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05/11/2019 | CEDH | N°001-197217

CEDH | CEDH, AFFAIRE A.A. c. SUISSE, 2019, 001-197217


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE A.A. c. SUISSE

(Requête no 32218/17)

ARRÊT

Art 3 • Expulsion • Renvoi d'un ressortissant afghan d'ethnie hazara converti de l’islam au christianisme vers son pays d’origine • Risque de persécution et de peine de mort • Absence d'examen ex nunc suffisamment sérieux des conséquences de la conversion

STRASBOURG

5 novembre 2019

DÉFINITIF

05/02/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En

l’affaire A.A. c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Paul Lemmens...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE A.A. c. SUISSE

(Requête no 32218/17)

ARRÊT

Art 3 • Expulsion • Renvoi d'un ressortissant afghan d'ethnie hazara converti de l’islam au christianisme vers son pays d’origine • Risque de persécution et de peine de mort • Absence d'examen ex nunc suffisamment sérieux des conséquences de la conversion

STRASBOURG

5 novembre 2019

DÉFINITIF

05/02/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire A.A. c. Suisse,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Paul Lemmens, président,
Georgios A. Serghides,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Helen Keller,
Alena Poláčková,
María Elósegui,
Erik Wennerström, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 octobre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 32218/17) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant afghan, M. A.A. (« le requérant »), a saisi la Cour le 27 avril 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La présidente de la section a décidé d’accorder d’office l’anonymat au requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour).

2. Le requérant a été représenté devant la Cour par M. Amato, consultant juridique auprès de l’association SOS Ticino à Lugano. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent suppléant, M. A. Scheidegger, de l’Office fédéral de la justice.

3. Le requérant alléguait en particulier que son expulsion vers l’Afghanistan emporterait violation de l’article 3 de la Convention.

4. Le 5 mai 2017, le juge de la Cour désigné pour statuer sur les demandes de mesures provisoires a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement de la Cour et a demandé au Gouvernement de ne pas expulser le requérant vers l’Afghanistan pendant la durée de la procédure devant la Cour.

5. Le 30 août 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant serait né en 1996 et réside dans le canton du Tessin.

A. Les faits survenus en Afghanistan selon le requérant

7. Le requérant est un ressortissant afghan d’ethnie hazara de la province de Ghazni. Il est issu d’une fratrie de six enfants. La famille est de confession chiite. Le requérant n’aurait pas terminé la scolarité obligatoire et aurait, très jeune déjà, travaillé en tant que carrossier. Il n’aurait jamais possédé de documents d’identité et ignorerait la date exacte de sa naissance.

8. Il explique avoir rencontré des difficultés avec les autorités afghanes en raison de sa conversion au christianisme et pour avoir distribué des exemplaires de la Bible à des résidents de son village.

9. Le requérant rapporte qu’un jour, en 2012, des policiers s’étaient rendus à son domicile, alors qu’il était absent, et avaient interrogé sa mère à son sujet. Celle-ci avait nié l’implication de son fils dans la distribution des Bibles. Lorsque le requérant était rentré chez lui, il avait cependant avoué sa conversion et ses activités religieuses à sa mère et son frère, qui l’avaient incité à fuir, afin de se mettre en sécurité.

10. Le requérant avait alors décidé de quitter l’Afghanistan et se rendit d’abord en Iran, puis en Turquie. Après environ un an et demi dans ce pays, il s’adressa à un oncle maternel qui lui fournit les liquidités nécessaires pour se rendre en Suisse, en passant par l’Italie.

B. Quant aux faits survenus en Suisse

11. Le 30 mars 2014, le requérant arriva sur le territoire suisse. Il introduisit une demande d’asile le même jour.

12. Les 9 avril 2014, 19 décembre 2014 et 9 février 2015, l’Office fédéral des migrations (désormais et ci-après : le Secrétariat d’État aux migrations [« SEM »]) procéda à des entretiens avec le requérant. Celui-ci fit valoir avoir quitté l’Afghanistan en raison de la situation d’insécurité régnant dans ce pays et de sa conversion à la foi chrétienne.

