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31/01/2019 | CEDH | N°001-189852

CEDH | CEDH, AFFAIRE GÉORGIE c. RUSSIE (I), 2019, 001-189852


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE GÉORGIE c. RUSSIE (I)

(Requête no 13255/07)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

31 janvier 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Géorgie c. Russie (I),

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ganna Yudkivska,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Dmitry De

dov,
Jon Fridrik Kjølbro,
Branko Lubarda,

Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pauliine Koskelo,
Georgios A. Serghides,
Marko Bošnjak, ...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE GÉORGIE c. RUSSIE (I)

(Requête no 13255/07)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

31 janvier 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Géorgie c. Russie (I),

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ganna Yudkivska,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Dmitry Dedov,
Jon Fridrik Kjølbro,
Branko Lubarda,

Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Pauliine Koskelo,
Georgios A. Serghides,
Marko Bošnjak,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Lawrence Early, jurisconsulte.

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 15 février et 7 novembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 13255/07) dirigée contre la Fédération de Russie et dont la Géorgie a saisi la Cour le 26 mars 2007 en vertu de l’article 33 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le gouvernement géorgien (« le gouvernement requérant ») est représenté devant la Cour par son agent, M. Beka Dzamashvili. Il l’a été auparavant successivement par ses anciens agents, MM. Besarion Bokhashvili, David Tomadze et Levan Meskhoradze. Le gouvernement russe (« le gouvernement défendeur ») est représenté par son représentant, M. Mikhail Galperin. Il l’a été auparavant successivement par ses anciens représentants, Mme Veronika Milinchuk et M. Georgy Mayushkin.

2. Par un arrêt rendu le 3 juillet 2014 (« l’arrêt au principal »), la Cour a dit qu’il y a eu à l’automne 2006 la mise en place en Fédération de Russie d’une politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens et qui a constitué une pratique administrative au sens de la jurisprudence de la Convention ; elle a également conclu à la violation notamment de l’article 4 du Protocole no 4, de l’article 5 §§ 1 et 4 et de l’article 3 de la Convention, ainsi que de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 5 § 1 et 3 de la Convention (Géorgie c. Russie (I) [GC], no 13255/07, CEDH 2014 (extraits)).

3. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le gouvernement requérant et le gouvernement défendeur à lui adresser par écrit, dans le délai de douze mois, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (paragraphe 240, et point 17 du dispositif de l’arrêt au principal).

4. Les parties n’étant pas parvenues à un accord, le gouvernement requérant a présenté ses demandes de satisfaction équitable au titre de l’article 41 le 1er juillet 2015, et le gouvernement défendeur a soumis ses premières observations à cet égard le 2 juillet 2015.

5. Le 8 juillet 2015, les parties ont été invitées à soumettre leurs observations respectives en réponse, ce qu’elles firent le 9 octobre 2015.

6. Le 6 novembre 2015, le président de la Grande Chambre, conformément à l’article 60 § 2 du règlement de la Cour (« le règlement »), a invité le gouvernement requérant à soumettre la liste des ressortissants géorgiens victimes d’une « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006 (Géorgie c. Russie (I) précité, § 159). Après une prorogation du délai imparti à cet effet, le gouvernement requérant a déposé une première liste de 345 victimes alléguées, assortie d’annexes, le 1er avril 2016.

7. Le 25 avril 2016, le président de la Grande Chambre, conformément à l’article 60 § 2 du règlement, a invité le gouvernement requérant à soumettre la liste finale des ressortissants géorgiens victimes de cette politique. Le gouvernement requérant a déposé une deuxième liste de 1 795 victimes alléguées (incluant les 345 victimes alléguées figurant sur la première liste), assortie d’annexes, les 31 août et 1er septembre 2016.

8. Le 25 avril 2016, le président de la Grande Chambre, conformément à l’article 38 de la Convention et à l’article 58 § 1 du règlement, a également invité le gouvernement défendeur à soumettre tous les informations et documents pertinents (notamment les ordres d’expulsion et les décisions de justice) concernant les ressortissants géorgiens victimes de ladite politique. Il s’est référé notamment à l’obligation de coopération des États contractants telle qu’énoncée à l’article 44A du règlement et aux conséquences en cas d’absence de coopération figurant à l’article 44C du règlement. Le gouvernement défendeur a soumis ses commentaires au regard de la première liste du gouvernement requérant, assortie d’annexes, le 1er septembre 2016.

9. Le 13 septembre 2016, le Président de la Grande Chambre a invité le gouvernement défendeur à soumettre ses commentaires sur la liste finale (deuxième liste) des victimes alléguées déposée par le gouvernement requérant.

10. Le 14 novembre 2016, le gouvernement requérant a déposé une troisième liste de 21 victimes alléguées, assortie d’annexes. Le 1er décembre 2016, le Président de la Grande Chambre, conformément à l’article 38 § 1 du règlement, a informé les parties que cette liste supplémentaire ne serait pas incluse dans le dossier, au motif qu’elle avait été soumise hors délai.

11. Après une prorogation du délai imparti à cet effet, le gouvernement défendeur a soumis ses commentaires au regard de la liste finale (deuxième liste) du gouvernement requérant, assortie d’annexes, le 13 avril 2017. Après une nouvelle prorogation du délai imparti à cet effet, il a soumis la traduction vers l’anglais des documents pertinents les 30 juin, 12 juillet et 15 août 2017.

12. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

EN DROIT

13. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

14. La partie pertinente de l’article 46 de la Convention se lit ainsi :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

15. L’article 60 du règlement dispose :

« 1. Tout requérant qui souhaite que la Cour lui accorde une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention en cas de constat d’une violation de ses droits découlant de celle-ci doit formuler une demande spécifique à cet effet.

2. Sauf décision contraire du président de la chambre, le requérant doit soumettre ses prétentions, chiffrées et ventilées par rubrique et accompagnées des justificatifs pertinents, dans le délai qui lui a été imparti pour la présentation de ses observations sur le fond.

3. Si le requérant ne respecte pas les exigences décrites dans les paragraphes qui précèdent, la chambre peut rejeter tout ou partie de ses prétentions.

4. Les prétentions du requérant sont transmises à la Partie contractante défenderesse pour observations.

I. APPLICABILITÉ DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION À LA PRÉSENTE AFFAIRE

A. Les arguments des parties

1. Le gouvernement requérant

16. Après avoir rappelé les violations constatées par la Cour dans l’arrêt au principal, le gouvernement requérant soutient d’emblée qu’il ne saurait être contesté que l’article 41 de la Convention s’applique aux affaires interétatiques, et en particulier à la présente affaire, en se référant notamment à l’arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) ([GC], no 25781/94, CEDH 2014).

