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09/07/2019 | CEDH | N°001-194320

CEDH | CEDH, AFFAIRE ROMEO CASTAÑO c. BELGIQUE, 2019, 001-194320


DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ROMEO CASTAÑO c. BELGIQUE

(Requête no 8351/17)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 26 novembre 2019 conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

9 juillet 2019

DÉFINITIF

09/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Romeo Castaño c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :



Robert Spano, président,

Paul Lemmens,

Julia Laffranque,

Valeriu Griţco,

Stéphanie Mourou-Vikström,

Ivana Jelić,

Darian Pavli, juges,

et de ...

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE ROMEO CASTAÑO c. BELGIQUE

(Requête no 8351/17)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 26 novembre 2019 conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

9 juillet 2019

DÉFINITIF

09/10/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Romeo Castaño c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

Robert Spano, président,

Paul Lemmens,

Julia Laffranque,

Valeriu Griţco,

Stéphanie Mourou-Vikström,

Ivana Jelić,

Darian Pavli, juges,

et de Stanley Naismith, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 11 juin 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 8351/17) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont cinq ressortissants espagnols (« les requérants »), ont saisi la Cour le 16 janvier 2017 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Les renseignements personnels relatifs aux requérants sont énoncés dans la liste en annexe.

2. Les requérants ont été représentés par Me M.L. García Blanco, avocate à Madrid. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

3. Invoquant le volet procédural de l’article 2 de la Convention, les requérants se plaignent du refus des autorités belges d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis par les autorités espagnoles à l’encontre de la personne prétendument impliquée dans la mort de leur père, N.J.E., en ce qu’il empêche l’exercice des poursuites pénales contre cette dernière.

4. Le 14 mars 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement. Les requérants ainsi que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire (article 54 § 2 du règlement). Le gouvernement espagnol a exercé son droit d’intervention (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 a) du règlement). Des observations ont également été reçues de N.J.E. et de l’association Colectivo de víctimas del terrorismo (« COVITE ») qui ont été autorisées à intervenir dans la procédure écrite en tant que tierces parties (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 a) du règlement).

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
1. Le contexte de l’affaire

5. Les requérants sont les enfants du lieutenant-colonel Ramón Romeo qui décéda à la suite d’un attentat commis le 19 mars 1981 à Bilbao (Espagne) par un commando qui revendiquait son appartenance à l’organisation terroriste ETA.[1] Une membre présumée du commando, N.J.E., ressortissante espagnole d’origine basque, est suspectée d’avoir tiré à bout portant sur le père des requérants.

6. L’une des enfants de Ramón Romeo se constitua partie civile en Espagne. En mai 2007, tous les membres du commando furent condamnés par la justice espagnole, hormis N.J.E. Celle-ci se serait d’abord enfuie notamment au Mexique suite aux évènements de 1981 avant de s’installer en Belgique.

2. Procédures de remise en cause
1. Première procédure de remise

7. Un juge d’instruction espagnol de l’Audiencia Nacional décerna deux mandats d’arrêt européens (« MAE ») les 9 juillet 2004 et 1er décembre 2005 à l’encontre de N.J.E. aux fins de poursuites pénales respectivement pour tentative de meurtre et terrorisme commis à Bilbao le 14 juin 1981, d’une part, et participation à une organisation criminelle, terrorisme, homicide volontaire, coups et blessures graves, et meurtre commis à Bilbao le 19 mars 1981, d’autre part.

8. Par ordonnance d’une juge d’instruction du tribunal de première instance de Gand du 9 octobre 2013, N.J.E. fut mise en détention.

9. Par une ordonnance du 16 octobre 2013, la chambre du conseil du même tribunal déclara les MAE exécutoires.

10. N.J.E. interjeta appel de cette ordonnance. Elle soutint d’emblée que l’exécution des MAE devait être refusée étant donné qu’il y avait prescription de l’action publique selon la loi belge et que les faits relevaient de la compétence extraterritoriale des juridictions belges (article 4, 4o de la loi relative au MAE du 19 décembre 2003, voir paragraphe 25, ci-dessous). En outre, elle invoqua qu’il y avait de sérieuses raisons de croire que l’exécution desdits MAE aurait pour effet de porter atteinte à ses droits fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du Traité sur l’Union européenne (« UE ») (article 4, 5o de la loi précitée).

11. Le 31 octobre 2013, se référant aux articles 6 et 7 du Titre préliminaire du code d’instruction criminelle (« CIC ») (voir ci-dessous, paragraphe 26), la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand estima que N.J.E. ne relevait pas des juridictions pénales belges. Elle considéra en effet que N.J.E. n’avait pas sa résidence principale en Belgique. Elle releva en outre que N.J.E. ne faisait pas l’objet de poursuites en Belgique pour une des infractions prévues à l’article 6 du Titre préliminaire du CIC. Enfin, elle releva qu’il n’y avait pas de « plainte de l’étranger offensé ou de sa famille » ni « d’avis officiel donné à l’autorité belge par l’autorité du pays où l’infraction a été commise » au sens de l’article 7 § 2 du Titre préliminaire du CIC.

12. La chambre des mises en accusation refusa toutefois l’exécution des MAE sur base de l’article 4, 5o de la loi relative au MAE. Il convenait, selon elle, de situer les faits punissables dans le contexte plus large de l’histoire politique contemporaine de l’Espagne et dans le contexte personnel de N.J.E. qui après avoir été, dans sa vingtaine, active dans le « mouvement armé de résistance basque », était devenue une femme de 55 ans professionnellement active avec une vie normale à Gand. De plus, s’appuyant notamment sur un rapport du Comité européen pour la prévention de la torture (« CPT ») relatif à la visite périodique effectuée en Espagne du 31 mai au 13 juin 2011, la juridiction estima qu’il y avait de sérieux motifs de croire que l’exécution du MAE porterait atteinte aux droits fondamentaux de N.J.E. garantis par l’article 6 du Traité sur l’UE. Elle considéra notamment que :

« (...) [l]es inculpés du chef de faits punissables, pour des motifs prétendument terroristes, doivent subir en Espagne un autre régime privatif de liberté, dans des conditions dégradantes pouvant s’accompagner de tortures et avec un contact très limité avec le monde extérieur (famille, avocat et assistance), comme il en existe des indices (...). C’est à tort que le premier juge et le ministère public soutiennent qu’il existe, aussi pour les ex-membres des mouvements de résistances basques ce que [l’intéressée] était probablement, une présomption de respect des droits fondamentaux dans le chef de l’Espagne.

Premièrement, il n’y a jamais de présomption de respect des droits de l’homme.

Deuxièmement, la loi elle-même contredit l’existence [d’une telle présomption] étant donné que la personne visée par le [MAE] a le droit de démontrer et de rendre plausible qu’il y a de sérieuses raisons de craindre une violation des droits de l’homme. Cette garantie supplémentaire est justement offerte dans le contexte juridique strictement européen.

Des rapports provenant d’organisations internationales soutiennent cette crainte sérieuse.

Troisièmement, la loi n’exige nulle part qu’il devait être démontré que les droits fondamentaux seraient violés avec certitude absolue. »

13. Enfin, la chambre des mises en accusation ordonna la mise en liberté de N.J.E.

14. Le parquet fédéral belge se pourvut en cassation contre cet arrêt. Il considérait notamment qu’eu égard au principe de confiance mutuelle entre les États membres de l’Union européenne (« UE »), le refus d’extradition en raison de la violation des droits fondamentaux de la personne concernée devait être justifié par des éléments circonstanciés démontrant un danger manifeste pour ses droits et pouvant renverser la présomption de respect des droits fondamentaux. Or, l’arrêt de la chambre des mises en accusation n’avait fourni aucun élément concret démontrant le risque d’atteinte aux droits fondamentaux de N.J.E. et était rédigé en termes à ce point généraux que la présomption de respect des droits de l’homme dont bénéficie l’État d’émission du MAE ne pouvait être renversée.

15. Par un arrêt du 19 novembre 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi du parquet fédéral. Quant aux principes applicables en l’espèce, elle rappela que :

« En vertu de l’article 4, 5o de la loi du 19 décembre 2003, l’exécution d’un mandat d’arrêt européen est refusée s’il y a des raisons sérieuses de croire que l’exécution du mandat d’arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du Traité sur l’Union européenne, à savoir ceux garantis par la [Convention] et qui résultent en tant que principes généraux du droit communautaire des traditions constitutionnelles communes aux États membres de l’Union européenne.

Il ressort de la considération (10) du préambule de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil de l’Union européenne du 13 juin 2002 relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres que le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. Ce degré de confiance élevé entre les États membres implique une présomption de respect par l’État d’émission des droits fondamentaux visés à l’article 4, 5o, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen.

