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10/10/2019 | CEDH | N°001-196948

CEDH | CEDH, AFFAIRE LACOMBE c. FRANCE, 2019, 001-196948


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LACOMBE c. FRANCE

(Requête no 23941/14)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2019

DÉFINITIF

10/01/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Lacombe c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Síofra O

’Leary,
Mārtiņš Mits,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 se...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE LACOMBE c. FRANCE

(Requête no 23941/14)

ARRÊT

STRASBOURG

10 octobre 2019

DÉFINITIF

10/01/2020

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Lacombe c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 septembre 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23941/14) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Jean‑Philippe Lacombe (« le requérant »), a saisi la Cour le 24 mars 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me J. de Salve De Bruneton, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M.F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue une violation de l’article 8 de la Convention, soutenant en particulier que les juridictions internes, en ordonnant le retour de son fils auprès de sa mère aux États-Unis en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international de l’enfant, n’auraient pas examiné sérieusement ses allégations de « risque grave pour l’enfant ».

4. Le 4 mai 2016, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1968 et réside à Nice.

6. Le 24 avril 1998, le requérant se maria au Mexique avec D., ressortissante mexicaine. De cette union, est issu un enfant, J.-P., né le 12 mars 1999 au Mexique.

7. Le 9 février 2004, D. emmena son fils aux États-Unis sans prévenir le requérant. Elle y resta deux mois. Elle fut interpellée à l’aéroport, à son retour au Mexique, le 25 avril 2004, pour enlèvement d’enfant. Les suites de cette interpellation sont inconnues de la Cour.

8. Le 19 juin 2004, le requérant fut victime d’une tentative de meurtre.

9. Le 14 décembre 2004, le divorce du requérant et de D. prononcé au Mexique. L’autorité parentale fut attribuée conjointement aux deux parents, la garde et la surveillance de l’enfant étant confiées au requérant pendant toute sa scolarité de l’école maternelle à l’école primaire, la mère se voyant, quant à elle, attribuer un droit de visite pendant les vacances scolaires. Le juge mexicain interdit en outre aux ex-époux de sortir l’enfant du territoire sans l’accord écrit de l’autre parent devant notaire.

10. Quelques mois plus tard, D. saisit les juridictions mexicaines en se plaignant de ce que le requérant ne respectait pas les termes du jugement du 14 décembre 2004.

11. Par un jugement du 21 juin 2005, confirmé en appel le 2 juin 2006, le tribunal supérieur de la justice du district fédéral de Mexico transféra le droit de garde à D., tout en accordant au requérant un droit de visite équivalent à celui précédemment accordé à cette dernière. Par ailleurs, il maintint l’interdiction de sortie de l’enfant du territoire sans accord de l’autre parent.

12. Conformément à cette décision, D. remit l’enfant au requérant, le 27 juillet 2005, pour le mois d’août.

13. Le 3 août 2005, les autorités mexicaines émirent un mandat d’arrêt à l’encontre de D. et de son frère pour leur participation à la tentative de meurtre sur la personne du requérant. Le frère de D. fut arrêté, mais cette dernière parvint à échapper aux forces de l’ordre (voir paragraphe 20 ci‑dessous en ce qui concerne la suite de l’instruction contre D. et son frère).

A. La première procédure d’enlèvement international d’enfant

14. Au courant du mois d’août 2005, le requérant quitta le Mexique pour la France avec son fils.

15. D. engagea alors deux procédures en parallèle : l’une devant les juridictions mexicaines et l’autre sur le plan international, sur le fondement de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants (ci-après « la Convention de La Haye »).

16. Le 18 janvier 2006, le juge aux affaires familiales du district fédéral de Mexico ordonna l’arrestation du requérant et la remise de l’enfant à sa mère. Le requérant affirme que ce jugement fut par la suite suspendu, provisoirement dans un premier temps, puis définitivement le 15 mars 2006 au regard du mandat d’arrêt émis à l’encontre de son ex-épouse.

17. Par un jugement du 2 juin 2006, les juridictions mexicaines confirmèrent l’attribution de la garde de l’enfant à sa mère.

18. À la suite de la saisine par D. de l’autorité centrale mexicaine en vue d’obtenir le retour de l’enfant au Mexique, en application de la Convention de la Haye, le procureur de la République du tribunal de grande instance (« TGI ») de Marseille assigna le requérant devant ce tribunal afin de voir ordonner le retour immédiat de l’enfant.

19. Par un jugement du 19 octobre 2006, le TGI de Marseille considéra le déplacement de l’enfant vers la France et son non-retour au Mexique illicites, au sens de l’article 3 de la Convention de La Haye, puisqu’effectués sans l’accord écrit de la mère devant notaire. Estimant cependant que le retour de l’enfant dans son pays d’origine le placerait dans une position intolérable eu égard à la situation de ses parents dans le cadre de la procédure pénale pour tentative de meurtre diligentée contre D., il fit application de l’article 13 b) de cette Convention et rejeta la demande du procureur de la République.

20. D. interjeta appel de ce jugement. Durant la procédure, les parties parvinrent à un accord, le requérant s’engageant à ramener l’enfant au Mexique au plus tard le 31 janvier 2007.