2. Le gouvernement défendeur

17. Le gouvernement défendeur soutient à titre principal qu’en l’absence de règles juridiques adéquates et de pratique établie de la Cour, et compte tenu des circonstances particulières de l’affaire Géorgie c. Russie (I) précitée, il n’existe aucune base permettant d’appliquer l’article 41 de la Convention à la présente affaire interétatique.

18. Il expose en particulier qu’en l’espèce les victimes sont les ressortissants géorgiens, et non le gouvernement requérant, partie à l’instance. En vertu de l’article 41 de la Convention, la satisfaction équitable au titre des violations établies par la Cour devrait donc être octroyée non pas au gouvernement requérant, mais aux individus concernés dont la grande majorité ne seraient pas individuellement identifiés (voir paragraphe 43 ci‑dessous). De plus, ni l’article 33 de la Convention ni l’article 60 du règlement ne prévoiraient l’attribution d’une satisfaction équitable dans le cadre d’une requête interétatique. Enfin, les règles pertinentes de droit international sur la protection diplomatique – en particulier l’article 19 du projet d’articles de la Commission du droit international des Nations Unies – seraient incompatibles avec l’article 41 de la Convention, les objectifs et principes généraux de la Convention et la position de la Cour selon laquelle « la réparation demandée ne vise pas à indemniser l’État d’une violation de ses droits à lui, mais à dédommager des victimes individuelles » (Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, §§ 46 et 47).

B. Appréciation de la Cour

19. La Cour observe que c’est la première fois depuis l’arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité qu’elle doit se pencher sur l’examen de la question de la satisfaction équitable dans une affaire interétatique.

20. Dans cet arrêt, la Cour s’est notamment référée au principe de droit international public relatif à l’obligation de réparation par un État d’une violation d’une obligation découlant d’un traité, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice en la matière, avant de conclure que l’article 41 de la Convention s’applique bien, en tant que tel, dans les affaires interétatiques.

21. L’extrait pertinent est ainsi rédigé :

« 40. La Cour rappelle par ailleurs que la logique générale de la règle de la satisfaction équitable (énoncée à l’article 41 et auparavant à l’article 50 de la Convention), voulue par ses auteurs, découle directement des principes de droit international public régissant la responsabilité de l’État et doit être interprétée dans ce contexte. C’est ce que confirment les travaux préparatoires à la Convention, aux termes desquels :

« [c]ette disposition est conforme au droit international en vigueur en matière de violation d’une obligation internationale par un État. La jurisprudence de la Cour européenne n’apportera donc sur ce point aucun élément nouveau ou contraire au droit international existant. (...) » (rapport du Comité d’experts au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, 16 mars 1950 (doc. CP/WP 1(50) 15)).

41. Le principe de droit international le plus important relativement à la violation par un État d’une obligation découlant d’un traité veut que « la violation d’un engagement entraîne l’obligation de réparer dans une forme adéquate » (voir l’arrêt rendu par la Cour permanente de justice internationale dans l’Affaire relative à l’usine de Chorzów (compétence), arrêt no 8, 1927, série A no 9, p. 21). En dépit du caractère spécifique de la Convention, la logique globale de l’article 41 ne diffère pas fondamentalement de celle qui gouverne les réparations en droit international public : « [i]l est une règle bien établie du droit international, qu’un État lésé est en droit d’être indemnisé, par l’État auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci » (voir l’arrêt de la Cour internationale de justice rendu dans l’affaire Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), CIJ Recueil 1997, p. 81, § 152). Il est également bien établi qu’une juridiction internationale qui a compétence pour connaître d’une allégation mettant en cause la responsabilité d’un État a le pouvoir, en vertu de cette compétence, d’octroyer une réparation pour le dommage subi (voir l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice dans l’affaire Compétence en matière de pêcheries (République fédérale d’Allemagne c. Islande), fond, CIJ Recueil 1974, pp. 203-205, §§ 71-76).

42. Dans ces conditions, gardant à l’esprit la spécificité de l’article 41 en tant que lex specialis par rapport aux règles et principes généraux du droit international, la Cour ne saurait interpréter cette disposition dans un sens étroit et restrictif excluant les requêtes interétatiques de son champ d’application. Au contraire, une interprétation large englobant les différents types de requête est confirmée par le libellé de l’article 41, qui dispose que « la Cour accorde à la partie lésée (en anglais, « to the injured party ») (...) une satisfaction équitable », le mot « partie » (avec un p minuscule) devant être compris comme désignant l’une des parties à la procédure devant la Cour. À cet égard, la référence au libellé actuel de l’article 60 § 1 du règlement opérée par le gouvernement défendeur (paragraphes 12 et 38 ci‑dessus) ne saurait passer pour convaincante. En réalité, ce texte, qui possède une valeur normative inférieure à celle de la Convention elle‑même, ne fait que refléter la réalité, qui est qu’en pratique toutes les sommes allouées par la Cour au titre de la satisfaction équitable l’ont jusqu’à présent été directement à des requérants individuels.

43. Dès lors, la Cour estime que l’article 41 de la Convention s’applique bien, en tant que tel, dans les affaires interétatiques. Toutefois, la question de savoir s’il se justifie d’accorder une satisfaction équitable à l’État requérant doit être examinée et tranchée par la Cour au cas par cas, eu égard notamment au type de grief formulé par le gouvernement requérant, à la possibilité d’identifier les victimes des violations et à l’objectif principal de la procédure, dans la mesure où il ressort de la requête initialement introduite devant la Cour. La Cour admet qu’une requête introduite devant elle en vertu de l’article 33 de la Convention peut renfermer différents types de griefs visant des buts différents. En pareil cas, chaque grief doit être examiné séparément afin de déterminer s’il y a lieu d’octroyer une satisfaction équitable.

44. Ainsi, une Partie contractante requérante peut par exemple se plaindre de problèmes généraux (problèmes et déficiences systémiques, pratique administrative, etc.) concernant une autre Partie contractante. L’objectif principal du gouvernement requérant est alors de défendre l’ordre public européen dans le cadre de la responsabilité collective qui incombe aux États en vertu de la Convention. En pareil cas, il peut ne pas être souhaitable d’accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41 même si le gouvernement requérant formule une demande à cet effet.

