon le Centre des droits de l’homme de Belgrade, une organisation non gouvernementale, les autorités serbes ont accordé le statut de réfugié à six demandeurs et une protection subsidiaire à douze autres entre le 1er avril 2008 et le 31 décembre 2014 (Centre des droits de l’homme de Belgrade, Le droit d’asile en République serbe (Right to Asylum in the Republic of Serbia) 2014, p. 20).

77. En vertu de la « Décision portant définition de la liste des pays d’origine sûrs et des pays tiers sûrs » publiée au Journal officiel no 67/2009 de la République de Serbie par le gouvernement serbe et entrée en vigueur en 2015, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la Grèce et la Turquie, entre autres, sont considérées comme des pays tiers sûrs.

3. Sur la République de Macédoine du Nord

78. Le rapport intitulé « L’ex-République yougoslave de Macédoine, pays d’asile » (The former Yugoslav Republic of Macedonia As a Country of Asylum), élaboré en août 2015 par le HCR, contient les passages suivants [traduction du greffe] :

« 5. La loi sur l’asile et la protection temporaire, qui est la loi nationale en matière d’asile en vigueur dans l’ex-République yougoslave de Macédoine, a été profondément remaniée en 2012, et sa version modifiée est entrée en vigueur en 2013. Le HCR a participé au processus de rédaction, de manière à garantir la conformité de la législation avec les normes internationales. La loi transpose désormais de nombreuses dispositions clés de la Convention de 1951. De plus, ses dispositions relatives à la protection subsidiaire sont conformes aux normes pertinentes de l’Union européenne. La loi offre aussi aux bénéficiaires d’une protection internationale les mêmes droits que ceux qu’elle offre aux nationaux, ainsi qu’une assistance judiciaire gratuite à tous les stades de la procédure d’asile. Toutefois, certaines dispositions essentielles ne sont toujours pas conformes aux normes internationales. En réponse à une augmentation massive des migrations irrégulières, la loi relative à l’asile et à la protection temporaire a été récemment remodifiée aux fins d’une réforme des règles restrictives qui régissaient auparavant les demandes d’asile en ex-République yougoslave de Macédoine, étant donné que ces règles exposaient les demandeurs d’asile à un risque de rétention arbitraire et de refoulement à la frontière. Les nouvelles dispositions, adoptées le 18 juin 2015, instaurent une procédure de prise d’acte de l’intention de présenter une demande d’asile à la frontière, protègent les demandeurs d’asile du risque de refoulement et permettent à ceux-ci d’entrer et de séjourner dans le pays légalement pendant une courte durée (72 heures), avant l’enregistrement formel de leur demande d’asile.

(...)

46. Malgré ces nouveaux éléments positifs, le HCR considère que dans la pratique le système d’asile présente toujours de graves défaillances. À l’heure actuelle, l’ex‑République yougoslave de Macédoine n’est pas en mesure de garantir aux demandeurs d’asile un accès à une procédure d’asile équitable et effective. (...) Ces procédures d’asile inadéquates conduisent à de faibles taux de reconnaissance du statut de réfugié, même pour la minorité des demandeurs d’asile qui restent sur le territoire de l’ex-République yougoslave de Macédoine pour attendre l’issue de leur demande. »

EN DROIT

1. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES SOULEVÉES PAR LE GOUVERNEMENT DÉFENDEUR
1. L’exception relative au respect du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention

79. Comme il l’a fait devant la chambre, le gouvernement défendeur plaide que les requérants ont soulevé hors du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention le grief fondé sur l’article 13 combiné avec l’article 3 et consistant à dire qu’ils n’avaient à leur disposition aucun recours propre à leur permettre de se plaindre des conditions de vie qui régnaient dans la zone de transit frontalière de Röszke. Les requérants invitent la Grande Chambre à faire sienne la conclusion de la chambre selon laquelle ce grief a bien été soulevé dans les délais et est donc recevable.

80. En vertu de l’article 35 § 4 de la Convention, la Cour peut « à tout stade de la procédure » rejeter une requête qu’elle juge irrecevable. Ainsi, même au stade de l’examen au fond d’une requête, la Grande Chambre peut, sous réserve de ce qui est prévu à l’article 55 du règlement de la Cour, réexaminer une décision de recevabilité (voir, par exemple, Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 89, 5 septembre 2017, et les références citées).

81. La Cour relève qu’en l’espèce le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention a commencé à courir, en ce qui concerne le grief en question, le 9 octobre 2015, soit le lendemain du départ des requérants de la zone de transit (paragraphe 8 ci-dessus), pour prendre fin le 8 avril 2016 (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 44, 29 juin 2012).

82. La question décisive en l’espèce est celle de savoir si le grief en question a été formulé dans des observations présentées dans le délai imparti. Devant la chambre, les requérants avaient fait référence à plusieurs passages de leur lettre du 25 septembre 2015, ainsi qu’à leur formulaire de requête daté du 13 octobre 2015, arguant que le grief en question y était soulevé. La chambre a considéré que le grief avait été formulé dans la lettre des requérants en date du 25 septembre 2015, et qu’il avait donc été soulevé dans les délais (paragraphes 3 et 92 à 95 de l’arrêt de la chambre).

83. Les requérants avaient notamment renvoyé au passage suivant de leur lettre du 25 septembre 2015 (dont l’original est en anglais) :

« Les dispositions du droit hongrois en vigueur ne permettent aux tribunaux ni de contrôler la régularité de la privation de liberté, ni d’examiner les conditions dans lesquelles les requérants/ressortissants de pays tiers sont retenus dans la zone de transit, ni de fixer une limite à la durée de la rétention. »

84. La Cour note que ce passage figure dans une partie de la lettre qui était uniquement consacrée à la question de savoir si le séjour des requérants dans la zone de transit devait s’analyser en une privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. Cette même lettre, longue de 15 pages, contenait une partie distincte relative aux conditions matérielles qui régnaient dans la zone de transit et à la thèse selon laquelle ces conditions devaient être réputées constituer une violation de l’article 3, mais aucun grief relatif à l’absence alléguée de recours effectif n’y est soulevé. Dans ces circonstances, il apparaît que la mention dans le passage précité des « conditions dans lesquelles les requérants (...) sont retenus dans la zone de transit » fait référence aux conditions ayant une incidence sur la question de savoir s’il y a eu privation de liberté au sens de l’article 5 et, dans l’affirmative, si pareille privation de liberté était régulière. L’article 13 n’est mentionné dans la lettre du 25 septembre 2015 qu’en relation avec les recours formés par les requérants contre la décision d’expulsion.

85. D’après la jurisprudence de la Cour, pour introduire un grief et interrompre ainsi l’écoulement du délai de six mois, il y a lieu d’indiquer la base factuelle sur laquelle repose le grief ainsi que la nature de la violation de la Convention qui est alléguée (Fábián, précité, § 94, Abuyeva et autres c. Russie, no 27065/05, § 222, 2 décembre 2010, et Allan c. Royaume-Uni (déc.), no 48539/99, 28 août 2001). En vertu du paragraphe 7 de l’Instruction pratique sur l’introduction de l’instance édictée par le président de la Cour au titre de l’article 32 du règlement de la Cour, telle qu’en vigueur à l’époque où les requérants ont déposé leur formulaire de requête daté du 13 octobre 2015, le requérant doit exposer ses griefs et fournir des informations qui « doivent être suffisantes pour permettre à la Cour de déterminer la nature et l’objet de la requête ». La Cour ne saurait considérer sur le simple fondement d’expressions ambiguës ou de mots isolés qu’un grief a été soulevé.

86. En l’espèce, la Grande Chambre estime que le passage précité de la lettre des requérants est trop équivoque pour que l’on puisse considérer qu’ils y formulent le grief en question.

87. La Grande Chambre a également examiné le reste des observations déposées par les requérants le 25 septembre et le 13 octobre 2015, sans toutefois parvenir à y trouver mention d’un grief fondé par les intéressés sur l’article 13 combiné avec l’article 3 et consistant à dire qu’ils n’avaient à leur disposition aucun recours propre à leur permettre de se plaindre des conditions de vie qui régnaient dans la zone de transit de Röszke. À cet égard, il est important de noter que ces observations ont été rédigées par un avocat et qu’elles contiennent un raisonnement détaillé, organisé en différentes parties correspondant chacune à un grief donné. Il fait peu de doute que s’ils avaient eu l’intention de soulever le grief en question, les requérants y auraient consacré un point distinct ou une partie spécifique. La Cour estime par conséquent que ce grief n’a été soulevé par les requérants ni en septembre ni en octobre 2015.

88. Le grief en question a été mentionné pour la première fois dans les observations en réponse communiquées par les requérants le 29 août 2016, soit bien après l’expiration du délai de six mois. Il a de nouveau été soulevé ultérieurement, dans les observations complémentaires que les requérants ont déposées le 28 novembre 2016.

89. Il s’ensuit que l’exception préliminaire du Gouvernement doit être accueillie et que le grief, fondé par les requérants sur l’article 13 combiné avec l’article 3, selon lequel ils n’avaient à leur disposition aucun recours leur permettant de se plaindre des conditions de vie qui régnaient dans la zone de transit de Röszke doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 § 4 de la Convention au motif qu’il a été soulevé après l’expiration du délai de six mois prévu par l’article 35 § 1.

2. L’exception relative à la qualité de victime des requérants

90. Le gouvernement défendeur réitère devant la Grande Chambre l’exception concernant la qualité de victime des requérants relativement au grief que ceux-ci formulent sur le terrain de l’article 3 au sujet de leur expulsion vers la Serbie. Il note que les requérants ne se sont jamais plaints, ni auprès des autorités serbes ni auprès de la Cour, d’avoir été refoulés de Serbie ou d’avoir subi des mauvais traitements dans ce pays. Il y voit une preuve manifeste que les requérants n’ont été exposés à aucun risque pendant la procédure d’asile en Hongrie, et qu’ils ne peuvent donc prétendre avoir été, à quelque moment que ce soit, victimes au sens de l’article 34 de la Convention de la violation de l’article 3 qu’ils allèguent.

91. Les requérants récusent cette thèse, comme ils l’ont déjà fait devant la chambre. Celle-ci a écarté l’exception soulevée par le Gouvernement et déclaré recevable le grief fondé sur l’article 3 (paragraphes 103 à 107 de l’arrêt de la chambre).

92. La Cour considère que la question de savoir si les requérants encouraient un risque réel de subir des mauvais traitements en cas d’expulsion vers la Serbie, qui sous-tend l’exception soulevée par le Gouvernement, peut concerner la substance du grief fondé sur l’article 3 mais non le point de savoir si les intéressés possèdent ou non la qualité de « victime » requise par l’article 34 de la Convention.

93. Pour ce qui est de la qualité de victime, il suffit de constater que les requérants ont été directement touchés par les actes et actions qu’ils dénoncent dans la mesure où la décision d’expulsion les concernant était contraignante et exécutoire, et où elle a effectivement été suivie de leur renvoi de Hongrie vers la Serbie. Dans ces circonstances, les requérants peuvent se prétendre victimes de la violation alléguée à raison de leur expulsion (voir, par exemple, le raisonnement suivi par la Cour dans l’affaire Vijayanathan et Pusparajah c. France, 27 août 1992, §§ 43 à 47, série A no 241‑B).

94. Observant, en outre, que le Gouvernement n’avance pas qu’il existait un autre événement, comme l’adoption par les autorités hongroises de mesures favorables aux requérants et la reconnaissance d’une violation, ayant pour effet de retirer aux requérants la qualité de « victime » (Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 83, 26 avril 2016), la Cour rejette l’exception préliminaire du Gouvernement concernant la qualité de « victime » au sens de l’article 34 de la Convention.

3. L’exception fondée sur l’application par la Hongrie en l’espèce du droit de l’Union européenne

95. Le gouvernement défendeur soutient que la Hongrie a agi conformément au droit de l’Union européenne, ce qui d’après lui limite la compétence de la Cour.

96. La Cour rappelle que même lorsqu’ils appliquent le droit de l’Union européenne, les États contractants demeurent soumis aux obligations qu’ils ont librement contractées en adhérant à la Convention. Néanmoins, lorsque deux conditions – absence de marge de manœuvre pour les autorités nationales et déploiement de l’intégralité des potentialités du mécanisme de contrôle prévu par le droit de l’Union européenne – sont réunies, ces obligations doivent être appréciées à la lumière de la présomption de conformité avec la Convention, telle qu’établie dans la jurisprudence de la Cour (Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, § 105, 23 mai 2016, et les références citées). L’État demeure entièrement responsable au regard de la Convention de tous les actes ne relevant pas strictement de ses obligations juridiques internationales (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 157, CEDH 2005‑VI).

97. En l’espèce, le droit pertinent de l’Union européenne (paragraphes 47 à 58 ci-dessus) consiste en des directives qui n’imposaient pas à la Hongrie l’obligation d’agir comme elle l’a fait, notamment de retenir les requérants dans la zone de transit, de leur interdire d’entrer en Hongrie, de ne pas examiner leur demande d’asile au fond, de s’appuyer sur l’existence d’un pays tiers sûr et de considérer la Serbie comme un tel pays. Les autorités hongroises ont exercé le pouvoir d’appréciation que le droit de l’Union européenne leur conférait, et les mesures litigieuses qu’elles ont prises ne relevaient pas strictement de leurs obligations juridiques internationales. Partant, la présomption de protection équivalente dans l’ordre juridique de l’Union européenne n’est pas applicable en l’espèce, et la Hongrie est entièrement responsable au regard de la Convention des actes litigieux (pour une conclusion similaire, voir M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 340, CEDH 2011).

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION À RAISON DE L’EXPULSION DES REQUÉRANTS VERS LA SERBIE

98. Les requérants allèguent que leur expulsion vers la Serbie les a exposés à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. L’arrêt de la chambre

99. La chambre a observé que de janvier 2013 à juillet 2015 la Hongrie ne considérait pas la Serbie comme un pays tiers sûr, et que le Gouvernement n’avait avancé aucune explication ou raison convaincante propre à justifier son changement de position, compte tenu, en particulier, des réserves émises par le HCR et d’autres organisations internationales de protection des droits de l’homme reconnues. Elle a noté également que les autorités hongroises n’avaient pas cherché à confirmer qu’en cas d’expulsion vers la Serbie, les requérants ne seraient pas ensuite expulsés vers la Grèce, où les conditions d’accueil des demandeurs d’asile étaient contraires aux normes découlant de la Convention. Relevant également la présence d’autres déficiences procédurales, elle a conclu que les requérants n’avaient pas bénéficié de garanties effectives qui les auraient protégés contre un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants emportant violation de l’article 3.

2. Thèses des parties
1. Les requérants

100. Les requérants allèguent que leur expulsion vers la Serbie les a exposés à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3. À l’appui de cette allégation, ils arguent : a) qu’ils risquaient de ne pas être admis en Serbie ou de ne pas être autorisés à y engager une procédure d’asile, b) qu’ils risquaient de faire l’objet d’un refoulement en chaîne, et c) qu’ils n’avaient pas dans ce pays la possibilité d’accéder à des infrastructures d’accueil ou à une protection adéquate compte tenu de leur vulnérabilité.

101. Les requérants plaident en particulier que les autorités hongroises savaient qu’on ne les laisserait ni entrer ni séjourner en Serbie, mais qu’elles les ont néanmoins expulsés au mépris des procédures prévues par l’accord de réadmission en vigueur, sans obtenir la moindre assurance des autorités serbes. Ils avancent que lorsqu’elles les ont renvoyés en Serbie, les autorités hongroises les ont laissés seuls sur le territoire hongrois, à la sortie de la zone de transit, et qu’elles les ont obligés à franchir la frontière illégalement. Ils soutiennent en outre que, selon une pratique connue et rapportée par le médiateur serbe en octobre 2014 puis par le HCR en 2016, les autorités serbes interdisaient aux personnes revenant de Hongrie de demander l’asile et leur refusaient l’accès aux infrastructures d’accueil. Des organes des Nations unies et des ONG auraient également constaté que les ressortissants de pays tiers renvoyés en Serbie y étaient condamnés pénalement pour franchissement illégal de frontière, même s’ils étaient demandeurs d’asile, et qu’ils risquaient d’y être victimes de harcèlement et de mauvais traitements. De plus, la procédure de demande d’asile en Serbie aurait présenté de graves dysfonctionnements.

102. S’appuyant sur des rapports établis par des organes des Nations unies et par des ONG, les requérants soutiennent que le risque de refoulement en chaîne et de renvoi depuis la Serbie vers la République de Macédoine du Nord puis vers la Grèce est bien établi. L’Office de l’asile serbe aurait confirmé dans une lettre d’octobre 2016 que les autorités appliquaient le principe de pays tiers sûr sans chercher à obtenir des garanties d’accès au territoire et aux procédures d’asile de ces pays. La liste serbe des pays tiers sûrs comprendrait la République de Macédoine du Nord, la Grèce et la Turquie, et les demandeurs d’asile seraient régulièrement, voire automatiquement, refoulés vers ces pays.

103. Les requérants ajoutent que les autorités hongroises devaient savoir que, compte tenu de leur situation, ils n’auraient pas accès aux infrastructures d’accueil en Serbie, et que, en tout état de cause, ces infrastructures et les conditions d’accueil y étaient défaillantes.

104. Les requérants plaident que dans leur cas le droit hongrois pertinent et le processus décisionnel étaient inadéquats, et qu’ils n’ont pas permis le respect des garanties requises ni assuré la possibilité pratique d’avoir accès à un recours effectif.