21. Par un arrêt du 22 janvier 2007, la cour d’appel d’Aix-en-Provence constata cet accord, ainsi que le fait que, d’une part, l’instruction menée au Mexique contre le frère de D. s’était terminée, à une date inconnue, par un non-lieu pour manque de preuve et que, d’autre part, le mandat d’arrêt contre D. avait été levé.

22. Le requérant respecta son accord en retournant au Mexique avec son fils et en acceptant d’en confier à nouveau la garde à son ex-femme.

23. Le 20 avril 2007, le juge aux affaires familiales du district fédéral de Mexico déchut le requérant de l’autorité parentale à l’égard de son fils en raison du risque de départ à l’étranger de ce dernier en sa compagnie. Selon le requérant, cette décision aurait été suspendue provisoirement le 18 mai 2007, puis définitivement le 4 juillet 2007. Lors de la seconde procédure d’enlèvement, tant le TGI de Marseille que la cour d’appel d’Aix-en-Provence se fondèrent sur la décision de déchéance, dont aucune pièce dans le dossier n’indique sa suspension provisoire ou définitive.

B. La procédure aux États-Unis

24. Le 17 octobre 2007, D. quitta le Mexique pour les États-Unis avec son enfant.

25. Le requérant dit avoir alors perdu toute trace de son fils pendant plus d’un an.

26. En février 2009, il parvint à le localiser au Texas (États-Unis).

27. Le 28 septembre 2009, un mandat d’arrêt fut émis par les autorités mexicaines contre D. pour enlèvement d’enfant.

28. Le requérant saisit les juridictions américaines aux fins d’obtenir le retour de l’enfant au Mexique. Il sollicita, à cette occasion, la garde de son fils dans l’attente de l’audience.

29. Le 15 octobre 2009, la District Court du comté de Bexar (Texas) a confié provisoirement l’enfant au père, tout en réservant la question de l’attribution de la garde de l’enfant à une audience ultérieure, à laquelle le requérant promit de comparaître en présence de son fils.

30. Peu de temps après avoir récupéré son enfant, le requérant l’emmena au Mexique et ne déféra pas à sa convocation devant le juge américain.

31. Le 5 novembre 2009, il obtint du juge mexicain la confirmation de son droit de garde, la délivrance des passeports français et mexicains de l’enfant, ainsi qu’une autorisation de quitter le pays avec lui pour la période du 5 novembre au 15 décembre 2009. Il partit pour la France avec son enfant, alors âgé de 10 ans.

32. Le 14 décembre 2009, les autorités américaines émirent un mandat d’arrêt contre le requérant pour enlèvement d’enfant.

C. La seconde procédure d’enlèvement international d’enfant

33. Le 28 octobre 2009, D. saisit l’autorité centrale des États-Unis d’une demande de remise de l’enfant en application de la Convention de la Haye.

34. Le 9 juin 2010, J.-P. fut entendu par la brigade des mineurs de Nice. Il expliqua être arrivé en France il y a six ou sept mois, qu’il habitait auparavant à San Antonio au Texas chez sa maman, que tout se passait bien, qu’il avait des copains, qu’il jouait au foot et qu’il était heureux de vivre là-bas. Il raconta comment son père et un policier l’avaient intercepté à la sortie du bus alors qu’il rentrait de l’école. Il précisa avoir pleuré parce qu’il voulait rester avec sa mère et avait dit des choses fausses sur son père (qu’il le frappait) pour pouvoir rester avec sa mère. Il déclara vouloir désormais rester avec son père, parce qu’il savait maintenant que sa mère avait fait des choses illégales en l’emmenant aux États-Unis et qu’il avait entendu son père dire qu’elle s’était enfuie. Il précisa qu’il n’avait jamais sa mère au téléphone. Il déclara qu’il aimait sa mère et qu’elle lui manquait « un tout petit peu ». Il précisa qu’il vivait désormais avec son père et sa belle-mère, que cela se passait bien à l’école, mais qu’il n’avait pas de bonnes notes compte tenu de ses difficultés pour se concentrer. Il regretta le manque de disponibilité de son père toujours au téléphone ou sur son ordinateur pour régler les procédures judiciaires concernant sa garde.

35. Sur cette base, le procureur de la République du TGI de Marseille assigna le requérant devant ce tribunal, le 8 juillet 2010, afin de voir ordonner le retour immédiat de l’enfant.

36. Par une ordonnance du 16 août 2010, les juridictions américaines accordèrent la garde de l’enfant à D.

37. Devant le TGI de Marseille, le requérant demanda le rejet de la demande de retour, au motif que la résidence américaine de l’enfant était illégale, qu’il avait récupéré son fils avec la protection des autorités américaines et avait obtenu l’autorisation de partir en France donnée par la justice mexicaine. À titre subsidiaire, le requérant se prévalut de l’article 13 b) de la Convention de La Haye et fit valoir que l’enfant était en danger avec sa mère et qu’il voulait rester avec son père.

38. Par un jugement du 27 août 2010, le TGI ordonna le retour de l’enfant auprès de sa mère aux États-Unis. Le tribunal rappela la première procédure identique d’enlèvement international (paragraphes 14-22 ci‑dessus) et l’arrêt du 22 janvier 2007 de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence constatant l’accord des parents et l’engagement du requérant à ramener l’enfant au Mexique auprès de sa mère. Selon le tribunal, cet arrêt démontrait « qu’en très peu de temps le Mexique n’était plus dangereux, ni pour le père ni pour l’enfant ». Après avoir relevé que le requérant n’avait pas respecté la décision du magistrat américain, pourtant saisi par lui, il indiqua que « les arguments évoqués par [le père] sur le danger encouru par l’enfant auprès de sa mère qu’il n’a pas revue depuis 10 mois sont sans fondement sérieux ». Le tribunal se fonda également sur les déclarations de l’enfant aux services de police selon lesquelles, notamment, son père lui parlait très négativement de sa mère et passait tout son temps au téléphone et sur l’ordinateur à la suite de la multiplication des instances judiciaires.