45. Il existe aussi une autre catégorie de griefs interétatiques, où l’État requérant reproche à une autre Partie contractante de violer les droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes). En réalité, pareils griefs sont comparables en substance non seulement à ceux soulevés dans une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 de la Convention mais aussi à ceux qui peuvent être présentés dans le cadre de la protection diplomatique, définie comme « l’invocation par un État, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre État pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit État à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier État en vue de la mise en œuvre de cette responsabilité » (article premier du projet d’articles sur la protection diplomatique adopté par la Commission du droit international en 2006 – voir Assemblée générale, documents officiels, soixante et unième session, supplément no 10 (A/61/10), ainsi que l’arrêt de la Cour internationale de justice dans l’Affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, CIJ Recueil 2007, p. 599, § 39). Si la Cour accueille des griefs de ce type et conclut à la violation de la Convention, il peut être opportun d’allouer une satisfaction équitable eu égard aux circonstances particulières de l’affaire et aux critères exposés au paragraphe 43 ci-dessus.

46. Cela étant, il ne faut jamais oublier que, du fait de la nature même de la Convention, c’est l’individu et non l’État qui est directement ou indirectement touché et principalement « lésé » par la violation d’un ou de plusieurs des droits garantis par la Convention. Dès lors, si une satisfaction équitable est accordée dans une affaire interétatique, elle doit toujours l’être au profit de victimes individuelles. À cet égard, la Cour note que l’article 19 du projet d’articles sur la protection diplomatique précité recommande de « [t]ransférer à la personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’État responsable, sous réserve de déductions raisonnables ». De surcroît, dans l’affaire Diallo précitée, la Cour internationale de justice a expressément tenu à rappeler que « l’indemnité accordée à [l’État requérant], dans l’exercice par [celui]-ci de sa protection diplomatique à l’égard de M. Diallo, [était] destinée à réparer le préjudice subi par celui-ci » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, CIJ Recueil 2012, p. 324, § 57). »

22. Dans cet arrêt (§§ 43 à 45, voir paragraphe 21 ci-dessus), la Cour a également énoncé trois critères pour établir s’il est justifié d’accorder une satisfaction équitable dans le cadre d’une affaire interétatique :

- le type de grief formulé par le gouvernement requérant, qui doit porter sur la violation de droits fondamentaux de ses ressortissants (ou d’autres personnes),

- la possibilité d’identifier les victimes,

- l’objectif principal de la procédure.

23. En l’espèce, la Cour constate que le gouvernement requérant a soutenu dans sa requête, introduite en vertu de l’article 33 de la Convention, que le gouvernement défendeur avait permis ou causé l’existence d’une pratique administrative portant sur l’arrestation, la détention et l’expulsion collective de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie à l’automne 2006 et entraînant la violation des articles 3, 5, 8, 13, 14 et 18 de la Convention, ainsi que des articles 1 et 2 du Protocole no 1, de l’article 4 du Protocole no 4 et de l’article 1 du Protocole no 7. Il a également demandé à la Cour de déclarer qu’il avait droit « à une satisfaction équitable pour ces violations, qui devaient faire l’objet de mesures de réparation et d’indemnisation au profit de la partie lésée » et l’a priée « d’accorder une satisfaction équitable en vertu de l’article 41 de la Convention, à savoir une indemnisation, une réparation et une restitutio in integrum, plus les frais et dépens et toute autre compensation à préciser, pour couvrir les dommages matériels et moraux subis par les parties lésées à raison des violations constatées ainsi que les frais encourus dans le cadre de la présente procédure » (Géorgie c. Russie (I) précité, § 78 in fine et §§ 79 et 239).

24. Suite à l’adoption de l’arrêt au principal, le gouvernement requérant a soumis des demandes de satisfaction équitable en réparation de violations de la Convention commises à l’égard de ressortissants géorgiens ayant été victimes d’une « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006 (Géorgie c. Russie (I) précité, § 159).

25. À la demande de la Cour, le gouvernement requérant a également soumis une liste détaillée de 1 795 victimes alléguées des violations constatées dans l’arrêt au principal et qui sont identifiables (voir paragraphe 7 ci-dessus).

26. La réparation demandée ne vise donc pas à indemniser l’État d’une violation de ses droits à lui, mais à dédommager des victimes individuelles (voir Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 45, paragraphe 21 ci-dessus).

27. Les trois critères énoncés étant remplis en l’espèce, la Cour considère que le gouvernement requérant a le droit de présenter une demande au titre de l’article 41 de la Convention et que l’octroi d’une satisfaction équitable est justifié en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 47).

28. Il convient maintenant d’établir le groupe de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiable » (Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 47) sur lequel la Cour va effectivement se baser pour octroyer cette satisfaction équitable en fonction des violations constatées, ainsi que les critères à appliquer pour l’octroi d’une satisfaction équitable pour dommage moral.

II. PRÉTENTIONS DU GOUVERNEMENT REQUÉRANT AU TITRE DE LA SATISFACTION ÉQUITABLE

A. Les arguments des parties

1. Le gouvernement requérant

29. En se référant au paragraphe 135 de l’arrêt au principal, le gouvernement requérant forme des demandes de satisfaction équitable pour 4 634 ressortissants géorgiens, dont 2 380 auraient été détenus et expulsés par la force.

30. Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause et en se fondant sur le principe de l’équité, il réclame la somme globale de 70 320 000 EUR (soixante-dix millions trois cent vingt mille euros) pour le dommage moral subi par les ressortissants géorgiens, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe. En se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, il indique que cette somme comprend une indemnisation de 20 000 EUR pour toute personne détenue et expulsée par la force et de 10 000 EUR pour toute personne ayant quitté la Fédération de Russie par ses propres moyens.

31. Le gouvernement requérant réclame par ailleurs 50 000 EUR (cinquante mille euros) pour le décès de chacune des personnes ci-après désignées - Mme Manana Jabelia, M. Tengiz Togonidze et M. Muzashvili - et 30 000 EUR (trente mille euros) pour Mme Nato Shavshishvili[1] qui aurait perdu l’usage de sa main gauche en raison du défaut d’assistance médicale appropriée.

32. Il ajoute que cette satisfaction équitable devrait être accordée par la Cour au gouvernement requérant, qui devrait ensuite distribuer les sommes octroyées aux victimes individuelles des violations constatées dans l’arrêt au principal. Par la suite, il mettrait en place un mécanisme effectif de distribution des sommes précitées aux victimes individuelles sous la supervision du Comité des Ministres.

33. Le gouvernement requérant souligne également que dans l’arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, la Cour a alloué des sommes importantes au gouvernement requérant sans que soient définis le nombre exact de bénéficiaires, et ce malgré les objections soulevées par le gouvernement turc à cet égard.

34. En réponse à la demande de la Cour, le gouvernement requérant soumet une première liste de 345 victimes alléguées. Afin de préserver les droits des victimes, il considère essentiel que le gouvernement défendeur soumette également de son côté tous les informations et documents pertinents en sa possession (notamment les ordres d’expulsion, les décisions de justice et la liste des personnes détenues).