13. Le 27 février 2015, le SEM rejeta la demande d’asile du requérant et prononça son renvoi de Suisse. L’autorité releva notamment que l’exposé des motifs d’asile était superficiel et manquait de précision. Cela valait en particulier en ce qui concerne le moment où le requérant serait rentré du travail et aurait trouvé sa mère et son frère qui l’auraient informé de la venue de la police, le cherchant parce qu’il aurait distribué la Bible, l’objet de sa prétendue persécution. Il aurait avoué les faits aux membres de sa famille qui lui auraient suggéré de partir. Invité, à plusieurs reprises, à fournir plus de détails sur ce qui était arrivé à ce moment, le requérant avait simplement déclaré que sa mère et son frère étaient inquiets ce qui l’aurait conduit à quitter la maison. Le SEM releva par ailleurs que le requérant s’était contenté de répéter ses allégations, lorsqu’il fut entendu une troisième fois sur ses motifs d’asile le 9 février 2015. Or, une personne recherchée par la police se serait, selon le SEM, certainement intéressée à ce que sa mère et son frère lui fournissent plus de détails sur l’action policière, notamment si les policiers avaient l’intention de revenir, quand ils le feraient et s’ils avaient mentionné des accusations précises. Le SEM a en outre relevé que le requérant n’avait mentionné des informations essentielles que lors de l’audition du 19 décembre 2014. À cette occasion, il avait déclaré qu’il connaissait très bien les Dix Commandements, corroborant ses connaissances du christianisme avec tant de notions qui, de manière prévisible, pourraient faire l’objet de questions lors de l’audition. Au cours de la première audition du 9 avril 2014, le requérant s’était par contre limité à déclarer que le christianisme se distancierait de la guerre, alors que le Coran inciterait plutôt au Jihad et qu’il avait déclaré ne rien savoir d’autre à ce moment-là. Invité à plusieurs reprises à expliquer de telles lacunes, le requérant avait simplement affirmé que s’il n’avait pas été au courant des détails de la religion chrétienne, il n’aurait pas pu approcher la croyance en question. Dans ces circonstances, le SEM retint que les connaissances du christianisme du requérant avaient été acquises en Suisse pour les seuls besoins de la cause. Il a ainsi qualifié de non crédibles tant les allégations du requérant selon lesquelles il serait recherché pour avoir distribué des Bibles, que celles portant sur sa conversion au christianisme en Afghanistan. À cet égard, l’autorité releva également des contradictions concernant les destinataires des Bibles distribuées : lors de la première audition, il s’agissait de personnes auxquelles le requérant aurait fait confiance, à qui il les aurait donné personnellement, alors qu’ultérieurement, il avait déclaré n’avoir ni connu les destinataires, ni avoir donné personnellement les Bibles à de tierces personnes.

14. Dans son recours du 30 mars 2015 auprès du Tribunal administratif fédéral, le requérant contesta l’appréciation des faits par le SEM. Il fit valoir, s’agissant des persécutions alléguées, qu’il n’avait pas eu le temps de demander plus de détails à sa mère et à son frère car il avait été contraint de prendre la fuite immédiatement, craignant pour sa vie. Quant à son rapprochement du christianisme, le requérant rappela qu’il avait expliqué lors de sa première audition qu’il disposait de connaissances sur cette religion. Il affirma, par ailleurs, que lors de la deuxième audition, il ne s’était pas exprimé à ce sujet de manière aussi détaillée que le prétendait le SEM. Par ailleurs, il ne s’était pas contredit s’agissant des destinataires des Bibles qu’il alléguait avoir distribuées. Il fit parvenir au Tribunal administratif fédéral divers documents, notamment une lettre prétendument écrite par son père, dont il ressortait que la famille du requérant avait été contrainte de quitter l’Afghanistan à cause de la distribution des Bibles, un certificat de baptême, une lettre concernant ses activités religieuses au sein d’une communauté catholique en Suisse ainsi qu’un certificat selon lequel les sacrements de l’initiation chrétienne lui avaient été conférés.

C. L’arrêt du Tribunal administratif fédéral

15. Par un arrêt du 21 octobre 2016, le Tribunal administratif fédéral rejeta le recours du requérant.

16. En ce qui concerne les activités de distribution de Bibles, le Tribunal administratif fédéral releva d’abord que le requérant n’avait pas décrit un vrai modus operandi, mais qu’il s’était limité à affirmer qu’il avait aidé son ami à déposer les Bibles devant les portes de certains concitoyens, choisis d’une manière presque aléatoire, en espérant qu’ils pourraient les lire. De même, les déclarations concernant les événements qui avaient conduit le requérant à s’expatrier manquaient de substance et étaient incohérentes à maints égards.

17. Le Tribunal administratif fédéral releva également que, s’il ne pouvait a priori pas être exclu que le requérant avait pu commencer à s’intéresser au christianisme dans son pays d’origine, il fallait plutôt retenir qu’il avait été confronté à la question de la conversion après son arrivée en Suisse. Indépendamment de cela, il était indéniable que le requérant disposait de connaissances sur le christianisme. Au vu de ce constat et des documents remis dans le cadre de la procédure de recours (certificat de baptême, certificat des sacrements de l’initiation chrétienne et lettre du vicaire de Bellinzone), le Tribunal administratif fédéral, à la différence du SEM, dit qu’il n’entendait pas mettre en doute l’authenticité de la conversion du requérant.

