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11/12/2018 | CEDH | N°001-188271

CEDH | CEDH, AFFAIRE RODIONOV c. RUSSIE, 2018, 001-188271


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE RODIONOV c. RUSSIE

(Requête no 9106/09)

ARRÊT

Cet arrêt a été révisé en conformité avec l’article 80 du règlement de la Cour dans un arrêt du 27 août 2019

STRASBOURG

11 décembre 2018

DÉFINITIF

11/03/2019

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Rodionov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une cham

bre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Jolien Schukking,
...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE RODIONOV c. RUSSIE

(Requête no 9106/09)

ARRÊT

Cet arrêt a été révisé en conformité avec l’article 80 du règlement de la Cour dans un arrêt du 27 août 2019

STRASBOURG

11 décembre 2018

DÉFINITIF

11/03/2019

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Rodionov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Jolien Schukking,
María Elósegui, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 novembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9106/09) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Igor Nikolayevich Rodionov (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M.V. Semenov, avocat à Saint‑Pétersbourg. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Galperine, son représentant actuel.

3. Le requérant alléguait notamment qu’il avait été placé dans une cage métallique lors de son procès pénal, qu’il avait été détenu et transporté dans de mauvaises conditions et qu’il n’avait pas disposé de voie de recours effective à cet égard, que la durée de sa détention provisoire était excessive, que la régularité de celle-ci n’avait pas été examinée « à bref délai », qu’il avait été absent à l’une des audiences d’appel consacrée à la régularité de son maintien en détention, que la procédure pénale dirigée à son encontre n’avait pas été équitable concernant divers aspects, que la mise sur écoute de ses conversations téléphoniques avait constitué une atteinte au respect de sa vie privée et qu’il n’avait pas disposé de voie de recours effective à cet égard, que la confiscation de revues et d’un poste de radio par l’administration pénitentiaire avait constitué une ingérence disproportionnée dans son droit de recevoir des informations et, enfin, que son droit à une requête individuelle n’avait pas été respecté par les autorités internes. Il invoquait les articles 3, 5 §§ 3 et 4, 6 §§ 1, 2 et 3 b) et c), 8, 10, 13 et 34 de la Convention.

4. Le 15 novembre 2016, les griefs énumérés ci-dessus ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1970 et réside à Sosnoviy Bor.

A. Les poursuites pénales, la détention provisoire et la condamnation du requérant

1. Les écoutes téléphoniques et les interpellations des personnes suspectées d’implication dans un trafic de stupéfiants

6. Entre le 11 avril et le 9 juin 2006, le tribunal de Saint-Pétersbourg (Санкт-Петербургский городской суд) adopta des décisions par lesquelles il autorisait le département régional de Saint-Pétersbourg du service fédéral du contrôle de stupéfiants (« le FSKN ») à mettre sur écoute des téléphones portables conformément à la loi sur les mesures opérationnelles d’investigation (« la LMOI »). La Cour ne dispose pas de copies de ces décisions.

7. Dans le cadre de ces écoutes téléphoniques, le FSKN établit progressivement une liste de six personnes soupçonnées d’être impliquées dans un trafic de stupéfiants : le requérant, G., P., V., B. et M. En se basant sur les informations recueillies par les écoutes, il procéda aux interpellations de G. et P. (le 31 mai 2006), de V. (le 15 juin 2006) et de M. (le 26 juillet 2006). Lors de ces interpellations, les personnes susmentionnées étaient en possession de différentes quantités de stupéfiants. En outre, le FSKN saisit des paquets de stupéfiants lors de l’inspection (досмотр) du domicile commun de G. et P., effectuée le jour de leur interpellation, et de celle du domicile de V., menée le 20 juin 2006. Toutes les inspections, interpellations et saisies furent effectuées par le FSKN dans le cadre de la LMOI.

8. Après chaque interpellation, des poursuites pénales furent engagées à l’encontre des personnes arrêtées ainsi qu’à l’encontre de B. Ce dernier ne fut pas arrêté mais fut mis en examen en tant que personne impliquée dans les événements du 26 juillet 2006, à savoir la tentative de vente de drogue par M.

2. L’interpellation du requérant

9. Les écoutes téléphoniques susmentionnées permirent au FSKN de soupçonner que le requérant s’apprêtait à transporter des stupéfiants de Saint-Pétersbourg à Moscou le 15 août 2006 en utilisant une voiture de location. Le FSKN mit en place une opération de surveillance du véhicule en question et organisa l’interpellation du requérant à un poste de contrôle de la police routière à la sortie de la ville de Saint-Pétersbourg. Les agents Ko., Sl., Iv. et Ge., du FSKN, arrivèrent au poste en question le 15 août 2006 vers 19 heures.

10. Le même jour, vers 20 h 10, la police routière arrêta le véhicule faisant l’objet de la surveillance. Le requérant était au volant de la voiture. Il était accompagné d’une passagère, Ma., qui occupait le siège passager à l’avant du véhicule.

11. L’agent Sl., du FSKN, invita le requérant à sortir du véhicule tandis qu’un autre agent faisait de même à l’égard de Ma. Une fois le requérant sorti du véhicule, il fut menotté. Un agent du FSKN se mit alors au volant du véhicule et le déplaça de quelques mètres pour le garer sur une place de stationnement située près du poste de contrôle.

12. Ensuite, l’agent Sl. demanda au requérant s’il était en possession de substances interdites. Le requérant répondit qu’un paquet de comprimés de drogue se trouvait sur le siège arrière du véhicule.

13. À 20 h 20, l’agent Sl. procéda à une inspection (досмотр) du véhicule en question. Deux témoins instrumentaires étaient déjà sur place pour suivre le déroulement de l’inspection. Sur le siège arrière de la voiture, l’agent Sl. découvrit un sac contenant un paquet de comprimés, un paquet de substance en poudre et une balance électronique.

14. Sur le plancher du véhicule, il découvrit en outre un paquet en plastique de couleur rouge. Interrogé par les agents du FSKN sur le contenu dudit paquet, le requérant déclara qu’il l’ignorait car il le transportait à la demande d’une autre personne. Il s’avéra que le paquet contenait un sachet de substance en poudre.

15. À la fin de l’inspection, qui se termina à 21 h 50, le requérant et les témoins instrumentaires signèrent le procès-verbal, qui faisait référence aux articles 6 alinéa 1 (points 1 à 8), 15 alinéa 1 (point 1) et 17 de la LMOI. Ce procès-verbal comportait des passages rédigés ainsi :

« (...) [l’agent Sl.] (...) aux fins d’établissement des circonstances (установления обстоятельств) a effectué (...) une inspection du véhicule se trouvant en possession de la personne soupçonnée (подозреваемого) d’avoir commis une infraction (...) [le nom du requérant] (...)

Avant le début de l’inspection, [son déroulement] a été expliqué à tous les participants [et leurs] droits leur ont été signifiés, à savoir :

– faire des remarques quant au déroulement de la mesure opérationnelle d’investigation effectuée en leur présence, qu’il échoit d’inclure dans le procès‑verbal ;

– prendre connaissance du procès-verbal de la mesure opérationnelle d’investigation lors de laquelle ils étaient présents ;

– contester les actes des fonctionnaires qui ont effectué la mesure opérationnelle d’investigation auprès de leurs supérieurs hiérarchiques, auprès du procureur ou en justice ;

(...) les obligations [suivantes leur ont été communiquées] :

– attester par une signature le déroulement, le contenu et les résultats de l’inspection ;

– ne pas se soustraire à la réalisation de demandes légales formulées par les agents des organes chargés des mesures opérationnelles d’investigation (...)

En outre, avant l’inspection, les droits suivants ont été notifiés à la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction et faisant l’objet de l’inspection :

1. Conformément à l’article 26 § 2 de la Constitution de la Fédération de Russie, chacun a le droit d’utiliser sa propre langue et chaque personne arrêtée sur suspicion de commission d’une infraction a le droit à un interprète ;

2. Conformément à l’article 45 de la Constitution de la Fédération de Russie, la Fédération de Russie garantit la protection des droits de l’homme et du citoyen et des libertés fondamentales et chacun a le droit de protéger ses droits et libertés par tous moyens non interdits par la loi ;

3. Conformément à l’article 46 de la Constitution de la Fédération de Russie, chacun a le droit de faire protéger ses droits et libertés par un tribunal, toute décision et tout acte et omission des organes de l’État peuvent être contestés auprès d’un tribunal (ou d’un procureur) ;

4. Conformément à l’article 51 de la Constitution de la Fédération de Russie, personne ne peut être obligé à témoigner contre soi-même, son époux et les proches dont le lien de parenté est établi par la loi ;

5. Conformément à l’article 62 §§2 et 3 de la Constitution de la Fédération de Russie, la possession par un citoyen russe de la citoyenneté d’un État étranger ne restreint pas ses droits et libertés et ne le décharge pas des obligations découlant de la citoyenneté russe ; les citoyens étrangers et les apatrides disposent des mêmes droits et obligations que les citoyens de la Fédération de Russie à l’exception des cas prévus par la loi et les accords internationaux conclus par la Fédération de Russie. »

16. La partie du procès-verbal relative à la forme de la notification des droits était remplie de la façon suivante :

« Les droits ont été notifiés sous forme d’une lecture à voix haute par les agents [chargés de mesures opérationnelles d’investigation] »

17. La partie du procès-verbal relative aux déclarations du requérant était remplie de la façon suivante :

« La personne [concernée par l’inspection], I.I. Rodionov, a déclaré que sur le siège arrière de la voiture Volvo V40 [plaque d’immatriculation] il y avait un sac contenant des comprimés de drogue (...).

D’après les déclarations de I.I. Rodionov, tous les vêtements dont il était habillé ainsi que tous les effets [souligné], objets et objets précieux se trouvant dans l’automobile lui appartiennent à l’exclusion du paquet en plastique de couleur rouge ».

18. Le même jour, à 23 h 30, le requérant fut transféré dans les locaux du FSKN à Saint-Pétersbourg.

19. Toujours le même jour, des agents du FSKN demandèrent au requérant de leur fournir des exemples de son écriture, ce qu’il refusa de faire. En revanche, toujours à la demande des agents du FSKN, le requérant remplit les champs d’un document où ses empreintes digitales furent par la suite apposées. Ce document fut ultérieurement utilisé pour une expertise dactyloscopique et une expertise de l’écriture de l’intéressé.

20. Le 16 août 2006, de 4 à 5 heures, l’agent Ko., du FSKN, procéda à un interrogatoire (опрос) du requérant sur la base de l’article 6 § 1-1 de la LMOI. Le procès-verbal de l’interrogatoire, signé par le requérant, indiquait que celui-ci était interrogé en tant que témoin et comportait une mention pré-imprimée qui se lisait ainsi :

« Avant l’interrogatoire, [les droits suivants] m’ont été notifiés :

– en vertu de l’article 51 de la Constitution de la Fédération de Russie, de ne pas témoigner contre moi-même, mon époux (épouse) et autres proches, mentionnés à l’article 5 § 4 du code de procédure pénale ;

– d’utiliser, afin de donner des explications, ma langue natale ou la langue que je maîtrise ;

– de bénéficier gratuitement de l’assistance d’un interprète.

J’ai été notifié de la responsabilité pénale pour dénonciation calomnieuse prévue par l’article 306 du code pénal (...) »

21. La partie du procès-verbal relative aux déclarations du requérant était remplie de la façon suivante :

« Quant au fond des questions qui m’ont été posées : je refuse de répondre aux questions sur le fondement de l’article 51 de la Constitution de la Russie ».

22. Le même jour, à 14 h 45, le requérant fut notifié de la décision de l’enquêtrice de le placer en garde à vue sur le fondement des articles 91 et 92 du code de procédure pénale (CPP) en tant que personne soupçonnée d’avoir commis une infraction prévue par l’article 228 § 2 du code pénal (CP). Le procès-verbal du placement en garde à vue, établi à l’heure susmentionnée et signé par le requérant, comportait les passages suivants :

« J’ai été notifié que, conformément à l’article 46 du CPP, j’ai le droit :

(...)

2) de témoigner [concernant] les soupçons qui pèsent à mon encontre ou de refuser [de le faire]. En cas [d’accord de ma part pour] témoigner, je suis informé que toutes mes dépositions peuvent être utilisées en tant que preuves dans le cadre d’une affaire pénale, y compris lorsque j’aurais rétracté ultérieurement mes dépositions, sauf dans le cas prévu par l’article 75 § 2-1.

3) de bénéficier de l’assistance d’un défenseur à partir du moment fixé par l’article 49 §§2 et 3 du CPP et de m’entretenir avec lui en privé et de manière confidentielle avant mon premier interrogatoire. »

3. La détention provisoire du requérant

23. Le 16 août 2006, une procédure pénale fut déclenchée à l’encontre du requérant. Ce dernier fut mis en examen pour acquisition et possession illégale de stupéfiants (saisis lors de l’inspection du 15 août 2006) sans intention de vendre, une infraction prévue par l’article 228 § 2 du CP.

24. Par une décision du 17 août 2006, le tribunal de l’arrondissement Dzerjinski de la ville de Saint‑Pétersbourg autorisa le placement du requérant en détention provisoire. Il était indiqué dans le dispositif de ladite décision que le requérant devait être placé dans la maison d’arrêt no IZ‑47/1 de la ville de Saint‑Pétersbourg. Le requérant ne fit pas appel de cette décision.

25. Par des décisions de justice des 13 octobre, 28 novembre, 28 décembre 2006 et 29 janvier 2007, la détention provisoire du requérant fut prolongée pendant l’instruction de l’affaire pénale. Le requérant ne fit pas appel desdites décisions.

26. Par une décision du 1er mars 2007, le tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Saint‑Pétersbourg (« le tribunal de l’arrondissement Kirovski ») ordonna le maintien en détention du requérant ainsi que de quatre de ses coaccusés. Il justifia la nécessité du maintien en détention du requérant par la gravité des charges portées contre celui-ci.

27. Ultérieurement, par des décisions des 13 juin et 12 novembre 2007 et 26 février, 26 mai et 24 juin 2008, le tribunal de l’arrondissement Kirovski prolongea la détention du requérant et des autres coaccusés de trois mois à chaque fois. Les décisions des 13 juin et 12 novembre 2007 et du 26 février 2008 étaient rédigées en des termes identiques et se lisaient ainsi dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« (...) M. Rodionov est accusé d’avoir assumé la direction de la bande organisée et ne pas avoir cessé son activité criminelle même après l’arrestation des autres membres de cette bande, c’est pourquoi il existe des raisons de croire qu’une fois remis en liberté il pourrait poursuivre son activité criminelle ».

28. Les décisions des 26 mai et 24 juin 2008 était également rédigées en des termes identiques et se lisaient ainsi dans leurs parties pertinentes en l’espèce :

« M. Rodionov, [P., V., et M.] sont accusés d’infractions particulièrement graves, ayant trait au trafic de stupéfiants dans de larges quantités, M. Rodionov et [M. sont accusés de trafic de stupéfiants] en bande organisée, c’est-à-dire d’actes représentant un danger social considérable (...) [et] le tribunal estime que la mesure préventive sous forme de détention provisoire choisie à l’égard de quatre coaccusés est légale et bien fondée (...) »

29. Le requérant ne fit pas appel desdites décisions.

30. Le 6 août 2008, le requérant demanda au tribunal du district d’ordonner son élargissement au motif que l’accusation avait terminé de présenter les preuves à charge.