105. Les requérants soutiennent en particulier que tant la première que la seconde procédure d’examen de leurs demandes d’asile ont été expédiées à la hâte et que les délais de recours, de sept jours seulement, étaient trop courts pour leur permettre d’exercer leur droit de réfuter la présomption selon laquelle la Serbie était un pays tiers sûr pour eux. Par ailleurs, chacun d’eux n’aurait été entendu qu’une seule fois au cours de la première procédure, sans que leur soit donnée la possibilité d’être informé ou conseillé juridiquement au préalable. Ni l’un ni l’autre n’auraient pu s’entretenir avec un avocat avant la première audience, et leur avocat n’aurait pas été dûment informé de l’heure de leur audition dans le cadre de la seconde procédure. Les services d’interprétation auraient été de piètre qualité, et ils n’auraient pas été assurés dans leur langue maternelle. Les requérants n’auraient reçu aucune information pertinente, dans une langue qu’ils comprenaient, à propos de la procédure, ni aucune information sur les éléments de preuve retenus pour motiver la décision d’appliquer la règle du pays tiers sûr dans leur cas. De surcroît, l’autorité compétente en matière d’asile et le tribunal de Szeged auraient fait abstraction des informations sur le pays et des arguments juridiques qui leur avaient été présentés. Ainsi, dans sa décision du 5 octobre 2015, le tribunal de Szeged se serait borné à examiner la question de savoir si l’autorité compétente en matière d’asile avait respecté la décision de justice précédente. Enfin, les requérants auraient été expulsés de la zone de transit sans s’être vu notifier en bonne et due forme les décisions rendues à cet effet, et après s’être vus privés du droit de demander un contrôle juridictionnel de leur expulsion potentielle et des décisions correspondantes.

106. Les requérants estiment que leurs demandes d’asile ont été rejetées du seul fait de l’application automatique par le Gouvernement d’une liste de pays tiers sûrs. D’après eux, les autorités n’ont tenu compte ni des rapports publics établis par des sources fiables sur les défaillances du système d’asile serbe et les réalités du terrain, ni de leur situation individuelle. L’autorité compétente en matière d’asile aurait certes renvoyé à trois rapports dans sa seconde décision, mais elle aurait abouti à des conclusions allant à l’encontre des constatations qui y étaient formulées. En outre, les autorités n’auraient pas examiné les risques liés à une expulsion vers la Serbie, mais elles se seraient bornées à constater que les requérants n’avaient pas prouvé que lors de leur passage dans ce pays ils avaient subi des mauvais traitements ou n’avaient pas bénéficié d’une protection effective. Les requérants arguent que, compte tenu des conclusions du rapport médical relatif à leur santé mentale, les autorités auraient dû examiner les informations qui, selon eux, faisaient état de conditions d’accueil inadéquates, en particulier pour les étrangers renvoyés en Serbie, dont, ajoutent-ils, il était notoire qu’ils étaient traités différemment de ceux qui y arrivaient pour la première fois.

107. Enfin, les requérants soutiennent que l’examen auquel les autorités se sont livrées ne répond pas aux normes découlant de la Convention et que le gouvernement défendeur ne peut donc en l’espèce plaider qu’il n’y avait aucun risque qu’ils fussent soumis à des traitements contraires à l’article 3. Ils estiment que le gouvernement défendeur ne peut pas non plus soutenir qu’ils n’avaient pas de grief défendable sur le terrain de l’article 3 relativement à leur pays d’origine : il s’agit, selon eux, d’une spéculation inacceptable, les autorités ne s’étant pas livrées, dans le cadre de la procédure d’irrecevabilité les concernant, à une appréciation des risques dans le pays d’origine.

2. Le gouvernement défendeur

108. Le Gouvernement insiste sur la nécessité d’établir une distinction entre le droit de demander l’asile, reconnu par le droit international, et un prétendu droit des demandeurs à être admis dans le pays de leur choix en vue d’y demander l’asile. Il estime qu’il y a lieu, pour éviter d’entretenir l’idée fausse selon laquelle un demandeur serait en droit d’obtenir l’asile dans le pays offrant la meilleure protection, de procéder à une interprétation attentive et réaliste des risques allégués de refoulement et du seuil de gravité requis par l’article 3.

109. Selon le Gouvernement, le HCR tente d’atténuer les conséquences de catastrophes humanitaires en défendant un droit pour les candidats à l’asile à rechercher le pays le plus favorable (asylum-shopping) et en poussant les États vers des normes de protection toujours plus élevées. Cette démarche bénéficierait du soutien des ONG et des organisations humanitaires, ainsi que de ceux qui recherchent en Europe de la main‑d’œuvre bon marché. Or, à l’heure de la mondialisation, l’idée que chacun a le droit de s’installer dans l’Union européenne pour y bénéficier des avantages d’un État-providence se répandrait rapidement et les États se retrouveraient dans l’impossibilité d’empêcher de faux réfugiés de pénétrer sur le territoire de l’Union européenne tout en respectant les normes prônées par le HCR. L’impossibilité pratique d’éloigner les migrants sans papiers qui ne peuvent prétendre à une protection internationale aurait rendu l’immigration incontrôlable. Cette situation serait à l’origine de tensions sociales, d’un sentiment d’impuissance et d’une impression de perte de souveraineté dans les États concernés. La pratique pour les candidats à l’asile consistant à rechercher le pays le plus favorable capterait aussi des ressources que la communauté internationale pourrait utiliser pour trouver des solutions collectives au problème de la réinstallation des réfugiés ou pour améliorer la situation de ces personnes dans les premiers pays sûrs d’arrivée. À cet égard, cette pratique serait contraire à l’article 17 de la Convention.

110. Seul un retour aux « règles de droit international bien établies » permettrait d’empêcher une escalade de la crise migratoire européenne. On ne pourrait trouver une solution aux problèmes migratoires mondiaux dans l’action collective d’États souverains que si ceux-ci recouvraient la possibilité d’empêcher efficacement les abus.

111. Les requérants ne seraient pas en danger dans leur pays d’origine, le Bangladesh. Ils auraient fait des déclarations contradictoires concernant leur passé et leur voyage vers l’Europe de l’Ouest et auraient périodiquement adapté leur récit afin de le faire correspondre à leurs griefs. Dès lors qu’ils n’auraient pas apporté un commencement de preuve d’une persécution dirigée contre eux dans leur pays d’origine, ils n’auraient pas couru de risque de se voir refoulés de Serbie.

112. Le texte hongrois adopté en 2015 reposerait sur une possibilité offerte par le droit de l’Union européenne. La Hongrie considérerait la Serbie comme un pays tiers sûr depuis que cette dernière, candidate à l’adhésion à l’Union européenne, aurait accepté d’être liée par tous les traités internationaux pertinents et de respecter toutes les exigences en vigueur dans l’Union européenne et depuis qu’elle bénéficierait d’une aide de l’Union européenne pour des travaux de réforme et d’amélioration des installations d’accueil des demandeurs d’asile. Quoi qu’il en soit, le droit hongrois n’établirait à cet égard qu’une présomption, réfragable au cas par cas. Un demandeur d’asile ne pourrait être renvoyé vers un pays tiers que si les autorités estimaient établi que ce renvoi n’aboutirait pas à un refoulement direct ou indirect. La modification législative opérée en 2015 aux fins de l’inscription de la Serbie sur la liste des pays tiers sûrs aurait été rendue nécessaire par une vague migratoire sans précédent, aggravée par des abus toujours plus nombreux du droit d’asile, qui seraient notamment le fait de « faux » demandeurs d’asile et de « vrais » demandeurs d’asile qui recherchent le pays le plus favorable. Elle aurait eu pour but d’accélérer les procédures d’asile et de les rendre plus efficaces, tout en préservant les garanties applicables.

113. Le faible taux d’octroi de l’asile en Serbie ne s’expliquerait pas par un système d’asile défaillant, mais par le départ des demandeurs d’asile du pays avant la fin de la procédure. Ainsi, du 1er janvier au 31 juillet 2015, 66 428 personnes auraient demandé l’asile en Serbie à la frontière et auraient été orientées vers des centres d’accueil pour les réfugiés, mais seules 486 d’entre elles se seraient présentées dans ces centres. Les autres auraient quitté le pays avant la fin de la procédure d’asile voire, dans certains cas, avant son commencement. Le même phénomène aurait été constaté en Hongrie jusqu’en mars 2017, lorsque les autorités auraient entrepris d’examiner les demandes d’asile au fond tandis que les demandeurs se trouvaient dans les zones de transit frontalières. Le taux d’octroi de l’asile serait alors passé de 0,5 % à 46 %.

114. En outre, aucun rapport du HCR ni aucune affaire portée devant la Cour ne mettrait en évidence une quelconque méconnaissance par la Serbie du principe de non-refoulement. Le rapport du HCR publié en août 2012 et cité par la chambre ne ferait pas état de pareilles violations. Il y serait au contraire précisé, au paragraphe 75, que le risque d’éloignement était relativement faible et que les demandeurs d’asile, y compris ceux qui étaient réadmis dans le pays après l’avoir quitté, pouvaient généralement poursuivre leur route vers l’Europe de l’Ouest. La chambre n’aurait pas tenu compte de ce constat. Elle se serait appuyée à tort sur le paragraphe 76 de ce rapport, selon lequel, en 2011-2012, les autorités serbes auraient refoulé vers l’ex-République yougoslave de Macédoine des migrants en situation irrégulière qui avaient été renvoyés vers la Serbie par les autorités hongroises : le HCR n’aurait pas précisé si ces migrants étaient des demandeurs d’asile ou simplement des migrants économiques, ni s’ils avaient demandé l’asile en Serbie. De plus, le rapport du HCR daterait de 2012, alors qu’en 2014 la législation serbe sur l’asile aurait été modifiée et le système et les infrastructures d’asile améliorés grâce à l’aide financière de l’Union européenne. Les autorités hongroises compétentes en matière d’asile auraient par ailleurs amplement motivé leur rejet de certaines conclusions des rapports invoqués par les requérants, et en particulier celles du rapport du HCR de 2012.

115. Les requérants auraient eu la possibilité de réfuter la présomption de pays tiers sûr mais ils se seraient bornés à formuler des objections de nature générale sans faire état d’un risque individuel. Cela n’aurait d’ailleurs rien d’étonnant compte tenu des contradictions qui auraient émaillé leurs déclarations sur la question de savoir si le premier requérant avait reçu des documents des autorités serbes, sur les trafiquants que le premier requérant aurait mentionnés pour la première fois à la dernière audience, ainsi que sur les questions de savoir combien de temps le second requérant avait séjourné en Serbie et s’il avait ou non demandé l’asile dans ce pays. Contrairement aux allégations des requérants, la charge de la preuve n’aurait pas été renversée. En effet, il ne leur aurait pas été demandé de prouver que la situation en matière d’asile en Serbie présentait des défaillances en général. Les autorités hongroises auraient tenu compte d’elles-mêmes des informations pertinentes d’ordre général, sans que les demandeurs d’asile aient besoin d’en apporter la preuve. Les requérants auraient simplement été invités à expliquer en quoi ils auraient personnellement pâti des défaillances alléguées.

116. Le fait que les requérants n’aient pas été remis aux autorités serbes dans le cadre d’une procédure de réadmission mais qu’ils soient simplement retournés en Serbie ne les aurait pas empêchés d’y demander l’asile s’ils l’avaient souhaité : ils se seraient trouvés juridiquement dans la même situation que les demandeurs d’asile arrivés illégalement dans le pays depuis d’autres États. En outre, les requérants auraient annoncé clairement leur intention de ne pas demander l’asile en Serbie. Les défaillances alléguées du système d’asile serbe seraient donc dépourvues de pertinence.

117. Enfin, en ce qui concerne le risque pour les requérants de subir des traitements contraires à l’article 3 eu égard aux conditions d’accueil en Serbie, rien ne permettrait de penser que les autorités de ce pays auraient laissé les requérants sans nourriture, sans abri ou dans de mauvaises conditions d’hygiène. Le HCR n’aurait pas observé de cas graves de négligence similaires à ceux relevés en Grèce.

3. Les tiers intervenants

118. Le gouvernement bulgare soutient que dans les affaires d’expulsion et d’éloignement, la responsabilité indirecte de l’État à l’origine de la mesure d’éloignement ne peut être engagée sans que la Cour ait d’abord recherché s’il existait un risque réel de voir les demandeurs d’asile subir des mauvais traitements dans le pays d’origine. Il considère qu’en cas de renvoi d’un demandeur d’asile vers un pays tiers « intermédiaire », la Cour doit également déterminer si les conditions de vie et de rétention des demandeurs d’asile dans ce pays atteignent le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Il estime en outre qu’un constat de violation de la Convention formulé en l’absence d’un examen rigoureux de ces aspects provoquerait un afflux de griefs et risquerait d’entraîner un blocage du système d’asile. Selon le gouvernement bulgare, dès lors qu’un demandeur d’asile est expulsé vers un État partie à la Convention, la responsabilité de l’État à l’origine de la mesure d’expulsion ne doit être engagée que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles, comme dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce en ce qui concerne la Grèce.

119. Le gouvernement polonais considère, entre autres, qu’en cas d’allégation d’un risque de mauvais traitements dans un pays de destination, c’est en principe au ressortissant étranger qu’il incombe de recueillir des éléments de preuve pertinents et de les communiquer aux autorités nationales. Selon lui, celles-ci ne doivent pas être tenues pour responsables d’une violation de leurs obligations internationales dès lors qu’elles ont apprécié avec diligence les risques potentiels, en tenant dûment compte du principe de non-refoulement. La directive relative aux procédures d’asile offrirait aux États membres de l’Union européenne la possibilité d’adopter des listes de pays tiers sûrs. À cet égard, l’ordre juridique européen assurerait le respect des droits fondamentaux, notamment par la supervision et le contrôle opérés par les institutions de l’Union européenne.

120. Le gouvernement russe considère qu’en ne procédant pas à un examen des motifs invoqués à l’appui d’une demande d’asile, la Cour brouille la distinction entre migrants et réfugiés, affaiblissant ainsi la protection dont ces derniers ont besoin.

121. Le HCR a communiqué une synthèse du droit international et du droit de l’Union européenne pertinents concernant la notion de pays tiers sûr. Il y indique notamment que cette notion peut s’appliquer lorsqu’une personne aurait pu solliciter une protection internationale dans un État par lequel elle est passée « avant », mais ne l’a pas fait. Il estime que l’État à l’origine de la mesure d’éloignement doit en apprécier le caractère approprié au cas par cas, en respectant l’ensemble des garanties procédurales applicables, et ce même dans les cas où le pays tiers vers lequel il envisage d’expulser le demandeur est considéré comme sûr. Cet exercice d’appréciation doit selon lui permettre, entre autres, de rechercher si l’État tiers consentirait à réadmettre le demandeur, s’il lui garantirait l’accès à une procédure équitable et efficace aux fins de déterminer la nécessité d’une protection internationale, s’il autoriserait l’intéressé à rester sur son territoire et lui garantirait un traitement conforme au droit international, y compris le bénéfice du principe de protection contre le refoulement.

122. Dans leur intervention commune, le Conseil néerlandais des réfugiés, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés et la Commission internationale de juristes donnent un aperçu du droit de l’Union européenne et du droit international applicables relativement au principe de non‑refoulement, à la notion de pays tiers sûr et à la privation de liberté des demandeurs d’asile.

4. Appréciation de la Cour
1. Sur la responsabilité de la Hongrie relativement à l’expulsion des requérants

123. Pour autant que le Gouvernement soutient que les requérants ont quitté la zone de transit de leur plein gré, ce qui peut être interprété comme un argument consistant à dire que la Hongrie n’est pas responsable de leur expulsion, la Cour observe que les autorités ont rendu une décision d’expulsion contraignante à l’égard des intéressés. Elle considère en outre que les conditions dans lesquelles ceux-ci sont retournés en Serbie montrent qu’ils ne l’ont pas fait de leur plein gré (paragraphe 40 ci‑dessus). Partant, l’expulsion des requérants du territoire hongrois est attribuable à l’État défendeur.

2. Les principes pertinents

a) Les principes généraux applicables dans les affaires d’expulsion

124. L’interdiction des traitements inhumains ou dégradants que consacre l’article 3 de la Convention est l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Elle est également une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine, qui se trouve au cœur même de la Convention (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 158, 15 décembre 2016).

125. Les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94, et Mohammadi c. Autriche, no 71932/12, § 58, 3 juillet 2014). Ni la Convention ni ses Protocoles ne consacrent un droit à l’asile politique (Sharifi c. Autriche, no 60104/08, § 28, 5 décembre 2013).

126. L’expulsion, l’extradition ou toute autre mesure d’éloignement d’un étranger par un État contractant peut néanmoins soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3. En pareil cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser ou extrader la personne en question vers ce pays (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, §§ 90-91, série A no 161, Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 103, série A no 215, H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III, Salah Sheekh c. Pays-Bas, no 1948/04, § 135, 11 janvier 2007, et Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 114, CEDH 2012).

127. Pour déterminer s’il y a des motifs sérieux de croire que le requérant courrait un risque réel d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3, la Cour doit appliquer des critères rigoureux (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 96, Recueil 1996‑V) et il faut nécessairement que les autorités nationales compétentes, puis la Cour, procèdent à une appréciation de la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 67, CEDH 2005‑I). Ces exigences impliquent que, pour tomber sous le coup de l’article 3, le mauvais traitement auquel le requérant affirme qu’il serait exposé en cas de renvoi doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause (Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99, § 60, CEDH 2001‑II).

b) Les obligations incombant à l’État lorsqu’il ordonne l’expulsion d’un demandeur d’asile vers un pays tiers sans procéder à un examen au fond de la demande d’asile

128. Dans le cadre d’affaires ayant trait à l’expulsion de demandeurs d’asile, la Cour a eu à connaître de diverses situations, notamment de décisions d’expulsion du requérant vers son pays d’origine et des risques que l’intéressé disait y courir (voir, par exemple, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, 23 mars 2016), ou encore d’expulsions vers des pays tiers et des risques connexes (voir, par exemple, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, et Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, CEDH 2014 (extraits)). Si les principes fondamentaux évoqués dans les trois paragraphes précédents s’appliquent dans tous les cas, les questions sous-jacentes et, partant, la teneur des obligations découlant de la Convention pour l’État à l’origine de la mesure d’expulsion peuvent, elles, différer selon le contexte.

