La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/10/2019 | CEDH | N°001-196885

CEDH | CEDH, AFFAIRE VENET c. BELGIQUE, 2019, 001-196885


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE VENET c. BELGIQUE

(Requête no 27703/16)

ARRÊT


Art 5 § 4 • Contrôle de la légalité de la détention • Garanties procédurales du contrôle • Respect du principe du contradictoire • Droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience • Absence à l’audience du détenu et de son avocat informés tardivement de sa tenue • Impossibilité pour le détenu et son avocat de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à l

a Cour de cassation

STRASBOURG

22 octobre 2019

DÉFINITIF

22/01/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE VENET c. BELGIQUE

(Requête no 27703/16)

ARRÊT

Art 5 § 4 • Contrôle de la légalité de la détention • Garanties procédurales du contrôle • Respect du principe du contradictoire • Droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience • Absence à l’audience du détenu et de son avocat informés tardivement de sa tenue • Impossibilité pour le détenu et son avocat de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation

STRASBOURG

22 octobre 2019

DÉFINITIF

22/01/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Venet c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une Chambre composée de :

Jon Fridrik Kjølbro, président,
Faris Vehabović,
Paul Lemmens,
Carlo Ranzoni,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Jolien Schukking, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 3 septembre et 1er octobre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 27703/16) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. Lionel Venet (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 mai 2016 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me P. Van Hooland, avocat à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue avoir été dans l’impossibilité d’assister à l’audience de la Cour de cassation statuant sur le pourvoi formé contre une décision de maintien en détention préventive, ainsi que de répondre aux conclusions de l’avocat général en méconnaissance de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention.

4. Le 31 août 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1979 et réside à Uccle.

6. Le 22 septembre 2015, le requérant fut inculpé du chef de détention illicite de stupéfiants et placé en détention préventive à la prison de Saint‑Gilles sur le fondement d’un mandat d’arrêt délivré par un juge d’instruction du tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

7. Le requérant contesta la régularité et la légalité du mandat d’arrêt.

8. Le 21 octobre 2015, en présence du requérant et de son avocat qui remit des conclusions, la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles jugea que les conditions prévues par la loi pour décerner un mandat d’arrêt étaient réunies, que les motifs du mandat d’arrêt étaient fondés et qu’ils subsistaient. Une libération sous conditions ou caution n’offrait pas de garanties suffisantes au regard de la sécurité publique. La chambre du conseil ordonna le maintien en détention préventive du requérant.

9. Le 30 octobre 2015, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, ayant entendu un substitut du procureur général à la cour d’appel en son réquisitoire, de même que le requérant assisté de son conseil qui avait également déposé des conclusions écrites, confirma l’ordonnance de la chambre du conseil.

10. Le 2 novembre 2015, par déclaration faite au greffe de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles, le requérant se pourvut en cassation.

11. Le vendredi 6 novembre 2015 à 14h58, le greffe de la Cour de cassation envoya par fax à la prison de Saint-Gilles l’avis de fixation de l’audience de la Cour de cassation qui aurait lieu le mardi 10 novembre. L’avis fut également envoyé à l’avocat du requérant par la poste, dont le cachet mentionne la date du 9 novembre. Cet avis de fixation précisa que la présence du requérant à l’audience n’était pas requise et que, dans le cas où le requérant souhaitait comparaître en personne à l’audience, il devait en aviser le parquet de cassation au moins 48 heures avant l’audience. D’après le requérant, il ne reçut la télécopie de l’avis de fixation que « tard dans la journée du 9 novembre 2015 ». Son conseil indique quant à lui n’avoir reçu l’avis de fixation que le 10 novembre 2015 « aux alentours de midi ».

12. Le lundi 9 novembre 2015, l’avocat du requérant déposa un mémoire à l’appui du pourvoi ainsi qu’une requête en faux incident au greffe de la Cour de cassation.

13. L’audience devant la Cour de cassation eut lieu le mardi 10 novembre 2015 à 9h30 hors la présence du requérant et de son conseil. Un avocat général à la Cour de cassation fut présent et conclut oralement.

14. Par un arrêt du même jour, la Cour de cassation, après avoir répondu aux moyens développés par le requérant dans son mémoire et sa requête en faux incident, rejeta le pourvoi en cassation ainsi que la requête.