39. Le 30 août 2010, à Nice, le requérant remit l’enfant à D., le jugement du TGI étant exécutoire par provision.

40. Le 31 août 2010, il interjeta appel du jugement du TGI de Marseille du 27 août 2010. L’affaire fut débattue devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 6 octobre 2011. À titre principal il fit valoir que les dispositions de l’article 3 de la Convention de La Haye étaient inapplicables en l’espèce. Il expliqua que la résidence de l’enfant au Texas était frauduleuse dans la mesure où elle avait été fixée unilatéralement par la mère à la suite d’un enlèvement et que les autorités mexicaines avaient émis un mandat d’arrêt contre elle pour ces faits. Il contesta la compétence des juridictions américaines, et affirma que les juridictions mexicaines, seules compétentes, lui avaient attribué la garde de l’enfant. À titre subsidiaire, le requérant fit valoir que le maintien de J.-P. auprès de sa mère aurait le caractère de gravité prévu par l’article 13 b) de la Convention de La Haye. À ce titre, il soutint que l’enfant avait été enlevé par sa mère, que les dernières décisions mexicaines avaient suspendu les droits de cette dernière du fait de l’instance pénale en cours, et, enfin, que le maintien de l’enfant auprès de sa mère l’exposerait à un danger physique et psychique et le placerait dans une situation intolérable. Il invoqua l’intérêt supérieur de l’enfant et allégua également que le maintien de l’enfant auprès de D. aboutirait à une rupture totale et non préparée des liens père-fils, l’objectif de la mère étant de couper ces liens. À l’appui de ses dires, il produisit 79 pièces, parmi lesquelles un certificat rédigé à sa demande, le 16 juillet 2010, par un pédopsychiatre P.C. Cette attestation, s’appuyant sur des consultations régulières effectuées entre le 24 février et le 16 juillet 2010, précisait notamment ce qui suit :

« Après 5 mois de soins, je constate une reprise des intérêts scolaires avec des résultats objectivement satisfaisants, une meilleure insertion de l’enfant dans le groupe d’enfants de son âge dans lequel il se sent plus à l’aise. Il n’y a plus de trouble des interactions sociales et le cours de sa pensée apparaît fluide. Il se présente globalement comme un enfant serein et exempt de pathologie mentale. On peut considérer aujourd’hui, avec du recul, que les troubles de J.-P. étaient de nature dépressive et réactionnelle au stress subi lors des multiples séparations. Le père a eu raison de s’en inquiéter et une prise en charge familiale et psychothérapique individuelle, à l’exclusion de toute prescription de psychotrope, a permis la consolidation de l’état psychique de l’enfant en lui proposant une expérience relationnelle personnalisée, stable et sécurisante, s’inscrivant dans la durée et soutenue par le père.

J.-P. demeure toutefois un enfant vulnérable et tout nouveau changement dans son cadre de vie est déconseillé car susceptible de précipiter une nouvelle décompensation dont on ne peut présager de la gravité et des conséquences sur son futur développement. »

41. Par un arrêt du 22 novembre 2011, la cour d’appel d’Aix-en-Provence confirma le jugement déféré en toutes ses dispositions. Elle considéra que la résidence habituelle de l’enfant se situait bien au Texas et que rien ne permettait au requérant de contester la compétence du juge américain, et ce d’autant plus qu’il l’avait lui-même sollicité. Concernant les allégations du requérant quant au danger qu’encourait l’enfant auprès de sa mère qui faisait l’objet d’un mandat d’arrêt des autorités mexicaines pour avoir amené illégalement l’enfant aux États-Unis, elle releva que D. indiquait s’être fondée, pour déménager aux États-Unis, sur la décision du juge mexicain du 20 mars 2007 ayant déchu le requérant de l’autorité parentale. La cour d’appel considéra que le mandat d’arrêt délivré à son encontre ne préjugeait pas de sa responsabilité quant à la commission d’un enlèvement d’enfant. Elle en déduisit qu’il ressortait de ces éléments et des pièces fournies au dossier qu’aucun danger, au sens de l’article 13 b) de la Convention de La Haye, n’apparaissait être encouru par l’enfant auprès de sa mère. Elle ajouta que si le requérant craignait une rupture totale des relations entre lui et son fils du fait du départ de ce dernier pour rejoindre sa mère, aucun élément précis ne permettait d’affirmer la réalité d’une telle situation. Enfin, elle précisa qu’il ne lui revenait pas de statuer à nouveau sur la garde de l’enfant.

42. Le requérant forma un pourvoi en cassation, reprochant notamment à la cour d’appel d’avoir ordonné le retour de l’enfant sans examen du certificat du médecin psychiatre qu’il produisait et qui attestaient de ce que la séparation de l’enfant de son nouvel environnement serait traumatisante.