35. Par la suite, toujours à la demande de la Cour, le gouvernement requérant soumet une deuxième liste de 1 795 victimes alléguées (incluant les 345 victimes alléguées figurant sur la première liste), tout en précisant qu’en réalité les victimes sont bien plus nombreuses et que beaucoup s’adressent encore à lui sur une base quotidienne. Cette liste serait assortie des décisions des tribunaux sur les expulsions administratives, ainsi que des lettres provenant de différents ministères et organes de la Fédération de Russie.

36. Le gouvernement requérant conclut en se référant de nouveau au paragraphe 135 de l’arrêt au principal et en insistant sur la nécessité d’obtenir de la part du gouvernement défendeur toutes les informations requises permettant d’identifier la liste globale des victimes.

2. Le gouvernement défendeur

37. À titre subsidiaire et si la Cour devait déclarer l’article 41 applicable à la présente affaire, le gouvernement défendeur estime que, contrairement aux allégations du gouvernement requérant, le libellé du paragraphe 135 de l’arrêt au principal démontre que la Cour n’a pas encore établi le nombre exact des victimes, ce qui est cependant essentiel pour décider du montant des indemnisations à octroyer.

38. Le gouvernement défendeur se réfère à l’arrêt Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précitée où la Cour se serait basée sur une liste détaillée de victimes, à savoir « deux groupes de personnes suffisamment précis et objectivement identifiables », et considère que la Cour devrait suivre la même approche dans la présente affaire.

39. En effet, conformément aux règles de preuve, il appartiendrait au gouvernement requérant en tant que partie demanderesse de soumettre une liste nominative des personnes concernées (avec indication de leur nom complet, lieu de naissance et de la région dans laquelle la violation aurait eu lieu ainsi que le type de violation). Ce serait d’autant plus nécessaire qu’il n’existe pas en Fédération de Russie - comme dans d’autres États contractants - de registre des personnes appréhendées condamnées par un tribunal administratif et placées dans des centres de rétention basées sur leur origine ethnique. Par la suite, le gouvernement défendeur serait prêt à vérifier toutes les informations soumises et à adresser à la Cour tous les documents requis tels que décisions de justice etc.

40. Le gouvernement défendeur estime également que des indemnisations ne pourront être versées qu’à des victimes individuelles des violations constatées par la Cour et qui ont été identifiées par celle-ci dans son arrêt sur la satisfaction équitable.

41. À défaut, les indemnisations pourraient ne pas être octroyées du tout, et le gouvernement défendeur pourrait ne pas être contraint d’en verser le montant au gouvernement requérant en vue de l’identification ultérieure des victimes et de la distribution de cette somme à ces dernières, même sous le contrôle du Comité des Ministres.

42. En effet, l’identification des victimes de violations de la Convention relèverait de l’établissement des faits (« fact-finding ») et serait une prérogative exclusive de la Cour. Le fait de déférer cette fonction au gouvernement requérant (même sous le contrôle du Comité des Ministres) ou directement au Comité des Ministres, en l’absence de procédures contradictoires devant la Cour, serait une méconnaissance flagrante du principe du procès équitable et de l’égalité des armes.

43. La nécessité d’identifier les victimes en l’espèce découlerait également des préoccupations réelles et raisonnables du gouvernement défendeur, qui craint qu’en l’absence d’identification, les indemnisations ne soient versées à des personnes physiques qui n’ont pas été victimes de violations de la Convention en Fédération de Russie à l’époque des faits, ce qui serait totalement inacceptable et contraire au sens et à l’esprit de la Convention.

44. Le gouvernement défendeur expose ensuite que les prorogations de délais successifs accordés au gouvernement requérant pour produire des informations sur les victimes allégées constituent une violation grave des droits du gouvernement défendeur en tant que partie à la procédure. Ceci en particulier en raison notamment de la durée de conservation limitée des documents concernant l’arrestation, le placement en centre de détention temporaire pour ressortissants étrangers, les procédures judiciaires, etc.

45. De plus, plus de dix ans après les événements litigieux, les recherches seraient extrêmement fastidieuses et devraient être faites manuellement, la majorité des tribunaux nationaux n’ayant pas été à l’époque équipés d’un système électronique.

46. Par ailleurs, le gouvernement défendeur considère excessif et injustifié le calcul du montant des indemnisations par le gouvernement requérant en fonction des violations constatées en se référant à un certain nombre d’arrêts rendus par la Cour contre la Fédération de Russie.

47. Enfin, il conteste les sommes demandées au titre des personnes mentionnées par le gouvernement requérant (voir paragraphe 31 ci-dessus) et dont certains ont soumis des requêtes individuelles à la Cour.

B. Appréciation de la Cour

1. Détermination d’un groupe de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiable »

a) Considérations préliminaires

48. Le paragraphe 135 de l’arrêt au principal est ainsi rédigé :

« Dès lors, elle [la Cour] considère que rien ne permet d’établir que les allégations du gouvernement requérant quant au nombre de ressortissants expulsés au cours de la période litigieuse et à leur nette augmentation par rapport à la période antérieure au mois d’octobre 2006 ne sont pas crédibles. Dans l’examen de la présente affaire, elle part donc du principe qu’au cours de la période en question plus de 4 600 décisions d’expulsion ont été rendues à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2 380 ont été détenus et expulsés par la force. »

49. En se référant à ce paragraphe, le gouvernement requérant soutient que 4 634 ressortissants géorgiens, dont 2 380 ont été détenus et expulsés par la force, représentent les groupes de personnes « suffisamment précis et objectivement identifiables » sur lesquels la Cour doit se baser pour octroyer la satisfaction équitable.

50. Le gouvernement défendeur, de son côté, estime que le libellé du paragraphe 135 démontre que la Cour n’a pas encore établi le nombre exact des victimes, ce qui est cependant essentiel pour décider du montant des indemnisations à octroyer.

51. La Cour rappelle que dans l’arrêt au principal, elle a dit qu’il y a eu à l’automne 2006 la mise en place en Fédération de Russie d’une « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens et qui a constitué une pratique administrative au sens de la jurisprudence de la Convention » (Géorgie c. Russie (I) précité, § 159).

