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31/01/2019 | CEDH | N°001-189847

CEDH | CEDH, AFFAIRE ROOMAN c. BELGIQUE, 2019, 001-189847


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ROOMAN c. BELGIQUE

(Requête no 18052/11)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Rooman c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
Kristina Pardalos

Helen Keller,
Paul Lemmens,

Ksenija Turković,
>Dmitry Dedov,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Georgios A. Serghides,
Marko Bošnjak,
Jovan Ilievski,

Lado Chanturia, juges, ...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ROOMAN c. BELGIQUE

(Requête no 18052/11)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Rooman c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
Kristina Pardalos

Helen Keller,
Paul Lemmens,

Ksenija Turković,

Dmitry Dedov,
Iulia Antoanella Motoc,
Branko Lubarda,
Carlo Ranzoni,
Georgios A. Serghides,
Marko Bošnjak,
Jovan Ilievski,

Lado Chanturia, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 6 juin 2018 et 29 novembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 18052/11) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant de cet État, M. René Rooman (« le requérant »), a saisi la Cour le 1er mars 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes V. Hissel et B. Versie, avocats à Liège. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme I. Niedlispacher, du Service public fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier qu’en l’absence de soins psychiatriques et psychologiques dans l’établissement où il est détenu, son internement emporte violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour, « le règlement »). Une chambre de ladite section, composée de Robert Spano, président, de Ledi Bianku, Işıl Karakaş, Nebojša Vučinić, Paul Lemmens, Valeriu Griţco, Jon Fridrik Kjølbro, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, a rendu un arrêt le 18 juillet 2017. À l’unanimité, elle a déclaré la requête recevable et conclu à la violation de l’article 3 de la Convention. Elle a jugé, par six voix contre une, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention. À l’arrêt était joint le texte de l’opinion partiellement dissidente de la juge Karakaş. Le 16 octobre 2017 le requérant a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre de l’article 43 de la Convention. Le 11 décembre 2017, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Pendant les dernières délibérations, Kristina Pardalos, dont le mandat a pris fin au cours de la procédure, a continué de connaître de l’affaire (article 23 § 3 de la Convention et article 23 § 4 du règlement). En outre, Ksenija Turković et Lado Chanturia, juges suppléants, ont remplacé Helena Jäderblom et Tim Eicke, empêchés (article 24 § 3 du règlement).

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 6 juin 2018 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

- pour le Gouvernement
MmeIsabelle Niedlispacher, Service public fédéral
de la Justice, agente,
MmeChristelle Noiret, Attachée de la Direction Appui
juridique de l’administration pénitentiaire, conseillère ;

- pour le requérant
MMVictor Hissel,
Béatrice Versie, conseils.

La Cour a entendu Mes Versie et Hissel et Mme Niedlispacher en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par les juges, et Mme Noiret en ses réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant, appartenant à la minorité germanophone de Belgique, est né en 1957. Il est interné à l’établissement de défense sociale de Paifve (« EDS de Paifve »).

A. L’internement initial du requérant

9. En 1997, le requérant fut condamné pour attentat à la pudeur sur mineur de moins de seize ans, viol sur mineur de moins de dix ans, vol, destruction et dommages, ainsi que possession d’armes prohibées, respectivement par la cour d’appel de Liège et par le tribunal correctionnel d’Eupen. La fin des peines d’emprisonnement était prévue pour le 20 février 2004.

10. Pendant qu’il était détenu, le requérant commit d’autres faits, pour lesquels de nouvelles poursuites furent engagées notamment pour menaces, harcèlement et dénonciation calomnieuse à l’encontre de membres de l’ordre judiciaire. En conséquence, le 16 juin 2003, la chambre du conseil du tribunal de première instance de Liège décida de l’interner, en application de l’article 7 de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (« loi de défense sociale »), applicable à l’époque des faits, et sur la base notamment d’un rapport neuropsychiatrique du Dr L. en date du 15 décembre 2001 et d’un rapport du psychologue H. en date du 20 août 2002.

11. Le 1er août 2003, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Liège confirma cette décision. Le requérant ne se pourvut pas en cassation.

12. Le 15 janvier 2004, sur la base notamment d’un rapport psychiatrique du Dr V. en date du 23 septembre 2003, la ministre de la Justice considéra également qu’il y avait lieu d’interner le requérant, en application de l’article 21 de la loi de défense sociale, pour la poursuite des peines infligées en 1997.

13. Le 21 janvier 2004, en application d’une décision du 16 octobre 2003 de la commission de défense sociale (« CDS ») près l’annexe psychiatrique de la prison de Lantin, le requérant intégra l’EDS de Paifve, situé dans la région de langue française en Belgique.

14. Un rapport d’expertise psychiatrique établi par le Dr Ri. le 5 septembre 2005 indiquait notamment ceci :

« (...) il ne fait aucun doute que Monsieur Rooman a besoin d’un traitement se rapportant dans un premier temps à la psychose paranoïde. Il faudrait agir ici simultanément sur le plan psychopharmacologique et psychothérapeutique. (...) Il faudrait une thérapie permanente de plusieurs années. La psychothérapie devrait être réalisée par les thérapeutes spécialisés dans le traitement des psychoses chroniques, avec dans le cas présent des entretiens de soutien, ainsi que des éléments psycho‑éducatifs et pédagogiques. Il est essentiel dans ce cadre que la thérapie soit réalisée de pair, à savoir que les psychotropes permettent de préparer le patient à la psychothérapie et que, à son tour, l’éducation psychologique permette au patient de réagir aux psychotropes.

(...) La thérapie devrait ainsi débuter dans un établissement sécurisé, par la suite le traitement pourrait être possible dans la station fermée d’une institution de longue durée avant d’envisager le traitement dans une station ouverte. Les échelons d’assouplissement devraient être garantis par un expert psychiatre.

(...) Concernant la réalisation pratique de la thérapie, la langue pose un problème considérable. Le traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique doit se dérouler en langue allemande. (...) »

B. La première demande de libération à l’essai et la demande d’autorisation de sorties introduites devant la CDS

15. À une date non précisée, le requérant demanda une première fois sa libération à l’essai.

16. Le 27 janvier 2006, la CDS remit l’examen de la demande de libération à l’essai au mois de mars 2006, considérant qu’il y avait lieu de rechercher une institution pouvant prendre en charge le requérant et assurer sa thérapie en langue allemande, seule langue qu’il comprenait et parlait.

17. Le 9 juin 2006, la CDS examina la demande. À l’audience, la directrice de l’EDS de Paifve admit que ses services n’étaient pas en mesure de répondre aux exigences thérapeutiques préconisées par les experts déjà consultés étant donné qu’il n’y avait pas de médecin, de thérapeute, de psychologue, d’assistant social ni de surveillant germanophones dans l’établissement.

18. Aussi, la CDS émit les conclusions suivantes :

« Il n’est pas contesté que l’interné est unilingue allemand et que le personnel médical, social et pénitentiaire de l’établissement de détention ne peut lui fournir la moindre aide thérapeutique ou sociale ; qu’il est abandonné à son sort sans aucun soin depuis son arrivée à Paifve (le 21 janvier 2004) même si quelques personnes se sont bénévolement dévouées pour lui apporter quelques explications sur sa situation vécue comme une injustice ;

Dans le cas d’espèce, la double finalité légale de l’internement, la protection de la société et la santé du patient, ne peut être satisfaite que si la privation de liberté est assortie des soins que nécessite l’état mental de l’interné ; faute de remplir cette double condition, la privation de liberté de Rooman est illégale ; [...] »

19. La CDS remit l’examen de la demande de libération à l’essai à une audience qui se tiendrait en septembre 2006, dans l’attente que des collaborateurs germanophones soient désignés à l’EDS de Paifve.

20. En vertu d’une ordonnance du président de la CDS rendue le 24 septembre 2006, le requérant fut transféré à l’établissement pénitentiaire de Verviers afin que l’équipe psycho-sociale germanophone de la prison puisse procéder à un examen de son état mental et évaluer sa dangerosité. Le 30 octobre 2006, la CDS confirma cette ordonnance et remit la cause à une date ultérieure.

21. Le 26 janvier 2007, la CDS rejeta la demande de libération à l’essai. Il ressortait d’un rapport du 24 janvier 2007 établi par l’équipe psycho‑sociale germanophone de la prison de Verviers que le requérant présentait une personnalité psychotique et des traits de personnalité paranoïaque – haute estime de soi ; non-respect de l’autre, qui ne peut être qu’instrumentalisé ; sentiment de toute-puissance ; absence d’autocritique ; propos menaçants – et qu’il refusait tout soin. Par ailleurs, la CDS constata qu’il n’existait en Belgique aucun établissement qui puisse répondre aux conditions de sécurité et de langue exigées par le profil du requérant et que le seul hôpital germanophone qui pourrait être envisagé était un hôpital ouvert, ce qui était exclu eu égard à l’état mental du requérant.

22. Le 14 avril 2008, le requérant introduisit une demande d’autorisation de sorties. Le 5 juin 2008, la CDS constata qu’aucun traitement n’avait pu être mis en place et que la recherche d’une institution germanophone demeurait vaine. Elle demanda dès lors à la maison de justice d’Eupen de préparer un projet de libération à l’essai, et elle ordonna la réalisation d’une nouvelle expertise visant à déterminer le degré de dangerosité du requérant. Elle remit sine die l’examen de la demande.

C. La procédure litigieuse, relative à la deuxième demande de libération à l’essai introduite devant la CDS

23. Saisie par le requérant d’une nouvelle demande de libération à l’essai, la CDS rendit, le 5 mai 2009, une décision dans laquelle elle fit les constats suivants :

« La situation de Monsieur Rooman n’évolue pas et ne pourra évoluer que dans un cadre où il sera compris dans sa langue, comme tout citoyen de ce pays. Un seul agent pénitentiaire, l’infirmier [A.W.] lui assure temporairement un contact social là où un psychiatre et/ou un psychologue devraient être mis à sa disposition.

Depuis des années, l’administration pénitentiaire n’apporte aucun élément de solution à ce problème bien connu de ses services. Pire, cette administration ne pouvant lui fournir les soins nécessaires, semble se résigner à limiter son rôle à un injuste enfermement répressif.

Il résulte des rapports médicaux et de l’expertise du [Dr Ro. du 21 Janvier 2009] que Rooman qui représente encore un danger social ne peut être libéré sans accompagnement et une préparation dans un cadre institutionnel qui ne se trouve pas actuellement en Belgique mais à l’étranger. »

24. Compte tenu de ces constats, la CDS invita la maison de justice d’Eupen à préparer, avec le requérant, un projet de libération à l’essai, et elle demanda à l’administration de prendre rapidement les dispositions nécessaires à l’évolution de la situation de l’intéressé.

25. Le 13 octobre 2009, la CDS émit les constats suivants :

« Depuis les années que ce dossier est ouvert (octobre 2003), les intervenants se sont heurtés à la seule langue parlée et comprise par l’interné à l’égard duquel l’administration ne dispose pas de personnel germanophone si ce n’est du seul agent infirmier [A.W.] (qui, semble-t-il, devrait prochainement partir à la retraite) ;

En septembre 2005, le docteur [Ri.], expert, écrivait que les assouplissements du régime de l’interné « ne sont possibles que parallèlement au succès thérapeutique, par échelons définis. La thérapie devrait commencer dans un établissement sécurisé puis dans une institution fermée ... ». Compte tenu de ce que le traitement en Allemagne est impossible, il devrait commencer à Paifve avec des psychiatres et thérapeutes germanophones ;

Depuis cette époque la situation de l’interné n’a pas évolué : il converse et sort uniquement avec le seul agent germanophone de l’administration et sa thérapie n’a pas même été entamée. Les demandes de la commission [de défense sociale] en vue de faire cesser cette situation irrégulière de M. Rooman qui est privé de sa liberté pour, d’une part, protéger la société de ses dérives possibles et, d’autre part, lui donner les soins nécessaires à sa réinsertion, ne reçoivent pas de suite satisfaisante ; [...]

Vu la carence de l’administration, la question se pose maintenant à la commission de savoir s’il existe à l’extérieur de l’établissement un service ou des personnes qui pourraient prendre en charge à domicile la thérapie de M. Rooman ; [...] »

26. En conséquence, rappelant que l’allemand était l’une des langues nationales de la Belgique et que le requérant était donc en droit de parler, de se faire comprendre et d’être soigné dans cette langue, la CDS demanda à la maison de justice d’Eupen de rechercher dans les arrondissements de Verviers et d’Eupen soit un service de santé mentale, soit un médecin ou une clinique qui pourrait prendre en charge à domicile la thérapie du requérant dans sa langue maternelle. Elle réserva à statuer sur la demande de libération à l’essai.

27. Le 12 janvier 2010, le requérant déposa des conclusions à l’appui de sa demande de mise en liberté. Il dénonçait le défaut de prise en charge thérapeutique et l’impact sur son état de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer. À titre principal, il demandait sa libération immédiate compte tenu de l’illégalité, selon lui, de sa privation de liberté. À titre subsidiaire, il demandait que la CDS impose aux autorités concernées de prendre les mesures utiles à ce que les soins requis par son état de santé mentale lui soient prodigués dans sa langue maternelle.

28. Dans une décision avant dire droit du 13 janvier 2010, la CDS constata que la situation du requérant n’avait pas évolué et que la réponse de l’assistance de justice d’Eupen ne permettait pas d’espérer qu’il pourrait dans un futur envisageable bénéficier de soins appropriés, dans un établissement sécurisé ou non. Elle estima qu’il fallait tenter une dernière démarche auprès du ministre de la Justice, dont l’intervention avait permis antérieurement d’obtenir quelques résultats, même si ceux-ci avaient été insuffisants pour résoudre le problème. Par conséquent, elle ordonna la « dénonciation officielle » de la situation du requérant au ministre de la Justice.

29. Le 29 avril 2010, la CDS prit note du fait que le ministre de la Justice n’avait pas donné suite à son interpellation et que la situation du requérant s’était dégradée car il ne bénéficiait plus de l’aide de l’infirmier germanophone A.W., qui avait quitté l’EDS de Paifve. Elle formula les constats suivants :

« Il se déduit du rapport [du service psycho-social] du 30 mars 2010, qu’en dehors de rencontres ponctuelles avec une assistante sociale « parlant l’allemand », l’interné n’a aucun contact social dans sa langue et qu’il ne dispose d’aucune possibilité de converser et de prendre du recul à l’extérieur depuis et pour des mois ; le médecin et le psychologue qui signent ce rapport ne semblent pas très convaincus de l’aboutissement des « démarches en cours (faites) par le service de soins afin de permettre à une psychologue germanophone de venir ponctuellement assurer le suivi des patients germanophones à l’EDS » ;

La situation de M. Rooman est bloquée : malade, il est retenu dans un établissement pénitentiaire de soins où personne ne peut les lui donner comme il est en droit de les obtenir ; le ministre et son administration font la sourde oreille sans souci du désespoir auquel peut conduire cette attitude manifestement injuste ;

Nonobstant l’illégalité de la détention de M. Rooman, son état de santé s’oppose à sa mise en liberté si elle ne débouche pas sur une prise en charge thérapeutique et matérielle ;

La commission [de défense sociale] est sans pouvoir, d’une part, pour rétablir l’interné dans ses droits élémentaires : droit à la liberté, droit aux soins de santé, droit au respect de son humanité et, d’autre part, pour contraindre le ministre à mettre fin à cette situation dont tous les éléments sont connus de son administration depuis plus de six ans. »

30. La CDS conclut, « restant ouverte à toute proposition », au maintien de la situation du requérant, c’est-à-dire au rejet de sa demande de mise en liberté.

31. Le requérant fit appel de cette décision devant la Commission supérieure de défense sociale (« CSDS »).

32. Parallèlement, il saisit le président du tribunal de première instance de Liège en référé afin de faire constater l’illégalité de sa privation de liberté et d’obtenir une libération immédiate ou, à titre subsidiaire, de voir condamner l’État belge à lui apporter les soins requis par sa situation.

33. Par une ordonnance du 12 mai 2010, le président du tribunal se déclara sans compétence pour connaître de ce recours, au motif que la CDS était l’instance légalement compétente pour décider de la libération du requérant ou de son maintien en internement.

34. Le 27 mai 2010, la CSDS confirma la décision par laquelle la CDS avait, le 29 avril 2010, prononcé le maintien du requérant en internement. À la différence de la CDS, elle considéra que la privation de liberté du requérant était parfaitement légale étant donné qu’il avait été régulièrement interné et qu’il ne répondait pas aux conditions requises pour être libéré soit définitivement soit à l’essai. Elle releva qu’en vertu de l’article 18 de la loi de défense sociale, la mise en liberté ne pouvait être ordonnée que si l’état mental de l’interné s’était suffisamment amélioré et si les conditions de sa réadaptation sociale étaient réunies. Or, jugea-t-elle, tel n’était pas le cas en l’espèce. Aussi, elle estima que la seule circonstance que le requérant ne s’exprimait qu’en allemand ne signifiait pas que les autorités n’eussent pas pris toutes les mesures utiles aux soins requis en sa faveur.

35. Le requérant se pourvut en cassation, dénonçant une violation des articles 3 et 5 de la Convention.

36. Le 8 septembre 2010, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. En réponse au moyen tiré de la violation de l’article 5 § 1 de la Convention, elle estima la décision de la CSDS régulièrement motivée et légalement justifiée. Elle tint le raisonnement suivant :

« L’internement étant d’abord une mesure de sûreté, l’action thérapeutique que cet état requiert n’est pas une condition mise par la loi à la régularité de la privation de liberté, même si celle-ci a pour objectif, après la protection de la société, de prodiguer à l’interné les soins nécessaires.

Les commissions de défense sociale puisent dans l’article 14, alinéa 2, de la loi la faculté, et non l’obligation, d’ordonner, par décision spécialement motivée, le placement dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner. Il en résulte que l’exécution de la mesure d’internement ne devient pas illégale du seul fait qu’elle se poursuit dans un des établissements organisés à cette fin par le gouvernement, plutôt qu’au sein d’une autre institution spécialement désignée pour la thérapie qu’elle est susceptible d’appliquer. »

37. La Cour de cassation déclara irrecevable le moyen tiré de la violation de l’article 3 de la Convention, au motif qu’il eût fallu pour l’examiner qu’elle vérifiât factuellement les conditions d’internement du requérant et qu’une telle vérification échappait à sa compétence. Pour le surplus, elle estima que la CSDS avait répondu au grief du requérant en disant que la circonstance que celui-ci ne s’exprimait qu’en allemand ne signifiait pas que les autorités concernées n’eussent pas pris toutes les mesures utiles pour lui assurer les soins requis.

D. La troisième demande de libération introduite devant la CDS

38. Le 13 novembre 2013, le requérant demanda de nouveau sa mise en liberté.

39. Dans un rapport du 13 janvier 2014, le service psycho-social de l’EDS de Paifve rappela que le requérant ne maîtrisait pas la langue française mais n’en connaissait que quelques mots qui ne lui permettaient pas de tenir une conversation et que, par conséquent, il avait très peu de contacts avec les autres patients et avec les membres du personnel. Il ressortait par ailleurs du rapport que le requérant avait rencontré un psychologue germanophone une seule fois, en juin 2010 ; qu’il avait un meilleur comportement, qu’il était moins agressif et intolérant que précédemment et que depuis peu, il était passé du pavillon cellulaire au pavillon communautaire ; de plus, il n’avait jamais exprimé le souhait de rencontrer régulièrement les membres du service psycho-social. La conclusion du rapport était que le requérant devait demeurer à l’EDS de Paifve compte tenu, notamment, de ses « troubles mentaux non traités ».

40. Le 24 janvier 2014, la CDS rendit sa décision. Elle rappela tout d’abord le contenu des rapports des Drs Ri. du 5 septembre 2005, et Ro. du 21 janvier 2009, selon lesquels il était nécessaire que le requérant suive un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique dans un établissement sécurisé puis dans une institution fermée avant que l’on puisse envisager son admission dans une station ouverte. Elle constata que depuis l’établissement de ces rapports, les diverses tentatives de résolution du problème linguistique n’avaient pas permis d’améliorer sérieusement la santé du requérant : les rares sorties de l’intéressé en compagnie d’un agent pénitentiaire germanophone avaient été abandonnées car cet agent n’était plus disponible et n’avait pas été remplacé ; les recherches visant à lui trouver un établissement, un médecin ou un thérapeute germanophones s’étaient soldées par des échecs ; l’annonce du recrutement d’un minimum de personnel germanophone semblait être restée sans suite, et le requérant avait spontanément renoncé aux services de l’assistant social germanophone qui l’avait ponctuellement rencontré. La CDS rejeta néanmoins la demande de libération à l’essai, au motif que les conditions d’une telle libération, à savoir l’amélioration de l’état mental de l’intéressé et les garanties d’une réadaptation sociale, n’étaient pas réunies. Relativement à la question des soins en allemand, auxquels le requérant se plaignait de ne pas avoir accès, elle tint le raisonnement suivant :

« L’interné affirme qu’il ne reçoit pas en allemand, sa langue maternelle, les soins appropriés à son état de santé mentale sans toutefois décrire ou seulement évoquer quels sont les soins qui lui seraient refusés et qu’il accepterait de recevoir ou auxquels il participerait. La seule circonstance qu’il ne s’exprime qu’en allemand ne signifie pas que l’établissement de défense sociale de Paifve n’a pas pris toutes les mesures utiles pour lui assurer les soins requis par son état de santé.

Si, comme le rappelle l’intéressé en ses conclusions, il appartient à l’administration compétente de prendre toutes les mesures utiles à sa santé, il n’entre pas, toutefois, dans les attributions de la commission [de défense sociale] de libérer l’interné qui se dirait victime des carences de l’administration. [...]

Il n’est pas davantage de la compétence de la commission de donner des injonctions à l’administration ou à des tiers, [ou] de sanctionner leurs actes ou défaillances [...]. »

41. Le 3 avril 2014, la CSDS confirma la décision de la CDS. Elle exposa notamment les considérations suivantes :

« Contrairement à ce qu’il soutient en conclusions, l’interné reçoit tous les soins que son état requiert par du personnel compétent et qualifié dans l’EDS de Paifve, parfaitement adapté à sa pathologie. Malgré les soins prodigués, l’état mental de l’interné n’est pas encore suffisamment amélioré en raison de ses traits paranoïaques et psychopathiques, de son absence d’autocritique et de son discours revendicatif. C’est donc manifestement à tort que l’interné tente d’imputer l’absence d’amélioration de son état mental à une pure question linguistique.

Le maintien d’un interné, dont l’état mental n’est pas suffisamment amélioré et les conditions de sa réadaptation sociale ne sont pas réunies, dans un EDS adapté à sa pathologie et qui représenterait un danger social en cas de libération, n’est pas illégal et ne constitue pas une violation des dispositions de la [Convention]. »

42. Le 25 juin 2014, la Cour de cassation cassa la décision de la CSDS au motif que cette dernière n’avait pas répondu au moyen du requérant selon lequel il ne recevait pas de soins appropriés à sa situation médicale, eu égard à la circonstance qu’il ne parlait et ne comprenait que l’allemand et qu’aucun membre du personnel maîtrisant cette langue n’était disponible dans l’établissement où il était interné. L’affaire fut renvoyée devant la CSDS autrement composée.

43. Le 22 juillet 2014, la CSDS se prononça avant dire droit en demandant à la CDS de désigner un collège d’experts s’exprimant en langue allemande afin d’actualiser le rapport d’expertise psychiatrique du 21 janvier 2009. Elle invita la directrice de l’EDS de Paifve à prendre toutes les mesures utiles pour que les soins nécessités par le requérant lui soient prodigués, au moins par l’intervention d’un psychiatre et d’un psychologue parlant chacun l’allemand. Elle ordonna la réouverture des débats et fixa la date de l’audience au 17 octobre 2014.

44. Dans une décision de cette dernière date, la CSDS prit acte du fait que le requérant avait été suivi par un psychologue germanophone depuis le 11 juillet 2014 et par un psychiatre germanophone depuis le 16 septembre 2014. Elle ordonna la désignation d’un collège d’experts qui, assisté d’un interprète en langue allemande, devrait actualiser le rapport rendu par le Dr Ro. le 21 janvier 2009.

45. Le rapport actualisé, rédigé par trois experts ayant examiné chacun séparément le requérant, fut rendu le 27 mars 2015. Les experts concluaient que le trouble délirant relevant du registre paranoïaque persistait, que la dimension psychotique était toujours bien présente dans la personnalité du requérant, et que celui-ci se trouvait dans un état neuropsychique quasi superposable à celui où il était en 2009 à l’époque de l’expertise du Dr Ro.

46. Par une décision du 20 mai 2015, la CSDS rejeta la demande de libération définitive ou à l’essai, estimant que l’état de santé du requérant ne s’était pas suffisamment amélioré et que les conditions pour qu’il se réadapte dans la société n’étaient pas réunies. Elle précisa aussi qu’il n’était pas établi que ce défaut d’amélioration de l’état du requérant fût uniquement imputable au fait qu’il n’avait pas eu la possibilité de s’adresser à des personnes s’exprimant en langue allemande, compte tenu notamment de ce qu’il avait bénéficié de l’intervention de personnel médical depuis le 11 juillet 2014.

47. Le requérant forma contre cette décision un pourvoi que la Cour de cassation rejeta par un arrêt du 28 octobre 2015. La Cour de cassation reprit les conclusions de la CSDS et précisa qu’il n’y avait pas lieu, compte tenu des motifs exposés par celle-ci, d’accueillir les moyens du requérant tirés d’une violation des articles 3 et 5 de la Convention.

E. Les demandes formées devant le juge des référés de Bruxelles

48. Entre-temps, par une citation du 28 mars 2014, le requérant avait assigné l’État belge devant le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles statuant en référé en application de l’article 584 du code judiciaire. Il demandait sa mise en liberté ou, subsidiairement, l’imposition de la prise des mesures requises par son état de santé.

49. Par une ordonnance avant dire droit du 4 juillet 2014, le président du tribunal demanda à la directrice de l’EDS de Paifve et au Dr B., du service psycho-social de cet EDS, de lui faire savoir d’une part quels étaient les soins disponibles dans cet EDS et d’autre part quels étaient ceux qui avaient effectivement été dispensés au requérant.

50. Dans leurs réponses respectives, en date du 28 août 2014, la directrice de l’EDS de Paifve et le Dr B. indiquèrent que le requérant avait désormais accès à des consultations auprès d’un psychologue germanophone et que les autorités avaient pris contact avec un psychiatre germanophone qui avait accepté de rencontrer le requérant. Le Dr B. précisa en particulier ceci :

« La psychiatrie est une branche de la Médecine qui s’occupe des troubles mentaux et sa manière de s’exercer se comprend d’abord et avant tout par un dialogue singulier entre un patient et son thérapeute, le médecin. Cela implique l’utilisation du langage, cela implique bien sûr qu’on se comprenne, cela implique que les deux parties aient accès à un langage commun qui leur permette de communiquer et pour le psychiatre de bien saisir toutes les nuances de l’état du patient et de son évolution.

Or, de ce point de vue, on ne cesse de souligner depuis toujours que [le requérant] est essentiellement germanophone. Certes, il donne bien de temps en temps quelques mots en français, des mots simples, mais manifestement, les années passées à Paifve ne l’ont pas déterminé à apprendre davantage l’usage du français pour communiquer d’une façon plus pointue avec les intervenants. Ou bien, comme certains examens semblent le démontrer, est-il assez démuni cognitivement pour l’empêcher d’arriver à un tel résultat.

(...) On peut bien sûr toujours espérer que dans le cas de figure [du requérant], un encadrement et des soins adaptés en langue allemande permanente pourraient améliorer quelque peu son trouble de [la] personnalité, mais encore une fois, je suis davantage dans l’opinion qu’avec un tel type de trouble de [la] personnalité, paranoïde, paranoïaque avec traits antisociaux, le développement positif est peu envisageable. »

51. Dans une ordonnance du 10 octobre 2014, le président du tribunal constata que jusqu’en septembre 2014, le requérant n’avait jamais eu accès à un psychiatre pouvant communiquer avec lui en allemand. Il avait eu accès à un psychologue germanophone extérieur à l’EDS entre les mois de mai et de novembre 2010. Il releva que les consultations auprès du psychologue avaient été interrompues non pas parce que le requérant ne souhaitait plus s’y rendre, comme le soutenait l’État dans ses conclusions, mais en raison du paiement tardif par l’État belge des frais et honoraires du psychologue, et qu’elles avaient repris au mois de juillet 2014. Il constata que jusqu’en avril 2010 le requérant avait bénéficié de la présence et des soins prodigués par un infirmier germanophone, que cet infirmier avait entre-temps quitté l’EDS de Paifve, mais que depuis août 2014 il avait été autorisé à accompagner le requérant lors de sorties. Enfin, il releva que le requérant avait parlé à un assistant social germanophone mais avait décliné ses services en février 2014.

52. Sur la demande formée à titre principal, le président se déclara incompétent pour ordonner la mise en liberté du requérant, jugeant que cette décision relevait des instances de défense sociale. Statuant sur la demande subsidiaire, il constata que le requérant n’avait pas eu accès aux soins de santé mentale nécessités par son état, et estima qu’à première vue, il avait subi une violation du droit d’accès à des soins de santé ainsi qu’une situation inhumaine et dégradante au sens de l’article 3 de la Convention. Il ordonna par conséquent à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones chargés de s’occuper du requérant, sous peine d’astreinte, et de mettre en place un cadre offrant les soins usuellement prévus pour les internés francophones souffrant d’une maladie mentale similaire à celle du requérant.

53. Il n’a pas été fait appel de cette ordonnance. Selon le représentant du requérant, l’État belge a désigné une psychiatre et une psychologue germanophones, qui ont plusieurs fois rendu visite au requérant. Toutefois, ces visites auraient cessé depuis la fin de l’année 2015.

F. La demande de dommages et intérêts

54. Entre-temps, par citation du 2 mai 2014, le requérant avait introduit une demande de dommages et intérêts pour faute contre l’État belge, sur la base de l’article 1382 du code civil.

55. Par un jugement du 9 septembre 2016, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles jugea fautif le manquement à fournir au requérant des soins psychologiques dans sa langue maternelle entre 2010 et 2014. Il s’exprima notamment en ces termes :

« Il est incontestable que les soins psychiatriques et psychologiques dont [le requérant] doit pouvoir bénéficier doivent lui être prodigués en allemand, seule langue qu’il maîtrise et par ailleurs une des trois langues nationales en Belgique.

Or entre 2010 et 2014, [le requérant] n’a bénéficié d’aucun traitement médico‑psychologique dans sa langue.

Quelle que soit la qualité – non contestée d’ailleurs – des soins prodigués aux internés dans [l’EDS] de Paifve, [ces soins] sont totalement inadaptés à l’état de santé mentale [du requérant] par le seul fait qu’ils ne sont pas disponibles en allemand.

En dépit des dénonciations officielles et répétées de la Commission de défense sociale de cette situation à l’État belge dès 2010, celui-ci n’a pris aucune mesure pour y remédier. Il n’apporte d’ailleurs aucun indice de la moindre démarche qu’il aurait effectuée dans ce sens.