18. En ce qui concerne la situation générale des Afghans convertis, le Tribunal administratif fédéral releva que la liberté de culte, garantie par la constitution afghane, semblait purement théorique et ne pouvait être considérée comme une autorisation d’abandonner la foi musulmane et d’embrasser le christianisme. L’abandon de l’islam serait considéré comme une apostasie qui pourrait, dans certaines conditions, être poursuivie, voire être passible de la peine de mort. Cependant, il fallait garder à l’esprit que les autorités afghanes avaient exprimé des réserves quant à la possibilité de poursuivre les apostats et que, s’agissant de la pratique du christianisme dans la sphère privée, le risque de persécution était comparable à la situation actuelle dans le centre de l’Irak, pour laquelle le Tribunal administratif fédéral avait précédemment constaté qu’il n’existe pas de persécution collective. Il convenait donc d’admettre que la conversion au christianisme ne pouvait pas, à elle seule, fonder la qualité de réfugié.

19. Le Tribunal administratif fédéral releva par la suite qu’il n’y avait pas lieu de craindre, en raison de la situation individuelle du requérant, qu’il serait exposé à un préjudice grave, toujours dû à sa conversion. En tenant compte du degré d’exposition publique dans les sphères religieuse, sociale, professionnelle et politique . critères déjà adoptés pour l’Irak central et désormais étendus à l’Afghanistan -, il arrivait à la conclusion que l’apostasie du requérant ne semblait pas poser de problèmes, étant donné que la conversion n’avait pas eu lieu dans son pays d’origine et que l’intéressé avait extériorisé ses croyances seulement avec ses proches les plus intimes.

20. Le Tribunal administratif fédéral retint enfin que le renvoi du requérant était licite, possible et raisonnablement exigible. Comme le SEM l’avait correctement retenu dans sa décision, le principe de non-refoulement n’était pas directement applicable, celui-ci protégeant uniquement les personnes auxquelles la qualité de réfugié a été reconnue. Le requérant n’avait pas non plus démontré de façon crédible qu’il existerait pour lui un véritable risque concret et sérieux d’être victime, en Afghanistan, de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. S’il était établi que, conformément à la jurisprudence du tribunal, le requérant ne pouvait pas être renvoyé vers sa région d’origine (province de Ghazni), il existait une possibilité de refuge interne à Kaboul, où il n’avait certes jamais vécu, mais où habitaient des oncles et cousins, originaires du même district que lui, et qui étaient engagés dans des activités commerciales (entreprise de taxi et atelier de couture). Le fait que le requérant n’ait pas eu de contacts avec eux depuis son départ d’Afghanistan et ne se soit jamais rendu à leur domicile à Kaboul était sans pertinence particulière, dès lors qu’il connaissait leur adresse. Sa conversion au christianisme n’était pas non plus déterminante, étant donné qu’elle était survenue en Suisse et que le requérant n’avait, depuis lors, pas repris contact avec les membres de sa famille en Afghanistan. Relevant encore que le requérant était jeune, en bonne santé, savait lire et écrire et avait bénéficié d’une expérience professionnelle de carrossier, il existait des conditions particulièrement favorables à son renvoi vers Kaboul.

II. LE DROIT INTERNE ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit interne pertinent

21. Le droit interne pertinent a été résumé dans l’affaire M.O. c. Suisse (no 41282/16, §§ 34-35, 20 juin 2017).

B. La pratique interne pertinente

22. Dans un jugement D-4952/2014 du 23 août 2017, publié en tant que « arrêt de référence », le Tribunal administratif fédéral a reconnu la qualité de réfugié à un ressortissant afghan athée ou agnostique en raison de son apostasie intervenue suite à son départ d’Afghanistan. Il indiquait que les peines encourues dans ce pays pour apostasie étaient très lourdes, à la fois sur le plan sociétal et sur le plan pénal, et que des décapitations pouvaient être ordonnées, la situation étant exacerbée pour les athées. Il ajoutait par ailleurs que, pour les personnes dont l’apostasie venait à être connue publiquement, il y avait une crainte fondée d’être exposé à de sérieux préjudices en raison de la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, au sens de l’article 3 de la loi sur l’asile. Le Tribunal administratif fédéral estimait que la dissimulation et la négation quotidiennes et risquées de ses convictions intimes dans le contexte de la société afghane conservatrice et marquée par le religieux, en particulier compte tenu du profil personnel de l’intéressé, devaient être qualifiées de pression psychique insupportable.

C. Le droit pertinent de l’Union européenne et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)

23. Les normes de droit européen et les arrêts pertinents de la CJUE ont été résumés dans l’affaire F.G. c. Suède [GC] (no 43611/11, §§ 48-51, 23 mars 2016).