52. Par la suite, faute de communication par le gouvernement défendeur de données statistiques mensuelles sur le nombre de ressortissants géorgiens expulsés de la Fédération de Russie au cours des années 2006 et 2007, la Cour s’est basée sur les chiffres avancés par le gouvernement requérant comme l’un des éléments de preuve de l’existence de cette pratique administrative (voir Géorgie c. Russie (I) précité, § 129). Or la formulation utilisée par la Cour dans son raisonnement au paragraphe 135 de l’arrêt au principal, et qui figure dans la partie « En droit », est prudente : si dans la première phrase elle estime que « rien ne permet d’établir » que les allégations du gouvernement requérant ne sont pas crédibles, elle n’affirme cependant pas qu’elles sont prouvées « au-delà de tout doute raisonnable », qui est le critère de preuve établi par la Cour dans sa jurisprudence (voir Géorgie c. Russie (I) précité, § 93). Dans la seconde phrase de ce paragraphe, la Cour se borne à indiquer qu’elle « part donc du principe » (en anglais : « it therefore assumes ») que plus de 4 600 décisions d’expulsion ont été rendues à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2 380 ont été détenus et expulsés par la force. Or cela signifie qu’elle part d’un nombre approximatif de décisions d’expulsion et de mises en détention afin d’examiner l’existence d’une pratique administrative, ce qui est très différent de l’établissement de l’identité de victimes individuelles.

53. Par ailleurs, il convient de distinguer ces indications, qui définissent un cadre numérique général dans le contexte de l’examen de l’affaire sur le fond, de la question de l’application de l’article 41 de la Convention que la Cour a réservée dans l’arrêt au principal, considérant qu’elle ne se trouvait pas en état (voir paragraphe 3 ci-dessus).

54. De plus, la logique générale de la règle de la satisfaction équitable découle directement des principes de droit international public régissant la responsabilité de l’État (voir Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, §§ 40 et 41, paragraphe 21 ci-dessus). Or celui-ci comprend à la fois l’obligation pour l’État responsable du fait internationalement illicite « d’y mettre fin si ce fait continue » ainsi que l’obligation « de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite », telles qu’énoncées respectivement aux articles 30 et 31 des articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (Annuaire de la Commission du droit international, Volume II, Deuxième partie, pp. 94 et 97, A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2)) ».

55. Enfin, et c’est là un élément essentiel, l’application de l’article 41 de la Convention requiert de pouvoir identifier les victimes individuelles concernées (Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précité, § 46, voir paragraphe 21 ci-dessus).

56. À cet égard, on peut relever que l’affaire Chypre c. Turquie et la présente affaire concernent des contextes factuels différents. Alors que la première portait sur des violations multiples de la Convention suite aux opérations militaires de la Turquie dans le Nord de Chypre au cours de l’été 1974 et qui n’étaient pas basées sur des décisions individuelles, en l’espèce, le constat d’existence d’une pratique administrative contraire à la Convention résultait de décisions administratives individuelles d’expulsion de ressortissants géorgiens de la Fédération de Russie au cours de l’automne 2006.

57. Dès lors, la Cour estime que les parties doivent être en mesure d’identifier les ressortissants géorgiens concernés et de lui fournir les informations pertinentes.

58. C’est la raison pour laquelle, conformément à l’article 60 § 2 du règlement, elle a invité le gouvernement requérant à soumettre une liste de ressortissants géorgiens victimes de la « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006 (voir paragraphes 6 et 7 ci-dessus). Elle a également demandé au gouvernement défendeur de soumettre tous les informations et documents pertinents (notamment les ordres d’expulsion et les décisions de justice) concernant les ressortissants géorgiens victimes de ladite politique au cours de la période en question.

59. La Cour rappelle à cet égard l’obligation de coopération des Hautes Parties contractantes énoncée à l’article 38 de la Convention et à l’article 44A du règlement. En effet, « il est de la plus haute importance, pour un fonctionnement efficace du système de recours individuel instauré par l’article 34 de la Convention, que les États contractants coopèrent autant que possible pour permettre un examen sérieux et effectif des requêtes. Ils ont ainsi obligation de fournir toutes facilités nécessaires à la Cour, que celle-ci cherche à établir les faits ou à accomplir ses fonctions d’ordre général afférentes à l’examen des requêtes » (voir, mutatis mutandis, Janowiec et autres c. Russie [GC], nos 55508/07 et 29520/09, § 202, CEDH 2013).

60. Or cette obligation de coopération, qui s’applique également dans les affaires interétatiques (voir Géorgie c. Russie (I) précité, §§ 99-110), revêt une importance particulière pour la bonne administration de la justice lorsque la Cour est amenée à accorder une satisfaction équitable au titre de l’article 41 de la Convention dans ce type d’affaires. Elle s’applique aux deux parties contractantes : d’une part au gouvernement requérant, qui doit, conformément à l’article 60 du règlement, étayer ses prétentions, mais également au gouvernement défendeur, à l’égard duquel l’existence d’une pratique administrative en violation de la Convention a été constatée dans l’arrêt au principal.

61. En l’espèce, il incombait donc également au gouvernement défendeur de produire tous les informations et documents pertinents en sa possession et ce malgré les difficultés liées à l’écoulement du temps et au rassemblement d’un nombre important de données. D’ailleurs, à l’instar du gouvernement requérant, le gouvernement défendeur a bénéficié de plusieurs prorogations de délai pour soumettre ces documents et pour les faire traduire vers l’une des deux langues officielles de la Cour.

62. Suite aux demandes réitérées de la Cour, le gouvernement requérant a soumis une liste de 1 795 victimes individuelles, assortie d’annexes, et le gouvernement défendeur lui a adressé ses commentaires, également assortis d’annexes, à cet égard. En l’espèce, la Cour a procédé à un examen préliminaire de cette liste (voir paragraphes 68 à 72 ci-dessous), même si le gouvernement défendeur n’a pas soumis tous les informations et documents pertinents (notamment les ordres d’expulsion et les décisions de justice) concernant les ressortissants géorgiens victimes de la politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006.

63. Le gouvernement défendeur demande également à la Cour d’identifier chacune des victimes individuelles des violations constatées par elle dans le cadre de procédures contradictoires, au motif que la fonction d’établissement des faits est une prérogative exclusive de la Cour.

64. À cet égard, la Cour relève tout d’abord qu’en l’espèce il y a eu un échange d’observations des parties sur la question de la satisfaction équitable dans le respect du principe du contradictoire, comme ce fut le cas dans l’affaire Chypre c. Turquie (satisfaction équitable) précitée.