129. Chaque fois qu’elle a été saisie d’affaires où les autorités avaient décidé d’expulser un demandeur d’asile vers un pays tiers, la Cour a considéré que l’État contractant restait tenu par l’obligation de ne pas expulser l’intéressé lorsqu’il existait des motifs sérieux de croire qu’une expulsion l’exposerait, directement (c’est-à-dire dans le pays tiers en question) ou indirectement (par exemple dans son pays d’origine ou dans un autre pays), à un risque de subir des traitements contraires, en particulier, à l’article 3 (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 342, 343 et 362 à 368, et les références citées).

130. Cela étant, lorsqu’un État contractant décide d’expulser un demandeur d’asile vers un pays tiers sans examiner au fond sa demande d’asile, il ne s’acquitte pas de l’obligation de ne pas exposer l’intéressé à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la même façon que lorsqu’il ordonne le renvoi de l’intéressé vers son pays d’origine.

131. Si, dans le deuxième cas, les autorités à l’origine de la mesure d’expulsion examinent la demande d’asile au fond et, partant, apprécient les risques que le demandeur d’asile dit courir dans son pays d’origine, dans le premier cas, elles doivent principalement chercher à déterminer si l’intéressé aura ou non accès à une procédure d’asile adéquate dans le pays tiers de destination. En effet, l’État à l’origine de la mesure d’expulsion part du principe que ce sera au pays tiers de destination qu’incombera la tâche d’examiner au fond la demande d’asile si pareille demande lui est présentée. Outre cette question centrale, lorsque le demandeur d’asile allègue être exposé à un risque de subir des traitements contraires à l’article 3, l’État à l’origine de la mesure d’expulsion doit également apprécier ce risque dès lors qu’il concerne, par exemple, les conditions de détention ou de vie de l’intéressé dans le pays tiers de destination.

132. La directive européenne relative aux procédures d’asile, en ses articles 33, 38 et 43, interprétés à la lumière de ses considérants 38 à 48 (paragraphes 47, 49, 53 et 55 ci-dessus), offre aux Parties contractantes auxquelles elle s’applique la possibilité d’adopter une législation interne qui permet aux autorités, dans certaines conditions, de se dispenser d’un examen au fond des demandes de protection internationale (autrement dit, de ne pas chercher à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, par conséquent, de ne pas examiner les risques auxquels l’intéressé est exposé dans son pays d’origine) et de se livrer plutôt à un examen de la recevabilité au sens de la directive susmentionnée de l’Union européenne, c’est-à-dire à un examen visant à déterminer, en particulier, si l’on peut raisonnablement considérer qu’un autre pays procédera à l’examen de la demande au fond ou accordera une protection au demandeur d’asile. Dans les cas où la deuxième option est choisie et où la demande est jugée irrecevable, le pays à l’origine de cette décision n’examine pas la demande au fond.

133. Ainsi que la Cour l’a dit dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Mohammadi (précitée, § 60), qui concernait l’expulsion d’un demandeur d’asile depuis un État membre de l’Union européenne vers un autre et l’application du règlement Dublin II, l’État à l’origine de la mesure d’éloignement doit s’assurer que la procédure d’asile du pays intermédiaire offre des garanties suffisantes pour éviter que le demandeur d’asile concerné ne soit expulsé directement ou indirectement vers son pays d’origine sans une évaluation appropriée, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, des risques auxquels il serait exposé (voir aussi M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 358, Sharifi, précité, § 30, T.I. c. Royaume-Uni (déc.), no 43844/98, CEDH 2000‑III, et K.R.S. c. Royaume-Uni (déc.), no 32733/08, 2 décembre 2008).

134. La Cour ajoute que dans tous les cas où un État contractant ordonne l’expulsion d’un demandeur d’asile vers un pays tiers intermédiaire sans examiner au fond la demande de l’intéressé, que le pays tiers de destination soit ou non un État membre de l’Union européenne ou un État partie à la Convention, il doit procéder à un examen approfondi visant à déterminer s’il existe un risque réel que l’intéressé se voie refuser, dans le pays tiers de destination, l’accès à une procédure d’asile adéquate qui le protège contre le refoulement. Dès lors qu’il est établi que les garanties à cet égard sont insuffisantes, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser le demandeur d’asile vers le pays tiers concerné.

135. Le gouvernement défendeur, appuyé par les gouvernements bulgare et russe, considère apparemment que l’obligation évoquée ci-dessus est inexistante lorsque – ce qu’il estime être le cas en l’espèce – les personnes concernées sont non pas de véritables demandeurs d’asile mais des migrants qui ne risquent pas de subir des mauvais traitements dans leur pays d’origine (paragraphes 108 à 111, 118 et 120 ci-dessus).

136. La Cour observe que les États contractants sont libres, sous réserve du respect de leurs engagements internationaux, de rejeter une demande d’asile et de renvoyer un demandeur d’asile vers son pays d’origine ou vers un pays tiers acceptant de le recevoir lorsque la demande d’asile en question est dénuée de fondement ou, a fortiori, lorsque l’intéressé ne peut prétendre de manière défendable qu’il court un risque nécessitant l’octroi d’une protection. La forme que doit prendre l’examen du bien-fondé de la demande dépend naturellement de la gravité des griefs soulevés et des éléments de preuve présentés.

137. Cela étant, il importe de ne pas perdre de vue que lorsqu’un État contractant ordonne l’expulsion d’un demandeur d’asile vers un pays tiers sans examiner sa demande au fond, il est impossible de savoir si l’intéressé risque de subir des traitements contraires à l’article 3 dans son pays d’origine ou s’il s’agit simplement d’un migrant économique. C’est uniquement à l’issue d’une procédure prévue par la loi et donnant lieu à une décision en droit que les autorités peuvent formuler à cet égard un constat sur lequel elles peuvent s’appuyer[6]. En l’absence de pareil constat, l’expulsion vers un pays tiers doit être précédée d’un examen approfondi de la question de savoir si la procédure d’asile du pays tiers de destination offre des garanties suffisantes pour éviter que le demandeur d’asile ne soit expulsé directement ou indirectement vers son pays d’origine sans une évaluation appropriée des risques auxquels pareille mesure l’exposerait sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Contrairement à ce que soutient le gouvernement défendeur, le fait de constater a posteriori, dans le cadre d’une procédure interne ou internationale, que l’intéressé ne courait pas de risques dans son pays d’origine, ne peut servir à exonérer rétrospectivement l’État de l’obligation procédurale décrite ci-dessus. S’il en allait autrement, des demandeurs d’asile exposés à un péril mortel dans leur pays d’origine pourraient être expulsés sommairement, en toute légalité, vers des pays tiers « non sûrs ». Concrètement, l’interdiction des mauvais traitements se verrait ainsi vidée de son sens dans les cas d’expulsion de demandeurs d’asile.

138. La Cour reconnaît que, comme l’affirme le gouvernement défendeur, il arrive que des personnes qui n’ont pas besoin de protection dans leur pays d’origine abusent du droit d’asile. Elle estime néanmoins que les États peuvent faire face à ce problème sans mettre à mal les garanties contre les mauvais traitements consacrées par l’article 3. S’ils choisissent d’ordonner des mesures d’expulsion vers un pays tiers sûr sans examiner au préalable les demandes d’asile au fond, il leur suffit de procéder à un examen approfondi du système d’asile du pays en question afin de déterminer si celui-ci traitera les demandes d’asile de manière appropriée. Ils peuvent par ailleurs choisir, ainsi que la Cour l’a dit plus haut, de rejeter à l’issue d’un examen au fond les demandes d’asile dénuées de fondement lorsque les risques pertinents n’ont pas été établis dans le pays d’origine des demandeurs.

c) Nature et teneur de l’obligation de vérifier que le pays tiers est un pays « sûr »

139. S’appuyant sur les principes bien établis qui se dégagent de sa jurisprudence relative à l’article 3 de la Convention en matière d’expulsion de demandeurs d’asile, la Cour considère que de l’obligation énoncée ci‑dessus découle celle, pour les autorités internes appliquant la notion de « pays tiers sûr », de procéder à un examen minutieux des conditions applicables dans le pays tiers concerné et, en particulier, de l’accessibilité et de la fiabilité de son système d’asile (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 344-359 et §§ 365-368). Les recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, les lignes directrices adoptées par cet organe (paragraphes 61 à 63 ci-dessus) et la Résolution 1471 (2005) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (paragraphe 64 ci‑dessus) peuvent être pertinentes à cet égard.

140. En outre, un certain nombre de principes développés dans la jurisprudence de la Cour concernant l’appréciation des risques auxquels un demandeur d’asile serait exposé en cas d’expulsion vers son pays d’origine s’appliquent également, mutatis mutandis, à l’examen par les autorités internes de la question de savoir si un pays tiers par lequel un demandeur d’asile est arrivé est « sûr » (voir la démarche suivie dans M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 346-352 et 358-359).

141. En particulier, s’il incombe à la personne qui sollicite l’asile d’invoquer, justificatifs à l’appui, les éléments de sa situation personnelle, dont les autorités internes ne peuvent avoir connaissance, les autorités doivent quant à elles procéder d’office, sur la base des conditions du moment, à une appréciation, notamment, de l’accessibilité et du fonctionnement du système d’asile du pays de destination ainsi que des garanties qu’il offre dans la pratique. Les autorités internes doivent se livrer à cet exercice en s’appuyant principalement sur les faits connus d’elles au moment de l’expulsion, mais elles ont également l’obligation de rechercher à cet effet toutes les informations pertinentes généralement disponibles (Sharifi, précité, §§ 31 et 32). Elles sont en principe réputées avoir connaissance des défaillances générales abondamment décrites dans des rapports fiables émanant notamment du HCR, du Conseil de l’Europe et des organes de l’Union européenne (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 346-350 ; voir également, mutatis mutandis, F.G. c. Suède, précité, §§ 125-127). L’État à l’origine de la mesure d’expulsion ne peut pas simplement présumer que le demandeur d’asile, une fois dans le pays tiers de destination, sera traité conformément aux standards conventionnels. Il doit au contraire s’enquérir de la manière dont les autorités de ce pays appliquent en pratique la législation en matière d’asile (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 359).

3. La tâche incombant à la Cour à la lumière des principes énoncés ci‑dessus et des circonstances de l’espèce

142. Ainsi qu’il a été noté ci-dessus, la teneur des obligations découlant de l’article 3 pour l’État ordonnant l’expulsion n’est pas la même selon que le pays de destination est le pays d’origine du demandeur d’asile ou un pays tiers, et, dans ce deuxième cas, selon que l’État ordonnant l’expulsion a ou non procédé à un examen au fond de la demande d’asile. Partant, la tâche de la Cour varie en principe en fonction de ces différents types de cas, sous réserve des griefs soulevés par le requérant concerné.

143. En l’espèce, s’appuyant sur l’article 51 de la loi hongroise relative à l’asile (paragraphe 41 ci-dessus), qui prévoyait l’irrecevabilité des demandes d’asile dans certains cas et reflétait les choix opérés par la Hongrie dans le cadre de la transposition du droit applicable de l’Union européenne, les autorités internes n’ont pas procédé à un examen au fond des demandes d’asile des requérants – c’est-à-dire qu’elles n’ont pas cherché à déterminer si les intéressés risquaient d’être soumis à des mauvais traitements dans leur pays d’origine, le Bangladesh –, mais elles ont déclaré ces demandes irrecevables au motif que les requérants arrivaient de Serbie qui, d’après elles, était un pays tiers sûr et pouvait donc se charger de l’examen au fond des demandes d’asile des intéressés (paragraphes 23, 34 et 36 ci-dessus).

144. En conséquence, le grief fondé par les requérants sur l’article 3 (paragraphe 100 ci-dessus) consiste en substance à dire qu’ils ont été expulsés en dépit de la présence d’éléments montrant clairement qu’en Serbie ils n’auraient pas accès à une procédure d’asile adéquate apte à les protéger contre un refoulement. En l’espèce, la Cour a avant tout pour tâche d’examiner ce grief principal (pour une approche similaire, voir Babajanov c. Turquie, no 49867/08, § 43 in fine, 10 mai 2016, et Sharifi, précité, § 33).

145. Les autorités hongroises ayant pris la décision litigieuse d’expulser les requérants vers la Serbie sans tenir compte de la situation au Bangladesh et sans examiner au fond les demandes d’asile des intéressés, la Cour n’a pas à rechercher si ceux-ci risquaient de subir des mauvais traitements dans leur pays d’origine. Pareille analyse serait en effet sans rapport avec la question de savoir si, en l’espèce, l’État défendeur s’est acquitté de ses obligations procédurales découlant de l’article 3.

146. À cet égard, la Cour ne perd pas de vue que dans certaines affaires dans lesquelles des demandeurs d’asile avaient été expulsés vers des pays tiers intermédiaires sans que leurs demandes d’asile n’eussent été examinées au fond par l’État à l’origine de la mesure, elle a dit que le grief des requérants relatif aux risques qu’ils affirmaient courir dans leur pays d’origine était défendable, ce qui pourrait être interprété comme une prise de position de la Cour, dans le contexte de l’article 3 de la Convention, sur la question du caractère défendable ou non des allégations concernant l’existence de risques dans le pays d’origine (voir, parmi d’autres, T.I. c. Royaume-Uni, décision précitée, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 344, mais aussi, a contrario, la démarche suivie dans Mohammadi, précité, §§ 64-75, Sharifi, précité, §§ 26-39, Tarakhel, précité, §§ 93-122, et Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie (déc.), no 27725/10, §§ 62-79, 2 avril 2013).

147. En l’espèce, la Grande Chambre, qui a eu l’avantage de prendre connaissance des observations des parties consacrées spécifiquement à cette question, considère que la Cour n’a pas à agir comme une juridiction de première instance et à examiner des aspects du fond des demandes d’asile là où l’État défendeur a décidé – légitimement – de ne pas se pencher dessus et qu’il s’est appuyé pour prendre la décision d’expulsion litigieuse sur l’application de la notion de « pays tiers sûr ». La question de savoir s’il existait ou non une allégation défendable selon laquelle le demandeur d’asile courait un risque de subir des traitements contraires à l’article 3 dans son pays d’origine est pertinente dès lors que l’État à l’origine de la mesure d’expulsion a examiné le risque en question.

148. Il s’ensuit que, eu égard aux faits de la cause et aux griefs que les requérants soulèvent relativement à la démarche des autorités hongroises, qu’ils estiment défaillante, la Cour doit chercher à déterminer : 1) si les autorités ont tenu compte, d’office et de manière appropriée, des informations générales disponibles sur la Serbie et son système d’asile et 2) si les requérants se sont vu offrir une possibilité suffisante de démontrer que la Serbie n’était pas un pays tiers sûr dans leur cas.

149. Enfin, la Cour pourra également être amenée à examiner le grief des requérants selon lequel les autorités hongroises n’ont pas tenu compte des conditions d’accueil, inadéquates selon eux, des demandeurs d’asile en Serbie (voir, par exemple, Tarakhel, précité, § 105).

150. L’examen par la Cour de ces questions doit être guidé par le principe, découlant de l’article 1 de la Convention, selon lequel ce sont les autorités internes qui sont responsables au premier chef de la mise en œuvre et de la sanction des droits et libertés garantis. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. La Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions nationales. Elle doit cependant estimer établi que l’appréciation effectuée par les autorités de l’État contractant est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d’autres sources fiables et objectives (voir, mutatis mutandis, F.G. c. Suède, précité, §§ 117 et 118).

4. Sur la question de savoir si les autorités hongroises ont respecté leur obligation procédurale découlant de l’article 3

151. La Cour observe que, dans le cas des requérants, les autorités hongroises se sont appuyées sur une liste de « pays tiers sûrs » qui avait été établie par voie de décret gouvernemental (no 191/2015. (VII.21.)) (paragraphe 44 ci-dessus) et qui a eu pour effet d’instaurer une présomption selon laquelle les pays y figurant étaient « sûrs ».

152. La Convention n’interdit pas aux États contractants d’établir des listes de pays présumés sûrs pour les demandeurs d’asile. Les États membres de l’Union européenne le font, notamment, conformément aux conditions énoncées aux articles 38 et 39 de la directive relative aux procédures d’asile (paragraphes 53 et suiv. ci-dessus). La Cour considère toutefois qu’une présomption qu’un pays donné est « sûr », dès lors qu’elle sert de fondement à une décision concernant un demandeur d’asile, doit être suffisamment étayée en amont par une analyse de la situation qui règne dans le pays et, en particulier, du système d’asile qui y est en vigueur.

153. La présomption dont il s’agit en l’espèce fut instaurée en juillet 2015, lorsque la Hongrie révisa sa position et déclara que la Serbie était un pays tiers sûr. Les arguments avancés par le Gouvernement devant la Grande Chambre paraissent confirmer que ce changement était exclusivement motivé par la considération que la Serbie était liée par les traités internationaux pertinents, qu’en sa qualité de candidat à l’adhésion à l’Union européenne, elle bénéficiait d’une aide destinée à lui permettre d’améliorer son système d’asile, et que, pour faire face à une vague migratoire sans précédent, les autorités devaient prendre des mesures (paragraphe 112 ci-dessus).