Cette abstention est constitutive d’une faute au sens de l’article 1382 du code civil.

(...)

Par ailleurs et comme le soutient également [le requérant], les articles 3 et 5 [de la Convention] imposent à l’État belge de prendre les mesures nécessaires pour lui assurer l’accès aux soins fondamentaux nécessités par son état de santé mentale.

(...)

En l’espèce, la vulnérabilité du requérant en raison de la nature même de son trouble psychique et l’absence de possibilité réelle de contact dans sa langue ont nécessairement aggravé son sentiment de détresse et d’angoisse.

Il importe peu qu’en tout état de cause, l’état de santé mentale [du requérant] ne lui permette pas d’être libéré. Le seul fait d’être interné pour une durée indéterminée sans soins adaptés est en l’espèce constitutif d’une violation des articles 3 et 5 [de la Convention]

Contrairement à ce que soutient l’État belge, le fait que [le requérant] ne soit pas toujours réceptif à un traitement psycho-médico-social ne permet pas de relativiser l’attitude négligente de l’État belge à l’égard d’une personne atteinte d’un trouble mental, dont le discernement est par hypothèse incertain.

De la même manière, sous peine de faire abstraction du vécu de la personne atteinte d’un trouble mental, le comportement stable [du requérant] au sein de l’établissement ne suffit pas à établir qu’il recevait des soins adaptés à son état. »

56. Considérant que cette absence de soins avait provoqué une souffrance morale dans le chef du requérant, le tribunal condamna l’État à l’indemniser pour la période de janvier 2010 à octobre 2014 à concurrence de 75 000 euros (« EUR »), somme fixée ex aequo et bono. La date à laquelle ce jugement a été signifié aux parties ne ressort pas du dossier.

57. Le 24 janvier 2018, le requérant déposa une demande d’assistance judiciaire auprès de la cour d’appel de Bruxelles en vue de faire appel du jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles. Par une ordonnance du 26 janvier 2018, la cour d’appel de Bruxelles fit droit à cette demande.

58. L’État belge, pour sa part, interjeta appel du même jugement le 19 février 2018, plaidant que les griefs du requérant étaient irrecevables et/ou mal fondés. L’audience d’introduction devant la cour d’appel de Bruxelles se tint au 22 mars 2018.

59. À la date de l’adoption du présent arrêt, cette procédure est toujours pendante.

G. La demande de libération introduite auprès de la chambre de protection sociale

60. Dans leurs observations devant la Grande Chambre, les parties ont produit des documents montrant qu’une nouvelle procédure ayant pour objet la libération du requérant avait été engagée en application de la nouvelle loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes (« la loi du 5 mai 2014 », voir les paragraphes 91‑97 ci-dessous). Dans ce cadre, le 12 janvier 2017, l’équipe du service psycho-social de l’EDS de Paifve, qui comprenait un psychiatre, un psychologue et un assistant social, établit un rapport multidisciplinaire psychiatrique et psycho-social sur la situation du requérant. Elle précisa que les éléments présentés dans son rapport provenaient des différentes expertises psychiatriques réalisées pendant le parcours d’internement du requérant, et que du fait de la barrière de la langue, il lui était impossible de recueillir d’autres informations ou de comparer celles qui ressortaient des expertises avec les affirmations du requérant au moment du rapport. Elle confirma ensuite que le patient ne s’exprimait qu’en allemand et qu’il ne connaissait que quelques mots de français, insuffisants pour lui permettre de tenir une conversation, de sorte qu’il avait peu de contacts avec les autres patients et avec les membres du personnel. L’équipe auteure du rapport ajoutait que ce problème linguistique entravait et compliquait l’observation clinique et qu’elle n’était donc pas en mesure, compte tenu de cette carence dans l’évaluation, de livrer un avis psychiatrique suffisamment éclairé sur la demande de libération. Néanmoins, malgré cette difficulté d’appréciation objective quant à la dangerosité du requérant, aux risques de récidive qu’il présentait ainsi qu’à ses capacités d’autonomie, elle estimait pouvoir affirmer que des zones d’ombres étaient toujours présentes. À cet égard, elle indiquait qu’en particulier, le requérant manifestait toujours l’obsession de vengeance mise en évidence par l’expertise de 2015, et que le risque qu’il importune les victimes ne pouvait être exclu. Elle émettait donc en conclusion un avis défavorable à la demande de libération formulée par le requérant.

61. Le 5 mai 2017, la directrice de l’EDS de Paifve établit de son côté un rapport dans lequel elle indiquait que le requérant avait toujours besoin d’un cadre institutionnel compte tenu de sa pathologie et de ce qu’il demeurait dangereux en ce qu’il risquait encore de commettre des infractions ou d’importuner les victimes. Elle estimait qu’afin que « les conditions de libération à l’essai soient réunies, et vu la personnalité de monsieur Rooman, seul un projet de libération [à l’essai] dans une institution [une structure cadrante] pourrait être un garant ». Elle exprimait elle aussi un avis défavorable, en l’état de la situation, à la libération du requérant.

62. Reprenant les motifs contenus dans ces deux rapports, le ministère public près le tribunal de l’application des peines (« TAP ») de Liège rendit le 29 mai 2017 un avis favorable au maintien en internement et défavorable à la libération à l’essai telle que sollicitée.

63. Le 28 juillet 2017, la chambre de protection sociale (« CPS »), autrement composée, du TAP de Liège, désormais compétente, en vertu de la nouvelle loi de 2014 sur l’internement (paragraphe 97 ci-dessous), pour décider du maintien en internement ou de la libération du requérant, rendit une décision avant dire droit. Elle ordonna la réouverture des débats de manière à permettre aux parties de présenter des informations utiles quant à la persistance de la situation qui avait amené la Cour européenne des droits de l’homme à constater, par un arrêt de chambre du 18 juillet 2017, une violation de l’article 3 de la Convention. Dans l’attente de ces informations, elle ajourna l’examen de la cause. Elle convoqua par ailleurs à l’audience programmée pour le mois de novembre 2017 le Directeur général des établissements pénitentiaires.

64. La CPS tint audience à huis clos le 16 novembre 2017, à l’EDS de Paifve, en présence du requérant, assisté de ses avocats et d’un interprète.

Dans son jugement, rendu le 27 décembre 2017, elle formula les constats suivants :

« (...) Selon les informations données à la [CPS], [le requérant] peut désormais s’adresser à une psychologue de langue allemande (3 visites depuis le mois d’août 2017). Il peut également, s’il le souhaite, obtenir l’intervention d’un psychiatre de langue allemande. Il bénéficie d’une sortie par mois, accompagné d’un infirmier de langue allemande. L’intervention d’intervenants psychosociaux de langue allemande est organisée. Un interprète en langue allemande sera appelé chaque fois que cela sera nécessaire (CAP, auditions disciplinaires, expertises). Des concertations cliniques sont planifiées afin d’apprécier l’organisation des soins et de les adapter si nécessaire (une réunion a [eu] lieu, une deuxième est prévue).

(...) Il est établi que la détention [du requérant], pendant les périodes durant lesquelles il n’a pas été suivi par des soignants de langue allemande, a violé l’article 3 de la [Convention].

Il est démontré par les auditions du 16 novembre 2017 que cette violation a actuellement pris fin puisque l’EDS de Paifve et la direction des établissements pénitentiaires ont fait en sorte que des intervenants de langue allemande soient présents, tant en ce qui concerne le suivi psychologique et psychiatrique qu’en ce qui concerne le suivi social, [ainsi que] les sorties [du requérant] accompagné. Un interprète est en outre prévu chaque fois que cela est nécessaire.

(...) en admettant la thèse [du requérant], selon lequel l’absence de soins dans sa langue a rompu le lien entre son internement et la maladie qui en est l’origine, de telle sorte que la détention [serait] devenue illégale (...), il convient de constater, à nouveau, que l’illégalité de la détention a disparu à la suite des mesures mises en place actuellement.

La détention actuelle est justifiée par l’état mental [du requérant] et les conditions de sa détention permettant à la fois de le soigner et d’assurer sa sécurité et celle d’autrui.

(...) il subsiste des contre-indications à une libération [du requérant] portant sur :

. l’absence de perspectives de réinsertion sociale compte tenu de son trouble mental (...)

. le risque de perpétration d’infractions (...)

. le risque qu’il importune les victimes et son attitude à l’égard des victimes des faits qui ont conduit à son internement (...). »

65. Sur la base de ces motifs, la CPS rejeta la demande de libération définitive formulée à titre principal et dit qu’il n’y avait pas lieu non plus de procéder à une libération à l’essai. Elle ajouta quant à la demande subsidiaire relative aux soins à prodiguer en langue allemande que celle-ci était devenue sans objet. Elle fixa un délai d’observation de huit mois, à l’issue duquel la directrice de l’EDS de Paifve devrait rendre un nouvel avis sur la situation du requérant.

66. Par un arrêt du 28 février 2018, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en cassation du requérant contre le jugement de la CPS du 27 décembre 2017.

H. Synthèse chronologique des soins prodigués au requérant, jointe aux observations du Gouvernement devant la Grande Chambre

67. À l’appui de ses observations soumises dans la procédure devant la Grande Chambre, le Gouvernement a joint un document de synthèse récapitulant de manière chronologique les soins administrés au requérant depuis son internement à l’EDS de Paifve en 2004. Il a également apporté des précisions factuelles lors de l’audience publique le 6 juin 2018.

68. En ce qui concerne les soins psychiatriques, le document communiqué par le Gouvernement indique que le requérant a été suivi par différents psychiatres francophones. La fréquence des consultations n’est pas précisée. De 2004 au 1er février 2014, un infirmier parlant allemand aurait assisté les psychiatres lors des entretiens en assurant l’interprétation. Entre le mois de mars 2008 et le mois d’août 2009, le requérant aurait été suivi par un psychiatre ayant des notions d’allemand. Le 20 mai 2015, le requérant aurait rencontré le Dr V, une psychiatre germanophone. Cet entretien n’aurait pas donné suite à un suivi régulier. La psychiatre aurait en effet noté que le requérant n’avait pas de demandes particulières ni de demande d’aide au niveau psychiatrique. Elle aurait néanmoins accepté de revenir si nécessaire. Elle aurait confirmé sa disponibilité le 23 mars 2016 puis à la fin de l’année 2017, dans le cadre d’un contact téléphonique avec le psychiatre de l’EDS de Paifve. Lors de l’audience publique devant la Cour, le Gouvernement a affirmé que le requérant, considéré capable de discernement, ne souhaitait pas établir de contact suivi avec la psychiatre.

69. En ce qui concerne les soins psychologiques en allemand, le requérant aurait eu neuf entretiens dans cette langue avec une psychologue en 2010, puis neuf autres entretiens en 2014-2015. Depuis le 18 août 2017 jusqu’au 12 mars 2018, date des observations du Gouvernement, le requérant aurait eu des entretiens mensuels avec cette psychologue, les derniers ayant eu lieu, selon les informations données à la Cour lors de l’audience publique du 6 juin 2018, le 20 mars et le 27 avril 2018. Le requérant a déclaré pour sa part ne plus avoir eu de tel entretien depuis le mois de mars, le dernier entretien ayant eu lieu selon lui en février 2018.

70. Pour ce qui est de l’assistance sociale, le Gouvernement indique que depuis le 1er octobre 2006, le requérant a bénéficié d’une assistance sociale de la part d’une personne germanophone, sauf de mai à septembre 2014 en raison d’un congé de maternité et du 1er avril au 1er novembre 2017 en raison d’un changement de fonctions. Depuis le mois de novembre 2017, l’assistante sociale germanophone aurait réintégré sa fonction au sein de l’EDS de Paifve et aurait continué à rencontrer le requérant plusieurs fois par mois. Elle aurait essentiellement répondu aux demandes du requérant portant sur des questions administratives ou sur un besoin d’aide pratique pour ses contacts avec l’extérieur, notamment avec son avocat.

71. En ce qui concerne les soins infirmiers psychiatriques, le document communiqué par le Gouvernement indique que dès son arrivée à l’EDS de Paifve, le requérant a été suivi de manière régulière par un infirmier parlant l’allemand. Outre ses compétences d’ordre somatique, cet infirmier aurait eu des connaissances spécialisées en soins psychiatriques et aurait fait bénéficier le requérant de temps d’entretien visant principalement à lui apporter un soutien et à l’aider à gérer ses tensions. Selon le Gouvernement, cet infirmier pouvait, par son écoute, apprécier l’état mental du requérant et relayer ses observations au psychiatre. L’infirmier a été muté dans une prison le 1er février 2014, et a pris sa retraite le 1er décembre 2016. Après cette date, il aurait continué à rencontrer le requérant afin de maintenir le contact avec lui et de l’accompagner dans ses sorties, dont la dernière aurait eu lieu le 24 avril 2017.

72. Par ailleurs, le requérant aurait pu consulter un médecin généraliste une fois par mois. Dès le 30 novembre 2017, un interprète aurait été sollicité pour traduire ces entretiens.

73. Le 25 novembre 2017, une réunion multidisciplinaire de l’équipe soignante eut lieu en présence du requérant et d’un interprète. Lors de l’audience publique, le Gouvernement a exposé, sans présenter de document écrit à l’appui de cette déclaration, qu’une réunion de coordination avait eu lieu entre les différents acteurs impliqués dans le suivi du requérant à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de l’EDS de Paifve, en présence de l’intéressé. Lors de cette réunion, l’équipe aurait en particulier sollicité le consentement du requérant à ce que la psychologue germanophone, externe à l’établissement, puisse transmettre à l’équipe psycho-sociale interne les informations qu’elle recueillait dans le cadre des entretiens mensuels avec lui ainsi que ses conclusions sur l’évolution de son état de santé, compte tenu de ce que l’équipe psycho-sociale était chargée de réaliser une expertise sur l’état de dangerosité du requérant et sur ses possibilités de réinsertion. Le requérant aurait refusé de consentir à cette transmission d’informations.

74. Enfin, le Gouvernement soutient que le requérant pouvait bénéficier de permissions de sortir accompagné de l’infirmier. Le nombre de ces sorties aurait augmenté progressivement, passant d’une en 2007 à six en 2017. Depuis 2015, le requérant se rendrait régulièrement en Allemagne. En 2016, il aurait renoué le contact avec sa famille. Il ressort des éléments du dossier que le requérant a un frère, avec lequel il a renoué au cours des dernières années.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le cadre législatif relatif à l’internement

1. La loi de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels (9 avril 1930)

75. Le placement initial du requérant à l’EDS de Paifve a eu lieu en application de la loi du 9 avril 1930 de défense sociale à l’égard des anormaux, des délinquants d’habitude et des auteurs de certains délits sexuels telle que modifiée par la loi du 1er juillet 1964 (« la loi de défense sociale »), désormais abrogée et remplacée par la loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes, en vigueur depuis le 1er octobre 2016 (« la loi du 5 mai 2014 », voir les paragraphes 91-97, ci-dessous). Lors de l’adoption de la loi du 5 mai 2014, des dispositions transitoires ont été prévues afin d’appliquer jusqu’à l’entrée en vigueur de cette loi le régime de la loi de défense sociale.

76. En vertu de l’article 7 de la loi de défense sociale, les juridictions d’instruction et les juridictions de jugement pouvaient ordonner l’internement des individus qui étaient inculpés de faits qualifiés de crime ou de délit et qui se trouvaient dans un état visé par l’article 1er de la même loi, c’est-à-dire « soit en état de démence, soit dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale [les] rendant incapable[s] du contrôle de [leurs] actions ». Par ailleurs, lorsqu’il était reconnu au cours de la détention d’un individu condamné pour un crime ou un délit qu’il se trouvait en état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale le rendant incapable de contrôler ses actions, l’intéressé pouvait être interné en vertu d’une décision du ministre de la Justice rendue sur avis conforme de la Commission de défense sociale (CDS).

77. Les CDS étaient instituées pour l’organisation de l’internement. Elles étaient composées d’un magistrat effectif ou honoraire qui en était le président, d’un avocat et d’un médecin (article 12 de la loi de défense sociale).

78. Les CDS décidaient du lieu d’internement. Celui-ci était choisi parmi les établissements organisés par le gouvernement. La CDS pouvait toutefois, pour des raisons thérapeutiques et par décision spécialement motivée, ordonner le placement et le maintien de l’individu dans un établissement approprié quant aux mesures de sécurité et aux soins à donner (article 14 de la loi de défense sociale).

79. En pratique, si la CDS décidait que l’internement devait être effectué sous forme de placement, l’interné pouvait être placé dans un établissement de défense sociale, une section de défense sociale rattachée à une prison et destinée spécifiquement à l’accueil des internés, ou un établissement externe du réseau ordinaire (paragraphes 106-114 ci-dessous).

80. Par un arrêt du 17 septembre 2009 (no 142/2009), la Cour constitutionnelle, saisie d’une question préjudicielle, s’est prononcée sur le point de savoir si la loi de défense sociale était compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution belge combinés avec l’article 5 § 1 de la Convention en ce qu’elle ne prévoyait pas que la CDS puisse obliger un « établissement approprié » visé par l’article 14 alinéa 2 de la loi à accueillir un interné, ce qui pouvait avoir pour effet de ne pas garantir que les décisions relatives à l’accueil de cet interné dans un établissement psychiatrique adapté soient exécutées dans un délai raisonnable. Elle s’est alors prononcée en ces termes :

« B.7.3. Lorsque la juridiction compétente a jugé qu’une personne internée doit être accueillie dans un établissement approprié, il appartient aux autorités compétentes de faire en sorte que cette personne puisse y être accueillie (CEDH, Johnson c. Royaume‑Uni, 24 octobre 1997 ; Brand c. Pays-Bas, 11 mai 2004 ; Morsink c. Pays-Bas, 11 mai 2004). Si, lorsque l’établissement désigné par la commission de défense sociale ne peut accueillir la personne internée, un équilibre raisonnable doit être recherché entre les intérêts des autorités et ceux de l’intéressé, un tel équilibre est rompu lorsque celui-ci est laissé indéfiniment dans un établissement que la juridiction compétente a jugé inadapté pour permettre son reclassement.

B.7.4. Cette atteinte au droit [à la liberté et à la sûreté] ne provient cependant pas de la disposition législative sur laquelle la Cour est interrogée. Elle est due à l’insuffisance de places disponibles dans les établissements dans lesquels la mesure ordonnée par le juge a quo pourrait être exécutée.

B.8. Une telle situation concerne l’application de la loi. Sa sanction relève des cours et tribunaux et échappe par conséquent à la compétence de la Cour, de telle sorte que la question préjudicielle appelle une réponse négative. »

81. La CDS pouvait ordonner le transfert de l’interné dans un autre établissement soit d’office soit à la demande du ministre de la Justice, du procureur du Roi, de l’interné ou de son avocat. Si la demande de l’interné ou de son avocat était rejetée, ceux-ci pouvaient la renouveler après l’expiration d’un délai de six mois. La CDS pouvait également admettre l’interné à un régime de semi-liberté dont les conditions et modalités étaient fixées par le ministre de la Justice (article 15).

82. La CDS pouvait, avant de statuer en vertu des articles 14 et 15 précités, demander l’avis d’un médecin de son choix appartenant ou non à l’administration. L’interné pouvait aussi se faire examiner par un médecin de son choix et produire l’avis de celui-ci. Ce médecin pouvait prendre connaissance du dossier de l’interné. Le procureur du Roi, le directeur ou le médecin de l’établissement de défense sociale ou de l’établissement approprié, l’interné et son avocat étaient entendus. Le dossier était mis à la disposition de l’avocat de l’interné pendant quatre jours. L’interné était représenté par son avocat dans les cas où il aurait été préjudiciable d’examiner en sa présence des questions médico-psychiatriques concernant son état (article 16 de la loi de défense sociale). En cas d’urgence, le président de la CDS ou le ministre de la Justice pouvaient ordonner le transfert de l’interné (article 17 de la loi de défense sociale).

83. La CDS se tenait informée de la situation de l’interné et pouvait décider sa mise en liberté soit définitive soit à l’essai assortie de conditions lorsque l’état mental de celui-ci s’était suffisamment amélioré et que les conditions de sa réadaptation sociale étaient réunies. À cet effet, elle pouvait, d’office ou à la demande de l’interné ou de son avocat, charger le service des maisons de justice de la rédaction d’un rapport d’information succinct ou de la réalisation d’une enquête sociale. Une demande de libération pouvait être formée tous les six mois (article 18 de la loi de défense sociale).

84. Si la mise en liberté était ordonnée à titre d’essai, l’interné était soumis à une tutelle médico-légale dont la durée et les modalités étaient fixées par la décision de mise en liberté. Si le comportement ou l’état mental de l’individu ainsi libéré révélaient que celui-ci représentait un danger social, par exemple parce qu’il ne respectait pas les conditions qui lui étaient imposées, il pouvait, sur réquisitoire du procureur du Roi, être réintégré dans une annexe psychiatrique (article 20 de la loi de défense sociale).

85. Les décisions de la CDS étaient susceptibles de recours auprès de la commission supérieure de défense sociale (« CSDS ») dans un délai de 15 jours à compter de leur date de notification. La CSDS était composée d’un magistrat effectif ou honoraire de la Cour de cassation ou d’une cour d’appel, qui en était le président, d’un avocat et du médecin directeur du service d’anthropologie pénitentiaire (article 13 de la loi de défense sociale).

86. La CSDS se prononçait dans le mois suivant sa saisine. L’interné et son avocat étaient entendus, et les dispositions précitées de l’article 16 (paragraphe 82 ci-dessus) étaient applicables (article 19bis de la loi de défense sociale).

87. Par un arrêt du 10 décembre 2013 (P.13.1539.N), la Cour de cassation déclara que les instances de défense sociale étaient « les instances nationales (...) susceptibles d’apporter une aide judiciaire effective à l’interné et de protéger celui-ci contre une violation de l’article 5 § 1 de la Convention ». Elle précisa que ces instances « appréci[ai]ent souverainement si l’institution dans laquelle l’interné [était] placé [était] adaptée à sa maladie mentale ».

88. Dans ce cadre, les internés pouvaient se plaindre de l’absence de soins, dénoncer les conditions de leur internement et solliciter leur transfert dans le circuit extérieur. Toutefois, en cas de refus d’admission par un établissement, ni la CDS ni la CSDS n’avaient compétence pour ordonner la mise à disposition d’une place adaptée au requérant.

89. Les décisions de la CSDS confirmant la décision de rejet de la demande de mise en liberté de l’interné ou déclarant fondée l’opposition du procureur du Roi contre une telle décision pouvaient faire l’objet d’un pourvoi en cassation formé par l’avocat de l’interné devant la Cour de cassation (article 19ter de la loi de défense sociale).

90. En revanche, les décisions par lesquelles il était refusé de transférer un interné dans un « lieu approprié » n’étaient pas susceptibles d’un pourvoi en cassation car elles étaient considérées comme une modalité d’exécution de l’internement (voir, parmi d’autres arrêts, celui du 2 juin 2009 – Cass., P.09.0586.N et P.09.0735.N). Toutefois, par son arrêt précité du 10 décembre 2013 (P.13.1539.N), la Cour de cassation jugea que, étant donné que les décisions des instances de défense sociale devaient être motivées en vertu de la loi de défense sociale, la CSDS méconnaissait son obligation de motivation en se bornant à répondre à l’interné qui se plaignait de séjourner en prison dans des conditions de détention inadaptées à sa maladie mentale qu’il y était au contraire détenu dans des conditions adaptées à sa maladie mentale dans l’attente d’être accueilli dans un établissement adéquat.

2. La loi du 5 mai 2014 relative à l’internement des personnes

91. Dans le cadre de l’exécution d’arrêts de principe rendus dans une série d’affaires dirigées contre la Belgique en matière de privation de liberté des auteurs de faits qualifiés de crime ou de délit présentant des troubles psychiatriques et internés dans des ailes psychiatriques pénitentiaires (L.B. c. Belgique, no 22831/08, 2 octobre 2012, Claes c. Belgique, no 43418/09, 10 janvier 2013, Dufoort c. Belgique, no 43653/09, 10 janvier 2013, et Swennen c. Belgique, no 53448/10, 10 janvier 2013), les autorités belges, motivées par la volonté de parvenir à une intégration optimale dans la société, ont pris des mesures générales pour améliorer la situation des internés. Une modification du cadre légal relatif au placement en établissement psychiatrique spécialisé a eu lieu dans ce contexte.

92. La loi du 5 mai 2014 sur l’internement, qui abroge la loi du 9 avril 1930 de défense sociale, prévoit plusieurs avancées visant à mettre l’accent sur le trajet de soins des personnes internées. Elle définit de manière plus précise les notions utilisées et renforce les garanties procédurales. Conformément à une loi du 4 mai 2016, elle est entrée en vigueur le 1er octobre 2016. Elle définit l’internement comme une mesure de sûreté destinée à la fois à protéger la société et à faire en sorte que soient dispensés à la personne internée les soins requis par son état en vue de sa réinsertion dans la société. Cette personne doit se voir proposer, eu égard au risque qu’elle représente pour la sécurité et à son état de santé, les soins dont elle a besoin pour mener une vie conforme à la dignité humaine. Ces soins doivent lui permettre de se réinsérer le mieux possible dans la société. Ils sont dispensés – lorsque cela est indiqué et réalisable – dans le cadre d’un trajet de soins, de manière à être adaptés (article 2 de la loi de 2014).

93. À l’instar de la situation avant son entrée en vigueur, la loi prévoit que les juridictions d’instruction, sauf s’il s’agit d’un crime ou d’un délit considéré comme un délit politique ou comme un délit de presse, et les juridictions de jugement peuvent ordonner l’internement d’une personne (article 9 § 1). En revanche, elle limite le champ d’application de l’internement, en prévoyant que désormais, seuls sont susceptibles de donner lieu à une mesure d’internement les crimes et délits qui ont provoqué une atteinte ou une menace à l’intégrité physique ou psychique d’autrui (rapport de la Commission de la Justice, Chambre des représentants, Doc 54-1590/006, pp. 36-37).

94. La nouvelle loi prévoit qu’une expertise psychiatrique ou psychologique médicolégale doit intervenir préalablement à toute mesure d’internement (article 5 § 1). Les experts doivent répondre à des normes professionnelles. Les expertises peuvent être effectuées par un collège ou avec l’assistance d’autres spécialistes en sciences comportementales (article 5 § 2). L’expert est tenu de présenter un rapport circonstancié établi sur la base d’un modèle (article 5 § 4). L’expertise est contradictoire (article 8 § 1). Une autre nouveauté de la loi est que la personne faisant l’objet de l’expertise peut se faire assister non seulement par son avocat mais également par un médecin ou un psychologue de son choix (article 7).

95. L’internement reste la mesure de base du régime. Il doit se faire dans un établissement ou une section de défense sociale ou dans un centre de psychiatrie légale pour les internés à « haut risque », ou dans un établissement reconnu par l’autorité compétente, organisé par une institution privée, une communauté, une région ou une autorité locale pour les internés à « risque faible ou modéré » (article 19 juncto article 3 § 4 b), c) et d)).

96. Un établissement externe qui a conclu un accord de coopération – précisant notamment sa capacité d’accueil, le profil des internés qu’il accueille ainsi que la procédure à suivre pour cet accueil (article 3 § 5) – ne peut refuser d’être désigné comme établissement de placement (article 19). L’approbation au cas par cas n’est pas requise pourvu que les conditions de l’accord de placement soient respectées.

97. En vertu de la nouvelle loi, les seuls organes de gestion et de contrôle de l’internement sont les chambres de protection sociale (CPS) créées au sein des tribunaux de l’application des peines (article 3 § 6). Ces chambres sont composées d’un juge – qui les préside –, d’un assesseur spécialisé en matière de réinsertion sociale et d’un assesseur spécialisé en psychologie clinique (article 78 du code judiciaire). Elles décident du placement et du transfèrement des internés. Elles statuent également sur les permissions de sortie, les congés, la détention limitée, la surveillance électronique, la libération à l’essai, l’éloignement ou la remise, et, en dernier ressort, sur la libération définitive. Elles disposent d’une ample marge de manœuvre, l’objectif étant d’élaborer un parcours d’internement taillé sur mesure pour l’interné, adapté à son trouble mental et aux risques qu’il présente, dans le respect des règles propres à l’établissement de placement. La libération définitive de l’interné ne peut intervenir qu’après une période de libération à l’essai de deux ans renouvelable et pour autant que le trouble mental se soit suffisamment amélioré et que l’interné ne manifeste plus de signes de dangerosité (article 66 de la loi du 5 mai 2014).

3. Le code judiciaire

98. Indépendamment du dispositif spécifique de protection appliqué par les organes compétents en matière d’internement (paragraphes 76-90 et 97 ci-dessus), le code judiciaire permet de contester devant les tribunaux de l’ordre judiciaire les décisions prises à l’égard des internés.

99. Toute personne s’estimant victime d’une violation d’un droit subjectif peut ainsi porter son grief devant le tribunal de première instance en se plaignant d’une violation de la loi, y compris de toute disposition conventionnelle d’effet direct en droit belge. Le juge peut ordonner la cessation de la violation, éventuellement en assortissant cet ordre d’une astreinte, et, le cas échéant, accorder une indemnité.

100. En vertu de l’article 584 du code judiciaire, le président du tribunal de première instance, siégeant en référé, peut se prononcer, si l’urgence est établie, sur toute demande en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

101. En vertu de l’article 1051 du code judiciaire, le délai pour interjeter appel du jugement du tribunal de première instance est d’un mois à partir de la signification ou de la notification du jugement aux parties.

4. Le code civil

102. L’État est assujetti aux règles de droit commun de la responsabilité extracontractuelle. Le code civil de 1807 prévoit en son article 1382 que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. En vertu de l’article 1383, chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

103. Par ailleurs, dans un arrêt du 26 avril 2018 (no 50/2018), la Cour constitutionnelle a dit que l’article 2251 du code civil, en vertu duquel la prescription court contre toutes personnes, y compris les personnes internées qui ne sont pas placées sous interdiction ou sous tutelle, n’était pas contraire aux dispositions de la Constitution sur l’égalité et la non-discrimination.

5. La Constitution belge du 17 février 1994

104. L’article 4 de la Constitution dispose que la Belgique comprend quatre régions linguistiques : la région de langue française, la région de langue néerlandaise, la région bilingue de Bruxelles-Capitale et la région de langue allemande. Chaque région a son propre territoire et sa propre langue officielle, sauf la région de Bruxelles-Capitale qui a deux langues officielles, le français et le néerlandais. La région de langue allemande est constituée de neuf communes. Elle compte environ 77 000 habitants, ce qui correspond à 0,68 % de la population belge.

B. L’offre d’accueil pour les internés

105. La Cour a décrit l’offre d’accueil pour les internés en Belgique dans l’arrêt W.D. c. Belgique (no 73548/13, §§ 56-69, 6 septembre 2016). Cette description est reprise et mise à jour dans les paragraphes qui suivent.