D. Les documents pertinents du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)

24. Les « Principes directeurs sur la protection internationale relatifs aux demandes d’asile fondées sur la religion » et autres documents pertinents du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (« HCR ») ont été exposés dans l’arrêt de Grande Chambre F.G. c. Suède (précité). Les principes ont été résumés comme suit (ibidem, § 52) :

« Selon ces principes directeurs, la conviction religieuse, l’identité ou la manière de vivre sont considérées comme tellement fondamentales pour l’identité humaine qu’on ne saurait contraindre quelqu’un à les cacher, les modifier ou y renoncer pour échapper à la persécution. Des restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions sont permises si elles sont prévues par la loi et sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Bien que la discrimination du fait de la religion soit interdite en vertu du droit international des droits de l’homme, toute discrimination n’atteint pas nécessairement le niveau requis pour justifier une reconnaissance du statut de réfugié. En outre, lorsque des personnes se convertissent après leur départ de leur pays d’origine, cela peut avoir pour effet de créer une demande « sur place ». Dans de telles situations, des préoccupations particulières sur le plan de la crédibilité ont tendance à émerger et un examen rigoureux et approfondi des circonstances et de la sincérité de la conversion sera nécessaire. »

25. Le HCR a mis à jour le 30 août 2018 ses « Principes directeurs relatifs à l’éligibilité dans le cadre de l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile afghans ». Le HCR identifie les différents groupes de personnes à risque, dont les membres de minorités religieuses ainsi que les personnes perçues comme contrevenant à la charia :

« 5. Membres de minorités religieuses et personnes dont le comportement est jugé contraire à la charia

La Constitution afghane prévoit que les fidèles d’autres religions que l’islam sont « libres d’exercer leur foi et d’accomplir leurs rites religieux dans les limites des dispositions de la loi. » Toutefois, la Constitution dispose également que l’islam est la religion officielle de l’État et qu’« [aucune] loi ne peut être contraire aux préceptes et aux dispositions de la sainte religion de l’islam en Afghanistan. » De plus, la Constitution afghane prévoit que les tribunaux doivent se conformer à la jurisprudence hanafite, l’une des branches de la jurisprudence islamique sunnite qui prévaut dans les deux tiers du monde musulman, lorsque la Constitution et la législation afghanes ne prévoient aucune disposition. Des juristes afghans et des responsables du gouvernement ont fait l’objet de critiques pour avoir privilégié la loi islamique au détriment des engagements de l’Afghanistan en matière de droit international relatif aux droits de l’homme lorsqu’il existe un conflit entre les deux systèmes juridiques, en particulier en termes de droits des femmes et de droits accordés aux Afghans n’appartenant pas au groupe des musulmans sunnites.

a) Groupes religieux minoritaires

Les groupes minoritaires non musulmans, en particulier les chrétiens, les hindous et les sikhs, continuent de subir des discriminations sous couvert de la loi. Comme évoqué plus haut, lorsque la Constitution et les Codes législatifs afghans ne prévoient aucune disposition, la Constitution afghane renvoie à la jurisprudence sunnite hanafite. Ce principe s’applique à l’ensemble des citoyens afghans, indépendamment de leur religion. La seule exception à cette règle concerne les sujets de droit privé lorsque toutes les parties concernées appartiennent au groupe des musulmans chiites, auquel cas la Loi sur le statut personnel chiite s’applique. Les autres groupes religieux minoritaires ne font pas l’objet d’une législation distincte. (...)

Les groupes minoritaires non musulmans continuent de faire l’objet de harcèlement social, voire de violences dans certains cas. Les membres de minorités religieuses telles que les Baha’is et les chrétiens éviteraient d’afficher leur foi ou se de réunir en public pour exercer leur culte, par crainte d’être soumis à des discriminations, des mauvais traitements, ou des détentions arbitraires, voire d’être exécutés. (...)

Chrétiens

L’attitude de la société envers les chrétiens demeurerait ouvertement hostile, obligeant ces derniers à pratiquer leur religion en secret. Il ne reste aucune église publique en Afghanistan ; les chrétiens exercent donc leur culte de manière individuelle ou au sein de petites congrégations qui se réunissent chez des particuliers. En 2013, quatre parlementaires auraient appelé à l’exécution des individus s’étant convertis au christianisme. (...)

b) Conversion de l’islam

La conversion de l’islam est considérée comme une apostasie ; selon certaines interprétations du droit islamique émanant des tribunaux, elle est passible de la peine de mort. Si le Code de procédure pénale afghan ne définit pas l’apostasie comme un crime et si la Constitution afghane prévoit qu’aucun acte ne doit être considéré comme un crime à moins d’avoir été défini comme tel par la loi, le Code de procédure pénale affirme néanmoins que les crimes odieux, y compris l’apostasie, doivent être punis selon les dispositions de la jurisprudence hanafite et relèvent du bureau du procureur général afghan. Les citoyens musulmans sains d’esprit, âgés de plus de 18 ans pour les hommes ou de plus de 16 ans pour les femmes, qui se convertissent à une autre religion et n’abjurent pas leur conversion dans les trois jours encourent l’invalidation de leur mariage et la confiscation de l’ensemble de leurs terres et de leurs biens. Ils peuvent en outre se voir rejetés par leurs familles et des membres de leurs communautés et perdre leur emploi. Les individus convertis à l’islam craignent pour leur sécurité physique. (...)

26. En résumé, le HCR considère que les individus, dont le comportement est perçu comme contraire à la charia, notamment les personnes qui sont accusées de blasphème et qui se sont converties à une autre religion alors qu’elles étaient musulmanes, mais aussi les membres de groupes religieux minoritaires, peuvent, en fonction des circonstances particulières de chaque cas individuel, être susceptibles de nécessiter une protection internationale en raison d’une crainte fondée de persécution.