154. La Cour note toutefois que, dans les observations qu’il lui a communiquées, le gouvernement défendeur n’a présenté aucun élément démontrant que, dans le cadre du processus décisionnel qui a conduit en 2015 à l’instauration de cette présomption, les autorités ont procédé à un examen approfondi du risque pour les demandeurs d’asile visés par une décision d’expulsion vers la Serbie de ne pas avoir dans ce pays un accès effectif à une procédure d’asile et, notamment, du risque de refoulement.

155. La Cour ne perd pas de vue les difficultés auxquelles les autorités hongroises ont dû faire face en 2015 lorsqu’un très grand nombre de ressortissants étrangers cherchant à bénéficier d’une protection internationale ou à passer en Europe de l’Ouest sont arrivés à la frontière hongroise. Néanmoins, la nature absolue de l’interdiction des mauvais traitements consacrée par l’article 3 de la Convention impose de procéder à un examen adéquat des risques auxquels les intéressés seraient exposés dans le pays tiers concerné.

156. Se penchant sur l’appréciation individuelle à laquelle l’autorité compétente en matière d’asile et la juridiction interne se sont livrées dans le cas des requérants, la Cour observe que dans leurs décisions respectives les deux instances se sont référées à la présomption évoquée ci-dessus mais aussi à des informations largement disponibles concernant l’existence alléguée de certains risques en Serbie, et qu’elles ont cherché à déterminer si les requérants étaient exposés à un risque particulier compte tenu de leur situation personnelle (paragraphes 34 et 36 ci-dessus).

157. La Cour observe en outre qu’au cours de la procédure, les requérants, qui étaient tous deux assistés d’un avocat, ont eu la possibilité d’exposer des arguments contre les première et deuxième décisions de l’autorité compétente en matière d’asile. Leurs avocats ont d’ailleurs présenté des observations écrites et orales détaillées devant la juridiction interne. Tout au long de la procédure d’asile, les requérants ont pu communiquer avec les autorités et le tribunal par l’intermédiaire d’un interprète en langue ourdoue, qu’ils comprenaient (paragraphes 26 à 28 et 30 à 35 ci-dessus). Dans ces circonstances, la Cour n’est pas disposée à accorder beaucoup d’importance aux allégations formulées par les requérants relativement à la question du respect des délais et de l’existence de déficiences d’ordre technique.

158. La Cour n’est cependant pas convaincue par l’argument du gouvernement défendeur selon lequel les autorités administratives et la juridiction interne ont examiné de manière approfondie les informations générales à leur disposition concernant le risque pour les requérants d’être automatiquement refoulés de Serbie, sans accès effectif à une procédure d’asile. En particulier, il apparaît que les autorités n’ont pas suffisamment tenu compte d’informations générales qui tendaient à montrer qu’au moment des faits les demandeurs d’asile expulsés vers la Serbie couraient un risque réel de faire l’objet d’un refoulement arbitraire vers la République de Macédoine du Nord puis vers la Grèce, et qu’ils risquaient donc d’être soumis en Grèce à des conditions incompatibles avec l’article 3.

159. S’il est vrai, comme l’affirme le gouvernement défendeur, que les statistiques relatives au taux de demandes d’asile ayant abouti en Serbie ou d’autres données similaires sont faussées par le fait qu’un grand nombre de demandeurs ne restent pas en Serbie mais cherchent à gagner l’Europe de l’Ouest, il apparaît que d’autres éléments fiables n’ont pas été pris en compte par les autorités hongroises. En particulier, les conclusions du rapport publié par le HCR en août 2012 (confirmées par le rapport de mai 2016) (paragraphe 73 ci-dessus) et d’autres sources disponibles (paragraphes 69 et 77 ci-dessus) montrent qu’il existait un risque important de refoulement de Serbie : insuffisance dans ce pays, à l’époque des faits, des capacités et ressources administratives propres à permettre un examen des demandes d’asile conforme aux standards internationaux et à protéger les demandeurs contre les risques de refoulement ; récits de cas où des étrangers revenus en Serbie après être passés en Hongrie furent directement conduits en autocar jusqu’à la frontière avec la Macédoine du Nord ; récits de cas où des personnes réadmises en Serbie après un passage en Hongrie se virent refuser le droit d’y déposer une demande d’asile ; informations selon lesquelles les autorités serbes appliquaient automatiquement la liste des pays tiers sûrs dans le cas des demandeurs passés, entre autres, par la Macédoine du Nord et la Grèce. Les informations concernant les risques importants évoqués ci-dessus furent confirmées ultérieurement (paragraphes 68 et 75 ci-dessus).

160. D’après la Cour, l’autorité compétente en matière d’asile et la juridiction interne se sont bornées à évoquer brièvement le rapport du HCR et les autres informations pertinentes, sans traiter sur le fond ou de manière suffisamment approfondie les risques concrets qui y étaient recensés, et, en particulier, le risque d’expulsion arbitraire que couraient les requérants en l’espèce (paragraphes 34 et 36 ci-dessus). Certes, ceux-ci ont eu la possibilité de déposer des observations détaillées au cours de la procédure interne et ils étaient tous deux assistés d’un avocat. Néanmoins, la Cour n’est pas convaincue que cela signifie que les autorités internes ont prêté une attention suffisante aux risques de déni d’accès à une procédure d’asile effective en Serbie.

161. Il importe également de noter que le risque de refoulement arbitraire de Serbie vers d’autres pays aurait pu être atténué dans le cas particulier des requérants si leur retour avait été organisé de manière ordonnée par les autorités hongroises ou s’il avait fait l’objet de négociations entre les autorités serbes et les autorités hongroises. Or, les requérants n’ont pas été renvoyés en Serbie sur le fondement d’un accord avec les autorités serbes : ils ont été forcés à traverser la frontière pour retourner en Serbie, sans qu’aucun effort n’eût été fait pour obtenir des garanties (voir le paragraphe 40 ci-dessus, ainsi que le critère « d » des lignes directrices, citées au paragraphe 63 ci-dessus, adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 2009). Cette façon de procéder a eu pour effet d’accroître le risque pour les requérants de se voir refuser l’accès à la procédure d’asile en Serbie et, partant, le risque de refoulement arbitraire de Serbie vers la Macédoine du Nord puis vers la Grèce (voir, par exemple, Tarakhel, précité, §§ 120 à 122, où, dans les circonstances de la cause, la Cour a jugé déterminante pour la violation potentielle de l’article 3 la question de l’obtention par les autorités suisses de garanties de la part des autorités italiennes).

162. Enfin, pour autant que le Gouvernement soutient que toutes les parties à la Convention, dont la Serbie, la Macédoine du Nord et la Grèce, sont soumises aux mêmes obligations, et que la Hongrie ne devrait pas avoir à supporter une charge supplémentaire pour pallier les déficiences des systèmes d’asile de ces pays, la Cour considère que cet argument ne suffit pas à justifier le non-respect par la Hongrie, qui a choisi de ne pas examiner au fond les demandes d’asile des requérants, de son obligation procédurale découlant du caractère absolu de l’interdiction des mauvais traitements énoncée à l’article 3 de la Convention (voir la démarche adoptée par la Cour dans M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité ; voir aussi Tarakhel, précité, §§ 104 et 105, et Paposhvili c. Belgique [GC], no 41738/10, § 193, 13 décembre 2016).

163. En résumé, étant donné notamment que la décision du Gouvernement d’instituer la présomption générale que la Serbie était un pays tiers sûr n’était pas suffisamment étayée, que les décisions d’expulsion rendues en l’espèce ne tenaient pas compte des constats fiables du HCR concernant un risque réel de déni d’accès à une procédure d’asile effective en Serbie et de refoulement arbitraire de Serbie vers la Macédoine du Nord puis vers la Grèce, et que les autorités hongroises ont accru le risque auquel les requérants étaient exposés en les incitant à entrer illégalement sur le territoire serbe plutôt que de négocier leur retour de manière ordonnée, la Cour estime que l’État défendeur, avant d’expulser les requérants, ne s’est pas acquitté de son obligation procédurale découlant de l’article 3 de la Convention d’évaluer les risques pour les requérants de subir un traitement contraire à cette disposition.

164. Ces considérations suffisent à la Cour pour conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention.

165. À la lumière de ce constat, la Cour juge inutile de rechercher s’il y a également eu violation de l’article 3 au motif que les autorités hongroises n’auraient pas tenu compte du risque pour les requérants d’être soumis en tant que demandeurs d’asile à des conditions d’accueil inadéquates en Serbie (paragraphe 149 ci-dessus).

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 3 RELATIVEMENT AUX RECOURS INTERNES FORMÉS PAR LES REQUÉRANTS CONTRE LEUR EXPULSION VERS LA SERBIE

166. Les requérants allèguent que les recours internes formés par eux contre leur expulsion étaient ineffectifs, en violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention. L’article 13 est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

167. Concernant ce grief, la chambre a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’en examiner la recevabilité ou le fond (paragraphes 126 et 127 de l’arrêt de la chambre).

168. En conséquence, il semble qu’il y ait controverse entre les parties sur la question de savoir si, bien que n’ayant pas été déclaré recevable par la chambre, ce grief fait partie de l’objet du litige déféré à la Grande Chambre. Les requérants considèrent que rien n’empêche la Grande Chambre de l’examiner. Dans ses observations écrites, le Gouvernement s’est borné à traiter les griefs déclarés recevables par la chambre. Dans ses observations orales, il a indiqué que le grief en question ne lui avait jamais été communiqué.

169. La situation en l’espèce est particulière en ce que la chambre ne s’est pas prononcée sur la recevabilité de ce grief. Se pose donc la question de savoir si un grief qui n’a été ni déclaré irrecevable ni déclaré recevable par la chambre relève de l’objet de l’affaire telle que déférée à la Grande Chambre dans le cadre de la procédure prévue par l’article 43 de la Convention.

170. Dans le contexte du système de la Convention antérieur à l’entrée en vigueur du Protocole no 11, lorsqu’un organe distinct, l’ancienne Commission, examinait la recevabilité des requêtes, le raisonnement de la Cour quant à l’objet de l’affaire dont elle était saisie était exposé dans les termes suivants (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 106, série A no 39) :

« [L]’étendue de l’« affaire » (...) se trouve (...) délimitée (...) par la décision de recevabilité. Sous réserve de son article 29 [dans sa version en vigueur au moment des faits] et de l’hypothèse d’une radiation partielle du rôle, la Convention ne laisse place à aucun rétrécissement ultérieur du champ du litige de nature à déboucher sur un règlement judiciaire. À l’intérieur du cadre ainsi tracé, la Cour peut connaître de toute question de fait ou de droit surgissant pendant l’instance engagée devant elle ; seul échappe à sa compétence l’examen des griefs jugés irrecevables par la Commission. »

171. Après l’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention, la question de l’étendue de l’affaire déférée à la Grande Chambre dans le cadre de la procédure prévue à l’article 43 s’est posée pour la première fois dans l’affaire K. et T. c. Finlande ([GC], no 25702/94, §§ 137 à 141, CEDH 2001‑VII), dans laquelle les parties estimèrent que la Grande Chambre devait uniquement connaître de griefs ayant fait l’objet d’une demande de renvoi. La Grande Chambre a conclu que « « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre [en vertu de l’article 43 de la Convention] englobe (...) tous les aspects de la requête que la chambre a examinés précédemment dans son arrêt, pas uniquement la « question » grave qui a motivé le renvoi ». (ibidem, § 140). Elle a également ajouté « dans un souci de clarification » que l’affaire renvoyée devant la Grande Chambre « est la requête telle qu’elle a été déclarée recevable » (ibidem, § 141).

172. Cette formulation a été reprise dans plusieurs arrêts ultérieurs (Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 41, CEDH 2006‑XII, D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 109, CEDH 2007‑IV, et Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98 et 2 autres, § 194, 3 octobre 2008). La Cour a également dit que l’étendue de l’affaire renvoyée devant la Grande Chambre se trouve « délimitée par la décision de la chambre sur la recevabilité » (Göç c. Turquie [GC], no 36590/97, §§ 35 à 37, CEDH 2002‑V, Perna c. Italie [GC], no 48898/99, §§ 23 et 24, CEDH 2003‑V, et Azinas c. Chypre [GC], no 56679/00, § 32, CEDH 2004‑III).

173. Dans un nombre important d’affaires qui lui ont été déférées sur renvoi, la Grande Chambre a été saisie de demandes de réexamen de griefs déclarés irrecevables par une chambre. Dans les arrêts qu’elle a rendus dans le cadre de pareilles affaires, la Grande Chambre a souvent ajouté un libellé plus spécifique pour préciser qu’elle « ne peut pas examiner les parties de la requête qui ont été déclarées irrecevables » (Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, § 234, CEDH 2012 (extraits), et Murray, précité, § 86). Dans certains arrêts, elle a également dit que « la Grande Chambre peut se pencher sur la totalité de l’affaire dans la mesure où elle a été déclarée recevable » (Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, § 61, CEDH 2007‑I, Kurić et autres, précité, § 235, et Herrmann c. Allemagne [GC], no 9300/07, § 38, 26 juin 2012) ou qu’elle « ne peut se pencher sur l’affaire que dans la mesure où elle a été déclarée recevable » (Gillberg c. Suède [GC], no 41723/06, §§ 53 à 55, 3 avril 2012, Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 78, 21 juin 2016, et Zubac c. Croatie [GC], no 40160/12, § 56, 5 avril 2018). Il convient toutefois de noter que cette formulation a été utilisée relativement à des griefs déclarés irrecevables par la chambre (dans presque tous les cas) ou à une demande de réexamen d’une décision de renvoi prise par le collège (Pisano c. Italie (radiation) [GC], no 36732/97, § 27, 24 octobre 2002). Il apparaît qu’elle n’a pas été employée relativement à des griefs dont la chambre n’avait pas examiné la recevabilité.

174. Il ressort de l’analyse de la jurisprudence exposée ci-dessus que le fait que la Cour ait maintes fois considéré la décision de recevabilité de la chambre comme l’acte délimitant l’étendue de l’affaire déférée à la Grande Chambre dans le cadre de la procédure de renvoi s’explique en partie par le système de la Convention tel qu’il existait avant l’entrée en vigueur du Protocole no 11 et en partie par le fait que, dans la grande majorité des arrêts pertinents, la Grande Chambre a eu à statuer sur des demandes de réexamen de griefs déclarés irrecevables. On ne saurait dire que par ce libellé la Cour entendait affirmer que la Grande Chambre ne peut connaître de griefs n’ayant été ni déclarés irrecevables ni déclarés recevables par une chambre.

175. La Cour relève également que le fait d’exclure du champ de l’affaire déférée à la Grande Chambre des griefs déclarés irrecevables peut être considéré comme découlant de la jurisprudence bien établie selon laquelle une décision d’irrecevabilité est définitive (voir, par exemple, Budrevich c. République tchèque, no 65303/10, § 73, 17 octobre 2013). Il n’existe en revanche aucune décision définitive ayant pour effet de clore l’examen d’un grief qui n’a pas été déclaré irrecevable.

176. La Cour rappelle en outre qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil 1998‑I, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 114, 20 mars 2018) et, de surcroît, qu’elle peut décider de ne pas examiner séparément un grief donné, au motif qu’il se confond ou a des liens étroits avec un grief sur lequel elle a déjà statué. C’est en effet sur ce principe que se fonde en l’espèce la décision de la chambre de n’examiner ni la recevabilité ni le fond du grief formulé sur le terrain de l’article 13 combiné avec l’article 3 relativement aux recours internes formés par les requérants contre leur expulsion vers la Serbie.

177. La Cour estime par conséquent qu’une approche trop rigide de la délimitation de l’étendue de l’affaire déférée à la Grande Chambre pourrait nuire à sa qualité de maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause relativement aux griefs qui n’ont pas été déclarés irrecevables. En outre, considérer qu’un grief qui n’a pas été déclaré irrecevable par la chambre ne relève pas de l’objet de l’affaire déférée à la Grande Chambre reviendrait de facto à le rejeter comme irrecevable. La Cour ne peut accepter pareille issue, qui aurait pour effet d’empêcher la Grande Chambre d’apprécier la recevabilité du grief en question dans une situation où la chambre, sans indiquer pourquoi, s’est abstenue d’examiner ce point.

178. La Cour estime par conséquent que le grief fondé sur l’article 13 combiné avec l’article 3 relativement aux déficiences procédurales que les requérants estiment avoir entaché l’examen de leurs demandes d’asile et des recours formés par eux contre les décisions de l’autorité compétente en matière d’asile relève de l’objet du litige porté devant la Grande Chambre.

179. Dès lors, toutefois, qu’elle a constaté une violation de l’article 3 de la Convention (paragraphes 163 et 164 ci-dessus), la Grande Chambre considère avec la chambre qu’étant donné que les allégations des requérants relatives aux déficiences procédurales qu’ils estiment avoir entaché l’examen de leurs demandes d’asile et des recours formés par eux contre les décisions de l’autorité compétente en matière d’asile ont fait l’objet d’un examen suffisant sur le terrain de l’article 3, il n’y a pas lieu de statuer sur la recevabilité et le fond du grief formulé sous l’angle de l’article 13 relativement à ces déficiences alléguées.

4. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION À RAISON DES CONDITIONS DE SÉJOUR DANS LA ZONE DE TRANSIT

180. Les requérants voient dans les conditions de leur séjour de vingt‑trois jours dans la zone de transit de Röszke un traitement inhumain et dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention. Devant la Grande Chambre, ils formulent également le même grief sur le terrain de l’article 8 de la Convention.