31. Par une décision du 18 septembre 2008, le tribunal du district rejeta la demande du requérant. Dans ses parties pertinentes en l’espèce, la décision se lisait ainsi :

« (...) Le tribunal rejette la demande [d’élargissement] du requérant puisque la reconduction de la mesure préventive [à l’égard de ce dernier] a fait plusieurs fois l’objet d’un examen judiciaire, et qu’il n’a été soumis à l’attention du tribunal aucun nouvel élément qui l’aurait conduit à changer la mesure préventive choisie à l’égard de M. Rodionov ».

32. Le 23 septembre 2008, le requérant interjeta appel de la décision du 18 septembre 2008.

33. Le 15 octobre 2008, l’appel du requérant fut transmis au tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg.

34. Le 11 novembre 2008, le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg, après avoir tenu une audience en présence du procureur mais en l’absence du requérant, rejeta l’appel de ce dernier pour les motifs suivants :

« [Le tribunal du district] a indiqué à bon droit que les circonstances ayant servi de fondement pour le placement du requérant en détention n’avaient pas disparu. [Le requérant] est accusé d’infractions particulièrement graves, liées au trafic de stupéfiants en grandes quantités et en bande organisée. L’affaire pénale est en cours d’examen judiciaire. Une fois en liberté, [le requérant] pourrait se soustraire aux poursuites judiciaires ou entraver le cours de la justice d’une autre manière. »

35. Le requérant allègue qu’il n’a appris l’existence de la décision du 11 novembre 2008 que par hasard, en consultant le dossier pénal.

4. L’examen de l’affaire pénale et la condamnation du requérant

36. À une date non spécifiée, l’affaire pénale diligentée contre le requérant fut jointe aux procédures ouvertes à l’encontre de G., de P., de V., de B. et de M.

37. À la fin de l’investigation préliminaire, les charges dirigées contre le requérant furent modifiées : celui-ci fut accusé, sur le fondement des articles 30 §§ 1 et 3 et 228‑1 § 3 a) et d) du CP, d’actes préparatifs à la vente de stupéfiants (les épisodes des 31 mai, 15 juin, 20 juin et 15 août 2006) et de tentative de vente de stupéfiants (l’épisode du 26 juillet 2006) en bande organisée dans de grandes ou très grandes quantités. L’accusation estimait notamment que G., P., V., B. et M. avaient agi sur les instructions du requérant lorsqu’ils avaient tenté de vendre des stupéfiants ou lorsqu’ils s’étaient préparés à le faire avant leur arrestation par le FSKN.

38. Le 26 février 2007, le requérant reçut une copie de l’acte d’accusation.

39. L’affaire pénale fut transmise pour jugement au tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Saint-Pétersbourg qui commença son examen au mois de mars 2007.

40. Devant le tribunal, le requérant nia toutes les charges dirigées à son encontre. S’agissant de l’épisode du 15 août 2006, il déclara que le sac contenant des comprimés de drogue et le paquet en plastique de couleur rouge avec des stupéfiants découverts dans son véhicule ne lui appartenaient pas.

41. Pendant l’examen de l’affaire pénale, l’accusation a versé au dossier pénal des attestations délivrées le 11 octobre 2007 par le président adjoint du tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg par lesquelles celui-ci informait que la mise sur écoute et l’enregistrement des conversations téléphoniques du requérant et de ses coaccusés avaient été autorisés par des décisions de cette juridiction rendues le 11 avril 2006 (nos 1874s et 1878s), le 27 avril 2006 (nos 2447s et 2448s), le 29 mai 2006 (no 3150s) et le 9 juin 2006 (nos 3384s et 3385s).

42. Au mois de juillet 2008, le requérant demanda au tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg de lui délivrer des copies des décisions nos 1874s, 1878s, 2447s, 2448s, 3150s, 3384s, 3385s.

43. Par une lettre du 31 juillet 2008, le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg informa le requérant que les décisions susmentionnées étaient classées « secrètes » et ne pouvaient lui être remises.

44. Lors de l’audience du 18 septembre 2008, le requérant demanda au tribunal d’exclure plusieurs preuves à charge versées par l’accusation et, notamment, tous les procès-verbaux des inspections effectuées par le FSKN lors des interpellations des accusés, dont il faisait partie, le rapport de l’expertise de son écriture ainsi que les enregistrements des écoutes téléphoniques. Il indiqua que toutes les inspections effectuées par le FSKN, y compris celle ayant eu lieu le 15 août 2006 lors de son interpellation, s’étaient déroulées sans l’assistance d’un avocat, que l’expertise de son écriture était basée sur le document portant ses empreintes digitales qu’il avait rempli le 15 août 2006 également sans le concours d’un avocat et sans qu’il eût été notifié de la finalité de cette mesure par les agents du FSKN. Il ajouta ensuite que les décisions de justice autorisant la mise sur écoute des lignes téléphoniques n’avaient pas été présentées à la défense. En motivant sa demande, rédigée sur douze pages, le requérant se référait entre autres à des normes de droit international, notamment à l’article 8 de la Convention, ainsi qu’à de nombreuses dispositions de la législation nationale, notamment les articles 91 et 92 du CPP.

45. Par une décision de procédure du 9 octobre 2008, le tribunal de l’arrondissement Kirovski rejeta la demande du requérant sans examen sur le fond. Il jugea que l’intéressé n’avait pas suffisamment étayé sa demande puisqu’il avait omis d’indiquer quelles étaient, selon lui, les preuves à exclure du dossier ainsi que les dispositions du CPP qui auraient été violées en l’espèce.

46. Par un jugement du 13 octobre 2008, le tribunal de l’arrondissement Kirovski reconnut le requérant coupable de la plupart des chefs d’accusation portés contre lui et le condamna à douze ans de réclusion criminelle.

47. Pour arriver à cette conclusion quant aux épisodes des 31 mai, 15 juin, 20 juin et 24 juillet 2006, il prit en compte un certain nombre d’éléments de preuve, notamment :

– les dépositions des coaccusés G., P., V. et M., qui avaient plaidé coupable ;

– les dépositions des agents du FSKN et des témoins instrumentaires relatives au déroulement de l’interpellation des coaccusés et des mesures d’investigation effectuées à leur égard ;

– les dépositions des experts qui avaient effectué des expertises chimiques et dactyloscopiques quant au contenu des leurs rapports figurant au dossier pénal ;

– les résultats d’une expertise en écritures qui avait été réalisée sur la base de l’échantillon de l’écriture de l’intéressé obtenu le 15 août 2006 après son interpellation ;

– les enregistrements des conversations téléphoniques entre les coaccusés et le requérants ;

– les dépositions de l’agent K. du FSKN qui avait indiqué, entre autres, que les conversations téléphoniques du requérant avaient été interceptées et enregistrées car le FSKN disposait de renseignements permettant de croire que l’intéressé était impliqué dans un trafic de stupéfiants ;

– les attestations du tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg du 11 octobre 2007 selon lesquelles les écoutes téléphoniques à l’égard des coaccusés avaient été autorisées par ses décisions de justice des 11 et 27 avril, 29 mai et 9 juin 2006.

48. Quant à l’épisode du 15 août 2006, le tribunal de l’arrondissement Kirovski prit en compte les éléments de preuves suivants :

– les dépositions des agents du FSKN Sl., Iv. et Ge., qui avaient déclaré avoir eu des renseignements sur les intentions du requérant de transporter des stupéfiants le 15 août 2006 et décrivaient dans leurs déclarations le déroulement de l’interpellation de l’intéressé à cette dernière date dans les conditions décrites aux paragraphes 10‑14 ci‑dessus ;

– les dépositions des témoins instrumentaires V. et K. qui avaient indiqué que, le 15 août 2006, ils avaient assisté à l’inspection du véhicule du requérant lors de laquelle deux paquets avaient été découverts, dont l’un contenait un sachet de comprimés, une balance avec un jeu de poids et un ordinateur portable, et l’autre deux sachets ;

– les dépositions du témoin M., qui avait déclaré que, le 15 août 2006, elle se trouvait dans le véhicule du requérant au moment de l’interpellation de celui-ci et qu’elle avait vu la saisie de deux paquets lors de l’inspection dudit véhicule par les agents du FSKN ;

– le procès-verbal de l’inspection du véhicule du requérant établi le 15 août 2006 (paragraphes 15‑17 ci‑dessus) ;

– les substances saisies le 15 août 2006 lors de l’inspection du véhicule du requérant et des rapports de l’expertise chimique desdites substances, dont il ressortait qu’il s’agissait de différents stupéfiants ;

– des rapports du FSKN sur le déroulement de l’opération de surveillance menée à l’égard du requérant le 15 août 2006 ;

– la documentation relative à la location du véhicule par le requérant.

49. Le requérant interjeta appel du jugement du 13 octobre 2008 en réitérant, entre autres, les arguments présentés à l’audience du 18 septembre 2008 devant le tribunal de l’arrondissement Kirovski, relatifs à l’exclusion de certaines preuves à charge, et en se référant notamment aux articles 6 et 8 de la Convention. Il se plaignait en outre de ce que sa demande du 18 septembre 2008 n’avait pas été examinée sur le fond.

50. Par un arrêt du 18 mai 2009, le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg confirma en appel le jugement du 13 octobre 2008. Il estima que le tribunal de première instance avait dûment examiné toutes les pétitions de l’intéressé, y compris celles qui concernaient l’exclusion des preuves à charge. S’agissant des écoutes téléphoniques, le tribunal de Saint‑Pétersbourg indiqua que le tribunal de première instance avait vérifié leur légalité sur la base des attestations qui avaient été versées au dossier pénal par l’accusation le 11 octobre 2007 et qui démontraient l’existence des décisions judiciaires pertinentes.

B. Les conditions de détention du requérant dans la maison d’arrêt no IZ–47/1 et dans les locaux du tribunal du district et les conditions de son transport vers et depuis ledit tribunal

1. La version du requérant

51. Du 18 août 2006 au 1er octobre 2008 et du 23 mars au 21 août 2009, le requérant fut détenu à la maison d’arrêt no IZ–47/1 de la ville de Saint‑Pétersbourg. Le requérant indique d’abord avoir été placé dans des cellules dont la superficie ne dépassait pas 7,56 m2 et dans lesquelles il y avait six places de couchage, un lavabo et un WC. En octobre 2007, il aurait été transféré dans la section no 2/1 de la même maison d’arrêt et placé dans différentes cellules qui avaient la même superficie et le même nombre de places de couchage que les premières. Le requérant allègue que le nombre de détenus qui occupaient ces cellules variait entre quatre et cinq. Selon lui, les toilettes étaient adjacentes aux lavabos et n’étaient séparées du reste de la cellule par aucune cloison. Il ajoute que les grillages posés sur les fenêtres, à l’extérieur et à l’intérieur, réduisaient l’apport de lumière naturelle et empêchaient l’ouverture de celles-ci pour aérer les cellules. Ces dernières auraient été éclairées par une ampoule de 60 watts pendant la journée et de 40 watts pendant la nuit. Le requérant déclare qu’il n’y avait ni table ni banc. Il soutient que le système de ventilation ne fonctionnait pas, que le chauffage n’était pas suffisant, que la température dans les cellules en hiver oscillait entre 10 et 15o C, qu’il n’y avait pas d’eau chaude dans les cellules et que les détenus ne bénéficiaient que de quinze minutes de douche par semaine. Selon le requérant, ceux-ci n’avaient droit qu’à une heure de promenade par jour, qui s’effectuait dans des cours de 12 m2 entourées de murs d’une hauteur de 3,5 m et couvertes par un grillage. Le requérant ajoute qu’il n’était pas possible d’y pratiquer un sport faute de place et de matériel.

52. Le requérant allègue que, pendant la période allant du 26 février 2007 au 13 octobre 2008, il a été transporté au tribunal de l’arrondissement Kirovski pour assister aux audiences du procès pénal. Il signale qu’il était réveillé à 5 heures et que, une heure après, il était placé dans une « cellule de rassemblement » de 8 m2 avec dix ou quatorze autres détenus. Il indique qu’il y était détenu jusqu’à 10 heures ou 10 h 30, avant d’être transféré au siège du tribunal. Le soir, à son retour à la maison d’arrêt, il aurait été détenu dans la cellule de rassemblement jusqu’à 21 heures avant d’être reconduit dans sa cellule.

53. Le requérant soutient qu’il était transporté dans des fourgons cellulaires qui disposaient de deux compartiments de 2,8 m de longueur et de 1,3 m de largeur et d’un compartiment dont la superficie ne dépassait pas 1 m² et dont la hauteur n’était pas supérieure à 1,5 m, que les fourgons n’étaient pourvus ni de fenêtres ni de système de ventilation et que le chauffage n’y fonctionnait pas. Selon le requérant, les fourgons transportaient de vingt à vingt-cinq détenus à la fois. Il ajoute que, depuis 2008, il était transporté menotté ce qui, eu égard à l’absence de barres à l’intérieur des compartiments pour se tenir lors du transport, lui aurait causé encore plus de souffrances. Les trajets auraient duré entre 1 h 20 et 1 h 30.

54. Le requérant expose, par ailleurs, que, les jours de transfert au tribunal, il n’était pas nourri. Selon lui, on commença à partir du mois de juin 2008 à lui distribuer des rations sèches qu’il lui était néanmoins impossible de consommer faute d’eau chaude pour les préparer.

55. Il indique également que, à son arrivée au tribunal, il était placé dans une cellule temporaire dépourvue de fenêtres où il n’y avait ni toilettes ni arrivée d’eau. Il y aurait été détenu avec quatre à six personnes. La cellule ne disposait que d’un banc pour trois personnes et que les autres étaient obligées de demeurer debout, ses menottes ne lui étaient retirées que dix minutes toutes les deux heures et il ne lui était permis d’utiliser les toilettes qu’une fois toutes les trois heures.

56. Le requérant allègue ensuite que les menottes ne lui étaient enlevées que lorsqu’il était conduit dans le prétoire, dans lequel il était placé dans une cage. Il indique que les parois de la cage étaient constituées de barreaux métalliques et qu’il n’y avait qu’un banc pour s’asseoir. Selon le requérant, des agents d’escorte pénitentiaire armés étaient postés à côté de la cage et elle était entourée d’une zone de sécurité où personne n’était admis à entrer.

2. La version du Gouvernement

57. En s’appuyant sur les attestations établies le 14 février 2011 par l’administration de la maison d’arrêt no IZ‑47/1 et qui figurent au dossier soumis à la Cour, le Gouvernement indique que le requérant a été détenu au sein de cet établissement du 25 août 2006 au 1er octobre 2008 et du 23 mars au 21 août 2009.

58. Toujours selon les attestations susmentionnées, le Gouvernement soutient que les registres consignant les personnes détenues dans chacune des cellules dans lesquelles le requérant avait séjourné pendant la période indiquée ci‑dessus ont été détruits conformément à des instructions internes. Pendant toute la période de la détention du requérant, celui‑ci aurait disposé d’un couchage individuel et les autres conditions matérielles de sa détention, telles que la température, l’éclairage, l’humidité et l’état sanitaire des cellules ainsi que la possibilité de prendre une douche et de bénéficier d’une promenade quotidienne, étaient conformes aux normes nationales en vigueur.

