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17/10/2019 | CEDH | N°001-197095

CEDH | CEDH, AFFAIRE LÓPEZ RIBALDA ET AUTRES c. ESPAGNE, 2019, 001-197095


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE LÓPEZ RIBALDA ET AUTRES c. ESPAGNE

(Requêtes nos 1874/13 et 8567/13)

ARRÊT


STRASBOURG

17 octobre 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire López Ribalda et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Guido Raimondi,
Angelika Nußberger,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turkov

ić,
Işıl Karakaş,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Aleš Pejchal,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlm...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE LÓPEZ RIBALDA ET AUTRES c. ESPAGNE

(Requêtes nos 1874/13 et 8567/13)

ARRÊT

STRASBOURG

17 octobre 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire López Ribalda et autres c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Guido Raimondi,
Angelika Nußberger,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ksenija Turković,
Işıl Karakaş,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Aleš Pejchal,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
María Elósegui, juges,
et de Søren Prebensen, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 juin 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 1874/13 et 8567/13) dirigées contre le Royaume d’Espagne par cinq ressortissantes de cet État, dont les noms figurent en annexe (« les requérantes »), qui ont saisi la Cour les 28 décembre 2012 et 23 janvier 2013, respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, les requérantes ont été représentées par Me J.A. González Espada, avocat à Barcelone. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. R.A. León Cavero, avocat de l’État.

3. Les requérantes soutenaient que la décision par laquelle leur employeur les avaient licenciées était fondée sur une vidéosurveillance effectuée en méconnaissance de leur droit au respect de leur vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention, et que les juridictions internes avaient manqué à leur obligation d’assurer une protection effective de ce droit. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, elles se plaignaient de l’admission comme preuves au cours de la procédure des enregistrements obtenus au moyen de la vidéosurveillance. Sous l’angle de la même disposition, les troisième, quatrième et cinquième requérantes dénonçaient en outre la validation par les juridictions internes des accords transactionnels signés par elles.

4. Les requêtes ont été attribuées à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour (« le règlement »)). Par un arrêt rendu le 9 janvier 2018, une chambre de cette section composée de Helena Jäderblom, présidente, Luis López Guerra, Dmitry Dedov, Pere Pastor Vilanova, Alena Poláčková, Georgios A. Serghides, Jolien Schukking, juges, et de Stephen Phillips, greffier de section, a décidé de joindre les requêtes, les a déclarées partiellement recevables et a conclu à la violation de l’article 8 de la Convention et à la non-violation de l’article 6 de la Convention. À l’arrêt de chambre était joint l’exposé de l’opinion dissidente du juge Dedov.

5. Le 27 mars 2018 le Gouvernement a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 28 mai 2018, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement). La Confédération européenne des syndicats, autorisée à intervenir dans la procédure écrite devant la chambre (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement) avait soumis des observations devant la chambre et n’a pas présenté d’observations complémentaires.

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 28 novembre 2018 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MM.R.A. León Cavero,agent,
A. Brezmes Martínez de Villarreal,coagent,
A. Ramos de Molins Sainz de Baranda,
M. Montobbio, ambassadeur, représentant permanent
du Royaume d’Espagne auprès du Conseil de l’Europe,
A. Antón, conseiller, représentation permanente du
Royaume d’Espagne auprès du Conseil de l’Europe, conseillers ;

– pour les requérantes
MesJ.A. González Espada,conseil,
À. Ortiz López,conseillère.

La Cour a entendu Me González Espada et MM. León Cavero et Brezmes Martínez de Villarreal en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.

9. Le 23 janvier 2019, la Cour a été informée du décès de la deuxième requérante. Son mari a exprimé le souhait de poursuivre la procédure devant la Cour à sa place et a donné mandat à Me J.A. González Espada pour le représenter.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
1. Le licenciement des requérantes

10. À l’époque des faits, les requérantes travaillaient toutes dans un supermarché de la chaine M., situé à Sant Celoni (province de Barcelone). Les trois premières requérantes occupaient des postes de caissières alors que la quatrième et la cinquième requérantes étaient vendeuses en stand.

11. À partir du mois de mars 2009, le directeur du magasin remarqua des incohérences entre le niveau des stocks et les chiffres des ventes du supermarché. Dans les mois qui suivirent, il constata des pertes d’un montant de 7 780 euros (« EUR ») en février, de 17 971 EUR en mars, de 13 936 EUR en avril, de 18 009 EUR en mai et de 24 614 EUR en juin.

12. Dans le cadre d’une enquête interne destinée à faire la lumière sur ces pertes, le 15 juin 2009, le directeur installa des caméras de surveillance dans le magasin, certaines visibles, d’autres dissimulées. Les caméras visibles étaient orientées vers les entrées et les sorties du supermarché. Les caméras dissimulées étaient placées en hauteur et dirigées vers les caisses. Chaque caméra incluait dans son champ de vision trois caisses ainsi que les espaces devant et derrière celles-ci. Le nombre de caisses visées par la surveillance n’a pas été précisé par les parties ; il ressort des documents produits au dossier qu’au moins quatre caisses ont été filmées.

13. Au cours d’une réunion, les employés du supermarché furent informés de l’installation des caméras visibles en raison des soupçons de vols de la direction. Ni eux ni le comité du personnel ne furent tenus au courant de la présence des caméras cachées. Auparavant, en 2007, l’entreprise avait prévenu l’Agence espagnole de protection des données qu’elle avait l’intention d’installer des caméras de surveillance dans ses magasins. À cette occasion, l’agence avait rappelé les obligations d’information découlant de la législation sur la protection des données personnelles. Un panneau signalant l’existence d’une vidéosurveillance avait été installé dans le magasin dans lequel travaillaient les requérantes mais les parties n’ont précisé ni son emplacement ni son contenu exacts.

14. Le 25 juin 2009, la direction du magasin informa la déléguée syndicale que les images captées par les caméras cachées avaient révélé des vols de produits aux caisses commis par plusieurs employés. La déléguée syndicale visionna les enregistrements.

15. Les employés soupçonnés de vol furent convoqués à des entretiens individuels les 25 et 29 juin 2009. Quatorze employés furent licenciés, parmi lesquels les cinq requérantes. Préalablement à leur entretien, les requérantes et les autres employés concernés eurent une réunion avec la déléguée syndicale, qui leur indiqua qu’elle avait vu les enregistrements vidéo. Au cours de cette rencontre, plusieurs salariés reconnurent avoir participé aux vols avec d’autres collègues.

16. Au cours des entretiens individuels auxquels prirent part le directeur du magasin, la représentante légale de la société M. et la déléguée syndicale, les employés en cause se virent notifier leur licenciement pour motif disciplinaire avec effet immédiat. Les lettres de licenciement remises aux requérantes indiquaient que les caméras de surveillance dissimulées les avaient filmées, à plusieurs reprises entre le 15 et le 18 juin 2009, en train d’aider des clients ou d’autres employés du supermarché à voler des marchandises et d’en voler elles-mêmes. Dans les faits qui y étaient exposés, elles disaient que les trois premières requérantes, qui travaillaient aux caisses, avaient autorisé des clients et des collègues à passer en caisse et à quitter le magasin avec des marchandises qu’ils n’avaient pas payés. Elles ajoutaient que ces requérantes avaient scanné des produits présentés aux caisses par des clients ou des collègues puis annulé les achats, de sorte que les produits n’avaient pas été payés. Elles précisaient qu’une comparaison entre les produits effectivement emportés par les clients et les tickets de caisse permettait de le prouver. Quant aux quatrième et cinquième requérantes, les caméras les auraient filmées en train de voler des marchandises avec l’aide de leurs collègues en caisse. Selon l’employeur, ces faits étaient constitutifs d’une méconnaissance grave des obligations de bonne foi et de loyauté exigées dans la relation de travail et justifiaient la rupture du contrat avec effet immédiat.

17. Les troisième, quatrième et cinquième requérantes signèrent en outre chacune un acte intitulé « accord transactionnel » (acuerdo transaccional) avec la représentante légale de la société. Ces actes furent cosignés par la déléguée syndicale. Par ces transactions, les deux parties confirmaient la rupture du contrat de travail décidée par l’employeur et déclaraient conclure un accord afin d’éviter l’incertitude quant à un litige judiciaire futur. Les requérantes y reconnaissaient les faits de vols de produits exposés dans les lettres de licenciement et validaient la décision de l’employeur de mettre fin au contrat de travail. L’entreprise s’engageait quant à elle à ne pas poursuivre pénalement les salariées. Un solde de tout compte était joint à l’accord et les parties déclaraient renoncer à toute prétention l’une envers l’autre découlant du contrat de travail.

18. À aucun moment avant leur licenciement, que ce soit au cours de la réunion avec la déléguée syndicale ou lors de leurs entretiens individuels, les requérantes n’avaient pu visionner les enregistrements filmés au moyen des caméras de surveillance.

2. Les procédures judiciaires engagées par les requérantes
1. Les procédures devant le juge du travail

19. Le 22 juillet 2009, la première requérante forma devant le juge du travail no 1 de Granollers (« le juge du travail ») une action en annulation de son licenciement. Le même jour, les quatre autres requérantes saisirent le juge du travail d’une action semblable.

20. Les requérantes contestaient en particulier le recours à la vidéosurveillance cachée, y voyant une atteinte à leur droit à la protection de la vie privée. Elles demandaient qu’en conséquence les enregistrements obtenus par ce biais ne soient pas admis comme preuve dans la procédure.

21. Concernant l’action formée par les troisième, quatrième et cinquième requérantes, l’employeur tira une fin de non-recevoir des accords transactionnels signés par ces dernières. Ces requérantes demandèrent quant à elles l’annulation des accords en question, soutenant qu’elles les avaient signés sous la menace de poursuites pénales et que leur consentement avait été vicié par la contrainte et par des manœuvres dolosives de l’employeur, avec la complicité de la déléguée syndicale.

22. Une audience fut tenue dans chaque procédure, respectivement le 3 décembre 2009 et le 23 novembre 2009. Les enregistrements obtenus au moyen de la vidéosurveillance furent produits au dossier par l’employeur.

23. Par deux jugements du 20 janvier 2010, le juge du travail débouta les requérantes, estimant leurs licenciements légitimes.

24. Concernant la première et la deuxième requérantes, qui n’avaient pas signés d’accords transactionnels, le juge considéra qu’il devait d’abord rechercher si les enregistrements obtenus au moyen des caméras dissimulées pouvaient constituer un moyen de preuve licite étant donné que, en application de l’article 11 de la loi sur le pouvoir judiciaire et de l’article 287 du code de procédure civile, tout moyen de preuve obtenu en violation d’un droit fondamental devait être écarté.

25. À cet égard, le juge releva qu’en vertu de l’article 20 § 3 du Statut des travailleurs (paragraphe 42 ci-dessous), tout employeur avait la faculté d’adopter des mesures de contrôle et de surveillance pour s’assurer du respect par les salariés de leurs obligations professionnelles, sous réserve que ces mesures soient compatibles avec le respect de la « dignité humaine » et donc des droits fondamentaux des intéressés. Il rappela la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, notamment un arrêt no 186/2000 du 10 juillet 2000, qui portait sur un cas similaire de surveillance au moyen de caméras cachées de salariés soupçonnés d’avoir commis de graves irrégularités. Dans cet arrêt, le Tribunal constitutionnel avait dit que la possibilité pour l’employeur d’adopter des mesures de surveillance dans l’exercice de son pouvoir de direction et dans le but d’assurer la bonne marche de l’entreprise était limitée par le respect dû au droit à l’image et à l’intimité des employés. Il avait expliqué que le juge du fond était tenu de préserver l’équilibre entre ces différents intérêts de valeur constitutionnelle en procédant à un contrôle de la proportionnalité des mesures adoptées par l’employeur. Dans l’affaire en cause, il avait jugé que la mesure de surveillance cachée était proportionnée et n’avait pas enfreint le droit au respect de l’intimité personnelle garanti par l’article 18 de la Constitution étant donné que, premièrement, elle était justifiée par l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises ; que, deuxièmement, elle était adéquate au regard du but visé qui était de vérifier si l’employé commettait effectivement des irrégularités et de prendre, le cas échéant, des sanctions ; que, troisièmement, elle était nécessaire, puisque l’enregistrement devait servir à prouver les irrégularités en question ; et que, quatrièmement, elle était équilibrée, puisque la surveillance était limitée dans l’espace et dans le temps à ce qui était suffisant pour atteindre son but. Il avait par ailleurs considéré sans pertinence sous l’angle constitutionnel la question de savoir si les salariés ou le comité du personnel avaient été préalablement informés de l’installation de la vidéosurveillance. Il avait en outre estimé que le droit à une protection juridictionnelle effective garanti par l’article 24 de la Constitution n’avait pas été méconnu par l’admission en tant que preuve des enregistrements ainsi obtenus, et ce d’autant plus que la décision reposait également sur d’autres preuves.

26. Le juge du travail conclut de la transposition en la présente espèce des principes dégagés par le Tribunal constitutionnel dans cette affaire similaire qu’il n’y avait pas eu méconnaissance du droit des requérantes au respect de leur vie privée et que les enregistrements constituaient dès lors une preuve valide.

27. Sur le fond, le juge considéra que les faits exposés dans les lettres de licenciement avaient été établis par les preuves versées au dossier et examinées dans leur ensemble, à savoir : les enregistrements vidéo, le témoignage du directeur du magasin, de la déléguée syndicale et d’autres employés qui avaient participé aux vols et avaient été licenciés, ainsi qu’un rapport d’expertise réalisé dans le cadre de la procédure pénale ouverte concernant les faits (voir le paragraphe 40 ci-dessous), qui avait mis en comparaison les images captées par les caméras et les achats consignés sur les tickets de caisse.

28. Selon le juge, ces faits étaient constitutifs d’une méconnaissance du principe de bonne foi et justifiaient la perte de confiance de l’employeur, rendant ainsi le licenciement des requérantes conforme à la loi.

29. En ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérantes, le juge du travail examina leurs arguments relatifs à la nullité des accords transactionnels conclus avec l’employeur. Il considéra que rien ne prouvait l’existence d’une quelconque forme de contrainte ou d’intention dolosive de la part de l’employeur. Il conclut du témoignage de la déléguée syndicale que les requérantes avaient admis les faits au cours d’une réunion avec elle, ce qui rendait plausible l’hypothèse qu’elles avaient signé les accords dans le but d’éviter des poursuites. Il ajouta que le défaut de signature d’un accord par certaines employées dans la même situation que les requérantes (par exemple les première et deuxième requérantes) confirmait l’absence de toute menace ou coercition. Il constata par ailleurs que les accords transactionnels n’avaient pas de cause illicite et s’analysaient en un règlement d’un différend par le biais de concessions réciproques.

30. Ayant validé les accords transactionnels conclus, le juge fit droit à la fin de non-recevoir de l’employeur et, estimant que les trois requérantes en cause n’avaient pas de droit d’agir, rejeta leurs actions sans examen au fond.

2. Les procédures devant le Tribunal supérieur de justice

31. Les requérantes firent appel devant le Tribunal supérieur de justice de Catalogne (« le Tribunal supérieur »), respectivement les 16 et 22 mars 2010. Dans son recours, la première requérante dénonçait expressément un manquement à l’obligation d’information préalable prévue à l’article 5 de la loi sur la protection des données qui, selon elle, aurait dû être pris en compte dans l’examen de la proportionnalité de la mesure de vidéosurveillance.

32. Par deux arrêts des 28 janvier et 24 février 2011, le Tribunal supérieur confirma les jugements de première instance.

33. S’appuyant sur sa propre jurisprudence, sur celle d’autres juridictions et sur celle du Tribunal constitutionnel déjà citée par le juge du travail, le Tribunal supérieur considéra que les mesures de vidéosurveillance prises par l’employeur sur le fondement de l’article 20 § 3 du Statut des travailleurs ne nécessitaient pas, au regard de l’article 6 § 2 de la loi sur la protection des données, le consentement préalable des salariés concernés mais devaient être soumises à un contrôle de proportionnalité selon les critères énoncés par le Tribunal constitutionnel. Il estima que la mesure prise en l’espèce satisfaisait à ces critères parce qu’elle était motivée par l’existence de soupçons d’irrégularités, adéquate au but poursuivi, nécessaire à l’accomplissement de ce but puisqu’une mesure plus modérée n’aurait pas été à même d’atteindre ce but, et pondérée puisque les enregistrements étaient limités, dans le temps et dans l’espace, à ce qui était nécessaire pour vérifier les soupçons en cause. Se référant à de précédents arrêts, le tribunal s’exprima dans ces termes dans son arrêt du 28 janvier 2011, rendu dans la procédure de la première requérante :

« (...) le contrôle opéré par l’employeur au moyen de caméras vidéo (installées sur le site où la [première requérante] prestait ses services et dirigées vers les postes de travail des caissières postérieurement à la détection de produits manquants (...)) “peut être considéré de manière générale comme un moyen adéquat et même nécessaire au contrôle de l’activité et il faut, par conséquent, considérer que malgré le fait qu’il puisse donner lieu à des sanctions (...) en raison de l’absence d’information des représentants du personnel concernant l’installation de la caméra (...), le contrôle n’a pas été réalisé d’une manière déséquilibrée et contraire au test d’adéquation, de nécessité et de proportionnalité, qui aurait emporté un préjudice injustifié au droit à l’image ou une atteinte à la dignité, puisqu’il s’agissait d’un moyen adéquat et difficilement remplaçable pour permettre de prouver d’éventuels vols (...)”. »

Le Tribunal supérieur estima par ailleurs que l’absence d’information des salariés et des délégués du personnel était sans doute due au fait que « l’entreprise craignait à juste titre que la connaissance du dispositif de surveillance ne fasse échec au but recherché ».