E. Autre document d’information pertinent pour la demande d’asile du requérant fondée sur sa conversion

27. Le Bureau européen d’appui en matière d’asile (« EASO »), dans son rapport de juin 2019, indique ce qui suit au sujet des individus soupçonnés de blasphème ou d’apostasie :

« 16. Individuals considered to have committed blasphemy and/or apostasy

This profile covers persons who are considered to have abandoned or renounced the religious belief or principles of Islam (apostasy), as well as persons considered to have spoken sacrilegiously about God or sacred things (blasphemy). It includes individuals who have converted to a new faith, based on their genuine inner belief (converts), as well as those who lack belief or disbelieve in God (atheists). It can be noted that, often, the latter grounds would be invoked sur place (Article 5 QD).

COI summary

In Afghanistan, blasphemy is punishable by death or imprisonment of up to 20 years. Individuals who have committed blasphemy have three days to withdraw their behaviours or face the death penalty. Additionally, a 2004 law prohibits writings and published materials, which are considered offensive to Islam or other faiths. Some cases of imprisonment sentences on charges of blasphemy were reported. There is low societal tolerance in Afghanistan for criticism of Islam, the latter is seen contrary to the religion and can be prosecuted as blasphemy.

Apostasy is also punishable by death, imprisonment or confiscation of property. Apostasy is a serious offence and although it is reportedly rarely prosecuted, this has occurred in past years. Children of apostates are still considered Muslims unless they reach adulthood without returning to Islam, in which case they may also be put to death. Individuals perceived as apostates face the risk of violent attacks, which may lead to death, without being taken before a court.

The Taliban see those individuals who preach against them or contravene their interpretations of Islam as ‘apostates’.

(...)

Individuals who hold views that can be perceived as having fallen away from Islam, such as converts, atheists and secularists, cannot express their views or relationship to Islam openly, at the risk of sanctions or violence, including by their family. Such individuals must also appear outwardly Muslim and fulfil the behavioural religious and cultural expectations of their local environment, without this being a reflection of their inner conviction.

In particular, conversion from Islam to another faith is considered as a serious offence under Islamic law. It is punishable by the death penalty, by beheading for men, and by life imprisonment for women. Under Islamic law, individuals will be given three days to recant the conversion or face punishment. They are also perceived with hostility by society.

There is an increasing number of Afghan converts to Christianity, but there have only been a few converts visible in the past decade in Afghanistan. The State deals with them by asking them to recant or face expulsion from the country.

Risk analysis

The acts to which individuals under this profile could be exposed are of such severe nature that they would amount to persecution (e.g. death penalty, killing, violent attacks).

When considering such applications, the case officer should take into account that it cannot reasonably be expected that an applicant will abstain from his or her religious practices. It should be noted that the concept of religion shall in particular include the holding of theistic, non-theistic and atheistic beliefs.

In the case of those considered apostates or blasphemers, in general, well-founded fear of persecution would be substantiated. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

28. Le requérant allègue que son renvoi vers l’Afghanistan emporterait violation de l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

29. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

30. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

31. Le requérant allègue que, s’il est renvoyé en Afghanistan, il sera exposé à des traitements inhumains et dégradants en raison de son prosélytisme et de sa conversion au christianisme. Il souligne que sa conversion n’a pas été remise en cause par le Tribunal administratif fédéral et que celle-ci, contrairement à ce que retiennent les autorités internes, est intervenue en Afghanistan. Il rappelle que ses parents ont également dû fuir le pays pour l’Iran en raison de ses agissements. Il affirme par ailleurs ne pas avoir de contacts avec ses oncles et cousins à Kaboul et ne plus pouvoir en avoir suite à sa conversion, qui lui vaudrait d’être perçu comme un « traître ». Il fait par ailleurs valoir qu’un renvoi à Kaboul n’est pas envisageable en raison de sa foi chrétienne et de la situation sécuritaire générale qui y règne. Le requérant renvoie enfin aux observations de la tierce partie (paragraphe 38 ci-dessous).

b) Le Gouvernement

32. Le Gouvernement relève que le requérant ne produit pas de nouveaux moyens de preuve, qu’il n’avance pas de nouveaux arguments et qu’il n’apporte pas d’éléments qui témoigneraient de défauts procéduraux sur le plan national pouvant justifier une appréciation différente des faits par la Cour. La valeur probante de la lettre supposément rédigée par le père du requérant serait douteuse. Il s’agirait du seul moyen de preuve attestant du prosélytisme du requérant en Afghanistan et il apparaîtrait que le seul qui connaisse les motifs de fuite relatés aux autorités suisses et la conversion en question serait le prétendu père du requérant qui entre-temps aurait également quitté l’Afghanistan pour l’Iran. De l’avis du Gouvernement, il est peu probable que le père du requérant, de religion chiite, veuille aider son fils converti. Il semblerait ainsi « très douteux » que l’auteur de la lettre soit réellement le père du requérant.