Compte tenu de ce principe de confiance mutuelle entre les États membres, le refus de remise doit être justifié par des éléments circonstanciés indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée et aptes à renverser la présomption de respect de ces droits dont l’État d’émission bénéficie.

Le juge apprécie souverainement si les éléments circonstanciés invoqués indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de la personne concernée suffisent à renverser la présomption susmentionnée. La Cour [de cassation] vérifie uniquement si le juge ne tire pas de ses constatations des conséquences sans lien avec celles-ci ou qu’elles ne peuvent justifier. »

Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour de cassation considéra que :

« L’arrêt décide qu’il existe, à l’égard de la défenderesse, des raisons sérieuses de croire que l’exécution des mandats d’arrêt européens aurait pour effet de porter atteinte à ses droits fondamentaux parce que « les inculpés du chef de faits punissables, pour des motifs prétendument terroristes, doivent subir en Espagne un autre régime privatif de liberté, dans des conditions dégradantes pouvant s’accompagner de tortures et avec un contact très limité avec le monde extérieur (famille, avocat et assistance) » et il renvoie, pour ce faire, aux rapports du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe de 2011.

Ainsi, l’arrêt justifie légalement le refus d’extradition parce qu’il existe des raisons sérieuses de croire que l’exécution des mandats d’arrêt européens aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du Traité sur l’Union européenne.

Le moyen ne peut être accueilli. »

16. Par une lettre du 27 novembre 2014, en réponse à un des requérants à propos du refus d’exécuter le MAE à charge de N.J.E., le premier président de la Cour de cassation précisa que l’inexécution d’un MAE ne signifiait pas nécessairement l’impunité de la personne qui en est l’objet. Il ajouta que :

« [I]l exist[ait] d’autres procédures qu’il appartient à l’instance compétente de mettre en œuvre, le cas échéant, afin de permettre le jugement des personnes soupçonnées de crimes et ne se trouvant plus sur le territoire de l’État où ceux‑ci auraient été commis. Vous apprécierez à cet égard l’opportunité d’une démarche auprès du parquet fédéral ».

2. Deuxième procédure de remise

17. Le 8 mai 2015, un nouveau MAE fut émis à l’égard de N.J.E. par un juge d’instruction de l’Audiencia Nacional portant sur les faits commis à Bilbao le 19 mars 1981 et qualifiés notamment de « meurtre terroriste » en droit espagnol. Quant au risque allégué de torture en Espagne mis en avant par la chambre des mises en accusation, il précisait que les informations du CPT avaient été contestées par le gouvernement espagnol en mars 2012 et que, lors des visites périodiques ultérieures en 2012 et 2014, le CPT n’en avait plus fait mention. Quant à la détention incommunicado, il indiquait qu’elle était strictement encadrée : elle ne peut être imposée que dans des cas exceptionnels d’investigation de bandes armés ou terroristes ; chaque personne y soumise a la garantie d’un examen médico-légal et le mécanisme national pour la prévention de la torture inclut la possibilité de visites non annoncées de l’Ombudsman ; la personne concernée a le droit d’assistance d’un avocat pendant les poursuites policières et judiciaires ; la détention est toujours placée sous contrôle judiciaire et la personne concernée a le droit de solliciter un habeas corpus ; les zones communes sont sous surveillance vidéo et il y a une possibilité d’enregistrer les interrogatoires ; les restrictions aux communications avec les proches et amis sont limitées à cinq jours et soumises à l’appréciation d’un juge. Par ailleurs, le crime de torture figurant dans le code pénal espagnol inclut toute maltraitance physique ou psychique et les allégations à cet égard sont examinées par un juge indépendant. Enfin, le juge d’instruction faisait valoir que l’Espagne avait transposé les directives européennes qui renforcent les garanties existantes en matière pénale.

18. Suite à ce MAE, N.J.E. fut de nouveau arrêtée le 20 juin 2016 par les autorités belges, mais remise en liberté le jour même.

19. Par une ordonnance du 29 juin 2016, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Gand refusa l’exécution du nouveau MAE.

20. Le 14 juillet 2016, saisie sur appel du parquet fédéral, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand confirma l’ordonnance entreprise considérant que le nouveau MAE ne contenait pas d’éléments de nature à conclure autrement que dans son arrêt du 31 octobre 2013, et ce notamment eu égard aux pièces déposées par N.J.E. et en particulier les observations finales du Comité des droits de l’homme des Nations Unies relatives au sixième rapport périodique de l’Espagne (adoptées lors de sa session du 29 juin au 24 juillet 2015) qui sommait « une fois de plus » les autorités espagnoles de mettre fin à la détention incommunicado et d’assurer au suspect le libre choix du conseil, la possibilité de s’entretenir de manière confidentielle avec celui-ci et sa présence lors des auditions.

21. Le 15 juillet 2016, le parquet fédéral se pourvut en cassation invoquant notamment une violation de l’article 4, 5o de la loi relative au MAE en ce que la référence aux observations du Comité des droits de l’homme n’était pas suffisante pour renverser la présomption de respect des droits de l’homme.

22. Par un arrêt du 27 juillet 2016, la Cour de cassation rejeta le pourvoi au motif notamment que le moyen invoqué reposait sur une lecture incomplète de l’arrêt attaqué.

2. LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS
1. La décision-cadre 2002/584/JAI

23. La Cour renvoie pour les besoins de la présente affaire à l’arrêt Pirozzi c. Belgique (no 21055/11, §§ 24-29, 17 avril 2018) pour l’énoncé des dispositions pertinentes de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative au MAE et aux procédures de remise entre États membres ainsi que le résumé de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») y afférente.

24. Il y a lieu maintenant de faire également mention de l’arrêt Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie) (affaire C-220/18 PPU, arrêt du 25 juillet 2018). Précisant la méthodologie développée dans l’arrêt Aranyosi et Căldăraru (affaires jointes C‑404/15 et C‑659/15, arrêt du 5 avril 2016), cet arrêt détermine l’étendue du contrôle devant être effectué par l’État membre d’exécution lorsque celui-ci dispose d’éléments faisant craindre l’existence de défaillances systémiques ou généralisées des conditions de détention au sein d’établissements pénitentiaires de l’État d’émission. Il dit en substance, d’une part, que l’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier les seules conditions de détention concrètes et précises de la personne concernée qui sont pertinentes pour déterminer si celle-ci courra un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, et d’autre part, que lorsque l’autorité d’émission a donné l’assurance que la personne concernée ne fera pas l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant, l’autorité d’exécution doit, eu égard à la confiance réciproque entre États membres, se fier à celle-ci, en l’absence de tout élément précis permettant de penser que les conditions de détentions sont contraires à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE.

2. La loi du 19 décembre 2003 relative au MAE

25. En Belgique, la décision-cadre précitée a été transposée par la loi du 19 décembre 2003 relative au MAE, dont les dispositions pertinentes sont les suivantes :

« Art. 2. § 1er. L’arrestation et la remise de personnes recherchées pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté entre la Belgique et les autres États membres de l’Union européenne sont régies par la présente loi.

§ 2. L’arrestation et la remise s’effectuent sur la base d’un mandat d’arrêt européen.

§ 3. Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par l’autorité judiciaire compétente d’un État membre de l’Union européenne, appelée autorité judiciaire d’émission, en vue de l’arrestation et de la remise par l’autorité judiciaire compétente d’un autre État membre, appelée autorité d’exécution, d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privative de liberté.

(...)

Art. 3. Un mandat d’arrêt européen peut être émis pour des faits punis par la loi de l’État membre d’émission d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté privative de liberté d’un maximum d’au moins douze mois ou, lorsqu’une condamnation à une peine est intervenue ou qu’une mesure de sûreté a été infligée, pour autant qu’elles soient d’une durée d’au moins quatre mois.

Art. 4. L’exécution d’un mandat d’arrêt européen est refusée dans les cas suivants :

1o si l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt est couverte par une loi d’amnistie en Belgique, pour autant que les faits aient pu être poursuivis en Belgique en vertu de la loi belge ;

2o s’il résulte des informations à la disposition du juge que la personne recherchée a été définitivement jugée pour les mêmes faits en Belgique ou dans un autre État membre à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de l’État membre de condamnation, ou lorsque la personne concernée a fait l’objet en Belgique ou dans un autre État membre d’une autre décision définitive pour les mêmes faits qui fait obstacle à l’exercice ultérieur de poursuites ;

3o si la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut encore être, en vertu du droit belge, tenue pénalement responsable des faits à l’origine du mandat d’arrêt européen en raison de son âge ;

4o lorsqu’il y a prescription de l’action publique ou de la peine selon la loi belge et que les faits relèvent de la compétence des juridictions belges ;

5o s’il y a des raisons sérieuses de croire que l’exécution du mandat d’arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 du traité sur l’Union européenne.