15. Le 13 novembre 2015, le requérant cita l’État belge en référé devant le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, soutenant qu’il avait été placé dans l’impossibilité d’assister à l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015 compte tenu de la tardiveté avec laquelle l’avis de fixation d’audience lui avait été notifié. Il allégua que, de ce fait, sa détention était devenue contraire à l’article 5 de la Convention.

16. Par une ordonnance du 27 novembre 2015, le président du tribunal de première instance se déclara sans juridiction pour connaître de la demande.

17. Entretemps, le requérant avait sollicité par voie de conclusions sa mise en liberté devant la chambre du conseil du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, invoquant une violation de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention. Il se plaignit, de la même manière que devant le juge des référés, de l’impossibilité d’assister à l’audience devant la Cour de cassation, d’une atteinte à ses droits de la défense et de l’absence de débat contradictoire devant cette juridiction.

18. Par une ordonnance du 20 novembre 2015, la chambre du conseil avait ordonné le maintien de la détention préventive du requérant et répondu en ces termes au moyen tiré de l’article 5 de la Convention :

« La chambre du conseil constate que [le requérant] a pu se défendre efficacement tant lors de sa première comparution en chambre du conseil que lors de sa comparution en chambre des mises en accusation.

S’il n’appartient pas à la chambre du conseil d’exercer un contrôle de la légalité de la procédure en cassation, il lui appartient de constater que les droits de la défense n’ont pas été irrémédiablement compromis par le fait que l’avis de fixation en Cour de cassation, daté du 6 novembre 2015, n’aurait été posté que le 9 novembre 2015, la procédure étant essentiellement écrite à ce stade, et les moyens de défense développés ayant pu l’être indépendamment de toute comparution en personne.

Aucune violation de l’article 5 [de la Convention], examiné au regard de la légalité et de la régularité de la détention, et aucune violation du principe d’égalité des armes n’est constatée en l’espèce. »

19. Par un arrêt du 1er décembre 2015, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles confirma l’ordonnance de la chambre du conseil. Quant à la violation alléguée de l’article 5 de la Convention, elle estima que la détention préventive du requérant était régulière puisque les délais légaux avaient été respectés et qu’il ne lui appartenait pas de statuer sur une prétendue irrégularité de la procédure devant la Cour de cassation.

20. Par un arrêt du 23 décembre 2015, la Cour de cassation rejeta le pourvoi introduit par le requérant. S’agissant du moyen tiré de l’article 5 de la Convention, la Cour de cassation considéra que la validité d’un arrêt par lequel la Cour de cassation avait statué sur un pourvoi ne pouvait être mise en cause que par la voie de rétractation.

21. Le requérant fut libéré en janvier 2016 à une date et pour un motif non précisés par les parties.

2. LE DROIT INTERNE PERTINENT

22. Les dispositions relatives à la détention préventive et à la procédure de révision de la détention sont contenues dans la loi du 20 juillet 1990 relative à la détention préventive. En particulier, ladite loi prévoit que l’arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel aux termes duquel la détention préventive est maintenue est susceptible d’un pourvoi en cassation de la part de l’inculpé dans les vingt-quatre heures à compter du jour où la décision lui est signifiée (article 31 § 2). La Cour de cassation doit statuer dans un délai de quinze jours à compter de la date du pourvoi, à défaut de quoi l’inculpé est remis en liberté (article 31 § 3).

23. L’article 432 du code d’instruction criminelle ne prévoit pas de délai légal pour avertir les parties de la fixation de l’audience lorsque la Cour de cassation doit statuer en urgence. Lorsqu’il n’y a pas d’urgence à statuer, le greffier informe l’avocat ou le défendeur non représenté quinze jours au moins avant l’audience.

24. Le déroulement de l’audience devant la Cour de cassation est réglé par l’article 1107 du code judiciaire qui prévoit ce qui suit :

« Après le rapport, le ministère public donne ses conclusions. Ensuite, les parties sont entendues. Leurs plaidoiries ne peuvent porter que sur les questions de droit proposées dans les moyens de cassation ou sur les fins de non-recevoir opposées au pourvoi ou aux moyens.

Lorsque les conclusions du ministère public sont écrites, les parties peuvent, au plus tard à l’audience et exclusivement en réponse aux conclusions du ministère public, déposer une note dans laquelle elles ne peuvent soulever de nouveaux moyens.