43. Le 25 septembre 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant en indiquant notamment :

« Attendu [...] qu’ayant estimé que les allégations de M. Lacombe quant au danger encouru par l’enfant auprès de sa mère au sens de l’article 13 b) de la Convention étaient sans fondement sérieux, la cour d’appel, qui a pris en compte, par motifs adoptés, les sentiments exprimés par l’enfant lors de son audition par les services de police, lequel ne manifestait, aux dires mêmes de M. Lacombe, aucune opposition formelle à son retour, a, sans méconnaître les textes visés par le moyen, ordonné le retour de l’enfant. »

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit international pertinent

44. Pour les dispositions pertinentes en droit international, la Cour se réfère aux paragraphes 34 à 40 de l’arrêt X c. Lettonie ([GC], no 27853/09, CEDH 2013). Plus particulièrement, elle rappelle que les articles 3, 12 et 13 de la Convention de la Haye du 25 octobre 1980 se lisent comme suit :

Article 3

« Le déplacement ou le non-retour d’un enfant est considéré comme illicite :

a) lorsqu’il a lieu en violation d’un droit de garde, attribué à une personne, une institution ou tout autre organisme, seul ou conjointement, par le droit de l’Etat dans lequel l’enfant avait sa résidence habituelle immédiatement avant son déplacement ou son non-retour ; et

b) que ce droit était exercé de façon effective seul ou conjointement, au moment du déplacement ou du non-retour, ou l’eût été si de tels événements n’étaient survenus.

Le droit de garde visé en a) peut notamment résulter d’une attribution de plein droit, d’une décision judiciaire ou administrative, ou d’un accord en vigueur selon le droit de cet Etat. »

Article 12

« Lorsqu’un enfant a été déplacé ou retenu illicitement au sens de l’article 3 et qu’une période de moins d’un an s’est écoulée à partir du déplacement ou du non-retour au moment de l’introduction de la demande devant l’autorité judiciaire ou administrative de l’État contractant où se trouve l’enfant, l’autorité saisie ordonne son retour immédiat.

L’autorité judiciaire ou administrative, même saisie après l’expiration de la période d’un an prévue à l’alinéa précédent, doit aussi ordonner le retour de l’enfant, à moins qu’il ne soit établi que l’enfant s’est intégré dans son nouveau milieu.

Lorsque l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis a des raisons de croire que l’enfant a été emmené dans un autre État, elle peut suspendre la procédure ou rejeter la demande de retour de l’enfant. »

Article 13

« Nonobstant les dispositions de l’article précédent, l’autorité judiciaire ou administrative de l’État requis n’est pas tenue d’ordonner le retour de l’enfant, lorsque la personne, l’institution ou l’organisme qui s’oppose à son retour établit :

a) que la personne, l’institution ou l’organisme qui avait le soin de la personne de l’enfant n’exerçait pas effectivement le droit de garde à l’époque du déplacement ou du non-retour, ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à ce déplacement ou à ce non-retour ; ou

b) qu’il existe un risque grave que le retour de l’enfant ne l’expose à un danger physique ou psychique, ou de toute autre manière ne le place dans une situation intolérable.

L’autorité judiciaire ou administrative peut aussi refuser d’ordonner le retour de l’enfant si elle constate que celui-ci s’oppose à son retour et qu’il a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinion.

Dans l’appréciation des circonstances visées dans cet article, les autorités judiciaires ou administratives doivent tenir compte des informations fournies par l’Autorité centrale ou toute autre autorité compétente de l’État de la résidence habituelle de l’enfant sur sa situation sociale. »

B. Le droit et la pratique internes pertinents

45. La Convention de la Haye est entrée en vigueur en France le 1er décembre 1983 (décret no 83-1021 du 29 novembre 1983).

46. La Cour de cassation affirme régulièrement qu’il résulte de l’article 13 b) de la Convention de La Haye qu’il ne peut être fait exception au retour immédiat de l’enfant que s’il existe un risque de danger grave ou de création d’une situation intolérable. Au cours des années 1990, la première chambre civile a ouvert assez largement la voie du refus de retour (Cass. 1ère civ., 12 juillet 1994, no 93-15.495, Cass. 1ère civ., 22 juin 1999, no 98-17.902). Depuis 2005, la Cour de cassation est beaucoup plus stricte dans son interprétation de l’article 13 b) de la Convention de la Haye et exige que cette exception soit appréciée au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant (Cass. 1ère civ., 14 juin 2005, no 04-16.942, Cass. 1ère civ., 19 novembre 2014, no 14‑17.493).

47. Ces principes doivent toutefois être combinés avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation relative à l’étendue de son contrôle en la matière. Elle estime en effet que l’appréciation des faits constitutifs du risque de danger ou de création d’une situation intolérable relève du pouvoir souverain des juges de première instance et d’appel, comme toute appréciation de fait (Cass. 1ère civ., 26 septembre 2012, no11-17.034). Le contrôle qu’exerce la Cour de cassation est donc un simple contrôle de forme – elle vérifie que les juges du fond ont bien motivé leur décision – et non un contrôle au fond – la Cour de cassation ne vérifiant pas qu’ils ont ou non eu raison de retenir que la preuve du risque de danger grave était rapportée ou non.

48. L’article 954 du code de procédure civile se lit comme suit :

« Les conclusions d’appel (...) doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.

(...)