(...)

Art. 11. § 1er. Dans les vingt-quatre heures qui suivent la privation effective de liberté, la personne concernée est présentée au juge d’instruction, qui l’informe : 1o de l’existence et du contenu du mandat d’arrêt européen; 2o de la possibilité qui lui est offerte de consentir à sa remise à l’autorité judiciaire d’émission; 3o du droit de choisir un avocat et un interprète.

Il est fait mention de cette information au procès-verbal d’audition.

(...)

Art. 15. Si le juge d’instruction estime que les informations communiquées par l’Etat membre d’émission dans le mandat d’arrêt européen sont insuffisantes pour permettre la décision sur la remise, il demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires et peut fixer une date limite pour leur réception, en tenant compte de la nécessité de respecter le délai fixé à l’article 16, § 1er.

(...) »

3. La compétence pénale extraterritoriale des tribunaux belges

26. L’article 4 du code pénal belge prévoit que :

« L’infraction commise hors du territoire du royaume, par des Belges ou par des étrangers, n’est punie, en Belgique, que dans les cas déterminés par la loi. »

27. Les dispositions pertinentes quant à la compétence pénale extraterritoriale des tribunaux belges figurent au titre préliminaire du CIC :

Article 6

« Pourra être poursuivi en Belgique tout Belge ou toute personne ayant sa résidence principale sur le territoire du Royaume qui, hors du territoire du royaume, se sera rendu coupable :

1o D’un crime ou d’un délit contre la sûreté de l’État;

1obis. D’une violation grave du droit international humanitaire définie dans le livre II, titre Ibis, du Code pénal;

1oter d’une infraction terroriste visée au Livre II, Titre Iter, du Code pénal.

2o D’un crime ou d’un délit contre la foi publique prévu par les chapitres Ier, II et III du titre III du livre II du Code pénal ou d’un délit prévu par les articles 497 et 497bis, si le crime ou le délit a pour objet l’euro soit des monnaies ayant cours légal en Belgique ou des objets destinés à leur fabrication, contrefaçon, altération ou falsification, soit des effets, papiers, sceaux, timbres, marques ou poinçons de l’État ou des administrations ou établissements publics belges.

3o D’un crime ou d’un délit contre la foi publique prévu par les mêmes dispositions, si le crime ou le délit a pour objet soit des monnaies n’ayant pas cours légal en Belgique ou des objets destinés à leur fabrication, contrefaçon, altération ou falsification, soit des effets, papiers, sceaux, timbres, marques ou poinçons d’un pays étranger.

La poursuite, dans ce dernier cas, ne pourra avoir lieu que sur l’avis officiel donné à l’autorité belge par l’autorité étrangère. »

Article 7

« § 1. Tout Belge ou toute personne ayant sa résidence principale sur le territoire du Royaume qui, hors du territoire du Royaume, se sera rendu coupable d’un fait qualifié crime ou délit par la loi belge pourra être poursuivi en Belgique si le fait est puni par la législation du pays où il a été commis.

§ 2. Si l’infraction a été commise contre un étranger, la poursuite ne pourra avoir lieu que sur réquisition du ministère public et devra, en outre, être précédée d’une plainte de l’étranger offensé ou de sa famille ou d’un avis officiel donné à l’autorité belge par l’autorité du pays où l’infraction a été commise.

Dans le cas où l’infraction a été commise, en temps de guerre, contre un ressortissant d’un pays allié de la Belgique au sens du deuxième alinéa de l’article 117 du Code pénal, l’avis officiel peut également être donné par l’autorité du pays dont cet étranger est ou était ressortissant. »

3. AUTRE TEXTE internationaL pertinent

28. Dans ses observations finales sur le sixième rapport périodique de l’Espagne adoptées lors de sa 3192e réunion tenue le 20 juillet 2015, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies fit part de son analyse de la détention incommunicado en ces termes :

« 17. The Committee reiterates its concern at the practice of court-authorized incommunicado detention. The Committee notes the initiative to reform the Code of Criminal Procedure and the information provided by the State party concerning the reduced use of incommunicado detention, but regrets that the reform does not abolish incommunicado detention or guarantee all the rights set out in article 14 of the Covenant, including the right to legal aid (arts. 7, 9, 10 and 14).

The Committee reiterates its previous recommendations (CCPR/C/ESP/CO/5, para. 14) and recommends once again that the State party should take the necessary legislative measures to put an end to incommunicado detention and to guarantee the rights of all detainees to medical services and to freely choose a lawyer whom they can consult in complete confidentiality and who can be present at interrogations. »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

29. Les requérants allèguent une violation de l’article 2 de la Convention de la part des autorités belges en ce que la décision de ne pas exécuter les MAE empêche la poursuite de l’auteure présumée de l’assassinat de leur père par les autorités espagnoles. Les requérants y voient aussi un problème d’accès au tribunal sous l’angle de l’article 6 de la Convention.

30. La Cour rappelle qu’elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions autres que ceux invoqués par les requérants (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018).

31. En l’espèce, constatant que les griefs soulevés par les requérants se confondent, elle estime qu’il convient d’examiner les griefs des requérants sous l’angle du seul article 2 de la Convention, dont la partie pertinente se lit comme suit :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

1. Sur la recevabilité
1. Sur la question de savoir si les requérants relèvent de la juridiction de la Belgique

32. L’article 1er de la Convention se lit ainsi :

« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la (...) Convention. »

a) Thèses des parties

33. Le Gouvernement est d’avis qu’en l’espèce la juridiction de l’État belge au sens de l’article 1er de la Convention ne peut être retenue. Les requérants se trouvent sur le territoire espagnol et les procédures concernant l’assassinat de leur père se sont déroulées et se déroulent encore devant les cours et tribunaux espagnols. Cet assassinat a, par ailleurs, eu lieu en Espagne et aucun lien avec la Belgique n’a été mis en avant. De plus, le refus des autorités belges d’exécuter le MAE est motivé par des considérations tenant au traitement des détenus en Espagne. Ensuite, le Gouvernement fait valoir que s’il est vrai que N.J.E. relève de prime abord aujourd’hui de la juridiction belge, on ne peut en déduire qu’il en va de même des victimes qui ne représentent aucun lien avec cet État. Tout en reconnaissant que la procédure sur l’exécution des MAE ne permettait pas leur intervention et que les décisions litigieuses ont eu un impact (indirect) sur leurs intérêts, le Gouvernement souligne tout de même que les requérants n’ont jamais été parties à des procédures belges.

34. Le Gouvernement soutient que les requérants relèvent essentiellement de la juridiction espagnole et que dès lors ils auraient dû déposer plainte devant la Cour contre l’Espagne. Celle-ci avait la responsabilité première de mener une enquête suite à l’assassinat de leur père en 1981 et d’exercer des poursuites contre les auteurs présumés et N.J.E., en application de l’article 2 de la Convention. La présente affaire se distingue des affaires dans lesquelles la Cour a reconnu que l’État vers lequel l’auteur présumé s’est enfui, peut avoir juridiction au sens de l’article 1er de la Convention. Premièrement, la Belgique n’a jamais ouvert une enquête sur l’assassinat du père des requérants. Deuxièmement, on ne saurait soutenir que l’État belge aurait des obligations découlant de l’article 2 dans le but d’obtenir des éléments de preuve. En effet, il n’en a jamais été question dans la procédure relative au MAE, et vu le temps écoulé entre le meurtre et la première procédure en Belgique, l’idée de pouvoir encore recueillir des preuves est assez illusoire. Troisièmement, le Gouvernement souligne que la Belgique a collaboré avec l’Espagne, et que ce n’est qu’au cours de cette collaboration que les juges belges, appliquant notamment l’article 3 de la Convention, ont décidé de ne pas remettre N.J.E. De ce point de vue, il est clair, selon le Gouvernement, que le préjudice dont se plaignent les requérants ne résulte pas tant du comportement des autorités belges, mais bien de la situation dans les prisons espagnoles au moment du refus.

35. Les requérants font valoir que si, du point de vue pénal, la poursuite des faits de l’espèce relève de l’autorité judiciaire espagnole, cette poursuite n’a pas pu être menée à bout, car l’auteure matérielle s’est soustraite à la compétence des juridictions espagnoles. Ils soutiennent que s’il ne revient pas à la Belgique de réaliser une quelconque tâche d’instruction, stade qui est déjà achevé en Espagne, il lui incombe de permettre, en exécutant le MAE émis en 2015, que N.J.E. puisse être jugée en Espagne. Ils considèrent que l’Espagne a fait tout son possible pour enquêter sur les faits en cause en engageant une enquête indépendante et en effectuant toutes les recherches nécessaires pour la découverte des faits et de ses auteurs.

b) Appréciation de la Cour

36. La Cour rappelle que la « juridiction » au sens de l’article 1er de la Convention est une condition préalable et sine qua non. Elle doit avoir été exercée pour qu’un État contractant puisse être tenu pour responsable des actes ou omissions à lui imputables qui sont à l’origine d’une allégation de violation des droits et libertés énoncés dans la Convention (Güzelyurtlu et autres c. Chypre et Turquie [GC], no 36925/07, § 178, 29 janvier 2019).