Chaque partie peut demander à l’audience que l’affaire soit remise pour répondre verbalement ou par une note à ces conclusions écrites ou verbales du ministère public. La Cour fixe le délai dans lequel cette note doit être déposée. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

25. Le requérant se plaint de ne pas avoir pu assister à l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015 et, de ce fait, de ne pas avoir bénéficié d’une procédure contradictoire respectant le principe de l’égalité des armes. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

1. Sur la recevabilité

26. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Le requérant

27. Le requérant soutient que les règles procédurales nationales et conventionnelles n’ont pas été respectées au cours de la procédure devant la Cour cassation ayant abouti à l’arrêt du 10 novembre 2015. Il se plaint de ne pas avoir bénéficié d’un débat contradictoire et de ne pas avoir pu assister à l’audience de la Cour de cassation, ce qui aurait méconnu l’article 5 § 4 de la Convention (Kampanis c. Grèce, 13 juillet 1995, § 58, série A no 318‑B). Le droit de défendre oralement ses moyens de défense développés à l’appui du pourvoi en cassation, de prendre connaissance des conclusions orales du ministère public et d’y répliquer sont pourtant des droits reconnus par la législation belge (paragraphes 22-24 ci-dessus). Il serait en outre inadmissible que la Cour de cassation entende l’avocat général en son absence (Toth c. Autriche, 12 décembre 1991, § 84, série A no 224) et qu’il n’ait pas eu la possibilité de répliquer aux conclusions de celui-ci (Borgers c. Belgique, 30 octobre 1991, § 27, série A no 214‑B).

28. Contrairement à l’allégation du Gouvernement, le requérant estime ne pas avoir été informé de la fixation de l’audience dans un délai raisonnable. Si la télécopie envoyée par le greffe de la Cour de cassation à la prison l’avait bien été le vendredi 6 novembre 2015, le personnel de la prison n’en avait accusé réception que le lundi 9 novembre et l’avait transmise au requérant plus tard dans la journée. Le requérant n’aurait de toute manière pas pu demander à comparaître puisque l’avis indiquait qu’il devait se manifester au moins 48 heures avant l’audience.

b) Le Gouvernement

29. Le Gouvernement fait valoir que le requérant a été informé dans un délai raisonnable de l’avis de fixation de l’audience devant la Cour de cassation puisque celui-ci a été adressé le 6 novembre 2015 par télécopie au directeur de la prison où était détenu le requérant. Eu égard au court délai de quinze jours dans lequel la Cour de cassation devait statuer, il n’était pas possible d’informer le requérant et son avocat plus tôt et ceux-ci auraient pu prévoir que l’audience serait fixée à très bref délai compte tenu du délai légal en vigueur. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement considère que le droit belge reconnaît à chaque inculpé privé de liberté un ensemble de garanties qui satisfont aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention et dont le requérant a bénéficié en l’espèce. En particulier, le Gouvernement rappelle que le requérant et son avocat ont assisté aux audiences devant la chambre du conseil et la chambre des mises en accusation, juridictions qui disposaient de la plénitude de juridiction. En outre, le requérant a pu faire valoir ses arguments devant la Cour de cassation au travers du mémoire introduit à l’appui de son pourvoi en cassation qui fut pris en compte par cette dernière.

30. D’après le Gouvernement, la jurisprudence de la Cour n’exigerait pas qu’un détenu et son avocat soient entendus par la Cour de cassation, eu égard à la particularité de la procédure devant la Cour de cassation et à sa compétence limitée à la vérification de la légalité de la décision contestée (Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96 et 2 autres, § 41, CEDH 2002‑VII). En effet, la procédure devant la Cour de cassation est essentiellement écrite et la Cour de cassation se borne à contrôler la légalité des décisions qui lui sont soumises. Elle ne se prononce pas sur les faits, dont l’appréciation appartient aux juridictions du fond. Le demandeur en cassation doit, en matière de détention préventive, faire valoir ses moyens dans l’acte de pourvoi ou dans un mémoire. Il en résulte qu’à l’audience le demandeur en cassation ne peut invoquer d’autres moyens que ceux déjà invoqués dans le délai légal. Du reste, les arrêts de la Cour mentionnés par le requérant ne seraient pas transposables en l’espèce puisqu’ils concernaient l’impossibilité pour les requérants d’être présents aux audiences en première ou deuxième instance lorsque des décisions étaient prises sur le fond.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

31. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 5 § 4, les personnes arrêtées ou détenues ont droit à un examen du respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de l’article 5 § 1, de leur privation de liberté. Si la procédure au titre de l’article 5 § 4 ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 prescrit pour les procès civils ou pénaux, il faut qu’elle revête un caractère judiciaire et offre des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté en question (voir, par exemple, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 125, CEDH 2000‑XI, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 161, 22 mai 2012).