34. Sans expressément mentionner l’article 5 de la loi sur la protection des données, le Tribunal supérieur nota que la question du respect par l’employeur de l’obligation d’information préalable était une question de légalité ordinaire et que le défaut d’information des salariés l’exposait à une éventuelle sanction administrative mais était sans incidence sur la recevabilité de la preuve dès lors que, comme en l’espèce, la mesure de vidéosurveillance était justifiée et proportionnée :

« (...) Le défaut d’information allégué pourra le cas échéant faire l’objet d’une sanction administrative mais n’aura aucune conséquence sur les conditions de licéité des preuves exposées par le Tribunal constitutionnel car il s’agit en effet d’une mesure justifiée (il existait des soupçons raisonnables que la demanderesse avait commis de graves irrégularités sur son lieu de travail), adéquate au regard du but poursuivi par l’entreprise (vérifier si l’employée était responsable des irrégularités et adopter le cas échéant les mesures disciplinaires pertinentes), nécessaire (dans la mesure où l’enregistrement servirait à prouver ces irrégularités) et équilibrée (l’enregistrement s’est limité à la zone des caisses et a eu une durée limitée, suffisante pour vérifier qu’il s’agissait non pas d’un fait isolé ou d’une confusion, mais bien d’un comportement illicite répété). »

En reprenant un raisonnement similaire, le tribunal arriva à la même conclusion dans son arrêt du 24 février 2011, rendu dans les procédures des deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérantes.

35. En ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérantes, le Tribunal supérieur confirma la conclusion du juge du travail qui était que les accords transactionnels étaient valides et qu’aucun vice du consentement ne pouvait être relevé, observant en particulier que les accords avaient été signés en présence de la déléguée syndicale et que leur libellé ne laissait aucun doute quant à la connaissance des faits par les salariées et à leur volonté d’accepter la cessation du contrat de travail.

36. Le Tribunal supérieur nota cependant qu’il n’était pas correct d’un point de vue procédural de considérer, comme l’avait fait le juge du travail, que la signature des accords avait privé les requérantes de leur droit d’agir en justice. Il estima qu’il ressortait néanmoins de ces accords que les intéressées avaient expressément reconnu les faits qui leur étaient imputés, qu’elles avaient accepté la décision de l’employeur de mettre un terme à la relation de travail et qu’elles avaient ainsi donné leur accord à la rupture de leur contrat. Il en conclut, en se référant à une jurisprudence du Tribunal suprême qui portait sur des accords similaires conclus par le même employeur avec d’autres salariés, qu’il s’agissait d’une rupture du contrat de travail par accord mutuel. Selon lui, cela suffisait à considérer les faits établis et les ruptures des contrats de travail régulières, et ce même indépendamment de la licéité des enregistrements vidéo réalisés et de leur recevabilité à titre de preuve, à laquelle le tribunal avait par ailleurs conclu.

37. Par ailleurs, en réponse au moyen soulevé par l’ensemble des requérantes concernant l’insuffisance des éléments permettant d’établir les faits, le Tribunal supérieur nota que les faits étaient prouvés à la fois par les enregistrements vidéo, par le témoignage de la déléguée syndicale devant laquelle plusieurs salariés avaient admis les vols, et par la reconnaissance des faits actée dans les accords transactionnels pour les trois requérantes qui les avaient signés. Concernant plus particulièrement la première requérante, dont le visage n’apparaissait pas sur les vidéos, le tribunal estima que l’analyse des enregistrements des caméras dirigées vers la caisse à laquelle elle travaillait et des tickets de caisse démontrait de manière suffisante son implication dans les faits qui lui étaient reprochés.

38. Après avoir examiné les autres moyens avancés par les requérantes à l’appui de leurs actions, le Tribunal supérieur conclut que les licenciements étaient réguliers et confirma les jugements rendus en première instance.

3. Les procédures devant le Tribunal suprême et le Tribunal Constitutionnel

39. Les requérantes formèrent des pourvois en cassation, qui furent déclarés irrecevables respectivement le 5 octobre 2011 et le 7 février 2012. En dernier ressort, elles saisirent le Tribunal constitutionnel de recours en amparo, qui furent respectivement déclarés irrecevables les 27 juin et 18 juillet 2012, pour « inexistence d’une violation d’un droit fondamental ».

3. La procédure pénale engagée contre les requérantes

40. Le 31 juillet 2009, après que les requérantes et d’autres employés licenciés eurent contesté leur licenciement devant le juge du travail, l’employeur déposa une plainte pénale contre quatorze employés, parmi lesquels figuraient les cinq requérantes. Des poursuites pénales furent ouvertes contre eux. Le 15 juillet 2011, considérant que l’enquête menée n’avait pas permis d’établir l’existence d’une entente entre les prévenus en vue de commettre des infractions et que la valeur des marchandises volées par chaque prévenu ne dépassait pas 400 EUR, le juge d’instruction décida de requalifier les charges retenues en simple contravention (falta). Par une décision du 27 septembre 2011, il constata l’extinction des poursuites en raison de l’écoulement du délai de prescription prévu pour ce type d’infraction.

2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. La Constitution espagnole

41. Les dispositions pertinentes de la Constitution espagnole sont libellées comme suit :

Article 18

« 1. Le droit à l’honneur, à l’intimité personnelle et familiale et à l’image est garanti à chacun.

(...)

4. La loi limitera l’usage de l’informatique de manière à garantir l’honneur et l’intimité personnelle et familiale des citoyens ainsi que le plein exercice de leurs droits. »

Article 24

« 1. Toute personne a droit à la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et de ses intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas elle puisse être mise dans l’impossibilité de se défendre.

2. De même, chacun a droit (...) à un procès public sans délais indus et entouré de toutes les garanties (...). »

Article 33

« 1. Le droit à la propriété privée (...) est reconnu. »

Article 38

« La liberté d’entreprendre est reconnue dans le cadre de l’économie de marché. (...) »

2. Les dispositions pertinentes en matière de droit du travail

42. Le statut des travailleurs (Estatuto de los Trabajadores), approuvé par le décret législatif royal no 1/1995 du 24 mars 1995, en vigueur au moment des faits de l’espèce, disposait notamment :

Article 5 – Devoirs des travailleurs

« Les travailleurs ont les devoirs suivants :

a) Exécuter les obligations relatives à leur poste dans le respect des principes de bonne foi et de diligence.

(...) »

Article 20

« 2. (...) Dans tous les cas, le travailleur et l’employeur sont soumis, dans l’exécution de leurs obligations réciproques, à l’exigence de bonne foi.

3. L’employeur peut adopter les mesures de contrôle et de surveillance qu’il juge les plus appropriées pour s’assurer du respect par le salarié de ses obligations professionnelles, en tenant compte dans leur adoption et leur application de la considération due à sa dignité humaine (...) »

43. Les dispositions pertinentes de la de la loi sur la procédure du travail, approuvée par le décret législatif royal no 2/1995 du 7 avril 1995, telles qu’en vigueur au moment des faits, se lisaient comme suit :

Article 90

« 1. Les parties peuvent se prévaloir de tous les moyens de preuve prévus par la loi (...) sauf s’ils ont été directement ou indirectement recueillis en violation des droits ou libertés fondamentaux. »

Article 108

« 2. Le licenciement fondé sur un des motifs de discrimination prévus par la Constitution ou par la loi, ou effectué en violation des droits ou libertés fondamentaux, sera considéré comme nul. »

3. Les dispositions procédurales pertinentes

44. L’article 11 de la loi organique no 6/85 du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire dispose :

« 1. Le principe de la bonne foi doit être respecté dans toute procédure. Toute preuve directement ou indirectement recueillie en violation des droits ou libertés fondamentaux sera exclue (...). »

4. La législation relative à la protection des données à caractère personnel
1. La loi organique no 15/1999

45. La loi organique no 15/1999 sur la protection des données à caractère personnel (Ley Orgánica de protección de datos de carácter personal), en vigueur à l’époque des faits, fut adoptée le 13 décembre 1999 en transposition de la directive 95/46/CE (paragraphe 63 ci-dessous) et entra en vigueur le 14 janvier 2000. Elle avait pour but de garantir et de protéger les droits fondamentaux des personnes physiques à l’occasion du traitement de données à caractère personnel, et plus particulièrement leur droit au respect de l’honneur et de l’intimité personnelle et familiale (article 1 de la loi). Elle s’appliquait à la collecte de données à caractère personnel, définies comme étant toute information concernant des personnes physiques identifiées ou identifiables, enregistrées sur un support physique qui les rend susceptibles de traitement, ainsi qu’aux modalités de leur utilisation postérieure à des fins publiques ou privées (articles 2 et 3 de la loi).

46. L’Agence espagnole de protection des données, créée par cette loi, est l’autorité chargée du contrôle de son application. En cette qualité, elle peut réaliser des contrôles, examiner des plaintes et sanctionner les infractions à la loi en imposant des amendes d’un montant pouvant aller jusqu’à 600 000 EUR (articles 35 et suivants de la loi).

47. Les dispositions de la loi concernant l’information et le consentement des personnes concernées par la collecte de leurs données personnelles, telles qu’applicables en l’espèce, étaient libellées comme suit :

Article 5 – Droit à l’information sur la collecte de données

« 1. Les personnes dont les données à caractère personnel sont sollicitées doivent avoir été informées de manière préalable, explicite, précise et non équivoque de ce qui suit :

a) l’existence d’un fichier de données à caractère personnel ou le traitement futur de celles-ci, le but de ces mesures et les destinataires de l’information ;

b) le caractère obligatoire ou facultatif de leurs réponses aux questions posées ;

c) les conséquences de la communication ou du refus de communication des données ;

d) l’existence de droits d’accès, de rectification, de suppression et d’opposition ;

e) l’identité et l’adresse du responsable du traitement ou, le cas échéant, de son représentant.

(...)

4. Lorsque des données à caractère personnel ont été collectées sans solliciter la personne concernée, celle-ci doit en être informée de manière expresse, précise et sans équivoque par le responsable du fichier ou son représentant, dans les trois mois suivant l’enregistrement des données, sauf si elle a déjà été avisée du contenu du traitement, de l’origine des données, ainsi que des informations visées aux lettres a), d) et e) du paragraphe 1 du présent article.

5. Les dispositions du paragraphe précédent ne s’appliquent pas si la loi le prévoit expressément, si le traitement des données poursuit un but d’ordre historique, statistique ou scientifique ou si informer la personne concernée est impossible ou nécessiterait un effort disproportionné aux yeux de l’Agence de protection des données ou de l’organe régional compétent compte tenu du nombre de personnes concernées, de l’ancienneté des données et des éventuelles mesures de réparation.

Par ailleurs, les dispositions du paragraphe précédent ne s’appliquent pas lorsque les données sont recueillies à partir de sources accessibles au public et sont destinées à des activités de publicité ou d’études de marché, auquel cas chaque communication adressée à la personne concernée doit préciser à celle-ci l’origine des données, l’identité de la personne physique ou morale chargée du traitement de celles-ci et les droits de la personne concernée. »

Article 6 – Consentement des personnes concernées

« 1. Le traitement des données à caractère personnel requiert le consentement non équivoque de la personne concernée, sauf lorsque la loi en dispose autrement.

2. Le consentement n’est pas requis lorsque les données à caractère personnel sont recueillies aux fins de l’exercice par les administrations publiques des fonctions relevant de leur mission ; lorsqu’elles se rapportent aux parties à un contrat ou à un contrat préliminaire dans le cadre d’une relation commerciale, professionnelle ou administrative, et qu’elles sont nécessaires à sa poursuite ou à son exécution ; lorsque le traitement des données a pour but de protéger un intérêt vital de la personne concernée, au sens de l’article 7(6) de la présente loi, ou que les données proviennent de sources accessibles au public et que leur traitement est nécessaire pour satisfaire l’intérêt légitime exposé par le contrôleur ou par le tiers à qui les données sont communiquées, sauf si les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée sont méconnus. (...) »

48. Selon les articles 13 à 18 de la loi, les personnes concernées par le traitement de données personnelles disposaient notamment d’un droit d’accès, de rectification et d’effacement des données personnelles. L’article 19 de la loi prévoyait un droit à l’indemnisation dans les termes suivants :

Article 19 – Droit à l’indemnisation

« 1. Les personnes qui, en conséquence du non-respect de dispositions de cette loi par le responsable ou le gestionnaire du traitement de données ont subi une atteinte à leurs biens ou à leurs droits ont droit à une indemnisation. (...)

3. Si les fichiers sont détenus par des personnes de droit privé, l’action s’exerce devant les juridictions ordinaires. »

49. Sur ce fondement, un arrêt du Tribunal suprême a notamment condamné un employeur à indemniser l’un de ses anciens salariés, licencié deux ans auparavant, pour avoir communiqué, à des employeurs potentiels, des informations personnelles concernant le licenciement du salarié, ce qui aurait contrarié la recherche par celui-ci d’un nouvel emploi (arrêt no 609/2015 du 12 novembre 2015).

2. L’instruction no 1/2006

50. L’instruction no 1/2006 du 8 novembre 2006 sur le traitement des données personnelles à des fins de surveillance au moyen de dispositifs de vidéosurveillance, prise par l’Agence espagnole de protection des données, dispose en ses parties pertinentes :

Article 3 – Information

« Tout utilisateur d’un dispositif de vidéosurveillance doit respecter l’obligation d’information énoncée à l’article 5 de la loi organique 15/1999 du 13 décembre et doit, à cette fin :

a) Placer, dans les zones sous surveillance, au moins un panneau informatif affiché de manière suffisamment visible (...) et

b) Tenir à disposition des personnes concernées un document renfermant les informations visées à l’article 5.1 de la loi organique 15/1999. (...) »

Article 4 – Principes de qualité, de proportionnalité et de finalité

du traitement de données

« 1. Conformément à l’article 4 de la loi organique 15/1999 (...), les images pourront faire l’objet d’un traitement que si elles sont adéquates, pertinentes et ne sont pas excessives par rapport à la portée et aux buts légitimes et explicites justifiant l’installation d’une vidéosurveillance.

2. L’installation de caméras (...) n’est permise que lorsque le but de la surveillance ne peut être atteint, sans nécessiter un effort disproportionné, par d’autres moyens moins intrusifs pour l’intimité des personnes et leur droit à la protection des données à caractère personnel.

3. (...) Dans tous les cas de figure, il convient d’éviter tout traitement de données qui ne serait pas nécessaire au but poursuivi. »

51. Le site internet de l’Agence de protection des données propose par ailleurs une fiche pratique sur la vidéosurveillance ainsi qu’un modèle de panneau indiquant les informations requises par la loi.

3. La loi no 3/2018

52. La loi no 15/1999 a été abrogée par une nouvelle loi organique no 3/2018 sur la protection des données personnelles et la garantie des droits numériques, adoptée le 5 décembre 2018 et entrée en vigueur le 7 décembre 2018. L’article 22 de la nouvelle loi réglemente expressément le traitement des données personnelles recueillies au moyen de la vidéosurveillance. Il dispose notamment :

« 4. L’obligation d’information prévue à l’article 12 du règlement (UE) 2016/679 est réputée respectée lorsqu’est mis en place d’un dispositif d’information dans un lieu suffisamment visible, indiquant au minimum l’existence du traitement, l’identité du responsable et la possibilité d’exercer les droits prévus aux articles 15 à 22 du règlement (UE) 2016/679. (...) »

53. Concernant la vidéosurveillance sur le lieu de travail, l’article 89 § 1 de la loi prévoit :

« 1. Les employeurs peuvent traiter les images obtenues grâce à des dispositifs de vidéosurveillance dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir de contrôle des salariés ou des fonctionnaires prévu à l’article 20 § 3 du statut des travailleurs (...) pourvu que cette faculté s’exerce dans le cadre légal et dans les limites qui lui sont inhérentes. Les employeurs doivent informer les salariés ou les fonctionnaires de la mise en place de cette mesure au préalable et de manière explicite, claire et concise.

Dans l’hypothèse où des caméras de surveillance filmeraient des salariés ou des fonctionnaires en train de commettre de façon flagrante un acte illicite, l’obligation d’information est réputée respectée lorsqu’au moins le dispositif visé à l’article 22.4 de cette loi a été mis en place. »

5. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

54. Le 10 juillet 2000, le Tribunal constitutionnel a rendu un arrêt de principe sur la légalité de la vidéosurveillance sur le lieu de travail au regard de la protection offerte par l’article 18 § 1 de la Constitution espagnole (arrêt no 186/2000). Dans cette affaire, l’employeur avait mis en place un système de caméras de vidéosurveillance dissimulées, installées au plafond du rayon vêtements et chaussures d’un magasin et dirigées vers trois caisses et l’accueil. Le Tribunal constitutionnel a considéré qu’une telle mesure devait satisfaire à trois critères pour être jugée acceptable : elle devait poursuivre un but légitime (« critère de l’adéquation »), être nécessaire au but poursuivi (« critère de la nécessité ») et proportionnée (« critère de la stricte proportionnalité »). Autrement dit, les juridictions devaient rechercher si un juste équilibre avait été ménagé entre l’atteinte à un droit fondamental et l’importance du but légitime poursuivi. Au sujet de la vidéosurveillance en cause, il a dit ceci :

« En l’espèce, la vidéosurveillance secrète (...) était une mesure justifiée (puisqu’il y avait des soupçons légitimes que l’employé avait commis des irrégularités au travail) ; adaptée au but poursuivi par la société (s’assurer que l’employé était bien l’auteur de ces irrégularités, auquel cas il ferait l’objet de sanctions disciplinaires appropriées) ; nécessaire (les enregistrements devaient servir à prouver des irrégularités) et proportionnée (les caméras étaient dirigées uniquement vers les caisses et pour une durée limitée) (...), si bien qu’il n’y a eu aucune atteinte au droit au [respect de] l’intimité personnelle tel que consacré à l’article 18.1 de la Constitution espagnole. »

55. Concernant l’absence alléguée d’information des salariés et du comité du personnel, le Tribunal constitutionnel estima qu’il s’agissait d’une question de légalité ordinaire non pertinente sous l’angle de la protection constitutionnelle des droits fondamentaux. Les faits de l’espèce étaient toutefois antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi sur la protection des données personnelles en janvier 2000 et, à cette époque, le droit applicable ne prévoyait aucune obligation d’information comparable à celle énoncée ensuite à l’article 5 § 1 de cette loi.