59. Le Gouvernement soutient ensuite que, pendant la période du 26 février 2007 au 13 octobre 2008, le requérant a été transporté entre la maison d’arrêt et le tribunal de l’arrondissement Kirovski dans des fourgons spécialisés prévus pour transporter de onze à vingt et une personnes. Lors du transport du requérant, ce nombre n’a jamais été dépassé, l’intéressé avait une place assise à l’intérieur des fourgons, ceux-ci étaient équipés d’un système de ventilation et d’éclairage et ils étaient dépourvus de ceintures de sécurité pour éviter toute possibilité d’automutilation. Le Gouvernement n’a pas fourni d’éléments sur la superficie de ces fourgons ni sur le nombre de personnes transportées en même temps que le requérant.

60. S’agissant des conditions de détention du requérant au sein du tribunal de l’arrondissement Kirovski, le Gouvernement indique que la section de convoi du tribunal comportait sept cellules temporaires prévues pour trois personnes chacune ainsi que des toilettes et une arrivée d’eau courante. En ce qui concerne les repas, le Gouvernement confirme que le requérant recevait des rations lyophilisées.

61. S’agissant des conditions de détention du requérant dans le prétoire, le Gouvernement indique que le requérant y était placé derrière une grille de protection en métal et qu’il pouvait s’asseoir sur un banc.

C. Le contrôle de la correspondance du requérant avec la Cour

62. Le 12 décembre 2008, le requérant envoya un formulaire de requête à la Cour. Par une lettre du 16 février 2009, le greffe de la Cour confirma la réception dudit formulaire.

63. Le 13 mars 2009, la lettre du greffe du 16 février 2009 adressée au requérant fut réceptionnée et ouverte par des employés de la maison d’arrêt no IZ-47/6 de Saint-Pétersbourg.

D. L’accès du requérant à l’information lors de sa détention provisoire

64. En juin 2009, dans le cadre du contrôle de la correspondance des détenus, des employés de la maison d’arrêt no IZ-47/1 saisirent des journaux et des revues de presse générale envoyés au requérant par ses proches. À une date non spécifiée dans le dossier, le requérant se vit également confisquer un poste de radio qu’il détenait dans sa cellule.

65. Le requérant contesta la saisie en justice. Il alléguait, entre autres, qu’elle avait porté atteinte à son droit de recevoir des informations, protégé par l’article 10 de la Convention.

66. Par un jugement du 9 novembre 2009, le tribunal du district Kalininski de la ville de Saint-Pétersbourg débouta le requérant de sa demande. Il considéra que, en vertu de l’article 17 de la loi sur la détention des prévenus et des accusés (paragraphe 83 ci-dessous), l’achat de journaux et de revues n’était possible que par le biais de l’administration de l’établissement pénitentiaire. Il indiqua en outre que le règlement intérieur des maisons d’arrêt, notamment son annexe 2 (paragraphe 87 ci-dessous), ne permettait pas aux détenus de disposer d’un poste de radio. Le tribunal estima que, conformément à l’article 25 de ladite loi et aux points 72 et 73 du règlement (paragraphes 84 et 86 ci-dessous), l’administration de la maison d’arrêt avait le droit de contrôler les envois et les effets personnels du requérant et de saisir tout objet interdit. Le tribunal précisa en outre que les cellules de la maison d’arrêt étaient équipées d’un poste de radio filaire opéré par l’administration de l’établissement. Il dit enfin que le contenu du colis saisi avait par la suite été envoyé à l’établissement pénitentiaire dans lequel le requérant avait été transféré pour purger sa peine d’emprisonnement.

67. Le 25 mars 2010, le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg rejeta l’appel du requérant contre le jugement du 9 novembre 2009 en faisant siennes les conclusions du tribunal de première instance.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit à l’assistance d’un avocat dans une procédure pénale

1. La Constitution de la Fédération de Russie

68. L’article 48 § 2 de la Constitution de la Fédération de Russie reconnaît à toute personne arrêtée, détenue ou accusée d’une infraction pénale le droit à une assistance juridique dès le moment de son arrestation, de son placement en détention ou de son inculpation.

2. Le CPP

69. L’article 46 du CPP en vigueur au moment des faits était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Le suspect est une personne qui :

(...)

2) est arrêtée conformément aux articles 91 et 92 du présent code ;

(...)

4. Le suspect a le droit :

1) de connaître les soupçons qui pèsent à son encontre (...) ;

2) de faire des déclarations et de déposer [concernant] les soupçons qui pèsent à son encontre ou de refuser [de le faire]. En cas d’accord du suspect pour déposer, celui-ci doit être informé que toutes ses dépositions peuvent être utilisées en tant que preuves dans le cadre d’une affaire pénale, y compris s’il se rétracte ultérieurement, sauf dans le cas prévu par l’article 75 § 2 point 1 ;

3) de bénéficier de l’assistance d’un défenseur à partir du moment fixé par l’article 49 § 3 points 2 et 3 du CPP et de s’entretenir avec lui en privé et de manière confidentielle avant le premier interrogatoire (...) »

70. L’article 49 du CPP en vigueur au moment des faits était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Le défenseur est une personne qui protège les droits et les intérêts légitimes de suspects ou d’accusés dans le cadre d’une affaire pénale selon les modalités prévues par le présent code.

2. Les avocats sont admis en tant que défenseurs (...)

3. Le défenseur prend part à la procédure pénale :

(...)

2) à partir du moment où une affaire pénale est ouverte à l’égard d’une personne identifiée ;

3) à partir du moment où une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction est arrêtée de facto, lorsqu’il s’agit :

a) [des cas] prévus par l’article 91‑92 du CPP ;

b) de l’application à l’égard de [ladite] personne de la détention provisoire conformément à l’article 100 du présent code ;

(...)

4) à partir du moment où sont mises en œuvre d’autres mesures procédurales coercitives ou d’autres mesures procédurales qui touchent au respect des droits et libertés de la personne soupçonnée d’avoir commis une infraction (...) ».

71. L’article 91 du CPP en vigueur au moment des faits était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. L’organe d’investigation, l’investigateur, l’enquêteur ou le procureur ont le droit d’arrêter une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale punissable d’une peine privative de liberté, lorsque :

1) cette personne est prise sur le fait au moment de son infraction ou immédiatement après ;

2) les victimes ou les témoins désignent cette personne comme celle qui a commis une infraction ;

3) des traces d’une infraction sont découvertes sur cette personne ou sur ses vêtements, en sa possession ou dans son domicile.

2. Lorsqu’il existe d’autres éléments qui permettent de soupçonner qu’une personne a commis une infraction, elle peut être arrêtée si elle a tenté de se soustraire [aux autorités], si elle n’a pas de domicile fixe, si son identité n’a pas été établie ou si le procureur ainsi que l’enquêteur ou l’investigateur, sur accord du procureur, ont saisi la justice d’une demande de mise en détention provisoire de la personne concernée. »

72. L’article 92 du CPP en vigueur au moment des faits était ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Après la conduite du suspect auprès de l’organe d’investigation, de l’investigateur, de l’enquêteur ou du procureur, un procès-verbal de l’arrestation doit être établi dans un délai ne dépassant pas trois heures ; [ce procès-verbal] doit mentionner que les droits du suspect prévus par l’article 46 du présent code lui ont été notifiés.

2. Le procès-verbal doit mentionner la date et l’heure de son établissement ainsi que la date, l’heure, le lieu, le fondement et les motifs de l’arrestation du suspect, les résultats de sa fouille corporelle ainsi que les autres circonstances de son arrestation. Le procès-verbal est signé par la personne qui l’a établi ainsi que par le suspect.

(...)

4. Le suspect doit être interrogé conformément aux articles 46 § 2, 189 et 190 du présent code. Avant le début de l’interrogatoire, le suspect peut, s’il le demande, s’entretenir avec un avocat en privé et de manière confidentielle (...) »

3. Jurisprudence de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie

73. Dans sa décision no 11-P du 27 juin 2000, la Cour constitutionnelle a examiné certaines dispositions du code de procédure pénale de la République socialiste fédérative soviétique de Russie (CPP RSFSR) – en vigueur au moment des faits – en matière du droit à l’assistance d’un avocat. Elle a indiqué que l’article 48 § 2 de la Constitution russe, consacrant le droit à un avocat de toute personne arrêtée, incarcérée ou inculpée était une concrétisation du droit plus général à l’assistance juridique qualifiée consacré par le premier paragraphe de la même disposition de la Constitution. Elle a indiqué ensuite que, le droit à l’assistance d’un avocat à tout stade de procédure pénale étant de l’ordre d’une garantie constitutionnelle, son exercice ne pouvait être limité par une loi fédérale. Par conséquent, les notions figurant dans le CPP RSFSR, telle qu’« une personne arrêtée », « une personne inculpée » ou « une accusation », doivent, selon elle, être interprétées dans leur sens constitutionnel large et non pas dans le sens procédural restrictif dudit code. La Cour constitutionnelle a précisé qu’il fallait donc prendre en compte non seulement la situation procédurale formelle de la personne qui fait l’objet d’une action pénale publique mais aussi sa situation de facto. Dans ce contexte, l’existence d’une action publique et, par conséquent, d’une action à charge menée à l’égard d’une telle personne peut se manifester par l’ouverture de poursuites pénales à l’encontre de celle-ci, par la mise en œuvre de mesures d’instruction comme une perquisition, une reconnaissance d’identité, un interrogatoire, etc. ou d’autres mesures visant à accuser cette personne d’infraction ou qui révèlent l’existence de soupçons à son égard, notamment sous forme d’une notification du droit à ne pas témoigner contre soi-même conformément à l’article 51 de la Constitution. Puisque l’action en question vise à établir les faits et les éléments à charge à l’égard d’une personne qui fait l’objet d’une action publique, la Cour constitutionnelle a souligné que ladite personne doit aussitôt bénéficier de l’accès à l’assistance d’un avocat afin de créer les conditions dans lesquelles celle-ci peut dûment s’informer de ses droits et obligations, des charges portées à son encontre et, par conséquent, assurer proprement sa défense, ainsi que les conditions dans lesquelles les preuves rassemblées au cours de l’instruction ne seraient pas ultérieurement rejetées comme inadmissibles. Dans son interprétation des garanties constitutionnelles dans le cadre d’une procédure pénale, la Cour constitutionnelle s’est appuyée sur la jurisprudence pertinente de la Cour sur le terrain des articles 5 et 6 §§ 1 et 3 a) et c) de la Convention et notamment sur les arrêts Deweer c. Belgique, 27 février 1980, §§ 44 et 46, série A no 35, Eckle c. Allemagne, 15 juillet 1982, § 73, série A no 51, Foti et autres c. Italie, 10 décembre 1982, § 52, série A no 56, Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, § 27, série A no 205, Imbrioscia c. Suisse, 24 novembre 1993, § 36, série A no 275, et John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, § 66, Recueil des arrêts et décisions 1996‑I.

74. Dans sa décision no 234-O du 20 juin 2006, la Cour constitutionnelle a indiqué que le libellé de l’article 92 du CPP, bien que comportant l’indication que la notification des droits à la personne arrêtée doit avoir lieu au plus tard au moment de l’établissement du procès-verbal de l’arrestation, ne peut être interprété comme permettant de mettre en œuvre toute mesure restrictive de liberté ou à caractère coercitif à l’encontre de ladite personne sans que ses droits ne lui soient notifiés. La Cour constitutionnelle a précisé que cette interprétation de l’article 92 du CPP s’appliquait en particulier au droit de la personne arrêtée de bénéficier de l’assistance d’un avocat à partir de l’arrestation de facto ou à partir du moment où les droits de la personne arrêtée étaient effectivement restreints d’une autre manière. Elle a souligné que sa position juridique sur cet aspect, formulée dans la décision no 11-P du 27 juin 2000 portant sur le droit à l’assistance d’un avocat (paragraphe 73 ci‑dessus), restait en vigueur.

75. Dans sa décision no 998-O du 23 avril 2015, la Cour constitutionnelle a précisé que le droit à un avocat au sens de l’article 49 § 3 du CPP est exigible par une personne dès que les restrictions de ses droits et libertés deviennent réelles, c’est-à-dire à partir du moment où les organes compétents recourent – à l’égard de ladite personne – à des mesures portant effectivement atteinte à son droit à la liberté et à la sécurité personnelle, y compris à son droit à la liberté de circulation.

76. Dans sa décision no 1451-O du 18 juillet 2017, la Cour constitutionnelle a rappelé que l’article 49 § 3 du CPP prévoit expressément que le droit à un avocat devient immédiatement exigible dans les cas énumérés aux points 3 a) et b), 5 et 6 dudit article (paragraphe 70 ci‑dessus), notamment à partir de l’arrestation de facto d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction. Elle a cependant précisé que le droit à l’assistance d’un avocat ne s’applique pas aux mesures d’instruction qui ne présupposent pas de recueillir des déclarations de la personne arrêtée et qui sont mises en œuvre sans notification préalable à ladite personne en cas de risque de destruction de preuves.

B. La loi sur les mesures opérationnelles d’investigation

77. La loi du 12 août 1995 no 144-FZ établit le cadre légal pour la mise en place de diverses mesures opérationnelles d’investigation (MOI) par les organes compétents. L’article 6 alinéa 1 de la loi en vigueur au moment des faits établissait la liste des MOI suivantes : 1 – l’interrogatoire (опрос) ; 2 – la prise de renseignements ; 3 – la collecte d’échantillons pour un examen comparatif ; 4 – l’achat de vérification ; 5 – l’examen d’objets et de documents ; 6 – la surveillance ; 7 – l’identification personnelle ; 8 – l’inspection de locaux, de bâtiments, de constructions, de terrains et de véhicules ; 9 – l’interception de communications postales, télégraphiques, téléphoniques ou autres ; 10 – les écoutes téléphoniques ; 11 – la collecte de données à partir de voies techniques de communication ; 12 – l’infiltration opérationnelle ; 13 – la livraison contrôlée ;
14 – l’expérimentation opérationnelle.

78. L’article 7 de la loi en vigueur au moment des faits prévoyait que les MOI pouvaient notamment être mises en œuvre pour les motifs suivants :

1) – l’existence d’une procédure pénale en cours ;

2) –l’obtention par les organes chargés de mettre en œuvre des MOI des informations portant sur des préparatifs à la commission d’une infraction, sur une infraction commise ou en état de commission, sur les personnes [impliquées], s’il n’existe pas suffisamment d’éléments pour l’ouverture d’une procédure pénale.

79. Selon l’article 15 alinéa 1 (point 1) en vigueur au moment des faits, les organes compétents ont le droit de procéder à des MOI énumérées à l’article 6 de la loi ouvertement ou en secret et de réaliser dans le cadre de leur mise en œuvre des saisies d’objets et de supports.

80. L’article 17 de la loi autorise les organes chargés de la mise en place des MOI de recourir aux services d’informateurs, y compris sur la base d’un contrat rémunéré.