181. La Cour estime que le grief des requérants doit être examiné sous le seul angle de l’article 3, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. L’arrêt de la chambre

182. La chambre, tenant compte en particulier des constats du Comité pour la prévention de la torture selon lesquels les conditions matérielles dans la zone de transit étaient satisfaisantes et eu égard à la période relativement courte que les requérants y ont passé, a conclu à la non‑violation de l’article 3.

2. Thèses des parties

183. Les requérants estiment que la chambre a attaché trop de poids aux conditions matérielles générales, qu’elle n’a pas pris en considération le fait que le CPT n’avait jugé ces conditions acceptables que pour des séjours très brefs, et qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte de leur vulnérabilité. Sur ce dernier point, ils ont communiqué à la Grande Chambre des précisions quant aux conditions de vie pénibles et aux mauvais traitements que le premier requérant aurait subis au Pakistan, en Afghanistan, en Iran et au Bangladesh depuis les années 1990 et jusqu’en 2010 ou 2011 et que le second requérant aurait subis au Pakistan, à Dubaï, en Iran et en Turquie entre 2010 et 2013 (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). À titre subsidiaire, ils prient la Grande Chambre d’examiner sous l’angle de l’article 8 leur grief relatif aux conditions auxquelles ils ont été soumis dans la zone de transit, et de conclure à la violation de cette disposition.

184. Le gouvernement défendeur estime que la chambre a eu raison d’appliquer le principe du seuil de gravité et de conclure que les requérants n’étaient pas plus vulnérables que n’importe quel autre demandeur d’asile adulte. Il considère que la situation des requérants en l’espèce doit être distinguée de celle qui, indique-t-il, a conduit la Cour dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce à conclure à la violation de l’article 3, affirmant qu’il a été pourvu aux besoins fondamentaux des intéressés : nourriture, hygiène, abri et accès à une assistance médicale. À cet égard, il argue que même si ces conditions devaient être considérées comme non conformes à certaines des exigences de la directive européenne sur les conditions d’accueil, cela n’emporterait pas violation de l’article 3. Il met en garde contre une élévation des exigences de l’article 3 dans le contexte de l’accueil, qui imposerait des obligations allant au-delà de la prise en charge requise des besoins humains les plus élémentaires, expliquant notamment que les zones de transit ne constituent qu’un hébergement temporaire. En ce qui concerne les allégations des requérants relatives aux souffrances auxquelles ils auraient eu à faire face dans plusieurs pays d’Asie, il indique que les intéressés ne les ont jamais évoquées avant l’examen de leur requête par la Grande Chambre, et qu’il est impossible d’en contrôler la véracité.

185. Certains tiers intervenants ont également soumis des observations pertinentes. Le HCR a communiqué des informations factuelles sur la zone de transit de Röszke ainsi que des résumés du droit pertinent et des normes internationales relatives à l’accueil des demandeurs d’asile. Dans leur intervention commune, les cinq universitaires italiens abordent la notion de vulnérabilité, en mettant l’accent sur le droit international et le droit des droits de l’homme. Ils montrent que cette notion a été utilisée de plusieurs manières selon le contexte, sans qu’il en soit donné une définition. Ils prient la Cour de fixer des principes pertinents à cet égard.

3. Appréciation de la Cour

186. Il ne prête pas à controverse que pendant leur séjour dans la zone de transit de Rӧszke les requérants dépendaient totalement des autorités hongroises en ce qui concerne leurs besoins les plus élémentaires, et qu’ils se trouvaient sous leur contrôle.

187. Dans ces circonstances, il relevait de la responsabilité des autorités hongroises de ne pas soumettre les requérants à des conditions constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 216-222 et 263).

188. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. En ce qui concerne le confinement des demandeurs d’asile et leurs conditions de vie dans ce contexte, la Cour a résumé les principes généraux pertinents dans l’affaire Khlaifia et autres (précité, §§ 158-169).

189. Quant aux conditions matérielles dans lesquelles les requérants ont vécu pendant leur confinement dans la zone de transit, la Grande Chambre souscrit à l’analyse de la chambre, qui, aux paragraphes 84 et 85 de l’arrêt qu’elle a rendu en l’espèce, a déclaré ce qui suit :

« Dans son rapport adressé au gouvernement hongrois relatif à sa visite en Hongrie du 21 au 27 octobre 2015, c’est-à-dire peu après le départ des requérants de la zone de transit, le CPT a qualifié d’acceptables les conditions dans les containers de logement utilisés à Röszke. Il a néanmoins dit que, si des ressortissants étrangers venaient à être détenus dans la zone de transit pendant une plus longue durée, il faudrait alors réduire la capacité maximale des containers de logement et les doter d’un mobilier rudimentaire.

(...)

Pendant 23 jours, les requérants ont été confinés dans un espace clos d’une superficie d’environ 110 m², à côté duquel une chambre leur était fournie dans l’un des nombreux containers prévus à cet effet. Selon le CPT, ces chambres étaient d’une superficie de 13 m² au sol. La chambre des requérants contenait des lits pour cinq personnes mais il apparaît que, à l’époque des faits, ils en étaient les seuls occupants. Il y avait des sanitaires dans des containers séparés et le CPT a constaté que leur qualité n’appelait aucune observation particulière. Les requérants allèguent qu’aucun soin médical n’y était dispensé ; or, une psychiatre a pu se rendre auprès d’eux et les installations médicales ont fait plutôt bonne impression au CPT. Trois repas par jour étaient servis aux requérants. S’ils se sont certes plaints de l’absence d’installations de loisir et de matériel de communication, rien n’indique que les conditions matérielles fussent mauvaises, et en particulier qu’il y eût des carences en matière d’espace personnel, d’intimité, de ventilation, de lumière naturelle ou de promenade. »

190. Le rapport présenté le 13 octobre 2017 par le Représentant spécial du Secrétaire général du Conseil de l’Europe (paragraphe 67 ci-dessus) est venu par la suite confirmer que les conditions d’hygiène dans la zone de Röszke étaient bonnes et que les personnes qui y séjournaient recevaient des repas de qualité satisfaisante et les soins médicaux nécessaires, et pouvaient passer du temps en plein air.

191. Quant à l’argument des requérants relatif à leur vulnérabilité, la Cour doit examiner les éléments de preuve à sa disposition pour établir si, comme les intéressés le disent, ils pouvaient être considérés comme étant particulièrement vulnérables et, dans l’affirmative, si leurs conditions de vie pendant leur séjour en septembre et octobre 2015 dans la zone de transit de Rӧszke étaient incompatibles avec leur état de vulnérabilité au point d’être constitutives en ce qui les concerne d’un traitement inhumain et dégradant.

192. La Grande Chambre souscrit à l’avis de la chambre selon lequel, s’il est vrai que les demandeurs d’asile peuvent être considérés comme vulnérables du fait de leur parcours migratoire et des expériences traumatiques qu’ils peuvent avoir vécues en amont (M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 232), rien ne montre que les requérants en l’espèce étaient plus vulnérables que d’autres demandeurs d’asile majeurs confinés en septembre 2015 dans la zone de transit de Rӧszke (paragraphe 87 de l’arrêt de la chambre). En particulier, les allégations des intéressés sur les épreuves et les mauvais traitements qu’ils disent avoir subis au Pakistan, en Afghanistan, en Iran, à Dubaï et en Turquie concernent une période qui a pris fin en 2010 ou 2011 pour le premier requérant et en 2013 pour le second (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). En outre, la Cour ne juge pas déterminante l’expertise psychiatrique (paragraphe 30 ci-dessus) présentée par les requérants : compte tenu de son contexte, de son contenu, et de la durée relativement courte (vingt-trois jours) du séjour des requérants dans la zone de transit de Rӧszke, les observations que la psychiatre y formule ne peuvent mener à la conclusion que les conditions de vie, par ailleurs acceptables, dans la zone de transit de Rӧszke étaient si inadaptées aux besoins particuliers des requérants, compte tenu de leur situation personnelle, qu’elles étaient constitutives d’un mauvais traitement, contraire à l’article 3.

193. La Cour considère également que même si les requérants doivent avoir souffert de l’incertitude dans laquelle ils se trouvaient quant aux questions de savoir s’ils étaient privés de liberté et si, le cas échéant, les garanties juridiques contre une détention arbitraire s’appliquaient, la courte durée de la période concernée et le fait que les requérants étaient au courant de l’évolution de leur procédure d’asile, qui s’est déroulée sans retard, montrent que les répercussions négatives de cette incertitude ont dû être limitées.

194. En résumé, tenant compte en particulier des conditions matérielles dans la zone de transit, de la durée du séjour des requérants et des possibilités qui leur étaient offertes d’avoir des contacts avec d’autres demandeurs d’asile, des représentants du HCR, des ONG et un avocat, la Cour conclut que la situation dénoncée par les requérants n’a pas atteint le minimum de gravité nécessaire pour être constitutive d’un mauvais traitement au sens de l’article 3 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

5. SUR LES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

195. Les requérants allèguent avoir été confinés dans la zone de transit en violation de l’article 5 §§ 1 et 4, dont les parties pertinentes en l’espèce sont ainsi libellées :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. (...) »

1. L’arrêt de la chambre

196. La chambre a considéré que le confinement des requérants dans la zone de transit s’analysait en une privation de liberté de fait. Elle a tenu compte de ce que les intéressés avaient été placés dans un complexe gardé qui n’était pas accessible de l’extérieur et dont ils ne pouvaient sortir ni pour se rendre en Hongrie ni, sauf à renoncer à leur demande d’asile et à s’exposer au risque d’être refoulés, pour se rendre en Serbie. Statuant sur le fond du grief formulé sur le terrain de l’article 5 § 1, elle a estimé que la privation de liberté des requérants ne pouvait être considérée comme « régulière » au motif que, d’une part, les dispositions internes sur lesquelles elle reposait n’étaient pas suffisamment précises et prévisibles et que, d’autre part, il s’agissait d’une mesure pratique appliquée de fait en l’absence de décision formelle et, dès lors, de motivation expresse. Elle a également conclu à la violation de l’article 5 § 4 au motif que, en l’absence d’une décision qu’ils auraient pu contester, les requérants n’avaient pas eu la possibilité d’obtenir un contrôle juridictionnel de la privation de liberté dont ils avaient fait l’objet.

2. Thèses des parties
1. Les requérants

197. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 5, les requérants soutiennent que le fait qu’ils soient entrés dans la zone de transit de leur plein gré n’est pas pertinent. En effet, une fois entrés dans cette zone, ils se seraient trouvés dans l’impossibilité de retourner en Serbie, où ils n’auraient pas été les bienvenus et où ils auraient été exposés au risque d’être soumis à un refoulement en chaîne sans que leur demande d’asile soit examinée au fond.

198. Les requérants arguent que la thèse du Gouvernement consistant à dire qu’ils n’étaient pas de « véritables » demandeurs d’asile car ils ne risquaient pas d’être persécutés au Bangladesh ne devrait pas avoir d’incidence sur la question de savoir s’ils ont fait l’objet d’une privation de liberté irrégulière en Hongrie. Ils estiment qu’en tant que demandeurs d’asiles enregistrés, ils avaient le droit, dans l’attente d’une décision sur leur cas, de bénéficier de garanties procédurales adéquates, y compris en matière de privation de liberté. Or pendant cette période d’attente, ils n’auraient pu quitter la zone de transit ni en direction de la Hongrie – ils n’y auraient pas été autorisés –, ni en direction de la Serbie – où on leur aurait refusé l’entrée. Les requérants ont communiqué des déclarations écrites de membres d’une ONG qui avaient assisté au refus des autorités hongroises de laisser revenir en Hongrie par la porte qu’ils venaient de franchir des demandeurs d’asile dont la demande aurait été déclarée irrecevable et qui auraient reçu pour instruction de regagner la Serbie, mais qui auraient ensuite appris qu’ils pouvaient former un recours contre la décision d’irrecevabilité et auraient voulu retourner en Hongrie à cette fin[7].

199. Sur la question du respect de l’article 5 § 1, les requérants soutiennent que l’article 71/A de la loi relative à l’asile, que le Gouvernement invoque en tant que base légale de leur privation de liberté, ne répondait pas à l’exigence de qualité de la loi. Ils arguent que l’absence totale de dispositions claires, précises et prévisibles sur les conditions et les garanties procédurales de leur confinement dans la zone de transit – qui s’analyse, selon eux, en une forme de détention – prive cette mesure de toute base légale. Ils affirment à cet égard qu’on ne leur a jamais communiqué de décision ordonnant leur privation de liberté. Or, selon les requérants, les autorités disposaient des moyens juridiques d’imposer une telle mesure si elles l’avaient jugée nécessaire au bon fonctionnement du système d’asile, en particulier pour prévenir la pratique consistant pour les candidats à l’asile à rechercher le pays le plus favorable (forum shopping).

200. En ce qui concerne l’article 5 § 4, les requérants contestent l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le tribunal de Szeged pouvait examiner la régularité du choix d’appliquer la procédure à la frontière dans la zone de transit et, au travers de cet examen, assurer le contrôle de légalité requis. Selon eux, le tribunal n’a pas examiné la question de l’applicabilité de la procédure à la frontière et il n’avait aucune compétence pour contrôler la régularité du placement en zone de transit en tant que mesure privative de liberté.

2. Le gouvernement défendeur

201. Le gouvernement défendeur plaide que les requérants étaient libres de repartir en direction de la Serbie, d’où, comme la suite de leur périple le montre selon lui, ils pouvaient emprunter d’autres itinéraires pour se rendre jusqu’à la destination ayant leur préférence, à savoir l’Europe de l’Ouest. D’après le Gouvernement, les requérants n’étaient certes pas libres de circuler en Hongrie, mais cette restriction était inhérente à la procédure à la frontière appliquée normalement. La durée d’attente préalable à l’entrée du territoire national dépendrait de la complexité de l’affaire, du degré de coopération des demandeurs d’asile et de la cohérence de leurs déclarations. Dans l’attente de l’examen de leur demande, les requérants auraient été hébergés dans des conditions décentes, dans une zone de transit. Il ne faudrait pas confondre ces zones avec les centres d’accueil destinés aux réfugiés dont le droit à la protection internationale a été établi.

202. Les requérants n’auraient pas joui d’un « droit » à être admis en Hongrie. Le droit international ne permettrait de déduire l’existence d’un droit à l’admission sur le territoire que pour les réfugiés arrivant directement d’un État où ils sont persécutés, ou en cas de menace directe pour la vie ou l’intégrité physique des intéressés. À la lumière de l’article 1 de la Convention, l’article 5 devrait s’interpréter comme signifiant que lorsque des individus ne sont pas amenés dans la juridiction d’un État mais que ceux-ci demandent eux-mêmes à y être admis, le « confinement » préalable dans une zone d’attente (qu’ils sont libres de quitter) qui en résulte n’est pas une détention de fait mais une restriction à la liberté de circulation inhérente à la procédure d’admission. Pareille restriction ne serait pas arbitraire à moins que le refus d’admission ne le soit lui-même. En conséquence, il ne se poserait sur le terrain de l’article 5 aucune question distincte de celle du refus d’admission sur le territoire examiné en l’espèce sous l’angle de l’article 3.

203. En outre, les zones de transit frontalières diffèreraient fondamentalement des zones de transit aéroportuaires. Les secondes constitueraient une enclave au cœur du territoire de l’État, tandis que les premières seraient ouvertes sur l’État voisin d’où les demandeurs arrivent. Ainsi, le cas d’espèce diffèrerait de l’affaire Amuur c. France (25 juin 1996, Recueil 1996‑III), en ce que le retour des requérants en Serbie n’aurait pas nécessité de négociations avec les autorités serbes puisque celles-ci n’empêcheraient pas les étrangers de revenir sur leur territoire, et n’aurait été entravé par aucun obstacle financier ou pratique. Des demandeurs d’asile déboutés quitteraient régulièrement la zone de transit. Le fait que les requérants soient finalement retournés en Serbie sans en subir de conséquences néfastes montrerait qu’ils n’étaient pas détenus en Hongrie. À la différence des requérants de l’affaire Amuur, ceux de la présente affaire auraient été libres de quitter la zone non seulement en théorie mais aussi en pratique, car ils auraient eu la possibilité de retourner dans un État qui, étant lié par la Convention de Genève et la Convention européenne des droits de l’homme, leur aurait offert une protection comparable à celle dont ils pouvaient bénéficier en Hongrie.

204. Le Gouvernement estime par ailleurs que les requérants n’étaient pas exposés à un risque de refoulement vers un pays qui les aurait persécutés : selon lui, ils n’avaient subi de persécutions ni dans leur pays d’origine ni dans les pays par lesquels ils avaient transité. De plus, en retournant en Serbie, ils n’auraient pas renoncé à la protection internationale, car cette protection prévue par la Convention de Genève n’aurait pas été refusée aux demandeurs d’asile qui regagnent la Serbie de leur plein gré (pour autant qu’ils sollicitent cette protection et restent en Serbie jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à cet égard). La chambre n’aurait pas établi de distinction entre le cas d’espèce et l’affaire Riad et Idiab c. Belgique (nos 29787/03 et 29810/03, § 68, 24 janvier 2008), où les requérants auraient été confinés dans une zone de transit non pas à leur arrivée dans le pays mais plus d’un mois plus tard, sur décision des autorités, alors qu’en l’espèce, aucune autorité hongroise n’aurait contraint les requérants à entrer dans la zone de transit.