37. La Cour rappelle également que dans le contexte du volet procédural de l’article 2 à propos de décès intervenus sous une juridiction différente de celle de l’État dont l’obligation procédurale d’enquêter est censée être en jeu, la Grande Chambre a récemment précisé que, si aucune enquête ou procédure n’a été engagée à propos d’un décès ne relevant pas de la juridiction de l’État défendeur, un lien juridictionnel peut néanmoins être établi et une obligation procédurale découlant de l’article 2 peut s’imposer à cet État. Bien qu’une obligation n’entre en jeu en principe que pour l’État contractant sous la juridiction duquel la victime se trouvait au moment de son décès, des « circonstances propres » à l’espèce peuvent justifier de s’écarter de cette approche (ibidem, § 190, se référant à Rantsev c. Chypre et la Russie, no 25965/04, §§ 243-244, CEDH 2010 (extraits)).

38. En l’espèce, le grief que les requérants tirent de l’article 2 de la Convention à l’égard de la Belgique concerne le manquement allégué des autorités belges à coopérer avec les autorités espagnoles en prenant les mesures nécessaires pour permettre que l’auteure présumée de l’assassinat de leur père, réfugiée en Belgique, soit jugée en Espagne.

39. À la différence des affaires Güzelyurtlu et autres et Rantsev précitées, le grief tiré de l’article 2 ne repose donc pas sur l’affirmation d’un manquement de la Belgique à une éventuelle obligation procédurale d’enquêter elle-même sur cet assassinat.

40. Cela étant dit, la Cour n’y voit pas un motif pour distinguer la présente affaire pour ce qui est de déterminer l’existence d’un lien juridictionnel avec la Belgique et considère qu’il y a lieu d’appliquer les principes énoncés à cet égard dans son arrêt Güzelyurtlu et autres.

41. Appliquant mutatis mutandis la jurisprudence précitée (voir paragraphe 37, ci-dessus), la Cour note que N.J.E., auteure présumée de l’assassinat, s’est réfugiée en Belgique et s’y trouve depuis. Dans le cadre de l’existence d’engagements de coopération en matière pénale liant les deux États concernés, en l’occurrence dans le cadre du système du MAE (voir paragraphes 23-24, ci‑dessus), les autorités belges ont ensuite été informées de l’intention des autorités espagnoles de poursuivre N.J.E., et sollicitées de procéder à son arrestation et à sa remise.

42. Ces circonstances propres à l’espèce suffisent à considérer qu’un lien juridictionnel existe entre les requérants et la Belgique au sens de l’article 1er de la Convention concernant le grief soulevé par les requérants sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Güzelyurtlu et autres, précité, §§ 194-196).

43. La Cour conclut donc qu’il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire d’incompatibilité ratione loci soulevée par le Gouvernement. Elle devra au moment où elle appréciera ce grief sur le fond, déterminer l’étendue et la portée de l’obligation procédurale de coopérer incombant à la Belgique dans les circonstances de l’espèce.

2. Sur la qualité de victime des requérants

a) Thèses des parties

44. Le Gouvernement estime qu’il faut s’interroger sur le lien de cause à effet entre le refus opposé par les juridictions belges et une hypothétique absence de reconnaissance in fine de la responsabilité de N.J.E. Par ailleurs, il y a lieu d’observer que le MAE était une option choisie par les autorités espagnoles et que face au refus des autorités belges, elles auraient également pu explorer d’autres pistes. D’autres procédures doivent pouvoir être entamées, telle qu’une procédure in absentia en Espagne. Le raisonnement des requérants selon lequel la Constitution espagnole interdit une telle procédure, et que les autorités belges devraient dès lors se montrer plus « coopératives », n’est pas sans poser de problèmes dans la mesure où il fait dépendre les obligations de la Belgique découlant de l’article 2 de la Convention des prescrits constitutionnels espagnols, alors même qu’on ne peut leur reprocher d’avoir respecté leurs obligations découlant de l’article 3 de la Convention.

45. Les requérants, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, affirment leur qualité de victime en raison de leur qualité d’enfant de la personne assassinée. Ils affirment que compte tenu des dispositions tant en droit espagnol qu’en droit belge, l’émission d’un MAE par les autorités espagnoles constituait la seule voie appropriée pour obtenir la poursuite de N.J.E. Ils attribuent le fait que N.J.E. ne puisse être poursuivie au seul comportement des autorités belges. À cet égard, les requérants expliquent que s’il n’est pas possible en Espagne de prononcer une peine par défaut c’est pour éviter qu’il ne soit porté atteinte au droit à un procès équitable tel qu’il est garanti par l’article 24.1 de la Constitution espagnole. Cette interdiction concerne les faits punis d’une peine privative de liberté supérieure à un an (article 841 du code de procédure pénale).

b) Observations des tiers intervenants

46. Le gouvernement espagnol confirme que le refus des autorités judiciaires belges a pour conséquence que la personne recherchée ne sera jamais poursuivie pour sa participation à l’assassinat. Si la remise à l’Espagne n’a pas lieu, N.J.E. ne pourra pas être poursuivie devant les tribunaux espagnols. De plus, il fait valoir que, d’après ce qui a été exposé par les tribunaux belges eux-mêmes, N.J.E., au cas où elle ne serait pas remise à l’Espagne, ne pourrait en aucun cas être jugée devant les tribunaux belges.

47. N.J.E. souligne qu’une victime partie civile ne peut pas intervenir dans la procédure d’exécution d’un MAE étant donné que les juridictions d’instruction ne jugent pas le fond de l’affaire ni les dommages et intérêts. Elles renvoient seulement un suspect vers le pays où une enquête judiciaire contre lui est en cours. La partie civile ne relève pas davantage de la juridiction des juridictions précitées étant donné que la procédure d’exécution d’un MAE est une procédure entre États comme il ressort de la décision-cadre de l’UE et la loi belge relative au MAE.

c) Appréciation de la Cour

48. La Cour renvoie aux principes applicables à l’exigence de qualité de victime posée par l’article 34 de la Convention tels qu’exposés notamment dans l’arrêt Vallianatos et autres c. Grèce ([GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 47, CEDH 2013 (extraits)).

49. La Cour rappelle notamment qu’elle a admis que les membres de la famille proche d’une personne dont il est allégué que le décès ou la disparition engage la responsabilité de l’État peuvent eux-mêmes se prétendre les victimes indirectes de la violation alléguée de l’article 2 de la Convention (voir, par exemple, McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, CEDH 2001‑III (pour des enfants), et Van Colle c. Royaume-Uni, no 7678/09, § 86, 13 novembre 2012 (pour des parents)).

50. Eu égard à cette jurisprudence, la Cour considère en l’espèce que les requérants disposent de la qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention.

3. Sur l’épuisement des voies de recours internes

a) Thèses des parties

51. Le Gouvernement estime que les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes. Bien que l’une des requérants se soit constituée partie civile dans le procès pénal mené devant les juridictions espagnoles, cela n’est pas pertinent dans la mesure où leur requête est dirigée uniquement contre la Belgique. Or, si l’État belge est le seul à être visé par la requête, les requérants n’ont pas entrepris de démarches procédurales en Belgique mise à part une correspondance « informelle, de courtoisie » entre une des requérants et le premier président de la Cour de cassation. Le Gouvernement concède qu’il ne peut être reproché aux requérants de ne pas être intervenus dans la procédure sur l’exécution du MAE en tant que victimes des faits imputés puisque cette procédure concernait essentiellement le ministère public et la personne arrêtée dont la remise était demandée. Cela étant, il ressort, selon lui, du courrier du 27 novembre 2014 du premier président de la Cour de cassation (voir ci‑dessus paragraphe 16) qu’une porte était ouverte au dialogue afin d’envisager avec le parquet fédéral les moyens de surmonter le refus d’exécution du MAE. Dans ses observations supplémentaires, le Gouvernement évoque aussi la possibilité qu’avaient les requérants d’intenter une procédure en référé ou une action en responsabilité civile.