32. La procédure portant sur un recours formé contre une détention ou la prolongation de celle-ci doit notamment être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties, à savoir la partie poursuivante et le détenu (Kampanis, précité, §§ 54-58, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 124, 9 juillet 2009, et Mustafa Avci c. Turquie, no 39322/12, § 90, 23 mai 2017).

33. Pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 57, série A no 33, Derungs c. Suisse, no 52089/09, § 71, 10 mai 2016, et références y citées). Il importe d’éviter que la complexité de l’examen des recours soit une source de retards (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 24, série A no 8).

34. La Cour rappelle ensuite que si l’article 5 § 4 n’astreint pas les États contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité de la détention et celui des demandes d’élargissement, un État qui se dote d’un tel système doit en principe accorder les mêmes garanties aussi bien en appel qu’en première instance (voir, parmi d’autres, Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III (extraits), et Djalti c. Bulgarie, no 31206/05, § 64, 12 mars 2013).

35. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c), une audience s’impose (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, et Anderco c. Roumanie, no 3910/04, § 62, 29 octobre 2013). Toutefois, la Cour a admis que, si le détenu avait pu comparaître en première instance devant le juge amené à se prononcer sur sa détention, le défaut de comparution en appel n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention. Cela dit, il peut y avoir des situations où le tribunal qui statue sur un appel ou une opposition se trouve dans l’obligation de tenir une audience avec comparution personnelle du détenu ; cela peut dépendre de la nature des questions à trancher, de l’importance de la décision pour le détenu, de la question de savoir si le détenu a comparu en personne lors de l’adoption de la décision contestée ou si sa comparution est nécessaire pour assurer le respect du droit à une procédure contradictoire (Adem Serkan Gündoğdu c. Turquie, no 67696/11, § 40, 16 janvier 2018, et références y citées).

b) Application au cas d’espèce

36. En l’espèce, la Cour constate que le requérant et son conseil ont comparu à l’audience devant la chambre du conseil ainsi qu’à celle devant la chambre des mises en accusation et qu’ils ont également fait valoir leurs arguments par la voie de conclusions écrites déposées devant ces juridictions (paragraphes 8 et 9 ci-dessus). Ces juridictions avaient une compétence de pleine juridiction pour apprécier l’opportunité du maintien de la détention préventive du requérant et décider de sa légalité. Ensuite, le requérant s’est pourvu en cassation contre l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 30 octobre 2015 et son avocat a déposé un mémoire à l’appui du pourvoi dans lequel il développait deux moyens (paragraphe 12 ci-dessus). Dans son arrêt du 10 novembre 2015, la Cour de cassation prit en compte le mémoire déposé par le conseil du requérant et répondit aux deux moyens (paragraphe 13 ci‑dessus).

37. La Cour relève également que la Cour de cassation n’était pas appelée à se prononcer sur l’opportunité ou la nécessité de garder le requérant incarcéré ou de le relâcher (voir, dans le même sens, Giosakis c. Grèce (no 3) (déc.), no 32814/07, 24 septembre 2009). En effet, la compétence de la Cour de cassation se limitait à un contrôle de la légalité de l’arrêt de la chambre des mises en accusation du 30 octobre 2015. En outre, la procédure devant la Cour de cassation était essentiellement écrite.

38. Dans ces circonstances, la Cour estime que le défaut de comparution devant la Cour de cassation n’enfreignait pas en soi l’article 5 § 4 de la Convention.

39. Ceci étant dit, la Cour rappelle que la procédure portant sur un recours formé contre une détention ou sa prolongation doit être contradictoire et garantir l’égalité des armes entre les parties (voir la jurisprudence citée au paragraphe 32 ci-dessus).