205. Le séjour des requérants dans la zone de transit aurait eu une base légale en droit hongrois, aurait été entouré de garanties contre l’arbitraire et aurait eu pour but d’empêcher l’entrée non autorisée sur le territoire national, conformément à l’article 5 § 1 f) de la Convention. En particulier, l’article 71/A de la loi relative à l’asile combiné avec l’article 15/A de la loi sur les frontières de l’État aurait disposé que les demandeurs devaient être hébergés à titre temporaire dans des zones de transit pendant l’examen de leurs demandes d’asile. L’article 71/A § 2 aurait précisé que dans le cadre de la procédure à la frontière, les personnes souhaitant entrer sur le territoire n’avaient pas le droit de circuler librement en Hongrie. À titre de garantie contre l’arbitraire, la loi aurait limité à quatre semaines la durée de la procédure à la frontière et du séjour en zone de transit : selon le paragraphe 4 de l’article 71/A, en l’absence de décision dans un délai de quatre semaines, les intéressés auraient dû se voir accorder l’entrée sur le territoire hongrois. Une garantie supplémentaire contre l’arbitraire aurait résidé dans le fait que la procédure à la frontière ne s’appliquait pas aux personnes ayant droit à un traitement préférentiel, comme les personnes vulnérables.

206. Le Gouvernement estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 en l’espèce, car selon lui le contrôle juridictionnel de la restriction à la liberté des requérants était intégré à celui de la décision rendue par l’autorité compétente en matière d’asile quant à l’applicabilité des règles relatives à la procédure à la frontière, y compris quant à l’applicabilité d’un traitement préférentiel. Il indique que le premier contrôle juridictionnel opéré dans le cas des requérants a eu lieu dans les six jours suivant leur arrivée.

3. Les tiers intervenants

207. Le gouvernement polonais considère que le placement d’un étranger dans une infrastructure dont il peut librement sortir ne doit pas être considéré automatiquement comme une privation de liberté de fait. Il ajoute que le cas d’espèce concerne les pratiques adoptées par des États membres de l’Union européenne au cours de la difficile période de crise migratoire, et il affirme à cet égard que l’ordre juridique européen assure le respect des droits fondamentaux, notamment par la supervision et le contrôle qu’opèrent les institutions de l’Union européenne.

208. Le gouvernement russe critique l’arrêt Amuur, estimant que la Cour y a posé à tort un nouveau critère d’appréciation du caractère arbitraire de la privation de liberté, à savoir « le lieu et les conditions » de rétention. Selon lui, aucun critère de la sorte ne découle de l’article 5. Les conditions de rétention ne seraient pertinentes que pour l’application de l’article 3. La Cour aurait de surcroît assimilé à tort une privation de liberté au refus de laisser l’étranger entrer sur le territoire national. En n’opérant aucune distinction fondée sur les motifs invoqués à l’appui des demandes d’asile, la Cour brouillerait la distinction entre migrants et réfugiés, affaiblissant ainsi la protection dont ces derniers auraient besoin.

209. Le HCR a communiqué des informations factuelles sur la zone de transit de Röszke et des résumés du droit hongrois pertinent, du droit de l’Union européenne et des normes internationales relatives à l’accueil des demandeurs d’asile.

4. Appréciation de la Cour
1. Applicabilité

210. Il est constant entre les parties que le séjour des requérants dans la zone de transit de Röszke ne s’analyse pas en une privation de liberté au regard du droit hongrois. Il y a toutefois désaccord entre elles sur la question de savoir si l’on peut néanmoins y voir une privation de liberté de fait et, par conséquent, conclure à l’applicabilité de l’article 5.

a) Principes pertinents

211. En proclamant le « droit à la liberté », le paragraphe 1 de l’article 5 vise la liberté physique de la personne. Par conséquent, il ne concerne pas les simples restrictions à la liberté de circuler, lesquelles obéissent à l’article 2 du Protocole no 4 en ce qui concerne les personnes se trouvant régulièrement sur le territoire d’un État. Le classement dans l’une ou l’autre de ces catégories se révèle parfois ardu, car dans certains cas marginaux il s’agit d’une pure affaire d’appréciation, mais la Cour ne saurait éluder un choix dont dépendent l’applicabilité ou l’inapplicabilité de l’article 5 de la Convention (Khlaifia et autres, précité, § 64, avec d’autres références).

212. Pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères tels que la nature, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée (Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 225, CEDH 2012, et Gahramanov c. Azerbaïdjan (déc.), no 26291/06, § 40, 15 octobre 2013). Entre privation et restriction de liberté, il n’y a qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence (De Tommaso c. Italie [GC], no 43395/09, § 80, 23 février 2017, avec les références qui y sont citées, ainsi que Kasparov c. Russie, no 53659/07, § 36, 11 octobre 2016).

213. Pour ce qui est des situations dans lesquelles les demandeurs d’asile peuvent se retrouver, la Cour considère que lorsqu’elle distingue entre restriction de la liberté de circuler et privation de liberté, il lui faut adopter une approche pragmatique et réaliste tenant compte des conditions et défis actuels. Il importe, en particulier, de reconnaître le droit pour les États, sous réserve de leurs engagements internationaux, de contrôler leurs frontières et de prendre des mesures contre les étrangers qui contournent les restrictions posées à l’immigration.

214. La question de savoir si le fait de maintenir une personne dans une zone internationale d’un aéroport équivaut à la priver de sa liberté a été traitée dans un certain nombre d’affaires (voir, entre autres, Amuur, précité, § 43, Shamsa c. Pologne, nos 45355/99 et 45357/99, § 47, 27 novembre 2003, Mogoş c. Roumanie (déc.), no 20420/02, 6 mai 2004, Mahdid et Haddar c. Autriche (déc.), no 74762/01, ECHR 2005-XIII (extraits), Riad et Idiab, précité, § 68, Nolan et K. c. Russie, no 2512/04, §§ 93-96, 12 février 2009, et Gahramanov, précité, §§ 35-47).

215. Au paragraphe 43 de l’arrêt Amuur, la Cour s’est exprimée comme suit :

« [L]e maintien d’étrangers dans la zone internationale comporte une restriction à la liberté, mais qui ne saurait être assimilée en tous points à celle subie dans les centres de rétention d’étrangers en attente d’expulsion ou de reconduite à la frontière. Assorti de garanties adéquates pour les personnes qui en font l’objet, un tel maintien n’est acceptable que pour permettre aux États de combattre l’immigration clandestine tout en respectant leurs engagements internationaux, notamment en vertu de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et de la Convention européenne des Droits de l’Homme ; le souci légitime des États de déjouer les tentatives de plus en plus fréquentes de contourner les restrictions à l’immigration ne doit pas priver les demandeurs d’asile de la protection accordée par ces conventions.

Pareil maintien ne doit pas se prolonger de manière excessive car il risquerait de transformer une simple restriction à la liberté – inévitable en vue de l’organisation matérielle du rapatriement de l’étranger ou, si celui-ci a sollicité l’asile, pendant l’examen de la demande d’admission sur le territoire au titre de l’asile – en privation de liberté. Il faut tenir compte, à cet égard, du fait qu’une telle mesure s’applique non pas à des auteurs d’infractions pénales mais à des étrangers qui, craignant souvent pour leur vie, fuient leur propre pays.

Si la décision de maintien incombe par la force des choses aux autorités administratives ou policières, la prolongation de celui-ci nécessite le contrôle non tardif du juge, gardien traditionnel des libertés individuelles. Avant tout et surtout, un tel maintien ne doit pas priver le demandeur d’asile du droit d’accéder effectivement à la procédure de détermination du statut de réfugié. »

216. La Cour a également examiné l’applicabilité de l’article 5 relativement à des centres d’accueil installés sur des îles au large des côtes italiennes et grecques aux fins de l’identification et de l’enregistrement des migrants (Khlaifia et autres, précité, §§ 65 à 72, qui concernait des migrants en situation irrégulière, et J.R. et autres c. Grèce, no 22696/16, 25 janvier 2018, qui concernait des demandeurs d’asile). Dans l’affaire J.R. et autres c. Grèce, où le placement en détention des requérants avait initialement été ordonné par une décision officielle, la Cour a tenu compte, en particulier, de l’évolution de la situation juridique des requérants au regard du droit interne ainsi que du changement de régime – de « fermé » à « semi-ouvert » – du centre d’accueil pour établir une distinction entre deux périodes, dont seule la première appelait l’application de l’article 5 (ibidem, §§ 85 à 87).

217. Pour distinguer entre restriction de la liberté de circuler et privation de liberté dans le contexte du maintien d’étrangers dans des zones de transit aéroportuaires ou dans des centres d’accueil installés aux fins de l’identification et de l’enregistrement des migrants, la Cour tient compte d’un éventail de facteurs que l’on peut résumer comme suit : i) la situation personnelle des requérants et les choix opérés par eux, ii) le régime juridique applicable dans le pays concerné et l’objectif qui était le sien, iii) la durée du maintien, considérée notamment à la lumière du but qui était poursuivi et de la protection procédurale dont les requérants jouissaient au moment des événements, et iv) la nature et le degré des restrictions concrètement imposées aux requérants ou effectivement subies par eux (voir les affaires citées dans les trois paragraphes précédents).

218. La Cour considère que les facteurs exposés ci-dessus sont, mutatis mutandis, également pertinents en l’espèce.

b) Application de ces principes au cas d’espèce

219. La présente espèce concerne, et c’est la première fois semble-t-il que la Cour est saisie de pareil cas, une zone de transit située à la frontière terrestre entre deux États membres du Conseil de l’Europe et dans laquelle les demandeurs d’asile étaient censés attendre la décision sur la recevabilité de leurs demandes d’asile. Il est évident que la Cour ne peut analyser l’applicabilité de l’article 5 dans ce contexte sans tenir compte du but spécifique des zones de transit en question, de leur configuration et de leurs caractéristiques juridiques.

1. La situation personnelle des requérants et les choix opérés par eux

220. La Cour observe d’emblée que les requérants sont entrés dans la zone de transit de Röszke de leur propre chef, dans le but de demander l’asile en Hongrie. Si ce fait n’exclut pas en soi que les intéressés puissent s’être retrouvés de facto privés de liberté après leur entrée, la Cour y voit un élément qu’il convient d’examiner à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce.

221. À cet égard, il est vrai que dans un certain nombre d’affaires la Cour a dit qu’une privation de liberté peut emporter violation de l’article 5 même si la personne concernée y a consenti, et elle a souligné que le droit à la liberté revêt une trop grande importance pour qu’une personne perde le bénéfice de la protection de la Convention du seul fait qu’elle se constitue prisonnière (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique, 18 juin 1971, § 65, série A no 12, I.I. c. Bulgarie, no 44082/98, §§ 84-87, 9 juin 2005, Osypenko c. Ukraine, no 4634/04, § 48, 9 novembre 2010, Venskutė c. Lituanie, no 10645/08, § 72, 11 décembre 2012, et Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, §§ 106-110, 5 juillet 2016). Les affaires en question concernaient toutefois soit des situations où des privations de liberté étaient prévues par la loi, soit des situations où les requérants s’étaient conformés à une obligation, comme celle, notamment, de se rendre dans une prison ou un poste de police, ou de se soumettre à une assignation à résidence. La Cour considère que la situation est différente lorsque, comme en l’occurrence, les requérants n’avaient aucun lien préexistant avec l’État concerné et aucune obligation à laquelle ils auraient eu à se conformer mais qu’ils ont demandé de leur propre chef à pouvoir entrer sur le territoire de l’État en question pour y demander l’asile. En pareil cas, le point de départ pour l’analyse de la situation personnelle des requérants vis-à-vis des autorités est complètement différent.

222. Dans le cas d’espèce, compte tenu de ce que l’on sait des requérants et du périple qui les amena du Bangladesh en Hongrie, il ne fait aucun doute que les intéressés sont entrés de leur propre chef dans la zone de transit de Röszke. Il est également clair que, en tout état de cause, les autorités hongroises étaient en droit de procéder aux vérifications nécessaires et d’examiner les demandes des intéressés avant de décider de les admettre ou non.

223. Enfin, la Cour relève également que les requérants n’ont pas franchi la frontière entre la Serbie et la Hongrie parce que leur vie ou leur santé auraient été directement menacées par un danger immédiat en Serbie, mais qu’ils sont entrés en Hongrie de leur plein gré.

2. Le régime juridique applicable, l’objectif qui était le sien et la durée du maintien dans la zone de transit, considérée à la lumière de l’objectif poursuivi et de la protection procédurale découlant de ce régime

224. Deuxièmement, il importe également de noter que la raison d’être et l’objectif du régime juridique interne applicable à la zone de transit de Röszke étaient la mise en place d’une zone d’attente où les demandeurs d’asile séjourneraient le temps que les autorités décident de les admettre ou non en Hongrie (voir le paragraphe 41 ci‑dessus et, en particulier, l’article 71/A de la loi hongroise relative à l’asile). Il y a lieu de relever, même si cet élément n’est pas décisif en soi, que les autorités hongroises n’ont pas cherché à priver les requérants de leur liberté et qu’elles leur ont ordonné de quitter la Hongrie le jour même de leur arrivée dans le pays (paragraphe 8 ci-dessus). Si les requérants sont restés dans la zone de transit, c’est essentiellement parce qu’ils ont introduit un recours contre la décision d’expulsion les concernant (paragraphes 20 à 37 ci-dessus).

225. Le droit pour les États de contrôler l’entrée des étrangers sur leur territoire implique nécessairement que l’autorisation d’entrée puisse être subordonnée au respect des exigences applicables. Dès lors, en l’absence d’autres facteurs significatifs, on ne peut décrire comme une privation de liberté attribuable à l’État la situation d’un candidat à l’entrée qui attend pendant une brève période que les autorités vérifient s’il doit se voir reconnaître pareil droit. Dans un tel cas, en effet, les autorités ne font que répondre, en procédant aux vérifications nécessaires, au souhait de l’intéressé d’entrer dans le pays (voir, mutatis mutandis, Gahramanov, précité, §§ 35-47 ; voir aussi Mahdid et Haddar, décision précitée, où les demandes d’asile présentées par les requérants dans une zone de transit aéroportuaire avaient été rejetées dans les trois jours, et où la Cour, tenant compte de facteurs supplémentaires tels le fait que les requérants ne s’étaient pas trouvés sous le contrôle constant de la police, a conclu qu’il n’y avait pas eu privation de liberté).

226. Il convient également de noter que, conformément à l’objectif du régime juridique interne en vigueur, les garanties procédurales prévues pour le traitement des demandes d’asile et les dispositions fixant la durée maximale des séjours en zone de transit étaient applicables dans le cas des requérants (paragraphes 41 et 205 ci-dessus). Ces garanties ont effectivement été mises en œuvre et les requérants ont séjourné vingt-trois jours dans la zone de transit de Rӧszke, au cours desquels leurs demandes d’asile respectives ont été traitées par les instances administratives et judiciaires compétentes.

227. Dans la jurisprudence de la Cour relative au confinement d’étrangers dans un contexte d’immigration, la durée de la restriction à la liberté de circuler en cause et le lien entre les actes des autorités et la mesure litigieuse sont susceptibles d’avoir une incidence sur l’appréciation du point de savoir si la situation doit ou non s’analyser en une privation de liberté (voir, mutatis mutandis, Amuur, précité, § 43, Gahramanov, précité, §§ 35‑47, et Mahdid et Haddar, décision précitée). Cela étant, la Cour considère que dans des situations globalement similaires à celle du cas d’espèce, et du moment que le temps passé dans la zone de transit n’excède pas de manière significative celui nécessaire à l’examen d’une demande d’asile et qu’il n’existe aucune circonstance exceptionnelle, la durée du confinement ne doit pas peser de manière décisive dans son analyse de l’applicabilité de l’article 5. Cela vaut particulièrement lorsque les intéressés bénéficient, dans l’attente du traitement de leur demande d’asile, de droits et garanties procéduraux les protégeant contre des délais d’attente excessifs. L’existence au plan interne d’une réglementation juridique limitant la durée des séjours en zone de transit revêt à cet égard une grande importance.

228. En l’espèce, la Cour observe que les autorités hongroises se trouvaient à l’époque confrontées à un afflux massif de demandeurs d’asile et de migrants aux frontières du pays et qu’elles ont dû rapidement mettre en place des mesures propres à leur permettre de gérer ce qui était clairement une situation de crise. Malgré les difficultés très importantes engendrées par cette situation, les autorités ont examiné les demandes d’asile des requérants et leurs recours en justice dans un délai de trois semaines et deux jours (paragraphes 8 et 20 à 37 ci-dessus).

229. Aussi la Cour considère-t-elle, d’une part, que la situation des requérants n’est pas résultée d’une quelconque inaction des autorités, et, d’autre part, que celles-ci n’ont posé d’autres actes concrets que ceux qu’il leur fallait impérativement accomplir pour vérifier si elles pouvaient accéder au vœu des requérants d’entrer en Hongrie pour y demander l’asile.

230. Cela étant, la Cour doit également chercher à déterminer si, par-delà les considérations qui précèdent, les restrictions concrètement imposées aux requérants ou effectivement subies par eux ont eu pour effet de les placer dans une situation de privation de liberté de fait.

3. La nature et le degré des restrictions concrètement imposées aux requérants ou effectivement subies par eux

231. La Cour note, d’une part, que les individus séjournant dans la zone de Röszke, établie sur le territoire hongrois, n’étaient pas autorisés à la quitter pour se rendre ailleurs sur le territoire de ce pays (comparer avec la décision Mogoş, précitée). Cela n’a rien d’étonnant, vu que le but même de la zone de transit était de servir de lieu d’attente où les demandeurs d’asile séjourneraient le temps que les autorités décident de les admettre ou non en Hongrie.