52. Les requérants estiment quant à eux qu’ils ont épuisé les recours internes en Espagne, l’une des requérants s’étant constituée partie civile dans le procès pénal mené devant les juridictions espagnoles concernant l’assassinat de leur père. S’agissant de la Belgique, ils estiment que les voies internes ont été épuisées par le biais des recours du procureur fédéral belge, étant donné la fonction de représentation des victimes qu’occupe ce dernier, et sans qu’ils ne puissent engager d’autre recours ou démarche procédurale. À leur avis, la lettre leur adressée par le premier président de la Cour de cassation ne peut s’apprécier que comme une réponse courtoise et informelle aux victimes.

b) Appréciation de la Cour

53. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit être appliquée avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif, étant donné le contexte de protection des droits de l’homme. La Cour a de plus admis que cette règle ne s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en contrôlant son respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause (Vučković et autres c. Serbie ([GC], no 17153/11, §§ 69-77, 25 mars 2014, et Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, §§ 83-84, 9 juillet 2015, et références citées).

54. En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe au gouvernement défendeur de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits. Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le gouvernement défendeur a en fait été employé ou bien que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause, ou encore que certaines circonstances particulières dispensaient l’intéressé de l’exercer (Vučković et autres, précité, § 77, et Gherghina, décision précitée, §§ 88-89, et références citées).

55. Se tournant vers les circonstances particulières de l’espèce, la Cour note que les autorités espagnoles ont ouvert une enquête pénale dans cette affaire et que l’une des requérants s’était constitué partie civile dans cette procédure pénale engagée contre N.J.E. en Espagne. Toutefois, est en cause en l’espèce la procédure d’exécution du MAE devant les juridictions belges, qui est directement à l’origine de l’actuelle impossibilité de poursuivre N.J.E., procédure dans laquelle ni la participation ni l’intervention des requérants n’est prévue que ce soit par la décision-cadre ou par la loi belge.

56. Quant à l’argument du Gouvernement fondé sur la lettre du premier président de la Cour de cassation et selon lequel les requérants auraient pu prendre contact avec le parquet fédéral belge en vue de trouver les moyens de surmonter le refus d’exécution du MAE, la Cour estime que cette possibilité est vague et spéculative et ne saurait être considérée comme susceptible de remédier directement à la situation incriminée ou présentant des perspectives raisonnables de succès (voir, notamment paragraphes 11 et 26, ci‑dessus).

57. En ce qui concerne le référé et l’action en responsabilité civile, la Cour relève que le Gouvernement n’a produit aucun élément à l’appui de son allégation qui serait de nature à démontrer le caractère effectif de ces recours en l’espèce.

58. Aussi, s’il est vrai que les requérants n’ont pas fait usage des voies suggérées par le Gouvernement, la Cour estime que le Gouvernement, auquel la charge de la preuve incombe en la matière (voir paragraphe 54, ci‑dessus), n’a pas démontré que l’usage des recours qu’il a évoqués aurait été de nature à offrir réparation aux requérants quant à leur grief sous l’angle de l’article 2 de la Convention.

59. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la requête ne saurait être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.

4. Le délai de six mois

a) Thèses des parties

60. Le Gouvernement soulève enfin une exception tirée du non‑respect du délai de six mois. Il considère en effet que le préjudice dont se plaignent les requérants trouve son origine, non pas dans le refus d’exécuter le MAE de 2015, mais bien dans le refus par la chambre des mises en accusation le 31 octobre 2013, confirmé par la Cour de cassation le 19 novembre 2013, d’exécuter les MAE de 2004 et 2005. Il reproche dès lors aux requérants de ne pas avoir contesté devant la Cour ce premier refus. La chambre des mises en accusation a d’ailleurs considéré, le 14 juillet 2016, que le MAE de 2015 ne contenait aucun élément nouveau par rapport à ceux de 2004 et de 2005.

61. Les requérants font valoir que les informations relatives au suivi effectué par le CPT, évoquées par le MAE émis le 8 mai 2015, clarifiaient la situation dans les prisons espagnoles et les conditions du régime de détention applicable à des terroristes présumés, et ont conduit l’autorité judiciaire espagnole à décerner ce nouveau MAE dont le refus d’exécution est à l’origine d’un nouveau délai de six mois. Ils estiment dès lors que ce délai a commencé à courir le 27 juillet 2016, soit la date du dernier arrêt de la Cour de cassation qui a mis un terme à la procédure interne.

b) Appréciation de la Cour

62. En l’espèce, la Cour constate que si la première procédure de remise s’est en effet achevée par un arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 2013, le Gouvernement n’avance pas d’élément pour démontrer que les requérants, qui n’étaient pas partie à la procédure litigieuse, étaient à ce moment-là informés de ce développement. Ce n’est qu’à partir du moment où les requérants se sont adressés au premier président de la Cour de cassation le 17 novembre 2014 (voir paragraphe 16 ci-dessus) qu’il peut être considéré avec certitude qu’ils étaient au courant du refus des autorités belges. Or, le 8 mai 2015, soit dans les six mois suivant ce contact, un autre MAE à l’appui de nouveaux éléments a été émis par le juge espagnol (voir paragraphe 17 ci-dessus). S’en est suivi une nouvelle procédure d’exécution de MAE qui s’est achevée par un arrêt de la Cour de cassation du 27 juillet 2016.

63. Rappelant que l’article 35 § 1 de la Convention ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne, la Cour considère que le délai de six mois en l’espèce a commencé à courir le 27 juillet 2016.

64. A la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par le Gouvernement relative à la tardivité de l’introduction de la requête.

5. Conclusion sur la recevabilité

65. La Cour constate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Aucun autre motif d’irrecevabilité n’ayant été établi, elle doit être déclarée recevable.

2. Sur le fond
1. Thèses des parties

a) Les requérants

66. Les requérants soutiennent que le refus de l’État belge d’exécuter les MAE émis par les autorités espagnoles à l’égard de l’auteure matérielle présumée de l’assassinat de leur père est injustifié et manifestement déraisonnable et, par conséquent porte atteinte à l’article 2 de la Convention dans son volet procédural. Il rend en effet impossible, sur la base d’une appréciation arbitraire de l’une des exceptions prévues pour procéder à l’exécution d’un MAE, que l’auteure présumée de l’assassinat de leur père soit jugée.

67. Les requérants estiment que, même si les juridictions belges ont pu constater l’existence d’un risque d’atteinte aux droits fondamentaux de N.J.E., elles n’auraient pas dû refuser sa remise pour ce seul motif. En effet, les juridictions belges étaient tenues d’individualiser le risque allégué en cause, en examinant l’impact concret et spécifique que la remise pouvait avoir sur N.J.E. Pour ce faire, elles auraient dû demander davantage d’informations aux autorités espagnoles au sujet des conditions de détention auxquelles N.J.E. aurait été soumise, le cas échéant. Cela aurait permis à l’Espagne, en tant qu’État émetteur du MAE, de fournir des assurances que N.J.E. ne serait pas soumise à un traitement inhumain ou dégradant.

68. Quant aux motifs retenus par les juridictions belges, les requérants estiment que ceux-ci sont d’ordre politique et non pas juridique, et sont inexacts. Lors de la deuxième procédure de remise, les juridictions belges se sont bornées à récupérer l’argumentation avancée par la chambre des mises en accusation de Gand dans son ordonnance du 31 octobre 2013, reprenant ainsi une histoire « fausse, erronée et déplacée » de l’Espagne.

69. Contrairement à l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce ([GC] (no 30696/09, CEDH 2011), en l’espèce les rapports internationaux ne sont pas suffisants pour renverser la présomption de respect des droits de l’homme. Les déficiences mises en évidence ont trait exclusivement aux conditions de détention au secret qui ne s’applique pas dans le cas d’une remise demandée aux fins de poursuites judiciaires comme en l’espèce. Les requérants affirment que compte tenu du temps écoulé depuis les faits litigieux et « les circonstances légales d’application » n’étant pas réunies (voir paragraphe 78, ci-dessous) et eu égard au fait que les autres membres du commando ont déjà été condamnés, en aucun cas le régime de la détention policière au secret ne sera applicable à N.J.E. Celle-ci serait mise à disposition judiciaire immédiatement. Ils reprochent aux autorités belges de ne pas avoir pris ces informations auprès des autorités espagnoles.