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de ces prétentions que s’ils sont invoqués dans la discussion. (...) »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

49. Le requérant se dit victime, en raison de la décision des juridictions internes d’ordonner le retour de son fils aux États-Unis, d’une atteinte à son droit au respect de sa vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Il se plaint du défaut de motivation des décisions internes quant à la question de l’existence d’un risque grave pour l’enfant en cas de retour au sens de l’article 13 b) de la Convention de La Haye. L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

50. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

51. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

52. Le requérant considère que le lien avec son enfant relève d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention et que les décisions rendues par les juridictions ordonnant le retour de l’enfant aux États-Unis constituent une ingérence dans sa vie familiale. Il ne conteste pas que cette ingérence était prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime.

53. Cependant, il estime qu’elle n’était ni nécessaire ni proportionnée et qu’elle était contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il soutient qu’aucune des décisions rendues par les juridictions internes n’a apprécié le danger qu’encourait l’enfant en cas de retour auprès de sa mère en tenant compte du traumatisme qu’une nouvelle séparation de son nouvel environnement représenterait pour lui. Il précise que ce traumatisme était clairement mis en évidence par le certificat médical du Docteur P. C., psychiatre, qu’il a produit devant la cour d’appel. Il reproche à cette dernière de ne pas avoir examiné le danger mis en exergue par ce médecin et à la Cour de cassation de n’avoir procédé à aucun contrôle de ce chef.

b) Le Gouvernement

54. Le Gouvernement ne conteste ni que le lien entre le requérant et son enfant relève d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention, ni le fait que les décisions des juridictions internes ordonnant le retour de l’enfant aux États-Unis constituent une ingérence dans sa vie familiale. Il considère néanmoins que cette ingérence était prévue par la loi, qu’elle poursuivait l’un des buts légitimes mentionnés au paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention et qu’elle était nécessaire dans une société démocratique.

55. Le Gouvernement estime que l’allégation de risque grave présentée par le requérant a fait l’objet de la part des juridictions internes d’un examen effectif, axé sur les éléments invoqués par l’intéressé, et qui s’est traduit par des décisions suffisamment motivées au regard de ces éléments. Il précise que devant la cour d’appel les allégations du requérant relatives au risque grave que l’enfant encourait en cas de retour étaient très laconiques et peu étayées. Elles consistaient principalement à soutenir que ce risque aurait découlé d’une part, des poursuites pénales engagées à l’encontre de la mère de l’enfant, à l’origine de la suspension des droits de garde, et, d’autre part, de la rupture totale des liens entre le père et le fils qui serait occasionnée par ce retour. Le Gouvernement fait valoir que le requérant n’a à aucun moment évoqué le traumatisme qu’occasionnerait une nouvelle séparation de son environnement au sens large. Il reconnait que la cour d’appel ne s’est pas explicitement prononcée sur le certificat médical du 16 juillet 2010, mais il considère que ce document médical ne portait sur aucun des deux éléments invoqués par le requérant pour caractériser un risque grave.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

56. Concernant les principes généraux dégagés par sa jurisprudence sur les déplacements illicites d’enfants, la Cour renvoie à l’arrêt X c. Lettonie, précité, et particulièrement aux paragraphes 95, 100 à 102 et 106 à 107, où elle s’est exprimée ainsi :

« 95. Le point décisif consiste à savoir si le juste équilibre devant exister entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public – a été ménagé, dans les limites de la marge d’appréciation dont jouissent les États en la matière (Maumousseau et Washington, précité, § 62), en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt supérieur de l’enfant doit constituer la principale considération, les objectifs de prévention et de retour immédiat répondant à une conception déterminée de «l’intérêt supérieur de l’enfant »

(...)

100. L’intérêt supérieur de l’enfant ne se confond pas avec celui de son père ou de sa mère, outre qu’il renvoie nécessairement à des éléments d’appréciation divers liés au profil individuel et à la situation spécifique de l’enfant. Néanmoins, il ne saurait être appréhendé d’une manière identique selon que le juge est saisi d’une demande de retour en application de la Convention de La Haye ou d’une demande de statuer au fond sur la garde ou l’autorité parentale, cette dernière relevant d’une procédure en principe étrangère à l’objet de la Convention de La Haye (...).

101. Partant, dans le cadre d’une demande de retour faite en application de la Convention de La Haye, qui est donc distincte d’une procédure sur le droit de garde, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant doit s’apprécier à la lumière des exceptions prévues par la Convention de La Haye, lesquelles concernent l’écoulement du temps (article 12), les conditions d’application de la convention (article 13 a)) et l’existence d’un « risque grave » (article 13 b)), ainsi que le respect des principes fondamentaux de l’État requis sur la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 20). Cette tâche revient en premier lieu aux autorités nationales requises, qui ont notamment le bénéfice de contacts directs avec les intéressés. Pour ce faire au regard de l’article 8 de la Convention, les juridictions internes jouissent d’une marge d’appréciation, laquelle s’accompagne toutefois d’un contrôle européen en vertu duquel la Cour examine, sous l’angle de la Convention, les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de ce pouvoir (voir, mutatis mutandis, Hokkanen c. Finlande, 23 septembre 1994, § 55, série A no 299-A, ainsi que Maumousseau et Washington, précité, § 62, et Neulinger et Shuruk, précité, § 141).