40. À cet égard, la Cour rappelle que l’avocat général à la Cour de cassation n’a pas, en droit belge, la qualité de partie au procès. Il fait partie du parquet de la Cour de cassation qui, à la différence du parquet des juridictions du fond, n’exerce pas – sauf cas exceptionnels étrangers à la présente affaire – l’action publique, et il n’a pas non plus la qualité de défendeur (Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 29, série A no 11). L’avocat général a, en Belgique, pour tâche principale d’assister la Cour de cassation et de veiller au maintien de l’unité de la jurisprudence, et il agit en observant la plus stricte objectivité (Vermeulen c. Belgique, 20 février 1996, §§ 29-30, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I).

41. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le principe de l’égalité des armes ne peut pas être invoqué dans un cas comme celui de l’espèce où, d’une part, est mise en cause l’impossibilité de répliquer aux conclusions de l’avocat général à la Cour de cassation belge et où, d’autre part, la partie poursuivante, à savoir le procureur général à la cour d’appel, n’était pas partie à la procédure devant la Cour de cassation.

42. En revanche, dès lors que l’avis de l’avocat général est destiné à conseiller et, partant, influencer la Cour de cassation, le principe du contradictoire doit être respecté (dans le même sens, Vermeulen, précité, § 31). Le droit à une procédure contradictoire, tel qu’il est garanti par l’article 6 § 1 de la Convention, implique en principe le droit pour les parties à un procès de se voir communiquer et de discuter toute pièce ou observation présentée au juge, fût-ce par un magistrat indépendant tel que l’avocat général à la Cour de cassation belge, en vue d’influencer sa décision (Vermeulen, précité, § 30, Meftah et autres, précité, § 51, et Olga Nazarenko c. Russie, no 3189/07, § 38, 31 mai 2016).

43. Eu égard aux conséquences de la privation de liberté sur les droits fondamentaux de la personne concernée, du caractère fondamental du droit à une procédure contradictoire (Fodale c. Italie, no 70148/01, § 42, 1er juin 2006) et du lien étroit qui existe entre l’article 5 § 4 et l’article 6 § 1 en matière de procédure pénale (Reinprecht, précité, § 36), la Cour estime qu’il en va de même dans le cadre d’une procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention.

44. Or en l’espèce, il n’est pas contesté par le Gouvernement que, du fait de son absence à l’audience de la Cour de cassation, le requérant n’a pas eu connaissance des conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation.

45. La Cour doit dès lors déterminer si le requérant a eu une possibilité réelle de prendre connaissance des conclusions orales de l’avocat général et d’y répondre. Cette vérification s’impose sans que la Cour doive spéculer sur la manière dont l’audience devant la Cour de cassation se serait déroulée ou sur l’issue de la procédure si le requérant avait eu connaissance des conclusions litigieuses (voir, mutatis mutandis, John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 68, Recueil 1996‑I, et Salduz c. Turquie [GC], no 36391/02, § 58, CEDH 2008). En l’espèce, la question se pose de savoir s’il peut être considéré, dans les circonstances particulières de la cause, que le requérant et son conseil ont été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015. En effet, le droit à une procédure contradictoire implique nécessairement le droit pour le détenu et son avocat d’être informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience, sans quoi il serait vidé de sa substance (voir, à cet égard, mutatis mutandis, Fodale, précité, § 43, et Samoilă et Cionca c. Roumanie, no 33065/03, § 77, 4 mars 2008).

46. Les parties s’accordent à dire que la télécopie a été envoyée par le greffe de la Cour de cassation à la prison de Saint-Gilles le vendredi 6 novembre. Le Gouvernement ne conteste pas le fait que le personnel de la prison n’en a accusé réception que le lundi 9 novembre, c’est-à-dire la veille de l’audience, avant de la transmettre au requérant à un moment qui n’a pas été précisé. Le Gouvernement n’a pas non plus contesté l’allégation du requérant selon laquelle son avocat ne fut informé de la fixation de l’audience qu’après la tenue de celle-ci, le 10 novembre.

47. La Cour relève que le droit belge prévoit le droit pour le détenu et son avocat d’être présents à l’audience de la Cour de cassation (paragraphe 24 ci‑dessus). Ce n’est donc pas le règlement de la procédure devant la Cour de cassation qui est en soi mis en cause en l’espèce.