33. En outre, le Gouvernement souligne que, le SEM et le Tribunal administratif fédéral, après avoir entendu le requérant, ont conclu que la conversion du requérant ne s’était pas produite dans son pays d’origine. Ce constat était confirmé, d’une part, par l’invraisemblance des allégations du requérant relatives aux évènements qui s’étaient déroulés en Afghanistan. D’autre part, par la lettre du vicaire de Bellinzone du 14 décembre 2015 attestant que le requérant n’avait pas de connaissances des principes du christianisme et qu’il avait par conséquent été nécessaire (trois ans après le départ d’Afghanistan) de le soumettre à un parcours d’initiation à la foi chrétienne.

34. Le Gouvernement relève également que le Tribunal administratif fédéral a reconnu la conversion sur place du requérant et qu’il a par la suite procédé, comme le recommandent les principes directeurs du HCR, à une appréciation ex nunc des risques que pourrait courir personnellement le requérant en cas de renvoi en Afghanistan. De plus, le Gouvernement rappelle que le Tribunal administratif fédéral a conclu à l’absence d’une persécution collective des chrétiens en Afghanistan et que les autorités afghanes avaient exprimé des réserves par rapport à la poursuite judiciaire d’actes d’apostasie. À cela s’ajoutait que la conversion du requérant n’était pas intervenue dans son pays d’origine et que l’intéressé semblait avoir parlé de ses convictions religieuses uniquement avec ses contacts les plus intimes.

35. Dans la mesure où le requérant s’oppose à un renvoi à Kaboul, en soulignant qu’il n’a pas de contacts avec les membres de sa famille résidant dans cette ville et que ceux-ci ne seraient pas en mesure de le soutenir et n’en auraient même pas l’intention, compte tenu de sa conversion, le Gouvernement fait observer que ce point a fait l’objet d’un examen « circonstancié » par les autorités nationales et qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles.

36. Le Gouvernement souligne, par ailleurs, que le requérant n’explique pas en quoi les juridictions internes auraient failli à examiner sa demande d’asile de manière circonstanciée et impartiale ; il n’aurait notamment pas apporté d’éléments témoignant de défauts procéduraux sur le plan national et qui pourraient justifier, de ce fait, une appréciation différente des faits par la Cour.

37. En conclusion, le Gouvernement considère que le requérant n’a pas démontré l’existence d’un risque personnel auquel il serait exposé en cas de renvoi en Afghanistan.

c) La tierce partie

38. ADF International a fourni des informations sur la situation des convertis en Afghanistan, relevant que ceux-ci ne pouvaient pas se prévaloir de la liberté de croyance garantie par le droit international. Légalement, la conversion d’un individu de l’islam au christianisme, qualifiée d’apostasie, serait contraire à la législation nationale et la personne concernée serait exposée à des poursuites pénales, voire des sanctions pouvant aller jusqu’à la peine de mort. Socialement, la persécution de chrétiens en Afghanistan aurait atteint un niveau sévère. La peur généralisée et l’intimidation auraient jeté un nuage sombre sur la communauté chrétienne. Par crainte d’être tués, les chrétiens seraient forcés de vivre cachés, sans lieu de culte où pratiquer leur foi et cela sur l’ensemble du territoire afghan.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux applicables

39. La Cour rappelle régulièrement que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (F.G. c. Suède [GC], précité, § 111).

40. Pour établir s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé court ce risque réel, la Cour ne peut éviter d’examiner la situation dans le pays de destination sous l’angle des exigences de l’article 3. Au regard de ces exigences, pour tomber sous le coup de l’article 3, le mauvais traitement auquel le requérant affirme qu’il serait exposé en cas de renvoi doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause (F.G. c. Suède [GC], précité, § 112).

41. Si le requérant n’a pas encore été expulsé, la date à retenir pour l’appréciation doit être celle de l’examen de l’affaire par la Cour (F.G. c. Suède [GC], précité, § 115).

42. Lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux. En règle générale, les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité de témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la personne concernée (F.G. c. Suède [GC], précité, § 118). La Cour doit toutefois estimer établi que l’appréciation effectuée par les autorités de l’État contractant concerné est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d’autres sources fiables et objectives (X c. Pays-Bas, no14319/17, § 72, 10 juillet 2018).

43. Pour apprécier l’existence d’un risque réel de mauvais traitements, la Cour se doit d’appliquer des critères rigoureux (Saadi c. Italie [GC], no 37201/16, § 128, CEDH 2008). L’appréciation doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l’expulsion du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l’intéressé (F.G. c. Suède [GC], précité, § 115).

44. Il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3. Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler qu’une part de spéculation est inhérente à la fonction préventive de l’article 3 et qu’il ne s’agit pas d’exiger des intéressés qu’ils apportent une preuve certaine de leurs affirmations qu’ils seront exposés à des traitements prohibés (X c. Pays-Bas, précité, § 74). Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à leur sujet (Saadi, précité, § 129).