102. Précisément, dans le cadre de cet examen, la Cour rappelle qu’elle n’entend pas substituer son appréciation à celle des juridictions internes (voir, par exemple, Hokkanen, précité, et K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 154, Recueil 2001‑VII). Elle doit cependant s’assurer que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à prendre la mesure litigieuse a été équitable et qu’il a permis aux intéressés de faire valoir pleinement leurs droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant (Eskinazi et Chelouche c. Turquie (déc.), no 14600/05, CEDH 2005‑XIII (extraits), Maumousseau et Washington, précité, et Neulinger et Shuruk, précité, § 139).

(...)

106. La Cour estime que l’on peut parvenir à une interprétation harmonieuse de la Convention et de la Convention de La Haye (paragraphe 94 ci-dessus) sous réserve que les deux conditions suivantes soient réunies. Premièrement, les éléments susceptibles de constituer une exception au retour immédiat de l’enfant en application des articles 12, 13 et 20 de ladite convention, notamment lorsqu’ils sont invoqués par l’une des parties, soient réellement pris en compte par le juge requis. Ce dernier doit dès lors rendre une décision suffisamment motivée sur ce point, afin de permettre à la Cour de s’assurer que ces questions ont bien fait l’objet d’un examen effectif. Deuxièmement, ces éléments doivent être appréciés à la lumière de l’article 8 de la Convention (Neulinger et Shuruk, précité, § 133).

107. Par conséquent, la Cour estime que l’article 8 de la Convention fait peser sur les autorités internes une obligation procédurale particulière à ce titre : dans le cadre de l’examen de la demande de retour de l’enfant, les juges doivent non seulement examiner des allégations défendables de « risque grave » pour l’enfant en cas de retour, mais également se prononcer à ce sujet par une décision spécialement motivée au vu des circonstances de l’espèce. Tant un refus de tenir compte d’objections au retour susceptibles de rentrer dans le champ d’application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye qu’une insuffisance de motivation de la décision rejetant de telles objections seraient contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, mais également au but et à l’objet de la Convention de La Haye. La prise en compte effective de telles allégations, attestée par une motivation des juridictions internes qui soit non pas automatique et stéréotypée, mais suffisamment circonstanciée au regard des exceptions visées par la Convention de La Haye, lesquelles doivent être d’interprétation stricte (Maumousseau et Washington, précité, § 73) est nécessaire. Cela permettra aussi d’assurer le contrôle européen confié à la Cour, dont la vocation n’est pas de se substituer aux juges nationaux. »

b) L’application de ces principes au cas d’espèce

i) Une ingérence dans la vie familiale prévue par la loi et répondant à un but légitime

57. La Cour constate à titre liminaire que le lien entre le requérant et son fils relève d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Par ailleurs, il ne prête pas à controverse que les décisions rendues par les juridictions internes ordonnant le retour de l’enfant aux États-Unis constituent une ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit au respect de sa vie familiale, tel que garanti par l’article 8 de la Convention. Pareille ingérence est constitutive d’une violation du paragraphe 2 de cet article à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », ne vise l’un ou plusieurs des buts légitimes au regard de ce même paragraphe et ne puisse passer pour une mesure « nécessaire dans une société démocratique ».

58. En l’espèce, la Cour note que les décisions de retour prises par les autorités françaises étaient fondées sur la Convention de La Haye, qui est incorporée au droit français (paragraphe 45 ci-dessus), et visaient à protéger les droits et libertés de l’enfant. L’ingérence, prévue par la loi, poursuivait donc un intérêt légitime au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. La question qui se pose est donc celle de savoir si telle ingérence était « nécessaire dans une société démocratique », au sens du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention.

ii) La nécessité de la mesure de retour dans une société démocratique

59. La Cour, qui doit se placer au moment de l’exécution de la mesure litigieuse (voir, mutatis mutandis, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, § 91, CEDH 2008), constate tout d’abord que peu de temps s’était écoulé en l’espèce à partir du déplacement jusqu’au moment où les autorités françaises ont été saisies de la demande fondée sur la Convention de La Haye.

60. En effet, l’enfant a quitté les États-Unis en octobre 2009 pour le Mexique et dès le 28 octobre 2009, D. a saisi l’autorité centrale des États-Unis d’une demande de remise de l’enfant en application de la Convention de La Haye, tandis qu’au mois de novembre ou décembre 2009, le requérant a déplacé l’enfant en France (paragraphes 31-33 ci‑dessus). À la suite de l’audition de l’enfant par la brigade des mineurs de Nice le 9 juin 2010, le procureur de la République a assigné, le 8 juillet 2010, le requérant devant le TGI de Marseille aux fins de voir ordonner le retour immédiat de l’enfant. Le jugement de ce tribunal est intervenu le 27 août 2010 et l’enfant a été remis à sa mère le 30 août 2010. La Cour constate ainsi que non seulement l’introduction de la demande de retour devant l’autorité française, mais également la procédure interne et le retour de l’enfant sont intervenus dans la période de moins d’un an visé au premier alinéa de l’article 12 de la Convention de La Haye, lequel prévoit alors un retour immédiat. Par ailleurs, la Cour note que les juridictions nationales de première instance, d’appel puis de cassation ont été unanimes quant à la suite à donner à la demande de retour présentée par D.