65. La Cour rappelle ensuite qu’elle a souligné à plusieurs reprises, et notamment dans des affaires portant sur des violations systématiques de la Convention, qu’elle n’est pas une juridiction de première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires qui supposent d’établir les faits de base (« specific facts ») ou de calculer une compensation financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité, incombent aux juridictions internes (voir notamment, mutatis mutandis, Demopoulos et autres c. Turquie (déc.) [GC], nos 46113/99 et 7 autres, § 69, CEDH 2010, Burmych et autres c. Ukraine (radiation) [GC], nos 46852/13 et al., § 159 in fine, 12 octobre 2017 (extraits), Sargsyan c. Azerbaïdjan (satisfaction équitable) [GC], no 40167/06, § 32, 12 décembre 2017, et Chiragov et autres c. Arménie (satisfaction équitable) [GC], no 13216/05, § 50, 12 décembre 2017).

66. Ceci est particulièrement vrai pour ce qui est des demandes de satisfaction équitable présentées dans le cadre d’une affaire interétatique, qui se distingue de par sa nature d’une affaire regroupant plusieurs requêtes individuelles où les circonstances propres à chacune des requêtes sont exposées dans l’arrêt (voir, parmi beaucoup d’autres, Berdzenishvili et autres c. Russie[2], nos 14594/07 et 6 autres, 20 décembre 2016, portant sur 7 requêtes, introduites par dix-neuf requérants, et liées à l’affaire Géorgie c. Russie (I)).

67. Enfin, les États parties ont l’obligation découlant de l’article 46 § 1 de la Convention de « se conformer aux arrêts définitifs de la Cour », le rôle de surveillance et la responsabilité à cet égard étant confiés au Comité des Ministres en vertu de l’article 46 § 2 (voir, mutatis mutandis, Burmych et autres précité, § 185).

b) Méthodologie appliquée par la Cour

68. En l’espèce, la Cour a procédé à un examen préliminaire de la liste de 1 795 victimes alléguées soumise par le gouvernement requérant, ainsi que des commentaires en réponse soumis par le gouvernement défendeur, afin de déterminer la liste des ressortissants géorgiens qui peuvent être considérés comme victimes d’une violation de la Convention.

69. Compte tenu du cadre numérique général sur lequel la Cour s’est fondée pour conclure aux violations de la Convention dans son arrêt au principal (voir paragraphe 48 ci-dessus), elle part du principe que les personnes mentionnées sur la liste du gouvernement requérant peuvent être considérées comme victimes de violations de la Convention pour lesquelles le gouvernement défendeur a été déclaré responsable. Eu égard au fait que les constats de violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention et de l’article 4 du Protocole no 4 concernent des victimes individuelles et sont basés sur des événements qui se sont produits sur le territoire du gouvernement défendeur, la Cour estime que dans les circonstances particulières de la présente affaire, la charge de la preuve revient alors au gouvernement défendeur à qui il incombe de démontrer de manière effective que les personnes figurant sur la liste du gouvernement requérant n’ont pas le statut de victimes. Il en résulte que si l’examen préliminaire a permis à la Cour de conclure de manière satisfaisante qu’une personne a été victime d’une ou de plusieurs violations de la Convention, et que le gouvernement défendeur n’a pas été en mesure de démontrer qu’elle n’avait pas le statut de victime, cette personne sera incluse sur la liste finale interne pour déterminer la somme globale à accorder au titre de la satisfaction équitable (voir paragraphe 71 ci-dessous).

70. Dans le cadre de cet examen préliminaire, la Cour s’est basée sur les documents qui lui ont été soumis par les parties ainsi que sur le fait que le gouvernement défendeur lui-même a reconnu qu’un certain nombre parmi les ressortissants géorgiens figurant sur la liste du gouvernement requérant pouvaient être considérées comme victimes. En revanche, 290 personnes mentionnées sur cette liste ne sauraient être considérées comme telles notamment aux motifs suivants, exposés à juste titre par le gouvernement défendeur : elles figurent plus d’une fois sur cette liste ; elles ont déposé des requêtes individuelles[3] devant la Cour ; elles ont soit acquis la nationalité russe, soit disposé dès le départ d’une nationalité autre que la nationalité géorgienne ; elles ont fait l’objet de décisions d’expulsion avant ou après la période en question ; elles ont utilisé avec succès les voies de recours disponibles ; elles n’ont pu être identifiées ou leurs griefs n’étaient pas suffisamment étayés en raison des informations insuffisantes soumises par le gouvernement requérant (voir, mutatis mutandis, Lisnyy c. Ukraine et Russie, nos 5355/15, 44913/15 et 50852/15, 5 juillet 2016, quant à l’obligation des requérants d’étayer leurs allégations devant la Cour).

71. Dès lors, pour l’octroi d’une satisfaction équitable, la Cour considère qu’elle peut se baser sur un groupe « suffisamment précis et objectivement identifiable » d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens qui ont été victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4 (expulsion collective) dans le cadre de la « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006.

72. Parmi ceux-ci, un certain nombre ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 (privation illégale de liberté) et 3 (conditions de détention inhumaines et dégradantes) de la Convention.

2. Critères à appliquer pour l’octroi d’une satisfaction équitable pour dommage moral

73. La Cour rappelle qu’aucune disposition de la Convention ne prévoit expressément le versement d’une indemnité pour dommage moral. Dans les arrêts Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90 et 8 autres, § 224, CEDH 2009, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), § 56, et Sargsyan et Chiragov (respectivement §§ 39 et 57) précités, la Cour a confirmé les principes suivants, qu’elle a progressivement élaborés dans sa jurisprudence. Les situations où le requérant a subi un traumatisme évident, physique ou psychologique, des douleurs et souffrances, de la détresse, de l’angoisse, de la frustration, des sentiments d’injustice ou d’humiliation, une incertitude prolongée, une perturbation dans sa vie ou une véritable perte de chances peuvent être distinguées de celles où la reconnaissance publique, dans un arrêt contraignant pour l’État contractant, du préjudice subi par le requérant représente en elle‑même une forme adéquate de réparation. Dans certaines situations, le constat par la Cour de la non-conformité aux normes de la Convention d’une loi, d’une procédure ou d’une pratique est suffisant pour redresser la situation. Toutefois, dans d’autres situations, l’impact de la violation peut être considéré comme étant d’une nature et d’un degré propres à avoir porté au bien-être moral du requérant une atteinte telle que cette réparation ne suffit pas. Ces éléments ne se prêtent pas à un calcul ou à une quantification précise. La Cour n’a pas non plus pour rôle d’agir comme une juridiction nationale appelée, en matière civile, à déterminer les responsabilités et à octroyer des dommages‑intérêts. Elle est guidée par le principe de l’équité, qui implique avant tout une certaine souplesse et un examen objectif de ce qui est juste, équitable et raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, c’est‑à-dire non seulement de la situation du requérant, mais aussi du contexte général dans lequel la violation a été commise. Les indemnités qu’elle alloue pour dommage moral ont pour objet de reconnaître le fait qu’une violation d’un droit fondamental a entraîné un préjudice moral et elles sont chiffrées de manière à refléter approximativement la gravité de ce préjudice.