56. Dans un arrêt antérieur du 10 avril 2000 (no 98/2000), appliquant un test de proportionnalité similaire, le Tribunal constitutionnel avait considéré que des dispositifs d’enregistrement visuel et sonore placés à la caisse et à une table de jeu d’un casino, en complément du système de sécurité déjà existant, constituaient une mesure disproportionnée compte tenu de l’atteinte importante ainsi causée au droit à la vie privée des salariés et des clients. Il y relevait que l’employeur n’avait pas démontré en quoi l’enregistrement sonore, particulièrement intrusif pour le droit à la vie privée des personnes concernées, était nécessaire à la sauvegarde de ses droits et intérêts légitimes.

57. Par la suite, dans son arrêt no 29/2013 du 11 février 2013, qui concernait des faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi sur la protection des données à caractère personnel, le Tribunal constitutionnel a jugé que l’utilisation d’un système de vidéosurveillance, initialement installé à titre de mesure de sécurité, à des fins de surveillance de l’activité des salariés, devait être signalée au préalable aux employés et à leurs représentants, faute de quoi il y aurait violation du droit fondamental à la protection des données personnelles prévu à l’article 18 § 4 de la Constitution. Dans cette affaire, un employé de l’université de Séville avait été suspendu de ses fonctions sans salaire pour des retards et absences injustifiés, établis au moyen de la vidéosurveillance mise en place avec l’accord de l’administration. Le Tribunal constitutionnel a dit ce qui suit :

« 7. (...) En conclusion, il faut se rappeler que [le Tribunal constitutionnel a] constamment et invariablement jugé que les pouvoirs de l’employeur étaient limités par les droits fondamentaux (voir, parmi d’autres [précédents], STC no 98/2000, du 10 avril, fondement juridique no 7, ou STC no 308/2000, du 18 décembre, fondement juridique no 4). Par conséquent, autant l’« intérêt public » justifiant la sanction dont est assortie une infraction administrative ne suffit pas pour permettre à l’État de priver le citoyen concerné de ses droits tirés des [article 5 §§ 1 et 2 de la loi sur la protection des données à caractère personnel] (STC no 292/2000, du 30 novembre, fondement juridique no 18), autant l’« intérêt privé » de l’employeur ne peut justifier que des données à caractère personnel relatives à l’employé soient traitées au détriment de ce dernier sans qu’il eût été averti au préalable des mesures de surveillance mises en œuvre. Il n’y a aucune raison dans la sphère professionnelle (...) de restreindre le droit à l’information, un droit fondamental protégé par l’article 18.4 de la Constitution. Dès lors, il ne suffit pas que le traitement des données lui-même soit licite car prévu par la loi (article 6.2 de la loi sur la protection des données ou article 20 du statut des travailleurs) ou qu’il s’avère, dans le cas concret, proportionné au but visé ; le contrôle de l’employeur, bien qu’il soit possible, doit également assurer l’information préalable due.

8. En l’espèce, les caméras de vidéosurveillance installées sur le campus ont saisi l’image de l’auteur du recours et permis [à l’employeur] de vérifier s’il respectait les horaires de travail. (...) Le propriétaire des caméras était l’université de Séville et c’est cette personne morale qui a utilisé les enregistrements, devenant ainsi la seule personne responsable du traitement des données relatives à l’auteur du recours sans qu’elle ait informé au préalable celui-ci de l’utilisation des caméras aux fins de la surveillance du travail. Il en résulte une violation de l’article 18.4 de la Constitution.

L’existence de panneaux indiquant l’existence d’un système de vidéosurveillance sur le campus et le fait que l’Agence de protection des données en avait été avertie ne permettent pas d’écarter cette conclusion. Les employés auraient dû être informés de manière préalable, explicite, précise et sans équivoque, que le système de vidéosurveillance pouvait être utilisé à des fins de contrôle de leur activité. Les informations doivent préciser les caractéristiques et l’étendue du traitement des données, c’est-à-dire dans quel cas, pendant combien de temps et à quelle fin les images peuvent être examinées, en indiquant expressément qu’elles pourraient servir à sanctionner disciplinairement les employés pour non-respect du contrat de travail. »

58. Dans un arrêt rendu le 3 mars 2016 (no 39/2016), le Tribunal constitutionnel a précisé sa jurisprudence relative à l’usage des caméras de vidéosurveillance cachées. Dans cette affaire, le responsable d’un magasin de prêt-à-porter avait détecté des vols dans la caisse dont il soupçonnait l’une de ses employées. Il avait installé temporairement des caméras cachées dirigées vers la zone où le tiroir-caisse était situé. Il avait affiché un panneau indiquant de manière générale l’existence d’une vidéosurveillance et reproduisant les informations visées à l’article 5 de la loi sur la protection des données à caractère personnel, comme l’exigeait l’article 3 de l’instruction no 1/2006 publiée par l’Agence de protection des données espagnole. Le Tribunal constitutionnel a expliqué dans ces termes la pertinence du respect de l’obligation d’information prévue par l’article 5 de la loi sur la protection des données :

« 4. (...) comme nous l’avons souligné, bien que le consentement explicite du salarié ne soit pas requis pour mettre en place une mesure de surveillance qui implique le traitement de données [personnelles], l’obligation d’information prévue à l’article 5 de la loi sur la protection des données subsiste. Sans préjudice des éventuelles sanctions légales qui peuvent en découler, pour que le non-respect de cette obligation par l’employeur emporte violation de l’article 18.4 de la Constitution, il faut rechercher si le principe de proportionnalité a été observé. Il convient de mettre en balance le droit à la protection des données et ses limitations éventuelles, justifiées par les obligations professionnelles du salarié et le pouvoir correspondant de surveillance et de contrôle reconnu à l’employeur par l’article 20.3 du statut des travailleurs, en relation avec les articles 33 et 38 de la Constitution. En effet, l’appréciation de la pertinence constitutionnelle de l’absence d’information ou de son insuffisance dans les cas de vidéosurveillance au travail nécessite la mise en balance dans chaque cas de droits et valeurs constitutionnels en conflit, à savoir, d’une part, le droit à la protection des données personnelles des salariés et, d’autre part, le pouvoir de direction de l’employeur qui, essentiel au bon fonctionnement de l’organisation productive, reflète les droits constitutionnels reconnus aux articles 33 et 38 de la Constitution et (...) est consacré à l’article 20.3 du statut des travailleurs lequel permet expressément à l’employeur d’adopter des mesures de surveillance et de contrôle afin de vérifier le respect par les travailleurs de leurs obligations professionnelles (...). Ce pouvoir général de contrôle prévu par la loi légitime la surveillance exercée par l’employeur sur l’accomplissement par les salariés de leurs tâches professionnelles (voir (...) l’arrêt de la CEDH Bărbulescu c. Roumanie du 6 janvier 2016), sans préjuger des circonstances particulières de chaque espèce qui vont déterminer si la surveillance réalisée par l’employeur a emporté ou non violation du droit fondamental en jeu.

De toute évidence, pour savoir si le test de proportionnalité est satisfait lorsque l’information est insuffisante ou fait défaut, il faudra déterminer au préalable, dans chaque cas, s’il y a effectivement eu manquement à l’obligation d’information. »

59. Dans le cas d’espèce, le Tribunal constitutionnel a conclu à la non-violation de l’article 18 § 4 de la Constitution, notamment au motif que l’employeur avait mis en place un panneau indiquant l’existence d’une vidéosurveillance, conformément à la réglementation. Il y a vu des informations suffisantes sur l’existence de la surveillance et de la finalité du traitement des données. Après avoir examiné la proportionnalité de l’ingérence effectuée dans la vie privée de la salariée en suivant les critères définis dans sa jurisprudence (paragraphe 54 ci-dessus), il a conclu qu’il n’y avait pas eu non plus méconnaissance du droit à l’intimité personnelle protégé par l’article 18 § 1 de la Constitution.

3. LE DROIT EUROPEEN ET INTERNATIONAL PERTINENT
1. Dans le cadre du Conseil de l’Europe
1. La Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel

60. Ratifiée par l’Espagne le 31 janvier 1984, cette convention (STE no 108), est entrée en vigueur le 1er octobre 1985. D’après son article 1er, elle a pour but de garantir à toute personne physique sur le territoire des États parties le respect de ses droits et de ses libertés fondamentales, et notamment de son droit à la vie privée, à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel la concernant. Elle prévoit notamment ceci :

Article 5 – Qualité des données

« Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont :

a. obtenues et traitées loyalement et licitement ;

b. enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ;

c. adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ;

d. exactes et si nécessaire mises à jour ;

e. conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées. (...) »

Article 8 – Garanties complémentaires pour la personne concernée

« Toute personne doit pouvoir :

a. connaître l’existence d’un fichier automatisé de données à caractère personnel, ses finalités principales, ainsi que l’identité et la résidence habituelle ou le principal établissement du maître du fichier ;

b. obtenir à des intervalles raisonnables et sans délais ou frais excessifs la confirmation de l’existence ou non dans le fichier automatisé, de données à caractère personnel la concernant ainsi que la communication de ces données sous une forme intelligible ;

c. obtenir, le cas échéant, la rectification de ces données ou leur effacement lorsqu’elles ont été traitées en violation des dispositions du droit interne donnant effet aux principes de base énoncés dans les articles 5 et 6 de la présente Convention ;

d. disposer d’un recours s’il n’est pas donné suite à une demande de confirmation ou, le cas échéant, de communication, de rectification ou d’effacement, visée aux paragraphes b et c du présent article. »

2. La Commission de Venise

61. En 2007, la Commission de Venise, l’organe consultatif du Conseil de l’Europe sur les questions constitutionnelles, a adopté, lors de sa 71e session plénière (Venise, 1-2 juin 2007, CDL‑AD(2007)027), un avis sur la vidéosurveillance dans les sphères publiques et privées par des opérateurs privés et dans la sphère privée par les autorités publiques et la protection des droits de l’homme, dont voici les passages pertinents :

« 18. Aux fins de la présente étude, relèveront aussi de la sphère privée les lieux de travail et l’utilisation de la vidéosurveillance en milieu professionnel, ce qui soulève des problèmes juridiques concernant le droit des employés au respect de leur vie privée.

(...)

52. Pour ce qui est des lieux de travail, la mise en place d’une surveillance vidéo exige que le droit à la vie privée des employés soit respecté.

53. En pareil cas, la surveillance serait d’une manière générale autorisée pour éviter ou déceler des malversations ou des vols de la part d’employés en cas de soupçons fondés. Toutefois, à l’exception de cas d’espèce, l’enregistrement sur bande vidéo ne serait pas autorisé dans des lieux comme les toilettes, les douches, les vestiaires ni les zones fumeurs et les salons des employés où une personne peut compter sur le fait que sa vie privée sera respectée.

54. De plus, la surveillance secrète ne devrait être autorisée, et uniquement sur une base temporaire, que si elle s’impose faute d’autres solutions appropriées.

(...)

57. Pour ce qui est des magasins, la surveillance par caméras peut se justifier pour protéger les biens si cette mesure se révèle nécessaire et proportionnelle. Elle peut aussi se justifier dans certains endroits du magasin pour prévenir et réprimer les vols qualifiés mais de nouveau uniquement si elle est absolument nécessaire.

58. La législation nationale devra définir clairement la base juridique de la surveillance et la nécessité de l’atteinte compte tenu des intérêts protégés.

(...)

IV. Conclusions et recommandations

(...)

99. La Commission de Venise réitère en conséquence les recommandations qu’elle a formulées dans son étude précédente :

- Une opération de vidéosurveillance menée compte tenu d’impératifs de sécurité ou de sûreté ou dans le cadre de la prévention et de la lutte contre la criminalité doit respecter les conditions énoncées à l’article 8 de la CEDH.

- En ce qui concerne la protection des personnes lorsque des données à caractère personnel sont rassemblées et traitées, les réglementations doivent, à tout le moins, suivre les conditions posées par la Directive 95/46/CE, notamment à ses articles 6 et 7 qui reprennent l’article 5 de la Convention européenne pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.

100. Par ailleurs, compte tenu des particularités de la vidéosurveillance, la Commission recommande de prendre systématiquement les mesures suivantes :

- Le public doit être prévenu qu’il est surveillé sauf si le système de surveillance est évident. Cela signifie que, concrètement, on pourra présumer que la personne observée est consciente qu’elle fait l’objet d’une surveillance ou qu’elle a donné son consentement sans ambiguïté à ce sujet. »

3. Le Comité des Ministres

62. Le 1er avril 2015, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté, lors de la 1224e réunion des Délégués des Ministres, la recommandation CM/Rec(2015)5 sur le traitement des données à caractère personnel dans le cadre de l’emploi, dont voici les parties pertinentes :

10. Transparence du traitement

« 10.1. Des informations sur les données à caractère personnel détenues par des employeurs devraient être mises à la disposition de l’employé concerné, soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants, ou être portées à sa connaissance par d’autres moyens appropriés.

10.2. Les employeurs devraient fournir à leurs employés les informations suivantes :

– les catégories de données qui seront traitées et une description des finalités du traitement ;

– les destinataires ou catégories de destinataires de ces données ;

– les moyens d’exercer les droits énoncés au principe 11 de la présente recommandation, sans pour autant porter préjudice à des moyens plus favorables prévus dans le droit interne ou le système législatif ;

– toute autre information nécessaire pour garantir un traitement loyal et licite des données. (...) »

15. Systèmes et technologies de l’information pour le contrôle des employés, notamment la vidéosurveillance

« 15.1. L’introduction et l’utilisation des systèmes et technologies d’information ayant pour finalité directe et principale le contrôle de l’activité et du comportement des employés ne devraient pas être permises. Lorsque leur introduction et leur utilisation sont nécessaires pour d’autres finalités légitimes, telles que la protection de la production, de la santé, de la sécurité ou la gestion efficace d’une organisation et mènent de façon indirecte à la possibilité de contrôler l’activité des employés, elles devraient être soumises aux garanties complémentaires visées au principe 21, notamment la consultation des représentants des employés.

15.2. Les systèmes et technologies de l’information qui contrôlent l’activité et le comportement des employés de façon indirecte devraient être spécialement conçus et placés de façon à ne pas porter préjudice à leurs droits fondamentaux. L’utilisation de la vidéosurveillance pour le contrôle de lieux ayant trait à la vie intime des employés n’est en aucun cas autorisée. »

21. Garanties complémentaires

« Pour toutes formes particulières de traitement, établies dans la partie II de la présente recommandation, les employeurs devraient respecter en particulier les garanties suivantes :

a. informer préalablement les employés de l’introduction des systèmes et technologies d’information permettant le contrôle de leur activité. L’information fournie devrait être mise à jour et prendre en compte le principe 10 de la présente recommandation. Les informations devraient inclure la finalité du dispositif, la durée de conservation, l’existence ou non des droits d’accès et de rectification, et la façon dont ces droits peuvent être exercés ;

b. prendre les mesures internes appropriées concernant le traitement de ces données et les notifier préalablement aux employés ;

c. consulter les représentants des employés conformément aux législations et pratiques nationales, avant l’introduction d’un système de surveillance ou lorsqu’un système existant devrait être modifié. Lorsque la procédure de consultation révèle une possibilité d’atteinte au droit au respect de la vie privée et de la dignité humaine d’un employé, l’accord des représentants devrait être recherché ;

d. consulter, conformément à la législation nationale, les autorités nationales de contrôle sur les traitements de données à caractère personnel. »

2. Dans le cadre de l’Union européenne
1. La directive 95/46/CE

63. La directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, disposait en ses passages pertinents :

Article 6

« 1. Les États membres prévoient que les données à caractère personnel doivent être:

a) traitées loyalement et licitement;

b) collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes, et ne pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. Un traitement ultérieur à des fins historiques, statistiques ou scientifiques n’est pas réputé incompatible pour autant que les États membres prévoient des garanties appropriées ;

c) adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement ;

d) exactes et, si nécessaire, mises à jour ; toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes, au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement, soient effacées ou rectifiées ;

e) conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. (...) »

Article 7

« Les États membres prévoient que le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que si :

a) la personne concernée a indubitablement donné son consentement ou

b) il est nécessaire à l’exécution d’un contrat auquel la personne concernée est partie ou à l’exécution de mesures précontractuelles prises à la demande de celle-ci ou

c) il est nécessaire au respect d’une obligation légale à laquelle le responsable du traitement est soumis ou

d) il est nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt vital de la personne concernée ou

e) il est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique, dont est investi le responsable du traitement ou le tiers auquel les données sont communiquées ou

f) il est nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le ou les tiers auxquels les données sont communiquées, à condition que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée (...). »

Article 10 – Informations en cas de collecte de données auprès de la personne concernée

« Les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit fournir à la personne auprès de laquelle il collecte des données la concernant au moins les informations énumérées ci-dessous, sauf si la personne en est déjà informée :

a) l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant ;

b) les finalités du traitement auquel les données sont destinées ;

c) toute information supplémentaire telle que :

– les destinataires ou les catégories de destinataires des données, (...)