1. Les établissements psychiatriques hautement sécurisés

106. Il existe en Belgique six établissements présentant un haut degré de sécurisation.

107. En Wallonie, les internés peuvent être accueillis dans un des trois établissements de défense sociale spécialement organisés par les autorités pour accueillir les internés. L’établissement de Paifve, qui dépend du ministère de la Justice, peut accueillir 208 internés. Étant situé dans une région unilingue, il n’est pas tenu d’employer du personnel bilingue français/allemand. Les deux autres établissements, gérés respectivement par la région wallonne et par l’intercommunale « Centre hospitalier universitaire Ambroise Paré », sont l’hôpital de soins psychiatriques sécurisé « Les Marronniers » de Tournai, qui a une capacité d’accueil de 376 internés, et le centre hospitalier psychiatrique du « Chêne aux Haies » à Mons, dont la capacité est de trente lits réservés aux femmes. Selon la réponse apportée par le ministère de la Justice à une question parlementaire le 16 octobre 2017, il y avait en novembre 2017 deux patients germanophones internés dans cette région de la Belgique, tous deux à Paifve. Le premier était le requérant, qui n’était pas en mesure de communiquer en français. Le deuxième était jugé suffisamment apte à comprendre le français pour le suivi qui lui était nécessaire.

108. En Flandre, depuis 2009, la prison de Merksplas dispose d’une section de soins sécurisée, le pavillon De Haven, d’une capacité de soixante personnes, destiné aux internés présentant une déficience intellectuelle faible à modérée et aux personnes atteintes d’un trouble autistique. En outre, deux établissements de psychiatrie médico-légale hautement sécurisés, relevant des ministères de la Justice et de la Santé publique, ont ouvert à Gand en 2015 (avec une capacité de 264 places) et à Anvers en 2017 (avec une capacité de 182 places).

109. Dans le cadre de l’exécution des arrêts de principe précités (paragraphe 91 ci-dessus), le gouvernement a indiqué qu’il avait adopté en 2016 un « Masterplan internement » visant à sortir tous les internés des prisons (paragraphes 111-114 ci-dessous) et à leur offrir des soins adaptés, en créant 860 nouvelles places pour 2022 dont 620 réparties ainsi: 250 dans un nouveau centre de psychiatrie légale à Wavre (Wallonie), 250 dans un nouveau centre de psychiatrie légale à Paifve (qui remplacerait le présent établissement) et 120 dans un nouvel établissement de haute sécurité pour les « longs-séjours » à Alost (Flandre).

2. Les établissements psychiatriques classiques

110. Il y a ensuite des hôpitaux psychiatriques classiques, soit de type privé subventionné, soit dépendant des pouvoirs publics. Certaines institutions sont classées institutions de « sécurité moyenne » et sont agréées pour accueillir des internés qui, en raison du danger qu’ils présentent pour la société, peuvent être considérés comme des patients qui présentent un sérieux trouble du comportement et/ou qui sont très agressifs et pour lesquels des mesures particulières de sécurité sont nécessaires. D’autres institutions sont classées institutions de « faible sécurité » et sont agréées pour accueillir des internés qui ne présentent pas de danger particulier pour la société et dont la problématique psychiatrique présente les mêmes caractéristiques que celles de la moyenne de la population d’un hôpital psychiatrique général.

3. Les ailes psychiatriques des prisons

111. Onze prisons disposent d’ailes psychiatriques. Il faut distinguer les sections de défense sociale des annexes psychiatriques.

112. Les sections de défense sociale, rattachées aux prisons de Merksplas, Turnhout et Bruges, sont spécifiquement instituées pour héberger des internés qui y vivent séparés des détenus de droit commun. Elles accueillent des individus nécessitant une prise en charge à moyen ou long terme.

113. Les annexes psychiatriques, rattachées aux prisons d’Anvers, Gand, Louvain, Forest, Jamioulx, Lantin, Mons et Namur, accueillent les nouveaux internés qui sont en attente d’une décision de la CPS (ou, précédemment, de la CDS) quant à leur lieu d’internement, ou qui attendent leur transfèrement vers le lieu de placement décidé par la CPS (ou, précédemment, par la CDS). Y séjournent également des prévenus mis en observation et des détenus de droit ordinaire qui ont besoin d’une assistance psychiatrique.

114. En avril 2016, la Belgique comptait environ 4 230 personnes ayant le statut d’interné, parmi lesquelles 807 étaient incarcérées. En juin 2018, le nombre d’internés incarcérés était de 531.

C. Le rapport annuel 2016 de la Commission de surveillance de Paifve

115. La Commission de surveillance de Paifve, une autorité relevant de l’administration publique de surveillance des milieux pénitentiaires, a établi un rapport sur l’EDS de Paifve en novembre 2016. Les parties pertinentes de ce rapport se lisent ainsi :

« Il semble bien que l’administration pénitentiaire a prévu la fin de l’établissement de Paifve dans un délai qui malheureusement n’est pas précisé. Paifve devra donc encore survivre au gré des budgets dans une période transitoire qui pourrait malheureusement durer plusieurs années. Dans ces conditions il est à craindre que le ministère de la Justice ne veuille plus investir un minimum pour continuer à garantir la qualité des soins et la qualité de vie dans l’établissement. La commission de surveillance lance donc ce cri d’alarme : plus que jamais, il faut veiller à ce que Paifve ne subisse pas le sort d’un établissement dont on se désintéresse et qui pourrait alors se transformer rapidement en un lieu où le désespoir règne tant parmi les malades que parmi le personnel avec des conséquences qui pourraient finalement être très néfastes. Jusqu’à la décision finale de la fermeture de l’établissement, nous prônons que l’on remédie rapidement aux déficiences constatées pour assurer un niveau de soins de qualité qui soit conforme aux possibilités que notre société se doit d’être capable d’assumer.

Les faits à améliorer à Paifve

1. Une absence de continuité des soins

Si on se réfère à l’avis du conseil national de l’ordre des médecins en sa séance du 12 mai 2007 les soins psychiatriques forcés ne peuvent être donnés que dans un cadre médical et infirmier garantissant une surveillance professionnelle suffisante des patients. Pour ne parler que du cadre infirmier, [à] Paifve où se trouvent 208 patients, il n’y a que 10 infirmiers (dont 2 payés l’ASBL ISOSL) qui travaillent et ils représentent plus ou moins sept équivalent temps plein. Cet état de choses entraîne qu’il n’y a pas d’infirmiers sur place durant la nuit et donc aucune personne qualifiée pour répondre à des soins urgents en dehors des heures de bureau ! Pour ce qui [est] des médecins psychiatres et des médecins généralistes : il n’y a pas de garde assumée en dehors des heures de bureaux. La nuit, les jours fériés, les cinq surveillants sur place n’ont de possibilités que d’appeler le médecin de garde généraliste opérant sur la commune. La plupart du temps, le médecin de garde refuse de se rendre dans l’établissement et l’on doit faire appel au service 100. L’EDS Paifve, qui se veut pourtant un établissement de soins, se trouve donc dans une situation où la continuité des soins est problématique. Les soins psychiatriques forcés ne trouvent pas à Paifve les conditions d’exercice telles que définies par le Conseil national de l’Ordre des médecins. Paifve n’ayant pas sa propre garde médicale que ce soit en soins infirmiers ou en soins médicaux, l’institution aggrave encore sa situation en n’exigeant pas de ses surveillants une compétence en premiers secours certifiée par le brevet de secourisme. (Il existe une formation de secouriste au centre de formation de Marneffe mais celle-ci est limitée à un certain nombre de surveillants appartenant à toutes les prisons). La solution serait que Paifve possède sa propre équipe formatrice sur place selon l’esprit de la loi régissant la formation des secouristes d’entreprise.

Ce manque de soins médico-infirmiers à certains moments a comme conséquence potentielle de devoir choisir des doses de psychotropes plus élevées qu’en conditions normales parce que le côté sécuritaire domine de fait sur le suivi des soins. Une autre conséquence est l’absence du personnel médical (médecins) lors d’une injection forcée, acte qui est potentiellement traumatisant pour l’interné comme pour le personnel infirmier et surveillant. La présence du médecin prescripteur peut en effet souvent permettre une meilleure acceptation du traitement forcé.

(...)

3. Insuffisance marquée du nombre de psychiatres [par rapport] à un établissement psychiatrique conventionnel

Les normes de santé publique pour un hôpital psychiatrique prévoient un temps plein (24 h/ sem[aine]) pour 60 résidents. Paifve soignant 208 internés devrait donc disposer de 3 temps pleins soit [un] minimum de 72 heures de présence d’un psychiatre par semaine. Or en totalisant les heures des psychiatres actuellement, le nombre total de leurs heures cumulées est loin d’atteindre ce chiffre. D’après un des deux psychiatres en fonction dans les soins la présence de deux psychiatres supplémentaires est nécessaire.

L’insuffisance de soins psychiatriques et psychologiques est d’autant plus lourde de conséquences pour les patients internés pour faits de mœurs.

Il est regrettable que l’EDS de Paifve ne possède pas un service spécialisé dans les déviances sexuelles alors qu’une proportion importante de patients sont internés pour des comportements déviants parfois très graves. Cette situation entraîne une désespérance de patients qui se sentent délaissés complètement malgré un désir de guérir. Par ailleurs la prise en charge par un service extérieur (consultations spécialisées qui existent cependant à Liège : exemple ASBL Sygma) est rendue très difficile par plusieurs facteurs à savoir qu’une consultation extérieure doit faire l’objet d’une demande à la commission de défense sociale parce que malheureusement elle n’est pas considérée comme un soin médical mais [comme] une sortie comme une autre. D’autres facteurs jouent pour rendre difficile une sortie thérapeutique, comme le manque de surveillants et d’éducateurs devant accompagner l’interné. »

III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006 (A/RES/61/106)

116. Cette convention est entrée en vigueur le 3 mai 2008. Elle a été signée et ratifiée par la Belgique, respectivement le 30 mars 2007 et le 2 juillet 2009. En ses parties pertinentes, elle se lit comme suit :

Article 14
Liberté et sécurité de la personne

« 1. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres :

a) Jouissent du droit à la liberté et à la sûreté de leur personne ;

b) Ne soient pas privées de leur liberté de façon illégale ou arbitraire ; ils veillent en outre à ce que toute privation de liberté soit conforme à la loi et à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté.

2. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, si elles sont privées de leur liberté à l’issue d’une quelconque procédure, aient droit, sur la base de l’égalité avec les autres, aux garanties prévues par le droit international des droits de l’homme et soient traitées conformément aux buts et principes de la présente Convention, y compris en bénéficiant d’aménagements raisonnables. »

Article 15
Droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

« 1. Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En particulier, il est interdit de soumettre une personne sans son libre consentement à une expérience médicale ou scientifique.

2. Les États Parties prennent toutes mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher, sur la base de l’égalité avec les autres, que des personnes handicapées ne soient soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

117. En septembre 2015, le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU a établi des directives relatives au droit à la liberté et à la sécurité des personnes handicapées (A/72/55, Annexe), sur la base de sa jurisprudence concernant l’article 14 de la CDPH. En leurs parties pertinentes, ces directives se lisent comme suit :

« B. Droit à la liberté et à la sécurité des personnes handicapées

3. Le Comité réaffirme que le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne est l’un des droits les plus précieux auxquels chacun puisse prétendre. De fait, toutes les personnes handicapées, en particulier les personnes avec un handicap mental ou psychosocial, ont droit à la liberté, en vertu de l’article 14 de la Convention.

4. L’article 14 est, en soi, une disposition relative à la non-discrimination. Il précise la portée du droit à la liberté et à la sécurité de la personne s’agissant des personnes handicapées, et interdit toute forme de discrimination fondée sur le handicap dans l’exercice de ce droit. Il est donc directement lié à l’objectif de la Convention, qui vise à promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et à promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque.

(...)

C. Interdiction absolue de la détention fondée sur l’incapacité

6. Il existe encore dans les État parties des pratiques autorisant la privation de liberté en raison d’une incapacité réelle ou supposée. Dans les présentes directives, on entend par incapacité l’état physique, psychosocial, intellectuel ou sensoriel d’une personne qui peut ou non s’accompagner de limitations fonctionnelles physiques, intellectuelles ou sensorielles. L’incapacité se distingue de ce qui est généralement considéré comme étant la norme. Il est entendu que le handicap est l’effet social de l’interaction entre une déficience individuelle et l’environnement social et physique, dans l’esprit des dispositions de l’article premier de la Convention. Le Comité a établi que l’article 14 ne prévoyait aucune exception qui permettrait de priver des personnes de leur liberté sur la base d’une déficience réelle ou perçue. Pourtant, la législation de plusieurs États parties, notamment les lois sur la santé mentale, continue de prévoir plusieurs cas dans lesquels des personnes peuvent être placées en établissement sur la base d’une déficience, réelle ou perçue, à condition qu’il existe d’autres motifs à leur placement, notamment le fait qu’elles présentent un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Cette pratique n’est pas compatible avec l’article 14 ; elle est discriminatoire par nature et constitue une privation arbitraire de liberté.

7. Dans le cadre des négociations du Comité spécial chargé d’élaborer une convention internationale globale et intégrée pour la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapées, qui ont abouti à l’adoption de la Convention, la nécessité d’intégrer, dans le projet de texte de l’article 14 (par. 1 b)), un adverbe, tel que « seulement » ou « exclusivement », en rapport avec l’interdiction de la privation de liberté en raison d’une incapacité réelle ou supposée, a fait l’objet de débats nourris. Les États se sont opposés à cet ajout en faisant valoir qu’il pouvait entraîner des erreurs d’interprétation et autoriser la détention de personnes sur la base d’une déficience réelle ou supposée, à la lumière d’autres critères, comme le fait de présenter un danger pour soi-même ou pour autrui. Les débats ont également porté sur la nécessité ou non d’intégrer dans le texte du projet d’article 14 (par. 2) une disposition sur le réexamen périodique des privations de liberté. La société civile s’est opposée à l’utilisation d’adverbes et à l’intégration d’une disposition concernant le réexamen périodique. Par conséquent, l’article 14 (par. 1 b)) interdit toute privation de liberté pour des raisons de déficiences réelles ou supposées, même si d’autres facteurs ou critères sont invoqués pour la justifier. Cette question a été réglée lors de la septième réunion du Comité spécial.

(...)

9. L’exercice du droit à la liberté et à la sécurité de la personne est essentiel pour l’application de l’article 19 sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société. Le Comité a souligné le rapport existant avec l’article 19. Il a fait part de son inquiétude concernant le placement en institution de personnes handicapées et l’absence de services de soutien de proximité, et a recommandé la mise en place de services de soutien et de stratégies de désinstitutionnalisation efficaces, en concertation avec les organisations de personnes handicapées. Il a en outre préconisé l’allocation de ressources financières plus importantes pour garantir des services de proximité suffisants.

D. Placement forcé ou non consenti en institution psychiatrique

10. L’internement forcé de personnes handicapées pour des motifs de soins de santé est incompatible avec l’interdiction absolue de la privation de liberté pour des raisons de déficience (art. 14, par. 1 b)) et le principe du consentement libre et éclairé de la personne concernée par les soins de santé (art. 25). Le Comité a souligné à plusieurs reprises que les États parties devaient abolir les dispositions prévoyant le placement de personnes handicapées en institution psychiatrique sans leur consentement, en raison d’une déficience réelle ou supposée. L’internement non consenti prive la personne de sa capacité juridique de décider si elle souhaite ou non faire l’objet de soins et de traitements, être hospitalisée ou placée en institution, et constitue de ce fait une violation de l’article 12, lu en parallèle avec l’article 14.

(...)

G. Privation de liberté au motif que la personne handicapée présenterait un danger, aurait besoin de soins ou de traitements ou pour tout autre motif

13. Dans tous les examens des rapports des États parties, le Comité a estimé que la détention de personnes handicapées au motif qu’elles présenteraient un danger pour elles-mêmes ou pour autrui était contraire à l’article 14. La détention forcée de personnes handicapées au motif qu’elles présenteraient un risque ou un danger, qu’elles auraient besoin de soins ou de traitements ou pour toute autre raison liée à leur déficience ou à un diagnostic, notamment la gravité de leur déficience, ou encore à des fins d’observation, est contraire au droit à la liberté et constitue une privation arbitraire de liberté.

14. On considère souvent que les personnes présentant des troubles intellectuels ou psychosociaux constituent un danger pour elles-mêmes et pour autrui lorsqu’elles ne consentent pas à faire l’objet d’un traitement médical ou thérapeutique ou s’y opposent. Toute personne, y compris handicapée, a l’obligation de ne pas causer de préjudice, et les systèmes juridiques fondés sur la règle de droit contiennent des lois pénales et autres pour traiter tout manquement à cette obligation. Les personnes handicapées ne sont souvent pas protégées sur un pied d’égalité avec les autres par ces lois, dans la mesure où elles dépendent d’un ensemble distinct de lois, notamment de lois sur la santé mentale. Ces lois et procédures prévoient généralement des critères moins stricts en matière de protection des droits de l’homme, en particulier du droit à une procédure régulière et à un procès équitable, et ne sont pas conformes à l’article 13 de la Convention, lu en parallèle avec l’article 14.

15. La liberté de faire ses propres choix, posée comme un principe à l’article 3 a) de la Convention, comprend la liberté de prendre des risques et de faire des erreurs, sur un pied d’égalité avec les autres. Dans son observation générale no 1, le Comité a indiqué que les décisions relatives aux traitements médicaux et psychiatriques devaient être fondées sur le consentement libre et éclairé de la personne concernée et respecter son autonomie, sa volonté et ses préférences (par. 21 et 42). L’internement en institution psychiatrique fondé sur la déficience, réelle ou supposée, ou sur les conditions de santé des personnes concernées prive les personnes handicapées de leur capacité juridique et constitue une violation de l’article 12 de la Convention. »

B. La recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux et son exposé des motifs (adoptée le 22 septembre 2004)

118. En ses parties pertinentes, cette recommandation est ainsi libellée :

Article 1 – Objet

« 1. Cette recommandation a pour but d’améliorer la protection de la dignité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales des personnes atteintes de troubles mentaux, en particulier celles qui font l’objet d’un placement ou d’un traitement involontaires.

(...) »

Article 2 – Champ d’application et définitions

« (...)

3. Aux fins de la présente recommandation, l’expression :

(...)

– « personne de confiance » désigne une personne qui contribue à défendre les intérêts d’une autre, atteinte d’un trouble mental, et qui peut apporter un appui moral à cette personne dans les situations où elle se sent vulnérable ;

– « représentant » désigne une personne désignée par la loi pour représenter les intérêts et prendre des décisions au nom d’une personne n’ayant pas la capacité de consentir ;

(...). »

Article 7 – Protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux

« 1. Les États membres devraient s’assurer de l’existence de mécanismes de protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux, en particulier de celles qui n’ont pas la capacité de consentir ou qui peuvent ne pas être capables de s’opposer à des violations des droits de l’homme dont elles feraient l’objet.

(...) »

Article 10 – Prestation des services de santé

« Les États membres devraient, compte tenu des ressources disponibles, prendre des mesures en vue :

i. de fournir des services de qualité appropriée afin de répondre aux besoins en matière de santé mentale des personnes atteintes de troubles mentaux, en tenant compte des différents besoins de ces diverses catégories de personnes, et assurer un accès équitable à de tels services ;

(...) »

Article 12 – Principes généraux des traitements pour trouble mental

« 1. Les personnes atteintes de troubles mentaux devraient bénéficier de traitements et de soins dispensés par des personnels suffisamment qualifiés, sur la base d’un plan de traitement personnalisé approprié. Dans la mesure du possible, le plan de traitement devrait être élaboré après consultation de la personne concernée et son opinion devrait être prise en compte. Ce plan devrait être réexaminé régulièrement et modifié si nécessaire.

(...) »

Article 17 – Critères pour le placement involontaire

« 1. Sous réserve que les conditions suivantes sont réunies, une personne peut faire l’objet d’un placement involontaire :

i. la personne est atteinte d’un trouble mental ;

ii. l’état de la personne présente un risque réel de dommage grave pour sa santé ou pour autrui ;

iii. le placement a notamment un but thérapeutique ;

iv. aucun autre moyen moins restrictif de fournir des soins appropriés n’est disponible ;

v. l’avis de la personne concernée a été pris en considération.

(...) »

Article 19 – Principes relatifs au traitement involontaire

« 1. Le traitement involontaire devrait :

i. répondre à des signes et à des symptômes cliniques spécifiques ;

ii. être proportionné à l’état de santé de la personne ;

iii. faire partie d’un plan de traitement écrit ;

iv. être consigné par écrit ;

v. le cas échéant, avoir pour objectif le recours, aussi rapidement que possible, à un traitement acceptable par la personne.

2. Outre les conditions énoncées dans l’article 12.1 ci-dessus, le plan de traitement devrait :

i. dans la mesure du possible, être élaboré après consultation de la personne concernée et, le cas échéant, de sa personne de confiance, ou du représentant de la personne concernée ;

ii. être réexaminé à des intervalles appropriés et, si nécessaire, modifié, chaque fois que cela est possible, après consultation de la personne concernée, et, le cas échéant, de sa personne de confiance, ou du représentant de la personne concernée.

3. Les États membres devraient s’assurer que les traitements involontaires ne sont effectués que dans un environnement approprié. »

119. Les passages pertinents de l’exposé des motifs de cette recommandation se lisent ainsi :

Article 7 – Protection des personnes vulnérables atteintes de troubles mentaux

« 55. Les personnes peuvent être considérées comme vulnérables en raison de facteurs cognitifs, conjoncturels, institutionnels, personnels (déférence), médicaux, économiques et sociaux ou en raison d’une combinaison de ces facteurs :

(...)

- Les personnes dont la vulnérabilité est liée à la situation peuvent avoir en principe la capacité de prendre des décisions, mais sont privées de leur aptitude à exercer cette capacité par la situation dans laquelle elles se trouvent (par exemple dans le cas d’une situation d’urgence ou en raison de leur mauvaise connaissance de la langue dans laquelle l’information est communiquée et le consentement est demandé).

(...)

56. Ainsi, les personnes atteintes de troubles mentaux peuvent être vulnérables même si elles ont la capacité de consentir. Toutefois, celles qui n’ont pas cette capacité sont particulièrement vulnérables. (...) »

Article 10 – Prestation des services de santé

« 69. Le premier alinéa de cet article s’appuie sur le principe défini dans l’article 3 de la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine, qui spécifie que « Les Parties prennent, compte tenu des besoins de santé et des ressources disponibles, les mesures appropriées en vue d’assurer, dans leur sphère de juridiction, un accès équitable à des soins de santé de qualité appropriée. »

70. La demande d’un accès équitable s’applique également à la mise à disposition de médicaments et d’autres formes de traitement. (...) [T]out traitement devrait être délivré selon les obligations et normes professionnelles en vigueur. De plus, des services devraient être disponibles de façon appropriée pour contrôler les effets du traitement. (...)

76. Une très petite minorité de personnes atteintes de troubles mentaux commet des infractions pénales graves. Pour la protection de la société, des établissements doivent être disponibles pour répondre aux besoins liés à la santé de ces personnes tout en offrant un niveau de sécurité approprié afin de protéger la société. Néanmoins, le principe de restriction minimale défini à l’article 8 s’applique également à ce groupe de personnes atteintes de troubles mentaux. C’est pourquoi un éventail d’établissements offrant un niveau de sécurité faible, moyen, et élevé est indispensable pour permettre le placement de ces personnes dans des établissements adaptés à leurs besoins de santé et protéger la sécurité d’autrui en fonction des progrès constatés durant le traitement de leur maladie. Dans certains cas, une personne qui n’a pas à faire avec le système de justice pénale peut être considérée, sur la base d’une évaluation, comme présentant un risque significatif de dommages graves pour autrui. En accord avec l’alinéa i. de cet article, des établissements disposant de niveaux de sécurité appropriés pour répondre aux besoins de ce groupe devraient également être disponibles. (...) »

Article 12 – Principes généraux des traitements pour trouble mental

« 89. Cet article définit les principes généraux de traitement applicables à tous les patients atteints de troubles mentaux. Le terme « traitement », qui est défini à l’article 2, a une portée très large. L’article 19 stipule les principes additionnels applicables si un traitement involontaire est proposé. (...)

90. Le premier paragraphe souligne l’importance d’un plan de traitement personnalisé approprié. Lorsqu’une personne est atteinte d’un trouble mental léger traité par un médecin de soins primaires, ce plan peut être simplifié et élaboré par le médecin en concertation avec le patient. (...)

91. Lorsqu’une personne est placée dans un établissement pour le traitement de son trouble mental, le plan de traitement sera plus complexe. Le plan de traitement peut également prendre en considération le comportement découlant du trouble mental du patient. L’article 19.2 énonce des conditions complémentaires aux plans [de] traitements involontaires. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a souligné, dans le contexte du placement involontaire, les éléments jugés indispensables à un plan de traitement. Ces éléments s’appliquent également aux placements volontaires ; un plan de traitement devrait donc inclure un vaste éventail d’activités thérapeutiques et de réadaptation, y compris, le cas échéant :

. la pharmacothérapie ;

. l’ergothérapie ;

. les thérapies de groupe ;

. les psychothérapies individuelles ;

. les activités de réadaptation pertinentes pour la vie quotidienne, par exemple concernant l’hygiène personnelle, les courses, la cuisine et l’utilisation des services publics ;

. l’art et le théâtre ;

. la musique et les sports.

(...)

93. Lorsque cela est possible, le plan de traitement devrait être élaboré après consultation de la personne concernée. Le but est de permettre à la personne de prendre des décisions éclairées sur son plan de traitement en partenariat avec l’équipe médicale. (...) »

Article 17 – Critères pour le placement involontaire

« (...)

132. Le troisième alinéa stipule que le placement doit avoir un but thérapeutique. Il ne doit pas être motivé par des considérations politiques, morales, économiques ou sociales, ni uniquement par des fins de privation de liberté. Si celle-ci est la seule fin du placement, il ne devrait pas avoir lieu dans un établissement psychiatrique. Toutefois, cet alinéa n’exclut pas que le placement concoure en outre à la réalisation d’autres fins, comme la protection d’autrui.

133. Par ailleurs, le « but thérapeutique » ne devrait pas être assimilé à un traitement médical invasif. Dans une situation thérapeutique, la personne peut se voir offrir un éventail de mesures, telles que la thérapie de groupe ou la réadaptation (...), qui peuvent éventuellement améliorer son état. Toutefois, une personne faisant l’objet d’un placement involontaire n’est pas obligée d’accepter ces offres. En revanche, le fait qu’aucun choix thérapeutique ne lui soit présenté est la preuve que le placement n’a pas de but thérapeutique. De façon similaire, l’absence de résultat thérapeutique ne devrait pas être assimilée à une absence de but thérapeutique. Par exemple, si toute une série de traitements ont été tentés sans succès, un objectif thérapeutique existe toujours si des possibilités thérapeutiques sont proposées à la personne, même si les traitements disponibles peuvent ne pas être en mesure de la soigner complètement.

134. Il est donc de bonne pratique, lorsqu’une personne fait l’objet d’un placement involontaire, qu’un plan de traitement soit élaboré dès que possible avec la personne concernée et sa personne de confiance ou, le cas échéant, le représentant de la personne concernée. (...) »

C. Le rapport du 8 mars 2018 relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (le « CPT ») du 27 mars au 6 avril 2017

120. Au cours de sa septième visite périodique en Belgique, du 27 mars au 6 avril 2017, la délégation du CPT a concentré son attention, notamment, sur la situation des personnes faisant l’objet d’un internement en centre de psychiatrie légale ou en milieu pénitentiaire. Elle a effectué une visite de suivi à l’EDS de Paifve, qui avait fait l’objet d’une visite complète en 1997 puis d’une brève visite dans le cadre des mouvements de grève de 2016. Dans son rapport, le CPT formule les constats suivants :

« RÉSUMÉ EXÉCUTIF

(...) Les [...] structures psychiatriques visitées, qu’il s’agisse des annexes psychiatriques pénitentiaires ou de l’EDS de Paifve, souffraient de problèmes systémiques bien connus : fonctionnement et logique de prise en charge de type carcéral, manque cruel de personnel médical et socioéducatif, agents de surveillance en nombre insuffisant et sans formation spécialisée.

Dans ces structures, la délégation a pu faire le constat d’une quasi-absence d’activités, que celles-ci soient thérapeutiques ou occupationnelles. Les patients pouvaient ainsi rester enfermés de 22 à 23 h par jour en raison d’un manque chronique d’agents de surveillance, de personnels accompagnants, d’éducateurs, etc. La prise en charge des patients était très partielle, limitée au traitement pharmacologique et aux soins de base. Une gestion très difficile et insatisfaisante des urgences psychiatriques y a également été observée. La situation des internés dans les prisons, ainsi qu’à l’EDS de Paifve, appelle à des mesures immédiates. À cette fin, le CPT recommande une plus grande implication du SPF Santé publique dans leur prise en charge.

(...)

C. Prise en charge des personnes internées en centre de psychiatrie légale ou en milieu pénitentiaire

(...)

104. La loi relative à l’internement du 5 mai 2014 était entrée en vigueur quelques mois avant la visite, le 1er octobre 2016. Cette nouvelle loi introduit d’importants changements, notamment en ce qui concerne la nature de l’expertise psychiatrique des personnes visées par une mesure d’internement, le type de délit pouvant donner lieu à une mesure d’internement, les modalités d’exécution de la mesure, ainsi que le processus de révision de celle-ci. La loi remplace les anciennes commissions de défense sociale qui statuaient sur la mesure par les chambres de protection sociale des tribunaux d’application des peines. Enfin, la loi consacre le droit des internés à être soignés et vise à favoriser leur réinsertion. L’objectif de la loi est de limiter l’usage des annexes psychiatriques et des sections dédiées aux internés en milieu pénitentiaire, y compris lors de la phase d’observation à des fins d’expertise. Elle prévoit à cet égard la création d’un « centre d’observation clinique sécurisé créé par le Roi ».

105. Afin d’enrichir l’offre de prise en charge des internés dans des structures psychiatriques dédiées, un programme spécifique, le Masterplan Internement, a été conçu et sa mise en œuvre était désormais amorcée.

L’inauguration du tout premier centre de psychiatrie légale (CPL) à Gand en 2014 apporte une illustration majeure de l’orientation prise par les autorités belges. Un deuxième CPL a ouvert ses portes à Anvers (182 lits) quelques mois après la visite. De même, l’offre s’est élargie au sein du réseau hospitalier, avec la création de nouvelles unités pour longs séjours (60 places) et des places supplémentaires (26) pour femmes. Au début de la visite, la délégation a été informée que la création de 160 à 170 lits supplémentaires était encore prévue en milieu hospitalier d’ici la fin de 2017.

106. D’après les autorités, ces efforts devraient ramener le nombre d’internés en prison sous la barre des 300 en 2018 (contre 500 environ lors de la visite périodique de 2017 et 900 en 2013). Ce chiffre devrait encore diminuer au cours des prochaines années avec l’ouverture annoncée d’autres CPL (notamment à Wavre et à Paifve) et la création de lits supplémentaires au sein du circuit hospitalier, bien qu’à une échéance plus lointaine. Dans la mesure où il est prévu que l’établissement de défense sociale (EDS) de Paifve ferme ses portes également (voir paragraphe 111), plus aucun interné ne devrait relever, d’ici quelques années, de la seule responsabilité du SPF Justice.