70. Enfin, s’appuyant sur un rapport du secrétariat d’État à la sécurité du Ministère de l’intérieur espagnol, les requérants font valoir qu’entre 2011 et 2017, des MAE émis par les autorités judiciaires espagnoles et concernant 70 personnes liées à l’organisation terroriste ETA ont été exécutés sans que les pays d’exécution des MAE (dont la France, le Royaume-Uni, l’Italie) y aient vu des risques de violation des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet de la remise. Qui plus est, il ressort de ce rapport que la Belgique elle-même a procédé à l’exécution de quatre MAE émis par l’Audiencia Nacional à l’encontre de membres présumés de l’ETA (en 2005, 2010 et en 2011).

b) Le gouvernement belge

71. Le gouvernement belge souligne que les obligations découlant de l’article 2 dans son volet procédural pèsent en premier lieu sur l’État espagnol. S’il est vrai que la Cour a indiqué que lorsque plusieurs États étaient impliqués, les autres États pouvaient également avoir des obligations découlant de l’article 2 de la Convention, il y a lieu de considérer en l’espèce que la Belgique s’est acquittée de ses obligations de coopération. Les autorités judiciaires belges ont arrêté N.J.E. Ce n’est qu’ensuite, au cours de la procédure devant les juridictions d’instruction, qu’il est devenu clair que la remise ne pouvait pas se faire du fait d’un risque réel de mauvais traitement de N.J.E. dans les prisons espagnoles. Ainsi, quand bien même les autorités belges ont voulu collaborer avec l’Espagne, les obligations découlant de l’article 3 de la Convention ont empêché que cette collaboration aboutisse à la remise de N.J.E.

72. À cet égard, le Gouvernement souligne la situation pour le moins inconfortable dans laquelle les autorités belges se trouvent. En effet, quel que soit le choix des autorités belges, elles risquent de violer la Convention. Cette situation est d’autant plus regrettable que la Belgique n’est responsable ni de l’enquête pénale en Espagne, ni de la situation dans les prisons espagnoles et qu’il n’y a aucune instruction ou information menée en Belgique.

73. Dans une telle situation, le rôle de la Cour est de vérifier si les autorités nationales ont trouvé un juste équilibre entre les droits en cause, et ont pris en compte tous les éléments en cause. À cet égard, étant donné le caractère absolu de l’article 3, il y a lieu de considérer comme étant normal que les autorités judiciaires belges aient privilégié la protection de ce droit absolu à leurs obligations de coopération dans le cadre du volet procédural de l’article 2.

74. Le Gouvernement souligne par ailleurs que les juridictions belges se sont fondées sur des rapports du CPT et du Comité des droits de l’homme des Nations Unies. Par conséquent, il ne saurait être soutenu qu’elles ont pris des décisions à la légère, de façon arbitraire et sans disposer d’éléments crédibles à l’appui.

75. Le Gouvernement fait enfin valoir que la présomption de protection des droits de l’homme qui prévaut dans la logique de la confiance mutuelle entre États-membres de l’UE et dans laquelle s’inscrit le MAE, n’est pas une « présomption irréfutable ». Se référant aux considérants 12 et 13 de la décision-cadre relative au MAE ainsi qu’à l’article 4, 5o de la loi belge relative au MAE, le Gouvernement fait valoir que le principe de confiance mutuelle ne saurait supplanter l’obligation des États parties à la Convention de s’assurer qu’un éloignement ne risque pas de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée dans l’État de destination.

76. Rappelant qu’en l’espèce personne ne met en question que N.J.E. est d’origine basque et est soupçonnée d’avoir été impliquée dans des activités de l’ETA, le Gouvernement estime que les deux conditions posées par la Cour sur le terrain de l’article 3 de la Convention – à savoir, la disponibilité de rapports internationaux fiables démontrant l’existence des risques en question et le fait de démontrer, pour un requérant, qu’il appartient à un groupe visé par les mesures prétendument contraires à cette disposition – ont été remplies en l’espèce.

77. Le Gouvernement conclut qu’eu égard aux éléments dont les juridictions belges disposaient au moment de prendre leurs décisions et vu les obligations découlant de l’article 3 de la Convention, elles ont agi dans le plein respect des obligations conventionnelles de la Belgique et qu’il ne peut leur être reproché d’avoir méconnu l’article 2 de la Convention.

c) Observations des tiers intervenants

78. Le gouvernement espagnol souligne que le refus des autorités belges d’exécuter le MAE s’appuie sur des considérations générales et fausses, et non sur une quelconque circonstance concrète qui serait applicable à la personne recherchée. Il fait notamment valoir, sur base du rapport sur la législation espagnole réglant la garde à vue au secret citée dans le MAE, que celle‑ci ne serait pas applicable à N.J.E. En effet, ce régime juridique ne s’applique que durant les cinq jours suivant la première détention du terroriste présumé afin d’éviter la déperdition de preuves ou l’aggravation du dommage causé aux victimes ou d’autres attentats. À cela s’ajoute que l’Espagne est une démocratie mûre de presque 40 ans de fonctionnement, avec une des constitutions les plus avancées dans la défense des droits de l’homme, et est le pays avec le moins d’affaires devant la Cour en termes relatifs. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, le gouvernement espagnol conclut qu’il n’existe aucun risque sérieux ni réel que N.J.E. subisse une quelconque violation de l’article 3 par le fait d’être traduite en justice en Espagne.

2. Appréciation de la Cour

79. La Cour ayant précédemment conclu que les requérants relèvent de la juridiction de la Belgique, elle doit maintenant déterminer l’étendue et la portée de l’obligation procédurale de coopérer incombant à la Belgique dans les circonstances de l’espèce (voir paragraphes 42-43, ci-dessus). Elle devra ensuite rechercher dans quelle mesure la Belgique s’est conformée à cette obligation.

80. La Cour observe que le grief que les requérants tirent de l’article 2 de la Convention trouve son origine dans le refus par les juridictions belges d’exécuter les MAE émis par les autorités espagnoles à l’égard de N.J.E. Ils se plaignent que la jouissance de leur droit à ce qu’une enquête officielle effective soit menée par l’Espagne est empêchée par le refus des autorités belges d’exécuter les MAE. Ainsi qu’elle l’a déjà souligné, la question qui est portée à la Cour n’est donc pas de savoir si la Belgique est responsable d’actes ou d’omissions procédurales dans le cadre d’une enquête sur l’affaire, laquelle relève exclusivement de la juridiction des autorités espagnoles.

81. Cela étant dit, la Cour rappelle que dans l’arrêt Güzelyurtlu et autres (précité, § 232-235), elle s’est exprimée sur ce terrain en ces termes :

« 232. La Cour a déjà dit que lorsqu’elle interprète la Convention, elle doit tenir compte du caractère singulier de ce traité de garantie collective des droits de l’homme et des libertés fondamentales [...]. Ce caractère collectif peut, dans des circonstances spécifiques, impliquer pour les États contractants l’obligation d’agir conjointement et de coopérer de manière à protéger les droits et libertés qu’ils se sont engagés à reconnaître à toute personne relevant de leur juridiction [...]. Dans les affaires dans lesquelles, pour être effective, l’enquête sur un homicide illicite survenu dans la juridiction d’un État contractant nécessite la participation de plus d’un État contractant, la Cour estime que le caractère singulier de la Convention, en tant que traité de garantie collective, emporte en principe une obligation de la part des États concernés de coopérer de manière effective les uns avec les autres afin d’éclaircir les circonstances de l’homicide et d’en faire traduire les auteurs en justice.

233. La Cour considère par conséquent que l’article 2 peut imposer aux deux États une obligation bilatérale de coopérer l’un avec l’autre, impliquant dans le même temps une obligation de solliciter une assistance et une obligation de prêter son assistance. La nature et l’étendue de ces obligations dépendront inévitablement des circonstances de chaque espèce, par exemple du point de savoir si les principaux éléments de preuve se trouvent sur le territoire de l’État contractant concerné ou si les suspects s’y sont réfugiés.

234. Pareille obligation va dans le sens de la protection effective du droit à la vie garantie par l’article 2. De fait, conclure autrement irait à l’encontre de l’obligation qu’impose l’article 2 à l’État de protéger le droit à la vie, combinée avec le devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », avec pour résultat de faire obstacle aux enquêtes sur les homicides illicites, dont les auteurs resteraient alors nécessairement impunis. Pareil résultat pourrait compromettre le but même de la protection assurée par l’article 2 et rendre illusoires les garanties attachées au droit à la vie. Or l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives [...].

235. La Cour note toutefois que l’obligation de coopérer qui incombe aux États au titre du volet procédural de l’article 2 ne peut être qu’une obligation de moyens et non de résultat, dans le droit fil de ce qu’elle a établi concernant l’obligation d’enquêter [...]. Cela signifie que les États concernés doivent prendre toutes les mesures raisonnables envisageables pour coopérer les uns avec les autres et épuiser de bonne foi les possibilités que leur offrent les instruments internationaux applicables relatifs à l’entraide judiciaire et à la coopération en matière pénale. À cet égard, la Cour sait que la coopération entre États contractants ne peut s’opérer dans un vide juridique ; des modalités formalisées spécifiques de coopération entre États se sont d’ailleurs développées en droit pénal international. Cette approche concorde avec celle déployée dans les affaires transnationales antérieures traitées sous l’angle du volet procédural des articles 2, 3 et 4, dans lesquelles la Cour a généralement fait référence aux instruments liant les États concernés dans les domaines de l’extradition ou de l’entraide (...).