– l’existence d’un droit d’accès aux données la concernant et de rectification de ces données (...). »

Article 11 – Informations lorsque les données n’ont pas été collectées
auprès de la personne concernée

« 1. Lorsque les données n’ont pas été collectées auprès de la personne concernée, les États membres prévoient que le responsable du traitement ou son représentant doit, dès l’enregistrement des données ou, si une communication de données à un tiers est envisagée, au plus tard lors de la première communication de données, fournir à la personne concernée au moins les informations énumérées ci-dessous, sauf si la personne en est déjà informée :

a) l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de son représentant ;

b) les finalités du traitement ;

c) toute information supplémentaire telle que :

– les catégories de données concernées,

– les destinataires ou les catégories de destinataires des données,

– l’existence d’un droit d’accès aux données la concernant et de rectification de ces données,

dans la mesure où, compte tenu des circonstances particulières dans lesquelles les données sont collectées, ces informations supplémentaires sont nécessaires pour assurer à l’égard de la personne concernée un traitement loyal des données. (...) »

Article 13 – Exceptions et limitations

« 1. Les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus à l’article 6 paragraphe 1, à l’article 10, à l’article 11 paragraphe 1 et aux articles 12 et 21, lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder:

a) la sûreté de l’État ;

b) la défense ;

c) la sécurité publique ;

d) la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou de manquements à la déontologie dans le cas des professions réglementées ;

e) un intérêt économique ou financier important d’un État membre ou de l’Union européenne, y compris dans les domaines monétaire, budgétaire et fiscal ;

f) une mission de contrôle, d’inspection ou de réglementation relevant, même à titre occasionnel, de l’exercice de l’autorité publique, dans les cas visés aux points c), d) et e) ;

g) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui. »

Article 22 – Recours

« Sans préjudice du recours administratif qui peut être organisé, notamment devant l’autorité de contrôle visée à l’article 28, antérieurement à la saisine de l’autorité judiciaire, les États membres prévoient que toute personne dispose d’un recours juridictionnel en cas de violation des droits qui lui sont garantis par les dispositions nationales applicables au traitement en question. »

Article 23 – Responsabilité

« 1. Les États membres prévoient que toute personne ayant subi un dommage du fait d’un traitement illicite ou de toute action incompatible avec les dispositions nationales prises en application de la présente directive a le droit d’obtenir du responsable du traitement réparation du préjudice subi. (...) »

2. Le groupe de travail sur la protection des données

64. Un groupe de travail sur la protection des données a été institué en vertu de l’article 29 de la directive 95/46/CE en vue de contribuer à la mise en œuvre homogène de ses dispositions. Ce groupe est un organe consultatif de l’Union européenne et est indépendant. Il a rendu en septembre 2001 un avis sur le traitement des données à caractère personnel dans le contexte professionnel (avis no 8/2001), qui expose les principes fondamentaux en matière de protection des données : finalité, transparence, légitimité, proportionnalité, exactitude, sécurité et information du personnel. S’agissant de la surveillance des employés, il recommande ceci :

« Tout contrôle, s’il est réalisé sur la base de l’article 7 point f) de la directive 95/46/CE et si, dans tous les cas de figure, il satisfait à l’article 6, doit être une réponse proportionnée de l’employeur aux risques qui pèsent sur lui, et tenir compte de la protection légitime de la vie privée et des autres intérêts des travailleurs.

Toute donnée à caractère personnel détenue ou utilisée au cours du contrôle doit être adéquate, pertinente et non excessive au regard des finalités pour lesquelles le contrôle se justifie. Le contrôle doit être réalisé de la façon la moins intrusive possible. Il doit cibler la zone à risques, en tenant compte des règles de protection des données et, le cas échéant, du principe du secret de la correspondance.

Le contrôle, qui inclut la vidéosurveillance, doit être conforme aux exigences de transparence de l’article 10. Les travailleurs doivent avoir connaissance de la surveillance, des finalités du traitement des données et de toute autre information nécessaire à la garantie d’un traitement équitable. La directive ne traite pas moins strictement le contrôle de l’utilisation d’Internet ou du courrier électronique par un travailleur si la surveillance se fait au moyen d’une caméra vidéo installée dans le bureau. »

65. Un autre avis, rendu le 11 février 2004, sur le traitement de données personnelles au moyen de la vidéosurveillance (avis no 4/2004) rappelle que la directive 95/46/CE s’applique à la vidéosurveillance et que le principe de proportionnalité devrait être respecté tant dans le recours à la vidéosurveillance que pour le traitement des données personnelles collectées à cette occasion. En ce qui concerne la vidéosurveillance sur le lieu de travail, il précise :

« En plus des observations faites dans ces documents et des applications concrètes à la vidéosurveillance, il est nécessaire que les systèmes de vidéo-surveillance ayant comme finalité directe le contrôle à distance de la qualité du travail et de la productivité, et qui comportent donc le traitement de données à caractère personnel dans ce contexte, soient de règle interdite.

Par contre, s’il existe des garanties appropriées, les systèmes vidéo justifiés par des réelles exigences de production ou de sécurité du travail pourraient être admis, bien qu’ils puissent avoir comme effet indirect le contrôle à distance.

L’expérience concernant l’application de la surveillance met en évidence la nécessité que des endroits réservés aux travailleurs et qui ne sont pas destinés à une activité de travail (toilettes, douches, vestiaires et zones de repos) ne soient pas soumis à surveillance ; que les images récoltées à des fins exclusives de défense de la propriété et de détection, prévention et répression d’infractions graves, ne soient pas utilisées pour contester au travailleur des infractions disciplinaires de moindre importance ; que le droit pour les travailleurs de s’opposer en utilisant les images enregistrées soit garanti.

Des informations doivent être fournies aux salariés et à toute autre personne travaillant sur les lieux. Ces informations doivent inclure l’identité du contrôleur et l’objet de la surveillance ainsi que d’autres renseignements nécessaires pour garantir un traitement équitable concernant les personnes sur lesquelles sont recueillies des données, par exemple dans quels cas des enregistrements seront examinés par la direction de l’entreprise, la période d’enregistrement et la date à laquelle l’enregistrement sera communiqué aux représentants de la loi. La communication des informations, par le biais d’un symbole, par exemple, ne peut être jugée suffisante dans le contexte de l’emploi. »

3. Le Règlement général sur la protection des données

66. Le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE, est applicable depuis le 25 mai 2018. Il reprend la plupart des dispositions de la directive 95/46/CE et renforce certaines des garanties qu’elle prévoyait.

4. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

67. Il résulte des éléments dont la Cour dispose sur la législation des États membres du Conseil de l’Europe, notamment d’une étude portant sur 42 États membres, les informations exposées ci-dessous :

68. Les 28 États membres de l’Union européenne ont une législation transposant la directive 95/46/CE. Parmi eux, 21 États ont adopté des textes régissant spécifiquement la vidéosurveillance sur le lieu de travail. La majorité des pays disposant d’une telle règlementation interdisent la vidéosurveillance cachée. Certains (Allemagne, Royaume-Uni) l’admettent toutefois en cas de soupçons d’infractions pénales ou d’irrégularités graves.

69. Parmi les pays non-membres de l’Union européenne, sept ont adopté des textes régissant spécifiquement la vidéosurveillance sur le lieu de travail, trois pays réglementent la vidéosurveillance en général et cinq ne disposent que d’une législation générale sur la protection des données personnelles. Les États qui ont adopté une réglementation spécifique exigent que la surveillance ait une finalité légitime et que les employés en soient informés. Dans un pays (la Suisse), il est possible de procéder à une vidéosurveillance cachée en cas de soupçons d’infraction.

70. La quasi-totalité des États permettent à toute personne ayant fait l’objet d’une vidéosurveillance de saisir les juridictions pour demander réparation du préjudice subi et/ou une injonction en vue de faire cesser la surveillance ou d’effacer des données recueillies par ce moyen. Dans certains pays, la responsabilité pénale peut également être mise en jeu. Dans tous les États membres de l’Union européenne et dans dix des autres États, il est possible de saisir une autorité indépendante chargée de la protection des données personnelles, qui dispose de pouvoirs d’enquête et de sanction.

EN DROIT

1. QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
1. Sur le locus standi

71. La Cour observe que la deuxième requérante, Mme A. Gancedo Giménez, est décédée le 25 octobre 2018, alors que l’affaire était pendante devant la Grande Chambre. Son mari et héritier légal, M. J. López Martínez, a manifesté son souhait de poursuivre la procédure devant la Cour.

72. La Cour rappelle que, dans plusieurs affaires où un requérant était décédé pendant la procédure, elle a pris en compte la volonté exprimée par des héritiers ou parents proches de poursuivre celle-ci (voir, parmi d’autres, Malhous c. République tchèque (déc.) [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII, Angelov c. Bulgarie, no 44076/98, § 28, 22 avril 2004, et Nicola c. Turquie, no 18404/91, § 15, 27 janvier 2009).

73. En l’espèce, la Cour estime que l’héritier de la deuxième requérante peut avoir un intérêt suffisant à la poursuite de l’examen de la requête et lui reconnaît dès lors la qualité pour se substituer à elle.

2. Sur l’objet de l’affaire devant la Grande Chambre

74. Dans ses observations orales devant la Grande Chambre, le Gouvernement invite la Cour à ne réexaminer que le grief tiré de l’article 8 de la Convention, au sujet duquel la chambre a conclu à une violation dans son arrêt du 9 janvier 2018 et sur lequel porte sa demande de renvoi du Gouvernement, acceptée par le collège de la Grande Chambre. Il précise que les requérantes n’ont pas introduit de demande de renvoi concernant les griefs tirés de l’article 6 pour lesquels l’arrêt de la chambre n’a pas constaté de violation.

75. Les requérantes ne commentent pas la demande du Gouvernement mais ont néanmoins invité la Cour à revoir le constat de non-violation opéré par la chambre.

76. La Cour rappelle que le contenu et l’objet de « l’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre sont délimités par la décision de la chambre sur la recevabilité (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 140-141, CEDH 2001‑VII, et Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 100, 4 décembre 2018). « L’affaire » renvoyée devant la Grande Chambre englobe donc nécessairement tous les aspects de la requête que la chambre a déclarés recevables et non uniquement la « question grave » de caractère général ou relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, visée à l’article 43 de la Convention, pour laquelle la demande de renvoi a été accueillie par le collège (K. et T. c. Finlande, loc. cit.). Dès lors, l’examen de la Grande Chambre en l’espèce portera sur l’ensemble des griefs tirés des articles 6 et 8 de la Convention déclarés recevables par la chambre.

2. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

77. Les requérantes soutiennent que la décision par laquelle leur employeur les a licenciées repose sur des enregistrements obtenus par le biais d’une vidéosurveillance sur leur lieu de travail contraire à leur droit au respect de leur vie privée et que, en refusant d’annuler la mesure de licenciement, les juridictions internes ont manqué à leur obligation de protéger ce droit. Elles invoquent l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...).

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. L’arrêt de la chambre

78. Dans son arrêt du 9 janvier 2018, la chambre a jugé applicable en l’espèce l’article 8 de la Convention. Les mesures de vidéosurveillance litigieuses ayant été mises en place par une personne de droit privé, elle a examiné le grief sous l’angle des obligations positives incombant à l’État et a recherché si les autorités nationales avaient ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit des requérantes au respect de leur vie privée et, d’autre part, l’intérêt de leur employeur à protéger ses droits en matière d’organisation et de gestion de ses biens.

79. La chambre a noté que, si la vidéosurveillance avait été mise en place en raison de soupçons légitimes de vol, elle avait une portée large – puisqu’elle n’était pas limitée dans le temps, qu’elle visait tous les employés travaillant aux caisses et qu’elle couvrait la totalité des heures de travail – et contrevenait à l’obligation, faite par le droit interne, d’informer au préalable les personnes concernées par une collecte et un traitement de leurs données personnelles de l’existence, de la finalité et des modalités de ces mesures. Compte tenu de ces éléments, elle a dit ne pas partager l’opinion des juridictions internes quant à la proportionnalité de la mesure de vidéosurveillance instaurée par l’employeur. Elle a notamment observé que les droits de l’employeur auraient pu être sauvegardés en informant les requérantes, ne serait-ce que de manière générale, de l’installation d’un système de vidéosurveillance.

80. En conséquence, la chambre a conclu que les juridictions internes n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre les droits des requérantes au respect de leur vie privée et les autres intérêts en jeu et qu’il y avait dès lors eu violation de l’article 8 de la Convention.

2. Sur l’exception préliminaire du Gouvernement

81. Le Gouvernement soutient que les requérantes auraient pu saisir l’Agence de protection des données pour se plaindre de la méconnaissance alléguée de la loi sur la protection des données ou bien déposer une plainte pénale pour la violation de leur droit à la vie privée. Selon lui, ces voies de recours auraient permis d’imposer une sanction administrative ou pénale à l’employeur. Il en conclut que les intéressées n’ont pas épuisé les voies de recours que leur offrait le droit interne.

82. Les requérantes font valoir que l’Agence de protection des données est une autorité administrative dont la compétence se limite à imposer des sanctions pécuniaires en cas d’infraction à la loi sur la protection des données. Elles estiment qu’une telle sanction, si elle venait à être imposée à leur employeur, ne permettrait pas de réparer le préjudice que leur ont causé l’atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et leur licenciement fondé sur cette atteinte. Elles ajoutent que la saisine de l’Agence n’est pas un préalable obligatoire à celle des juridictions ordinaires, qui ont pleine compétence pour interpréter et appliquer la loi sur la protection des données.

83. La Cour relève que le Gouvernement a pour la première fois excipé d’un défaut d’épuisement des voies de recours internes dans ses observations écrites devant la Grande Chambre. Elle ne décèle cependant aucune circonstance exceptionnelle qui aurait pu le dispenser de l’obligation, découlant de l’article 55 du règlement, de formuler son exception avant que la chambre ne statue sur la recevabilité. Elle estime dès lors que le Gouvernement est forclos à soulever cette exception à ce stade de la procédure et que celle-ci doit être rejetée (Navalnyy c. Russie [GC], nos 29580/12 et 4 autres, § 61, 15 novembre 2018).

84. Toutefois, pour autant que les arguments avancés par les parties relativement à l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ont trait au fond du grief des requérantes tiré de l’article 8 de la Convention, la Cour les examinera ci-après.

3. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention
1. Thèses des parties

a) Les requérantes

85. Les requérantes soutiennent que le fait d’avoir été filmées sur leur lieu de travail à leur insu de manière continue, pendant toute la durée de leur journée de travail et sans qu’elles puissent se soustraire à cette surveillance, entraine l’applicabilité de l’article 8 de la Convention.

b) Le Gouvernement

86. Le Gouvernement fait valoir que les requérantes travaillaient dans un espace public, en contact direct avec le public. Il estime qu’en l’absence de consensus entre les États membres sur la question de savoir si une telle situation relève de la « vie privée », la Cour ne devrait pas élargir cette notion. Il ajoute que la protection de l’article 8 ne saurait s’étendre à des comportements délictueux.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes tirés de la jurisprudence de la Cour

87. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, qui ne se prête pas à une définition exhaustive. Elle recouvre l’intégrité physique et morale d’une personne ainsi que de multiples aspects de son identité physique et sociale (voir, récemment, Denisov c. Ukraine [GC], no 76639/11, § 95, 25 septembre 2018). Elle englobe notamment des éléments d’identification d’un individu tels que son nom ou sa photographie (Schüssel c. Autriche (déc.), no 42409/98, 21 février 2002, et Von Hannover c. Allemagne (no 2) [GC], nos 40660/08 et 60641/08, § 95, CEDH 2012).

88. La notion de vie privée ne se limite pas à un « cercle intime », où chacun peut mener sa vie personnelle sans intervention extérieure, mais englobe également le droit de mener une « vie privée sociale », à savoir la possibilité pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et le monde extérieur (Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, § 70, 5 septembre 2017). À ce titre, elle n’exclut pas les activités professionnelles (Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 110, CEDH 2014 (extraits), Köpke c. Allemagne (déc.), no 420/07, 5 octobre 2010, Bărbulescu, précité, § 71, Antović et Mirković c. Monténégro, no 70838/13, § 42, 28 novembre 2017, et Denisov, précité, § 100) ni les activités qui ont lieu dans un contexte public (Von Hannover (no 2), précité, § 95). Il existe en effet une zone d’interaction entre l’individu et autrui qui, même dans un contexte public, peut relever de la vie privée (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, no 44787/98, § 56, CEDH 2001‑IX, Perry c. Royaume-Uni, no 63737/00, § 36, CEDH 2003‑IX (extraits), et Von Hannover (no 2), précité, § 95).