45. En règle générale, on ne peut considérer que le demandeur d’asile s’est acquitté de la charge de la preuve tant qu’il n’a pas fourni, pour démontrer l’existence d’un risque individuel, et donc réel, de mauvais traitements qu’il courrait en cas d’expulsion, un exposé étayé qui permette de faire la distinction entre sa situation et les périls généraux existant dans le pays de destination. Cette exigence est toutefois assouplie dans certaines circonstances, par exemple lorsque l’intéressé allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements (J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, §§ 91-98 et 103, 23 août 2016).

b) Application des principes généraux au cas d’espèce

46. La Cour est d’avis que, à la lumière des informations dont elle dispose, il n’y a pas lieu de remettre en cause son appréciation, réitérée à plusieurs reprises, selon laquelle la situation générale de violence en Afghanistan n’est pas à elle seule de nature à empêcher tout renvoi vers ce pays (E.P. et A.R. c. Pays-Bas (déc.), nos 43538/11 et 63104/11, § 80, 11 juillet 2017, et les références citées).

47. La Cour s’attachera donc à vérifier si la situation personnelle du requérant est telle que son renvoi en Afghanistan serait contraire à l’article 3 de la Convention.

48. En l’espèce, il ressort du dossier que le requérant a été interrogé par le SEM à trois reprises et qu’il a, à chaque fois, mentionné s’être converti au christianisme. A cet égard, l’autorité lui a en particulier posé des questions sur ses premiers contacts avec cette religion, l’enseignement qu’il en avait tiré ainsi que la manière dont il avait vécu ses croyances en Afghanistan, arrivant toutefois à la conclusion que les allégations du requérant n’étaient pas crédibles. Le Tribunal administratif fédéral a, quant à lui, retenu qu’il ne pouvait être exclu que le requérant s’était intéressé au christianisme dans son pays d’origine, mais qu’il fallait plutôt retenir que la conversion avait eu lieu en Suisse. Il était indéniable que le requérant disposait d’un certain nombre de connaissances sur le christianisme. Au vu de ce constat et des documents remis lors de la procédure de recours, le Tribunal administratif fédéral, à la différence du SEM, dit qu’il n’entendait pas mettre en doute l’authenticité de la conversion du requérant. La Cour n’aperçoit pas de raison de s’écarter de cette appréciation. Elle se rallie également aux conclusions des autorités internes s’agissant des faits survenus en Afghanistan, dans la mesure où elle n’est pas convaincue par l’argument du requérant selon lequel il était déjà converti avant sa fuite et avait été recherché en raison de son prosélytisme.

49. Les autorités suisses se sont donc trouvées confrontées à une conversion sur place. Elles ont, conformément à la jurisprudence de la Cour, dû vérifier si la conversion du requérant était sincère et avait atteint un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance avant de rechercher si le requérant serait exposé au risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de retour en Afghanistan (F.G. c. Suède [GC], précité, § 144).

50. La Cour relève qu’il ressort des informations sur la situation en Afghanistan exposées ci-avant (voir la partie « Le droit interne et les documents internationaux pertinents ») que les Afghans convertis au christianisme, ou soupçonnés de l’être, sont exposés sur place à un risque de persécution émanant de divers groupes. Ces persécutions peuvent également prendre une forme étatique et conduire à une condamnation à la peine de mort, laquelle est encore appliquée en Afghanistan (voir aussi Pa c. France (déc.), no 45269/07, 23 mars 2010).

51. Conformément aux principes directeurs du HCR sur la protection internationale relatifs aux demandeurs d’asile fondés sur la religion, l’autorité concernée est invitée à apprécier au cas par cas si un étranger a établi de façon plausible que sa conversion sur place est sincère en ce sens qu’elle repose sur des convictions religieuses réelles et personnelles. Cela passe par une appréciation des circonstances dans lesquelles la conversion est intervenue et du point de savoir si l’on peut s’attendre à ce que le demandeur vive sa nouvelle foi à son retour dans son pays d’origine (F.G. c. Suède [GC], précité, § 145).

52. Dans ses observations, le Gouvernement a exposé que les autorités suisses avaient, conformément aux principes directeurs du HCR, procédé à une appréciation ex nunc des risques que pourrait courir personnellement le requérant en cas de renvoi en Afghanistan. Force est cependant de constater que le Tribunal administratif fédéral, en tant que seule instance judiciaire à avoir examiné l’affaire, ne s’est, dans son arrêt du 21 octobre 2016, ni penché sur la manière du requérant de manifester sa foi chrétienne en Suisse ni sur la manière dont il entendait continuer à la manifester en Afghanistan si la décision d’éloignement était mise en œuvre. Le tribunal s’est contenté de présumer, de manière générale, que le requérant ne rencontrerait aucun problème auprès de ses oncles et cousins à Kaboul, étant donné qu’il avait seulement extériorisé ses croyances avec ses proches les plus intimes, dont ne font pas partie lesdits oncles et cousins au vu du contexte décrit (voir notamment paragraphe 31). En d’autres termes, le retour ne poserait pas de problème, dans la mesure où la famille du requérant à Kaboul n’est pas au courant de sa conversion.