C. L’interception de communications téléphoniques

81. Les dispositions du droit interne pertinent relatives au respect de la vie privée et de la correspondance et, notamment, à l’interception de communications téléphoniques, sont résumées dans l’arrêt Roman Zakharov c. Russie [GC] (no 47143/06, §§ 15‑106, CEDH 2015) et Zubkov et autres c. Russie (nos 29431/05 et 2 autres, §§ 40‑76, 7 novembre 2017).

D. Les droits et obligations des personnes placées en détention provisoire

1. La loi no 103-FZ du 15 juillet 1995 portant sur la détention provisoire des personnes suspectées ou accusées d’infractions

82. Les droits et obligations des personnes placées en détention provisoire sont régis par la loi no 103-FZ du 15 juillet 1995 portant sur la détention provisoire des personnes suspectées ou accusées d’infractions (la loi no 103-FZ).

83. L’article 17 de la loi consacre notamment :

– le droit des personnes suspectées ou accusées d’infractions de disposer de livres et de périodiques de presse écrite empruntés à la bibliothèque de l’établissement pénitentiaire ou achetés par le biais de l’administration de celle‑ci (alinéa 1 point 13) ainsi que le droit de recevoir des envois postaux et des colis (alinéa 1 point 16) ;

– le droit des personnes suspectées ou accusées d’infractions et placées dans des maisons d’arrêt de souscrire un abonnement à des journaux et à des revues et de les recevoir (alinéa 2 point 4).

84. L’article 25 de la loi autorise l’administration de l’établissement pénitentiaire à contrôler les envois postaux et les colis transmis aux détenus et interdit la transmission d’objets, de substances et de produits alimentaires qui peuvent représenter un danger pour la vie ou la santé des personnes ou qui peuvent être utilisés comme un outil de commission d’infraction ou à des fins contraires aux buts de la détention.

2. Le règlement intérieur des maisons d’arrêt

85. Par un arrêté no 189 du 14 octobre 2005 (l’arrêté no 189), le ministère de la Justice a entériné le règlement intérieur des maisons d’arrêt (« le règlement ») qui complète les dispositions de la loi no 103-FZ.

86. Le point 72 du règlement indique que le contrôle de colis reçus par les détenus est effectué par une commission composée d’au moins trois employés d’une maison d’arrêt. Le point 73 du règlement indique notamment que les objets interdits doivent être retirés des colis et gardés en dépôt ou détruits en présence du détenu concerné.

87. L’annexe no 2 audit règlement, tel qu’en vigueur au moment des faits, contenait la liste d’objets dont un détenu pouvait disposer et qu’il pouvait recevoir dans des envois postaux ou dans des colis. Parmi les objets autorisés figuraient les livres et les périodiques de presse écrite empruntés à la bibliothèque de la maison d’arrêt ou achetés par le biais de l’administration de celle‑ci. L’annexe no 2 au règlement précisait que tout objet ne figurant pas sur la liste était considéré comme interdit.

III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le Conseil de l’Europe

88. Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Recommandation Rec(2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes lors de la 952e réunion des Délégués des Ministres. Dans ses passages pertinents en l’espèce, elle se lit comme suit :

« 24.10. Les détenus doivent pouvoir se tenir régulièrement informés des affaires publiques, en pouvant s’abonner et en lisant des journaux quotidiens, des périodiques et d’autres publications, et en suivant des émissions de radio ou de télévision, à moins qu’une interdiction n’ait été prononcée par une autorité judiciaire dans un cas individuel et pour une durée spécifiée ».

L’annexe à cette Recommandation dispose, en ses passages pertinents en l’espèce :

« La règle 24.10 porte sur un aspect des contacts avec le monde extérieur, celui de la possibilité de s’informer, qui constitue un élément du droit à la liberté d’expression garanti par l’article 10 de la CEDH ».

B. L’Organisation des Nations Unies

89. Le 17 décembre 2015, l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies a adopté la version révisée de « L’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) » (la résolution A/RES/70/175). Dans ses passages pertinents en l’espèce, elle se lit comme suit :

« Règle 63

Les détenus doivent être tenus régulièrement au courant des événements les plus importants, soit par la lecture de journaux quotidiens, de périodiques ou de publications pénitentiaires spéciales, soit par des émissions radiophoniques, des conférences ou tout autre moyen analogue, autorisés ou contrôlés par l’administration. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

90. Le requérant dénonce les conditions de sa détention dans la maison d’arrêt no IZ–47/1 de la ville de Saint‑Pétersbourg, les conditions de son transport vers et depuis le tribunal de l’arrondissement Kirovski et les conditions de détention dans les locaux de ce tribunal. Il se plaint en outre de son placement dans une cage métallique dans le prétoire lors du procès pénal dirigé à son encontre. Enfin, il se plaint de l’absence de voies de recours effectives pour faire valoir ces griefs. Il invoque les articles 3 et 13 de la Convention, ainsi libellés :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Thèses des parties

91. Se référant à sa version des faits (paragraphes 57‑61 ci-dessus), le Gouvernement soutient que les conditions de détention et de transport litigieuses n’étaient pas constitutives de mauvais traitements.

92. Le requérant maintient son grief. Il indique en outre que les conditions de sa détention au sein de la maison d’arrêt no IZ‑47/1 étaient similaires à celles décrites dans les arrêts Tsarenko c. Russie (no 5235/09, 3 mars 2011) et Popandopulo c. Russie (no 4512/09, 10 mai 2011).

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

a) Sur la recevabilité

93. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

b) Sur le fond

i. Sur les conditions de détention dans la maison d’arrêt no IZ–47/1

94. La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention dans des maisons d’arrêt (voir, par exemple, Dudchenko c. Russie, no 37717/05, §§ 116‑123, 7 novembre 2017, Vyatkin c. Russie, no 18813/06, §§ 36‑44, 11 avril 2013, Mayzit c. Russie, no 63378/00, §§ 34‑43, 20 janvier 2005, Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, §§ 160‑166, 10 janvier 2012), et, plus particulièrement, en ce qui concerne les conditions de détention dans la maison d’arrêt no IZ–47/1 de la ville de Saint‑Pétersbourg, Tsarenko, précité, §§ 47‑53, et Popandopulo, précité, §§ 84‑89).

95. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour constate que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

96. La Cour relève d’abord que le placement du requérant dans la maison d’arrêt no IZ-47/1 a été expressément ordonné par la décision du tribunal de l’arrondissement Kirovski du 17 août 2006 (paragraphe 24 ci‑dessus). Elle en déduit que la première période de la détention du requérant au sein de cet établissement a bien commencé le 18 août 2006, contrairement à ce qui a été avancé par le Gouvernement (paragraphe 57 ci‑dessus).

97. La Cour note ensuite que le Gouvernement n’a pas soumis les originaux des registres des détenus pour les périodes concernées (voir, a contrario, Radzhab Magomedov c. Russie, no 20933/08, §§ 48‑49, 20 décembre 2016). Eu égard au poids qu’elle attache habituellement aux divers éléments de preuve dans les affaires relatives aux conditions de détention (Ananyev et autres c. Russie, précité, §§ 127‑129), la Cour considère que le Gouvernement n’a donc pas réfuté l’allégation du requérant selon laquelle il a été détenu dans des cellules surpeuplées au sein de la maison d’arrêt no IZ‑47/1 du 18 août 2006 au 1er octobre 2008 et du 23 mars au 21 août 2009 (paragraphe 51 ci‑dessus).

98. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans la maison d’arrêt no IZ–47/1 du 18 août 2006 au 1er octobre 2008 et du 23 mars au 21 août 2009.

ii. Sur les conditions de transport du requérant vers et depuis le tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Saint‑Pétersbourg

99. La Cour rappelle avoir déjà conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de transport de détenus (voir, par exemple, Radzhab Magomedov, précité, §§ 59‑62, Yaroslav Belousov c. Russie, nos 2653/13 et 60980/14, §§ 103‑111, 4 octobre 2016, M.S. c. Russie, no 8589/08, §§ 71‑77, 10 juillet 2014, et Svetlana Kazmina c. Russie, no 8609/04, §§ 76‑79, 2 décembre 2010).

100. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour constate que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

101. En effet, elle note que le Gouvernement n’a pas soumis d’extraits des feuilles de route contenant les données relatives au nombre de personnes placées dans les fourgons utilisés pour le transport du requérant (voir, dans le même sens, Yaroslav Belousov, précité, § 109, et Svetlana Kazmina, précité, § 77) et qu’il n’a pas non plus fourni de données relatives à la superficie des compartiments dans lesdits fourgons (voir, dans le même sens, Dudchenko, précité, § 129).

102. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le Gouvernement ne s’est pas acquitté de la charge de la preuve lui incombant et qu’il n’a pas réfuté avec des arguments convaincants les allégations du requérant selon lesquelles celui-ci avait été transporté dans des conditions contraires à l’article 3 de la Convention (paragraphes 52‑55 ci-dessus).

103. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de transport du requérant vers et depuis le tribunal de l’arrondissement Kirovski.

iii. Sur le placement du requérant dans une cage métallique

104. La Cour note qu’il n’est pas contesté entre les parties que pendant toute la durée du procès pénal, du 26 février 2007 au 13 octobre 2008, le requérant était placé dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire dans le tribunal de l’arrondissement Kirovski (paragraphes 56 et 61 ci‑dessus).

105. Dans son arrêt Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC] (nos 32541/08 et 43441/08, §§ 122‑139, CEDH 2014 (extraits)), la Cour a conclu que l’enferment d’une personne dans une cage pendant son procès constitue en soi, compte tenu de son caractère objectivement dégradant, incompatible avec les normes de comportement civilisé qui caractérisent une société démocratique, un affront à la dignité humaine contraire à l’article 3 de la Convention. Elle a réitéré cette conclusion dans ses arrêts ultérieurs (Urazov c. Russie, no 42147/05, §§ 81‑83, 14 juin 2016, et Vorontsov et autres c. Russie, nos 59655/14 et 2 autres, § 31, 31 janvier 2017).

106. Eu égard aux arguments des parties et à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

107. Partant, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à raison du placement du requérant dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire dans tribunal de l’arrondissement Kirovski.

iv. Sur les conditions de détention dans les cellules temporaires dans le bâtiment du tribunal de l’arrondissement Kirovski

108. Ayant conclu à la violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention du requérant dans la maison d’arrêt no IZ‑47/1 du 18 août 2006 au 1er octobre 2008 et du 23 mars au 21 août 2009, à raison des conditions de transport de l’intéressé vers et depuis le tribunal de l’arrondissement Kirovski pendant la période du 26 février 2007 au 13 octobre 2008 ainsi qu’à raison du placement du requérant dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire dudit tribunal (paragraphes 98, 103 et 107 ci‑dessus), la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément la partie du grief concernant les conditions de détention de l’intéressé dans les cellules temporaires du tribunal de l’arrondissement Kirovski (paragraphe 55 ci‑dessus).

2. Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

a) Sur la recevabilité

109. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

b) Sur le fond

110. Eu égard à ses conclusions quant à la violation de l’article 3 de la Convention à raison des conditions de détention et de transport du requérant (paragraphes 98, 103 et 107 ci‑dessus), la Cour estime que cette partie du grief est « défendable ».

111. Dans son arrêt Ananyev et autres précité, la Cour a conclu que le système juridique russe n’offrait pas de voies de recours interne effectives pour faire valoir un grief relatif aux conditions de détention dans des maisons d’arrêt en raison notamment de surpopulation carcérale (idem, § 119). Elle est par ailleurs arrivée à la même conclusion s’agissant du grief relatif aux conditions de transport de détenus (M.S. c. Russie, no 8589/08, §§ 80‑86, 10 juillet 2014) et au placement dans une cage métallique (Svinarenko et Slyadnev, précité, § 87). La Cour estime que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

112. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

113. Le requérant allègue également que la durée de sa détention provisoire n’a pas été raisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A. Thèses des parties

114. Le Gouvernement indique que la détention provisoire du requérant a duré du 17 août 2006 au 13 octobre 2008, date à laquelle ce dernier a été condamné par le tribunal de première instance. Il ajoute que le requérant n’a pas interjeté appel de la plupart des décisions par lesquelles sa détention provisoire a été reconduite. En ce qui concerne les motifs sous‑tendant lesdites décisions, il argue que les juridictions nationales ont dûment pris en compte les éléments qui étaient selon lui pertinents en l’espèce : la gravité des charges portées contre le requérant, la personnalité de l’intéressé et la complexité de l’affaire pénale.

115. À titre subsidiaire, le Gouvernement avance que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes disponibles et qu’il aurait notamment pu former un recours en dédommagement pour durée excessive de la procédure pénale sur la base de la loi no 68-FZ du 20 avril 2010.

116. Le requérant maintient son grief.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

117. La Cour note que la loi no 68-FZ du 20 avril 2010 prévoit la possibilité de demander, au niveau interne, une indemnisation des dommages subis par les justiciables victimes d’une violation de leur droit à voir trancher leur cause dans un délai raisonnable ou de leur droit à obtenir l’exécution des décisions de justice dans un délai raisonnable (voir, pour plus de détails, Kalinkin et autres c. Russie, nos 16967/10 et 20 autres, § 14‑17, 17 avril 2012, Yevgeniy Alekseyenko c. Russie, no 41833/04, §§ 70‑71, 27 janvier 2011). Cependant, le Gouvernement n’a pas démontré que ladite loi permet de solliciter une compensation pour une détention dont la durée ne serait pas raisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention. La Cour rejette donc l’exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

118. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

119. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante sur l’article 5 § 3 de la Convention, la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d’avoir commis une infraction est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention. Toutefois, au bout d’un certain temps, cela ne suffit plus. La Cour doit dans ce cas établir si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté. Quand ceux-ci se révèlent « pertinents » et « suffisants », elle recherche de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (voir, parmi d’autres, Buzadji c. République de Moldova [GC], no 23755/07, § 87, CEDH 2016, Zherebin c. Russie, no 51445/09, §§ 49‑54, 24 mars 2016, et Labita c. Italie [GC], no 26772/95, §§ 152‑153, CEDH 2000‑IV).

120. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été arrêté le 15 août 2006 et reconnu coupable par la juridiction de jugement le 13 octobre 2008 (paragraphes 10 et 46 ci‑dessus). La période à prendre en considération a donc duré deux ans, un mois et vingt-neuf jours. Eu égard à la durée considérable de cette période et à la présomption en faveur d’une libération, la Cour estime que les juridictions internes devaient invoquer des motifs convaincants pour prolonger la détention de l’intéressé (Stepan Zimin c. Russie, no 63686/13, 60894/14, § 55, 30 janvier 2018).

121. Bien que le requérant n’ait pas interjeté appel des décisions portant sur son maintien en détention provisoire, à l’exception de celle du 18 septembre 2008 portant sur le rejet de sa demande d’élargissement (paragraphe 32 ci‑dessus), la Cour tiendra compte de la période précédente à cette date pour apprécier si la détention de l’intéressé après le 18 septembre 2008 était raisonnable au sens de l’article 5 § 3 de la Convention (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 131 et 135, 22 mai 2012).