74. En l’espèce, il ne fait aucun doute que le groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens qui ont été victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4, ainsi que ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 et 3 de la Convention, dans le cadre de la « politique coordonnée d’arrestation, de détention et d’expulsion de ressortissants géorgiens » mise en place en Fédération de Russie à l’automne 2006, ont subi des traumatismes et éprouvé des sentiments de détresse, d’angoisse et d’humiliation au cours de cette période.

75. Dès lors, malgré le nombre élevé de facteurs impondérables dus notamment à l’écoulement du temps qui entrent ici en jeu, une indemnité pour dommage moral peut être octroyée. Quant au calcul du niveau de la satisfaction équitable à accorder, la Cour jouit en la matière d’un pouvoir d’appréciation dont elle use en fonction de ce qu’elle estime équitable (voir, mutatis mutandis, Sargsyan et Chiragov précités, §§ 56 et 79). La Cour rappelle à cet égard qu’elle a toujours dans le passé exclu l’attribution de dommages et intérêts punitifs ou exemplaires, même si ces demandes provenaient de victimes individuelles d’une pratique administrative (voir, en dernier lieu, Greens et M.T. c. Royaume-Uni, nos 60041/08 et 60054/08, § 97, CEDH 2010 (extraits), qui résume la jurisprudence de la Cour sur ce point).

76. Eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes de l’espèce, la Cour, statuant en équité, juge raisonnable d’allouer au gouvernement requérant la somme globale de 10 000 000 EUR (10 millions d’euros) pour dommage moral subi par ce groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens.

77. Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que cette somme doit être distribuée par le gouvernement requérant aux victimes individuelles des violations constatées dans l’arrêt au principal, qui devra verser un montant de 2 000 EUR aux ressortissants géorgiens qui ont été victimes uniquement d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4, et un montant allant de 10 000 à 15 000 EUR à ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 et 3 de la Convention. En effet, pour ces derniers, il convient de prendre en compte la durée de leurs détentions respectives, conformément à la jurisprudence de la Cour (voir notamment Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 142, 10 janvier 2012, et Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 94, 22 mai 2012).

78. La Cour rappelle par ailleurs qu’il incombe au gouvernement défendeur de remplir ses obligations juridiques découlant de l’article 46 de la Convention interprété à la lumière de l’article 1, en se conformant à l’arrêt de la Cour ainsi qu’aux mesures concrètes prises par le Comité des Ministres dans le cadre de l’exécution de cet arrêt (voir notamment, mutatis mutandis, Varnava et autres, précité, § 222, Ališić et autres c. Bosnie‑Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex‑République yougoslave de Macédoine [GC], no 60642/08, § 142, CEDH 2014, et Burmych et autres, précité, §§ 185-192).

79. Dans les circonstances particulières de l’espèce, elle estime également qu’il appartient au gouvernement requérant de mettre en place un mécanisme effectif pour la distribution des sommes précitées aux victimes individuelles des violations constatées dans l’arrêt au principal en tenant compte des indications données ci-dessus par la Cour (voir paragraphe 77), et en excluant les personnes qui ne sauraient être qualifiées de victimes conformément aux critères exposés ci-dessus (voir paragraphe 70). Ce mécanisme devra être mis en place sous la supervision du Comité des Ministres et en conformité avec toutes modalités pratiques fixées par celui‑ci afin de faciliter l’exécution de l’arrêt. Cette distribution devra être effectuée dans un délai de dix-huit mois à compter de la date du paiement par le gouvernement défendeur ou dans tout autre délai que le Comité des Ministres jugera approprié (voir, mutatis mutandis, Chypre c. Turquie (satisfaction équitable), précité, § 59).

80. Enfin, la Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Dit, par seize voix contre une, que l’article 41 de la Convention s’applique en l’espèce ;

2. Dit, par seize voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser au gouvernement requérant, dans les trois mois, 10 000 000 EUR (dix millions d’euros) pour dommage moral subi par un groupe d’au moins 1 500 ressortissants géorgiens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

c) que ce montant sera distribué par le gouvernement requérant aux victimes individuelles, en versant 2 000 EUR aux ressortissants géorgiens qui ont été uniquement victimes d’une violation de l’article 4 du Protocole no 4, et de 10 000 à 15 000 EUR à ceux d’entre eux qui ont également été victimes d’une violation des articles 5 § 1 et 3 de la Convention, en prenant en compte la durée de leurs détentions respectives ;

d) que cette distribution sera effectuée sous la surveillance du Comité des Ministres, dans un délai de dix-huit mois à compter de la date de versement ou dans tout autre délai que le Comité des Ministres jugera approprié et en conformité avec toutes modalités pratiques fixées par celui-ci afin de faciliter l’exécution de l’arrêt.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 31 janvier 2019.

Lawrence EarlyGuido Raimondi
JurisconsultePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion en partie concordante des juges Yudkivska, Mits, Hüseynov et Chanturia ;

– opinion dissidente du juge Dedov.

G.R.
T.L.E.

OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE DES JUGES YUDKIVSKA, MITS, HÜSEYNOV ET CHANTURIA

(Traduction)

1. Nous souscrivons en principe à toutes les conclusions majeures de la Grande Chambre. En particulier, nous sommes tout à fait d’accord avec la majorité s’agissant de l’applicabilité de l’article 41 à la procédure en question (point 1 du dispositif) et nous partageons son avis quant à l’établissement du nombre des victimes individuelles constituant le groupe pertinent et au calcul consécutif de la somme (point 2 du dispositif).

2. En particulier, la Grande Chambre note fort justement aux paragraphes 71 et 76 ainsi qu’au point 2 du dispositif du présent arrêt qu’« au moins 1 500 ressortissants géorgiens » ont été victimes de violations diverses au regard de la Convention (les italiques sont de nous). Nous aurions toutefois préféré qu’elle s’exprime de plus clairement sur ce point et reprenne étroitement ce qu’elle avait elle-même établi auparavant au paragraphe 135 de l’arrêt au principal (arrêt du 3 juillet 2014 sur le fond).