236. (...) Dans ce contexte, il n’y aura manquement à l’obligation procédurale de coopérer de la part de l’État tenu de solliciter une coopération que si celui-ci n’a pas activé les mécanismes de coopération appropriés prévus par les traités internationaux pertinents, ou, de la part de l’État requis, que si celui-ci n’a pas répondu de façon appropriée ou n’a pas été en mesure d’invoquer un motif légitime de refuser la coopération demandée en vertu de ces traités internationaux. »

82. En l’espèce, le mécanisme dans le cadre duquel l’Espagne a sollicité la coopération de la Belgique est le système mis en place au sein de l’UE par la décision-cadre relative au MAE (voir paragraphe 23-24, ci‑dessus). Appliquant les principes rappelés ci-dessus, la Cour doit donc d’abord examiner si, dans ce cadre, les autorités belges ont apporté une réponse appropriée à la demande de coopération. Ensuite, elle doit vérifier si le refus de coopérer reposait sur des motifs légitimes.

83. Sur le premier point, la Cour observe que les autorités belges ont apporté une réponse dûment motivée à leurs homologues espagnols. Ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation belge, dans son arrêt du 19 novembre 2013, ce mécanisme repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres, lequel implique une présomption de respect par l’État d’émission des droits fondamentaux. Compte tenu de ce principe, le refus de remise doit être justifié par des éléments circonstanciés indiquant un danger manifeste pour les droits fondamentaux de l’intéressé de nature à renverser ladite présomption. En l’espèce, la Cour de cassation a considéré que la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Gand, par son arrêt du 31 octobre 2013, avait légalement justifié, en se basant sur l’article 4, 5o de la loi belge relative aux MAE, sa décision de refus d’exécuter les MAE émis par le juge d’instruction espagnol en raison du risque qu’il soit porté atteinte, en cas de remise à l’Espagne, aux droits fondamentaux de N.J.E., et notamment du risque qu’elle y subisse une détention dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (voir paragraphe 12, ci-dessus). Par son arrêt du 14 juillet 2016, la chambre des mises en accusation s’est essentiellement référée à son arrêt antérieur, estimant que les éléments nouveaux invoqués dans le MAE nouveau ne donnaient pas lieu à une évaluation différente et que l’évaluation antérieure était même confirmée par des observations du Comité des droits de l’homme de 2015 (voir paragraphe 20, ci-dessus).

84. La Cour constate que l’approche ainsi suivie par les juridictions belges correspond aux principes qu’elle a énoncés dans sa jurisprudence (Pirozzi précité, §§ 57-64, qui reprend la méthodologie préconisée dans Avotiņš c. Lettonie [GC], no 17502/07, §§ 105-127, 23 mai 2016) selon lesquels, dans le cadre de l’exécution d’un MAE par un État membre de l’UE, il convient de ne pas appliquer le mécanisme de reconnaissance mutuelle de manière automatique et mécanique, au détriment des droits fondamentaux.

85. Sur le second point, la Cour souligne que, du point de vue de la Convention, un risque de traitement inhumain et dégradant de la personne dont la remise est demandée, à cause des conditions de détention en Espagne, peut constituer un motif légitime pour refuser l’exécution du MAE, et donc pour refuser la coopération avec l’Espagne. Encore faut-il, vu la présence de droits de tiers, que le constat d’un tel risque repose sur des bases factuelles suffisantes.

86. La Cour constate sur ce terrain que la chambre des mises en accusation s’est fondée essentiellement sur des rapports internationaux ainsi que sur le contexte de « l’histoire politique contemporaine de l’Espagne » (voir paragraphe 12, ci-dessus). Dans son arrêt du 31 octobre 2013, elle s’est notamment référée à un rapport établi à la suite de la visite périodique du CPT effectuée quelques années auparavant, à savoir en 2011. En dépit des informations fournies à l’appui du MAE émis le 8 mai 2015 notamment sur le silence des rapports ultérieurs du CPT et sur les caractéristiques de la détention incommunicado en Espagne (voir paragraphe 17, ci-dessus), la chambre des mises en accusation considéra, dans son arrêt du 14 juillet 2016, qu’elles ne permettaient pas de se départir de son évaluation faite en 2013 (voir paragraphe 20, ci-dessus). Il est vrai que la chambre des mises en accusation se référa à des observations émises en 2015 par le Comité des droits de l’homme au sujet de l’existence de la détention incommunicado, (voir paragraphe 28, ci‑dessus) mais elle n’a pas procédé à un examen actualisé et circonstancié de la situation qui prévalait en 2016 et n’a pas cherché à identifier un risque réel et individualisable de violation des droits de la Convention dans le cas de N.J.E. ni des défaillances structurelles quant aux conditions de détention en Espagne.

87. La Cour constate par ailleurs que selon les observations soumises par le gouvernement espagnol au sujet du cadre législatif entourant le régime de détention incommunicado, un tel régime ne trouverait pas à s’appliquer dans une situation comme celle d’espèce. Cette question n’ayant pas été débattue devant les juridictions belges, la Cour estime ne pas devoir la résoudre elle‑même.

88. La Cour relève également l’argument des requérants, non contesté par le Gouvernement, selon lequel de nombreux MAE ont été émis et exécutés à l’égard de membres présumés de l’ETA sans que les pays d’exécution des MAE y aient vu des risques de violation des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet de la remise, et que parmi les États d’exécution se trouve la Belgique (voir paragraphe 70, ci-dessus).

89. Enfin, la Cour est d’avis que les circonstances de l’espèce et les intérêts en cause auraient dû amener les autorités belges, en faisant usage de la possibilité que la loi belge leur donnait (article 15 de la loi relative au MAE, voir paragraphe 25, ci-dessus), à demander des informations complémentaires quant à l’application du régime de détention dans le cas de N.J.E., plus particulièrement quant à l’endroit et aux conditions de détention, afin de vérifier l’existence d’un risque concret et réel de violation de la Convention en cas de remise.

90. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’examen effectué par les juridictions belges lors des procédures de remise n’a pas été assez complet pour considérer le motif invoqué par elles pour refuser la remise de N.J.E. au détriment des droits des requérants comme reposant sur une base factuelle suffisante.

91. La Cour conclut donc que la Belgique a manqué à l’obligation de coopérer qui découlait pour elle du volet procédural de l’article 2 de la Convention et qu’il y a eu violation de cette disposition.

92. La Cour souligne que ce constat d’une violation de l’article 2 de la Convention n’implique pas nécessairement que la Belgique ait l’obligation de remettre N.J.E. aux autorités espagnoles. C’est l’insuffisance de la base factuelle du motif pour refuser la remise qui a conduit la Cour à constater une violation de l’article 2. Cela n’enlève rien à l’obligation des autorités belges de s’assurer qu’en cas de remise aux autorités espagnoles, N.J.E. ne courra pas de risque de traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Plus généralement, le présent arrêt ne saurait être interprété comme réduisant l’obligation des États de ne pas extrader une personne vers un pays qui demande son extradition lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que l’intéressé, si on l’extrade vers ce pays, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 (voir, notamment, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161, Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 67, CEDH 2005‑I, Trabelsi c. Belgique, no 140/10, § 116, CEDH 2014 (extraits)), et donc de s’assurer qu’un tel risque n’existe pas.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

93. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

94. Les requérants réclament une somme globale de 150 000 euros (« EUR ») au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi du fait de la violation de l’article 2 de la Convention dans son volet procédural.

95. Le Gouvernement estime que le montant réclamé par les requérants ne correspond pas à la pratique de la Cour dans ce genre d’affaires et ne devrait en tout état de cause pas dépasser 5 000 euros.

96. La Cour observe que l’État belge n’est pas responsable du décès du père des requérants ni des souffrances qui en ont découlé. Néanmoins, elle considère que le défaut de coopération de la part des autorités belges qui s’est traduit par l’impossibilité de poursuivre l’auteure présumée de l’assassinat de leur père a dû faire subir à ceux-ci une détresse et une frustration importantes. Statuant en équité comme le veut l’article 41, elle octroie à chacun des requérants 5 000 EUR à ce titre.

2. Frais et dépens

97. Justificatifs à l’appui, les requérants demandent 7 260 EUR pour les frais et dépens engagés pour leur défense devant la Cour.

98. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour.

99. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose, la Cour estime raisonnable la somme demandée pour la procédure devant la Cour et l’accorde aux requérants.

3. Intérêts moratoires

100. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;
2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention (volet procédural) ;
3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 5 000 EUR (cinq mille euros) à chacun des requérants plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 7 260 EUR (sept mille deux cent soixante euros) aux requérants conjointement, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juillet 2019, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stanley NaismithRobert Spano
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Spano, à laquelle se rallie le juge Pavli.