122. La Cour note qu’il n’y a pas de désaccord entre les parties quant à l’existence de raisons plausibles de soupçonner le requérant d’avoir commis une infraction considérée comme particulièrement grave au sens de la législation interne. Elle relève toutefois que, dans sa décision du 18 septembre 2008, le juge de première instance a fait référence à ses décisions préalables sur la même question et n’a invoqué aucun motif démontrant la nécessité de reconduire la mesure préventive à l’égard du requérant (paragraphe 31 ci‑dessus). Or les décisions des 13 juin et 12 novembre 2007 ainsi que celles des 26 février, 26 mai et 24 juin 2008, par lesquelles la détention provisoire du requérant avait été précédemment prorogée, étaient basées uniquement sur la gravité des charges dirigées contre l’intéressé et elles étaient de surcroît « collectives » dans le sens où elles visaient plusieurs coaccusés à la fois sans analyser la situation personnelle de chacun d’entre eux (paragraphes 27‑28 ci‑dessus). La Cour ne peut que constater que ni le tribunal de première instance ni l’instance d’appel n’ont évoqué d’élément factuel concret pour étayer leurs décisions prorogeant la détention provisoire du requérant à titre personnel. Par ailleurs, elle constate que ces juridictions n’ont pas pour autant recherché si une autre mesure préventive telle que l’assignation à domicile pouvait se substituer à la détention provisoire de l’intéressé (Zherebin, précité, § 59, et Aleksandr Makarov c. Russie, no 15217/07, §§ 138‑139, 12 mars 2009).

123. La Cour a souvent conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention dans les affaires où les tribunaux internes avaient maintenu le requérant en détention en invoquant essentiellement la gravité des charges et en recourant à des formules stéréotypées sans évoquer des faits précis ou sans envisager d’autres mesures préventives (G. c. Russie, no 42526/07, §§ 114‑119, 21 juin 2016, Korkin c. Russie, no 48416/09, §§ 88‑96, 12 novembre 2015, et Idalov, précité, § 142‑149).

124. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que, en s’abstenant d’évoquer des faits précis et en s’appuyant essentiellement et systématiquement sur la gravité des charges, les autorités ont maintenu le requérant en détention provisoire pour des motifs qui ne sauraient passer pour « suffisants » pour justifier la durée de cette détention.

125. Dans ces circonstances, elle estime qu’il n’est pas nécessaire de rechercher de surcroît si les autorités nationales compétentes ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure (Dolgova c. Russie, no 11886/05, § 50, 2 mars 2006).

126. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

127. Le requérant allègue que sa demande d’élargissement, introduite le 6 août 2008, et son appel contre la décision du 18 septembre 2008, par laquelle cette demande avait été rejetée, n’ont pas été examinés « à bref délai ». Il se plaint également que l’audience du 11 novembre 2008 devant le tribunal de ville de Saint‑Pétersbourg se soit déroulée en son absence et qu’il n’en ait pas été informé. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité. »

A. Thèses des parties

128. Le Gouvernement n’a pas commenté l’allégation du requérant quant à la célérité de l’examen de sa demande d’élargissement introduite le 6 août 2008. En ce qui concerne la célérité de l’examen de l’appel interjeté par l’intéressé contre la décision du 18 septembre 2008, le Gouvernement estime que cet appel a été examiné en conformité avec la législation nationale et dans un bref délai. Il allègue que la convocation de l’intéressé à l’audience du 11 novembre 2008 devant le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a dûment été notifiée mais que celui-ci n’a pas demandé sa comparution personnelle. Selon le Gouvernement, l’avocate du requérant en avait été informée par téléphone.

129. Le requérant maintient son grief.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

130. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Quant à savoir s’il a été statué à bref délai sur la demande d’élargissement introduite par le requérant le 6 août 2008

131. La Cour rappelle que la première garantie découlant de l’article 5 § 4 de la Convention est le droit d’être effectivement entendu par le juge saisi d’un recours contre une détention. Pour les personnes détenues dans les conditions énoncées à l’article 5 § 1 c) de la Convention, l’article 5 § 4 exige la tenue d’une audience (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 58, CEDH 1999‑II, Włoch c. Pologne, no 27785/95, § 126, CEDH 2000‑XI, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005‑XII, et Svipsta c. Lettonie, no 66820/01, § 129, CEDH 2006‑III).

132. Il ne faut néanmoins pas perdre de vue le caractère spécifique de la procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention, notamment l’exigence de célérité, ainsi que le risque d’une certaine paralysie de la procédure pénale si l’inculpé devait être entendu à chaque fois qu’il introduisait une demande d’élargissement. C’est pourquoi la Cour a admis que le droit d’être entendu par le juge saisi d’un recours contre la détention, qu’il s’agisse de la procédure relative au maintien en détention ou de celle relative à une demande d’élargissement, doit, lui aussi, pouvoir être exercé « à des intervalles raisonnables » (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, § 85, 28 octobre 2010).

133. Le caractère « raisonnable » des intervalles dépend du contexte de l’affaire et du type de privation de liberté (voir, pour un bref résumé de la jurisprudence en la matière, Abdulkhakov c. Russie, no 14743/11, §§ 211‑215, 2 octobre 2012). Dans le contexte de la privation de la liberté sur le terrain de l’article 5 § 1 c) de la Convention, la Cour a souligné que pareille détention étant obligatoirement d’une durée strictement limitée, les contrôles périodiques ne doivent être séparés que par de brefs intervalles (Bezicheri c. Italie, 25 octobre 1989, §§ 21‑22, série A no 164). Dans l’arrêt Bezicheri, précité, elle a estimé que les instances nationales devaient examiner une nouvelle demande d’élargissement déposée par le requérant un mois seulement après la précédente et que pareille introduction n’était pas déraisonnable de la part de l’intéressé (idem, § 21 in fine). Dans l’arrêt Sulaoja c. Estonie (no 55939/00, § 69, 15 février 2005), elle n’a pas non plus trouvé déraisonnable de la part du requérant d’avoir soumis une demande de libération vingt et un jours après l’adoption de la décision préalable portant sur son maintien en détention.

134. En l’espèce, la Cour relève que, le 6 août 2008, le requérant a soumis une demande d’élargissement (paragraphe 30 ci-dessus). Le dernier contrôle de la régularité de sa détention préalable à l’introduction de ladite demande remontant au 24 juin 2008 (paragraphe 28 ci-dessus), le laps de temps qui s’est écoulé entre les deux événements était de quarante‑deux jours. À la lumière de la jurisprudence citée au paragraphe 133 ci‑dessus, la Cour estime que le requérant pouvait raisonnablement s’attendre à ce que la légalité de sa détention soit réexaminée et que, par conséquent, il pouvait soumettre une demande dans ce sens, d’autant plus qu’elle était motivée par l’apparition d’un nouvel élément dans le déroulement de la procédure pénale, à savoir le fait que l’accusation avait terminé de présenter les preuves à charge.

135. La Cour note ensuite que cette pétition a été effectivement examinée par le tribunal de première instance le 18 septembre 2008 (paragraphe 31 ci-dessus), soit quarante-deux jours après son introduction. Elle rappelle que, dans l’arrêt Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, §§ 85‑86, CEDH 2000‑XII), la Cour a conclu que le délai de vingt-trois jours séparant l’introduction d’une demande d’élargissement et son examen par un tribunal ne pouvait pas être considéré comme « bref » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Elle estime que, dans la présente cause, le délai de quarante‑deux jours n’est pas non plus compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention en l’espèce.

b) Quant à savoir s’il a été statué à bref délai sur l’appel formé par le requérant contre la décision du 18 septembre 2008

136. La Cour note que, le 23 septembre 2008, le requérant a interjeté appel de la décision du 18 septembre 2008 et que cet appel a été rejeté le 11 novembre 2008 (paragraphes 32 et 34 ci‑dessus). Elle constate que la durée d’examen de l’appel a donc duré quarante-huit jours. Elle note que le Gouvernement n’a présenté aucun motif susceptible de justifier ce délai et que rien ne démontre non plus que ce délai puisse être attribué au requérant. La Cour considère, par conséquent, que le laps de temps écoulé n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai. À titre de comparaison, elle rappelle que, dans les arrêts Shcherbakov c. Russie (no 2) (no 34959/07, § 101, 24 octobre 2013) et Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), elle a conclu à la violation de l’article 5 § 4 de la Convention pour des durées de trente-quatre jours et de vingt jours respectivement. Partant, il y a eu violation de cette même disposition en l’espèce.

137. Eu égard au constat de violation de l’article 5 § 4 de la Convention auquel elle est parvenue au paragraphe 136 ci‑dessus, la Cour estime qu’il n’est plus nécessaire d’examiner séparément le grief du requérant relatif à son absence à l’audience d’appel du 11 novembre 2008 consacrée à la question de la régularité de sa détention provisoire.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

138. Le requérant se plaint également de plusieurs aspects de la procédure pénale dirigée à son encontre, qu’il qualifie d’inéquitable, ainsi que d’une violation de la présomption d’innocence à son égard. Il invoque l’article 6 §§ 1, 2 et 3 b) et c) de la Convention, ainsi libellé en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

A. Thèses des parties

1. Le requérant

139. Le requérant se plaint de ne pas avoir été assisté d’un avocat pendant la période allant de son interpellation, le 15 août 2006 à 20 h 10, au 16 août 2006 à 14 h 45. Il considère que l’absence d’avocat a porté préjudice à l’équité de la procédure pénale à son encontre puisque sa condamnation a, selon lui, été basée sur un certain nombre de preuves obtenues durant ce laps de temps, notamment le procès‑verbal de l’inspection de son véhicule, établi le 15 août 2006 à 21 h 50.

140. Le requérant se plaint, en outre, de son placement dans une cage métallique pendant les audiences devant le tribunal de l’arrondissement Kirovski. Il dénonce une violation du principe de la présomption d’innocence et indique que, eu égard à l’absence de table dans la cage, il lui était impossible de prendre des notes et, par conséquent, d’assurer efficacement sa défense. Il se plaint enfin que les conditions de son transport vers le tribunal de l’arrondissement Kirovski et ses conditions de détention dans ledit tribunal ont sapé son état physique et moral pendant le procès pénal et, par conséquent, ont gravement nui à sa capacité d’assurer sa défense.

2. Le Gouvernement

141. S’agissant du déroulement de l’interpellation du requérant, le Gouvernement confirme que, le 15 août 2006 à 20 h 10, les agents du FSKN ont procédé à l’interpellation du requérant, suivie d’une inspection du véhicule de l’intéressé et d’une fouille corporelle en présence de témoins instrumentaires. Il expose que, avant l’accomplissement de ces mesures, le requérant s’est vu notifier les droits découlant des articles 26, 45, 46, 51 et 62 de la Constitution de la Fédération de Russie et qu’il n’a pas demandé l’assistance d’un avocat au moment de son interpellation. Indiquant, par ailleurs, que les mesures opérationnelles ayant été accomplies avant l’arrestation de l’intéressé sur la base des articles 91 et 92 du CPP, le Gouvernement déclare que la législation nationale ne prévoit pas d’obligation d’accorder l’assistance d’un avocat à une personne arrêtée dans de telles conditions sans que cette dernière n’en fasse la demande expresse. Il indique que, le 16 août 2006 à 14 h 45, le requérant, assisté par l’avocat B., s’est vu notifier qu’il était soupçonné de trafic de stupéfiants et qu’il avait droit à l’assistance juridique en vertu de l’article 46 du CPP et à ne pas témoigner contre lui‑même en vertu de l’article 51 de la Constitution.

142. S’agissant des conditions dans le prétoire du tribunal de l’arrondissement Kirovski, le Gouvernement confirme que le requérant était placé derrière une grille en métal et que les agents d’escorte de l’administration pénitentiaire étaient toujours présents à côté de cette cage. Il indique qu’il y avait douze places assises à l’intérieur de cette cage métallique et que trois autres coaccusés s’y trouvaient en même temps que l’intéressé. Le Gouvernement argue que le requérant avait par conséquent suffisamment de place pour s’installer à l’intérieur de la cage et pour pouvoir prendre des notes. Il soutient, en outre, que le requérant, représenté par deux avocats, avait la possibilité de demander des consultations en privé avec eux avant les audiences pour préparer sa défense, possibilité qu’il n’avait pas exercée. Il considère que le requérant et ses avocats ont pu librement s’exprimer pendant le procès pénal sur des questions d’ordre procédural et sur celles relatives au fond de l’affaire pénale dirigée à l’encontre de l’intéressé.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

143. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

2. Sur le fond

a) Sur le respect de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention en ce qui concerne l’absence d’avocat lors de l’interpellation du requérant le 15 août 2006

144. La Cour examinera cet aspect de l’affaire à la lumière des principes applicables en matière d’accès à un avocat qui ont été résumés par la Cour dans son arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni ([GC], nos 50541/08 et 3 autres, §§ 249‑274, 13 septembre 2016) et réitérés dans les arrêts Simeonovi c. Bulgarie ([GC], no 21980/04, §§ 110‑120, 12 mai 2017) et Beuze c. Belgique ([GC], no 71409/10, §§ 119‑150, 9 septembre 2018).

i. Sur le point de départ de l’application de l’article 6 de la Convention au cas d’espèce

145. Les garanties offertes par l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention s’appliquent à tout « accusé » au sens autonome que revêt ce terme sur le terrain de la Convention. Il y a « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne est officiellement inculpée par les autorités compétentes ou que les actes effectués par celles-ci en raison des soupçons qui pèsent contre elle ont des répercussions importantes sur sa situation. Ainsi, à titre d’exemple, une personne qui a été arrêtée parce qu’elle est soupçonnée d’avoir commis une infraction pénale, une personne soupçonnée, interrogée sur son implication dans des faits constitutifs d’une infraction pénale, ou une personne formellement inculpée, selon les modalités du droit interne, d’une infraction pénale peuvent toutes être considérées comme « accusées d’une infraction pénale » et prétendre à la protection de l’article 6 de la Convention. C’est la survenance même du premier de ces événements, indépendamment de leur ordre chronologique, qui déclenche l’application de l’article 6 de la Convention sous son volet pénal (Simeonovi, précité, §§ 110‑111).

146. En l’espèce, la Cour observe que, à partir du mois d’avril 2006, le FSKN, se basant, entre autres, sur les écoutes téléphoniques ordonnées à l’égard du requérant, soupçonnait ce dernier d’être impliqué dans le trafic de stupéfiants en bande organisée. Elle relève que ces soupçons étaient corroborés par les informations obtenues grâce aux écoutes téléphoniques selon lesquelles le requérant s’apprêtait à transporter des stupéfiants et ont servi de base pour la mise en œuvre de l’opération de surveillance à l’égard de l’intéressé (paragraphes 6‑9 ci‑dessus). La Cour constate donc que l’interpellation du requérant, effectuée par le FSKN le 15 août 2006 à 20 h 10, reposait sur des soupçons de commission d’une infraction pénale par l’intéressé. Elle note que cette interpellation a eu des répercussions importantes sur la situation de l’intéressé puisque, immédiatement après celle-ci, les agents du FSKN ont procédé à des mesures opérationnelles avec sa participation (paragraphes 10‑21 ci‑dessus). Au moment de l’interpellation du requérant, ce dernier faisait déjà l’objet d’une « accusation en matière pénale » et pouvait prétendre à la protection de l’article 6 de la Convention. L’interpellation du requérant doit donc être prise comme point de départ pour l’application des garanties découlant de l’article 6 §§ 1 et 3 de la Convention, à savoir le droit à l’assistance d’un avocat ainsi que le droit à être informé de ce même droit et du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même (Simeonovi, précité, §§ 114, 119 et 121, et Beuze, précité, § 129).