107. Le CPT salue les efforts déployés par les autorités belges dans leur recherche d’une prise en charge adaptée des personnes faisant l’objet d’un internement. En effet, comme le CPT l’a souligné à de maintes reprises, les établissements pénitentiaires n’ont jamais été véritablement dotés des moyens suffisants pour leur assurer des soins de qualité. Le CPT souhaite être tenu informé de la suite de la mise en œuvre du Masterplan Internement et de l’évolution des effectifs concernant les personnes internées placées dans les établissements pénitentiaires.

Dans l’attente de la mise en œuvre totale du Masterplan, le CPT recommande une plus grande implication du SPF Santé publique dans la prise en charge des personnes internées en milieu pénitentiaire, que ce soit à l’EDS de Paifve ou dans les annexes psychiatriques et sections dédiées aux internés dans les prisons. Ceci devrait pouvoir être élaboré dans le cadre du transfert de compétences envisagé concernant l’ensemble des soins de santé dans les établissements pénitentiaires (...).

111. L’EDS de Paifve, visité pour la troisième fois par le CPT, est le seul établissement pénitentiaire en Belgique dédié exclusivement à la prise en charge d’internés (hommes adultes uniquement). Sa capacité de 208 places, qui avait considérablement cru depuis la visite de 1997, était inchangée depuis 2016. L’établissement était complet au moment de la visite. Les patients de l’EDS relevaient des chambres de protection sociale rattachées à la juridiction des cours d’appel de Bruxelles, de Liège et de Mons. Ils souffraient de psychose (65 %), de troubles de la personnalité (10 %) et d’incapacités intellectuelles ou de troubles de l’apprentissage (25 %). La durée moyenne de séjour à l’EDS était de sept ans. Un patient, admis dans l’établissement en 1977, était toujours présent en 2017.

D’après le Masterplan Internement, l’EDS en tant que tel est voué à disparaître au cours des prochaines années. Il doit être remplacé par un nouveau CPL de 250 places qui verra le jour sur le terrain jouxtant l’établissement actuel, qui sera, quant à lui, transformé en prison. Le modèle de l’EDS actuel n’a pas été jugé satisfaisant par les autorités pour être maintenu ou dupliqué. En effet, à bien des égards, et malgré son statut particulier d’établissement réservé aux personnes internées, l’EDS partage beaucoup des défaillances identifiées dans le fonctionnement des annexes psychiatriques des prisons.

(...) »

EN DROIT

I. SUR L’OBJET DU LITIGE

121. Au-delà des griefs tirés des articles 3 et 5 § 1, le requérant soutient dans ses observations présentées devant la Grande Chambre qu’il n’a pas disposé d’un recours juridictionnel effectif puisque tantôt les juridictions internes se sont déclarées incompétentes pour statuer sur ses demandes de libération, tantôt elles ont refusé de conclure à l’illégalité de sa privation de liberté et ont maintenu son internement. Il voit dans cette situation une violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

122. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’objet d’une affaire renvoyée devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention est délimité par la décision de la chambre sur la recevabilité (voir, parmi beaucoup d’autres, Garib c. Pays-Bas [GC], no 43494/09, § 100, 6 novembre 2017, et les affaires qui y sont citées).

123. La Cour constate que le grief formulé sur le terrain de l’article 5 § 4 est un grief nouveau, soulevé pour la première fois devant la Grande Chambre. Il n’est donc pas couvert par la décision sur la recevabilité rendue par la chambre. Il s’ensuit que la Cour ne peut pas le prendre en compte à ce stade.

II. SUR LA QUALITÉ DE VICTIME DU REQUÉRANT

A. L’arrêt de la chambre

124. Eu égard au résultat favorable obtenu en première instance par le requérant dans la procédure sur l’action en dommage et intérêts qu’il avait engagée (paragraphe 55 ci-dessus), la chambre a examiné le point de savoir s’il pouvait encore se prétendre victime d’une éventuelle violation de la Convention. Elle est parvenue à la conclusion que tel était le cas, pour les motifs exposés aux paragraphes 65 à 70 de son arrêt.

B. Thèses des parties

125. Interrogées par la Grande Chambre sur la question de la qualité de victime du requérant, les parties ont exposé devant elle leurs arguments sur ce point, compte tenu notamment des mesures de soins prises après l’arrêt de chambre du 18 juillet 2017.

126. Le requérant estime en particulier que les constats opérés par la chambre restent d’actualité. Il ajoute deux éléments. Premièrement, les efforts entrepris pour lui administrer les soins nécessaires n’auraient été que temporaires et se seraient résumés à des déclarations d’intention de la part des autorités ; et les rares périodes pendant lesquelles des soins lui auraient théoriquement été prodigués ne lui ôteraient pas la qualité de victime pour les autres périodes, bien plus longues où il en aurait effectivement été privé. Deuxièmement, l’État belge aurait interjeté appel de la décision par laquelle le tribunal de première instance de Bruxelles lui avait octroyé une indemnisation le 9 septembre 2016, de sorte que cette décision ne pourrait plus produire d’effets.

127. Le Gouvernement argue pour sa part qu’il y a lieu de considérer que le requérant ne peut plus aujourd’hui se prétendre victime d’une violation des articles 3 et 5 de la Convention. Il soutient en particulier que la situation de l’intéressé a évolué positivement, comme en attesteraient les décisions rendues par les juridictions internes après l’arrêt de chambre du 18 juillet 2017. Il ne conteste pas qu’il a été établi par les autorités internes que les conditions d’internement du requérant pendant les périodes durant lesquelles il n’a pas été suivi par des soignants de langue allemande ont violé l’article 3 de la Convention, mais il affirme que cette violation a pris fin avec la présence, dès le mois d’août 2017, d’intervenants de langue allemande qui auraient assuré un suivi psychologique, psychiatrique et social du patient, ainsi qu’avec la mise à disposition d’un interprète à chaque fois que nécessaire. Il ajoute que même s’il n’est pas définitif, le jugement du 9 septembre 2016 du tribunal de première instance de Bruxelles octroie au requérant une indemnisation. En ce qui concerne les allégations formulées sur le terrain de l’article 5, il soutient qu’à supposer même que la Grande Chambre conclue à l’irrégularité de la privation de liberté du requérant, il conviendrait également de juger que cette irrégularité a pris fin par suite des mesures en question.

C. Appréciation de la Grande Chambre

128. La Cour rappelle qu’il appartient en premier lieu aux autorités nationales de redresser les violations de la Convention et que pour déterminer si un requérant peut se prétendre réellement victime d’une violation alléguée, il convient de tenir compte non seulement de la situation officielle au moment de l’introduction de la requête, mais aussi de l’ensemble des circonstances de l’affaire, notamment de tout fait nouveau antérieur à la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 105, CEDH 2010).

129. Une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit pas en principe à le priver de la qualité de « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention, sauf si les autorités nationales reconnaissent, explicitement ou en substance, puis réparent, la violation de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, §§ 179-180, CEDH 2006‑V, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 115, CEDH 2010). Ce n’est que lorsqu’il est satisfait à ces deux conditions que la nature subsidiaire du mécanisme de protection de la Convention s’oppose à un examen de la requête.

130. En l’espèce, la Cour relève d’abord que, par une ordonnance du 10 octobre 2014, le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles a ordonné à l’État belge de désigner un psychiatre et un assistant médical germanophones, sous peine d’astreinte, et de mettre en place des soins du niveau de ceux habituellement prévus pour les internés francophones souffrant d’une maladie mentale similaire à celle du requérant (paragraphe 52 ci-dessus). Elle observe ensuite que ce même tribunal a octroyé au requérant une réparation financière, ayant constaté dans son jugement du 9 septembre 2016 que l’abstention de fournir des soins adaptés à l’état mental du requérant était constitutive d’une faute. Il a ajouté que le seul fait d’être interné pour une durée indéterminée sans soins adaptés était constitutif d’une violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention (paragraphes 55 et 56 ci-dessus). Le constat de violation de l’article 3 a été repris dans le jugement de la CPS du 27 décembre 2017 pour ce qui est des périodes antérieures au mois d’août 2017 où aucun soin en langue allemande n’était disponible (paragraphe 64 ci-dessus).

131. La Cour estime dès lors qu’en l’espèce les juridictions internes ont reconnu de façon expresse qu’il y avait eu violation de l’article 3 pour la période antérieure au mois d’août 2017, et violation de l’article 5 pour la période allant jusqu’au 9 septembre 2016. Pour le reste de la période litigieuse, il n’y a pas eu de reconnaissance explicite de violation de la Convention.

132. Sur le point de savoir s’il y a eu une réparation « adéquate » et « suffisante », la Cour relève que, après la communication de la requête puis à la suite de l’arrêt de la chambre, les instances nationales ont adopté des décisions favorables au requérant en lui octroyant en première instance une réparation financière pour le préjudice subi et en ordonnant la mise à sa disposition de professionnels parlant l’allemand. Toutefois, elle ne saurait ignorer que cette mise à disposition ne s’est concrétisée que pendant quelques mois en 2010, puis en 2014-2015 et fin 2017-début 2018, ni que la situation litigieuse à l’origine de la requête remonte aux débuts de l’internement du requérant et avait été constatée par la CDS dès 2006 (voir, mutatis mutandis, Y.Y. c. Turquie, no 14793/08, §§ 52-55, CEDH 2015 (extraits)). De plus, la réparation financière ordonnée ne couvre que la période allant de janvier 2010 à octobre 2014. Elle ne saurait donc être considérée comme intégrale, et ce d’autant que le jugement rendu en première instance le 9 septembre 2016 n’est pas définitif, qu’il a notamment été frappé d’appel et que la procédure était toujours pendante devant la cour d’appel de Bruxelles à la date de l’adoption du présent l’arrêt (paragraphes 58-59 ci-dessus).

133. Dès lors, la Cour conclut que le requérant n’a pas perdu la qualité de victime des violations alléguées des articles 3 et 5, au sens de l’article 34 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

134. Le requérant se plaint que son internement sans prise en charge psychiatrique ni psychologique dans l’établissement de défense sociale où il est placé et l’absence totale de perspective d’amélioration de sa situation du fait de ce manque de soins sont constitutifs d’un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. L’arrêt de la chambre

135. La chambre a tenu dans son arrêt (paragraphes 91-93) le raisonnement suivant :

« 91. [...] tenant compte en particulier de ce que l’allemand est une des trois langues officielles en Belgique, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant. Son maintien à l’EDS de Paifve sans espoir réaliste de changement, sans encadrement médical approprié et pendant treize ans constitue dès lors une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

92. Quelles que soient les entraves, soulignées par le Gouvernement, que le requérant ait pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime que celles-ci ne dispensaient pas l’État de ses obligations vis-à-vis du requérant.

93. Dans ces circonstances, et ainsi que le président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles et le tribunal même l’ont également constaté dans respectivement l’ordonnance du 10 octobre 2014 et le jugement du 9 septembre 2016 [...], la Cour conclut à un traitement dégradant en raison du maintien en détention du requérant [...] pendant une période allant du 21 janvier 2004, date de son placement à l’EDS de Paifve à ce jour, à l’exception de deux périodes, entre mai et novembre 2010 et entre juillet 2014 et fin 2015, durant lesquelles fut mise à sa disposition une psychologue germanophone. »

B. Thèses des parties

1. Le requérant

136. Devant la Grande Chambre, le requérant soutient que rien ne permet de se départir de l’appréciation faite par la chambre selon laquelle il a été soumis à un traitement dégradant. Il ajoute que le manquement des autorités à assurer une prise en charge thérapeutique adéquate de son état de santé mentale porte sur l’ensemble de la période de son internement et perdure encore au jour de l’audience devant la Cour. Il soutient ainsi que les soins qui lui ont été proposés ont été inefficaces même pendant les périodes durant lesquelles il a eu accès à des soignants germanophones, c’est-à-dire de mai à novembre 2010, de juillet 2014 à fin 2015, et après l’arrêt de chambre. Enfin, il affirme que les mesures thérapeutiques envisagées à son égard après le 18 juillet 2017 ne relevaient que de l’ordre de la déclaration d’intention de la part des autorités et non d’une réalité concrète.

137. Le requérant ne se plaint pas en l’espèce que l’établissement de Paifve en tant que tel ne soit pas adapté à son état de santé mentale ou à son profil. Il soutient que lui-même, à titre individuel, ne bénéficie d’aucune prise en charge parce que l’établissement où il est interné, étant situé dans la région de langue française de Belgique, ne dispose pas de personnel soignant qui parle l’allemand – l’une des langues officielles en Belgique, et la seule langue qu’il maîtrise. Il estime qu’en est résulté, en l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer, une détérioration de son état de santé mentale. Selon lui, les mesures prises à son égard après le mois d’août 2017 ne constituent que des expressions d’intention et ne sont donc pas efficaces (paragraphes 126 et 136 ci-dessus).

2. Le Gouvernement

138. Le Gouvernement ne conteste pas l’absence de personnel médical germanophone au sein de l’établissement de Paifve ni les difficultés à assurer la prise en charge thérapeutique des problèmes de santé mentale du requérant. Il affirme toutefois qu’il n’y a pas de lien de causalité entre ces deux éléments et que les difficultés à traiter le requérant étaient dues au type de pathologie dont souffre celui-ci et à son manque de collaboration avec l’équipe psycho-sociale de l’établissement. Il soutient devant la Grande Chambre que malgré les problèmes linguistiques, le requérant reçoit à l’EDS de Paifve depuis son admission des soins répondant à ses besoins et adaptés à sa pathologie. Il n’aurait d’ailleurs pas été privé de toute forme de communication puisqu’il rencontrait régulièrement un infirmier et une assistante sociale parlant allemand. S’appuyant sur les constats de la CSDS et de la Cour de cassation (paragraphes 34-37 ci-dessus), il argue que la présence d’un problème linguistique n’implique nullement que les soins nécessaires n’aient pas été administrés. Il souligne à cet égard que la CDS s’est elle‑même ralliée à cette position dans sa décision du 24 janvier 2014. En réalité, le requérant refuserait de collaborer avec l’équipe soignante. Il n’aurait d’ailleurs pas indiqué quels sont les soins qui, selon lui, ne lui ont pas été proposés ou administrés. Il n’aurait formulé aucune demande de suivi psychologique, et il n’aurait pas exprimé de plainte ni de demande de traitement à base de psychotropes. Il ressortirait notamment des expertises psychiatriques qu’il n’y a pas de lien de causalité entre le manque de personnel médical de langue allemande à l’EDS de Paifve et l’absence d’évolution de la santé mentale du requérant.

139. Le Gouvernement ajoute qu’après l’arrêt de chambre, dès le mois d’août 2017, des efforts supplémentaires ont été déployés en vue d’assurer au requérant un suivi médical individualisé conduit en allemand.

140. Par ailleurs, le requérant n’apporte pas la preuve d’une détérioration de son état de santé. Au contraire, il se trouverait dans un état en fait très stable.

C. Appréciation de la Grande Chambre

1. Rappel des principes pertinents

141. La Cour l’a dit à maintes reprises, l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 81, CEDH 2015). Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et le comportement de la victime. Pour tomber sous le coup de cette disposition, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » en ce qu’il est de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale, ou à les conduire à agir contre leur volonté ou leur conscience. La question de savoir si le traitement a pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, §§ 201-203, CEDH 2012, et les affaires qui y sont citées).

142. Les mesures privatives de liberté s’accompagnent inévitablement de souffrance et d’humiliation.

143. Cela étant, l’article 3 impose à l’État de s’assurer que toute personne privée de liberté est détenue dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne la soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate, notamment par l’administration des soins médicaux requis (Stanev, précité, § 204). La Cour a souligné que les personnes privées de liberté sont dans une position vulnérable et que les autorités ont le devoir de les protéger (Enache c. Roumanie, no 10662/06, § 49, 1er avril 2014, M.C. c. Pologne, no 23692/09, § 88, 3 mars 2015, et A.Ş. c. Turquie, no 58271/10, § 66, 13 septembre 2016).

144. La Convention ne renferme aucune disposition spécifique à la situation des personnes privées de liberté, a fortiori de celles d’entre elles qui sont malades, mais il n’est pas exclu que la détention d’une personne malade puisse poser problème sous l’angle de l’article 3 (Matencio c. France, no 58749/00, § 76, 15 janvier 2004). En particulier, la Cour a jugé que la souffrance due à une maladie qui survient naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut en elle-même relever de l’article 3, si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par des conditions de détention dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (voir, notamment, Hüseyin Yıldırım c. Turquie, no 2778/02, § 73, 3 mai 2007, et Gülay Çetin c. Turquie, no 44084/10, § 101, 5 mars 2013). Ainsi, la détention d’une personne malade dans des conditions matérielles et médicales inappropriées peut en principe constituer un traitement contraire à l’article 3 (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000‑XI, Rivière c. France, no 33834/03, § 74, 11 juillet 2006, et Claes, précité, §§ 94‑97).

145. Pour déterminer si la détention d’une personne malade est conforme à l’article 3 de la Convention, la Cour prend en considération la santé de l’intéressé et l’effet des modalités d’exécution de sa détention sur son évolution (voir, parmi d’autres, Matencio, précité, §§ 76-77, et Gülay Çetin, précité, §§ 102 et 105). Elle a dit que les conditions de détention ne doivent en aucun cas soumettre la personne privée de liberté à des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à humilier, avilir et briser éventuellement sa résistance physique et morale (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 99, CEDH 1999‑V). Elle a reconnu à ce sujet que les détenus atteints de troubles mentaux sont plus vulnérables que les détenus ordinaires, et que certaines exigences de la vie carcérale les exposent davantage à un danger pour leur santé, renforcent le risque qu’ils se sentent en situation d’infériorité, et sont forcément source de stress et d’angoisse. Elle considère qu’une telle situation entraîne la nécessité d’une vigilance accrue dans le contrôle du respect de la Convention (Sławomir Musiał c. Pologne, no 28300/06, § 96, 20 janvier 2009 ; voir également Claes, précité, § 101). Outre leur vulnérabilité, l’appréciation de la situation des individus en cause doit tenir compte, dans certains cas, de leur incapacité à se plaindre de manière cohérente, voire à se plaindre tout court, du traitement qui leur est réservé et de ses effets sur eux (voir, par exemple, Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 82, série A no 244, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1998-V, et Murray c. Pays-Bas [GC], no 10511/10, § 106, 26 avril 2016).

146. La Cour tient également compte du caractère adéquat ou non des soins et traitements médicaux dispensés en détention (Stanev, précité, § 204, Rivière, précité, § 63, et Sławomir Musiał, précité, §§ 85-88). Le manque de soins médicaux appropriés pour des personnes privées de liberté peut ainsi engager la responsabilité de l’État au regard de l’article 3 (Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004, et Murray, précité, § 105). De plus, il n’est pas suffisant que le détenu soit examiné et qu’un diagnostic soit établi, il faut encore qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi soit mise en œuvre (Claes, précité, §§ 94‑97, et Murray, précité, § 106), par un personnel qualifié (Keenan c. Royaume‑Uni, no 27229/95, §§ 115-116, CEDH 2001‑III, et Gülay Çetin, précité, § 112).

147. En la matière, la question du caractère « approprié » ou non des soins médicaux est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés. En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée, et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes. Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi. En outre, les soins dispensés en milieu carcéral doivent être appropriés, c’est-à-dire d’un niveau comparable à celui que les autorités de l’état se sont engagées à fournir à l’ensemble de la population. Toutefois, cela n’implique pas que soit garanti à tout détenu le même niveau de soins médicaux que celui des meilleurs établissements de santé extérieurs au milieu carcéral (Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, § 137, 23 mars 2016, et les affaires qui y sont citées).

148. Dans l’hypothèse où la prise en charge n’est pas possible sur le lieu de détention, il faut que le détenu puisse être hospitalisé ou transféré dans un service spécialisé (Raffray Taddei c. France, no 36435/07, §§ 58‑59, 21 décembre 2010 ; voir également, a contrario, Kudła, précité, §§ 82‑100, et Cocaign c. France, no 32010/07, 3 novembre 2011).

2. Application de ces principes au cas d’espèce

149. La Cour observe d’abord que l’existence des problèmes de santé mentale à l’origine de l’internement du requérant n’est pas contestée en l’espèce. Le requérant a été interné sur la base de plusieurs rapports médicaux attestant qu’il présentait une personnalité narcissique et paranoïde et qu’il souffrait d’un déséquilibre mental le rendant incapable de contrôler ses actions. Pour ces raisons, il est interné à l’EDS de Paifve, où il est resté sans interruption depuis le 21 janvier 2004.

150. Ensuite, à la différence d’autres requérants qui avaient porté devant la Cour dans de précédentes affaires des griefs similaires contre la Belgique (voir, par exemple, Claes, précité, et Lankester c. Belgique, no 22283/10, 9 janvier 2014), le requérant ne se plaint pas que l’établissement de Paifve n’est pas adapté à accueillir des personnes internées, mais allègue qu’en raison d’un problème linguistique il ne recevait pas les soins devant lui être prodigués (paragraphe 137 ci-dessus).

151. La Cour note d’emblée que le fait pour un patient d’être soigné par un personnel parlant sa langue, fût-elle langue officielle de l’État, n’est pas un élément reconnu du droit visé par l’article 3, ou par une autre disposition de la Convention, notamment pour ce qui est de l’administration de soins appropriés aux personnes privées de leur liberté. Vu les obstacles linguistiques rencontrés par les autorités médicales, la Cour doit rechercher si, parallèlement à d’autres facteurs, des mesures nécessaires et raisonnables ont été prises pour assurer une communication favorisant l’administration effective du traitement approprié. En matière de traitement psychiatrique en relation avec l’article 3, l’élément purement linguistique pourrait s’avérer décisif s’agissant de la disponibilité ou de l’administration de soins appropriés, mais uniquement en l’absence d’autres éléments permettant de compenser le défaut de communication, et surtout, sous réserve de la coopération de la personne concernée (voir, mutatis mutandis, Dhoest c. Belgique, no 10448/83, rapport de la Commission du 14 mai 1987, Décisions et rapports (DR), § 124, affaire dans laquelle le requérant parlait le néerlandais, une des langues officielles de l’État, et était placé dans un établissement de défense sociale dans la région de langue française de la Belgique).

152. Ci-dessous, la Cour examinera le grief du requérant en deux temps, en tenant compte du dispositif thérapeutique que le Gouvernement indique avoir mis en place à partir du mois d’août 2017.

a) La situation des soins de début 2004 au mois d’août 2017

153. La Cour constate que la thèse du Gouvernement consistant à dire que le requérant a reçu des soins répondant à ses besoins ne tient pas factuellement. Tous les éléments du dossier tendent au contraire à démontrer un défaut de prise en charge thérapeutique dû à l’impossibilité pour le personnel soignant et le requérant de communiquer. Ainsi, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement dans ses observations devant la Grande Chambre selon lesquelles le requérant a été suffisamment suivi sur le plan psychiatrique (paragraphes 68 et 138 ci‑dessus), il ressort clairement du dossier que tant les psychiatres qui ont été en contact avec le requérant que les autorités juridictionnelles ont reconnu une absence de traitement. Ils ont indiqué de manière suffisamment claire, dès le mois de septembre 2005, que l’intéressé présentait un besoin particulier et devait pouvoir bénéficier d’un traitement psychopharmacologique et psychothérapeutique permanent sur plusieurs années en langue allemande, seule langue parlée et comprise par lui (paragraphe 14 ci-dessus). L’obstacle linguistique a été l’unique facteur limitant l’accès effectif du requérant aux soins normalement disponibles (paragraphes 18, 23, 25, 29, 40, 51 et 55 ci‑dessus). La Cour note que de plus, il était question depuis 2006 de rechercher une prise en charge thérapeutique en allemand en dehors de l’établissement de Paifve (paragraphes 16, 21-22 et 25-26 ci-dessus). À plusieurs reprises, l’examen des demandes de mise en liberté du requérant a été reporté par la CDS en raison de la difficulté de commencer une thérapie du fait du problème linguistique (paragraphes 16, 19, 22 et 26 ci-dessus). Le rapport du 27 mars 2015 indique que l’état neuropsychique du requérant était quasi superposable à celui dans lequel celui-ci se trouvait en 2009 (paragraphe 44 ci-dessus). Dans son rapport du 12 janvier 2017, l’équipe psycho‑sociale de l’EDS de Paifve a dit que la barrière linguistique entravait l’observation clinique visant à évaluer la dangerosité du requérant (paragraphe 60 ci‑dessus). Enfin, la CPS a reconnu une violation de l’article 3 pendant les périodes sans suivi par des soignants de langue allemande (paragraphe 64 ci-dessus).

154. La Cour note que le requérant a certes pu rencontrer, au cours de la période en cause, du personnel qualifié parlant allemand. Toutefois, comme l’a souligné la CDS elle-même, les contacts qu’il a eus avec ces personnes, que ce soit les experts à la prison de Verviers ou l’infirmier et l’assistante sociale parlant allemand à Paifve, n’avaient pas de visée thérapeutique (paragraphes 20, 21, et 25-29 ci-dessus). Seul l’accès à un psychologue extérieur parlant allemand entre mai et novembre 2010 (paragraphe 51 ci‑dessus) s’inscrit dans le cadre des soins invoqués par le Gouvernement ; toutefois, considérées par rapport à la durée totale de la privation de liberté du requérant, ces consultations ne peuvent s’analyser en une véritable prise en charge, d’autant qu’il y a été mis fin pour défaut de paiement par l’État des frais et honoraires correspondants. De plus, aucun élément du dossier ne fait état d’une quelconque intervention psychiatrique thérapeutique pendant cette période, ni de prise en charge individualisée, compte tenu notamment du caractère indéterminé de la durée du placement du requérant.

155. Ensuite, pour ce qui est de l’affirmation du Gouvernement selon laquelle le requérant serait resté en défaut d’apporter des éléments de preuve matériels de ses allégations et n’indiquerait pas quels soins ne lui ont pas été administrés ou proposés (paragraphe 138 ci-dessus), la Cour relève que le requérant s’est plaint devant les instances de défense sociale du défaut de prise en charge thérapeutique et de l’impact sur son état de santé de l’absence de toute perspective de voir sa situation évoluer (paragraphe 27 ci-dessus). La Cour a écarté à de multiples reprises une telle approche formaliste et souligné qu’il fallait, pour apprécier si le traitement ou la sanction concernés étaient compatibles avec les exigences de l’article 3 dans le cas des malades mentaux, tenir compte de la vulnérabilité de ceux-ci et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Claes, précité, § 93, Murray, précité, § 106, et W.D., précité, § 105).

156. La Cour observe que les instances de défense sociale ont engagé des démarches pour trouver une solution au problème posé par le cas particulier du requérant (paragraphes 24 et 26 ci-dessus). Toutefois, ces démarches sporadiques se sont heurtées au fait que l’administration n’a pas pris de mesures adéquates pour faire évoluer la situation sur le plan de la communication. Il a en effet fallu attendre la décision de la CSDS et l’ordonnance du président du tribunal de première instance francophone de Bruxelles en 2014 pour que soient prises des mesures concrètes, pourtant préconisées depuis des années, telles que la mise à disposition d’une psychologue parlant allemand (paragraphes 43 et 51 ci-dessus). Il semble toutefois que cette mise à disposition ait cessé à la fin de l’année 2015 (paragraphe 53 ci-dessus), et n’ait repris qu’en août 2017 (paragraphe 64 ci‑dessus). Il apparaît clairement que le retard accusé dans la mise à disposition de mesures facilitant la communication avec le requérant a eu pour conséquence de priver celui-ci des soins que nécessitait son état de santé. Le Gouvernement n’a d’ailleurs pas soutenu que d’autres éléments dans le suivi médical du requérant aient permis de compenser le défaut de communication en langue allemande, et la Cour ne décèle dans le dossier aucune démarche en ce sens. Elle considère notamment que les contacts avec l’assistante sociale et les entretiens avec l’infirmier ne sauraient constituer une telle mesure compensatoire : l’intervention de ces derniers, même si elle a été importante pour l’accompagnement du requérant, ne s’inscrivait pas dans le cadre d’un suivi psychothérapeutique. Il apparaît ainsi à la Cour que les seuls moyens envisagés par les autorités pour pallier le problème de communication avec le requérant consistaient à rechercher soit des soignants parlant eux-mêmes l’allemand soit un autre établissement, les deux sans résultats (paragraphe 40 ci-dessus). Les autorités ont en effet elles-mêmes constaté qu’aucune des deux solutions n’était réalisable car, d’une part, elles estimaient ne pas disposer de personnel germanophone et, d’autre part, la dangerosité du requérant excluait son placement dans un établissement germanophone, moins sécurisé. Ainsi, il semble plutôt que, pendant toute cette période, les autorités en charge du requérant se soient satisfaites de l’excuse de l’absence à Paifve de spécialistes parlant allemand pour justifier le fait que l’intéressé ne bénéficiait pas de soins adaptés.

157. La Cour estime que ces éléments suffisent à démontrer que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge de l’état de santé du requérant. Le maintien de celui-ci à l’EDS de Paifve sans espoir réaliste de changement et sans encadrement médical approprié pendant une période d’environ treize ans doit dès lors, nonobstant les quelques consultations organisées pendant quelques périodes brèves à l’échelle de toute cette durée, être vu comme une épreuve particulièrement pénible l’ayant soumis à une détresse d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention.

158. Quelles qu’aient été les entraves, mentionnées par le Gouvernement, que le requérant a pu lui-même provoquer par son comportement, la Cour estime qu’elles ne pouvaient dispenser l’État de ses obligations vis-à-vis de l’intéressé pendant une privation de liberté aussi longue. Par ailleurs, la Cour ne peut ignorer les constats préoccupants formulés de manière plus générale par la commission de surveillance de Paifve et par le CPT, qui ont tous deux fait état de déficiences profondes dans le système de soins à l’EDS de Paifve (paragraphes 115 et 120 ci‑dessus).

159. Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 3 de la Convention pour la période allant de début 2004 au mois d’août 2017.

b) La situation des soins depuis le mois d’août 2017

160. Pour ce qui est de l’évolution de la situation à partir du mois d’août 2017, la Cour observe plusieurs éléments.

161. Pour commencer, concernant les rencontres mensuelles avec une psychologue germanophone (paragraphes 67 et 74 ci-dessus), la Cour remarque que les parties présentent des versions des faits divergentes. Lors de l’audience devant la Grande Chambre, les représentants du requérant ont affirmé que le dernier rendez-vous avec cette psychologue avait eu lieu en février 2018 et que de toute manière ces rencontres ne s’inscrivaient pas dans un cadre thérapeutique. Le Gouvernement a contesté ces affirmations. Ni l’une ni l’autre partie n’ont soumis de preuves écrites à l’appui de leurs allégations sur ce point. Même à supposer que le requérant n’ait pas rencontré la psychologue entre mars et mai 2018, la Cour estime que l’intervalle de dix mois écoulé entre le début de la mise en œuvre des nouvelles mesures en août 2017 et l’audience devant la Cour du 6 juin 2018 ne permet pas de conclure que la thérapie psychologique engagée ne s’avère pas appropriée dans le cas du requérant.