3. Rappelons la partie pertinente du paragraphe 135 de l’arrêt au principal rendu par la Cour en l’espèce, ainsi libellée :

« 135. (...) Dans l’examen de la présente affaire, [la Grande Chambre] part donc du principe qu’au cours de la période en question plus de 4 600 décisions d’expulsion ont été rendues à l’encontre de ressortissants géorgiens, dont environ 2 380 ont été détenus et expulsés par la force. »

4. À nos yeux, la Cour aurait dû calculer le montant de la somme accordée au titre de l’article 41 de la Convention en tenant compte du point de repère chiffré figurant au paragraphe 135 de l’arrêt au principal. Ce point de repère nous a déjà permis de dégager, conformément aux critères énoncés par la Cour dans l’affaire Chypre c. Turquie (arrêt sur la satisfaction équitable), no 25781/94, § 47, 12 mai 2014), deux groupes distincts « suffisamment précis » et « objectivement identifiables » (les italiques sont de nous).

5. Les deux groupes sont « suffisamment précis », selon les critères retenus dans l’affaire Chypre c. Turquie, parce que dans son arrêt au principal la Cour a donné des chiffres très précis pour les groupes apparaissant dans deux situations factuelles qui, si elles se recoupent, n’en sont pas moins distinctes. Il y a un fait particulièrement pertinent qui permet de dire que ces deux groupes sont « suffisamment précis » : le gouvernement défendeur a lui-même admis devant la Cour, pendant les débats au fond, que plus de 4 000 décisions d’expulsion administrative avaient été prononcées à l’encontre de ressortissants géorgiens en 2006 (paragraphe 132 de l’arrêt au principal).

6. De plus, ces deux groupes sont « objectivement identifiables », selon les critères retenus dans l’affaire Chypre c. Turquie, parce que, comme la Grande Chambre elle-même l’a conclu dans son arrêt au principal, les faits que constituent les expulsions et détentions sont confirmés par la matérialité des décisions d’expulsion et de détention rendues par les services administratifs et/ou les tribunaux internes compétents. La Cour ayant reconnu l’existence de ces décisions de justice, nous n’estimons pas raisonnable de supposer que les autorités russes aient rendu ces décisions à partir de rien, contre des personnes « fantômes » inexistantes et anonymes. Au contraire, dans ces décisions étaient manifestement indiqués les noms, les dates de naissance et d’autres éléments d’identification de toutes les personnes concernées.

7. Il est vrai que, lorsqu’elle a examiné la question de l’application de l’article 41 de la Convention, la Cour ne disposait pas d’une copie de toutes les décisions d’expulsion et de détention mentionnées au paragraphe 135 de l’arrêt au principal. Cependant, et c’est important de le souligner, si le dossier manque d’éléments, c’est parce que le gouvernement défendeur lui‑même n’a pas dûment coopéré avec la Cour ni fourni à celle-ci les pièces pertinentes (voir les conclusions aux paragraphes 100 et 110 de l’arrêt au principal). D’ailleurs, puisque les 4 600 expulsions et 2 380 détentions ont respectivement eu lieu en Russie sur la base de décisions administratives et judiciaires rendues dans ce pays, il est raisonnable de supposer que les traces juridiques de ces expulsions et détentions ne pouvaient toutes être trouvées que dans les archives de la Fédération de Russie (et non en Géorgie par exemple). Le gouvernement défendeur ayant persisté à ne pas communiquer à la Cour les documents requis, même au stade procédural de la satisfaction équitable (paragraphe 62 du présent arrêt), la liste des victimes produite par le gouvernement requérant au stade actuel de la procédure (paragraphe 68 du présent arrêt) n’aurait dû être traitée que comme une liste illustrative non limitative.

8. C’est pour ces raisons que nous estimons que le point de repère chiffré suffisamment précis établi par la Cour au paragraphe 135 de l’arrêt au principal aurait dû servir de base pour le calcul de la somme au titre de l’article 41 de la Convention.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE DEDOV

(Traduction)

Je me trouve au sein de la minorité en la présente affaire car j’ai voté contre les constats de violations dans l’arrêt au principal. Sur la question de la satisfaction équitable, le présent arrêt représente, dans une certaine mesure, une évolution progressive de la jurisprudence donnant des indications aux fins de l’exécution de l’arrêt au principal. Cependant, le principal problème reste non résolu. Je regrette que la Cour n’ait pas permis que la somme accordée à titre de satisfaction soit distribuée directement par l’État défendeur en collaboration avec le gouvernement requérant, comme cela devrait se passer dans le cadre des relations internationales entre États souverains. Au contraire, la Cour s’en est remise exclusivement à l’État requérant pour que celui-ci crée un mécanisme effectif de distribution des sommes postérieurement, et non antérieurement, au versement de celles-ci par l’État défendeur. Un tel algorithme exclut l’État défendeur de toute participation à la distribution et porte atteinte au statut de la Fédération de Russie en tant qu’État membre du Conseil de l’Europe, l’assimilant à la situation de l’auteur d’une infraction condamné à verser une somme qui sera ensuite distribuée à la discrétion de l’État. La procédure d’exécution sur le plan national et international devrait en effet être différente.

* * *

[1]. La Cour a rendu des décisions individuelles concernant Mme Manana Jabelia, M. Tengiz Togonidze et Mme Nato Shavshishvili (voir ci-dessous note de bas de page n° 3).

[2]. Voir ci-dessous note de bas de page n° 3.

[3]. 23 requérants ont déposé 10 requêtes individuelles liées à l’affaire Géorgie c. Russie (I) devant la Cour, qui a statué comme suit :

. Par un arrêt du 3 mai 2016, la Cour a radié du rôle la requête introduite par M. Shakhi Kvaratskhelia et M. Shakhi Kvaratskhelia (n° 14985/07), respectivement père et fils de Mme Manana Jabelia, suite à un règlement amiable conclu entre les requérants et le gouvernement défendeur ;

. Par un arrêt du 20 décembre 2016, la Cour a conclu à la violation des articles 2 et 3 de la Convention, ainsi que de l’article 13 combiné avec l’article 3, et a accordé un montant de 40 000 Euro à titre de satisfaction équitable concernant la requête introduite par Mme Nino Dzidzava (n° 16363/07), épouse de M. Tengiz Togonidze.

. En ce qui concerne les autres requêtes, la Cour les a regroupées et a rendu un arrêt sur le fond (Berdzenishvili et autres, n° 14594/07) le 20 décembre 2016. Dans cet arrêt, elle a conclu à la non-violation des articles de la Convention invoqués par Mme Nato Shavshishvili au motif que ses demandes n’étaient pas suffisamment étayées. Quant aux requêtes pour lesquelles la Cour a conclu à une violation de la Convention, elle a réservé la question de l’application de l’article 41 en attendant l’adoption du présent arrêt de satisfaction équitable.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-189852
Date de la décision : 31/01/2019
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : GÉORGIE
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : DZAMASHVILI B.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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