53. De l’opinion de la Cour, cette argumentation, qui apparaît pour le moins contradictoire, ne relève pas d’un examen rigoureux et approfondi des circonstances du cas particulier.

54. Le dossier ne contient aucun élément indiquant que le requérant aurait été interrogé au sujet de la manière dont il vivait sa foi en Suisse depuis son baptême et pourrait continuer à la vivre en Afghanistan, en particulier à Kaboul, où il n’a jamais vécu et conteste pouvoir se reconstruire un avenir. Or, arrivant à une conclusion différente que le SEM sur la question de la conversion, le Tribunal administratif fédéral se devait d’instruire la cause sur ces points, par exemple par le biais d’un renvoi à l’autorité de première instance ou en soumettant au requérant une liste de questions notamment sur sa façon d’exprimer sa foi depuis son baptême en Suisse et sur son intention de l’exercer en Afghanistan. Tel n’a cependant pas été le cas, l’arrêt du 21 octobre 2017 étant muet sur le sujet (a contrario, voir A. c. Suisse, no 60342/16, 19 décembre 2017, §§ 43-46, concernant le renvoi d’un converti vers l’Iran, où l’examen effectué par les autorités internes a été considéré comme suffisant par la Cour).

55. Pour la Cour, l’explication du Tribunal administratif fédéral selon laquelle le renvoi du requérant à Kaboul ne serait pas problématique parce qu’il avait partagé ses croyances seulement avec ses proches les plus intimes, implique que, bien que le tribunal ait admis la sincérité de la conversion du requérant, celui-ci serait à son retour contraint de modifier son comportement social de manière à cantonner sa nouvelle foi dans le domaine strictement privé. Il ressort clairement des sources consultées qu’un apostat n’est pas libre d’exprimer ouvertement ses croyances en Afghanistan. L’intéressé serait contraint de vivre dans le mensonge et pourrait se voir forcé de renoncer à tout contact avec d’autres personnes de sa confession par crainte d’être découvert. Le Tribunal administratif fédéral suisse, dans un jugement de référence publié quelques mois seulement après l’arrêt rendu dans la présente affaire, a d’ailleurs lui-même concédé que la dissimulation et la négation quotidiennes de convictions intimes dans le contexte de la société afghane conservatrice pouvaient, dans certains cas, être qualifiées de pression psychique insupportable (paragraphe 22 ci‑dessus). Cela étant, le tribunal ne pouvait, sans préalablement chercher à savoir comment le requérant allait pratiquer sa nouvelle religion en Afghanistan, exiger de lui qu’il se contente de cacher ses croyances à Kaboul, étant souligné encore une fois que ses oncles censés l’accueillir ne seraient pas au courant de son apostasie.

56. S’ajoute à ce qui précède que le requérant, vraisemblablement encore mineur à son départ d’Afghanistan, fait partie de la communauté hazara, une communauté qui continue à faire face à un certain degré de discrimination, malgré les efforts du gouvernement afghan (A.M. c. Pays‑Bas, no 29094/09, § 86, 5 juillet 2016). Même si le requérant ne s’est pas spécifiquement prévalu de son origine ethnique à l’appui de sa demande d’asile, et que cet élément n’est pas déterminant pour l’issue de la cause, la Cour ne saurait complètement ignorer ce fait en rien commenté dans les décisions internes (F.G. c. Suède [GC], précité, § 127).

57. Enfin, même si les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier les faits et la crédibilité des requérants (paragraphe 42 ci-dessus), la comparaison avec la situation dans le centre de l’Irak faite par le Tribunal administratif fédéral (paragraphe 19 ci-dessus) paraît d’autant plus problématique qu’elle n’est pas étayée par des rapports internationaux se prononçant sur la situation en Afghanistan des personnes converties au christianisme.

58. La Cour conclut que, tout en admettant que le requérant, d’ethnie hazara, s’était converti en Suisse de l’islam au christianisme et qu’il était dès lors susceptible d’appartenir à un groupe de personnes qui, pour diverses raisons, pouvaient être exposées à un risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de retour en Afghanistan, le Tribunal administratif fédéral ne s’est pas livré à un examen ex nunc suffisamment sérieux des conséquences de sa conversion.

59. Il s’ensuit qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention, si le requérant était renvoyé en Afghanistan.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

60. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

61. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

62. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

63. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard (voir dispositif).

PAR CES MOTIFS, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y aurait violation de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi du requérant vers l’Afghanistan ;

3. Décide que la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l’article 39 de son règlement reste en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 5 novembre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsPaul Lemmens
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-197217
Date de la décision : 05/11/2019
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Expulsion) (Conditionnel) (Afghanistan)

Parties
Demandeurs : A.A.
Défendeurs : SUISSE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : AMATO M.

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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