162. Ensuite, une psychiatre parlant l’allemand aurait été contactée et aurait exprimé sa disponibilité pour assurer un suivi à tout moment. Le recours à un interprète aurait été également mis en place pour les entretiens mensuels avec le médecin généraliste, ainsi que pour toutes les autres mesures de prise en charge pour lesquelles cela aurait été jugé nécessaire. Enfin, une réunion multidisciplinaire de l’équipe soignante se serait tenue, en présence du requérant et d’un interprète, le 25 novembre 2017. Ces mesures peuvent être considérées comme correspondant a priori à la notion de « soins adéquats » (paragraphe 146 ci-dessus).

163. Concernant le suivi psychiatrique, en particulier, il est vrai qu’il apparaît qu’une psychiatre parlant allemand a simplement été mise à disposition et que l’on peut estimer regrettable l’absence d’initiatives plus poussées de la part des autorités en vue de proposer un calendrier thérapeutique. Cependant, il ne ressort ni des éléments du dossier ni des dires du requérant que celui-ci ait sollicité pouvoir bénéficier de la consultation psychiatrique proposée et que les autorités médicales n’aient pas donné suite à une telle demande.

164. La Cour ne perd pas de vue que le requérant est une personne vulnérable en raison de son état de santé et du fait de sa privation de liberté, que sa coopération n’est qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte dans l’examen de l’effectivité des soins requis et qu’il incombe en premier lieu aux autorités compétentes de lui assurer des soins adéquats selon un suivi individualisé. Néanmoins, il a bénéficié tout au long de la procédure d’une représentation juridique effective et ses allégations ont été exposées aussi bien devant la Cour que dans les nombreuses procédures internes dans le cadre desquelles il a réclamé pendant de longues années un accès à des professionnels de santé germanophones. Dès lors, dans les circonstances particulières de l’espèce, le requérant, assisté par un avocat dans toutes les procédures internes, aurait pu se montrer ouvert aux démarches des autorités s’efforçant de répondre à l’arrêt de violation de la chambre en lui proposant des mesures thérapeutiques dans sa langue.

165. Ainsi, il apparaît à la Cour que, d’un côté, le requérant a manifestement pris conscience de la nécessité de se soumettre à un traitement psychiatrique pour assurer sa libération et il affirme devant la Grande Chambre être ouvert à un traitement pour autant que celui-ci soit dispensé en allemand mais, de l’autre côté, il n’expose pas en quoi le suivi psychiatrique en allemand qui lui est proposé n’est pas efficace : il se contente d’affirmer que le psychiatre se tient uniquement « à disponibilité ». À défaut d’allégations concrètes à cet égard, la Cour estime donc que le requérant n’a pas suffisamment coopéré et qu’il ne s’est pas montré réceptif aux soins proposés. Elle juge opportun à ce sujet de rappeler que le requérant est certes en droit de ne pas accepter les soins qui lui sont proposés, ce qu’énonce égalent la Recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux (paragraphe 119 ci-dessus, voir notamment l’exposé des motifs concernant l’article 17, point 133), mais qu’en ne coopérant pas, il prend le risque de diminuer les perspectives d’amélioration de son état de santé et, dès lors, celles d’une libération, puisqu’il ne pourra bénéficier d’une telle mesure que si les évaluations démontrent qu’il ne présente plus de danger pour la société.

166. Ainsi, si l’on peut reprocher aux autorités d’avoir considérablement tardé à prendre des mesures visant à assurer au requérant des soins adéquats, retard qui a amené la Cour à conclure à la violation de l’article 3 pour la période allant du début 2004 au mois d’août 2017 (paragraphes 153‑159 ci‑dessus), il apparaît qu’elles ont en revanche manifesté une volonté réelle de remédier à la situation après l’arrêt de la chambre, en engageant des mesures concrètes. Dans ce contexte, le manque de réceptivité du requérant face à la mise à sa disposition de soins psychiatriques ne peut être imputé aux autorités, compte tenu également de ce que la brièveté de la période écoulée depuis cette évolution n’offre guère de recul pour évaluer l’impact de la prise en charge. La Cour conclut donc que, même si l’ensemble de mesures proposé présente quelques lacunes organisationnelles, le seuil de gravité requis pour le déclenchement de l’article 3 n’a pas été atteint pour ce qui est des allégations du requérant relatives à la période postérieure au mois d’août 2017.

167. Au vu de l’ensemble de ces considérations, la Cour juge qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de ce chef.

168. Elle tient cependant à souligner que ce constat ne libère pas le Gouvernement de l’obligation de continuer à prendre toutes les mesures nécessaires afin de mettre en œuvre, sans délai, l’encadrement médical annoncé, selon une prise en charge thérapeutique individualisée et appropriée (voir, mutatis mutandis, De Schepper c. Belgique, no 27428/07, § 48, 13 octobre 2009).

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 1 DE LA CONVENTION

169. Le requérant allègue en outre que sa détention n’est pas régulière étant donné qu’il ne reçoit pas le traitement psychologique et psychiatrique requis par son état de santé mentale. Il invoque l’article 5 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent comme suit :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

(...) »

A. L’arrêt de la chambre

170. Sur ce point, la chambre a dit ceci :

« 102. [La Cour] constate (...) qu’à la différence des affaires de principe (...) le requérant est détenu dans un établissement de défense sociale a priori adapté tant à son état de santé mentale qu’à sa dangerosité (...).

103. La Cour a également constaté, sur le terrain de l’article 3 de la Convention, qu’il n’y a pas été entouré de soins appropriés et s’est trouvé confiné pendant treize ans dans des conditions inappropriées qu’elle [juge] contraires à l’article 3 (...). Cela étant, la Cour rappelle également sa jurisprudence constante selon laquelle, pourvu que la détention d’une personne comme malade mental ait lieu dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié, le caractère adéquat du traitement ou du régime ne relève pas de l’article 5 § 1 e) de la Convention (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 51, série A no 33, Ashingdane, précité, § 44 et Stanev, précité, § 147). En l’espèce, il y a eu toujours un lien entre le motif de l’internement et la maladie mentale du requérant. L’absence de soins appropriés, pour des raisons qui sont en l’espèce étrangères à la nature même de l’établissement dans lequel le requérant a été détenu, n’a pas rompu ce lien et n’a pas rendu la détention irrégulière (voir Ashingdane, précité, § 49).

104. En conclusion, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1. »

B. Thèses des parties

1. Le requérant

171. Le requérant estime que la Cour est appelée à résoudre une « question grave » relative à la cohérence de sa jurisprudence, qui découlerait d’une divergence entre l’arrêt de chambre rendu en l’espèce et l’arrêt rendu dans l’affaire Lorenz c. Autriche (no 11537/11, arrêt du 20 juillet 2017). Il prétend en particulier que la solution adoptée par la chambre en l’espèce est en contradiction non seulement avec celle à laquelle la Cour est parvenue dans l’affaire Lorenz mais aussi avec une jurisprudence antérieure selon laquelle la détention ordonnée et prolongée au vu d’un risque de récidive n’est pas compatible avec l’article 5 § 1 si, dans le cadre de cette détention, l’intéressé ne bénéficie d’aucune thérapie ni d’aucune expertise visant à évaluer et à faire reculer sa dangerosité (Ostermünchner c. Allemagne, no 36035/04, § 74, 22 mars 2012, H.W. c. Allemagne, no 17167/11, § 112, 19 septembre 2013, Klinkenbuß c. Allemagne, no 53157/11, § 47, 25 février 2016). Il soutient que l’article 5 § 1 e) tel qu’interprété par la Cour dans ces arrêts impose aux autorités l’obligation de mettre en place un régime et/ou un traitement aux fins de l’administration effective de soins médicaux appropriés, visant notamment à l’amélioration de la santé psychiatrique de la personne concernée, à la diminution de sa dangerosité pour la société, ainsi qu’à la concrétisation d’un espoir de libération. Il note que sans une telle obligation, il se trouverait incontestablement condamné sans issue possible à rester interné jusqu’à la fin de ses jours.

172. En ce qui concerne sa situation individuelle, le requérant dénonce une absence totale de soins ainsi qu’en auraient attesté plusieurs experts psychiatres, et une détérioration de ce fait de son état de santé mentale. Selon lui, seule une thérapie pourrait légitimer la privation de liberté dont il fait l’objet, or il n’en recevrait aucune, en raison d’un problème linguistique.

173. Le requérant précise, pour ce qui est des soins décrits par le Gouvernement, qu’il n’a rencontré l’assistante sociale germanophone que deux ou trois fois et que celle-ci a cessé de le voir parce qu’elle n’avait pas été payée pour cela. Quant à l’infirmier néerlandophone parlant l’allemand, il aurait quitté l’EDS de Paifve en 2012. Le requérant ajoute qu’en tout état de cause, c’est un psychologue et un psychiatre germanophones qu’il devrait voir, comme la CSDS l’aurait d’ailleurs admis dans sa décision du 22 juillet 2014.

174. Le requérant soutient aussi qu’il est faux de dire qu’il a refusé des soins : en réalité, on ne lui aurait jamais proposé ni soins ni entretiens thérapeutiques, ce que confirmeraient les constats opérés par la CSDS dans sa décision du 22 juillet 2014. Les personnes que le requérant a rencontrées à la prison de Verviers en 2007 n’auraient eu qu’une mission d’expertise, ces rencontres n’auraient eu aucune visée thérapeutique. Les autorités auraient connaissance de la situation du requérant depuis le début de son internement, pourtant elles n’auraient jamais rien fait pour y remédier.

175. Ainsi, le requérant estime que l’EDS de Paifve n’accomplissait pas sa mission vis-à-vis de lui car personne ne serait capable de lui dispenser de soins en allemand, seule langue qu’il comprenne et qu’il parle, et, qui plus est, l’une des trois langues officielles de la Belgique. Il conclut que cet EDS n’est donc pas un « établissement approprié », contrairement à ce qu’a jugé la chambre.

176. Le requérant soutient qu’à la lumière de la jurisprudence de la Cour, la situation dans laquelle il se trouve devrait s’analyser en une détention « irrégulière » au sens de l’article 5 § 1 e). En effet, son internement devrait avoir pour objectif de mettre en place une prise en charge thérapeutique visant à diminuer sa dangerosité et de lui permettre de se réinsérer dans la société. Un internement devrait obligatoirement être accompagné de soins appropriés ; sans l’administration de tels soins, l’interné ne pourrait jamais connaître une amélioration de son état de santé ni, dès lors, solliciter sa libération conformément à la loi belge.

177. Le requérant argue que, contrairement aux conclusions contenues dans la décision de la CPS du tribunal de l’application des peines en date du 27 décembre 2017 et dans l’arrêt de la Cour de cassation en date du 28 février 2018 (paragraphes 64 et 65 ci-dessus), le fait que l’administration ait exprimé l’intention de lui prodiguer des soins ne suffit pas à effacer les carences de soins dont il a été victime pendant toute la durée de sa privation de liberté depuis début 2004 et qui ont été constatées à plusieurs reprises par les autorités compétentes. Lors de l’audience tenue le 6 juin 2018, les avocats du requérant ont affirmé que, contrairement à ce qu’a indiqué le Gouvernement (paragraphe 69 ci-dessus), les rendez-vous mensuels avec la psychologue avaient cessé depuis le mois de février 2018 et le requérant était sans nouvelles d’elle depuis cette date. Aucun projet thérapeutique n’avait été présenté ni expliqué au requérant, et compte tenu de l’état de santé mentale du requérant, il incombait à l’État belge de lui apporter les soins requis et de ne pas faire peser sur lui la charge de l’organisation de ces soins. Il n’était pas suffisant pour la réalisation des obligations découlant de l’article 5 § 1 e) de mettre simplement une psychiatre à la disposition du requérant en lui suggérant de prendre contact avec elle lorsqu’il le souhaiterait.

178. Enfin, rien dans le dossier ne viendrait étayer l’affirmation selon laquelle en pratique le comportement dangereux du requérant a persisté et son maintien en internement demeure justifié. Au contraire, les divers rapports du service psycho-social de l’EDS de Paifve attesteraient de sa bonne conduite ; il n’aurait jamais eu de soucis avec le personnel ni avec les autres internés, et il n’aurait jamais fait l’objet d’aucun rapport ni d’aucune procédure disciplinaire. Il travaillerait paisiblement à l’EDS de Paifve et aurait fait des progrès en matière de vie sociale et de convivialité. Il aurait également confirmé à son avocat le 25 juillet 2014 qu’il était disposé à rencontrer les personnes aptes à l’examiner et à l’aider.

179. En conclusion, l’État belge ne se serait pas acquitté de l’obligation que lui imposait l’article 5 § 1 e) à l’égard du requérant, qu’il aurait laissé depuis le début de son internement à l’EDS de Paifve, où son cas aurait été ignoré d’une manière qui aurait conduit à rompre le lien nécessaire entre le motif de l’internement et la privation de liberté à long terme.

2. Le Gouvernement

180. Le Gouvernement indique que l’EDS de Paifve est une institution spécialisée dans les soins à apporter aux personnes internées, y compris celles qui souffrent de la pathologie du requérant, et que celui-ci n’a jamais remis en question en tant que telle la qualité des soins qui y sont prodigués. Il ne serait administré au requérant aucun traitement médicamenteux particulier car il serait reconnu qu’il n’existe aucun traitement pharmacologique pour les troubles dont il est atteint. En revanche, les intervenants médicaux insisteraient sur la nécessité, dans ce type de cas, d’un encadrement structurant, tel que celui mis en place à Paifve, afin d’éviter tout débordement ou risque de décompensation. Le caractère approprié de l’EDS de Paifve serait d’ailleurs démontré par la stabilité de l’état de santé du requérant et par l’effet bénéfique sur son comportement de l’encadrement qui y est assuré.

181. S’appuyant sur les constatations faites par le Dr B. le 28 août 2014, le Gouvernement met en avant le fait que les soins ont essentiellement été prodigués en français ne signifie pas que le lien entre le motif de l’internement du requérant et sa maladie ait été rompu, une évolution positive ayant été peu envisageable (paragraphe 50 ci-dessus). L’infirmier parlant l’allemand aurait suivi le requérant tout au long de son internement avec dévouement, même après avoir pris sa retraite, et cette relation thérapeutique aurait été favorisée par l’État belge.

182. Le Gouvernement reconnaît à cet égard que l’article 5 impose que l’internement vise un but thérapeutique outre celui de protection de la société. Il argue toutefois que l’obligation de traitement contenue dans cette disposition n’est pas une obligation de résultats car il faut tenir compte d’autres facteurs, tels que la nature des pathologies et la coopération des personnes concernées. Il invite la Cour à rapprocher la présente affaire de l’affaire De Schepper, dans laquelle elle a conclu que les autorités belges n’avaient pas manqué à leur obligation d’assurer un traitement adapté car elles avaient déployé des efforts mais ceux-ci s’étaient révélés infructueux en raison de l’évolution de l’état du requérant et de l’impossibilité pour les établissements contactés de le traiter (De Schepper, précité, § 48). À cet égard, il souligne que le problème qui se trouve à l’origine de la présente affaire découle de ce que le requérant est germanophone et présente un profil de risque élevé et qu’il n’existe en Belgique aucun établissement germanophone capable d’accueillir des personnes ayant un tel profil.

183. Compte tenu de ces éléments, le Gouvernement invite la Cour à distinguer la présente affaire de l’affaire Lorenz, citée par le requérant (paragraphe 171 ci-dessus).

184. Pour ce qui est de la question du maintien en internement, le Gouvernement fait valoir que les nombreuses expertises réalisées ont unanimement conclu que l’absence d’évolution positive de la situation du requérant faisait obstacle à une libération. Il précise que pour autant, une telle perspective n’a jamais été exclue, sous réserve qu’un projet puisse être proposé par le requérant et qu’il n’existe pas de contre-indication à sa remise en liberté. Il ajoute à cet égard que le requérant ne coopère pas avec les services de santé, ce qui entraverait la réalisation d’une expertise permettant d’évaluer ses possibilités de réinsertion. Ainsi par exemple, il se serait opposé à la transmission de données à l’équipe psycho-sociale chargée de réaliser cette évaluation par la psychologue germanophone, extérieure à l’EDS de Paifve, qui le rencontrerait régulièrement depuis le mois d’août 2017 (paragraphe 73 ci-dessus).

185. Le Gouvernement ajoute qu’en tout état de cause, à supposer même que l’absence de soins en langue allemande ait pu rompre le lien entre l’internement et la maladie qui en est à l’origine, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, force serait néanmoins de constater, à l’instar de la CPS du tribunal de l’application des peines de Liège dans son jugement du 27 décembre 2017, que la privation de liberté n’est plus irrégulière puisque des mesures de soins en allemand ont été mises en place depuis le mois d’août 2017. Il estime en effet que les mesures engagées (paragraphes 67 à 74 ci-dessus) peuvent être considérées comme suffisantes. Il affirme que les rencontres mensuelles avec la psychologue germanophone mises en place depuis le mois d’août n’ont pas cessé, contrairement à ce qu’allèguent les représentants du requérant devant la Grande Chambre. Il expose également que, aucun médicament psychotrope connu n’étant indiqué pour la pathologie du requérant, l’intervention dans son cas d’un psychiatre n’est pas absolument nécessaire. Il précise que toutefois, si le requérant le souhaite, il peut rencontrer la psychiatre germanophone, qui serait « à sa disposition ».

186. Dans ces conditions, le Gouvernement invite la Cour à tenir compte de ce que le requérant refuse de coopérer, qu’il s’agisse de rencontrer cette psychiatre germanophone ou de permettre l’intégration des résultats du suivi psychologique au travail de l’équipe psycho-sociale (paragraphe 73 ci‑dessus). Les autorités compétentes déploieraient d’importants efforts pour faire avancer le projet d’amélioration de l’état de santé du requérant et de réinsertion de celui-ci, mais elles se trouveraient dans une impasse en raison de l’absence de consentement de l’intéressé, considéré aussi capable de discernement, auquel elles ne pourraient imposer de contraintes médicales.

C. Appréciation de la Grande Chambre

1. Remarques préliminaires et méthode suivie

187. Le requérant, interné depuis janvier 2004 dans un établissement de défense sociale, a formulé ses griefs déduits du fait qu’il n’y reçoit aucun soin psychologique ou psychiatrique en raison d’un problème linguistique tant sur le terrain de l’article 3 que de l’article 5 de la Convention. La Grande Chambre, à l’instar de la chambre, vient de constater une violation de l’article 3 en raison de l’absence de soins adaptés à la situation du requérant pour la période entre janvier 2004 et août 2017 (paragraphes 135 et 159 ci-dessus). Concernant l’article 5, en revanche, la chambre a conclu à la non-violation estimant que le lien entre le motif de l’internement et la maladie mentale du requérant n’avait jamais été rompu (paragraphe 170 ci‑dessus).

188. Dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 5, la question devant la Grande Chambre est double. D’une part, elle est appelée à éclaircir le point de savoir si l’article 5 § 1 e), paralèllement à sa fonction de protection de la société, comporte une fonction thérapeutique afin de réaliser le but de l’internement. En d’autres termes, elle doit préciser s’il pèse ou non sur les autorités une obligation de fournir des soins psychiatriques et psychologiques à la personne internée, et dans l’affirmative, de délimiter la portée du contrôle de la Cour sur le caractère adéquat des soins en question. D’autre part, il lui appartient de clarifier les relations entre les articles 3 et 5 pour ce qui est du contrôle du respect de ces dispositions lorsque les deux griefs portent sur l’absence de soins médicaux appropriés et pourraient donc être vus comme superposables.

189. Pour ce faire, ci-dessous la Cour examinera d’abord les principes jurisprudentiels applicables sur le terrain de l’article 5 § 1 e), ainsi que leur évolution dans le cadre de l’examen d’affaires soumises à son contrôle. Elle procédera ensuite à un affinement de ces principes afin de préciser le contenu des obligations des autorités au regard de cette disposition. Elle décrira aussi les interactions entre les articles 3 et 5 dans une situation telle que celle de la présente espèce. Enfin, elle procédera à l’examen des circonstances relatives au grief du requérant sous l’angle de l’article 5, au regard notamment de l’affinement de ces principes.

2. Les principes applicables

a) Les principes généraux relatifs à la privation de liberté des aliénés

190. Il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que l’article 5 § 1 requiert d’abord la « régularité » de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales. Outre le respect du droit interne, cette disposition exige la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire. La condition d’absence d’arbitraire exige par ailleurs que non seulement l’ordre de placement en détention mais aussi l’exécution de cette décision cadrent véritablement avec le but des restrictions autorisées par l’alinéa pertinent de l’article 5 § 1 (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129, O’Hara c. Royaume‑Uni, no 37555/97, § 34, CEDH 2001-X, Saadi c Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 67 et 69, CEDH 2008, et Merabishvili c. Géorgie [GC], no 72508/13, § 186, 28 novembre 2017). Il faut en outre un certain lien entre, d’une part, le motif invoqué pour justifier la privation de liberté autorisée et, de l’autre, le lieu et le régime de détention (Stanev, précité, § 147).

191. Bien que seuls les alinéas c) et d), dans leur version anglaise, se réfèrent au « but » (« purpose ») du type de privation de liberté qu’ils visent, il ressort clairement de leur libellé et de l’économie générale de l’article 5 § 1 que cette exigence est implicite dans tous les alinéas (Merabishvili, précité, § 299).

192. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp, précité, § 39, Stanev, précité, § 145, et les affaires qui y sont citées).

193. Quant à la deuxième condition citée ci-dessus, relative notamment au but de la privation de liberté d’une personne souffrant de troubles mentaux, elle signifie que la détention peut s’imposer non seulement lorsque la personne concernée a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de la surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV, et Stanev, précité, § 146). Comme rappelé ci-dessus, un certain lien doit exister entre le motif justifiant la détention et les conditions dans lesquelles elle est exécutée (Stanev, précité, § 147, voir paragraphe 190 ci-dessus). Par conséquent, la « détention » d’une personne comme malade mental ne sera « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroule dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité (Ashingdane, précité, § 44, Pankiewicz c. Pologne, no 34151/04, §§ 42‑45, 12 février 2008, et Stanev, précité, § 147). Par ailleurs, la Cour a eu l’occasion de préciser que cette règle s’applique même lorsque la maladie ou la condition ne peut être guérie ou que la personne concernée n’est pas susceptible de répondre à un traitement (Hutchison Reid, précité, §§ 52 et 55). Sous réserve de ce qui précède, le traitement ou régime adéquats ne relèvent pourtant pas, en principe, de l’article 5 § 1 e) (Ashingdane, précité, § 44, Hutchison Reid, précité, § 49, et Stanev, précité, § 147).

b) L’interprétation de la notion de caractère « approprié » des établissements destinés à accueillir des personnes atteintes de maladies psychiques

194. Cela étant, la Cour tient à rappeler que dans sa jurisprudence, les conditions de soins d’une personne atteinte de troubles psychiques ne sont pas sans importance pour la régularité de la privation de liberté de cette personne. Sur ce point, elle a développé son analyse depuis ses premières décisions dans ce domaine, citées ci-dessus (notamment celles, précitées, rendues dans les affaires Winterwerp et Ashingdane), en accordant plus de poids à la nécessité de fournir des soins appropriés aux personnes privées de liberté dans le but de soulager leur maladie ou de réduire leur dangerosité.

195. Dans l’affaire Winterwerp, qui a donné lieu à l’arrêt de principe précité, aussi bien la Commission que la Cour ont considéré que le droit d’un patient à un traitement adapté à son état ne pouvait se déduire en tant que tel de l’article 5 § 1 (Winterwerp, précité, § 51). La Commission a en effet estimé qu’il était vrai que le placement obligatoire dans un hôpital psychiatrique devait avoir une double fonction, thérapeutique et sociale, mais que la Convention assurait uniquement la fonction sociale de protection en permettant la privation de liberté d’une personne aliénée sous certaines conditions (Winterwerp c. Pays-Bas, no 6301/73, rapport de la Commission du 15 décembre 1977, (DR), § 84, voir aussi Ashingdane c. Royaume-Uni, no 8225/78, rapport de la Commission du 12 mai 1983, § 77 et Dhoest, précité, § 145). Dans l’affaire Ashingdane (arrêt et rapport précités), la Cour a reconnu que les conditions d’internement étaient plus libérales dans un hôpital normal et, eu égard à l’amélioration de l’état mental de l’intéressé, plus propices à sa complète guérison, mais elle a estimé que néanmoins, le lieu et les modalités de l’internement n’avaient pas cessé de correspondre à « la détention régulière d’un aliéné » malgré la détention prolongée du requérant dans un hôpital de l’établissement spécial de sécurité. Dès lors, l’intéressé n’avait pas subi de limitations de son droit à la liberté et à la sûreté plus sévères que celles prévues à l’article 5 § 1 e). Elle a jugé également que, même si la cause du retard mis à le transférer (d’un hôpital à haute sécurité à un autre proposant un environnement plus libéral) tenait à des questions de relations de travail et non à la thérapeutique, il ne s’agissait manifestement pas d’une indifférence consciente pour son bien-être, et que les autorités s’étaient efforcées de trouver une solution dès que possible : les éléments du dossier donnaient à penser qu’elles avaient probablement suivi la seule voie praticable (Ashingdane, précité, §§ 47 et 48).

196. L’approche de l’application de l’article 5 § 1 e) a connu un développement significatif déjà dans l’arrêt Aerts. Dans cet arrêt, la Cour a conclu à la violation de l’article 5 § 1 au motif que le requérant n’avait bénéficié, dans l’annexe psychiatrique de la prison où il avait été détenu, ni d’un suivi médical, ni d’un environnement thérapeutique. Elle a considéré qu’il y avait eu rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci avait eu lieu, en raison notamment du fait que le requérant n’avait pas bénéficié des soins que nécessitait l’état à l’origine de son internement (Aerts, précité, § 49).

197. Par la suite, la Cour a eu l’occasion de préciser que d’un point de vue général, il paraît de prime abord inconcevable de ne pas interner une personne souffrant d’une maladie mentale dans un environnement thérapeutique approprié même si l’on estime que la maladie est incurable. En effet, l’intéressé pourrait tirer profit de l’environnement hospitalier, tandis que ses symptômes pourraient s’aggraver en dehors d’une structure de soutien (Hutchison Reid, précité, §§ 52 et 55).

198. La Cour a admis que le seul fait qu’un individu ne soit pas interné dans un établissement approprié n’avait pas pour effet automatique de rendre sa détention irrégulière au regard de l’article 5 § 1 de la Convention. Un certain délai d’admission dans une clinique ou un hôpital est acceptable s’il est lié à l’écart entre la capacité disponible et la capacité requise des établissements psychiatriques. Toutefois, un délai important d’admission dans de telles institutions retarde le début du traitement de la personne concernée, ce qui emporte forcément des conséquences pour les chances de succès de ce traitement et peut entraîner une violation de l’article 5 (Morsink c. Pays-Bas, no 48865/99, §§ 66-69, 11 mai 2004, Brand c. Pays‑Bas, no 49902/99, §§ 62-66, 11 mai 2004 ; voir aussi Pankiewicz, précité, § 45, où la Cour a jugé excessif un délai d’admission de deux mois et vingt-cinq jours, compte tenu notamment de l’effet néfaste sur la santé du requérant de son incarcération dans un centre de détention ordinaire).

199. Par ailleurs, la Cour a observé que, dans le contexte d’une détention de sûreté « retrospective », les conditions de détention d’une personne peuvent évoluer au fil de sa privation de liberté alors même que celle‑ci reste fondée sur une seule et unique ordonnance. La détention d’un aliéné sur le fondement d’une seule et même ordonnance de placement en détention peut, pour la Cour, devenir régulière, et donc conforme à l’article 5 § 1, dès lors que la personne est transférée dans un établissement adapté. Selon cette interprétation du terme « régularité », il existe bien un lien intrinsèque entre la régularité d’une privation de liberté et ses conditions d’exécution. Cette position est de surcroît comparable à l’analyse adoptée dans l’examen de la conformité des conditions de détention à l’article 3, où une évolution des conditions de détention joue également un rôle déterminant dans l’appréciation du respect de l’interdiction des traitements dégradants. Il en résulte que le moment ou la période à retenir lorsqu’il s’agit de rechercher si une personne a été détenue dans un établissement propre à accueillir des patients atteints de troubles mentaux est la période de détention en cause dans la procédure devant la Cour, et non le moment où l’ordonnance de placement en détention a été prise (Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, §§ 139 et 141, 4 décembre 2018).

200. Ainsi, lorsqu’elle a été saisie d’affaires portant sur la détention d’auteurs d’infractions pénales atteints de troubles psychiques, la Cour a tenu compte pour vérifier le caractère approprié de l’établissement en cause, non pas tellement du but premier de celui-ci, mais plutôt des conditions spécifiques de la détention et de la possibilité pour les intéressés d’y bénéficier d’un traitement adapté (Bergmann c. Allemagne, no 23279/14, § 124, 7 janvier 2016, W.P. c. Allemagne, no 55594/13, §§ 65-66, 6 octobre 2016, Lorenz, précité, §§ 61 et 64, et Kadusic c. Suisse, no 43977/13, §§ 56 et 59, 9 janvier 2018). Par ailleurs, même si les hôpitaux psychiatriques sont par définition des institutions appropriées pour la détention des individus atteints de maladies psychiques, la Cour a mis l’accent sur la nécessité d’accompagner le placement dans ces hôpitaux de mesures thérapeutiques efficaces et cohérentes, afin de ne pas priver les individus en question de la perspective d’une libération (Frank c. Allemagne (déc.), no 32705/06, 28 septembre 2010).

201. Dans plusieurs affaires dirigées contre la Belgique, la Cour a conclu que les ailes psychiatriques des prisons belges n’étaient pas des endroits appropriés pour la détention prolongée de personnes atteintes de maladies psychiques au sens de l’article 5 § 1 e) car les détenus n’y recevaient pas de soins et de traitement appropriés à leur état de santé, ce qui les privait de toute perspective réaliste de reclassement. Elle a estimé que cette situation avait pour effet de rompre le lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci avait lieu. Elle a considéré que les violations constatées dans ces affaires résultaient d’un problème structurel lié essentiellement au manque de places disponibles dans les établissements psychiatriques externes ou au refus de ceux-ci d’admettre des individus considérés comme indésirables (voir les quatre arrêts de principe L.B., Claes, Dufoort, et Swennen, précités, ainsi que huit arrêts du 9 janvier 2014 – Van Meroye c. Belgique, no 330/09, Oukili c. Belgique, no 43663/09, Caryn c. Belgique, no 43687/09, Moreels c. Belgique, no 43717/09, Gelaude c. Belgique, no 43733/09, Saadouni c. Belgique, no 50658/09, Plaisier c. Belgique, no 28785/11, Lankester, précité – et, plus récemment, l’arrêt pilote W.D., précité).