147. La Cour estime que c’est donc le 15 août 2006 à 20 h 10 que tous ces droits sont devenus immédiatement exigibles en l’espèce.

148. Par ailleurs, la Cour note que les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ordre juridique interne, telles qu’interprétées par la Cour constitutionnelle russe, vont exactement dans le même sens. Elle relève que, en interprétant notamment la portée de l’article 48 § 2 de la Constitution, la Cour constitutionnelle russe a indiqué que toute personne arrêtée de facto a droit à un avocat dès lors que cette arrestation s’exerçait dans le cadre d’une action des organes de l’État visant à accuser cette personne d’une infraction ou qui révèle l’existence de soupçons à son égard (paragraphe 73 ci‑dessus). La Cour constitutionnelle a également précisé que la notification au suspect de ses droits procéduraux doit s’effectuer avant que toute mesure restrictive de liberté ou de caractère coercitif ne soit mise en œuvre à son égard (paragraphes 74‑76 ci‑dessus).

ii. Sur le point de savoir si le requérant a été informé du droit à un avocat, du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même et s’il a renoncé à ces droits

149. Le Gouvernement soutient que les mesures opérationnelles prévues par la LMOI ont été mises en œuvre dans le cadre de l’interpellation du requérant du 15 août 2006 et que ce n’est que le 16 août 2006 qu’un procès‑verbal de l’arrestation a été dressé à l’égard de l’intéressé conformément aux articles 91 et 92 du CPP. Le requérant n’avait pas droit à un avocat au moment de son interpellation s’il n’en faisait pas la demande expresse. Le Gouvernement avance que, lors de son interpellation du 15 août 2006, le requérant s’est vu notifier ses droits mais qu’il n’a pas demandé l’assistance d’un avocat (paragraphe 141 ci‑dessus).

150. La Cour estime que la thèse du Gouvernement revient à dire que l’absence de demande expresse du requérant en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat lors de son interpellation équivaut à une renonciation implicite à ce droit par l’intéressé.

151. Elle rappelle que, lorsque l’assistance d’un avocat dépend de la demande expresse du suspect, il est essentiel que celui-ci soit informé de ce droit le plus tôt possible pour qu’il soit en mesure de s’en prévaloir (Simeonovi, précité, § 126). Si l’accès à un avocat est retardé, la nécessité pour les autorités enquêtrices de signifier au suspect son droit à un avocat et son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même prend une importance particulière (Ibrahim et autres, précité, § 273). La question de savoir si un « accusé » a renoncé à ses droits dépend donc dans une large mesure de la manière dont ils lui ont été notifiés. Selon les principes généraux du droit, les renonciations ne se présument pas. En effet, la renonciation doit se trouver établie de manière non équivoque et être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité ; elle n’a pas besoin d’être explicite mais elle doit être volontaire, consciente et éclairée (Simeonovi, précité, § 115). Avant qu’un accusé puisse être réputé avoir implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important énoncé à l’article 6 de la Convention, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement (ibidem).

152. Quant à la question de savoir si le requérant a été informé de son droit à un avocat lors de son interpellation du 15 août 2006, la Cour observe qu’en l’espèce l’interpellation du requérant a été effectuée dans le cadre d’une opération menée sur la base de la LMOI et en particulier d’une opération de surveillance (paragraphes 9 et 10 ci‑dessus). Elle note que, une fois la voiture du requérant arrêtée, celui‑ci a été menotté et que les agents du FSKN lui ont posé des questions avant de procéder à l’inspection du véhicule (paragraphe 12 ci‑dessus). Elle constate également que, si la partie pré‑imprimée du procès‑verbal établi à 21 h 50 à l’issue de l’inspection en question comportait l’énumération des droits dont le requérant aurait été notifié, celui relatif à l’assistance d’un avocat n’y figurait pas (paragraphe 15 ci‑dessus).

153. Par ailleurs, aucun élément du dossier dont la Cour dispose ne démontre que le requérant en ait été informé verbalement par les agents du FSKN. La Cour relève dans ce contexte que le procès-verbal de l’inspection du véhicule du requérant, établi le 15 août 2006 à 21 h 50, fait référence aux articles 6 alinéa 1 (points 1 à 8), 15 alinéa 1 (point 1) et 17 de la loi sur les MOI (paragraphe 15 ci‑dessus). Cependant, elle constate que le libellé de ces articles (paragraphes 77‑80 ci‑dessus) ne fait peser sur les agents du FSKN aucune obligation d’informer la personne interpellée sur le fondement de son arrestation ou de son droit constitutionnel à l’assistance d’un avocat. La Cour observe que l’article 7 de la loi sur les MOI autorise les autorités compétentes à mettre en place des MOI soit dans le cadre d’une affaire pénale existante (alinéa 1 point 1), soit lorsqu’il existe des indications selon lesquelles une infraction a été ou est en train d’être commise et « lorsqu’il n’existe pas suffisamment d’éléments pour l’ouverture d’une affaire pénale » (alinéa 1 point 2) (paragraphe 78 ci‑dessus). S’il revient aux autorités nationales d’apprécier la suffisance d’éléments pour l’ouverture d’une affaire pénale et de son opportunité, la Cour ne peut que constater qu’en l’espèce, les agents du FSKN ont procédé à l’interpellation du requérant et à d’autres mesures opérationnelles immédiatement après celle-ci dans le but de rassembler des éléments de preuve visant à accuser l’intéressé de trafic de stupéfiants. Cependant, comme l’a souligné la Cour constitutionnelle russe, chaque personne soupçonnée d’une infraction doit se voir immédiatement notifier ses droits procéduraux dès qu’elle fait l’objet d’une arrestation de facto (paragraphe 74 ci‑dessus).

154. La Cour estime donc que, lors de l’interpellation du 15 août 2006, le requérant n’a pas été indiscutablement informé de son droit à un avocat au sens de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dès lors, elle juge que, même si le requérant n’a pas fait de demande expresse en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat au moment de son interpellation, il ne saurait passer pour avoir implicitement renoncé à son droit à l’assistance d’un avocat, faute d’avoir reçu promptement une telle information.

155. Quant à la question de savoir si le requérant a été notifié de son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre lui-même, la Cour note que la partie pré-imprimée du procès‑verbal de l’inspection du véhicule du requérant, établi le 15 août 2006 à 21 h 50, mentionnait que le « suspect » avait été notifié de son droit de ne pas témoigner contre soi‑même conformément à l’article 51 de la Constitution (paragraphe 15 ci‑dessus). La Cour rappelle dans ce contexte que la notification de droits procéduraux effectuée à l’aide d’un formulaire pré‑imprimé doit être accompagnée d’un commentaire ou d’une explication individualisée sur la situation de la personne arrêtée et sur ses droits procéduraux (Türk c. Turquie, no 22744/07, § 48, 5 septembre 2017). Or, rien ne démontre qu’au moment de l’interpellation du requérant ou lors de l’établissement du procès-verbal de l’inspection de son véhicule du 15 août 2006 à 21 h 50, ou du procès‑verbal de l’interrogatoire de l’intéressé du 16 août 2006, de 4 à 5 heures, (paragraphes 15 et 20 ci‑dessus), ce dernier ait bénéficié d’une explication individualisée sur sa situation ou sur ses droits procéduraux. Les procès‑verbaux susmentionnés n’indiquaient pas que le requérant ait été avisé qu’il était en état d’arrestation sur la base de l’article 91 du CPP ou qu’il ait été notifié des soupçons pesant à son encontre ainsi que de ses droits procéduraux sur la base de l’article 46 du CPP (paragraphe 69 ci‑dessus). Qui plus est, le procès-verbal de l’interrogatoire établi le 16 août 2006, de 4 à 5 heures, indique que le requérant était interrogé en tant que « témoin ».

156. La Cour estime qu’en l’absence de notification au requérant de son état d’arrestation immédiatement après l’interpellation de celui-ci et des agissements qui lui étaient attribués ainsi que de son droit de garder le silence, il lui était très difficile d’apprécier la portée future de ses déclarations (comparer avec Aleksandr Zaichenko c. Russie, no 39660/02, §§ 54‑55, 18 février 2010, voir, également, sur l’importance de la formulation des charges dans le contexte de notification de droits à une personne arrêtée, Zachar et Čierny c. Slovaquie, nos 29376/12 et 29384/12, §§ 70‑74, 21 juillet 2015). De plus, le requérant n’était pas informé de ce que, s’il choisissait de parler, toutes ses déclarations pouvaient être utilisées en tant que preuves dans le cadre d’une affaire pénale. La Cour rappelle qu’avant qu’un accusé puisse être réputé avoir implicitement renoncé, par son comportement, à un droit important énoncé à l’article 6, il doit être établi qu’il aurait pu raisonnablement prévoir les conséquences de son comportement (Simeonovi, précité, § 115). Elle estime donc que la référence à l’article 51 de la Constitution russe, sous forme d’une mention pré‑imprimée, n’était pas suffisante pour permettre au requérant de prévoir de façon « consciente et éclairée » les conséquences de son comportement s’il choisissait de ne pas garder le silence.

157. La Cour relève que ce n’est que le 16 août 2006, à 14 h 45, lors de l’établissement du procès-verbal de l’arrestation du requérant sur la base de l’article 92 du CPP, que l’intéressé a officiellement reçu notification de son état d’arrestation et des soupçons pesant à son encontre ainsi que de tous ses droits procéduraux en tant que personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, notamment du droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même (paragraphe 22 ci‑dessus).

158. Par ailleurs, la Cour rappelle avoir constaté dans plusieurs affaires l’existence d’une pratique des autorités russes consistant à retarder la formalisation du statut de suspect sur la base des articles 91 et 92 du CPP à l’égard d’une personne interpellée et la privant ainsi d’exercice effectif de ses droits (voir, à titre d’exemples, Sidorin et autres c. Russie [comité], no 41168/07, §§ 37‑41, 10 avril 2018, Birulev et Shishkin c. Russie, nos 35919/05 et 3346/06, §§ 56-57, 14 juin 2016, Rakhimberdiyev c. Russie, no 47837/06, §§ 35-36, 18 septembre 2014, Ivan Kuzmin c. Russie, no 30271/03, §§ 81-84, 25 novembre 2010, et Aleksandr Sokolov c. Russie, no 20364/05, §§ 70-73, 4 novembre 2010). Elle estime que le déroulement des faits dans la présente cause constitue une illustration de cette pratique et de ses répercussions sur les droits procéduraux d’une personne interpellée.

159. Eu égard à ce qui précède, la Cour juge que le requérant n’a pas été dûment informé de son droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat, de son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même pendant les dix-huit heures et cinquante‑cinq minutes ayant suivi son interpellation du 15 août 2006 à 20 h 10, et que, par conséquent, il ne saurait raisonnablement passer pour avoir valablement renoncé à ces droits. Le droit du requérant à l’assistance d’un avocat a donc été restreint.

iii. Sur le point de savoir s’il y avait des « raisons impérieuses » de restreindre l’accès à un avocat

160. La Cour rappelle que les restrictions de l’accès à un avocat pour des « raisons impérieuses » ne sont permises que dans des cas exceptionnels, qu’elles doivent être de nature temporaire et qu’elles doivent reposer sur une appréciation individuelle des circonstances particulières du cas d’espèce (Beuze, précité, § 142).

161. Or le Gouvernement n’a pas fait état de telles circonstances exceptionnelles et il n’appartient pas à la Cour de rechercher de son propre chef si elles existaient en l’espèce. La Cour ne voit donc aucune « raison impérieuse » qui aurait pu justifier de restreindre l’accès du requérant à un avocat après son interpellation : il n’a pas été allégué, par exemple, qu’il existait un risque imminent pour la vie, l’intégrité physique ou la sécurité d’autrui (voir, a contrario, Ibrahim et autres, précité, § 276). Par ailleurs, la législation interne, telle qu’interprétée par la Cour constitutionnelle russe, régissant l’accès à un avocat d’une personne interpellée et se trouvant dans une situation d’une arrestation de facto, ne prévoyait pas explicitement d’exceptions à l’application de ce droit (paragraphes 69 et 70 ci-dessus).

iv. Sur le point de savoir si l’équité globale de la procédure a été respectée

162. La Cour doit à présent rechercher si l’absence d’un avocat pendant la garde à vue a eu pour effet de nuire irrémédiablement à l’équité du procès pénal du requérant considéré dans son ensemble. L’absence en l’espèce de « raisons impérieuses » qui auraient pu justifier de restreindre l’accès du requérant à un avocat après son interpellation oblige la Cour à se livrer à un examen très strict de l’équité de la procédure. Il appartient au Gouvernement de démontrer de manière convaincante que le requérant a néanmoins bénéficié d’un procès pénal équitable (idem, § 265). En outre, la Cour rappelle avoir jugé que, à défaut de notification au suspect de son droit à un avocat et de son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même par les autorités enquêtrices, il sera encore plus difficile au gouvernement de lever la présomption de manque d’équité qui naît en l’absence de raisons impérieuses de retarder l’assistance juridique, ou de démontrer, si le retardement se justifie par des raisons impérieuses, que le procès dans son ensemble a été équitable (idem, § 273). Aux fins de son analyse, la Cour se basera sur les critères dégagés dans l’arrêt Ibrahim et autres (idem, § 274).

163. À cet égard, elle note que le Gouvernement a invoqué les circonstances suivantes : le requérant a été interrogé le 16 août 2006 de 16 h 45 à 17 heures en présence de B., un avocat commis d’office, mais a refusé de déposer ; le 17 août 2006, interrogé cette fois-ci en tant qu’accusé, le requérant a une fois de plus refusé de déposer ; le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a rejeté le grief du requérant quant à l’absence d’avocat au motif que le procès‑verbal de l’arrestation de l’intéressé avait été établi le 16 août 2006 de 16 h 45 à 17 heures en présence de l’avocat B. ; lors de toutes les mesures d’instruction ultérieures, le requérant a bénéficié de l’assistance d’un avocat.

164. La Cour note que les arguments du Gouvernement portent sur la représentation juridique du requérant dont celui‑ci a bénéficié à partir du 16 août 2006 à 15 heures mais ne démontrent pas dans quelle mesure l’absence de l’avocat pendant les dix-huit heures et cinquante‑cinq minutes ayant suivi l’interpellation de l’intéressé survenue le 15 août 2006 à 20 h 10 a influé sur l’équité de la procédure pénale dans son ensemble. Ce constat lui suffirait pour arriver à la conclusion que le Gouvernement n’a pas levé la présomption de manque d’équité du procès pénal dirigé à son encontre (İzzet Çelik c. Turquie, no 15185/05, §§ 37‑38, 23 janvier 2018). Elle estime toutefois nécessaire de faire quelques observations supplémentaires à cet égard.