89. Un certain nombre d’éléments entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si la vie privée d’une personne est touchée par des mesures prises en dehors de son domicile ou de ses locaux privés. Puisqu’à certaines occasions les gens se livrent sciemment ou intentionnellement à des activités qui sont ou peuvent être enregistrées ou rapportées publiquement, ce qu’un individu est raisonnablement en droit d’attendre quant au respect de sa vie privée peut constituer un facteur significatif, quoique pas nécessairement décisif (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, § 57, Bărbulescu, précité, § 73, et Antović et Mirković, précité, § 43). S’agissant de la surveillance des actions d’un individu au moyen de matériel photo ou vidéo, les organes de la Convention ont ainsi estimé que la surveillance des faits et gestes d’une personne dans un lieu public au moyen d’un dispositif photographique ne mémorisant pas les données visuelles ne constituait pas en elle-même une forme d’ingérence dans la vie privée (Herbecq et Association « Ligue des droits de l’homme » c. Belgique, nos 32200/96 et 32201/96, décision de la Commission du 14 janvier 1998, Décisions et rapports 92-A, p. 92, et Perry, précité, § 41). En revanche, des considérations tenant à la vie privée peuvent surgir dès lors que des données à caractère personnel, notamment les images d’une personne identifiée, sont recueillies et enregistrés de manière systématique ou permanente (Peck c. Royaume-Uni, no 44647/98, §§ 58-59, CEDH 2003‑I, Perry, précité, §§ 38 et 41, et Vukota-Bojić c. Suisse, no 61838/10, §§ 55 et 59, 18 octobre 2016). Comme la Cour l’a souligné à cet égard, l’image d’un individu est l’un des attributs principaux de sa personnalité, parce qu’elle exprime son originalité et lui permet de se différencier de ses pairs. Le droit de chaque personne à la protection de son image constitue ainsi l’une des conditions essentielles de son épanouissement personnel et présuppose principalement la maîtrise par l’individu de son image. Si pareille maîtrise implique dans la plupart des cas la possibilité pour l’individu de refuser la diffusion de son image, elle comprend en même temps le droit pour lui de s’opposer à la captation, la conservation et la reproduction de celle-ci par autrui (Reklos et Davourlis c. Grèce, no 1234/05, § 40, 15 janvier 2009, et De La Flor Cabrera c. Espagne, no 10764/09, § 31, 27 mai 2014).

90. Pour déterminer si l’article 8 trouve à s’appliquer, la Cour estime également pertinente la question de savoir si l’individu en cause a été ciblé par la mesure de surveillance (Perry, précité, § 40, Köpke, décision précitée, et Vukota-Bojić, précité, §§ 56 et 58) ou si des informations à caractère personnel ont été traitées, utilisées ou rendues publiques d’une manière ou dans une mesure excédant ce à quoi les intéressés pouvaient raisonnablement s’attendre (Peck, précité, §§ 62-63, Perry, précité, §§ 40-41, et Vukota-Bojić, précité, § 56).

91. En ce qui concerne plus particulièrement la vidéosurveillance sur le lieu de travail, la Cour a jugé que la vidéosurveillance effectuée par l’employeur à l’insu d’une salariée, pendant environ cinquante heures sur une période de deux semaines et l’utilisation de l’enregistrement obtenu dans la procédure devant les juridictions du travail pour justifier son licenciement, constituaient une atteinte au droit de l’intéressée au respect de sa vie privée (Köpke, décision précitée). La vidéosurveillance non dissimulée de professeurs d’université pendant qu’ils dispensaient leurs cours, dont les enregistrements étaient conservés pendant un mois et consultables par le doyen de la faculté, a également été jugée attentatoire à la vie privée des intéressés (Antović et Mirković, précité, §§ 44-45).

b) Application de ces principes en l’espèce

92. La Cour relève qu’en l’espèce les requérantes ont fait l’objet d’une vidéosurveillance, mise en place par leur employeur sur leur lieu de travail pendant une durée de dix jours et dirigée vers les caisses du supermarché et leurs alentours. Ainsi, si les requérantes n’étaient pas individuellement ciblées par la vidéosurveillance, il n’est pas contesté que les trois premières d’entre elles, qui travaillaient aux caisses, ont pu être filmées tout le long de leur journée de travail, alors que les quatrième et cinquième requérantes l’ont été au moment où elles y passaient.

93. S’agissant de l’attente raisonnable que les requérantes pouvaient avoir concernant la protection et le respect de leur vie privée, la Cour relève que leur lieu de travail, un supermarché, était ouvert au public et que les activités filmées, à savoir l’encaissement des achats effectués par les clients, n’étaient pas de nature intime ou privée. L’attente qu’elles pouvaient avoir s’agissant de la protection de leur vie privée était donc nécessairement réduite. Cependant, même dans des espaces publics, la création d’un enregistrement systématique ou permanent d’images de personnes identifiées et le traitement subséquent des images ainsi recueillies peut soulever des questions touchant à la vie privée des individus concernés (voir le paragraphe 89 ci-dessus et la jurisprudence citée). La Cour relève qu’en l’espèce le droit interne prévoyait un cadre légal explicite qui obligeait le responsable d’un système de vidéosurveillance, même situé dans un espace public, à avertir au préalable les personnes faisant l’objet d’une telle surveillance (paragraphes 47 et 50 ci-dessus). Les requérantes avaient au demeurant été informées de l’installation par leur employeur d’autres caméras, celles-ci visibles, qui étaient dirigées vers les entrées et sorties du magasin. Dans ces circonstances, elles pouvaient raisonnablement s’attendre à ne pas faire l’objet d’une vidéosurveillance dans les autres espaces du magasin sans en avoir été préalablement informées.

94. En ce qui concerne le traitement et l’utilisation des enregistrements vidéo, la Cour note que ceux-ci ont été visionnés par plusieurs personnes travaillant pour l’employeur des requérantes, avant même que ces dernières ne soient informées de leur existence. En outre, ils ont servi de base pour leur licenciement et ils ont été utilisés comme moyens de preuve dans la procédure devant le juge du travail.

95. Au vu de l’ensemble de ces considérations, la Cour estime que l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce.

4. Sur le respect de l’article 8 de la Convention
1. Thèses des parties

a) Les requérantes

96. Les requérantes soulignent d’emblée que les seules questions à débattre dans le cadre de la présente affaire sont celles de savoir si leur droit au respect de leur vie privée a été enfreint par la mise en place de la mesure de vidéosurveillance à leur insu et quelles sont les limites imposées par l’article 8 de la Convention à la surveillance que l’employeur peut exercer sur ses employés. Elles estiment que, contrairement à ce que laisse entendre le Gouvernement, la question de leur éventuelle responsabilité pénale a déjà été tranchée au niveau interne et ne saurait être débattue devant la Cour.

97. Les requérantes reconnaissent qu’un employeur doit pouvoir installer des systèmes de surveillance pour protéger ses biens mais considèrent que ce droit doit être limité pour préserver le droit au respect de la vie privée des employés. Elles expliquent que, en l’espèce, elles et l’ensemble du personnel du supermarché ont été filmés des semaines durant, pendant toute la journée de travail, sans en avoir été préalablement informés. Elles soutiennent que cette surveillance a été réalisée en violation du droit espagnol, qui prévoyait l’obligation pour l’employeur sinon d’obtenir le consentement des salariés, au moins de les informer au préalable de l’installation des caméras et de leurs droits au regard de la législation sur la protection des données. Elles estiment que si de telles indications avaient été données, tant leur droit au respect de leur vie privée que les intérêts de l’employeur auraient été préservés. Les requérantes en concluent que, en refusant de sanctionner cette omission de l’employeur, les juridictions internes ne leur ont pas assuré une protection suffisante au regard de l’article 8 de la Convention.

98. Les requérantes considèrent qu’il convient de distinguer la présente espèce de l’affaire Köpke c. Allemagne (décision précitée) sur plusieurs points. Elles font valoir que dans l’affaire Köpke, il n’existait pas de législation expresse sur la vidéosurveillance au travail et que l’employeur avait respecté les conditions fixées par la jurisprudence interne, alors que, dans le cas d’espèce, leur employeur a méconnu la législation interne sans que les juridictions ne le sanctionnent. Elles ajoutent que la surveillance était plus étendue dans leur cas puisque celle-ci avait été instaurée sans limite de durée, avait lieu pendant toute la journée de travail et visait non seulement les employés soupçonnés mais l’ensemble du personnel.

99. Les requérantes invitent la Cour à suivre l’approche adoptée dans son récent arrêt Bărbulescu c. Roumanie (précité), une affaire de contrôle par l’employeur de la messagerie et de l’usage d’internet par un employé, qui selon elles a fixé les critères de proportionnalité que doivent respecter les ingérences de l’employeur dans le droit au respect de la vie privée de ses employés. Elles estiment que la mesure prise par leur employeur n’a manifestement pas satisfait à ces exigences, eu égard à l’absence d’information préalable sur la mise en place de la vidéosurveillance et sur les droits prévus par la législation sur la protection des données. Elles ajoutent que cette mesure n’était pas proportionnée puisque les intérêts de l’employeur auraient pu être préservés tout en fournissant aux salariés les informations requises par la loi.

100. Les requérantes en concluent que, en refusant de reconnaître que la vidéosurveillance réalisée au moyen de caméras dissimulées a méconnu leur droit au respect de leur vie privée et en jugeant, en conséquence, que leurs licenciements étaient réguliers, les juridictions internes les ont privées de la protection qui leur était due contre des atteintes abusives à leur vie privée par leur employeur. Elles estiment que, contrairement à ce que soutient Gouvernement, ce grief est distinct de ceux tirés de l’article 6 de la Convention.

101. Par ailleurs, concernant la possibilité de saisir l’Agence espagnole de protection des données, les requérantes reprennent leurs arguments en réponse à l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement (paragraphe 81 ci-dessus) et soutiennent que quand bien même cette agence aurait constaté une infraction administrative, la sanction administrative de l’employeur n’aurait pas permis de redresser adéquatement la violation qu’elles allèguent de leur droit au respect de leur vie privée. Quant à la possibilité de demander réparation devant les juridictions civiles de droit commun, elles disent que ces juridictions n’ont pas compétence pour les relations découlant d’un contrat de travail et que la jurisprudence invoquée à titre d’exemple par le Gouvernement, qui concerne une situation dans laquelle la relation de travail avait été rompue deux ans auparavant, n’est pas transposable en l’espèce (paragraphe 49 ci-dessus). En effet, pour elles, la principale conséquence de la vidéosurveillance litigieuse a été leur licenciement, à l’égard duquel seules les juridictions du travail avaient compétence.

b) Le Gouvernement

102. le Gouvernement estime que, l’atteinte à la vie privée dénoncée par les requérantes étant imputable à une entreprise privée et non aux autorités publiques, la Grande Chambre devrait suivre l’approche adoptée dans l’affaire Von Hannover (no 2) c. Allemagne (arrêt précité), dans laquelle la Cour a examiné si les juridictions internes avaient procédé à une mise en balance des différents intérêts particuliers en jeu et ménagé un juste équilibre entre eux. Selon lui, les juridictions espagnoles ont bien effectué une telle mise en balance et ont dûment tenu compte du droit des requérantes au respect de leur vie privée.

103. Le Gouvernement soutient que, quand bien même il aurait été souhaitable que les requérantes soient informées de l’installation des caméras de surveillance, les mesures prises par l’employeur n’étaient pas disproportionnées. Il observe que les requérantes travaillaient dans un espace ouvert au public, qu’elles avaient été informées de l’installation de certaines caméras à la suite des soupçons de vol et qu’elles ont sciemment commis des actes délictueux. Il considère que la présente requête est similaire à l’affaire Köpke et que la distinction faite par l’arrêt de chambre n’est pas justifiée. Il précise à cet égard que la vidéosurveillance en l’espèce n’a duré que dix jours, entre le 15 et le 25 juin, date de la convocation des employés suspectés à des entretiens individuels, et qu’elle visait non pas l’ensemble des membres du personnel mais seulement ceux qui travaillaient aux caisses, en contact direct avec les clients. Il estime qu’il faut en revanche distinguer le cas de l’espèce de l’arrêt Bărbulescu car dans cette affaire l’ingérence litigieuse visait le respect d’instructions de l’employeur dont la Cour a considéré qu’elles « rédui[saient] à néant l’exercice de la vie privée sociale sur le lieu de travail », alors qu’en l’espèce la vidéosurveillance poursuivait un but légitime, qui était de faire la lumière sur une infraction dont l’entreprise avait été victime. Il ajoute que, les requérantes ayant travaillé dans un espace en contact direct avec le public, leur attente en matière de vie privée était nécessairement plus faible qu’en ce qui concerne la confidentialité des communications échangées par messagerie.

104. Par ailleurs, reprenant les arguments qu’il a avancé pour exciper d’un défaut d’épuisement (paragraphe 81 ci-dessus), le Gouvernement soutient que les requérantes auraient pu saisir l’Agence espagnole de protection des données d’une méconnaissance de la loi sur la protection des données. Il expose que cette agence est un organe indépendant, habilité à contrôler l’application de la législation sur la protection des données et à sanctionner les contrevenants par l’imposition d’amendes, alors que les juridictions du travail saisies par les requérantes n’avaient compétence que pour statuer sur la régularité des licenciements. Il souligne que toute méconnaissance de la législation relative à la protection des données n’emporte pas automatiquement violation du droit au respect à la vie privée et qu’il ne faut pas confondre ces deux notions.

105. Le Gouvernement dit que les requérantes pouvaient en outre saisir les juridictions civiles ordinaires pour demander réparation du préjudice éventuellement causé par la violation alléguée de la loi sur la protection des données. Il produit, à l’appui de sa thèse, un arrêt du Tribunal suprême qui a accordé une indemnité à un salarié à raison de la transmission illicite de données personnelles par son ancien employeur (paragraphe 49 ci-dessus).

106. Le Gouvernement en conclut que l’État défendeur a respecté les obligations positives découlant de l’article 8 de la Convention et ne devrait pas voir sa responsabilité engagée à raison des éventuels manquements d’une entreprise privée ni du défaut de dénonciation de ceux-ci par les requérantes aux autorités internes compétentes.

2. Observations du tiers intervenant

107. La Confédération européenne des syndicats, en qualité de tiers intervenant, se dit préoccupée par la possibilité que les États ne protègent pas suffisamment la vie privée des employés sur le lieu de travail. Elle souligne que la préservation de la vie privée en général et dans les relations de travail en particulier est une branche relativement nouvelle des droits de l’homme en droit international, et que les risques pour la vie privée nés des nouvelles technologies augmentent. Cela explique, selon elle, que la protection internationale, et en particulier européenne, des droits de l’homme s’est renforcée et impose d’informer les personnes concernées, que le traitement des données à caractère personnel soit en lui-même permis ou non.

108. La Confédération européenne des syndicats souligne que le droit espagnol, en l’occurrence l’article 5 § 1 de la loi sur la protection des données à caractère personnel, reconnaît expressément le droit à être informé de la collecte de données de ce type. Exposant la manière dont plusieurs instruments juridiques européens (au niveau aussi bien du Conseil de l’Europe que de l’Union européenne) abordent la question de la protection de la vie privée, que ce soit sous l’angle général de la protection des données à caractère personnel ou plus précisément sous celui de la vidéosurveillance sur le lieu de travail, elle conclut que le droit de la personne concernée à être informée préalablement du traitement des données doit être considéré comme un droit découlant de l’article 8 de la Convention en tant que garantie procédurale. Elle ajoute que, dans des situations où l’information des salariés ne serait pas requise, l’information et la consultation de leurs représentants serait une garantie indispensable.

3. Appréciation de la Cour

a) Sur les obligations positives qui incombent à l’État défendeur

109. La Cour observe qu’en l’espèce la mesure de vidéosurveillance dont se plaignent les requérantes a été prise par leur employeur, une entreprise privée, et ne saurait dès lors s’analyser en une « ingérence », par une autorité de l’État, dans l’exercice des droits protégés par la Convention. Les intéressées n’en estiment pas moins que, en confirmant leurs licenciements fondés sur cette surveillance, les juridictions internes n’ont pas effectivement protégé leur droit au respect de leur vie privée.

110. La Cour rappelle que si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas de commander à l’État de s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes au respect effectif de la vie privée ou familiale. Ces obligations peuvent nécessiter l’adoption de mesures visant au respect de la vie privée jusque dans les relations des individus entre eux (Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 78, CEDH 2013, et Von Hannover (no 2), précité, § 98). La responsabilité de l’État peut ainsi se trouver engagée si les faits litigieux résultaient d’un manquement de sa part à garantir aux personnes concernées la jouissance des droits consacrés par l’article 8 de la Convention (Bărbulescu, précité, § 110, et Schüth c. Allemagne, no 1620/03, §§ 54 et 57, CEDH 2010).

111. Dès lors, à l’instar de l’approche qu’elle a suivi dans des affaires similaires, la Cour estime qu’il y a lieu d’examiner le grief des requérantes sous l’angle des obligations positives incombant à l’État sur le terrain de l’article 8 de la Convention (Bărbulescu, précité, § 110, Köpke, décision précitée, et De La Flor Cabrera, précité, § 32). Si la frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au regard de la Convention ne se prête pas à une définition précise, les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut prendre en compte le juste équilibre à ménager entre les différents intérêts privés et publics en jeu, l’État jouissant en toute hypothèse d’une marge d’appréciation (Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06 et 3 autres, § 62, CEDH 2011, et Bărbulescu, précité, § 112). Cette marge va de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a point pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si leurs décisions se concilient avec les dispositions de la Convention invoquées (Peck, précité, § 77, et Von Hannover (no 2), précité, § 105).

112. Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants. Il existe en effet plusieurs manières différentes d’assurer le respect de la vie privée, et la nature de l’obligation de l’État dépendra de l’aspect de la vie privée qui se trouve en cause (Von Hannover (no 2), précité, § 104, Söderman, précité, § 79, et Bărbulescu, précité, § 113).

113. La Cour a déjà jugé que, dans certaines circonstances, le respect des obligations positives qu’impose l’article 8 exige de l’État qu’il adopte un cadre législatif propre à protéger le droit en cause (voir X et Y c. Pays‑Bas, 26 mars 1985, §§ 23, 24 et 27, série A no 91, et M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 150, CEDH 2003‑XII, en ce qui concerne des cas d’agression sexuelle sur des mineurs, et Codarcea c. Roumanie, no 31675/04, §§ 102‑104, 2 juin 2009, pour ce qui est des négligences médicales). Concernant les atteintes les plus graves, telles que le viol, cette obligation peut aller jusqu’à exiger l’adoption de normes en matière pénale (M.C. c. Bulgarie, loc. cit.). Pour les actes interindividuels de moindre gravité susceptibles de porter atteinte aux droits protégés par l’article 8, la Cour estime que l’article 8 laisse à l’appréciation des États le choix d’adopter ou non une législation spécifique et elle vérifie si les recours existants étaient aptes à offrir une protection suffisante aux droits en cause (voir, concernant la protection de l’intégrité personnelle d’une mineure, Söderman, précité, §§ 86-91, et, concernant le droit à l’image, Von Hannover (no 2), précité, §§ 95-126, et Reklos et Davourlis, précité, §§ 34-43).

114. S’agissant plus particulièrement de la surveillance des employés sur le lieu de travail, elle a estimé que l’article 8 laissait à l’appréciation des États le choix d’adopter ou non une législation spécifique concernant la vidéosurveillance (Köpke, décision précitée) ou la surveillance de la correspondance et des communications non professionnelles des employés (Bărbulescu, précité, § 119). Elle a néanmoins rappelé que, quelle que soit la latitude dont jouissent les États dans le choix des moyens propres à protéger les droits en cause, les juridictions internes doivent s’assurer que la mise en place par un employeur de mesures de surveillance portant atteinte au droit au respect de la vie privée ou de la correspondance des employés est proportionnée et s’accompagne de garanties adéquates et suffisantes contre les abus (Bărbulescu, précité, § 120, et Köpke, décision précitée).

115. Dans l’arrêt Bărbulescu, la Cour a défini un certain nombre de critères auxquels les mesures de contrôle de la correspondance et des communications des employés doivent se conformer pour ne pas enfreindre l’article 8 de la Convention (arrêt précité, § 121). Elle y a par ailleurs dit que, pour assurer le respect effectif de ces exigences, les employés concernés doivent bénéficier d’une voie de recours devant un organe juridictionnel indépendant ayant compétence pour examiner, au moins en substance, le respect de ces critères (arrêt précité, § 122).

116. La Cour estime que les principes établis dans l’arrêt Bărbulescu, dont plusieurs sont tirés de la décision Köpke qui traitait de faits similaires à la présente espèce, sont transposables, mutatis mutandis, aux circonstances dans lesquelles un employeur peut mettre en place une mesure de vidéosurveillance sur le lieu de travail. Il faut appliquer ces critères en tenant compte de la spécificité des relations de travail et du développement des nouvelles technologies, qui peut permettre des mesures de surveillance de plus en plus intrusives dans la vie privée des salariés. Dans ce contexte, pour s’assurer de la proportionnalité de mesures de vidéosurveillance sur le lieu de travail, les juridictions nationales devraient tenir compte des facteurs suivants lorsqu’elles procèdent à la mise en balance des différents intérêts en jeu :

i) L’employé a-t-il été informé de la possibilité que l’employeur prenne des mesures de vidéosurveillance ainsi que de la mise en place de telles mesures ? Si, en pratique, cette information peut être concrètement communiquée au personnel de diverses manières, en fonction des spécificités factuelles de chaque cas, l’avertissement doit en principe être clair quant à la nature de la surveillance et préalable à sa mise en place.

ii) Quels ont été l’ampleur de la surveillance opérée par l’employeur et le degré d’intrusion dans la vie privée de l’employé ? À cet égard, il convient de prendre en compte notamment le caractère plus ou moins privé du lieu dans lequel intervient la surveillance, les limites spatiales et temporelles de celle-ci, ainsi que le nombre de personnes ayant accès à ses résultats.

iii) L’employeur a-t-il justifié par des motifs légitimes le recours à la surveillance et l’ampleur de celle-ci ? Sur ce point, plus la surveillance est intrusive, plus les justifications requises doivent être sérieuses.

iv) Était-il possible de mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs ? À cet égard, il convient d’apprécier en fonction des circonstances particulières de chaque espèce si le but légitime poursuivi par l’employeur pouvait être atteint en portant une atteinte moindre à la vie privée du salarié.

v) Quelles ont été les conséquences de la surveillance pour l’employé qui en a fait l’objet ? Il convient notamment de vérifier de quelle manière l’employeur a utilisé les résultats de la mesure de surveillance et s’ils ont servi à atteindre le but déclaré de la mesure.

vi) L’employé s’est-il vu offrir des garanties adéquates, notamment lorsque les mesures de surveillance de l’employeur avaient un caractère intrusif ? Ces garanties peuvent être mises en œuvre, parmi d’autres moyens, par l’information fournie aux employés concernés ou aux représentants du personnel sur la mise en place et sur l’ampleur de la vidéosurveillance, par la déclaration de l’adoption d’une telle mesure à un organisme indépendant ou par la possibilité d’introduire une réclamation.

117. La Cour vérifiera donc si, en l’espèce, le droit interne et en particulier l’application qui en a été faite par les juridictions du travail saisies par les requérantes ont offert, dans leur mise en balance des intérêts en jeu, une protection suffisante à leur droit au respect de leur vie privée.

b) Application en l’espèce des principes susmentionnés

118. En l’espèce, les obligations positives que fait peser sur l’État l’article 8 de la Convention imposaient aux autorités nationales de ménager un juste équilibre entre deux intérêts divergents, à savoir, d’une part, le droit des requérantes au respect de leur vie privée et, d’autre part, la faculté pour leur employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de son entreprise, notamment en exerçant son pouvoir disciplinaire.

119. La Cour relève d’emblée que, à l’époque des faits, le droit espagnol avait fixé un cadre normatif destiné à protéger la vie privée des salariés dans une situation comme celle en l’espèce. Ainsi, la loi sur la protection des données à caractère personnel et l’instruction no 1/2006 portant spécifiquement sur la vidéosurveillance prévoyaient un certain nombre de garanties et de conditions auxquelles devaient satisfaire toute mesure de vidéosurveillance et le traitement de données personnelles y afférent. Le non-respect de ces garanties pouvait donner lieu à des sanctions administratives et à l’engagement de la responsabilité civile du responsable du traitement des données (paragraphes 46 et 48 ci-dessus). En outre, l’article 20 § 3 du Statut des travailleurs limitait le pouvoir de surveillance par l’employeur de l’accomplissement des obligations professionnelles des salariés en exigeant que les mesures prises à ce titre ne portent pas atteinte à la dignité humaine. Par ailleurs, les règles de procédure applicables imposaient aux juridictions internes d’écarter tout moyen de preuve obtenu en violation d’un droit fondamental. Enfin, il existait une jurisprudence des juridictions ordinaires et du Tribunal constitutionnel exigeant que les mesures attentatoires à la vie privée des salariés poursuivent un but légitime (« critère de l’adéquation »), soient nécessaires au but poursuivi (« critère de la nécessité ») et soient proportionnées aux circonstances de chaque espèce (« critère de la stricte proportionnalité ») (paragraphes 54 et suivants ci-dessus).

120. Dans ces circonstances, la Cour estime que le cadre normatif existant en droit interne n’est pas en cause en l’espèce. Les requérantes n’en contestent d’ailleurs pas la pertinence (paragraphe 97 ci-dessus), mais elles soutiennent que c’est précisément le refus des juridictions du travail de tirer les conséquences du non-respect par l’employeur de l’obligation d’information prévue par le droit interne qui a enfreint la Convention.

121. Dès lors, la Cour se penchera sur la manière dont les juridictions internes saisies par les requérantes ont examiné leur grief de violation de leur droit au respect de leur vie privée sur le lieu de travail et si, comme le soutient le Gouvernement, d’autres voies de recours prévues par le droit interne étaient susceptibles de leur offrir une protection adéquate.

122. La Cour relève d’emblée que les juridictions du travail ont cerné les différents intérêts en jeu, en se référant explicitement au droit des requérantes au respect de leur vie privée et à l’équilibre à rechercher entre ce droit et l’intérêt de l’employeur d’assurer la bonne marche de l’entreprise par l’exercice de son pouvoir de direction. Elle vérifiera donc la manière dont ces juridictions ont pris en compte les critères qu’elle a énoncés ci-dessus lorsqu’elles ont procédé à la mise en balance de ces intérêts.

123. Les juridictions internes ont tout d’abord constaté, conformément aux exigences posées par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, que la mise en place de la vidéosurveillance se justifiait par des raisons légitimes, à savoir les soupçons, nourris par le directeur du magasin en raison des pertes importantes constatées sur plusieurs mois, que des vols avaient été commis. Elles ont également tenu compte de l’intérêt légitime pour l’employeur d’adopter des mesures afin de découvrir les responsables des pertes constatées et de les sanctionner, dans le but d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise.

124. Les juridictions internes ont ensuite examiné l’ampleur de la mesure de surveillance et le degré d’intrusion dans la vie privée des requérantes et ont retenu que la mesure était limitée en ce qui concernait les espaces et le personnel surveillés – puisque les caméras ne couvraient que les caisses, susceptibles d’être à l’origine des pertes constatées –, et que sa durée dans le temps n’avait pas dépassé ce qui était nécessaire pour confirmer les soupçons de vol. De l’avis de la Cour, cette appréciation ne peut passer pour déraisonnable. Elle relève en effet que la surveillance ne couvrait pas l’ensemble du magasin mais ciblait les espaces autour des caisses, où des vols étaient susceptibles d’être commis. Les trois requérantes qui occupaient des postes de caissières ont effectivement été l’objet d’une surveillance filmée pendant toute leur journée de travail. En raison de leur affectation au sein de l’entreprise, elles ne pouvaient échapper à ces enregistrements qui visaient tout le personnel travaillant aux caisses et étaient effectués de manière permanente et sans limitation (voir, a contrario, Köpke, décision précitée, concernant une requérante qui était à la fois assistante et caissière de magasin, pour laquelle la mesure de vidéosurveillance n’avait pas couvert l’intégralité de son lieu de travail). D’une certaine façon, elles se trouvaient ainsi dans des espaces limités (voir, mutatis mutandis, Allan c. Royaume-Uni, no 48539/99, § 35, CEDH 2002‑IX et Perry, précité, §§ 39-43). Quant aux quatrième et cinquième requérantes, les caméras les avaient captées lors de leurs passages en caisse.

125. En même temps, il faut souligner que les fonctions des requérantes étaient accomplies dans un lieu ouvert au public et impliquaient un contact permanent avec des clients. La Cour estime à cet égard qu’il est nécessaire de distinguer, dans l’analyse de la proportionnalité d’une mesure de vidéosurveillance, les différents lieux dans lesquels celle-ci est réalisée à l’aune de l’attente en matière de protection de la vie privée que le salarié peut raisonnablement avoir. Cette attente est très importante dans les endroits relevant de l’intimité, tels que des toilettes ou des vestiaires, où se justifie une protection accrue, voire une interdiction de procéder à une vidéosurveillance (voir, en ce sens, les instruments internationaux pertinents cités aux paragraphes 61 et 65 ci-dessus). Elle demeure forte dans les espaces de travail fermés, tels que les bureaux. Elle est manifestement réduite dans les endroits visibles ou accessibles aux collègues ou, comme en l’espèce, à un large public.

126. En ce qui concerne l’ampleur de la mesure dans le temps, la Cour relève que si, comme l’avancent les requérantes, l’employeur n’avait pas au préalable fixé la durée de la vidéosurveillance, dans les faits celle-ci a duré dix jours et a cessé dès que les employés responsables ont été identifiés. La durée de la surveillance n’apparaît dès lors pas en soi excessive (comparer avec la décision Köpke précitée, dans laquelle une durée de quatorze jours n’avait pas été jugée disproportionnée). Enfin, seuls le responsable du magasin, la représentante légale de l’entreprise et la déléguée syndicale ont visionné les enregistrements obtenus au moyen de la vidéosurveillance litigieuse avant que les requérantes n’en soient informées. Compte tenu de ces éléments, la Cour considère que l’intrusion dans la vie privée des requérantes ne revêtait pas un degré de gravité élevé.

127. Pour ce qui est des conséquences de la surveillance litigieuse pour les requérantes, la Cour constate que celles-ci ont été importantes puisque les intéressées ont été licenciées sur la base des enregistrements obtenus par ce moyen. Elle observe néanmoins, comme l’ont également relevé les juridictions internes, que la vidéosurveillance et les enregistrements n’ont pas été utilisés par l’employeur à d’autres fins que celle de trouver les responsables des pertes de produits constatées et de les sanctionner (comparer avec Peck, précité, §§ 62-63, où les images captées par un dispositif de vidéosurveillance des lieux publics montrant la tentative de suicide du requérant avaient été diffusées aux médias).

128. Les juridictions internes ont par ailleurs considéré que, dans les circonstances de l’espèce, il n’existait pas d’autre moyen permettant d’atteindre le but légitime poursuivi et que la mesure devait dès lors être jugée « nécessaire », au sens de la jurisprudence du Tribunal constitutionnel (paragraphe 33 ci-dessus). Même s’il aurait été souhaitable que les juridictions internes examinent de manière plus approfondie la possibilité pour l’employeur de recourir à d’autres mesures, moins intrusives pour la vie privée des salariés, la Cour ne peut que relever que l’ampleur des pertes constatées par l’employeur pouvaient donner à penser que des vols avaient été commis par plusieurs personnes et qu’informer l’un quelconque des membres du personnel risquait effectivement de compromettre le but de la vidéosurveillance qui était, comme l’ont relevé ces juridictions, de découvrir d’éventuels responsables de vols mais aussi de s’assurer des preuves permettant de prendre des mesures disciplinaire à leur égard.

129. La Cour relève ensuite que le droit interne prévoyait un certain nombre de garanties visant à prévenir les ingérences abusives dans les droits des personnes dont les données personnelles faisaient l’objet d’une collecte ou d’un traitement. La loi sur la protection des données donnaient notamment à ces personnes le droit d’en être informées de manière préalable selon les modalités fixées à l’article 5 de la loi, ainsi qu’un droit d’accès, de rectification et de suppression des données récoltées. Une exigence de proportionnalité dans la collecte et l’utilisation des images obtenues au moyen de la vidéosurveillance était expressément posée par l’instruction no 1/2006 et, selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, les juridictions internes devaient contrôler le caractère adéquat, nécessaire et proportionné de telles mesures au regard des droits fondamentaux garantis par la Constitution (paragraphes 47, 50 et 54 ci-dessus).

130. S’agissant enfin de savoir si les requérantes avaient été informées de la mise en place de la vidéosurveillance, la Cour note qu’il n’est pas contesté que deux types de caméras avaient été installées dans le supermarché où travaillaient les intéressées : d’une part, des caméras visibles dirigées vers les entrées et sorties du magasin, dont l’employeur avait informé le personnel et, d’autre part, des caméras cachées orientées vers les caisses, dont ni les requérantes ni les autres membres du personnel n’avaient été informés. Il ressort par ailleurs des observations des parties qu’un ou plusieurs panneaux d’information avaient été placés dans le supermarché pour signaler la présence de caméras de surveillance au public mais la teneur exacte des informations indiquées sur ces panneaux n’est pas connue.

131. La Cour observe que si tant la loi espagnole que les normes internationales et européennes pertinentes semblent ne pas exiger le consentement préalable des personnes qui font l’objet d’une vidéosurveillance ou, plus généralement, dont les données personnelles sont collectées, ces normes établissent qu’il est, en principe, nécessaire d’informer ces personnes de façon claire et préalable de l’existence et des modalités d’une telle collecte, ne serait-ce que de manière générale (paragraphes 47, 60 et 63 ci-dessus). Elle considère que l’exigence de transparence et le droit à l’information qui en découle revêtent un caractère fondamental, en particulier dans le contexte des relations de travail, où l’employeur dispose à l’égard des salariés de pouvoirs importants dont il convient d’éviter tout abus (paragraphes 61-62 et 64-65 ci-dessus). Elle rappelle cependant que l’information donnée à la personne faisant l’objet d’une surveillance et son ampleur ne sont que l’un des critères à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité d’une telle mesure dans un cas donné. Toutefois, si une telle information fait défaut, les garanties découlant des autres critères revêtiront d’autant plus d’importance.

132. En l’espèce, la Cour constate que les juridictions du travail saisies par les requérantes ont procédé à une mise en balance circonstanciée entre, d’une part, le droit des intéressées au respect de leur vie privée et, d’autre part, l’intérêt pour l’employeur d’assurer la protection de ses biens et le bon fonctionnement de l’entreprise. Elle relève que les critères de proportionnalité établis par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel et suivis en l’espèce sont proches de ceux qu’elle a dégagés dans sa propre jurisprudence. Les juridictions internes ont ainsi vérifié si un motif légitime justifiait la mesure de vidéosurveillance et si les mesures adoptées à cette fin étaient adéquates et proportionnées, ayant notamment constaté que le but légitime poursuivi par l’employeur ne pouvait être atteint par des mesures moins intrusives pour les droits des requérantes.