202. Pour déterminer si le requérant a ou non bénéficié de soins psychiatriques appropriés, la Cour tient compte des avis des professionnels de la santé et des décisions rendues par les autorités internes dans le cas individuel, ainsi que des conclusions plus générales des institutions au niveau national et international sur le caractère approprié ou inapproprié des ailes psychiatriques pour la détention des personnes souffrant de problèmes psychiques (voir, par exemple, L.B., précité, § 96, et Claes, précité, § 98, ainsi que Hadžić et Suljić c. Bosnie-Herzégovine, nos 39446/06 et 33849/08, § 41, 7 juin 2011 – où la Cour a conclu, sur la base des conclusions de la Cour constitutionnelle et du CPT, qu’une annexe psychiatrique pénitentiaire n’était pas une institution appropriée pour la détention de patients atteints de troubles psychiques – et, mutatis mutandis, O.H., précité, § 88, – où la Cour a tenu compte de l’avis de la Cour constitutionnelle fédérale sur le point de savoir quelles institutions étaient appropriées pour les personnes placées en détention préventive).

203. Dans le cadre de la notion de « soins appropriés » aux fins de l’article 5, la Cour vérifie, conformément aux informations disponibles dans le dossier, s’il existe une prise en charge thérapeutique individualisée et spécialisée dans le traitement des troubles psychiques en question. Elle considère que des informations indiquant que les requérants avaient un accès à des professionnels de santé et à des médicaments peuvent attester que les intéressés n’ont pas été manifestement délaissés mais ne sont pas suffisantes pour lui permettre d’évaluer la mesure de la prise en charge thérapeutique (Oukili, précité, § 50, Moreels, précité, § 52, et Plaisier, précité, § 50 ; voir aussi, mutatis mutandis, pour des exemples de constats de « soins appropriés », Bergmann, précité, §§ 125-128, concernant un centre de détention préventive, et Papillo c. Suisse, no 43368/08, § 48, 27 janvier 2015, concernant une prison ordinaire). De surcroît, même si l’attitude persistante d’une personne privée de liberté peut contribuer à faire obstacle à une modification de son régime de détention, elle ne dispense pas les autorités de prendre les initiatives appropriées en vue d’assurer à cette personne un traitement adapté à son état et de nature à l’aider à recouvrer sa liberté (De Schepper, précité, § 48, mutatis mutandis, O.H., précité, § 89, et Swennen, précité, § 80).

204. Enfin, la Cour a aussi précisé que dans le cas des délinquants atteints de maladies mentales, les autorités ont l’obligation de mettre en place des moyens permettant de préparer les personnes concernées à leur libération, par exemple en les encourageant à poursuivre la thérapie au moyen d’un transfert dans une institution où elles peuvent effectivement recevoir le traitement nécessaire, ou en leur accordant certaines facilités si la situation le permet (Lorenz, précité, § 61).

c) Affinement des principes jurisprudentiels et précision du sens de l’obligation de soins incombant aux autorités

205. La Cour estime, eu égard aux observations des parties (paragraphes 171-186 ci-dessus) ainsi qu’à la jurisprudence actuelle (paragraphes 190-204 ci-dessus), qu’il y a lieu de préciser et d’affiner les principes de sa jurisprudence pour pouvoir tenir compte des circonstances particulières dans lesquelles l’individu se trouve interné. Elle estime, au vu de l’évolution de sa jurisprudence et des standards internationaux actuels qui accordent un poids important à la nécessité de prendre en charge la santé mentale des personnes internées (paragraphes 116-119 ci‑dessus), qu’il faut reconnaître expressément, outre la fonction sociale de protection, la fonction thérapeutique du but visé par l’article 5 § 1 e) et, ainsi, l’existence d’une obligation pour les autorités d’assurer une prise en charge appropriée et individualisée, sur la base des spécificités de l’internement, telles que les conditions du régime, les soins proposés, ou encore la durée de la détention. En revanche, la Cour considère que l’article 5 tel qu’interprété aujourd’hui ne contient pas une interdiction de la détention fondée sur l’incapacité, à la différence de ce que propose le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU dans les points 6-9 de ses directives concernant l’article 14 de la CDPH de 2015 (paragraphe 117 ci-dessus).

206. Lors de l’examen des premières requêtes portées devant elle sur ce terrain, la Cour, comme évoqué ci-dessus, s’est interrogée sur la question de principe de savoir si et dans quelle mesure l’expression « détention régulière d’un aliéné » pouvait s’interpréter comme visant non seulement le simple fait de priver de liberté des malades mentaux, mais aussi les modalités d’exécution de l’internement telles que le lieu, le cadre et le régime de celui‑ci. Elle a estimé que la « détention » d’une personne comme malade mental ne serait « régulière » au regard de l’article 5 § 1 e) que si elle se déroulait dans un hôpital, une clinique ou un autre établissement approprié à ce habilité, mais que le traitement ou régime adéquats ne relevaient pas, en principe, de cette disposition. Elle en a conclu que celle-ci ne permettait pas de déduire en tant que telle l’existence d’un droit pour le patient à un traitement adapté à son état (paragraphes 193 et 195 ci-dessus). Cependant, dans ces premières affaires, elle a posé une réserve à cette analyse en utilisant le terme « en principe ». Cette formulation démontre qu’elle n’excluait pas l’existence de situations particulières dans lesquelles le but de la mesure pour lequel la Convention autorise la restriction du droit à la liberté, à savoir la protection de la société et l’administration d’un traitement, ne serait plus vraiment poursuivi, et dans lesquelles, donc, le lien entre ce but et les conditions de détention serait rompu.

207. La Cour a ainsi été amenée à étendre la portée de l’article 5 § 1 e) au fil de sa jurisprudence (paragraphes 196-204 ci-dessus). Il y a eu en la matière non pas un revirement de jurisprudence mais une élaboration progressive, au fil du temps, d’une interprétation du sens à donner aux obligations contenues dans cette disposition.

208. L’analyse de cette jurisprudence, développée notamment au cours des quinze dernières années, démontre clairement qu’il faut aujourd’hui considérer qu’il existe un lien étroit entre la « régularité » de la détention des personnes atteintes de troubles psychiques et le caractère approprié du traitement de leur état de santé mentale. Si cette exigence n’apparaissait pas encore dans les premiers arrêts rendus dans ce domaine (Winterwerp, § 51, et Ashingdane, §§ 47 et 48, précités), d’où il ressortait que la fonction thérapeutique de l’internement n’était pas garantie comme telle sur le terrain de l’article 5, il est clair dans la jurisprudence récente que l’administration d’une thérapie adéquate est devenue une exigence dans le cadre de la notion plus large de « régularité » de la privation de liberté. Toute détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit poursuivre un but thérapeutique, et plus précisément viser à la guérison ou l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental, y compris, le cas échéant, la réduction ou la maîtrise de la dangerosité. La Cour a souligné que quel que soit l’endroit où ces personnes se trouvent placées, elles ont droit à un environnement médical adapté à leur état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques, ayant pour but de les préparer à une éventuelle libération (paragraphes 199 et 201 ci‑dessus).

209. Pour ce qui est de la portée des soins prodigués, la Cour estime que le niveau de traitement médical requis pour cette catégorie de détenus doit aller au-delà des soins de base. Le simple accès à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait suffire à ce qu’un traitement donné puisse être jugé approprié et, dès lors, satisfaisant au regard de l’article 5. Le rôle de la Cour n’est cependant pas d’analyser le contenu des soins proposés et administrés. Il importe qu’elle soit en mesure de vérifier l’existence d’un parcours individualisé tenant compte des spécificités de l’état de santé mentale de la personne internée dans l’objectif de préparer celle-ci à une éventuelle future réinsertion (paragraphe 203 ci‑dessus). Dans ce domaine, la Cour accorde aux autorités une certaine marge de manœuvre à la fois pour la forme et pour le contenu de la prise en charge thérapeutique ou du parcours médical en question.

210. Ensuite, l’analyse visant à déterminer si un établissement particulier est « approprié » doit comporter un examen des conditions spécifiques de détention qui y règnent, et notamment du traitement prodigué aux personnes atteintes de pathologies psychiques. Ainsi, les cas examinés au fil de la jurisprudence montrent qu’il est possible qu’une institution a priori inappropriée, telle une structure pénitentiaire, s’avère en l’espèce satisfaisante car elle fournit des soins adéquats (paragraphe 203 ci-dessus), et qu’à l’inverse, un établissement spécialisé en psychiatrie, qui, par définition, devrait être approprié, peut se révéler inapte à prodiguer les soins nécessaires (paragraphe 199 ci-dessus). Ces exemples permettent de conclure que l’administration d’un traitement adapté et individualisé fait partie intégrante de la notion d’« établissement approprié ». Cette conclusion découle du constat à présent inéluctable que la privation de liberté visée à l’article 5 § 1 e) a une double fonction : d’une part une fonction sociale de protection, d’autre part une fonction thérapeutique liée à l’intérêt individuel pour la personne aliénée de bénéficier d’une thérapie ou d’un parcours de soins appropriés et individualisés. La nécessité d’assurer la première fonction ne devrait pas a priori justifier l’absence de mesures visant à accomplir la seconde. Il s’ensuit que, au regard de l’article 5 § 1 e), une décision refusant de libérer une personne internée peut devenir incompatible avec l’objectif initial de détention préventive contenu dans la décision de condamnation si la personne concernée est privée de liberté parce qu’elle risque de récidiver mais qu’en même temps, elle ne bénéficie pas des mesures – telles qu’une thérapie appropriée – nécessaires pour démontrer qu’elle n’est plus dangereuse (Lorenz, précité, § 58, voir aussi, mutatis mutandis, sur le terrain de l’article 5 § 1 a), Ostermünchner, précité, § 74, H.W., précité, § 112, et Klinkenbuß, précité, § 47).

211. Enfin, la Cour estime que d’éventuelles conséquences négatives sur les chances d’évolution de la situation personnelle du requérant ne conduiraient pas nécessairement à un constat de violation de l’article 5 § 1, sous réserve que les autorités aient déployé des efforts suffisants pour surmonter tout problème entravant la thérapie du requérant.

d) Articulation de l’analyse des griefs tirés de l’absence alléguée de « soins appropriés » soulevés aussi bien en relation avec l’article 3 qu’avec l’article 5 § 1

212. Dans trois des affaires belges précitées (paragraphe 201 ci-dessus), les requérants avaient formulé des griefs tirés tant de l’article 3, que de l’article 5 § 1, dénonçant une absence de soins adaptés à leur état de santé et la Cour a constaté une violation de l’article 3 considérant que les conditions de détention sans de tels soins étaient constitutives de traitements dégradants (Claes, précité, § 100, Lankester, précité, § 68 et W.D., précité, § 116). Dans son examen des griefs sous l’angle de l’article 5 § 1, la Cour a opéré un rapprochement d’analyse des allégations sur le plan des deux dispositions conventionnelles. En effet, elle a conclu que l’internement des requérants pendant de longues périodes dans un environnement inapproprié en terme de soins médicaux au regard de l’article 3 avait également pour conséquence la rupture du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles elle doit avoir lieu (Claes, précité, § 120, Lankester, précité, §§ 93-95 et W.D., précité, §§ 132-134). Par ailleurs, dans une série d’affaires contre l’Allemagne, la Cour a trouvé que des ailes de prison séparées ne représentaient pas des établissements appropriés au sens de l’article 5 § 1 e) en raison de l’absence d’environnement médical et thérapeutique nécessaire. La Cour est parvenue à cette conclusion après s’être livrée à un examen notamment des conditions de détention dans ces unités de prison en relevant le manque de traitement approprié à la condition mentale des détenus, sans pourtant avoir été saisie de griefs tirés de l’article 3 (voir, par exemple, O.H. c. Allemagne, no 4646/08, §§ 88‑91, 24 novembre 2011, B. c. Allemagne, no 61272/09, §§ 82-84, 19 avril 2012, S. c. Allemagne, no 3300/10, §§ 97-99, 28 juin 2012, et Glien c. Allemagne, no 7345/12, §§ 93-96, 28 novembre 2013).

213. Dans ce contexte, la Cour considère que lors de la vérification de la mise en place d’une thérapie médicale, l’intensité du contrôle de la Cour peut différer selon des allégations présentées sous l’angle de l’article 3 ou de l’article 5 § 1. En effet, la question du maintien du lien entre le but de la détention et les conditions dans lesquelles celle-ci se déroule, d’un côté, et celle de savoir si un seuil de gravité du traitement est atteint par ces conditions, de l’autre côté, sont d’une intensité différente. Cela implique qu’il pourrait y avoir des situations dans lesquelles un parcours thérapeutique peut correspondre aux exigences de l’article 3, mais ne pas être suffisant au regard du besoin de maintenir le but de l’internement et donc conduire à un constat de violation de l’article 5 § 1. Un constat de non‑violation de l’article 3 ne conduit dès lors pas automatiquement à un constat de non-violation de l’article 5 § 1, alors qu’un constat de violation de l’article 3 en raison de manque de soins appropriés pourrait aussi se traduire par un constat de violation de l’article 5 § 1 pour les mêmes motifs.

214. Cette articulation d’analyse des griefs similaires mais examinés selon l’une ou l’autre disposition, s’impose naturellement par l’essence même des droits protégés. La recherche d’un seuil pour la mise en jeu de l’article 3 garantissant un droit absolu est relative et dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (paragraphe 141 ci-dessus). Pour ce qui est de l’article 5 § 1 e), la privation de liberté est décidée, entre autres, en raison de l’existence d’un trouble mental. Afin que le lien entre le but de cette privation de liberté et les conditions d’exécution de la mesure soit maintenu, la Cour apprécie le caractère approprié de l’établissement, y compris ses capacités à fournir au malade les soins dont il a besoin (paragraphes 194-204 ci-dessus).

3. Application de ces principes au cas d’espèce

215. Il convient de noter d’abord que la situation du requérant se rapproche de celles exposées dans les quatre arrêts de principe (L.B., Claes, Dufoort, et Swennen, précités), l’arrêt W.D. et les huit autres arrêts concernant la Belgique précités (paragraphe 201 ci‑dessus). Elle s’en distingue par un seul aspect, à savoir le fait que le requérant n’est pas détenu dans une aile psychiatrique pénitentiaire, mais interné dans un établissement de défense sociale. Les requérants dans les affaires précitées étaient pour leur part en attente de transfert vers de tels établissements ou d’autres structures a priori adaptées à leur état de santé psychiatrique. Toutefois, le point décisif dans ces affaires était celui de savoir si les personnes concernées étaient placées dans un environnement permettant l’administration de soins adéquats, appropriés à la situation de leur état de santé, et individualisés de manière à leur offrir des perspectives réalistes de libération. La Cour estime que la question qui se pose en l’espèce est comparable. Elle examinera donc la présente affaire à la lumière de sa jurisprudence précitée telle qu’affinée, ainsi qu’au regard du contexte mis en lumière par les affaires belges susmentionnées. Elle note toutefois que la situation du requérant ne relève pas du problème structurel constaté dans ces autres affaires belges et ayant donné lieu à l’arrêt pilote W.D. précité.

216. En l’espèce en effet, le requérant se plaint de l’absence de soins et de thérapie psychiatriques adaptés à sa situation, avançant que le principal obstacle à la fourniture de tels soins est la barrière de la langue. Il est germanophone, et l’EDS de Paifve, où il est interné, ne proposait pas de soins psychiatriques administrés par des médecins parlant l’allemand. Le grief qu’il formule sur le terrain de l’article 5 présente de ce point de vue des similitudes avec celui qu’il fonde sur l’article 3, dans la mesure où il concerne également une absence de soins. La Cour renverra donc dans le cadre de l’examen de ce grief à l’analyse exposée ci-dessus quant au grief concernant l’article 3.

217. Elle observe d’abord qu’il ne fait pas controverse en l’espèce que le placement du requérant à l’EDS de Paifve constitue une mesure privative de liberté et que l’article 5 trouve à s’appliquer.

218. Cette mesure, mise en œuvre à partir du 21 janvier 2004, est fondée sur la décision d’internement rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance le 16 juin 2003 et confirmée par la cour d’appel de Liège le 1er août 2003, ainsi que sur la décision du ministre de la Justice en date du 15 janvier 2004. Ces décisions étaient motivées par la dangerosité et les troubles mentaux du requérant, qui avait été reconnu coupable de faits de vol et de violence sexuelle et faisait en outre l’objet de nouvelles poursuites pour des faits commis en détention (paragraphes 9, 10, 12 and 13 ci-dessus). Le requérant a été interné sans interruption, étant donné que ses demandes de libération ont toutes été rejetées et que sa privation de liberté a été maintenue (paragraphes 21, 30-37, 46 et 65 ci-dessus).

219. Les parties s’accordent à considérer la privation de liberté du requérant comme une mesure relevant de l’article 5 § 1 e) de la Convention. La Cour note que la décision d’internement rendue par la chambre du conseil du tribunal de première instance a été adoptée, sur le fondement de la législation de défense sociale, quelques mois avant la fin de la peine d’emprisonnement à laquelle le requérant avait été condamné par la cour d’appel de Liège et le tribunal correctionnel d’Eupen. Comme le précise la décision ministérielle, l’internement venait se substituer à la poursuite de l’exécution des peines infligées au requérant (paragraphes 10 et 12 ci‑dessus). Par conséquent, le placement du requérant à l’EDS de Paifve relevait de l’article 5 § 1 e) de la Convention (voir, parmi d’autres, L.B., précité, § 89). De plus, la Cour note que cette privation de liberté est constitutive d’une situation continue puisque le requérant a été interné sans interruption depuis le 15 janvier 2004.

220. La Cour observe ensuite qu’il n’est pas contesté non plus que l’internement du requérant a été décidé « selon les voies légales » au sens de l’article 5 § 1 de la Convention.

221. Pour ce qui est de la régularité de la mesure d’internement, elle observe qu’à première vue les trois conditions de la jurisprudence Winterwerp (paragraphe 192 ci-dessus) sont réunies en l’espèce. En effet, le requérant souffre de troubles liés à une psychose paranoïde attestés médicalement depuis 2001. Les expertises médicales réalisées tout au long de la mesure d’internement révèlent une personnalité psychotique et paranoïaque représentant un danger social (paragraphes 149 ci-dessus). La dernière évaluation de l’état de santé du requérant, en date du 12 janvier 2017, a confirmé la nécessité de le maintenir en internement, en raison notamment de sa dangerosité et des risques de récidive qu’il présentait (paragraphes 12, 14, 21, 23 et 39 ci‑dessus). Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet de remettre en question les conclusions des autorités internes quant à sa dangerosité.

222. Cela étant, la Cour estime, à la lumière des principes jurisprudentiels affinés en relation avec l’article 5 § 1 e), que l’examen de la régularité impose en outre de rechercher si tout au long de la mesure d’internement le but pour lequel celle-ci a été imposée a perduré. Plus précisément, il faut vérifier si le lien entre le motif initial de l’internement et le caractère approprié du traitement de l’interné a été maintenu : ce n’est qu’à cette condition que la privation de liberté pourra être considérée comme régulière. En l’espèce, eu égard aux allégations du requérant selon lesquelles il n’a pas bénéficié d’un traitement médical approprié, la Cour examinera la question du caractère approprié de l’établissement et, dans ce cadre, les éléments du parcours de soins offert au requérant. Elle recherchera si les soins fournis étaient propres à conduire à une amélioration de l’état de santé du requérant et une diminution de sa dangerosité, et à favoriser la perspective d’une libération.

223. Le Gouvernement soutient que compte tenu de son profil le requérant est interné dans un établissement approprié, et que malgré l’obstacle linguistique qui entrave sa communication avec le personnel soignant de Paifve, il a toujours bénéficié de soins adéquats depuis son placement en 2004.

224. La Cour estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer in abstracto sur la capacité de l’EDS de Paifve à assurer un environnement de qualité pour les personnes internées. Le caractère approprié de cette institution doit être examiné au regard des circonstances particulières de l’espèce. L’EDS de Paifve est une structure de haute sécurité consacrée exclusivement à la prise en charge de malades mentaux, dotée de personnel médical psychiatrique et psychologique, et qui a par définition pour tâche d’assurer le suivi de la santé mentale des patients. Néanmoins, c’est aussi une institution ayant fait l’objet de critiques exprimées par la commission de surveillance de Paifve en novembre 2016 en relation avec des défaillances alléguées dans la prise en charge médicale (paragraphe 115 ci-dessus). Son analyse a été confirmée récemment par le CPT, qui a formulé dans son rapport du mois de mars 2018 de vives critiques concernant notamment un défaut de suivi thérapeutique adéquat. Selon le CPT, les défaillances constatées étaient à rapprocher de celles des annexes psychiatriques pénitentiaires qui avaient été examinées dans les affaires belges précitées (paragraphe 120 ci-dessus).

225. La Cour ne saurait spéculer sur la question de savoir si cet aspect critiqué de la prise en charge des patients de manière générale à l’EDS de Paifve a pu avoir une influence dans le cas concret du requérant, lequel ne se plaint pas des soins dispensés en général dans cet établissement.

226. En toute hypothèse, les allégations concrètes du requérant dans son cas précis sont que les autorités ont tardé et tardent encore à prendre les mesures adéquates qui s’imposent à son égard – c’est-à-dire à lui offrir l’accès à des soins psychiatriques et psychologiques –, au prétexte de l’absence de soignants aptes à communiquer en allemand. Pour répondre à la question du caractère approprié de l’EDS de Paifve en l’espèce, il convient de vérifier si les autorités belges ont déployé tous les efforts raisonnables en vue d’assurer une prise en charge thérapeutique appropriée et individualisée au requérant, dont elles considèrent qu’il présente un niveau de risque élevé (De Schepper, précité, § 48).

227. Comme pour le grief tiré d’une violation de l’article 3, la Cour considère que la situation litigieuse se répartit en deux périodes distinctes, eu égard aux faits récents et aux allégations formulées à cet égard par le requérant dans ses observations devant la Grande Chambre.

a) La privation de liberté du requérant du début 2004 au mois d’août 2017

228. La Cour ne saurait suivre l’analyse faite par le Gouvernement qu’en dépit du problème linguistique, le requérant a bénéficié des soins proposés à l’EDS de Paifve. Elle renvoie au raisonnement qui l’a conduite à conclure à la violation de l’article 3 au motif que le requérant n’avait pas bénéficié de soins adaptés à son état de santé au cours des treize années de détention (paragraphes 149-159 ci-dessus). Il est aussi apparent que le défaut d’accès aux soins en l’espèce est dû à un problème linguistique (paragraphes 153‑156 ci-dessus).

229. Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer de façon générale sur les types de solutions qui auraient pu être jugées suffisantes pour répondre au besoin linguistique particulier du requérant afin qu’il puisse suivre un traitement adapté à son état de santé mentale. Les autorités internes jouissent à cet égard d’une certaine marge de manœuvre, qui leur permet de choisir les modalités de communication.

230. La Cour estime nécessaire de préciser également que l’article 5 § 1 e) ne garantit pas le droit pour la personne internée à bénéficier de soins dans sa langue (voir aussi paragraphe 151 ci-dessus). Elle note en l’espèce que même si l’allemand a le statut de langue officielle en Belgique, il est peu parlé dans la région où se trouve l’EDS de Paifve, à savoir la région linguistique française. Par ailleurs, la législation applicable n’exige pas de ce type d’établissements qu’ils emploient du personnel bilingue français/allemand (paragraphe 107 ci-dessus). Toutefois, la Cour se doit de relever que le droit du requérant à parler, à se faire comprendre et à être soigné en allemand a été explicitement reconnu par la CDS dans une décision du 13 octobre 2009 (paragraphe 26 ci-dessus). Dans ces conditions, elle s’étonne de l’allégation du Gouvernement selon laquelle il serait impossible d’assurer au requérant un traitement dans cette langue. Il est vrai que la CDS a constaté, le 26 janvier 2007, qu’il n’existait en Belgique aucun établissement à même de répondre à la fois au besoin linguistique du requérant et à son niveau de dangerosité (paragraphes 21 et 22 ci-dessus), et la Cour ne saurait mettre en cause ce constat – lequel demeure d’ailleurs pertinent compte tenu d’une part de ce que la situation du requérant est demeurée la même tout au long de sa privation de liberté et d’autre part de l’organisation du réseau des soins psychiatriques (paragraphes 29, 60 et 106-114 ci-dessus). Il ressort aussi des éléments du dossier que des recherches ont été engagées pour étudier les possibilités de traitement en Allemagne (paragraphe 25 ci-dessus). Les résultats de ces recherches ne figurent toutefois pas dans le dossier.

231. La Cour n’est pas insensible non plus au fait que malgré ces contraintes organisationnelles, la CDS a souligné le besoin impératif de soins en allemand à l’occasion des procédures engagées par le requérant au fil des années et indiqué des mises à disposition de psychiatres et de thérapeutes germanophones (paragraphes 18, 23, 25, 26 et 28 ci-dessus).

232. Cependant, la Cour ne peut que constater que ces indications et conclusions sont restées quasiment lettre morte. Ainsi, le 13 janvier 2010, la CDS a constaté que l’on ne pouvait espérer que le requérant obtienne des soins appropriés, que ce soit dans un établissement sécurisé ou dans un autre établissement. Le 29 avril 2010, elle a noté que le ministre de la Justice n’avait pas donné suite à l’interpellation qu’elle lui avait adressée pour qu’il intervienne et qu’il « dénonce » la situation du requérant (paragraphes 28 et 29 ci-dessus). Enfin, en 2014, la CDS a semblé se rallier à l’idée que l’absence de thérapie en allemand ne constituait pas un obstacle déterminant à une évolution positive, et elle s’est déclarée incompétente pour adresser des injonctions à l’administration ou sanctionner des actes ou défaillances de la part de celle‑ci à l’égard du requérant (paragraphes 40 et 41 ci-dessus).

233. Ce n’est qu’en septembre 2014 que des soins comprenant une communication en allemand ont pu être prodigués. Toutefois, il apparaît qu’ils n’ont pas été poursuivis au-delà de la fin de l’année 2015 (paragraphes 44, 51, 53 et 55 ci-dessus).

234. Le Gouvernement attribue l’absence d’amélioration de l’état de santé du requérant et l’échec de la prise en charge de celui-ci à son attitude et à son type de pathologie ; selon lui, l’absence de traitement en allemand n’en est pas le facteur déterminant.

235. La Cour ne saurait spéculer sur le point de savoir à quels résultats un traitement aurait abouti s’il avait été dispensé, pendant la période en cause, en allemand, comme le préconisait le rapport psychiatrique de 2005 (paragraphe 14 ci-dessus). Elle doit se borner à constater l’absence d’un tel traitement.

236. Pour ce qui est de l’attitude du requérant, la Cour n’est pas convaincue que celui-ci se soit comporté de manière à empêcher toute évolution de sa situation. S’il est vrai qu’en 2007 il refusait tout soin (paragraphe 21 ci-dessus), il est à relever que, dès sa deuxième demande de libération à l’essai en 2009, il a exprimé le désir de s’engager dans des démarches visant à faire évoluer son état. Ainsi, il a demandé qu’il soit imposé aux autorités concernées de lui offrir un traitement dans sa langue (paragraphes 23 et 27 ci-dessus). La Cour estime que cette demande raisonnable et appropriée eu égard au problème linguistique reconnu dans cette affaire, et qu’elle paraît prima facie correspondre à des « soins adaptés » au cas du requérant, compte tenu des multiples recommandations des psychiatres en ce sens ainsi que des troubles de la personnalité que présentait l’intéressé et de la faible conscience qu’il en avait (voir, mutatis mutandis, W.D., précité, § 131). Partant, compte tenu des demandes de soins et de libération formulées par le requérant, il appartenait aux autorités de trouver les moyens de résoudre le blocage lié à la communication entre ses soignants et lui (voir, mutatis mutandis, Lorenz, précité, § 64).

237. Ce que la Cour juge préoccupant à cet égard, c’est que dans les circonstances de la présente affaire, les autorités chargées du cas du requérant ont négligé, voire ignoré, le rôle évident que joue en matière de santé mentale le dialogue entre le patient et le thérapeute, dans une langue commune à l’un et à l’autre. Ce rôle a été souligné dans le rapport psychiatrique de 2014 (paragraphe 50 ci-dessus), et les besoins linguistiques du requérant ont été clairement énoncés dans les décisions des autorités internes. Les autorités n’ayant pas donné au requérant la possibilité de suivre un tel traitement, la Cour éprouve des difficultés à adhérer à l’argument selon lequel l’intéressé ne présentait pas de perspectives d’évolution positive, d’autant que le Gouvernement lui-même n’a pas complètement exclu une telle évolution (paragraphe 184 ci-dessus). Elle note d’ailleurs que l’obligation de soins n’est pas moindre lorsque l’état de la personne concernée peut être jugé incurable (paragraphe 197 ci-dessus).

238. De plus, la Cour note l’importance croissante qu’accordent aujourd’hui les instruments internationaux de protection des personnes atteintes de troubles mentaux au besoin pour les personnes internées par la contrainte de pouvoir bénéficier d’une prise en charge personnalisée et appropriée aux fins d’assurer le but thérapeutique de la privation de liberté. La Cour renvoie à cet égard à la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (13 décembre 2006) ainsi qu’à la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux. Elle admet qu’il est naturel de concevoir que les personnes internées doivent recevoir, autant que possible, toutes les informations nécessaires au sujet des projets de traitement personnalisé proposés. Ainsi, la Cour note en particulier que l’exposé des motifs relatif à l’article 7 de cette recommandation attire l’attention sur l’importance du facteur linguistique comme moyen de communiquer les informations relatives au traitement. Négliger cet aspect pourrait placer les personnes concernées en situation de vulnérabilité (paragraphes 116‑118 ci‑dessus).

239. La Cour note également que depuis le 1er octobre 2016, la nouvelle loi relative à l’internement des personnes prévoit l’obligation de proposer aux personnes internées un trajet de soins.

240. Par ailleurs, la Cour ne peut souscrire à la thèse du Gouvernement selon laquelle la situation en l’espèce est semblable à celle de l’affaire De Schepper (arrêt précité). M. De Schepper était lui aussi jugé en état de dangerosité persistante. Cependant, les autorités avaient mis en place une pré-thérapie en prison, suivant les conseils des spécialistes, dans le but de le faire admettre dans un établissement spécialisé qui pourrait assurer la thérapie nécessaire. Le défaut d’admission dans un tel établissement était dû à l’absence d’évolution de l’état de l’intéressé malgré la pré-thérapie pratiquée, et à l’impossibilité thérapeutique pour les institutions contactées de le traiter au moment de la demande. À l’inverse, en l’espèce, même s’il n’existe pas en Belgique d’établissement qui corresponde au degré de dangerosité du requérant et où il pourrait recevoir une thérapie en langue allemande, force est de constater que, sauf pendant une courte période de septembre 2014 à fin 2015, aucun traitement n’a été mis en place dans le but de diminuer cette dangerosité dans l’institution choisie pour l’intéressé, sous prétexte que l’établissement ne dispose pas de personnel médical germanophone.