61. Au vu des critères établis dans l’arrêt X c. Lettonie (précité), la Cour doit examiner si les juges internes ont effectivement pris en compte les allégations du requérant et justifié leurs décisions au regard des exceptions visées par la Convention de La Haye par une motivation suffisamment circonstanciée – c’est-à-dire, appuyée sur les données de l’espèce –, tout en sachant que ces exceptions doivent être d’interprétation stricte (X c. Lettonie, § 107).

62. La Cour observe qu’à titre principal, le requérant a fait valoir devant le tribunal de grande instance comme devant la cour d’appel, l’illégalité de la résidence de l’enfant aux États-Unis, ainsi que l’inapplicabilité des articles l et 12 de la Convention de La Haye. La Cour constate que les juridictions internes de première et deuxième instance ont considéré que la résidence légale de l’enfant au moment de son départ vers la France se situait bien au Texas et que ce déplacement de l’enfant vers la France était illicite. Elles ont souligné que le requérant ne pouvait contester la compétence du juge américain alors qu’il l’avait lui-même sollicité et qu’il avait obtenu l’autorisation de prendre provisoirement son fils avec lui à la condition, qu’il n’a pas respectée, de se représenter à une audience où la question de l’attribution de la garde devait être tranchée (paragraphes 29 et 41 ci-dessus).

63. La Cour note qu’à titre subsidiaire le requérant s’est prévalu devant les juridictions internes d’un risque grave pour l’enfant en cas de retour aux États-Unis. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités compétentes dans l’examen de la question de risque grave de danger pour l’enfant, au sens de l’article 13 de la Convention de La Haye. En revanche, elle est compétente pour rechercher si les tribunaux internes, dans l’application et l’interprétation des dispositions de cette convention, ont respecté les garanties de l’article 8 de la Convention, en tenant notamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (K.J. c. Pologne, no 30813/14, § 63, 1er mars 2016).

64. Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, le retour d’un enfant ne saurait être ordonné de façon automatique et mécanique (Maumousseau et Washington c. France, no 39388/05, § .72, 6 décembre 2007, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 138, CEDH 2010 et, X c. Lettonie [GC], précité, § 98). En l’espèce, le requérant a soutenu devant le TGI que l’enfant était en danger avec sa mère et qu’il voulait rester avec son père (paragraphe 37 ci-dessus). La Cour observe que pour rejeter ce risque allégué de danger, le tribunal s’est expressément fondé sur l’audition de l’enfant par la brigade des mineurs. Or, elle rappelle qu’en matière d’enlèvement international d’enfants, les obligations que l’article 8 fait peser sur les États contractants doivent s’interpréter en tenant également compte de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 (Neulinger et Shuruk, précité, § 132, et X c. Lettonie, précité, § 93) qui précise dans son article 12 § 1 qu’un enfant qui est capable de discernement a le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant et le droit de voir ces opinions dûment prises en considération eu égard à son âge et son degré de maturité.

65. En l’espèce, la Cour relève, ainsi que l’a fait la Cour de cassation, que le juge de première instance a pris en compte les sentiments exprimés par l’enfant, qui ne manifestait aucune opposition formelle à son retour (paragraphes 34, 38 et 43 ci-dessus). La Cour observe qu’il ressort de cette audition que J.-P. est pris dans un conflit de loyauté entre sa mère avec laquelle il vivait heureux au Texas et dont il n’avait plus aucune nouvelle depuis plusieurs mois et son père qui, ainsi que le relève le tribunal (paragraphe 38 ci-dessus), lui parlait très négativement de sa mère et passait son temps au téléphone et sur l’ordinateur à la suite de la multiplication des instances judiciaires. Aux yeux de la Cour, le tribunal de première instance a bien examiné les allégations de danger soutenues par le requérant et y a répondu par une motivation circonstanciée et non stéréotypée.

66. Devant la cour d’appel, alors que la décision de retour avait été exécutée, le requérant fit valoir de nouveau le risque grave de danger pour l’enfant, au sens de l’article 13 de la Convention de La Haye. Il soutint que ce risque découlait, d’une part, de la mère elle-même qui l’avait préalablement enlevé aux États-Unis et des poursuites pénales engagées à l’encontre de celle-ci et d’autre part, de la rupture totale des liens entre J.-P. et son père qui résulterait de ce retour et de la volonté de la mère (paragraphe 40 ci-dessus).

67. La Cour relève que sur le premier point, la juridiction d’appel a écarté le risque de danger pour l’enfant auprès de sa mère, en indiquant que le mandat d’arrêt des autorités mexicaines équivalait à un mandat d’amener français qui ne préjugeait pas de sa responsabilité et que la mère, pour déménager aux États-Unis, s’était fondée sur une décision mexicaine prononçant la déchéance du droit du requérant de vivre avec son fils, en raison d’un premier enlèvement par le père et du danger de réitération d’une telle infraction (paragraphe 23 ci-dessus). S’agissant du second point, la cour d’appel a retenu que le requérant n’apportait aucun élément précis permettant de craindre une rupture totale des liens avec son fils. La Cour constate donc que la juridiction d’appel a motivé sa décision au regard des deux aspects du risque allégué par le requérant.