133. Certes, les juridictions du travail n’ont pas tenu compte du manquement de l’employeur, allégué par les requérantes, à leur fournir les informations préalables visées à l’article 5 de la loi sur la protection des données, ayant jugé la question sans pertinence et non susceptible de remettre en cause la proportionnalité, au sens constitutionnel, de la mesure, dès lors que les autres critères établis par le Tribunal constitutionnel étaient satisfaits. Compte tenu de l’importance que revêt le droit à l’information dans pareil cas, la Cour estime que seul un impératif prépondérant relatif à la protection d’intérêts publics ou privés importants pourrait justifier l’absence d’information préalable.

134. Toutefois, dans les circonstances particulières de l’espèce, eu égard notamment au degré d’intrusion dans la vie privée des requérantes (paragraphes 125-126 ci-dessus) et aux raisons légitimes ayant motivé la mise en place de la vidéosurveillance, la Cour estime que les juridictions du travail ont pu, sans dépasser la marge d’appréciation dont disposent les autorités nationales, considérer que l’atteinte à la vie privée des requérantes était proportionnée (voir, pour une situation similaire, Köpke, décision précitée). En effet, si elle ne saurait accepter que, de manière générale, le moindre soupçon que des détournements ou d’autres irrégularités aient été commis par des employés puisse justifier la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’employeur, l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises et l’ampleur des manques constatés en l’espèce peuvent apparaître comme des justifications sérieuses. Cela est d’autant plus vrai dans une situation où le bon fonctionnement d’une entreprise est mis à mal par des soupçons d’irrégularités commises non par un seul employé mais par l’action concertée de plusieurs employés, dans la mesure où cette situation a pu créer un climat général de méfiance dans l’entreprise.

135. Par ailleurs, comme le fait valoir le Gouvernement, les requérantes disposaient d’autres voies de recours, prévues par la loi sur la protection des données, spécifiquement destinées à sanctionner le non-respect de cette loi. Les requérantes pouvaient ainsi saisir l’Agence de protection des données d’un manquement par l’employeur à l’obligation d’information préalable prévue à l’article 5 de la loi, cette agence ayant compétence pour enquêter sur la violation alléguée de la loi et en sanctionner pécuniairement le responsable. Elles pouvaient également saisir les juridictions ordinaires pour obtenir réparation de la violation alléguée de leurs droits au titre de la loi sur la protection des données. La Cour relève à cet égard que si la jurisprudence citée par le Gouvernement (paragraphe 49 ci-dessus) concerne effectivement une situation qui n’est pas identique à celle de l’espèce, le droit d’obtenir réparation du préjudice causé par une violation de la loi sur la protection des données était expressément prévu en son article 19 et rien ne permet en l’occurrence de douter de l’efficacité de cette voie de droit.

136. Le droit interne avait ainsi ouvert aux requérantes d’autres voies de recours qui visaient à garantir la mise en œuvre de la protection spécifique des données personnelles, que les intéressées ont choisi de ne pas emprunter. La Cour rappelle à cet égard que la protection effective du droit au respect à la vie privée dans le cadre de la vidéosurveillance sur le lieu de travail peut être assurée par différents moyens qui peuvent relever du droit du travail mais aussi du droit civil, administratif ou pénal (voir, mutatis mutandis, Bărbulescu, précité, § 116).

137. Dans ces conditions, eu égard aux garanties importantes offertes par le cadre normatif espagnol, y compris les voies de recours que les requérantes n’ont pas empruntées, ainsi qu’au poids des considérations, prises en compte par les juridictions internes, ayant justifié la vidéosurveillance, la Cour conclut que les autorités nationales n’ont pas manqué à leurs obligations positives au titre de l’article 8 de la Convention de manière à outrepasser leur marge d’appréciation. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

3. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

138. Sur le terrain de l’article 6 de la Convention, les requérantes se plaignent de l’admission et de l’utilisation comme preuves par les juridictions du travail d’enregistrements obtenus en violation de leur droit au respect de leur vie privée.

139. Les troisième, quatrième et cinquième requérantes soutiennent en outre que la reconnaissance de la validité des accords transactionnels qu’elles disent avoir signés à la suite de manœuvres dolosives de l’employeur a également méconnu leur droit à un procès équitable.

140. L’article 6 est ainsi libellé en ses parties pertinentes :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

1. L’arrêt de la chambre

141. Dans son arrêt du 9 janvier 2018, la chambre a rappelé que pour s’assurer du respect de l’article 6 de la Convention, elle devait vérifier si la procédure dans son ensemble, y compris le mode d’administration des preuves, avait revêtu un caractère équitable. Ayant constaté que les requérantes avaient eu la possibilité de contester aussi bien l’authenticité que l’admission comme preuves des images recueillies au moyen de la vidéosurveillance et que celles-ci n’étaient pas les seuls éléments de preuve sur lesquels les tribunaux avaient fondé leur décisions, elle a conclu à l’absence de violation de l’article 6 sur ce point.

142. En ce qui concerne les accords transactionnels, la chambre a constaté que les trois requérantes en cause avaient amplement eu l’occasion d’en contester la validité devant les tribunaux internes et que ceux-ci avaient considéré, sans aucune apparence d’arbitraire, qu’aucune contrainte de la part de l’employeur n’avait vicié le consentement des intéressées. Elle a en conséquence conclu à la non-violation de l’article 6 sous ce volet également.

2. Thèses des parties
1. Les requérantes

143. Les requérantes soutiennent que les tribunaux internes ont principalement fondé leurs décisions sur des enregistrements obtenus par l’employeur de manière illégale et contraire à leur droit au respect de leur vie privée. Dès lors, selon elles, la simple admission à titre de preuve de ces enregistrements emporte violation de l’article 6 de la Convention. Les requérantes estiment en outre que tant l’obtention de ces preuves que leur utilisation dans la procédure constituent un abus par l’employeur de sa position dominante et une rupture de l’égalité des armes. Elles font remarquer à cet égard qu’elles n’avaient pas eu connaissance de l’existence de la vidéosurveillance ni accès aux enregistrements avant que ceux-ci n’eussent été produits comme preuves dans le cadre des procédures judiciaires auxquelles elles étaient parties. Quant aux autres éléments de preuve, en particulier les témoignages, sur lesquels se sont appuyées les juridictions internes, elles considèrent qu’ils ont été « viciés » par le visionnage préalable des images par les personnes concernées.

144. Les troisième, quatrième et cinquième requérantes soutiennent en outre que, lors de la signature des accords transactionnels, elles ont été induites en erreur sur la portée de la concession faite par leur employeur. Elles indiquent que la loi oblige tout individu à dénoncer la commission d’une infraction pénale lorsqu’il en a connaissance et que l’employeur ne pouvait dès lors valablement renoncer à porter plainte. Elles estiment que, dans ces circonstances, les juridictions auraient dû prononcer la nullité des accords transactionnels et les exclurent du dossier. Elles produisent à l’appui de leur thèse un arrêt rendu par le Tribunal supérieur de Catalogne le 19 octobre 2010 dans l’affaire d’une de leurs collègues, Mme D.

2. Le Gouvernement

145. Le Gouvernement partage les conclusions de l’arrêt de chambre, qu’il invite la Grande Chambre à confirmer. En ce qui concerne l’utilisation des images captées au moyen de la vidéosurveillance, il fait valoir que celles-ci n’ont été utilisées que pour compléter d’autres preuves versées au dossier et que les requérantes ont eu l’occasion d’en contester l’utilisation et l’authenticité devant les juridictions internes.

146. Pour ce qui est des accords transactionnels, le Gouvernement soutient que, comme l’ont constaté les juridictions internes, ceux-ci ont été signés en l’absence de toute pression de la part de l’employeur. Il expose que ce sont les requérantes qui ont rompu ces accords en saisissant le juge du travail en dépit de l’engagement pris et que, malgré cela, leurs recours ont été dûment examinés par lesdites juridictions. Il fait valoir que si ces dernières ont effectivement tenu compte de la reconnaissance des faits consignés dans les accords, elles disposaient également d’autres preuves. Il précise enfin, en ce qui concerne le cas de Mme D., évoqué par les requérantes, que si le Tribunal supérieur avait effectivement annulé un premier jugement au motif que, selon ce dernier, l’accord transactionnel signé avait privé la salariée de son droit d’agir en justice, les juridictions saisies à la suite du renvoi de l’affaire ont finalement considéré que l’accord transactionnel était néanmoins valide et pouvait servir à établir la reconnaissance des faits par l’intéressée.

3. Observations du tiers intervenant

147. La Confédération européenne des syndicats estime qu’un jugement reposant principalement sur des enregistrements recueillis au moyen d’une vidéosurveillance secrète est contraire à l’article 6 de la Convention.

148. Pour ce qui est des accords transactionnels signés par les troisième, quatrième et cinquième requérantes, le tiers intervenant fait observer que de tels accords sont souvent utilisés lorsque des employés sont confrontés aux irrégularités dont ils sont accusés, ce qui fait naître une situation où ces derniers se sentent soumis à une pression particulière, sans avoir reçu de conseils adéquats et sans être en position d’exiger la reconnaissance de leurs droits procéduraux et matériels. Elle en conclut que, en raison de la particularité des relations de travail, il ne faut valider de tels accords qu’avec prudence.

4. Appréciation de la Cour
1. Principes généraux

149. La Cour rappelle qu’elle a pour seule tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention. Il ne lui appartient pas, en particulier, de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention. Si l’article 6 garantit le droit à un procès équitable, il ne réglemente pas pour autant l’admissibilité des preuves en tant que telles, matière qui relève au premier chef du droit interne (Schenk c. Suisse, 12 juillet 1988, § 45, série A no 140, et García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). En principe, des questions telles que le poids attaché par les tribunaux nationaux à tel ou tel élément de preuve ou à telle ou telle conclusion ou appréciation dont ils ont eu à connaître échappent au contrôle de la Cour. Celle-ci n’a pas à tenir lieu de juge de quatrième instance et ne remet pas en cause, sous l’angle de l’article 6 § 1, l’appréciation des tribunaux nationaux, sauf si leurs conclusions peuvent passer pour arbitraires ou manifestement déraisonnables (Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 61, CEDH 2015).

150. La Cour n’a donc pas à se prononcer, par principe, sur l’admissibilité de certaines sortes d’éléments de preuve, par exemple des éléments obtenus de manière illégale au regard du droit interne. Elle doit examiner si la procédure, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, a été équitable dans son ensemble, ce qui implique l’examen de l’illégalité en question et, dans le cas où se trouve en cause la violation d’un autre droit protégé par la Convention, de la nature de cette violation (P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, § 76, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 163, CEDH 2010).

151. Pour ce qui est de la nature de l’illégalité ou de la violation de la Convention constatée, si l’utilisation d’éléments de preuve obtenus au moyen d’une mesure jugée contraire à l’article 3 suscite toujours de graves doutes quant à l’équité de la procédure (Gäfgen, précité, § 165), pour déterminer si l’utilisation comme preuves d’informations obtenues au mépris de l’article 8 ou en violation du droit interne a privé le procès du caractère équitable voulu par l’article 6, il faut prendre en compte toutes les circonstances de la cause et se demander en particulier si les droits de la défense ont été respectés et quelles sont la qualité et l’importance des éléments en question. Il convient de rechercher en particulier si le requérant s’est vu offrir la possibilité de remettre en question l’authenticité de l’élément de preuve et de s’opposer à son utilisation. Il faut prendre également en compte la qualité de l’élément de preuve, y compris le point de savoir si les circonstances dans lesquelles il a été recueilli font douter de sa fiabilité ou de son exactitude (Schenk, précité, §§ 46-48, P.G. et J.H. c. Royaume-Uni, précité, §§ 77-79, et Gäfgen, précité, § 164). Si un problème d’équité ne se pose pas nécessairement lorsque la preuve obtenue n’est pas corroborée par d’autres éléments, il faut noter que lorsqu’elle est très solide et ne prête à aucun doute, le besoin d’autres éléments à l’appui devient moindre (Gäfgen, loc. cit.).

152. La Cour note que les principes exposés ci-dessus concernant l’admissibilité des preuves ont été élaborés dans un contexte pénal, même si elle a déjà eu l’occasion d’en faire application dans une affaire concernant l’équité d’une procédure civile (Vukota-Bojić, précité, §§ 92-100). Elle observe que, si les garanties du « procès équitable » ne sont pas nécessairement les mêmes dans les domaines pénal et civil, les États disposant d’une marge d’appréciation plus ample dans le deuxième cas, elle peut néanmoins s’inspirer, pour l’examen de l’équité d’une procédure civile, des principes développés sous l’angle du volet pénal de l’article 6 (Carmel Saliba c. Malte, no 24221/13, § 67, 29 novembre 2016). En l’occurrence, elle considère que les principes en question sont applicables pour l’examen du caractère équitable de la procédure civile en cause.

2. Application en l’espèce

153. La Cour examinera le grief de violation de l’article 6 tiré par les cinq requérantes de l’admission comme preuves des enregistrements recueillis au moyen de la vidéosurveillance, puis le grief de violation de cette disposition tiré par les troisième, quatrième et cinquième requérantes de la validation des accords transactionnels signés par elles.

a) Sur la prise en compte des images de vidéosurveillance comme éléments de preuve

154. La Cour rappelle qu’elle n’a pas constaté de violation de l’article 8 de la Convention à raison de la vidéosurveillance dont les requérantes avaient fait l’objet (paragraphe 137 ci-dessus). Elle relève cependant que les intéressées soutiennent que la vidéosurveillance avait été mise en place en méconnaissance de l’obligation d’information prévue par le droit interne et que les juridictions du travail ne se sont pas penchées sur cette question, l’ayant jugée sans pertinence (paragraphe 34 ci-dessus). La Cour examinera donc si l’utilisation comme preuve des images obtenues au moyen de la vidéosurveillance en cause a méconnu l’équité de la procédure dans son ensemble.

155. La Cour relève d’emblée que, dans le cadre de la procédure devant les juridictions du travail, les requérantes ont eu accès aux enregistrements recueillis au moyen de la vidéosurveillance litigieuse et ont eu la possibilité d’en contester l’authenticité et de s’opposer à leur utilisation en tant que preuves. Les juridictions internes ont examiné la thèse des requérantes selon laquelle les enregistrements devaient être écartés du dossier parce qu’ils avaient été obtenus en violation d’un droit fondamental et elles ont amplement motivé leurs décisions sur ce point. Elles ont ainsi jugé que, selon la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, la vidéosurveillance n’avait pas été réalisée en violation du droit des requérantes au respect de leur vie privée. Elles ont par ailleurs constaté que les images tirées de la vidéosurveillance n’étaient pas les seuls éléments du dossier.

156. En ce qui concerne la qualité de la preuve, la Cour note que les requérantes n’ont à aucun moment contesté l’authenticité ou l’exactitude des images enregistrées au moyen de la vidéosurveillance, leur principal grief étant tiré du défaut d’information préalable sur la mise en place de la surveillance. Les juridictions internes ont quant à elles jugé que les enregistrements présentaient des garanties suffisantes d’authenticité. Compte tenu des circonstances dans lesquelles ces enregistrements ont été obtenus, la Cour ne voit aucun élément permettant de douter de leur authenticité ou de leur fiabilité. Elle considère dès lors qu’il s’agissait de preuves solides qui n’avaient pas nécessairement besoin d’être corroborées par d’autres éléments.

157. La Cour relève néanmoins que les enregistrements en cause n’étaient pas les seuls éléments sur lesquels les juridictions internes se sont appuyées. Il ressort en effet de leurs décisions qu’elles ont également pris en compte les dépositions des requérantes, les témoignages du directeur du magasin, de la représentante de l’entreprise et de la déléguée syndicale, devant lesquelles les intéressées avaient admis les faits, ainsi que le rapport d’expertise qui avait comparé les images captées par la vidéosurveillance et les tickets de caisse émis. La Cour observe que les tickets de caisse, qui constituent des éléments de preuve objectifs non susceptibles d’être « viciés » par la visualisation des enregistrements, faisaient ressortir un nombre important d’achats annulés et non réglés. En ce qui concerne les troisième, quatrième et cinquième requérantes, les juridictions se sont par ailleurs fondées sur la reconnaissance des faits qu’elles avaient faite dans les accords transactionnels signés. Ayant examiné ces éléments dans leur ensemble, elles ont estimé les faits amplement établis.

158. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’utilisation comme preuves des images obtenues par vidéosurveillance n’a pas porté atteinte au caractère équitable de la procédure en l’espèce.

b) Sur la prise en compte des accords transactionnels signés par les troisième, quatrième et cinquième requérantes

159. La Cour observe d’emblée que les juridictions internes ont validé les accords transactionnels signés par ces trois requérantes, ayant considéré que leur consentement n’avait pas été vicié. Cependant, contrairement au juge du travail qui avait estimé que, en signant ces accords, elles avaient renoncé à leur droit d’agir en justice, le Tribunal supérieur, statuant en appel, a jugé que ces accords ne valaient pas renonciation de la part des requérantes à leur droit d’accès à un tribunal et il a examiné l’affaire au fond. Sur le fond, il a considéré que les accords signés actaient l’acceptation non équivoque par les intéressées de la décision de l’employeur de mettre fin au contrat de travail pour les motifs exposés dans la lettre de licenciement. Dans ces circonstances, la Cour estime que le grief, tel que formulé par les requérantes, se rapporte à l’évaluation de la validité et à l’appréciation d’un élément de preuve par les juridictions internes.