241. La conclusion qui s’impose inévitablement est celle que, malgré les constats répétés des autorités médicales et des autorités de défense sociale quant à l’importance pour le requérant de recevoir un traitement psychiatrique en langue allemande afin d’avoir une chance d’évoluer et de se réinsérer, il n’a pas été pris de mesures pour mettre en place un tel traitement. Force est de constater que l’absence d’une thérapie individualisée adaptée à son état de santé pendant environ treize ans a constitué une négligence considérable qui a entravé les potentialités d’évolution positive du requérant, si tant est qu’elles aient existé (voir, mutatis mutandis, O.H., précité, § 89). La Cour estime que, compte tenu d’une part du caractère indéterminé de la durée de la mesure privative de liberté et d’autre part de l’état de santé du requérant et des demandes qu’il a formulées aux fins d’obtenir des soins psychiatriques et psychologiques appropriés lui permettant un espoir de sortie, les démarches entreprises par les autorités se sont révélées insuffisantes pour la prise en charge thérapeutique de l’intéressé (paragraphe 226 ci-dessus). Le Gouvernement n’avance pas d’arguments suffisants pour justifier le délai de mise en place du traitement seulement en 2014, ni l’interruption des soins fin 2015. Les autorités belges ont entrepris des démarches sporadiques pour remédier à la situation du requérant, mais ces démarches ne se sont pas inscrites dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique ou d’un trajet de soins. De surcroît, le défaut de prise en charge thérapeutique du requérant semble d’autant plus injustifiable que celui-ci était capable de communiquer dans une langue qui est l’une des langues officielles de la Belgique : surmonter un problème lié à l’emploi de cette langue ne paraît donc pas irréaliste.

242. En conclusion, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’absence de traitement adapté à l’état de santé du requérant et l’absence de démarches effectives entre début 2004 et août 2017 par les autorités en vue d’assurer un tel traitement ont eu pour conséquence une rupture du lien entre le but de la privation de liberté et les conditions dans lesquelles elle a eu lieu à l’EDS de Paifve, établissement ne pouvant dès lors être considéré comme approprié.

243. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 1 à raison de la manière dont a été exécutée la mesure privative de liberté depuis début 2004 jusqu’au mois d’août 2017.

b) La privation de liberté du requérant depuis le mois d’août 2017

244. La Cour estime que, pour ce qui est de cette seconde période, l’appréciation du respect de l’article 5 doit se faire à la lumière des changements intervenus dans la situation du requérant, tels que décrits dans le contexte de l’article 3. Eu égard aux principes rappelés ci-dessus et affinés, elle est d’avis que la principale question qui se pose est celle de savoir si l’ensemble de soins offert au requérant correspond à un parcours médical propre à constituer une prise en charge thérapeutique individualisée et spécialisée dans le traitement des troubles psychiques dont il souffre (paragraphes 205-210 ci-dessus).

245. La Cour renvoie à l’analyse des circonstances exposées par les parties quant à la période de soins débutant en août 2017 qu’elle a livrée sur le terrain de l’article 3 (paragraphes 160-166 ci-dessus). Elle rappelle qu’il ressort des éléments du dossier que les autorités ont fait preuve d’une volonté de faire évoluer la situation du requérant en mettant en place un cadre de suivi psychiatrique, psychologique et social dans un contexte linguistique approprié à ses capacités de communication, et que cette situation était en conformité avec les exigences de l’article 3 (paragraphe 167 ci-dessus).

246. La Cour est disposée à admettre l’argument du Gouvernement consistant à dire qu’étant donné que le requérant est jugé en capacité de discernement, le droit interne interdit qu’une mesure thérapeutique lui soit imposée contre son gré. L’exposé des motifs relatifs à l’article 17 de la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres affirme également le droit pour la personne internée de ne pas accepter les offres de traitement (paragraphe 119 ci-dessus). Toutefois, il est reconnu également que le requérant présente des troubles psychiques, qui motivent son internement, et que dès lors, par définition, son discernement est fragilisé. La Cour estime que ces circonstances peuvent rendre le requérant vulnérable, même s’il a la capacité de consentir ou non à son traitement (ibidem, voir en particulier l’exposé des motifs relatifs à l’article 7, point 56, de la recommandation). Compte tenu de cet aspect, l’obligation pour les autorités consiste toujours à tenter d’intégrer le requérant autant que possible dans un parcours médical individualisé susceptible de conduire à une amélioration de son état de santé. La Cour se réfère à ce sujet à l’article 12 de la même recommandation, qui préconise l’élaboration d’un plan de traitement personnalisé approprié, dans la mesure du possible après consultation de la personne concernée (paragraphe 118 ci-dessus). Cela étant, il faut également admettre que la personne de confiance ou le représentant légal du requérant, le cas échéant, a un rôle actif à jouer pour l’aider à exercer ses droits de consentir et de bénéficier d’un plan de traitement (voir l’exposé des motifs de la recommandation, en particulier quant à l’article 17, point 134, au paragraphe 119 ci-dessus).

247. La Cour accorde du poids au refus du requérant – qui a été représenté devant les autorités internes comme devant elle – d’accepter la collaboration entre la psychologue externe et l’équipe chargée d’établir une évaluation de ses perspectives de réinsertion, ce refus confrontant inévitablement les autorités compétentes en charge de sa situation à un obstacle sérieux.

248. Tout au long de son séjour à l’EDS de Paifve, le requérant s’est plaint de l’absence de soins en allemand et non des soins proposés dans cet établissement en tant que tels. Il revenait dès lors aux autorités de lui assurer un parcours thérapeutique individualisé en tenant compte notamment des particularités liées aux problèmes de communication entre lui et l’équipe soignante. En même temps, il ne peut s’agir d’imposer au requérant, apte à donner son consentement, un traitement médical mais d’offrir un éventail de mesures thérapeutiques et de réadaptation appropriées à sa situation individuelle. En l’espèce, la Cour constate qu’une série d’activités, en langue allemande, afin d’assurer une prise en charge adaptée aux troubles dont souffre le requérant lui ont été proposées à partir d’août 2017. En relèvent la mise à disposition d’une psychiatre, d’une psychologue et d’une assistante sociale germanophones. Elle voit dans cette offre une réponse des autorités à la demande particulière du requérant. Pour la Cour, les démarches entreprises sont de nature à faciliter la communication et la construction d’une relation de confiance. Elles peuvent dès lors être considérées prima facie suffisantes pour un suivi approprié, compte tenu également de la brièveté de la période examinée. Le requérant, assisté par ses représentants, n’a dès lors pas été laissé sans choix thérapeutique, de sorte qu’il ne peut être conclu que son placement ne poursuivait pas un but thérapeutique pendant cette période (voir l’exposé des motifs de la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres, en particulier quant à l’article 17, point 133, au paragraphe 119 ci-dessus).

249. Pourtant, le requérant semble maintenir ses allégations précédentes de manque de soins mais ne pas exploiter les possibilités qui lui sont offertes à présent. La Cour note à cet égard que la personne de confiance ou le représentant légal d’un interné peuvent jouer un rôle constructif dans l’établissement du plan de traitement (ibidem, point 134). Or, il n’apparaît pas des éléments disponibles dans le dossier que le requérant a coopéré avec le personnel médical pour l’élaboration du trajet de soins. Dans une telle situation, en l’absence d’informations – telles par exemple qu’un refus de la psychiatre germanophone de rencontrer le requérant et d’établir avec lui un projet thérapeutique selon ses besoins – indiquant que le suivi proposé par l’EDS de Paifve n’est pas efficace, et compte tenu du refus de l’intéressé d’associer la psychologue externe parlant sa langue au travail de l’équipe psycho-sociale interne, il est difficile de conclure à ce stade que l’État n’ait pas introduit les mesures nécessaires pour assurer au requérant un suivi approprié. Au contraire, rappelant qu’il ne lui appartient pas d’apprécier le contenu des soins particuliers proposés et tenant compte de la marge d’appréciation des États dans ce domaine (paragraphe 209 ci-dessus), la Cour est d’avis que le cadre thérapeutique mis en place, qui comprend des aspects aussi bien médicaux que sociaux aux fins de la préparation, dans la langue parlée par le requérant, de la réinsertion de celui-ci, démontre que des efforts suffisants ont, à ce stade, été entrepris par les autorités. Pour les mêmes raisons, elle considère que les autorités se sont efforcées dans la mesure du possible, conformément à l’article 12 de la Recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, d’intégrer le requérant dans l’élaboration du plan de traitement et d’obtenir son avis (paragraphes 118 et 246 ci-dessus).

250. Il apparaît ainsi que, en conformité avec l’exigence de soins thérapeutiques appropriés, les autorités ont adopté une approche multidisciplinaire et a priori cohérente, en s’efforçant de mettre l’accent sur la coopération entre les différents acteurs, et en veillant à ce que le « trajet de soins » du requérant soit individualisé compte tenu de ses besoins de communication et de sa pathologie.

251. Au vu de ce qui précède et compte tenu notamment de l’attitude affichée par l’intéressé, assisté par ses représentants face à l’ensemble des soins proposé, la Cour conclut que l’obligation de moyens qui pèse sur l’État a été remplie.

252. Ainsi, eu égard notamment aux efforts significatifs déployés par les autorités pour offrir au requérant un accès à des soins a priori cohérents et adaptés à sa situation, de la brièveté de la période pendant laquelle elles ont eu l’occasion de mettre en œuvre ces mesures de soins, ainsi que du fait que le requérant ne s’y montre pas toujours réceptif, la Cour peut conclure que le suivi médical désormais disponible correspond au but thérapeutique de l’internement du requérant. Il s’ensuit pour la Cour que, pour ce qui est de cette période d’internement du requérant à l’EDS de Paifve, il existe un lien entre le but de la privation de liberté et les conditions de son exécution.

253. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention pour ce qui est de la période postérieure au mois d’août 2017.

4. Conclusion

254. La Cour conclut que la privation de liberté du requérant au cours de la période du début 2004 au mois d’août 2017 ne s’est pas déroulée selon les exigences de l’article 5 § 1 dans un établissement approprié capable de lui assurer des soins adaptés à son état de santé.

255. En revanche, il apparaît à la Cour que les autorités compétentes ont tiré les conclusions de l’arrêt de chambre du 18 juillet 2017 et ont mis en place un ensemble de soins permettant de conclure à une non-violation de cette disposition pour la période après le mois d’août 2017.

Toutefois, elle estime opportun de souligner l’importance pour les autorités de s’assurer, compte tenu de la vulnérabilité du requérant et de ses capacités amoindries à prendre des décisions en dépit d’être considéré comme capable de discernement sur le plan formel en droit interne, que toutes les initiatives nécessaires soient prises, à moyen et à long terme, pour la réalisation d’une véritable prise en charge, englobant des soins psychiatriques, un suivi psychologique et un accompagnement social, en conformité avec les exigences de l’article 5 § 1 e) de la Convention, afin de lui offrir l’espoir d’une future libération.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

256. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Les conclusions de la chambre

257. Devant la chambre, le requérant réclamait 800 000 euros (EUR) au titre du préjudice matériel et moral qu’il estimait avoir subi. Il demandait également une somme globale et forfaitaire de 100 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

258. La chambre a rejeté la demande d’indemnisation au titre du dommage matériel pour la violation de l’article 3 de la Convention, jugeant qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre la violation constatée et le préjudice allégué. Elle a en revanche octroyé au requérant 15 000 EUR au titre du préjudice moral causé par la violation de l’article 3. Pour ce qui est des frais et dépens, elle a rejeté les demandes du requérant, constatant qu’il n’y avait joint aucune facture ni aucune note de frais ou d’honoraires susceptibles d’établir la réalité des frais engagés, et qu’il n’avait pas ventilé les frais selon les procédures et le temps y consacré.

2. Thèses des parties devant la Grande Chambre

259. Le requérant réclame toujours 800 000 EUR au titre du préjudice matériel et moral qu’il estime avoir subi. Il argue que, s’il avait été en liberté, il aurait pu travailler. Il considère que ce manque à gagner doit être apprécié globalement avec le dommage moral qu’il a selon lui subi du fait d’une privation de liberté injuste et inopérante. Aussi estime-t-il que son préjudice doit être calculé sur la base d’une indemnisation pour chaque jour de détention depuis l’ordonnance de la chambre du conseil du 16 juin 2003. En partant d’un montant de 200 EUR par jour de détention, il arrive à une somme totale de 800 000 EUR au moment du dépôt de ses observations devant la chambre, le 29 juillet 2014. Il s’en remet toutefois à la sagesse de la Cour en ce qui concerne le montant par jour et le montant total. Enfin, il prie la Cour de dire expressément que le dommage subi perdurera jusqu’à sa remise en liberté effective.

260. Le Gouvernement constate que pour le calcul du dommage, le requérant s’inspire du système d’indemnisation belge pour détention inopérante. Il estime que cette comparaison est sans pertinence en l’espèce puisque le requérant a fait l’objet d’une décision régulière d’internement. Se référant à la jurisprudence de la Cour en la matière, il avance que la somme à octroyer ne peut dépasser 15 000 EUR.

3. Appréciation de la Grande Chambre

261. La Cour considère qu’il n’est pas démontré en l’espèce qu’il existe un lien de causalité entre la violation constatée des articles 3 et 5 de la Convention et le dommage matériel allégué par le requérant. Dès lors, elle rejette les prétentions de celui-ci à ce titre.

262. En revanche, elle estime que le requérant a subi un préjudice moral certain en raison de son maintien en internement sans prise en charge adéquate de son état de santé en violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention. Statuant en équité, conformément à l’article 41 de la Convention, elle lui octroie 32 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

263. Comme devant la chambre, le requérant sollicite, sans justificatif à l’appui, une somme globale et forfaitaire de 100 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

264. Le Gouvernement estime que cette demande doit être rejetée. D’une part, il souligne que le requérant a bénéficié de l’assistance judiciaire pour sa défense dans les procédures internes et que ces procédures ont donc été gratuites pour lui, y compris pour ce qui est des honoraires d’avocats. D’autre part, il argue que le requérant n’a pas apporté la preuve de la réalité des frais engagés et que ces frais portent d’ailleurs en partie sur des procédures encore pendantes dont l’issue n’est pas connue.

265. La Cour note que pas plus que dans le cadre de la procédure devant la chambre, le requérant n’a joint aucune facture, ni aucune note de frais ou d’honoraire qui viendrait établir la réalité des frais engagés pour la procédure devant la Grande Chambre, et il ne ventile pas les frais selon les différentes procédures et le temps y consacré. La Cour rejette par conséquent sa demande.

C. Intérêts moratoires

266. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Dit, à l’unanimité, que le requérant peut se prétendre « victime » aux fins de l’article 34 de la Convention ;

2. Dit, par seize voix contre une, que depuis début 2004 jusqu’au mois d’août 2017, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit, par quatorze voix contre trois, que depuis le mois d’août 2017 jusqu’à présent, il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention ;

4. Dit, à l’unanimité, que depuis début 2004 jusqu’au mois d’août 2017, il y a eu violation de l’article 5 de la Convention ;

5. Dit, par dix voix contre sept, que depuis le mois d’août 2017 jusqu’à présent, il n’y a pas eu violation de l’article 5 de la Convention ;

6. Dit, par quinze voix contre deux,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 32 500 EUR (trente-deux mille cinq cents euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 31 janvier 2019.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
Greffière adjointePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées des juges suivantes :

– opinion en partie concordante et en partie dissidente du juge Lemmens ;

– opinion en partie dissidente de la juge Nußberger ;

– opinion en partie dissidente commune aux juges Turković, Dedov, Motoc, Ranzoni, Bošnjak et Chanturia ;

– opinion en partie dissidente du juge Serghides.

G.R.
F.E.P.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE ET EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE LEMMENS

1. Je suis en accord avec la majorité sur tous les points, sauf en ce qui concerne la satisfaction équitable à accorder au requérant.

Dans la présente opinion, je voudrais d’abord expliquer brièvement pourquoi j’ai changé d’opinion au sujet du grief tiré d’une violation de l’article 5 § 1 de la Convention : au sein de la chambre, j’ai voté pour la non-violation de cette disposition, alors qu’au sein de la Grande Chambre, j’ai voté pour la violation en ce qui concerne la période allant du début de l’année 2004 au mois d’août 2017.

Ensuite, je voudrais expliquer pourquoi j’ai voté contre la décision d’octroyer au requérant un montant de 32 500 euros au titre du préjudice moral.

SUR L’ARTICLE 5 § 1 e) DE LA CONVENTION

2. Lorsqu’elle a examiné la régularité de la détention au regard de l’article 5 § 1 e) de la Convention, la chambre s’est concentrée sur le caractère approprié ou non de l’établissement dans lequel le requérant était détenu. Elle a estimé que l’établissement de défense sociale de Paifve était un établissement a priori adapté pour recevoir des internés (paragraphe 102 de l’arrêt de chambre), et qu’en conséquence, la détention du requérant dans cet établissement pouvait être considérée comme justifiée au regard de l’article 5 § 1 e).

La Grande Chambre suit un raisonnement nettement différent. Elle ne se contente pas d’examiner si l’établissement en lui-même est un établissement adapté. Après avoir souligné l’existence d’une évolution dans la jurisprudence de la Cour (paragraphes 196-204 de l’arrêt), elle affine les principes applicables. En particulier, elle reconnaît expressément que, lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux est privée de liberté, la mesure n’a pas seulement une fonction de protection sociale, elle a également une fonction thérapeutique (paragraphes 205 et 210 de l’arrêt). Elle considère qu’il résulte de cette dernière fonction que l’interné a droit à un environnement médical adapté à son état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques (paragraphe 208 de l’arrêt), et qu’en l’absence de thérapie, toute possibilité de mise en liberté devient illusoire (paragraphe 210 de l’arrêt).

La Cour est déjà parvenue à des conclusions allant dans le même sens dans un arrêt de Grande Chambre rendu récemment (Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, §§ 165 et 168, 4 décembre 2018). Je souscris entièrement à cette évolution des principes. C’est pour cette raison que je me rallie à l’interprétation selon laquelle « l’administration d’un traitement adapté et individualisé fait partie intégrante de la notion d’« établissement approprié » » (paragraphe 210 de l’arrêt).

3. Je tiens également à souligner que le débat devant la Grande Chambre s’est quelque peu élargi par rapport au débat qui avait eu lieu devant la chambre.

Alors que la chambre était partie principalement du constat que le requérant ne pouvait pas recevoir de soins dans une langue qu’il comprît (voir notamment les arguments de l’intéressé, au paragraphe 97 de l’arrêt de la chambre), la Grande Chambre a fondé son raisonnement sur le constat qu’il n’avait pas bénéficié d’une thérapie individualisée. Le fait que les autorités compétentes n’aient pas été en mesure de lui proposer un traitement en allemand n’est donc plus considéré comme le seul problème en cause, mais plutôt comme un problème qui en cache un autre, plus fondamental.

4. Le réexamen de la présente affaire par la Grande Chambre a permis de clarifier les choses et d’envisager la requête dans une perspective plus large. Comme c’est souvent le cas, l’arrêt rendu par la chambre a été l’occasion de réfléchir aux principes même qui sont en jeu et à leur application dans le cas d’espèce.

Dans ces conditions, je n’ai aucune difficulté à adopter une position différente de celle que j’avais adoptée lors de l’examen de l’affaire par la chambre.

SUR L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

5. Ayant constaté une violation des articles 3 et 5 § 1 de la Convention, la majorité octroie au requérant un montant de 32 500 euros au titre du préjudice moral.

Ce faisant, la Grande Chambre s’écarte de la ligne jurisprudentielle suivie par la Cour dans les arrêts de chambre concernant l’internement en Belgique de personnes atteintes de troubles mentaux. Dans les affaires où elle a constaté une violation du seul article 5 § 1 de la Convention, la Cour a estimé qu’il convenait d’octroyer un montant de 15 000 euros, indépendamment de la durée de la privation de liberté non conforme à la Convention[1]. Dans les affaires où elle a constaté une violation des articles 3 et 5 § 1 (comme en l’espèce), elle a octroyé un montant de 16 000 euros[2].

Le requérant n’est pas dans une situation plus grave que celle des requérants de ces autres affaires. Au contraire, il est interné dans un établissement de défense sociale, alors que les autres requérants étaient détenus dans l’annexe psychiatrique d’une prison.

J’estime que le présent arrêt octroie au requérant un montant démesuré par rapport à ce qui a été octroyé à ces autres requérants. À mon avis, il aurait été préférable de maintenir une égalité entre des victimes se trouvant dans des situations comparables.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE NUSSBERGER

(Traduction)

1. La présente affaire pose un problème spécifique de droits de l’homme dans un contexte tout à fait exceptionnel. Le requérant est privé de liberté en raison d’un trouble mental sévère qui le rend incapable de contrôler ses actes. Membre d’une minorité linguistique, il demande à bénéficier d’un traitement psychiatrique dans la seule langue qu’il comprenne, l’allemand. L’allemand est l’une des langues officielles de la Belgique, mais il n’y est parlé que par 76 000 des 10,5 millions d’habitants[3]. Même si des problèmes de cet ordre ne sont susceptibles de survenir que dans les quelques États parties à la Convention qui ont plusieurs langues officielles (par exemple la Suisse ou le Luxembourg), l’interprétation que fait la Grande Chambre d’une part des obligations de l’État à l’égard des détenus souffrant de troubles mentaux et d’autre part des droits correspondants de ceux-ci en vertu des articles 3 et 5 de la Convention est lourde de conséquences. Dans le présent arrêt, la Grande Chambre développe sa jurisprudence sur deux points importants. Premièrement, elle analyse en une violation de l’article 3 l’impossibilité pour le requérant de bénéficier d’un traitement psychiatrique dans la langue qu’il parle, sans toutefois reconnaître l’existence d’un droit à cet égard. Deuxièmement, elle développe encore la notion de « régularité » de la privation de liberté au sens de l’article 5 pour y inclure le droit à un traitement adapté.

2. Si je suis d’accord avec l’interprétation affinée de l’article 5 § 1 e) de la Convention, je ne souscris pas au constat de violation de l’article 3, car – malgré ce qu’affirme la majorité – il crée un droit (nouveau) à un traitement psychiatrique dans une langue donnée, indépendamment des ressources disponibles. À mon avis, le seuil élevé de déclenchement de l’article 3 n’est pas atteint ici. Pour cette raison, j’ai voté en faveur du constat de violation de l’article 5 de la Convention pour la période depuis début 2004 jusqu’au mois d’août 2017, mais contre le constat de violation de l’article 3 concernant cette période.

3. Avant d’expliquer ma position, je voudrais souligner qu’à mon avis, le nœud de l’affaire réside dans le fait qu’un membre d’une minorité linguistique subit une discrimination : alors que ceux qui parlent les langues majoritaires sont traités de manière adéquate et bénéficient de la thérapie nécessaire à leur réintégration dans la société, le requérant n’a pas accès à un tel traitement. Il aurait donc été plus convaincant de conclure à la violation de l’article 5 combiné avec l’article 14 de la Convention[4]. Il est évident que le requérant a été traité différemment de ceux qui appartiennent à l’une des majorités linguistiques du pays. Il est également évident qu’il ne peut y avoir aucune justification à une telle différence de traitement, a fortiori lorsque la langue minoritaire est l’une des langues officielles de l’État défendeur.

4. Cependant, ce n’est pas la voie qui a été choisie, ni par le requérant, ni par la chambre ni par la Grande Chambre. En conséquence, l’aspect discriminatoire de la situation ne peut être examiné comme il le devrait.

5. L’approche de la majorité apparaît d’emblée contradictoire. D’un côté, la Grande Chambre affirme qu’il n’existe pas de droit à un traitement psychiatrique dans une langue donnée (« (...) le fait pour un patient d’être soigné par un personnel parlant sa langue, fût-elle langue officielle de l’État, n’est pas un élément reconnu du droit visé par l’article 3, ou par une autre disposition de la Convention, notamment pour ce qui est de l’administration de soins appropriés aux personnes privées de leur liberté », paragraphe 151 de l’arrêt[5]) ; de l’autre, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention, au motif que « [l]’obstacle linguistique a été l’unique facteur limitant l’accès effectif du requérant aux soins normalement disponibles » (paragraphe 153). Mais si on conclut à la violation de l’article 3 parce qu’un certain traitement n’est pas prodigué, comment peut-on dire qu’il n’existe pas de droit à ce traitement[6] ?

6. Dans la Convention, seuls quelques droits sont explicitement liés à l’usage d’une langue donnée. En vertu de l’article 5 § 2, « [t]oute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle ». L’un des éléments du droit à un procès équitable est le droit de l’accusé à « se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience » (Article 6 § 3 e)). Affirmer l’existence d’un droit du patient à un traitement psychiatrique dans une langue qu’il comprend va bien au-delà des exigences posées par ces deux dispositions. La communication à des fins médicales dans une langue donnée doit être établie sur le long terme et non survenir de manière ponctuelle. Elle implique donc nécessairement la mobilisation de ressources considérables.

7. Néanmoins, il est vrai que le droit des détenus malades mentaux à un traitement psychiatrique serait « théorique et illusoire », pour employer la fameuse formule de la Cour, si l’on ne tenait pas compte des obstacles linguistiques. Ainsi, la majorité reconnaît que « [e]n matière de traitement psychiatrique en relation avec l’article 3, l’élément purement linguistique pourrait s’avérer décisif s’agissant de la disponibilité ou de l’administration de soins appropriés » (paragraphe 151). Si elle se montre prudente dans la formulation de cette affirmation (« pourrait s’avérer ») et mentionne « d’autres éléments permettant de compenser le défaut de communication » (ibidem), elle ne dit pas quels seraient ces autres éléments ni dans quelles conditions l’élément linguistique ne serait pas décisif.

8. J’estime donc inutile la déclaration de pure forme de la majorité selon laquelle il n’existe pas de tel droit. Il faudrait plutôt définir clairement les conditions d’application et les limites du droit en question au regard de l’article 3 de la Convention.

9. L’article 3 énonce un droit absolu, qui relève de la protection de la dignité humaine. Il y a deux lignes de jurisprudence en ce qui concerne la situation des personnes privées de liberté : d’une part une jurisprudence relative aux « conditions de détention humaines »[7], d’autre part une jurisprudence relative au « droit à l’espoir »[8]. Le droit à un traitement psychiatrique adapté est lié à l’une et à l’autre. Ce traitement peut être considéré comme un élément des conditions de détention humaines dans la mesure où il est nécessaire pour assurer de manière adéquate la santé et le bien-être du détenu. Il peut aussi conditionner la possibilité de remise en liberté. Le fait de ne pas donner à un détenu malade mental l’accès à un traitement adéquat pourrait ainsi être assimilé à une condamnation à une peine d’emprisonnement à vie sans possibilité de libération.

10. Jusqu’à présent, cependant, la Cour a – à de rares exceptions près[9] – examiné les conditions de détention des détenus malades mentaux sous l’angle de l’article 5 de la Convention[10]. À mon avis, elle a eu raison de procéder ainsi : l’article 3 ne devrait entrer en jeu qu’en présence de circonstances véritablement exceptionnelles. Il faut qu’il y ait un élément clairement reconnaissable de traitement inhumain ou dégradant qui ne soit pas nécessairement présent dans les cas de violation de l’article 5 ; sans cela les différences entre la protection offerte respectivement par l’un et l’autre article seraient estompées.

11. En l’espèce, il n’y a pas cet élément supplémentaire. Le seul problème est que le personnel médical n’a pas les compétences linguistiques requises. À elle seule, l’absence de thérapie dans la « bonne » langue – alors que l’environnement thérapeutique en lui-même est adéquat[11] – ne peut, à mon avis, être considérée comme suffisante pour permettre de conclure à la violation de l’article 3 (en plus d’une violation de l’article 5). Le seuil (élevé) de déclenchement de l’application de l’article 3 n’est pas atteint lorsque les autorités ont essayé encore et encore de trouver une solution au problème mais qu’elles ont été confrontées à des difficultés échappant à leur contrôle. Nous ne sommes pas ici en présence d’une « situation sans espoir », et le requérant ne s’est pas vu infliger de traitements pouvant être qualifiés de « dégradants »[12].

12. La présente affaire est particulière en ce que l’allemand est l’une des langues officielles de la Belgique, et que les autorités ont donc elles-mêmes accepté l’obligation de fournir un traitement en allemand. Le statut d’une langue (langue officielle, langue minoritaire protégée) ne peut toutefois pas être un facteur à prendre en compte dans le contexte d’un droit absolu tel que celui protégé par l’article 3 ; l’élément déterminant sur le terrain de cette disposition, c’est la souffrance de la personne concernée[13]. Si le requérant parlait swahili ou pachtoune, la solution devrait être la même.

13. Conclure à la violation de l’article 3 en l’espèce est donc « dangereux » à deux égards. Une interprétation étroite – restreignant le droit protégé à ceux qui parlent une langue officielle de l’État concerné – ne serait guère compatible avec le caractère absolu de l’article 3 et pourrait être perçue comme y portant atteinte. Une interprétation large créerait au contraire pour les détenus malades mentaux un droit nouveau à être traités dans une langue qu’ils comprennent. Un tel droit risquerait de n’exister que « sur le papier » tant que les États membres n’auraient pas le personnel médical et les ressources nécessaires pour le mettre en œuvre.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TURKOVIĆ, DEDOV, MOTOC, RANZONI, BOŠNJAK ET CHANTURIA

I. Introduction

1. Nous sommes d’accord avec le constat de violation de l’article 3 de la Convention en ce qui concerne la période allant du début de l’année 2004 jusqu’au mois d’août 2017 (les Juges Dedov et Chanturia ayant voté pour la violation de l’article 3 également en ce qui concerne la période suivante), ainsi qu’avec le constat de violation de l’article 5 en ce qui concerne la privation de liberté du requérant depuis le début de l’année 2004 jusqu’au mois d’août 2017. Notre désaccord avec la majorité porte sur le constat de non-violation de l’article 5 de la Convention en ce qui concerne la période commençant au mois d’août 2017 (point 5 du dispositif).

2. Les faits de la présente affaire peuvent se résumer comme suit :
En 1997, le requérant, appartenant à la minorité germanophone de Belgique, fut condamné pour des faits de vol et de violence sexuelle. La fin des peines d’emprisonnement était prévue pour le 20 février 2004. Sur la base notamment d’un rapport psychiatrique et de décisions d’internement motivées par la dangerosité et les troubles mentaux du requérant, celui-ci intégra le 21 janvier 2004 l’établissement de défense sociale de Paifve (« l’EDS de Paifve »), situé dans la région de langue française en Belgique. La période suivante fut cependant marquée par un défaut total de prise en charge thérapeutique, au prétexte que l’absence de spécialistes parlant allemand rendait impossible la communication entre le personnel soignant et le requérant. En particulier, aucun traitement psychiatrique ne fut prodigué à l’intéressé. Ce ne fut qu’à partir du mois d’août 2017 que, à la suite de l’arrêt rendu par la chambre en l’espèce, les autorités prirent certaines mesures visant à permettre au requérant de bénéficier de certains soins.