232. À l’époque des faits, la zone de transit de Röszke s’étendait sur un périmètre très limité ; elle était entourée d’une clôture et de barbelés et était sous surveillance constante, ce qui empêchait d’y entrer et d’en sortir librement. Dans la zone, les requérants pouvaient communiquer avec d’autres demandeurs d’asile et, avec la permission des autorités, recevoir des visiteurs, dont leur avocat. Ils pouvaient passer du temps en plein air, sur une étroite bande de terrain située devant les conteneurs qui servaient de dortoirs (paragraphes 15, 65 et 67 ci-dessus). La Cour estime que, d’une manière générale, de par la dimension de la zone et la façon dont elle était contrôlée, la liberté de circuler des requérants se trouvait très fortement restreinte, au point de la rendre comparable au régime de détention allégé qui caractérise certaines structures pénitentiaires.

233. La Cour tient compte, d’autre part, du fait que dans l’attente de l’issue des procédures rendues nécessaires par leurs demandes d’asile respectives, les requérants ont vécu dans des conditions qui, malgré une forte limitation de leur liberté de circuler, n’ont pas restreint leur liberté au‑delà de ce qui était nécessaire ou dans une mesure ou d’une manière sans rapport avec l’examen de leurs demandes d’asile. Elle rappelle également qu’elle a rejeté le grief des requérants selon lequel ces conditions étaient inhumaines et dégradantes (paragraphe 194 ci-dessus). Elle note enfin que les requérants n’ont passé que vingt-trois jours dans la zone, ce qui, ainsi qu’elle en a jugé, représente une période d’une durée qui n’a pas excédé ce qui était strictement nécessaire aux autorités hongroises pour vérifier si elles pouvaient accéder au vœu des requérants d’entrer en Hongrie pour y demander l’asile.

234. Reste la question de savoir si les requérants pouvaient quitter la zone de transit pour se rendre ailleurs que sur le territoire hongrois.

235. À cet égard, la Cour observe d’emblée qu’à l’époque des faits, ainsi qu’en attestent notamment des rapports pertinents d’organisations non gouvernementales, de nombreuses personnes se trouvant dans la même situation que les requérants ont, de leur plein gré pour une partie d’entre eux au moins, quitté la zone de transit de Rӧszke pour se rendre en Serbie (paragraphe 71 ci-dessus). Les requérants ne semblent pas contester ce point.

236. Il importe également de noter que contrairement, par exemple, aux personnes confinées dans une zone de transit aéroportuaire (paragraphe 214 ci-dessus), les personnes qui, comme les requérants en l’espèce, sont maintenues dans une zone de transit située à une frontière terrestre n’ont pas besoin d’embarquer dans un avion pour retourner dans le pays d’où ils sont venus. Les requérants en l’espèce étaient arrivés de Serbie, c’est-à-dire d’un territoire adjacent à la zone de transit. Il faut donc considérer que, d’un point de vue pratique, la possibilité pour eux de quitter la zone de transit de Röszke était non pas purement théorique, mais réaliste. De fait, contrairement à l’affaire Amuur (arrêt précité), dans laquelle les juridictions françaises avaient qualifié le maintien des requérants de « privation arbitraire de liberté » (ibidem, § 45), les autorités hongroises étaient en l’espèce apparemment convaincues que les requérants pouvaient de manière réaliste quitter la zone de transit en direction de la Serbie.

237. Il est probable que les requérants n’aient légalement pas eu le droit d’entrer en Serbie. La Cour note toutefois qu’à l’époque des faits la Serbie était liée par un accord de réadmission qu’elle avait conclu avec l’Union européenne (paragraphe 59 ci-dessus). S’il ne lui appartient pas d’interpréter cet accord et de déterminer s’il était ou non applicable dans le cas des requérants, elle considère que la possibilité concrète pour eux de quitter la zone de transit pour se rendre en Serbie existait non pas seulement en théorie mais aussi en pratique. Cela est confirmé par le fait que les requérants et, au cours de la même période, un grand nombre d’autres personnes qui se trouvaient dans une situation similaire finirent par quitter la zone pour entrer en Serbie.

238. Les requérants arguent par ailleurs qu’ils étaient dans l’incapacité de retourner en Serbie, d’où ils étaient venus, exposant qu’ils couraient un risque réel d’y subir de graves conséquences. Le gouvernement défendeur conteste cette allégation, expliquant que la Serbie était un pays sûr et que les requérants n’avaient en tout état de cause pas été persécutés dans leur pays d’origine, le Bangladesh.

239. La Cour rappelle le raisonnement tenu dans l’arrêt Amuur (précité), où elle s’est exprimée comme suit : « la simple possibilité pour des demandeurs d’asile de quitter volontairement le pays où ils entendent se réfugier ne saurait exclure une atteinte à la liberté », ajoutant que le droit de quitter un pays « revêt un caractère théorique si aucun autre pays offrant une protection comparable à celle escomptée dans le pays où l’asile est sollicité n’est disposé ou prêt à les accueillir » (ibidem, § 48).

240. La Cour estime qu’il faut lire le raisonnement suivi dans l’arrêt Amuur en tenant pleinement compte du contexte factuel et juridique de cette affaire, où les requérants ne pouvaient ni en théorie ni en pratique quitter la zone aéroportuaire sans avoir au préalable obtenu l’autorisation d’embarquer à bord d’un avion et des garanties diplomatiques concernant la seule destination vers laquelle ils pouvaient se rendre, la Syrie, qui « n’était pas liée par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés » (ibidem). Les requérants ne pouvaient par leur seule volonté surmonter ces obstacles ou atténuer leurs conséquences : seule une action des autorités pouvait éventuellement leur permettre d’y parvenir. De même, dans l’affaire J.R.et autres c. Grèce (arrêt précité), les requérants ne pouvaient rejoindre que par bateau le pays d’où ils étaient arrivés, la Turquie.

241. En l’espèce, en revanche, les requérants avaient une possibilité pratique de gagner la frontière à pied et de la traverser pour passer en Serbie, État partie à la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (paragraphe 72 ci-dessus).

242. Il importe également de relever que, comme ils l’ont expliqué dans les observations relatives à l’article 3 qu’ils ont adressées à la Cour (paragraphes 100 à 107 ci-dessus), les requérants craignaient d’être exposés, en cas de retour en Serbie, non pas à un danger direct pour leur vie ou pour leur santé, mais à des défaillances dans le fonctionnement du système d’asile serbe et à un risque subséquent de refoulement vers la République de Macédoine du Nord ou vers la Grèce, deux autres États contractants, sans qu’il fût procédé à un examen approprié de leurs demandes d’asile respectives.

243. La Cour ne peut admettre que ces seules craintes suffisent, nonobstant toutes les autres circonstances de l’espèce (lesquelles, ainsi qu’elle l’a expliqué ci-dessus, diffèrent de celles des affaires concernant des cas de maintien dans une zone de transit aéroportuaire), à faire entrer en jeu l’article 5. Pareille interprétation de l’applicabilité de l’article 5 aurait pour effet d’étendre la notion de privation de liberté au-delà du sens voulu par la Convention.

244. L’interdiction des mauvais traitements énoncée par l’article 3 de la Convention impose en matière d’expulsion de demandeurs d’asile des obligations matérielles et procédurales rigoureuses dont certaines ne sont pas étrangères à l’objet de la présente affaire (paragraphes 100-165 ci‑dessus). En particulier, un demandeur d’asile ne peut être expulsé vers un pays où il court un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 3. Le non-respect de cette règle, et spécialement de l’obligation procédurale d’apprécier avec soin tous les risques potentiels, engage la responsabilité de l’État contractant concerné au regard de l’article 3.

245. Certes, dans la mesure où un contrôle juridictionnel indépendant des actes de privation de liberté, tel qu’imposé par l’article 5 §§ 3 et 4, est essentiel pour la prévention du risque, sur le lieu de détention, de mesures présentant une menace pour la vie ou de sévices graves (Kurt c. Turquie, 25 mai 1998, § 123, Recueil 1998‑III), il existe un lien entre les droits consacrés par l’article 3 et ceux garantis par l’article 5 de la Convention. Ce lien s’inscrit toutefois dans un contexte bien différent de celui du cas d’espèce.

246. La Cour estime que lorsque, comme en l’espèce, la somme de l’ensemble des autres facteurs pertinents n’indique pas l’existence d’une situation de privation de liberté de fait et qu’il est établi que les demandeurs d’asile avaient la possibilité de retourner dans le pays tiers intermédiaire d’où ils venaient sans que leur santé ou leur vie ne fussent exposées à un danger direct qui aurait été connu des autorités ou qui aurait été porté à leur attention à l’époque pertinente, elle ne peut, au seul motif que les autorités n’auraient pas respecté les obligations distinctes qui leur incombaient en vertu de l’article 3, conclure à l’applicabilité de l’article 5 dans une situation où les intéressés étaient contraints d’attendre dans une zone de transit située à une frontière terrestre la décision concernant leurs demandes d’asile. La Convention ne peut être interprétée comme établissant un tel lien entre l’applicabilité de l’article 5 et une question distincte concernant le respect par les autorités des obligations découlant de l’article 3.

247. Il est vrai qu’en vertu de l’article 66 2) d) de la loi relative à l’asile (paragraphe 41 ci-dessus), les requérants auraient perdu la possibilité de voir leurs demandes d’asile respectives examinées par les autorités hongroises s’ils avaient quitté le pays avant le prononcé de la décision définitive les concernant. À cet égard, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du Gouvernement, fondé sur l’article 66 6) de cette même loi, consistant à dire que les requérants étaient libres de passer du temps en Serbie puis, s’ils revenaient dans la zone de transit dans un délai de neuf mois, de demander la reprise de la procédure d’asile en Hongrie. Le gouvernement défendeur n’a cité aucun exemple à cet égard, et rien ne montre que les requérants fussent informés de cette possibilité lorsqu’ils se trouvaient dans la zone de transit de Röszke. Au contraire, ainsi que le gouvernement défendeur l’a confirmé dans ses observations à la Grande Chambre, les requérants devaient rester à la disposition des autorités hongroises compétentes en matière d’asile – et donc dans la zone de transit – pendant l’examen de la recevabilité de leurs demandes d’asile, laquelle, de surcroît, dépendait de l’appréciation du point de savoir s’ils pouvaient être renvoyés sans risque en Serbie.

248. La Cour rappelle toutefois qu’en l’absence d’un danger direct pour la vie ou la santé des requérants qui aurait été connu des autorités hongroises ou qui aurait été porté à leur attention au moment des faits, l’arrêt de la procédure d’asile engagée par les requérants en Hongrie était une question juridique qui n’avait aucune incidence sur leur liberté physique de quitter la zone de transit pour se rendre à pied en Serbie. Dans les circonstances de l’espèce et contrairement à la situation qui prévalait dans certaines affaires concernant des zones de transit aéroportuaires, notamment l’affaire Amuur (arrêt précité), le risque pour les requérants de perdre la possibilité de voir leurs demandes d’asile examinées en Hongrie et leurs craintes de ne pas avoir un accès suffisant aux procédures d’asile en Serbie étaient certes pertinents au regard de l’article 3, mais ils n’ont pas rendu purement théorique la possibilité qu’avaient les intéressés de quitter la zone de transit pour se rendre en Serbie. Dès lors, ces éléments n’ont pas eu pour effet de rendre le séjour des requérants dans la zone de transit involontaire du point de vue de l’article 5, et ils ne pouvaient donc, à eux seuls, mettre cette disposition en jeu.

4. Conclusion quant à l’applicabilité de l’article 5

249. La Cour conclut par conséquent que, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce analysées ci-dessus, les requérants n’ont pas été privés de leur liberté au sens de l’article 5. Partant, cette disposition n’était pas applicable en l’espèce.

2. Conclusion quant aux griefs fondés sur l’article 5

250. Il s’ensuit que les griefs formulés par les requérants sur le terrain de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention. La Cour rappelle également qu’en vertu de l’article 35 § 4 de la Convention elle peut « à tout stade de la procédure » rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable. Dès lors, la Grande Chambre peut, sous réserve de ce qui est prévu à l’article 55 du règlement de la Cour, revenir sur une décision ayant déclaré une requête recevable (voir la jurisprudence citée au paragraphe 80 ci-dessus).

251. La Cour conclut par conséquent que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 3 a) et 4.

6. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

252. L’article 41 de la Convention dispose :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

253. La chambre a alloué à chaque requérant la somme de 10 000 euros (EUR) pour dommage moral.

254. Devant la Grande Chambre, les requérants réclament chacun, comme ils l’avaient fait devant la chambre, la somme de 15 000 EUR pour dommage moral. Le Gouvernement juge les prétentions des requérants excessives et invite la Cour à les rejeter.

255. La Cour estime que les requérants doivent avoir subi un dommage moral du fait de la violation procédurale de l’article 3 de la Convention constatée en l’espèce. Eu égard aux circonstances de l’affaire, elle alloue à chacun d’eux 5 000 EUR pour dommage moral.

2. Frais et dépens

256. Devant la chambre les requérants avaient réclamé 8 705 EUR pour 57 heures et 30 minutes de travail juridique au taux horaire de 150 EUR, plus 80 EUR de frais administratifs. La chambre leur a alloué l’intégralité de cette somme.

257. Devant la Grande Chambre, les requérants réitèrent leur demande, qu’ils majorent de 17 625 EUR pour 117 heures et 30 minutes de travail juridique au taux horaire de 150 EUR dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre. Ils ont joint à leur demande un relevé indiquant le nombre d’heures sans plus de détails. Ils réclament donc la somme totale de 26 330 EUR au titre des frais et dépens.

258. Le Gouvernement conteste la nécessité et le caractère raisonnable du montant de ces dépenses, estimant que les requérants ont formulé un certain nombre d’observations dénuées de pertinence.

259. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères exposés ci-dessus, et étant donné que la plupart des griefs soulevés ont été rejetés, la Cour juge raisonnable d’octroyer aux requérants la somme de 18 000 EUR, tous frais et dépens confondus.

3. Intérêts moratoires

260. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Accueille, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement tiré de la tardiveté du grief, fondé par les requérants sur l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de la Convention, selon lequel ils n’avaient à leur disposition aucun recours leur permettant de se plaindre des conditions de vie qui régnaient dans la zone de transit frontalière de Röszke et, partant, déclare cette partie de la requête irrecevable ;
2. Rejette, à l’unanimité, les autres exceptions préliminaires soulevées par le gouvernement défendeur ;
3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison de l’expulsion des requérants vers la Serbie ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief fondé sur l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de la Convention relativement à l’ineffectivité alléguée des recours internes formés par les requérants contre la décision de les expulser vers la Serbie ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de vie dans la zone de transit frontalière de Röszke ;
6. Dit, à la majorité, que les griefs formulés par les requérants sur le terrain des articles 5 §§ 1 et 4 de la Convention sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention et, partant, déclare cette partie de la requête irrecevable ;
7. Dit, par seize voix contre une, que l’État défendeur doit, dans les trois mois, verser à chacun des requérants 5 000 EUR (cinq mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme ;
8. Dit, à l’unanimité, que l’État défendeur doit, dans les trois mois, verser aux requérants conjointement 18 000 EUR (dix-huit mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt sur cette somme ;
9. Dit, à l’unanimité, qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
10. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 21 novembre 2019.

Johan CallewaertLinos-Alexandre Sicilianos
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges Bianku et Vučinić.

L.A.S.
J.C.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE DU JUGE BIANKU À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE VUČINIĆ

Dans cette affaire, je partage l’avis de la majorité relativement aux articles 3 et 13. Malheureusement, je ne peux suivre ni son raisonnement ni ses conclusions en ce qui concerne l’applicabilité de l’article 5 et les griefs fondés sur cette disposition.

Les deux requérants ont passé 23 jours dans la zone de transit de Rözske, à la frontière entre la Hongrie et la Serbie. Les conditions de vie dans cette zone sont décrites au paragraphe 15 de l’arrêt. La majorité conclut que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») n’est pas applicable dans le cas d’espèce.

Aux paragraphes 212 à 216 de l’arrêt, la majorité fait le rappel habituel des principes pertinents concernant l’applicabilité de l’article 5 : « Pour déterminer si un individu se trouve « privé de sa liberté » au sens de l’article 5, il faut partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères tels que la nature, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée (...). Entre privation et restriction de liberté, il n’y a qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence. »[8]

Pour conclure à l’inapplicabilité de l’article 5 dans le cas d’espèce, la majorité tient compte dans son analyse de trois critères, qui d’après moi sont problématiques. Je vais revenir brièvement sur chacun d’eux dans la présente opinion.

Premièrement, la majorité développe dans les paragraphes 220 à 223 le critère de la situation personnelle des requérants et des choix opérés par eux. L’approche adoptée par la majorité sur ce deuxième point me semble problématique. Tout d’abord, la majorité renvoie pour l’étayer à une jurisprudence qui n’a rien à voir avec les demandeurs d’asile. Les affaires citées au paragraphe 221 de l’arrêt ne concernent pas des demandeurs d’asile, et encore moins leur choix de consentir à une détention. Ensuite, il convient de souligner qu’il y a une différence essentielle entre la façon dont le terme « choix » est utilisé lorsqu’il est question de demandeurs d’asile et celle dont il est utilisé dans les affaires citées par la majorité au paragraphe 221. Un demandeur d’asile cherche une protection et, par sa démarche, sollicite la protection d’un droit garanti par la Convention, celui de ne pas subir des traitements contraires à l’article 3 ou, le cas échéant, à l’article 2. Cette démarche ne relèverait pas d’un choix, mais plutôt d’une fatalité. L’histoire européenne a même montré que ce « choix » a coûté la vie à des centaines de personnes[9]. J’éprouve donc des difficultés conceptuelles à qualifier a priori de « choix » le franchissement d’une frontière par des demandeurs d’asile. La majorité semble adopter une position que la Cour avait pourtant rejetée dans son arrêt Amuur[10]. Pour ces raisons, je considère que, dans l’arrêt qu’elle a rendu le 14 mars 2017 dans la présente affaire, la chambre avait raison lorsqu’elle a logiquement conclu ce qui suit au paragraphe 56 :

« Statuer autrement [autrement dit, conclure à l’inapplicabilité de l’article 5] contraindrait les requérants à choisir entre leur liberté et la conduite d’une procédure visant en définitive à les préserver du risque d’exposition à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, ce qui anéantirait la protection offerte par l’article 5 de la Convention. »

Il découlerait également de la conclusion de la majorité que l’article 5 ne pourrait être jugé applicable que lorsqu’il a été conclu à une violation de l’article 3. Or, ce n’est pas nécessairement le cas, ni en ce qui concerne les conditions de détention, ni en ce qui concerne les risques éventuels encourus dans le pays de destination[11].