160. Elle relève à cet égard que les trois requérantes ont eu la possibilité de contester la validité des accords transactionnels et de s’opposer à leur admission à titre de preuve. Les juridictions internes ont analysé tous les arguments avancés par les intéressées et ont considéré que les circonstances de l’espèce ne faisaient ressortir ni intimidation ni dol de la part de l’employeur. Elles ont examiné les circonstances dans lesquelles les accords avaient été signés et ont jugé que la présence de la déléguée syndicale au moment de la signature, la reconnaissance préalable des faits par les requérantes au cours d’une réunion avec la déléguée et le fait que d’autres salariées licenciées n’avaient pas signé l’accord proposé par l’employeur excluaient tout indice de contrainte. Leurs constats à cet égard n’apparaissent ni arbitraires ni manifestement déraisonnables. Enfin, comme il a été relevé ci-dessus, les juridictions internes ont fondé leurs décisions sur plusieurs éléments de preuve (paragraphe 157 ci-dessus).

161. À la lumière de ces observations, rien ne permet à la Cour de remettre en cause les conclusions des juridictions internes en ce qui concerne la validité et la portée des accords transactionnels signés par les troisième, quatrième et cinquième requérantes. Elle conclut dès lors à l’absence de violation de l’article 6 sur ce point également.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Dit, à l’unanimité, que l’héritier légal de la deuxième requérante a qualité pour poursuivre la présente procédure à sa place ;
2. Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire du Gouvernement ;
3. Dit, par quatorze voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention ;
4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention à raison de l’utilisation comme preuves des enregistrements obtenus au moyen de vidéosurveillance ;
5. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention à raison de la validation des accords transactionnels conclus par les troisième, quatrième et cinquième requérantes.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 17 octobre 2019.

Søren PrebensenLinos-Alexandre Sicilianos
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée des juges De Gaetano, Yudkivska et Grozev.

L.A.S.
S.C.P.

ANNEXE

Liste des requérantes

Requête no 1874/13

1. Isabel LÓPEZ RIBALDA née en 1963, résidant à Sant Celoni

Requête no 8567/13

2. María Ángeles GANCEDO GIMÉNEZ née en 1967, décédée en 2018
3. Maria Del Carmen RAMOS BUSQUETS née en 1969, résidant à Sant Celoni
4. Pilar SABORIDO APRESA née en 1974, résidant à Sant Celoni
5. Carmen Isabel POZO BARROSO née en 1974, résidant à Sant Pere de Vilamajor

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES
DE GAETANO, YUDKIVSKA ET GROZEV

(Traduction)

1. Avec tout le respect que nous devons à nos collègues, nous nous dissocions du constat de non-violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce. Nous partageons la position de nos collègues de la chambre qui avaient conclu que, au vu de la législation interne en vigueur, les tribunaux internes n’avaient pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée découlant de l’article 8 de la Convention et l’intérêt de leur employeur à la protection de son droit de propriété.

2. Cette affaire illustre l’influence et l’emprise grandissantes qu’exercent sur notre monde la technologie et plus particulièrement la collecte et l’utilisation de nos données personnelles dans nos activités de tous les jours. En tant qu’instrument vivant, la Convention – et par voie de conséquence la Cour – doit non seulement reconnaître l’influence des technologies modernes mais aussi développer des garanties juridiques plus adéquates afin d’assurer le respect de la vie privée de chacun.

3. Le recours massif aux données à caractère personnel dans le monde moderne est un domaine dans lequel, déjà huit ans auparavant, la Cour avait exprimé la nécessité d’une « vigilance accrue », dans l’affaire assez similaire Köpke c. Allemagne ((déc.), no 420/07, 5 octobre 2010). Depuis lors, les technologies de surveillance et les informations collectées par ces moyens ont connu un essor considérable. Ces nouvelles technologies permettent aux données conservées d’être vues par n’importe qui, à n’importe quel endroit, à n’importe quel moment, sous un contrôle minimal et en ne laissant guère de traces, ce qui remet en question la conclusion tirée par la majorité en l’espèce selon laquelle « seuls le responsable du magasin, la représentante légale de l’entreprise et la déléguée syndicale ont visionné les enregistrements obtenus au moyen de la vidéosurveillance litigieuse avant que les requérantes n’en soient informées » (paragraphe 126).

4. Autrement dit, les nouvelles technologies facilitent énormément non seulement la conduite de la vidéosurveillance mais aussi la diffusion des images ainsi recueillies, multipliant ainsi notablement le risque d’atteinte au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention. C’est précisément pour cette raison qu’il faut, au niveau national, que le régime juridique soit clair et prévisible dans les affaires de surveillance électronique. Cela devient crucial lorsque, comme en l’espèce, un employeur recourt à la vidéosurveillance cachée sur le lieu de travail. Dès lors, notre désaccord de principe avec la majorité tient à ce que celle-ci cautionne une réponse juridique à une question particulière qui n’est née qu’après les faits et en rapport avec une affaire particulière. Si une telle approche, qui laisse au juge interne une certaine latitude pour élaborer une réponse juridique à un conflit à l’origine d’un litige particulier portant sur des droits conventionnels en concurrence, peut se révéler appropriée dans certains cas, nous estimons qu’elle ne sied guère aux affaires de vidéosurveillance électronique, en raison précisément de la facilité avec laquelle la technologie permet de conduire une surveillance et d’en diffuser les images par des moyens électroniques et des conséquences négatives potentiellement étendues et importantes qui peuvent en résulter sur le droit de chacun au respect de la vie privée. Un régime juridique clair et prévisible, offrant des garanties appropriées et effectives, n’en devient que plus crucial. Dans le cas d’espèce, le régime juridique en vigueur ne prévoyait qu’une seule garantie spécifique, à savoir l’obligation d’avertir au préalable les employés de l’installation et de l’utilisation de la surveillance, et n’assortissait cette garantie d’aucune exception. Cet élément, à nos yeux, est déterminant aux fins d’une bonne analyse juridique et des conclusions à tirer en l’espèce.

5. De plus, le régime juridique revêt une importance particulière dans le contexte des relations de travail, où l’employeur a d’importants pouvoirs vis-à-vis des employés et où tout abus de ces pouvoirs est à exclure. Il est essentiel d’informer les intéressés de l’instauration de mesures de surveillance de manière à ce qu’ils puissent faire valoir la totalité des droits qui leur sont garantis, par exemple le droit à l’accès, à la rectification ou à la suppression des données personnelles collectées.

6. Le manquement par les juridictions nationales à ménager un juste équilibre entre les droits en concurrence des parties est d’autant plus apparent lorsque l’on analyse la législation interne. Dans son arrêt S. et Marper c. Royaume-Uni ([GC], nos 30562/04 et 30566/04, CEDH 2008), la Cour a conclu que « des règles claires et détaillées régissant la portée et l’application des mesures » étaient nécessaires afin de fournir des garanties suffisantes contre les risques d’abus et d’arbitraire. Dès lors, selon elle, « [l]a protection des données à caractère personnel joue un rôle fondamental pour l’exercice du droit au respect de la vie privée et familiale consacré par l’article 8 de la Convention ». Si la législation régissant les données à caractère personnel avait créé une norme sociale qui reconnaissait à chacun la possibilité de contrôler la diffusion de son image, ce droit n’a pas été accordé aux requérantes en l’espèce, ce qui contrevient directement au droit espagnol, en l’occurrence l’article 5 de la loi relative à la protection des données. Si le régime juridique en vigueur avait été appliqué, les personnes dont l’image allait être collectée et utilisée auraient dû en être averties au préalable. Malheureusement, tous les employés n’en ont pas eu la possibilité puisqu’ils n’avaient pas été prévenus au préalable de la vidéosurveillance cachée.

7. La majorité reconnaît que le droit espagnol prescrit qu’il est « nécessaire d’informer [les] personnes [intéressées] de façon claire et préalable de l’existence et des modalités d’une telle collecte, ne serait-ce que de manière générale », limitant ainsi l’atteinte à la vie privée et permettant aux employés de régler leur conduite. Cette exigence n’a manifestement pas été respectée en l’espèce. Or, elle dit ensuite qu’il s’agit de « l’un des critères à prendre en compte pour apprécier la proportionnalité d’une telle mesure dans un cas donné » (paragraphe 131). Certes, la structure claire que suit la Cour lorsqu’elle analyse toute ingérence (l’exigence de légalité précédant l’examen de la proportionnalité) ne s’applique pas en l’espèce car il s’agit non pas d’une ingérence mais d’obligations positives. Nous estimons néanmoins problématique que les juridictions internes n’aient pas recherché si les requérantes avaient été informées de la mise en place d’une vidéosurveillance cachée. Lorsqu’il a jugé de la proportionnalité de la mesure, le juge du travail ne s’est pas expressément penché sur l’argument tiré par les requérantes de ce qu’elles n’avaient pas été spécifiquement avisées de la surveillance et préalablement à l’instauration de celle-ci, comme l’exigeait le droit interne. Il s’est plutôt contenté de renvoyer à l’arrêt no 186/2000 du Tribunal constitutionnel, qui avait estimé que la question de l’information donnée par l’employeur aux employés et au comité du personnel était une question de légalité ordinaire sans pertinence sur le terrain du droit constitutionnel au respect de la vie privée. Dès lors, les juridictions internes n’ont pas appliqué le régime juridique qui garantissait la protection des données ni tenu compte de la situation des requérantes d’une manière détaillée et individualisée.

8. Nous estimons également insatisfaisante l’analyse des juridictions internes lorsqu’elles se sont penchées sur la nécessité de la vidéosurveillance secrète. Le juge a confirmé qu’il s’agissait d’une mesure nécessaire au but légitime poursuivi, à savoir découvrir qui était l’auteur des vols au supermarché. Or il n’a pas recherché si l’employeur aurait pu poursuivre le même but en recourant à une mesure moins restrictive. Cette lacune revêt une importance particulière à la lumière de la conclusion de la majorité selon laquelle la question de savoir s’il aurait été possible de « mettre en place un système de surveillance reposant sur des moyens et des mesures moins intrusifs » est un élément important à examiner de manière à s’assurer de la proportionnalité de mesures de vidéosurveillance secrète sur le lieu de travail (paragraphe 116).

9. Les juridictions internes auraient dû songer aux mesures alternatives que l’employeur aurait pu prendre dans la poursuite de son but légitime – des mesures qui dans le même temps auraient porté une atteinte moins grave au droit des employés au respect de leur vie privée. L’employeur poursuivait deux buts légitimes. Premièrement, il voulait faire cesser les vols, de sorte qu’un avertissement sur le système de vidéosurveillance installé aurait suffi. Deuxièmement, il voulait savoir qui était responsable des pertes qu’il avait subies les mois derniers ; là, la signalisation préalable de la vidéosurveillance visible et cachée ne se serait pas révélée utile. Néanmoins, les vols commis étant des infractions pénales, l’employeur aurait pu, et aurait dû, les signaler à la police avant de prendre de telles mesures de sa propre initiative. La nécessité de faire la lumière sur une infraction ne justifie pas une enquête privée, menée par exemple à l’aide d’une vidéosurveillance cachée, laquelle constitue une mesure excessivement intrusive et un abus de pouvoir. En se gardant de condamner un tel comportement adopté par de simple particulier, la Cour encourage chacun à se faire justice soi-même. Or, c’est aux autorités compétentes de prendre des mesures appropriées car elles sont mieux équipées, du point de vue aussi bien de leurs pouvoirs leur permettant de mettre en œuvre certaines mesures que de leurs responsabilités et obligations, pour suivre les recommandations sur ce qui est nécessaire dans un cas comme celui-ci.

10. La majorité souligne qu’elle « ne saurait accepter que (...) le moindre soupçon que des détournements ou d’autres irrégularités aient été commis par des employés puisse justifier la mise en place d’une vidéosurveillance secrète par l’employeur », mais elle conclut néanmoins que « l’existence de soupçons raisonnables que des irrégularités graves avaient été commises [peut] apparaître comme des justifications sérieuses » d’une telle mesure (paragraphe 134). À nos yeux, en l’absence d’obligation d’offrir des garanties procédurales claires, l’existence d’un « soupçon raisonnable de grave irrégularité » ne suffit pas car il peut donner lieu à une enquête privée et servir de justification dans un nombre de cas excessivement large. Si, en principe, l’exigence d’un « soupçon raisonnable » est une garantie importante, elle ne suffit pas à protéger le droit à la vie privée face à une surveillance électronique cachée. Dans des circonstances comme celles de la présente espèce, lorsqu’un employeur fait usage vidéosurveillance caché sans en avertir au préalable ses employés, il y a un besoin de garanties procédurales supplémentaires, similaires à celles imposées par la Convention s’agissant de l’usage d’une surveillance secrète en matière pénale. Les exigences procédurales permettant une vérification fiable, par un tiers, de l’existence d’un « soupçon raisonnable de grave irrégularité » et de garanties contre la justification d’une surveillance « après les faits » devraient découler de l’article 8 de la Convention. C’est seulement si de telles garanties procédurales avaient été mises en œuvre que nous aurions pu volontiers accepter l’arrêt de la majorité.

11. Par ailleurs, contrairement à la chambre, la Grande Chambre n’a pas distingué la présente affaire de l’affaire précitée Köpke. Dans cette dernière affaire, seules deux employées avaient été soupçonnées de vol au sein de la société, tandis qu’en l’espèce, tous les employés étaient visés par la vidéosurveillance secrète installée derrière les caisses du supermarché. Cette surveillance illimitée est bien plus lourde et les juridictions nationales, ainsi que la Cour, auraient dû lui accorder davantage de poids, d’autant plus que cette surveillance avait duré pendant toute la journée de travail et que les caméras avaient été installées de manière à ce que les requérantes, qui travaillaient comme caissières, ne pouvaient pas éviter d’être filmées. Il aurait fallu statuer sur la proportionnalité de la mesure adoptée par l’employeur en tenant adéquatement compte de l’ampleur pour toutes les requérantes de la collecte de données à caractère personnel.

12. La présente affaire concernant des employeurs privés, la Cour aurait dû selon nous confirmer, étoffer et transposer les principes tirés de l’arrêt Bărbulescu, tels qu’exposés au paragraphe 121, dans les affaires de vidéosurveillance cachée telle que la présente. Même si cette affaire ne portait pas spécifiquement sur la vidéosurveillance secrète, elle a établi un important principe sur l’étendue du contrôle qu’un employeur peut exercer sur ses employés, ainsi qu’une multitude de facteurs que les tribunaux nationaux doivent prendre en considération pour ménager un juste équilibre entre les intérêts en concurrence des parties.

13. La majorité méconnaît un autre facteur dans son analyse : « les conséquences de la surveillance pour l’employé qui en a fait l’objet ». Dans son arrêt Vukota-Bojić c. Suisse (no 61838/10, 18 octobre 2016), où la Cour a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention, la requérante avait été identifiée au moyen d’une vidéosurveillance secrète, ce qui avait conduit au bout du compte à une réévaluation de ses primes d’assurance. En l’espèce, la majorité conclut que, bien que les requérantes eussent été licenciées à la suite d’un recours à la vidéosurveillance secrète, « la vidéosurveillance et les enregistrements n’ont pas été utilisés par l’employeur à d’autres fins que celle de trouver les responsables des pertes de produits constatées et de les sanctionner » (paragraphe 127). À nos yeux, si cette mesure n’a pas été utilisée dans un autre but, la conséquence de la collecte et de l’utilisation de ces données à caractère personnel ne doit pas être sous-estimée, surtout compte tenu du vaste éventail des possibilités qu’offrent les technologies modernes.

14. Des critères similaires, qui ont une importance dans l’analyse de proportionnalité en matière de vidéosurveillance secrète, ont été dégagés devant d’autres juridictions. Ainsi, dans l’affaire R v. Oakes ([1986] 1 S.C.R. 103), la Cour suprême canadienne a tenu compte des facteurs suivants: la nécessité de la mesure pour satisfaire un besoin spécifique ; l’effectivité de la mesure à cette fin ; la proportionnalité de l’atteinte par rapport au bénéfice qui en est tiré. Il s’agit d’une bonne approche à suivre pour déterminer si un juste équilibre a été ménagé entre des droits conventionnels en concurrence. En outre, dans l’arrêt Ross v. Rosedale Transport Ltd ([2003] C.L.A.D. no 237), cette même juridiction a dit: « la surveillance est une mesure extraordinaire qui ne peut être utilisée que si elle se justifie, au préalable, par un motif raisonnable et valable » [traduction du greffe].

15. En somme, nous estimons que les juridictions internes comme la Cour n’ont pas ménagé un juste équilibre entre les droits de l’employeur et les droits des employées. En ne constatant aucune violation de l’article 8 de la Convention, la Cour a décidé de permettre le recours illimité à la vidéosurveillance secrète sur le lieu de travail sans offrir de garanties juridiques suffisantes aux individus dont les données à caractère personnel seront collectées et utilisées à des fins qui leur seront inconnues. L’influence de la technologie étant grandissante dans notre société, nous ne pouvons permettre aux individus de se faire justice eux-mêmes et de laisser sans protection suffisante face à ces nouveaux défis le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention.


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