3. Nous souscrivons aux principes énoncés dans l’arrêt de la Grande Chambre, notamment aux principes généraux relatifs à la privation de liberté des aliénés (paragraphes 190-193), à l’interprétation de la notion de caractère « approprié » des établissements destinés à accueillir des personnes atteintes de maladies psychiques (paragraphes 194-204) ainsi qu’à l’affinement des principes jurisprudentiels et, avec une certaine réserve, à la précision du sens de l’obligation de soins incombant aux autorités (paragraphes 205-211).

4. Ces principes ont été appliqués en l’espèce de manière correcte pour ce qui est de la privation de liberté imposée au requérant jusqu’au mois d’août 2017 (paragraphes 215-243). Pour cette période, la majorité a conclu à juste titre que « malgré les constats répétés des autorités médicales et des autorités de défense sociale quant à l’importance pour le requérant de recevoir un traitement psychiatrique en langue allemande afin d’avoir une chance d’évoluer et de se réinsérer, il n’a pas été pris de mesures pour mettre en place un tel traitement (...) Les autorités belges ont entrepris des démarches sporadiques pour remédier à la situation du requérant, mais ces démarches ne se sont pas inscrites dans le cadre d’une prise en charge thérapeutique ou d’un trajet de soins » (paragraphe 241). En conséquence, entre 2004 et août 2017 il y a eu rupture du lien entre le but de la privation de liberté du requérant et les conditions dans lesquelles cette privation a eu lieu à l’EDS de Paifve, et nous sommes d’accord sur ce point.

5. En revanche, nous ne sommes pas d’accord avec la conclusion à laquelle parvient la majorité au paragraphe 255. Nous estimons que les démarches entreprises par les autorités compétentes à partir du mois d’août 2017 n’ont pas été suffisantes et que les autorités n’ont pas mis en place un ensemble de soins permettant de conclure à la non-violation de l’article 5 pour cette période. Nous justifions notre opinion par le raisonnement suivant.

II. Examen au regard de l’article 5 § 1 de la période commençant au mois d’août 2017

6. À la suite de l’arrêt rendu par la chambre dans la présente affaire le 18 juillet 2017, les autorités auraient, selon une synthèse chronologique soumise par le Gouvernement (paragraphes 67-74), pris les mesures suivantes :

 à la fin de l’année 2017, dans le cadre d’un contact téléphonique avec le psychiatre de l’EDS de Paifve, une psychiatre externe germanophone aurait confirmé sa « disponibilité », toutefois elle ne s’est ensuite jamais rendue à Paifve pour effectivement rencontrer le requérant, et on n’a jamais proposé à celui-ci un calendrier thérapeutique ;

 le requérant aurait eu jusqu’en avril 2018 des entretiens mensuels avec une psychologue externe de langue allemande ;

 en novembre 2017, une assistante sociale germanophone aurait réintégré sa fonction au sein de l’EDS à Paifve, et elle aurait ensuite rencontré le requérant plusieurs fois par mois ;

 un infirmier psychiatrique parlant allemand aurait rencontré le requérant, à une fréquence qui n’est pas indiquée dans la synthèse ;

 le requérant aurait eu la possibilité de consulter un médecin généraliste une fois par mois ;

 le 25 novembre 2017, une réunion multidisciplinaire de l’équipe soignante aurait eu lieu en présence du requérant et d’un interprète.

7. Cependant, le rapport d’expertise psychiatrique du 5 septembre 2005 (paragraphe 14 de l’arrêt) indique ceci :

« (...) [le requérant] a besoin d’un traitement se rapportant dans un premier temps à la psychose paranoïde. Il faudrait agir ici simultanément sur le plan psychopharmacologique et psychothérapeutique. (...) Il faudrait une thérapie permanente de plusieurs années. La psychothérapie devrait être réalisée par les thérapeutes spécialisés dans le traitement des psychoses chroniques, avec dans le cas présent des entretiens de soutien, ainsi que des éléments psycho-éducatifs et pédagogiques. Il est essentiel dans ce cadre que la thérapie soit réalisée de pair, à savoir que les psychotropes permettent de préparer le patient à la psychothérapie et que, à son tour, l’éducation psychologique permette au patient de réagir aux psychotropes.

(...) La thérapie devrait ainsi débuter dans un établissement sécurisé, par la suite le traitement pourrait être possible dans la station fermée d’une institution de longue durée avant d’envisager le traitement dans une station ouverte. Les échelons d’assouplissement devraient être garantis par un expert psychiatre. »

8. La validité en 2017 de ce rapport d’expertise n’a jamais été réfutée, et les autorités n’ont pas ordonné de nouvelle expertise. Les nécessités indiquées dans le rapport de 2005 relativement au traitement du requérant sont donc restées d’actualité tout au long de la privation de liberté de l’intéressé. Qui plus est, au fil du temps plusieurs autres rapports médicaux ont confirmé que celui-ci avait besoin de soins psychothérapeutiques.

9. Force est de constater que même depuis le mois d’août 2017, les autorités n’ont pas pris les mesures psychopharmacologiques et psychothérapeutiques préconisées par cette expertise, elles n’ont pas administré au requérant des psychotropes permettant de le préparer à la psychothérapie et elles ne lui ont pas prodigué une éducation psychologique. Par ailleurs, et ce point nous semble primordial, aucun plan de soins individualisé n’a été élaboré et mis en œuvre à ce jour. Certes, les autorités ont pris certaines mesures à partir du mois d’août 2017, mais elles n’ont pas établi un véritable plan thérapeutique. Les mesures prises donnent l’impression d’une sorte de « patchwork » plutôt que d’une évaluation globale de la situation et des besoins du requérant. Il ne s’agit pas d’une approche multidisciplinaire cohérente avec l’élaboration et la mise en œuvre d’un trajet de soins précis et individualisé.

10. Dans l’arrêt Blokhin c. Russie ([GC], no 47152/06, § 137, 23 mars 2016 ; voir également le paragraphe 146 du présent arrêt) la Cour, examinant un grief au regard de l’article 3 de la Convention, s’est exprimée comme suit (caractères gras ajoutés):

« En la matière, la question du caractère « approprié » ou non des soins médicaux est la plus difficile à trancher. La Cour rappelle que le simple fait qu’un détenu ait été examiné par un médecin et qu’il se soit vu prescrire tel ou tel traitement ne saurait faire conclure automatiquement au caractère approprié des soins administrés (...). En outre, les autorités doivent s’assurer que les informations relatives à l’état de santé du détenu et aux soins reçus par lui en détention sont consignées de manière exhaustive (...), que le détenu bénéficie promptement d’un diagnostic précis et d’une prise en charge adaptée (...), et qu’il fasse l’objet, lorsque la maladie dont il est atteint l’exige, d’une surveillance régulière et systématique associée à une stratégie thérapeutique globale visant à porter remède à ses problèmes de santé ou à prévenir leur aggravation plutôt qu’à traiter leurs symptômes (...). Par ailleurs, il incombe aux autorités de démontrer qu’elles ont créé les conditions nécessaires pour que le traitement prescrit soit effectivement suivi (...) »

11. Dans l’arrêt Murray c. Pays-Bas ([GC], no 10511/10, § 106, 26 avril 2016), elle a apporté la précision suivante (caractères gras ajoutés) :

« (...) il n’est pas suffisant que le détenu soit examiné et qu’un diagnostic soit établi ; il est primordial qu’une thérapie correspondant au diagnostic établi et une surveillance médicale adéquate soient également mis en œuvre ».

12. En principe, ces exigences valent également lorsqu’il s’agit d’examiner sur le terrain de l’article 5 de la Convention le traitement d’une personne malade mentale privée de liberté. C’est exactement ce que la majorité dit, par exemple, aux paragraphes 208-209 :

« 208. (...) il est clair dans la jurisprudence récente que l’administration d’une thérapie adéquate est devenue une exigence dans le cadre de la notion plus large de « régularité » de la privation de liberté. Toute détention de personnes souffrant de maladies psychiques doit poursuivre un but thérapeutique, et plus précisément viser à la guérison ou l’amélioration, autant que possible, de leur trouble mental, y compris, le cas échéant, la réduction ou la maîtrise de la dangerosité. La Cour a souligné que quel que soit l’endroit où ces personnes se trouvent placées, elles ont droit à un environnement médical adapté à leur état de santé, accompagné de réelles mesures thérapeutiques, ayant pour but de les préparer à une éventuelle libération (...)

209. Pour ce qui est de la portée des soins prodigués, la Cour estime que le niveau de traitement médical requis pour cette catégorie de détenus doit aller au-delà des soins de base. Le simple accès à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait suffire à ce qu’un traitement donné puisse être jugé approprié et, dès lors, satisfaisant au regard de l’article 5. »

13. Nous sommes entièrement d’accord avec ces considérations, mais malheureusement la majorité ne les a pas appliquées en l’espèce. Elle a tacitement abandonné l’obligation pour les autorités d’élaborer et de mettre en place une stratégie thérapeutique globale ou, en d’autres termes, un plan de traitement thérapeutique adapté à la situation et aux besoins spécifiques du patient privé de liberté.

14. La nécessité de mettre en œuvre un tel plan thérapeutique correspond entre autres à la recommandation REC (2004) 10 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux États membres relative à la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes de troubles mentaux (paragraphe 118 de l’arrêt). Même si nous sommes conscients que cette recommandation fait partie de ce que l’on appelle « soft law », ou « droit mou » et que qu’il n’appartient pas à la Cour de transformer ce type de droit en « hard law », c’est-à-dire en droit contraignant, il nous semble utile de citer l’article 12 § 1 de cette recommandation, qui va dans le même sens que la jurisprudence de la Cour. Ce paragraphe se lit comme suit (caractères gras ajoutés) :

« Les personnes atteintes de troubles mentaux devraient bénéficier de traitements et de soins dispensés par des personnels suffisamment qualifiés, sur la base d’un plan de traitement personnalisé approprié. (...) »

15. L’exposé des motifs de cette recommandation relativement à l’article 12 précise les conditions auxquelles doit répondre un tel plan de traitement (paragraphe 119 de l’arrêt) :

« Lorsqu’une personne est placée dans un établissement pour le traitement de son trouble mental, le plan de traitement sera plus complexe. (...) Le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) a souligné, dans le contexte du placement involontaire, les éléments jugés indispensables à un plan de traitement. Ces éléments s’appliquent également aux placements volontaires ; un plan de traitement devrait donc inclure un vaste éventail d’activités thérapeutiques et de réadaptation, y compris, le cas échéant :

-la pharmacothérapie ;

. l’ergothérapie ;

. les thérapies de groupe ;

. les psychothérapies individuelles ;

. les activités de réadaptation pertinentes pour la vie quotidienne, par exemple concernant l’hygiène personnelle, les courses, la cuisine et l’utilisation des services publics ;

-l’art et le théâtre ;

-la musique et les sports. »

16. Même si elle mentionne également cette recommandation et la nécessité d’établir un plan de traitement (paragraphes 246 et 249), la majorité dilue considérablement cette notion et réduit par conséquent la portée des obligations incombant aux autorités, en utilisant des termes plus souples et moins précis tels que « prise en charge appropriée et individualisée » (paragraphe 205), « existence d’un parcours individualisé » (paragraphe 209), « projet de traitement personnalisé » (paragraphe 238), « prise en charge thérapeutique » (paragraphe 241), « trajet de soins » (paragraphes 241, 249 et 250) ou « projet thérapeutique » (paragraphe 249). Cela ne correspond en rien à un véritable plan de traitement ni à une stratégie thérapeutique globale adaptée à la situation et aux besoins du patient interné.

17. Par ailleurs, même à supposer qu’une « prise en charge thérapeutique » soit en principe suffisante, qu’elle s’inscrive ou non dans le cadre d’un « plan thérapeutique », en l’espèce les autorités n’auraient même pas respecté cette obligation. La majorité le démontre elle-même par les constats qu’elle formule dans l’arrêt, et qui sont en partie contradictoires. Par exemple, après avoir conclu à la non-violation de l’article 3 en ce qui concerne la période commençant au mois d’août 2017, elle souligne que le Gouvernement n’était pas libéré de l’obligation « de mettre en œuvre, sans délai, l’encadrement médical annoncé, selon une prise en charge thérapeutique individualisée et appropriée » (paragraphe 168). Cela revient à dire qu’une telle « prise en charge thérapeutique » n’a pas encore eu lieu. De même, après avoir conclu à la non-violation de l’article 5 pour la période commençant au mois d’août 2017, la majorité « estime opportun de souligner l’importance pour les autorités de s’assurer, compte tenu de la vulnérabilité du requérant et de ses capacités amoindries à prendre des décisions malgré la reconnaissance de sa capacité de discernement sur le plan formel en droit interne, que toutes les initiatives nécessaires soient prises, à moyen et à long terme, pour la réalisation d’une véritable prise en charge, englobant des soins psychiatriques, un suivi psychologique et un accompagnement social » (paragraphe 255 ; caractères gras ajoutés). Cela ne peut pas être interprété autrement que comme signifiant que jusqu’à présent une telle « véritable » prise en charge du requérant n’a pas encore eu lieu.

18. Dans ces conditions, où les autorités n’ont pas fait en sorte que le requérant bénéficie d’un traitement conforme au rapport d’expertise psychiatrique, qu’il soit mis en place une stratégie globale sur le plan psychopharmacologique et psychothérapeutique, ni que l’intéressé bénéficie de l’éducation psychologique nécessaire et d’un plan de soins individualisé, on ne saurait considérer que l’État s’est acquitté de ses obligations. Le niveau de traitement était totalement inexistant jusqu’au mois d’août 2017, mais par la suite, il n’est pas allé au-delà des soins de base. À cet égard, la majorité n’applique même pas les principes qu’elle rappelle elle-même, et qu’elle souligne au paragraphe 209 de l’arrêt, à savoir que le « simple accès à des professionnels de santé, à des consultations ou à des médicaments ne saurait suffire à ce qu’un traitement donné puisse être jugé approprié et, dès lors, satisfaisant au regard de l’article 5 ».

19. Dans ce contexte, la majorité met en avant le fait que le requérant n’a pas coopéré avec le personnel médical pour « l’élaboration du trajet de soins » (paragraphe 249). Or, à notre avis, l’obligation d’établir un tel trajet de soins thérapeutique approprié et adapté à la situation et aux besoins du patient – bref, un plan de traitement – incombe aux autorités et non à la personne atteinte d’une maladie mentale et privée de liberté. Certes, il serait souhaitable que le patient contribue à la démarche et coopère avec les autorités, mais si tel n’est pas le cas, les autorités restent néanmoins tenues d’élaborer un véritable projet de soins et d’encourager le patient à suivre un parcours médical individualisé (voir à cet égard la jurisprudence citée aux paragraphes 203-204 de l’arrêt). Le manque de coopération du patient ne les dispense pas de prendre les initiatives appropriées en vue de lui assurer un traitement qui soit adapté à son état et de nature à l’aider à recouvrer sa liberté. Nous estimons inacceptable qu’elles puissent se soustraire à leur responsabilité simplement en invoquant le manque de coopération d’une personne souffrant de troubles mentaux alors que celle-ci, en raison de son état mental même, n’a pas la faculté de réagir de manière appropriée. En l’espèce, il faut tenir compte de la vulnérabilité du requérant et de la fragilité de ses capacités décisionnelles, d’autant plus qu’il est privé de liberté depuis 21 ans déjà, dont 13 passés en institution psychiatrique sans qu’il bénéficie d’aucun traitement thérapeutique.

20. En l’espèce, les autorités n’ont pas pris de mesures suffisantes pour assurer au requérant un traitement approprié et de nature à lui permettre de recouvrer sa liberté. Au contraire, elles se sont contentées de lui « proposer » quelques soins et, en ce qui concerne le traitement psychothérapeutique, de lui suggérer de prendre lui-même contact avec une psychiatre externe lorsqu’il le souhaiterait. L’initiative de l’organisation des consultations psychiatriques était laissée entièrement au requérant, et le dossier ne renferme pas de plan de rencontres régulières proposées à l’avance dans une perspective spécifique de thérapie permanente (voir le rapport d’expertise, cité au paragraphe 7 ci-dessus) et de surveillance psychiatrique de l’évolution de la situation de l’intéressé. Les autorités n’ont guère pris d’autres mesures que d’informer le requérant de la mise à sa disposition d’une psychiatre externe ; elles n’ont pas, par exemple, déployé d’efforts pour l’intégrer dans une thérapie psychiatrique structurée. Il n’apparaît pas non plus qu’on lui ait expliqué les objectifs des mesures proposées.

21. Or, comme la majorité l’observe à juste titre au paragraphe 209 de l’arrêt, le simple accès à des professionnels de santé ne suffit pas à ce qu’un traitement donné puisse être jugé satisfaisant au regard de l’article 5. Au‑delà de cela, il se pose même la question de savoir si un « simple accès » peut être qualifié de « traitement ».

22. L’examen de la période commençant au mois d’août 2017 pose encore un autre problème. Bien que la majorité note au paragraphe 209 de l’arrêt que le rôle de la Cour – et nous sommes d’accord avec cela – n’est pas d’analyser le contenu des soins proposés et administrés, c’est pourtant ce qu’elle fait ensuite. Elle considère, par exemple, que les démarches entreprises étaient « prima facie suffisantes pour un suivi approprié » (paragraphe 248), que « le cadre thérapeutique mis en place, qui comprend des aspects aussi bien médicaux que sociaux aux fins de la préparation, dans la langue parlée par le requérant, de la réinsertion de celui-ci, démontre que des efforts suffisants ont, à ce stade, été entrepris par les autorités » (paragraphe 249), ou encore que « les autorités ont adopté une approche multidisciplinaire et a priori cohérente » (paragraphe 250). Nous estimons qu’un tel examen dépasse les limites de l’appréciation par la Cour des faits de la cause, notamment au regard de l’article 5 § 1 e) de la Convention.

23. Si, comme nous le proposons, la Cour exigeait sur le terrain de cette disposition, lorsque les État membres privent un aliéné de sa liberté, qu’il existe un « plan de traitement » tel que celui décrit ci-dessus, elle pourrait ensuite se borner à contrôler l’existence de ce plan et sa mise en œuvre générale. Elle n’aurait pas à s’engager dans l’examen du caractère adéquat ou non du traitement et de chacune de ses étapes, et elle pourrait se dispenser de contrôler les mesures médicales et psychothérapeutiques mises en œuvre. Elle laisserait ainsi cet examen de fond aux autorités nationales, spécialisées dans ce domaine, en leur accordant la marge d’appréciation nécessaire. Cela correspondrait au caractère subsidiaire de son rôle.

III. Conclusion

24. Le simple accès à une psychiatre, qui ne fait pas partie de l’établissement psychiatrique, ainsi qu’à des consultations, plus ou moins régulières, avec certains autres professionnels de la santé et travailleurs sociaux, en l’absence de plan de traitement thérapeutique adapté à la situation et aux besoins spécifiques du patient atteint d’une maladie mentale et privé de liberté, ne saurait être considéré comme suffisant au regard de l’article 5 de la Convention. Même si les autorités ont depuis le mois d’août 2017 pris quelques mesures et montré une certaine volonté de faire évoluer la situation du requérant, leurs efforts ont été très limités, et, contrairement à la majorité, nous ne pouvons pas considérer que le suivi médical disponible correspondait au but thérapeutique de l’internement. Le lien entre ce but de la privation de liberté et les conditions dans lesquelles elle a lieu à l’EDS de Paifve n’a donc pas été rétabli depuis le mois d’août 2017. Par conséquent, nous estimons qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de ce chef également.

25. Indépendamment de cette analyse, nous voudrions souligner, comme l’a fait la majorité au paragraphe 255 de l’arrêt, l’importance pour les autorités de prendre toutes les initiatives nécessaires, et cela immédiatement, pour que soit mise en œuvre une véritable prise en charge du requérant, englobant des soins psychiatriques, un suivi psychologique et un accompagnement social, conformément à l’expertise psychiatrique et aux exigences de l’article 5 § 1 e) de la Convention, afin d’offrir à l’intéressé au moins l’espoir d’une future libération.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SERGHIDES

(Traduction)

1. Dans la présente affaire, des violations des articles 3 et 5 de la Convention sont alléguées par le requérant, atteint d’un grave trouble mental le rendant incapable de contrôler ses actions et interné depuis 2004 dans un établissement spécialisé dépourvu de personnel germanophone, alors qu’il ne peut s’exprimer qu’en allemand (l’une des trois langues officielles de la Belgique).

2. J’ai voté en faveur de tous les points du dispositif de l’arrêt, sauf les points 3 et 5.

3. Constater dans l’arrêt la non-violation des articles 3 et 5 pour la période allant d’août 2017 à ce jour présuppose que les faits survenus ce mois-là ont rompu la continuité qui a amené la Cour à conclure à une violation continue du début de l’année 2004 jusqu’en août 2017.

4. À mon humble avis, ce changement, en l’occurrence une amélioration ou un développement dans la manière dont les autorités ont traité le requérant en 2017 qui, aux yeux de la majorité, suffit à rompre la continuité – un point auquel je souscris –, devrait être noté et salué par la Cour, mais il ne faudrait pas aller plus loin ; autrement dit, il ne faudrait pas aller jusqu’à constater la « non-violation » des articles 3 et 5 de la Convention. En effet, dès lors que la Cour constate une rupture dans la continuité de la situation ou du traitement du requérant, elle n’a plus compétence ratione temporis pour continuer à examiner le fond de l’affaire s’agissant de la période faisant suite à cette rupture.

5. La Cour a bien compétence pour rechercher s’il y a eu rupture de continuité pendant l’examen de l’affaire tout simplement parce que, si elle venait à conclure à l’absence de rupture, sa compétence serait alors préservée du fait du caractère continu de la violation, lequel deviendrait dès lors une circonstance aggravante dans l’analyse sur le terrain de la satisfaction équitable. Si en revanche la Cour venait à conclure (comme elle le fait dans le présent arrêt) à la rupture de continuité, sa compétence prendrait alors automatiquement fin. Postérieurement à la rupture, rien ne donne compétence à la Cour pour dire s’il y a eu « violation » ou « non‑violation » concernant des faits ultérieurs, dénués de pertinence. En effet, en vertu des articles 34 et 35 de la Convention, la « qualité de victime » d’un requérant s’apprécie sur la base de faits antérieurs à l’introduction de sa requête devant la Cour, sauf si la violation s’analyse en une situation continue.

6. L’approche que je propose est, je pense, conforme aux principes de l’effectivité et de la bonne foi, qui sont inhérents à la Convention et doivent aussi être pris en compte dans l’interprétation d’une disposition d’un traité, comme le prévoit l’article 31 § 1 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. Selon moi, la méthode d’interprétation suggérée confère aux dispositions pertinentes de la Convention le plus de portée et de poids que l’on peut tirer de leur sens textuel ainsi que de leur objet et de leur but. Elle est également fondée sur la bonne foi puisque, d’une part, elle reconnaît la notion de « violation continue », laquelle peut être une triste réalité, et que, d’autre part, elle traite de manière raisonnable et équitable – des éléments fondamentaux de la bonne foi[14] – les conséquences d’une telle rupture de continuité sur la compétence de la Cour.

Voilà pourquoi je propose que la compétence de la Cour cesse automatiquement lorsqu’elle conclut à une rupture dans la continuité de la situation.

7. Il faut noter que, dans son arrêt Varnava et autres c. Turquie [GC], (nos [16064/90](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2216064/90%22%5D%7D) et 8 autres, CEDH 2009), la Cour avait d’abord statué sur la question des violations continues et des obligations procédurales pesant sur l’État avant de reconnaître le droit de recours individuel puis de poursuivre. Or, la situation en l’espèce est quelque peu différente car elle a trait aux deux questions suivantes : a) la Cour peut-elle tenir compte d’une violation qui se poursuit après l’introduction de la requête ; et b) a-t-elle compétence pour conclure à la « non-violation » après avoir établi qu’il y avait eu une rupture de continuité pendant son examen de l’affaire ? Ce qui importe, toutefois, c’est que dans l’affaire Varnava précitée la Cour a également fondé son arrêt sur le principe de l’effectivité.[15]

8. Cette approche trouve également appui dans l’arrêt Stanev c. Bulgarie [GC] (no 36760/06, 17 janvier 2012), dans lequel la Grande Chambre a dit :

« 212. En conclusion, tout en notant les améliorations qui ont, semble-t-il, été apportées au foyer de Pastra à partir de fin 2009, la Cour estime que, considérées dans leur ensemble, les conditions de vie auxquelles a été exposé le requérant pendant environ sept ans constituent un traitement dégradant.

213. Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention » (les italiques sont de nous.)

La période de sept ans au cours de laquelle il y a eu violation, évoquée par la Cour dans l’arrêt précité, est celle allant entre 2002 et 2009, antérieurement aux améliorations apportées (Stanev, précité, § 207). La violation que la Cour constate au paragraphe 213 de son arrêt Stanev ne vaut que pour cette période. La Cour ne cherche pas ensuite à examiner le fond de l’affaire à la suite de ce changement de circonstances.

9. En la présente espèce, la Cour aurait dû procéder de la même manière que dans l’affaire Stanev. Elle aurait donc dû selon moi se contenter de reconnaître qu’il y a eu des améliorations et les noter ou les saluer.

* * *

[1] L.B. c. Belgique, no 22831/08, § 113, 2 octobre 2012 ; Swennen c. Belgique, no 53448/10, § 90, 10 janvier 2013 ; Van Meroye c. Belgique, no 330/09, § 114, 9 janvier 2014 ; Oukili c. Belgique, no 43663/09, § 74, 9 janvier 2014 ; Caryn c. Belgique, no 43687/09, § 52, 9 janvier 2014 ; Moreels c. Belgique, no 43717/09, § 77, 9 janvier 2014 ; Gelaude c. Belgique, no 43733/09, § 72, 9 janvier 2014 ; Saadouni c. Belgique, no 50658/09, § 83, 9 janvier 2014 ; Plaisier c. Belgique, no 28785/11, § 64, 9 janvier 2014 ; Smits et autres c. Belgique (comité), nos 49484/11 et autres, § 81, 3 février 2015 ; Vander Velde et Soussi c. Belgique (comité), nos 49861/12 et 49870/12, § 60, 3 février 2015.

Comparer De Donder et De Clippel c. Belgique, no 8595/06, § 111, 6 décembre 2011, où la Chambre avait encore octroyé 25 000 euros, et Dufoort c. Belgique, no 43653/09, § 116, 10 janvier 2013, où elle n’a octroyé que 5 000 euros, somme qui était celle demandée par le requérant.

[2] Claes c. Belgique, no 43418/09, § 140, 10 janvier 2013 ; Lankester c. Belgique, no 22283/10, § 104, 9 janvier 2014 ; W.D. c. Belgique, no 73548/13, § 178, 6 septembre 2016.

[3] Voir DG.be, Die deutschsprachige Gemeinschaft, [http://www.dg.be/desktopdefault.aspx‌/tabid-2788/5431_read-34851/](http://www.dg.be/desktopdefault.aspx/%20tabid-2788/5431_read-34851/) (consulté le 07/01/2019 à 12 h 10).

[4] Voir l’affaire, semblable, Rangelov c. Allemagne, no 5123/07, 22 mars 2012.

[5] Elle considère aussi qu’un tel droit ne peut se déduire de l’article 5 § 1 e) de la Convention (paragraphe 230 de l’arrêt).

[6] Le raisonnement relatif à l’article 5 de la Convention est différent, car l’article 5 ne garantit pas un droit absolu directement lié à la dignité humaine.

[7] Mursic c. Croatie [GC], no 7334/13, §§ 96-101, 20 octobre 2016.

[8] Vinter et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 66069/09, 130/10 et 3896/10, §§ 107‑113, 9 juillet 2013.

[9] Claes c. Belgique, no 43418/09, 10 janvier 2013 ; Lankester c. Belgique, no 22283/10, 9 janvier 2014 ; et W.D. c. Belgique, no 73548/13, 6 septembre 2016, où la Cour a conclu à la violation de l’article 3 et de l’article 5.

[10] O.H. c. Allemagne, no 4646/08, §§ 88-91, 24 novembre 2011 ; B. c. Allemagne, no 61272/09, §§ 82-84, 19 avril 2012 ; S. c. Allemagne, no 3300/10, §§ 97-99, 28 juin 2012, et Glien c. Allemagne, no 7345/12, §§ 93-96, 28 novembre 2013. Dans ces affaires, les requérants n’avaient même pas invoqué l’article 3. Voir aussi le tout récent arrêt Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, 4 décembre 2018.

[11] Sur ce point, la présente affaire se distingue des affaires faisant l’objet des arrêts précités Claes, Lankester et W.D.

[12] La Cour a considéré qu’un traitement était « dégradant » en ce qu’il était de nature à inspirer à ses victimes des sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à les humilier et à les avilir et à briser éventuellement leur résistance physique ou morale, ou à les conduire à agir contre leur volonté ou leur conscience » (Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 203, CEDH 2012).

[13] Néanmoins, l’arrêt de la chambre mentionne expressément l’élément suivant : « (…) tenant compte en particulier de ce que l’allemand est une des trois langues officielles en Belgique, la Cour estime que les autorités nationales n’ont pas assuré une prise en charge adéquate de l’état de santé du requérant » (paragraphe 91 de l’arrêt de chambre, cité au paragraphe 135 du présent arrêt). Le problème de la relativisation d’une norme absolue ne se pose pas sur le terrain de l’article 5 de la Convention. L’analyse faite sous l’angle de cette disposition ne repose pas sur la souffrance humaine, mais sur la question de l’existence continue d’un lien entre le but de la privation de liberté et les conditions dans lesquelles elle se déroule (voir les paragraphes 212 et suivants).

[14] Sur ces éléments de la bonne foi, voir, entre autres, J. F. O’Connor, Good Faith in International Law, Aldershot, 1991, pp. 42, 110, 124, et Mark E. Villiger, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties, Leiden-Boston, 2009, pp. 425-26,

[15] Dans la partie de l’arrêt précité Varnava consacrée aux « principes généraux » concernant une exception préliminaire de l’État défendeur tirée de la règle des six mois prévue par l’article 35 § 1 de la Convention, la Grande Chambre a dit qu’elle « ne saurait trop souligner que la Convention est un mécanisme de protection des droits de l’homme et qu’il est d’une importance cruciale qu’elle soit interprétée et appliquée d’une manière qui garantisse des droits concrets et effectifs, et non pas théoriques et illusoires » (ibidem, § 160). Et de poursuivre : « [c]e principe vaut non seulement pour l’interprétation des clauses normatives de la Convention, mais également pour les dispositions procédurales, et il a des incidences tant sur les obligations incombant au gouvernement défendeur que sur la position des requérants » (ibidem). Au bout du compte, la Cour a rejeté l’exception préliminaire de l’État défendeur et a conclu en définitive, entre autres, à une violation procédurale continue de l’article 2 de la Convention faute pour l’État défendeur d’avoir conduit une enquête effective sur le sort de neuf Chypriotes grecs portés disparus depuis les opérations militaires turques dans le nord de Chypre en 1974, alors que la Turquie n’avait accepté le droit de recours individuel devant l’ancienne Commission des droits de l’homme qu’en 1987 et la compétence de l’ancienne Cour qu’en 1990.


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