165. La Cour observe que, pendant la période allant du 15 août à 20 h 10 au 16 août 2006 à 14 h 45, les autorités de poursuites ont obtenu un certain nombre d’éléments, dont le procès-verbal de l’inspection du véhicule du requérant, qui ont été par la suite utilisés comme preuves à charge dans le procès pénal à l’encontre de l’intéressé. Elle note que ledit procès-verbal comportait les déclarations du requérant selon lesquelles un paquet avec des comprimés de drogue lui appartenait (paragraphe 12 ci‑dessus). Elle estime que ces déclarations étaient auto-incriminantes dans le sens où elles permettaient de contribuer à prouver l’appartenance des stupéfiants au requérant faisant l’objet du chef d’accusation concernant l’épisode du 15 août 2006 (voir, a contrario, Krivoshey c. Ukraine, no 7433/05, § 85, 23 juin 2016, dans laquelle les déclarations d’une personne arrêtée ne concernaient pas les charges portées à son encontre).

166. Il n’est pas contesté que les déclarations du requérant faites immédiatement après son interpellation survenue 15 août 2006 à 20 h 10 n’ont pas été spontanées mais obtenues suite aux questions posées par les agents du FSKN (voir, a contrario, Chukayev c. Russie, no 36814/06, §§ 100‑101, 5 novembre 2015). Or, les agents du FSKN avaient déjà de soupçons concernant l’implication du requérant dans un trafic de stupéfiants (paragraphe 146 ci‑dessus). Ces questions doivent donc être assimilées à un interrogatoire sans notification préalable au requérant de ses droits procéduraux, notamment du droit de bénéficier de l’assistance d’un avocat et du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même (paragraphe 159 ci‑dessus).

167. La Cour observe que, pendant le procès pénal, le requérant a nié que les paquets contenant des stupéfiants saisis dans son véhicule lui appartenaient (paragraphe 40 ci‑dessus). Elle note également qu’il a demandé l’exclusion des éléments de preuves obtenus immédiatement après son interpellation sans l’assistance d’un avocat, dont le procès‑verbal de l’inspection du véhicule établi le 15 août 2006 à 21 h 50 comportant les déclarations auto‑incriminantes précitées (paragraphe 44 ci‑dessus ; voir, a contrario, Chukayev, précité, § 103). Elle constate cependant que le tribunal de première instance n’a pas examiné cette demande sur le fond au motif qu’elle ne contenait pas la liste des preuves à exclure et qu’elle n’indiquait pas les dispositions légales pertinentes en l’espèce (paragraphe 45 ci‑dessus). Or elle relève que ladite demande était amplement motivée et qu’elle s’appuyait tant sur les dispositions pertinentes de la Constitution russe et du CPP que sur l’article 6 de la Convention. La Cour estime donc que la décision du tribunal de l’arrondissement Kirovski de rejeter cette demande sans examen sur le fond était sans fondement (voir, mutatis mutandis, Dimitar Mitev c. Bulgarie, no 34779/09, § 67, 8 mars 2018). Elle considère qu’il n’a pas non plus été remédié à ce défaut de procédure en appel puisque le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a considéré que les demandes procédurales de l’intéressé avaient été dûment examinées (paragraphe 50 ci‑dessus). Elle estime, par conséquent, que les juridictions nationales n’ont pas procédé à l’examen de l’admissibilité de l’élément de preuve contenant des déclarations auto-incriminantes du requérant obtenues alors que le droit de celui-ci à l’assistance d’un avocat avait été restreint. Elles n’ont pas cherché à savoir si le requérant avait valablement renoncé à son droit à un avocat et à son droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre lui‑même, et ne se sont pas prononcées sur l’importance de cet élément de preuve par rapport aux autres éléments de preuve à charge (voir, dans le même sens, Türk, précité, §§ 53‑58, Bozkaya c. Turquie, no 46661/09, §§ 49‑53, 5 septembre 2017, et, a contrario, Zherdev c. Ukraine, no 34015/07, § 165, 27 avril 2017).

168. La Cour observe que le procès‑verbal de l’inspection du véhicule établi le 15 août 2006 comportant des déclarations auto‑incriminantes du requérant était un élément important de l’accusation. Elle note que parmi les autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les stupéfiants saisis appartenaient au requérant figuraient les enregistrements téléphoniques de l’intéressé (paragraphe 48 ci‑dessus). Or elle constate que le requérant n’a pas non plus été en mesure de contester l’admissibilité de ces enregistrements car sa demande en ce sens a été rejetée sans faire l’objet d’un examen sur le fond (paragraphe 45 ci‑dessus). Elle constate également que la condamnation du requérant pour l’épisode du 15 août 2006, qualifié par les juridictions internes de préparation à la vente de stupéfiants dans de très grandes quantités, reposait donc, dans une large mesure, sur le procès‑verbal de l’inspection du véhicule du requérant établi le 15 août 2006 et comportant des déclarations auto‑incriminantes de l’intéressé obtenues en violation de ses droits procéduraux.

169. Eu égard à ce qui précède et à l’effet cumulatif des lacunes procédurales dont le procès du requérant est entaché, la Cour estime que l’absence de notification à l’intéressé de son droit à un avocat, du droit de garder le silence et de ne pas témoigner contre soi-même ainsi que la restriction de son accès à une assistance juridique pendant la période du 15 août 2006 à 20 h 10 au 16 août 2006 à 14 h 45 a porté une atteinte irrémédiable à l’équité du procès dans son ensemble.

170. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

b) Sur le respect de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention en ce qui concerne la possibilité pour le requérant de prendre des notes à l’intérieur de la cage et de communiquer avec ses avocats durant le procès

171. La Cour note que le Gouvernement a confirmé qu’il n’y avait qu’un banc à l’intérieur de la cage dans laquelle le requérant était placé durant le procès pénal. Elle note aussi qu’il n’a pas non plus contesté l’allégation du requérant selon laquelle les agents d’escorte de l’administration pénitentiaire étaient toujours présents à côté de cette cage et selon laquelle il ne pouvait communiquer avec ses avocats qu’en leur présence immédiate (paragraphe 142 ci‑dessus).

172. La Cour rappelle que, dans son arrêt Khodorkovskiy et Lebedev c. Russie (nos 11082/06 et 13772/05, §§ 642‑647, 25 juillet 2013), elle a conclu à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention à raison d’un manque de confidentialité des communications verbales entre les intéressés et leurs avocats eu égard, notamment, à la présence immédiate des agents d’escorte de l’administration pénitentiaire. Elle a réitéré cette conclusion dans l’arrêt Urazov, précité (§§ 85‑89) et Yaroslav Belousov c. Russie (nos 2653/13 et 60980/14, §§ 145‑154, 4 octobre 2016). Par ailleurs, dans l’arrêt Yaroslav Belousov, précité, la Cour a également conclu à la violation de l’article 6 § 3 b) de la Convention à raison, notamment, de l’absence, dans une cage vitrée dans laquelle l’intéressé avait été placé, de dispositifs qui lui auraient permis de prendre des notes (idem, § 151).

173. Eu égard aux arguments des parties et à sa jurisprudence en la matière, la Cour considère que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

174. Partant, il a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention à raison de l’absence, dans la cage métallique dans laquelle le requérant avait été placé durant le procès pénal dirigé à son encontre, de dispositif qui lui aurait permis de prendre des notes ainsi qu’à raison d’un manque de confidentialité des communications verbales entre l’intéressé et ses avocats.

c) Sur le respect de l’article 6 § 2 de la Convention en ce qui concerne le placement du requérant dans une cage à l’intérieur du prétoire

175. La Cour considère qu’elle a examiné la question juridique principale relative au placement du requérant dans une cage métallique à l’intérieur du prétoire de sorte que le grief tiré de l’article 6 § 2 quant au respect de la présomption d’innocence se trouve englobé par le constat de violation de l’article 3 de la Convention auquel elle est parvenue au paragraphe 107 ci‑dessus et que, par conséquent, il n’est pas nécessaire de l’examiner séparément (Urazov, précité, §§ 91‑92, et Khodorkovskiy et Lebedev, précité, §§ 741‑744).

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION, PRIS SEUL ET COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

176. Le requérant se plaint d’une atteinte à son droit à la vie privée et à sa correspondance à raison de l’interception et de l’enregistrement de ses conversations téléphoniques utilisés comme preuves dans le cadre de son procès pénal. Il se plaint également de l’absence de voies de recours effectives pour faire valoir ce grief. Il invoque les articles 8 et 13 de la Convention, ainsi libellés en leurs parties pertinentes en l’espèce :

Article 8

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

1. Thèses des parties

177. Le Gouvernement indique que l’article 23 § 2 de la Constitution russe prévoit que le droit au respect de la correspondance et des communications téléphoniques, postales, télégraphiques et autres ne peut être restreint qu’en vertu d’une décision de justice. Il ajoute que la LMOI prévoit la possibilité d’intercepter des communications téléphoniques (article 6 de la LMOI) mais que pareille interception ne peut être autorisée que dans les cas où une personne est soupçonnée ou inculpée d’une infraction pénale de gravité moyenne, d’une infraction grave ou d’une infraction pénale particulièrement grave, ou est susceptible de détenir des informations au sujet d’une telle infraction (article 8 de la LMOI).

178. Selon le Gouvernement, les attestations délivrées le 11 octobre 2007 par le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg et versées au dossier pénal du requérant (paragraphe 41 ci‑dessus) démontrent que cette même juridiction, par ses décisions des 11 et 27 avril et du 29 mai 2006, avait autorisé l’interception et l’enregistrement des conversations téléphoniques du requérant puisque celui‑ci était soupçonné d’être impliqué dans un trafic de stupéfiants. Le Gouvernement considère que le tribunal de première instance, chargé de l’affaire pénale du requérant, a soigneusement examiné tous les éléments relatifs à la mise sur écoute des téléphones de l’intéressé, notamment en interrogeant les agents du FSKN responsables de cette mesure, et a établi que celle-ci était légale et nécessaire afin de recueillir les preuves des infractions liées au trafic de stupéfiants.

179. Le requérant maintient son grief. Il ajoute que les décisions des 11 et 27 avril et du 29 mai 2006 du tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg n’ont pas été versées au dossier pénal et qu’il n’a pas été en mesure d’en prendre connaissance malgré ses demandes introduites en ce sens.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la recevabilité

180. Bien que le Gouvernement n’ait pas argué d’une inobservation par le requérant de la règle des six mois, la Cour rappelle que rien ne l’empêche d’examiner proprio motu cette question, qui touche à sa compétence (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 29, 29 juin 2012). Dans l’arrêt Zubkov et autres, précité, la Cour a considéré que les requérants avaient respecté le délai imparti par l’article 35 § 1 de la Convention en soumettant leurs requêtes respectives dans les six mois suivant l’adoption de décisions des juridictions d’appel dans le cadre des procédures pénales dirigées à leur encontre (Zubkov et autres, précité, §§ 104‑110). Elle a estimé que rien dans le dossier soumis à son attention ne démontrait que les requérants avaient, ou auraient dû avoir conscience, de l’existence de circonstances qui rendaient ce recours ineffectif (idem, § 107 in fine). Elle ne voit aucune raison d’arriver à une conclusion différente en l’espèce. En effet, elle note que le tribunal de la ville de Saint-Pétersbourg a confirmé en appel la condamnation du requérant le 18 mai 2009 (paragraphe 50 ci‑dessus) et que ce dernier a soumis ses griefs tirés de l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13, dans le formulaire de requête du 9 novembre 2009. Elle estime donc que, dans les circonstances particulières de la cause, le requérant a respecté le délai de six mois au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

181. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, elle le déclare recevable.

b) Sur le fond

182. La Cour rappelle avoir conclu dans plusieurs arrêts récents à la violation de l’article 8 de la Convention au motif que la procédure de mise sur écoute et d’enregistrement de conversations téléphoniques, telle que prévue par la LMOI, ainsi que sa mise en pratique par les juridictions internes, n’ont pas été assorties de garanties suffisantes contre une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de la vie privé et de la correspondance des personnes concernées (Zubkov et autres, précité, §§ 120‑133, Moskalev c. Russie, no 44045/05, §§ 35‑45, 7 novembre 2017, et Konstantin Moskalev c. Russie, no 59589/10, §§ 45‑53, 7 novembre 2017).

183. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour constate que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

184. En effet, elle note que les décisions des 11 et 27 avril et du 29 mai 2006 par lesquelles le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a autorisé la mise sur écoute des conversations téléphoniques des personnes soupçonnées d’implication dans un trafic de stupéfiants, y compris celles du requérant, n’ont jamais été versées au dossier pénal du requérant (paragraphe 41 ci‑dessus). Par conséquent, ces décisions n’ont pas fait l’objet d’un examen véritable par les juridictions chargées de l’affaire pénale dirigée à l’encontre de ce dernier (voir, dans contexte similaire, Radzhab Magomedov, précité, § 83). La Cour constate que le requérant s’est vu refuser l’accès auxdites décisions au motif que celles-ci avaient un caractère « secret » (paragraphe 43 ci‑dessus). Elle note également que les décisions en cause n’ont pas non plus été soumises à son attention. À ses yeux, rien ne permet d’affirmer que, au moment de l’adoption des décisions des 11 et 27 avril et du 29 mai 2006, le tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg a vérifié l’existence d’un « soupçon raisonnable » à l’égard du requérant ou qu’il a appliqué les critères de « nécessité » et de « proportionnalité » (Moskalev, précité, § 42). La Cour relève que, tout en confirmant l’existence desdites décisions, les attestations du 11 octobre 2007 délivrées par cette juridiction ne contiennent aucune information à ce sujet. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement, ni la juridiction de jugement ni l’instance d’appel dans le procès pénal du requérant n’ont eu accès aux dossiers que le FSKN avait soumis au tribunal de la ville de Saint‑Pétersbourg à l’appui de ses demandes d’autorisation de mise sur écoute et d’enregistrement des conversations téléphoniques du requérant. La Cour note que les déclarations des agents du FSKN, lors du procès pénal à l’encontre de l’intéressé relatives à la nécessité des mesures litigieuses, se limitaient à l’allégation selon laquelle ils disposaient des renseignements permettant de croire que l’intéressé était impliqué dans un trafic de stupéfiants (paragraphe 47 ci‑dessus). Or elle considère que ces déclarations ne pouvaient pas être assimilées à la démonstration d’« une base factuelle suffisante » pour soupçonner le requérant d’être l’auteur d’une infraction pénale (Zubkov et autres, précité, § 131).

185. Eu égard à ce qui précède et à sa jurisprudence en la matière, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à raison de la mise sur écoute et de l’enregistrement des conversations téléphoniques du requérant.

B. Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

1. Thèses des parties

186. Le Gouvernement n’a pas soumis d’observations sur ce point.

187. Le requérant maintient son grief.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur la recevabilité

188. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

b) Sur le fond

189. Dans son arrêt Konstantin Moskalev, précité, la Cour a conclu que le système juridique russe n’offrait pas de voies de recours interne effectives pour faire valoir un grief relatif à la mise sur écoute de conversations téléphoniques (idem, §§ 25‑36). Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour constate que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

190. Partant, il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

191. Le requérant dénonce une atteinte à son droit de recevoir des informations à raison de la saisie des journaux et des revues envoyés par ses proches et d’un poste de radio en sa possession effectuée par l’administration de la maison d’arrêt no IZ-47/1. Il invoque l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

A. Thèses des parties

192. Le Gouvernement indique que la saisie d’un colis contenant des journaux et des revues envoyés au requérant par ses proches ainsi que d’un poste de radio détenu par l’intéressé a été effectuée sur la base de la loi no 103-FZ et de l’arrêté no 189 (paragraphes 82‑87 ci‑dessus). Il ajoute que les juridictions nationales ont confirmé la légalité des mesures litigieuses puisque, conformément à la réglementation en vigueur, les objets saisis étaient considérés comme interdits. Tout en admettant qu’il y a eu une ingérence dans le droit du requérant protégé par l’article 10 de la Convention, il estime toutefois qu’elle était prévue par la loi, qu’elle poursuivait un but légitime et qu’elle était proportionnelle au but poursuivi.