68. La Cour observe cependant que, dans sa motivation, la juridiction interne ne se prononce pas expressément sur le certificat du pédopsychiatre P.C, daté du 16 juillet 2010 (paragraphe 40 ci-dessus). Or, elle rappelle que, dans l’affaire X c. Lettonie (précitée), elle a jugé que le refus de prendre en compte un risque de traumatisme de l’enfant en cas de séparation immédiate avec sa mère, reposant sur une attestation émanant d’un professionnel, était contraire aux exigences de l’article 8 de la Convention, le caractère non contradictoire de cette expertise ne suffisant pas à dispenser les juges de l’examiner effectivement.

69. En l’espèce, la Cour observe que le requérant a produit un certificat rédigé à sa seule demande et daté du 16 juillet 2010, soit avant l’audience devant le TGI de Marseille, mais ne l’a présenté pour la première fois que lors du débat devant la cour d’appel qui s’est tenu le 6 octobre 2011. Or, à cette date, l’enfant n’était plus sur le territoire français à la suite de sa remise à la mère (paragraphe 39 ci-dessus) et une expertise contradictoire s’avérait difficile, voire impossible, à effectuer. Ce certificat faisait état d’un risque de « décompensation » en cas d’un nouveau changement de cadre de vie chez un enfant déjà fragilisé par « de multiples séparations » et faisait apparaître l’existence possible d’un risque grave au sens de l’article 13 b) de la Convention.

70. Néanmoins, la Cour considère que le cas d’espèce diffère substantiellement de l’affaire X c. Lettonie (précité). D’une part, l’allégation de risque grave soulevée par le requérant devant la cour d’appel ne reposait pas sur le certificat médical et le contenu de celui-ci. Le certificat n’était que l’une des 79 pièces produites devant la cour d’appel et il n’a d’ailleurs été mentionné à aucun moment par le requérant dans ses conclusions d’appel contrairement aux exigences du droit procédural applicable (paragraphe 48 ci-dessus).

71. La Cour constate en outre que ce certificat médical ne portait sur aucun des deux dangers invoqués par le requérant pour caractériser l’existence d’un risque grave : il ne se prononçait ni sur la dangerosité de la mère ni sur un risque de rupture des liens entre l’enfant et le père. Le requérant n’a pas davantage développé l’argument selon lequel un retour de son fils auprès de sa mère aux États-Unis serait traumatisant en ce qu’il provoquerait un changement d’environnement et de cadre de vie.

72. D’autre part, dans l’affaire X. c. Lettonie (précitée), les juges d’appel avaient refusé d’examiner les conclusions de l’examen psychologique. La Cour rappelle que tant un refus de tenir compte d’objections au retour susceptibles de rentrer dans le champ d’application des articles 12, 13 et 20 de la Convention de La Haye qu’une insuffisance de motivation de la décision rejetant de telles objections seraient contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, mais également au but et à l’objet de la Convention de La Haye (X c. Lettonie, précité, §§ 106 et 107). Toutefois, la Cour note qu’en l’espèce, à aucun moment la cour d’appel n’a exclu ce certificat médical ou refusé d’examiner une allégation de risque grave. Il ressort au contraire de son arrêt qu’elle a considéré que l’enfant ne courait aucun danger auprès de sa mère, après avoir visé les pièces fournies au dossier. En conséquence, ainsi que l’a fait valoir le Gouvernement, l’allégation de risque grave en cas de retour de l’enfant a fait l’objet d’un examen effectif, fondé sur les éléments invoqués par le requérant au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant, la juridiction d’appel ayant à ce titre fourni une décision motivée. La Cour considère également que le processus décisionnel ayant conduit les juridictions nationales à ordonner le retour de l’enfant a été équitable. Il a en effet permis au requérant, comme à la mère, de présenter pleinement leur cause, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant qui ne se confond pas avec celui de son père ou de sa mère et qui ne saurait être appréhendé d’une manière identique selon que le juge est saisi d’une demande de retour ou d’une demande de statuer au fond sur la garde ou l’autorité parentale (X c. Lettonie, précité, §§ 100 et 102). Ainsi, la cour d’appel a non seulement statué dans le respect des règles de procédure internes, comme indiqué précédemment (paragraphes 48 et 70 ci‑dessus), mais elle l’a également fait dans le cadre d’un examen effectif des éléments du dossier, sans perdre de vue l’intérêt supérieur de l’enfant.

73. S’agissant de la Cour de cassation, la Cour observe qu’elle n’a pas pour vocation de rejuger les faits mais de vérifier la conformité des décisions des tribunaux et des cours d’appel nationaux aux règles de droit (paragraphe 47 ci-dessus). En l’espèce, la Cour de cassation a effectivement contrôlé que la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait suffisamment motivé sa décision de retour au regard de l’article 13 b) de la Convention et de l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 43 ci‑dessus).

iii) Conclusion

74. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que les juges internes ont dûment pris en compte les allégations du requérant et que le processus décisionnel ayant conduit à l’adoption des mesures incriminées par les juridictions nationales a été équitable et a permis au requérant de faire valoir pleinement ses droits, et ce dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle estime que, eu égard à la marge d’appréciation des autorités en la matière, la décision de retour se fondait sur des motifs pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8, considéré à la lumière de l’article 13 b) de la Convention de la Haye et de l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant, et qu’elle était proportionnée au but légitime recherché.

75. Il s’ensuit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 octobre 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-196948
Date de la décision : 10/10/2019
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale)

Parties
Demandeurs : LACOMBE
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DE SALVE DE BRUNETON J.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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