Si l’on peut dire qu’en l’espèce un renvoi vers la Serbie ne faisait courir aux requérants aucun risque direct d’atteinte à la vie ni aucun danger immédiat de mauvais traitements[12], pareille conclusion n’apparaît qu’après un examen individuel et suffisamment étayé du risque éventuel pour les requérants. De plus, la Grande Chambre a conclu à l’unanimité à une violation, uniquement procédurale certes, de l’article 3, au motif que les autorités hongroises avaient décidé de renvoyer les requérants vers la Serbie sans procéder auparavant à un examen individuel approfondi[13]. Elle a choisi de ne pas s’exprimer sur le fond de la question de savoir si les requérants auraient eu à subir des traitements contraires à l’article 3 en cas de retour vers la Serbie. Conclure que les requérants ne risquaient rien me semble donc relever de la spéculation[14]. Je considère que ce constat d’absence de risque formulé au paragraphe 223 est conjectural, voire contradictoire, si l’on tient compte du paragraphe 165 de l’arrêt. À mon avis, la majorité contourne le principe de la subsidiarité pour parvenir, sur les risques auxquels les requérants étaient susceptibles d’être exposés en Serbie, à une conclusion qu’il appartenait aux autorités nationales hongroises d’étayer.

C’est pour ces raisons que selon moi, au vu de la jurisprudence de la Cour, la majorité n’a pas correctement interprété ce critère subjectif[15].

Deuxièmement, la majorité tient compte, pour statuer sur l’applicabilité de l’article 5 de la Convention, du régime juridique applicable, de l’objectif poursuivi, de la durée du maintien des requérants dans la zone et des garanties procédurales applicables.

En ce qui concerne le régime juridique applicable, la Cour a rappelé à maintes reprises qu’elle ne se considère pas liée par les conclusions juridiques auxquelles sont parvenues les juridictions internes quant à l’existence d’une privation de liberté. Elle procède à une appréciation autonome de la situation (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 71, 15 décembre 2016, et Creangă c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 92, 23 février 2012).

En ce qui concerne l’objectif poursuivi par le régime applicable, il est vrai que la Commission se référait auparavant à cet élément pour analyser s’il y avait eu ou non détention[16]. Cependant, la Cour a abandonné cette jurisprudence depuis de nombreuses années, et l’objectif des mesures privatives de liberté prises par les autorités à l’encontre d’un requérant n’apparaît plus comme un élément déterminant aux fins de l’examen par la Cour de la question de savoir s’il y a effectivement eu privation de liberté. Il est de jurisprudence constante que la Cour ne tient compte de cet élément qu’à un stade ultérieur de son analyse, lors de l’examen de la compatibilité de la mesure avec l’article 5 § 1 de la Convention (Saadi, précité, § 74, Creangă, précité, § 93, Tabesh, précité, Osypenko c. Ukraine, no 4634/04, §§ 51-65, 9 novembre 2010, Salayev c. Azerbaïdjan, no 40900/05, §§ 41-42, 9 novembre 2010, Iliya Stefanov c. Bulgarie, no 65755/01, § 71, 22 mai 2008, Soare et autres c. Roumanie, no 24329/02, § 234, 22 février 2011, Rozhkov c. Russie (no 2), no 38898/04, § 74, 31 janvier 2017, etc.). Dans l’arrêt Khlaifia, précité, la Grande Chambre a clairement indiqué ce qui suit :

« (...) l’applicabilité de l’article 5 de la Convention ne saurait être exclue par la circonstance, invoquée par le Gouvernement, que le but des autorités était d’assister les requérants et d’assurer leur sécurité (paragraphes 58-59 ci-dessus). En effet, même des mesures de protection ou adoptées dans l’intérêt de leur destinataire peuvent s’analyser en une privation de liberté. »[17]

Sur ce point, la majorité opte clairement pour une interprétation qui revient des années en arrière sur l’interprétation qui avait été faite de l’article 5.

En ce qui concerne la question de la durée, la majorité insiste sur le fait que les requérants n’ont passé que 23 jours dans la zone de transit de Rözske. Or, il y a lieu de rappeler que, dans des situations comparables à celle des requérants, la Cour a considéré que des séjours de 20 jours (Amuur, précité[18]), de 14 jours (Shamsa c. Pologne, nos 45355/99 et 45357/99, § 47, 27 novembre 2003), de 11 et 15 jours (Riad et Idiab c. Belgique, nos 29787/03 et 29810/03, 24 janvier 2008), de 7 jours (Saadi, précité), et de 9 heures (Nolan et K c. Russie, no 2512/04, §§ 93-96, 12 février 2009) s’analysaient en des périodes de détention.

En ce qui concerne les garanties, j’ai du mal à trouver dans l’arrêt une analyse concrète des garanties procédurales prévues par l’article 5 dans cette affaire ! À aucun moment de la procédure le séjour des deux requérants dans la zone de transit de Rözske n’a été soumis à l’appréciation d’un juge national afin que celui-ci statue sur la nécessité de la mesure ou sur l’absence ou non d’arbitraire. Sur ce point, j’estime que l’arrêt peine à convaincre en ce qui concerne les critiques très précises formulées par la chambre à propos de la procédure interne[19].

Troisièmement, la majorité renvoie à la nature et au degré des restrictions concrètement imposées aux requérants ou effectivement subies par eux.

Sur la nature et le degré des restrictions imposées dans la zone de transit de Rözske, le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire (UNWGAD), dans une déclaration qu’il a publiée après s’être vu refuser l’accès aux zones de transit en Hongrie, a déclaré ce qui suit : « Il ne fait aucun doute que la rétention de migrants dans ces « zones de transit » s’analyse en une privation de liberté au sens du droit international. »[20] Or, il ne me semble pas que la majorité se soit appuyée sur un quelconque élément factuel ou sur des avis d’experts pour réfuter une telle conclusion de la part d’un groupe spécialisé d’experts ayant reçu nombre de témoignages crédibles au sujet de l’absence de garanties contre la détention arbitraire dans l’établissement où les requérants ont séjourné[21].

Au paragraphe 236 de l’arrêt, la majorité choisit de distinguer la situation des personnes arrivées aux frontières terrestres d’un pays de celle des personnes qui arrivent sur une île ou dans un aéroport. Cette distinction que la majorité opère par rapport à des arrêts antérieurs, depuis Amuur (précité) jusqu’à J.R. et autres c. Grèce (no 22696/16, §§ 83-87, 25 janvier 2018) et, plus récemment, Kaak et autres c. Grèce (no 34215/16, §§ 83-90, 3 octobre 2019), en passant par Khlaifia (précité), me semble tout à fait artificielle. La majorité adopte selon moi une lecture erronée du paragraphe 48 de l’arrêt Amuur, qu’elle cite pourtant au paragraphe 239 de l’arrêt, et qu’il me semble nécessaire de reproduire ici :

« La simple possibilité pour des demandeurs d’asile de quitter volontairement le pays où ils entendent se réfugier ne saurait exclure une atteinte à la liberté, le droit de quitter tout pays, y compris le sien, étant du reste garanti par le Protocole no 4 à la Convention (P4) ; en outre, elle revêt un caractère théorique si aucun autre pays offrant une protection comparable à celle escomptée dans le pays où l’asile est sollicité, n’est disposé ou prêt à les accueillir. »

Ma lecture de ce paragraphe me conduit à conclure que la simple possibilité pour des demandeurs d’asile de quitter volontairement le pays où ils entendent se réfugier n’est pas liée aux aspects pratiques de la mise en œuvre de cette possibilité mais à la question de savoir si un autre pays est disposé à les accueillir et à leur offrir une protection comparable à celle escomptée dans le pays où l’asile est sollicité. Dans ce paragraphe, il n’est pas question des moyens de transport utilisés, contrairement à ce que l’on pourrait déduire des paragraphes 240 et 241 de l’arrêt, mais d’un élément fondamental de l’article 3 en la matière, l’absence de risque en cas de retour. La Grande Chambre conclut que les requérants ne pouvaient pas entrer légalement en Serbie[22] et que les autorités hongroises n’ont pas dûment apprécié les risques réels que les requérants encouraient en cas de renvoi vers ce pays[23]. Pourtant, elle admet que les requérants avaient une possibilité pratique de retourner en Serbie, vers une situation d’illégalité où ils étaient susceptibles de se trouver exposés à des risques sous l’angle de l’article 3. J’apprends donc par ce raisonnement que l’applicabilité de l’article 5 dépend aussi du moyen de transport que le demandeur d’asile choisit pour arriver à la frontière[24] !

L’approche de la majorité dans cette affaire me semble contraire à l’article 28 (Placement en rétention) du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride[25], et à l’article 8 (Placement en rétention) de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte)[26]. Ces deux textes, applicables en Hongrie, prévoient que les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur d’asile. La Cour de justice de l’Union européenne (« la CJUE ») a interprété les dispositions en question dans l’arrêt qu’elle a rendu le 15 mars 2017 dans l’affaire Al Chodor et autres (C-528/15). Elle s’est exprimée ainsi :

« (...) la rétention des demandeurs, constituant une ingérence grave dans le droit à la liberté de ces derniers, est soumise au respect de garanties strictes, à savoir la présence d’une base légale, la clarté, la prévisibilité, l’accessibilité et la protection contre l’arbitraire. »

La CJUE est parvenue à cette conclusion en tenant compte de l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il me semble difficile, voire incompréhensible, d’arriver à une conclusion différente sur la base de l’article 5 de la Convention[27]. Depuis décembre 2015, la Commission européenne a ouvert devant la CJUE une procédure d’infraction contre la Hongrie au sujet de sa législation en matière d’asile[28], et elle a décidé à plusieurs reprises de poursuivre cette procédure, en l’étendant également à la question de la rétention des demandeurs d’asile dans les zones de transit[29].

Cela dit, je suis d’accord avec la position qui consiste à dire que les États jouissent du « droit indéniable de contrôler souverainement l’entrée et le séjour des étrangers sur leur territoire » (Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 59, série A no 94, Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 73, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, Saadi, précité, § 64, Khlaifia, précité, § 89, F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 111, CEDH 2016). Ce droit peut aussi les amener à placer en détention des individus qui veulent franchir irrégulièrement la frontière, qui tentent de s’échapper ou qui sont dangereux, ou à assurer le retour de ces individus dès lors qu’ils ne courent aucun risque. Tel est en fin de compte le but de l’alinéa f) de l’article 5 § 1. Pourtant, exclure de l’applicabilité de l’article 5 des situations comme celle des requérants en l’espèce aurait pour effet de rendre cet alinéa inutile et d’entraîner une perte de contrôle par la Cour sur ce qui se passe aux frontières terrestres des pays membres et, en définitive, sur les questions du caractère arbitraire, de la nécessité et de la proportionnalité des mesures de rétention aux frontières.

C’est pour ces raisons que j’ai voté en faveur de l’applicabilité de l’article 5 en l’espèce. Ce constat d’applicabilité établi, je souscris au raisonnement et aux conclusions formulées par la chambre dans son arrêt du 17 mars 2017, à savoir qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 dans cette affaire[30].

* * *

[1]. La Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, adoptée à Genève en 1951 (« la Convention de Genève »).

[2]. La Serbie et la République de Macédoine du Nord sont des pays candidats depuis mars 2012 et décembre 2005 respectivement. L’exception concernant la Turquie, qui était encore en vigueur à l’époque des faits, fut abrogée le 1er avril 2016.

[3]. Pour ce qui est de la question de savoir s’il existe un lien avec le pays tiers concerné et s’il est dès lors raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays, la Commission européenne a énoncé plusieurs facteurs pouvant être pris en compte, comme le fait que le demandeur a transité par ce pays tiers ou que ce pays tiers est géographiquement proche du pays d’origine du demandeur (Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur l’état d’avancement de la mise en œuvre des actions prioritaires prévues par l’agenda européen en matière de migration, 10 février 2016, COM(2016) 85 final, p. 18). Le HCR considère toutefois que le seul fait de transiter par un pays ne constitue pas un « lien de connexion » suffisant au sens de l’article 38, paragraphe 2, de la directive 2013/32/UE, sauf en cas d’accord formel aux fins de la désignation de l’autorité responsable de la détermination du statut de réfugié dans le cas où les pays susceptibles d’accueillir le demandeur appliquent des systèmes et règles d’asile comparables (UNHCR, Legal considerations on the return of asylum-seekers and refugees from Greece to Turkey as part of the EU-Turkey Cooperation in Tackling the Migration Crisis under the safe third country and first country of asylum concept, 23 mars 2016, p. 6 [traduction du greffe] : « Un transit est souvent le fruit de circonstances fortuites ; il n’implique pas nécessairement l’existence d’un lien significatif. »)

[4]. Recommandation no R (97) 22 du Comité des Ministres aux États membres énonçant des lignes directrices sur l’application de la notion de pays tiers sûr, 25 novembre 1997.

[5]. Comité des Ministres, Lignes directrices sur la protection des droits de l’Homme dans le contexte des procédures d’asile accélérées, 1er juillet 2009, section VI. Voir aussi l’Exposé des motifs, 28 mai 2009, CM(2009)51 add3.

[6]. Cette phrase a été rectifiée dans la version française de l’arrêt, conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

[7]. La Cour observe toutefois qu’il est aussi précisé dans ces déclarations que les agents hongrois ont dit aux demandeurs d’asile qu’ils devaient refaire la file pour entrer et que ceux-ci y ont renoncé.

[8]. Arrêt, § 212.

[9]. Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos [34044/96](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2234044/96%22%5D%7D) et 2 autres, §§ 13 et 47 in fine, CEDH 2001‑II.

[10]. Amuur c. France, no 19776/92, §§ 46-49, 25 juin 1996.

[11]. Voir, par exemple, Tabesh c. Grèce, no 8256/07, 26 novembre 2009, et Louled Massoud c. Malte, no 24340/08, 27 juillet 2010. Voir aussi Harris, O’Boyle et Warbrick, Law on the European Convention on Human Rights, troisième édition, p. 298.

[12]. Arrêt, § 223.

[13]. Ibidem, §§ 163 et 164.

[14]. Ibidem, § 165.

[15]. Voir, en général, Stork c. Allemagne, no 61603/00, § 74, CEDH 2005-V, Stanev c. Bulgarie, [GC], no 36760/06, § 117, CEDH 2012, et plus particulièrement Saadi c. Royaume Uni, [GC], no 13229/03, § 74, CEDH 2008.

[16]. Voir, par exemple, X. c. Allemagne, no [8819/79](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%228819/79%22%5D%7D), décision du 19 mars 1981, (DR) vol. 24, p. 158, Guenat c. Suisse (déc..), no [24722/94](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2224722/94%22%5D%7D), décision du 10 avril 1995, E.G. c. Autriche, no [22715/93](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2222715/93%22%5D%7D), décision du 15 mai 1996.

[17]. Paragraphe 71, deuxième phrase.

[18]. Amuur, précité, § 44.

[19]. Arrêt de la chambre, §§ 66 à 68.

[20]. Traduction du greffe. Voir « UN human rights experts suspend Hungary visit after access denied », UNWGAD, 15 novembre 2018, accessible à l’adresse suivante : https://bit.ly/2B7X5Pu.

[21]. Ibidem.

[22]. Arrêt, § 237.

[23]. Ibidem, § 164.

[24]. Je suis persuadé que si c’était une question de transport, les États membres auraient organisé, comme ils l’ont d’ailleurs fait à maintes reprises, le retour des demandeurs d’asile déboutés de leur demande vers des pays sûrs. Le problème est de trouver de tels pays, parce qu’il est facile de trouver un avion ou un bateau pour transporter ces personnes.

[25]. Cet article est ainsi libellé :

« 1. Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle fait l’objet de la procédure établie par le présent règlement.

2. Les États membres peuvent placer les personnes concernées en rétention en vue de garantir les procédures de transfert conformément au présent règlement lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite de ces personnes, sur la base d’une évaluation individuelle et uniquement dans la mesure où le placement en rétention est proportionnel et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être effectivement appliquées.

3. Le placement en rétention est d’une durée aussi brève que possible et ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnablement nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises avec toute la diligence voulue jusqu’à l’exécution du transfert au titre du présent règlement ». JOUE 2013, L 180, p. 31.

[26]. Cité au paragraphe 58 de l’arrêt.

[27]. Voir aussi [El Dridi](http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=82038&pageIndex=0&doclang=EN&mode=lst&dir=&occ=first&part=1&cid=960308), C-61/11 PPU, 28 avril 2011, et J.N. contre Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C‑601/15 PPU, 15 février 2016.

[28]. IP/15/6228.

[29]. IP/17/5023, IP/18/4522 et, concernant la dernière décision en date (25 juillet 2019), IP/19/4260.

[30]. Arrêt de la chambre, §§ 58 à 69.


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