193. Le requérant maintient son grief.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

194. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Sur l’existence d’une ingérence

195. La Cour rappelle que les détenus en général continuent de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux garantis par la Convention, à l’exception du droit à la liberté (Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, § 116, 30 juin 2015). Aussi continuent-ils de jouir du droit à la liberté d’expression (Yankov c. Bulgarie, no 39084/97, §§ 126‑145, 11 décembre 2003, et Tapkan et autres c. Turquie, no 66400/01, § 68, 20 septembre 2007), lequel comprend le droit de recevoir des informations ou des idées.

196. Elle rappelle ensuite que « le droit à la liberté de recevoir des informations interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir » et que ce droit « ne saurait se comprendre comme imposant à un État des obligations positives de collecte et de diffusion, motu proprio, des informations » (Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, § 156, 8 novembre 2016).

197. La Cour a eu l’occasion de se pencher sur les questions relatives au droit de recevoir des informations revendiqué par des personnes privées de liberté. Dans son arrêt Mesut Yurtsever et autres c. Turquie (nos 14946/08 et 11 autres, § 102, 20 janvier 2015), elle a conclu qu’un refus des autorités administratives pénitentiaires de remettre aux requérants certaines éditions d’un journal de presse écrite s’analysait en une ingérence dans le droit de ceux-ci de recevoir des informations et des idées protégé par l’article 10 de la Convention. Dans ses arrêts Kalda c. Estonie (no 17429/10, 19 janvier 2016), et Jankovskis c. Lituanie (no 21575/08, 17 janvier 2017), la Cour a examiné des cas portant sur l’interdiction aux requérants purgeant une peine de prison d’accéder à des sites Internet. Elle a conclu à l’application de l’article 10 de la Convention, sous son volet relatif au droit de recevoir des informations, en tenant compte du caractère de l’information dont l’accès était recherché par les requérants en tant que personnes purgeant une peine privative de liberté (Kalda, précité, § 45, concernant des informations dans le domaine du droit, et Jankovskis, précité, § 55, concernant des informations dans le domaine de l’éducation).

198. Se tournant vers les faits de l’espèce, la Cour constate que le requérant a cherché à avoir accès à des informations librement disponibles dans le domaine public, à savoir des articles de presse et des chaînes de radio. Elle considère que la présente cause concerne donc une restriction d’accès à des moyens de diffusion des informations partagées par des tiers, en l’occurrence des médias imprimés et audiovisuels classiques. Elle rappelle dans ce contexte que l’article 10 de la Convention concerne non seulement le contenu des informations mais aussi les moyens de leur diffusion, car toute restriction apportée à ceux-ci touche le droit de recevoir et communiquer des informations (Öztürk c. Turquie [GC], no 22479/93, § 49, CEDH 1999‑VI). La Cour tient compte également des textes internationaux en matière des droits de détenus cités aux paragraphes 88‑89 ci‑dessus, et notamment, de la règle 24.10 des Règles pénitentiaires européennes selon laquelle les détenus doivent pouvoir se tenir régulièrement informés des affaires publiques, en pouvant s’abonner et en lisant des journaux quotidiens, des périodiques et d’autres publications, et en suivant des émissions de radio ou de télévision.

199. Eu égard à sa jurisprudence en la matière et, notamment, à l’arrêt Mesut Yurtsever et autres précité, la Cour estime que la saisie de journaux et de revues et d’un poste de radio en possession du requérant s’analyse en une ingérence dans le droit de celui-ci de recevoir des informations au sens de l’article 10 de la Convention. Par ailleurs, elle note que le Gouvernement ne s’est pas opposé à l’applicabilité de cette disposition aux faits de la cause (paragraphe 192 ci‑dessus).

b) Sur la justification de l’ingérence

200. Pareille ingérence enfreint l’article 10 de la Convention, sauf si elle remplit les exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Il y a donc lieu de déterminer si elle était « prévue par la loi », inspirée par un ou des buts légitimes au regard dudit paragraphe et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre (Jankovskis, précité, § 56).

i. « Prévue par la loi »

201. Il n’est pas contesté par les parties que l’ingérence était prévue par la loi, à savoir l’article 25 de la loi no 103-FZ (paragraphe 84 ci‑dessus). La Cour ne voit pas de raison de conclure autrement.

ii. But légitime

202. Le Gouvernement n’a pas détaillé son argument quant au but de la mesure litigieuse. La Cour relève, quant à elle, que les juridictions internes se sont référées à l’article 25 de la loi no 103-FZ qui permet aux autorités pénitentiaires de saisir tout objet qui peut représenter un danger pour la vie ou la santé des personnes ou qui peut être utilisé comme un outil de commission d’une infraction ou à des fins contraires aux buts de la détention. Elle est prête à accepter que le contrôle de la correspondance des personnes placées en détention et la saisie d’objets qui leur sont envoyés ou qui se retrouvent en leur possession poursuivent la défense de l’ordre et la prévention du crime. Elle les considère donc légitimes.

iii. « Nécessaire dans une société démocratique »

203. La Cour relève que les juridictions internes ont confirmé la mesure litigieuse sans rechercher si elle était « nécessaire » au sens de l’article 10 de la Convention. Le Gouvernement n’a pas non plus développé ses arguments à cet égard.

204. La Cour note de son côté qu’elle est consciente de l’importance des impératifs de sécurité dans le milieu carcéral et de la nécessité de contrôler la correspondance de détenus ainsi que les objets dont ces derniers peuvent disposer. Les autorités internes ont toutefois l’obligation de ménager un juste équilibre entre les besoins de sécurité dans le milieu carcéral, d’un côté, et les droits protégés par la Convention, de l’autre (voir, parmi beaucoup d’autres, dans le contexte de l’article 3 de la Convention, Frérot c. France, no 70204/01, § 41, 12 juin 2007, en ce qui concerne les modalités des fouilles corporelles ; dans le contexte de l’article 8 de la Convention, Nusret Kaya et autres c. Turquie, nos 43750/06 et 4 autres, § 52, 22 avril 2014 , en ce qui concerne le contrôle de conversations téléphoniques de détenus, Frérot, précité, § 59, en ce qui concerne le contrôle de la correspondance de détenus, Wisse c. France, no 71611/01, § 30, 20 décembre 2005, en ce qui concerne la mise sur écoute des parloirs d’une prison ; dans le contexte de l’article 10 de la Convention, Kalda, précité, § 53, et Jankovskis, précité, § 61, en ce qui concerne l’accès à des sites Internet dans des prisons).

205. En l’espèce, la Cour note que la possession d’un poste de radio par un détenu n’était pas permise par la législation nationale et que les cellules dans lesquelles le requérant était placé disposaient d’un poste de radio filaire opéré par l’administration pénitentiaire (paragraphe 66 ci‑dessus). Eu égard à cet élément et aux risques de sécurité liés à la présence de dispositifs électroniques dans les cellules d’un établissement pénitentiaire, elle estime que la confiscation du poste de radio du requérant n’a pas constitué une ingérence disproportionnée dans le droit de l’intéressé de recevoir des informations au sens de l’article 10 de la Convention.

206. En revanche, la Cour ne peut arriver à la même conclusion en ce qui concerne la saisie des exemplaires de journaux et de revues envoyés au requérant par ses proches. Rien ne permet de dire que ces exemplaires pouvaient représenter un danger pour la santé et la vie des autres, troubler l’ordre dans la maison d’arrêt ou servir à la commission d’infractions (voir, mutatis mutandis, Mesut Yurtsever et autres, précité, § 106). Il n’a pas été démontré non plus que la réception de la presse écrite par le requérant ait entraîné des coûts supplémentaires à l’administration de la maison d’arrêt (voir, mutatis mutandis, Kalda, précité, § 53, et Jankovskis, précité, § 61). La Cour note que la législation interne autorisait les détenus à recevoir et à disposer de périodiques de presse écrite à condition que ceux-ci soient achetés par le biais de l’administration de la maison d’arrêt. C’est précisément parce que cette condition n’était pas remplie en l’espèce que les juridictions internes ont confirmé le bien-fondé de la saisie des journaux et revues envoyés au requérant par ses proches (paragraphe 66 ci‑dessus). Or la Cour estime que ladite condition et son application au cas du requérant par les autorités internes ne répondaient à aucun besoin social impérieux et que, par conséquent, la mesure litigieuse n’était pas « nécessaire dans une société démocratique ».

207. Partant, il y a eu violation de l’article 10 de la Convention.

VII. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 34 DE LA CONVENTION

208. Le requérant se plaint enfin que l’administration de la maison d’arrêt no IZ-47/6 de Saint‑Pétersbourg ait ouvert la lettre du 16 février 2009 par laquelle le greffe de la Cour confirmait la réception de son formulaire de requête. Il invoque l’article 34 de la Convention, ainsi libellé :

« La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à n’entraver par aucune mesure l’exercice efficace de ce droit. »

A. Thèses des parties

209. Le Gouvernement reconnaît que la lettre du 16 février 2009 envoyée par le greffe de la Cour a été ouverte par des employés de la maison d’arrêt no IZ-47/6 de Saint-Pétersbourg. Il indique toutefois que cet incident a eu lieu avant l’adoption de la circulaire no 10/1‑4847 du 13 novembre 2009 par laquelle le ministère de l’Exécution des peines a informé ses agents de l’interdiction d’ouvrir la correspondance des détenus avec la Cour. Le Gouvernement ajoute que la lettre du 16 février 2009 a par la suite été transmise au requérant.

210. Le requérant maintient son grief.

B. Appréciation de la Cour

211. La Cour rappelle qu’elle a conclu dans de nombreuses affaires à la violation de l’article 34 de la Convention à raison de l’ouverture par le personnel pénitentiaire de lettres qu’elle avait envoyées aux requérants (Makhlyagin et Belyayev c. Russie [comité], no 14784/09, 51742/11, §§ 20‑26, 9 janvier 2018, Shekhov c. Russie, no 12440/04, §§ 57‑64, 19 juin 2014, Yefimenko c. Russie, no 152/04, §§ 156‑165, 12 février 2013, et Fetisov et autres c. Russie, nos 43710/07 et 3 autres, §§ 139‑145, 17 janvier 2012).

212. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour constate que le Gouvernement n’a mis en avant aucun élément de fait ou de droit à même de la convaincre de parvenir à une conclusion différente en l’espèce.

213. Partant, il y a eu violation de l’article 34 de la Convention.

VIII. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

214. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

215. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi.

216. Le Gouvernement estime que si la Cour était amenée à trouver une violation de la Convention dans le cas d’espèce, le montant de la satisfaction équitable devrait être établi conformément à sa jurisprudence.

217. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 12 700 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

218. Le requérant demande 201 000 roubles russes (RUB) pour les frais de conseil et de représentation qu’il dit avoir engagés devant les juridictions internes. Il sollicite également 350 000 RUB pour les frais de conseil et de représentation qu’il dit avoir engagés devant la Cour et 17 706,96 RUB pour des frais postaux.

219. Le Gouvernement n’a pas formulé de commentaires sur ce point.

220. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose, la Cour estime raisonnable la somme de 3 500 EUR tous frais confondus et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

221. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention, à raison des conditions de détention du requérant dans la maison d’arrêt no IZ–47/1 de 18 août 2006 au 1er octobre 2008 et du 23 mars au 21 août 2009, des conditions de son transport vers et depuis le tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Saint‑Pétersbourg et de son placement dans une cage métallique lors du procès pénal ainsi qu’à raison de l’absence de voies de recours interne effectives à cet égard ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 3 de de la Convention en ce qui concerne les conditions de détention du requérant dans la cellule temporaire du tribunal de l’arrondissement Kirovski de la ville de Saint‑Pétersbourg ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

6. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 b) et c) de la Convention ;

7. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention, pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention ;

8. Dit qu’il y a eu violation de l’article 10 de la Convention ;

9. Dit qu’il y a eu violation de l’article 34 de la Convention ;

10. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement :

i. 12 700 EUR (douze mille sept cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 3 500 EUR (trois mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

11. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 11 décembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsVincent A. De Gaetano
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Dedov.

V.D.G.
J.S.P.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV

J’ai souscrit à la conclusion de la majorité concernant la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention avec certaines réserves. Bien que cette conclusion reposait sur une analyse très limitée de l’équité globale de la procédure pénale engagée contre le requérant (paragraphes 162-169 de l’arrêt), elle-même ne portait que sur un épisode de l’implication profonde du requérant dans l’activité criminelle (préparation et vente de stupéfiants et organisation d’un groupe criminel aux fins susmentionnées) et sur son rôle de premier plan dans l’activité criminelle du groupe en question. Dans son récent arrêt de Grande Chambre Beuze c. Belgique (no 71409/10, 9 novembre 2018) la Cour a procédé à une analyse très détaillée et exhaustive de l’équité globale de la procédure pénale, en commençant par examiner s’il existait des raisons impérieuses justifiant les restrictions à l’accès à un avocat (Beuze, précité, §§ 151-193). En l’espèce, la Cour s’est limitée à critiquer 1) le fait que le requérant n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de la perquisition de son véhicule, à bord duquel il avait transporté des stupéfiants de Saint-Pétersbourg à Moscou ; et 2) que la juridiction de renvoi a rejeté sa demande tendant à ce que la preuve soit jugée irrecevable sans donner de motifs. Toutefois, selon le dossier, la juridiction de renvoi a pris en considération d’autres preuves matérielles (conversations téléphoniques, perquisitions dans les appartements d’autres membres du groupe) et plusieurs déclarations de témoins suffisantes pour conclure que le transport de stupéfiants n’était pas un épisode isolé. Compte tenu des circonstances susmentionnées, je présume que le constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention lui-même ne crée pas de possibilité de rouvrir une procédure pénale contre le requérant.


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-188271
Date de la décision : 11/12/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel);Violation de l'article 13+3 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Article 3 - Interdiction de la torture;Traitement dégradant);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Caractère raisonnable de la détention provisoire);Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle à bref délai);Violation de l'article 6+6-3-b - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3-b - Facilités nécessaires);Violation de l'article 6+6-3-c - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable) (Article 6 - Droit à un procès équitable;Article 6-3-c - Se défendre avec l'assistance d'un défenseur);Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la correspondance;Respect de la vie privée);Violation de l'article 13+8 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale;Article 8-1 - Respect de la correspondance;Respect de la vie privée);Violation de l'article 10 - Liberté d'expression-{général} (Article 10-1 - Liberté de recevoir des informations);Violation de l'article 34 - Requêtes individuelles (Article 34 - Entraver l'exercice du droit de recours);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : RODIONOV
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SEMENOV M.V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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