R.S.
S.H.N.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPANO, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE PAVLI

(Traduction)

I.

1. La Convention européenne des droits de l’homme ne vit pas dans l’isolement de son contexte d’application régional. Vingt-huit des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe adhèrent également à l’Union européenne (« l’UE »). Le souci est donc de concilier les garanties minimales en matière de droits de l’homme énoncées dans la Convention et les impératifs d’uniformité et d’harmonisation des normes dans le cadre du droit de l’UE qui doivent aussi être conformes à la Charte des droits fondamentaux de l’UE, dont la substance doit tenir compte des développements au sein de la Cour lorsque les droits tirés de la Charte correspondent à ceux tirés de la Convention (voir article 52 § 3 de la Charte). Ce « souci de symétrie » se manifeste en particulier dans les mécanismes de reconnaissance mutuelle de l’UE qui reposent sur le principe de confiance réciproque, tel qu’examiné dernièrement par la Cour dans son arrêt de Grande Chambre Avotiņš c. Lettonie [GC] (no 17502/07, 23 mai 2016) puis appliqué par la suite dans le contexte du mandat d’arrêt européen (« le MAE ») en l’affaire Pirozzi c. Belgique, no 21055/11, § 60, 17 avril 2018). Les tensions qui peuvent souvent en résulter sont particulièrement notables en l’espèce.

2. En la présente affaire, la Cour est pour la première fois saisie des circonstances actuelles suivantes : les juridictions nationales d’un État membre de l’UE (la Belgique) ont refusé à deux reprises d’exécuter un MAE délivré par un autre État membre de l’UE (l’Espagne) en se fondant sur une appréciation des risques au regard de l’article 3 de la Convention. Or la Cour juge aujourd’hui – à bon droit selon moi – qu’une analyse de ce refus d’exécuter le MAE sous l’angle de l’obligation pour la Belgique de coopérer découlant du volet procédural de l’article 2 de la Convention conduit à la conclusion que le gouvernement défendeur a violé cette disposition de la Convention au motif que la base factuelle sur laquelle le refus reposait était inadéquate.

3. Je rédige une opinion séparée pour souligner les trois éléments suivants que j’estime essentiels pour bien comprendre l’important arrêt rendu aujourd’hui, compte tenu en particulier du contexte du droit de l’UE.

II.

4. Premièrement, dans l’arrêt de la Cour, l’obligation de coopérer découlant du volet procédural de l’article 2 de la Convention, récemment étoffée dans l’arrêt de Grande Chambre Güzelyurtlu et autres c. Turquie et Chypre ([GC], no 36925/07, §§ 222-238, 29 janvier 2019), est appliquée pour la première fois dans une affaire concernant le régime du MAE. En d’autres termes, l’« obligation de coopérer » dépend du contexte en ce qu’elle est fonction du cadre normatif de coopération transnationale applicable au cas d’espèce, ainsi qu’il ressort du paragraphe 235 de l’arrêt Güzelyurtlu, cité au paragraphe 81 du présent arrêt. Lorsque les États membres de l’Union européenne font valoir leurs obligations mutuelles tirées de la décision-cadre 2002/584/JAI de 2002 relative au MAE, telle que transposée dans leurs ordres juridiques respectifs, l’« obligation de coopérer » fondée sur l’article 2 de la Convention peut dans le même temps entrer en jeu. C’est alors à la Cour qu’il incombe d’opérer un contrôle en dernier ressort. Toutefois, la Cour doit rechercher si l’obligation de coopérer a été satisfaite dans le cadre d’un MAE en articulant soigneusement son appréciation d’une manière qui, d’une part, applique les principes déjà établis dans sa jurisprudence relative aux articles 2 et 3 de la Convention, tout en préservant autant que possible, d’autre part, la « symétrie » requise entre le droit de la Convention et le droit de l’UE, de façon à ne pas nuire à l’équilibre délicat qui existe entre les devoirs et obligations découlant du régime de coopération tiré du MAE.

5. Deuxièmement, selon le paragraphe 236 de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Güzelyurtlu, un État dont la coopération est sollicitée dans une enquête en cours dirigée contre une personne soupçonnée d’un meurtre commis sur le territoire de l’État requérant ne peut refuser de coopérer que pour un « motif légitime ». À mes yeux, cette notion comporte deux éléments que la Cour analyse sur une base prima facie. D’une part, le refus doit être conforme en substance aux normes applicables dans le cadre de la coopération transnationale et, d’autre part, il doit trouver suffisamment appui dans les faits que les autorités de l’État requis avancent pour justifier leur décision, compte tenu aussi des droits des tiers tirés de la Convention. C’est ce second élément qui faisait défaut en l’espèce (paragraphes 86 à 90 de l’arrêt) et qui se trouve au cœur du constat de violation opéré par la Cour. Cela dit, comme le paragraphe 92 de l’arrêt le précise bien, ce constat en aucune manière n’implique pour le gouvernement belge l’obligation d’exécuter le MAE délivré par les autorités espagnoles. Il veut simplement dire que le gouvernement belge n’est pas parvenu à convaincre la Cour que les juridictions internes disposaient d’une base factuelle suffisamment solide pour conclure que l’exécution du MAE entraînerait pour l’accusé un risque concret et individuel de mauvais traitement en Espagne, ce qu’exigeait la jurisprudence relative à l’article 3, et en prenant aussi en considération le contexte de la présente espèce (voir, comme exemple le plus récent, A.M. c. France, no 12148/18, §§ 117 et 119, 29 avril 2019).

6. Troisièmement, comme le souligne le paragraphe 234 de l’arrêt Güzelyurtlu, l’obligation de coopérer incombant aux États membres du Conseil de l’Europe « va dans le sens de la protection effective du droit à la vie garanti par l’article 2. De fait, conclure autrement irait à l’encontre de l’obligation qu’impose l’article 2 à l’État de protéger le droit à la vie, combinée avec le devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », avec pour résultat de faire obstacle aux enquêtes sur les homicides illicites, dont les auteurs resteraient alors nécessairement impunis. Pareil résultat pourrait compromettre le but même de la protection assurée par l’article 2 et rendre illusoires les garanties attachées au droit à la vie ».

7. Ainsi qu’il ressort clairement de la jurisprudence constante de la Cour, l’interdiction posée par l’article 3 de la Convention est absolue. Rien dans le présent arrêt ne devrait être interprété dans un autre sens (paragraphe 92 de l’arrêt). Toutefois, l’obligation de protéger effectivement le droit à la vie garanti par l’article 2, et donc de conduire une enquête effective les homicides illicites, impose à l’État requérant, lorsqu’il se prononce sur l’existence ou non d’un risque concret et individualisé de mauvais traitement qui supprimerait la faculté pour lui d’expulser ou d’extrader une personne soupçonnée de meurtre vers le pays où les faits sont survenus et où une enquête est en cours, de s’appuyer sur une base factuelle solide pour conclure que le risque revêt la gravité voulue. À la lumière de ces éléments, l’article 53 de la Convention, qui permet aux États d’offrir un niveau de protection des droits de l’homme plus élevé que celui offert par les garanties minimales de la Convention, n’est pas directement applicable à cet égard ou ne l’est guère.

III.

8. En conclusion, le « souci de symétrie » entre le droit de la Convention et le droit de l’Union européenne est un processus continu qui appelle des solutions d’interprétation méticuleusement élaborées permettant de préserver, autant que possible, la nature et l’intégrité du premier, consacrées par des principes, sans bouleverser l’équilibre institutionnel délicat et les éléments fondamentaux inhérents au second. J’approuve l’arrêt rendu ce jour car à mes yeux il permet justement d’atteindre cet objectif.

ANNEXE

Liste des requérants

1. Jose ROMEO CASTAÑO né en 1964, résidant à Madrid ;
2. María de la Paz ROMEO CASTAÑO née en 1959, résidant à Madrid ;
3. María del Carmen ROMEO CASTAÑO née en 1960, résidant à Madrid ;
4. Monserrat ROMEO CASTAÑO née en 1961, résidant à Madrid ;
5. Ramón ROMEO CASTAÑO né en 1963, résidant à Santoña.

* * *

[1]. 1. Rectifié le 26 novembre 2019 : le texte était le suivant : « Les requérants sont les enfants du lieutenant-colonel Ramón Romeo qui fut assassiné à Bilbao (Espagne) par un commando qui revendiqua son appartenance à l’organisation terroriste ETA le 19 janvier 1981. »


Synthèse
Formation : Cour (deuxiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-194320
Date de la décision : 09/07/2019
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 2 - Droit à la vie (Article 2-1 - Enquête effective) (Volet procédural);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : ROMEO CASTAÑO
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GARCIA BLANCO M.L.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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