48. Ceci étant dit, la loi ne prévoit pas de délai dans lequel les parties doivent être averties de la fixation de l’audience lorsque la Cour de cassation doit statuer en urgence (paragraphe 23 ci-dessus). En revanche, l’avis de fixation prévoyait que le requérant devait se manifester au moins 48 heures avant l’audience s’il souhaitait y assister. Même s’il n’a pas été établi avec exactitude à quel moment le requérant a obtenu l’avis de fixation au cours de la journée du 9 novembre, il lui était en tout cas impossible de se manifester dans le délai indiqué dans l’avis. Quant à son avocat, rien n’indique que le requérant eût encore pu l’avertir avant la tenue de l’audience.

49. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il ne peut pas être soutenu que le requérant et son conseil ont été informés dans un délai raisonnable de la fixation de l’audience devant la Cour de cassation. Ainsi, la Cour estime que l’impossibilité pour le requérant et son conseil de prendre connaissance et de répliquer aux conclusions orales de l’avocat général à la Cour de cassation a méconnu l’article 5 § 4 de la Convention.

50. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

51. Le requérant soutient ensuite que, du fait de l’impossibilité pour lui et son conseil d’assister à l’audience de la Cour de cassation du 10 novembre 2015 et de la méconnaissance du principe de l’égalité des armes, sa détention serait devenue « irrégulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention à compter de la date de l’audience litigieuse. En ses parties pertinentes, la disposition invoquée se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

[...]

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

[...] »

52. Le Gouvernement conteste cette thèse.

53. La Cour renvoie aux principes généraux relatifs à la disposition invoquée tels qu’ils sont notamment décrits dans les arrêts Mooren (précité, §§ 72-81) et S., V. et A. c. Danemark ([GC], nos 35553/12 et 2 autres, §§ 73‑77, 22 octobre 2018).

54. Il n’est pas contesté par les parties que la détention du requérant sur le fondement du mandat d’arrêt du 22 septembre 2015 (paragraphe 6 ci‑dessus) relevait de l’article 5 § 1 c) de la Convention et que sa détention avait été décidée « selon les voies légales ». Devant la Cour, le requérant se borne à contester la régularité de sa détention après le 10 novembre 2015, date de l’audience de la Cour de cassation à laquelle il n’assista pas.

55. Il suffit à la Cour de rappeler que les paragraphes 1 et 4 de l’article 5 sont des dispositions distinctes, et que l’inobservation du paragraphe 4 n’emporte pas nécessairement inobservation du paragraphe 1 (Douiyeb c. Pays-Bas [GC], no 31464/96, § 57, 4 août 1999, et Mooren, précité, § 88).

56. Ainsi, contrairement à ce qu’allègue le requérant, la Cour estime qu’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention ne peut être déduite du simple fait qu’il ne bénéficia pas des garanties procédurales prévues par l’article 5 § 4. Tel que l’ont constaté les juridictions internes, le titre de détention subsistait (paragraphes 19 et 20 ci-dessus). Du reste, la Cour constate que le requérant n’a invoqué aucun autre motif pour lequel sa détention préventive n’aurait pas été « régulière » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

57. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

3. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

58. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

59. Le requérant réclame 7 100 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison de sa détention illégale et irrégulière à partir du 10 novembre 2015.

60. Le Gouvernement s’en réfère à la sagesse de la Cour.

61. La Cour rappelle qu’elle estime que la détention du requérant après le 10 novembre 2015 n’était pas irrégulière et qu’elle a par conséquent déclaré manifestement mal fondé le grief tiré de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention. Elle ne saurait donc octroyer une satisfaction équitable pour violation de cette disposition.

62. En ce qui concerne la violation de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour estime que, dans les circonstances de l’espèce, le constat de cette violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant (voir, parmi d’autres, Samoilă et Cionca, précité, § 107, et Adem Serkan Gündoğdu, précité, § 55).

2. Frais et dépens

63. Le requérant n’a présenté aucune demande pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;
3. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 22 octobre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea TamiettiJon Fridrik Kjølbro
Greffier adjointPrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-196885
Date de la décision : 22/10/2019
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Garanties procédurales du contrôle;Contrôle de la légalité de la détention)

Parties
Demandeurs : VENET
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : VAN HOOLAND P.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award