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08/11/2018 | CEDH | N°001-187398

CEDH | CEDH, AFFAIRE HÔPITAL LOCAL SAINT-PIERRE D'OLÉRON ET AUTRES c. FRANCE, 2018, 001-187398


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HÔPITAL LOCAL SAINT-PIERRE D’OLÉRON ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 18096/12 et 23 autres– voir liste en annexe)

ARRÊT

STRASBOURG

8 novembre 2018

DÉFINITIF

08/02/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Hôpital Local Saint-Pierre d’Oléron et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

A

ngelika Nußberger, présidente,
Yonko Grozev,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, j...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE HÔPITAL LOCAL SAINT-PIERRE D’OLÉRON ET AUTRES c. FRANCE

(Requêtes nos 18096/12 et 23 autres– voir liste en annexe)

ARRÊT

STRASBOURG

8 novembre 2018

DÉFINITIF

08/02/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Hôpital Local Saint-Pierre d’Oléron et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Yonko Grozev,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 octobre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent vingt-quatre requêtes (nos 18096/12, 53601/12, 23542/13, 32194/13, 39165/13, 39173/13, 39180/13, 39184/13, 49923/13, 57424/13, 58995/13, 59003/13, 68908/13, 68916/13, 68918/13, 76512/13, 76519/13, 76527/13, 76530/13, 5485/14, 23544/14, 30287/14, 46819/14, 46862/14) dirigées contre la République française et dont vingt-quatre personnes morales de cet État (« les requérants », voir annexe), ont saisi la Cour à différentes dates entre le 20 mars 2012 et le 19 juin 2014 (voir annexe) en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par Me S. Pappas, avocat exerçant à Bruxelles. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention, et de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 en raison de l’intervention d’une loi en cours de procédure. Dans les requêtes nos 18096/12 et 53601/12, les requérants se plaignent également du défaut de motivation des arrêts rendus par la Cour de cassation.

4. Le 11 septembre 2015, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Genèse des affaires

5. Les requérants sont des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), des hôpitaux comprenant des EHPAD et une association gérant un foyer d’accueil pour personnes handicapées. Les Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales (URSSAF) constituent un réseau d’organismes privés délégataires d’un service public et participent à la pérennité du système de protection sociale, en collectant et en répartissant les cotisations et contributions sociales, sources du financement du régime général de la sécurité sociale. Le réseau des URSSAF est placé sous la double tutelle du ministère chargé de la sécurité sociale et du ministère chargé du Budget.

6. Les requérants demandèrent tous à l’URSSAF le remboursement de la part employeur des cotisations pour leurs salariés, en faisant valoir qu’ils assuraient auprès des résidents de leur établissement les prestations d’aide à domicile exonérées par l’article L. 241-10 III du code la sécurité sociale (CSS). Cette disposition, en son point I, exonère de cotisations patronales la rémunération de certaines aides à domicile dont bénéficient les personnes âgées ou handicapées lorsque celles-ci sont employées effectivement « à leur service personnel, à leur domicile ou chez des membres de leur famille » par six catégories de personnes. L’article L. 241-10 III prévoyait la même exonération des rémunérations des aides à domicile employées par 1o les associations et les entreprises admises, en application de l’article L. 129-1 du code du travail (paragraphe 44 ci-dessous), à exercer des activités concernant la garde d’enfants ou l’assistance aux personnes âgées ou handicapées, 2o les centre communaux ou intercommunaux d’action sociale, 3o les organismes habilités au titre de l’aide sociale ou ayant passé une convention avec un organisme de sécurité sociale, pour la fraction versée en contrepartie de l’exécution des tâches effectuées notamment chez les personnes visées au point I (paragraphe 43 ci-dessous).

7. Les requérants se virent déboutés de leur demandes de remboursement. Ils saisirent les juridictions de sécurité sociale. Pour la plupart des juridictions de première instance et d’appel saisies, l’exonération prévue à l’article L. 241-10 III ne pouvait s’appliquer qu’aux rémunérations des salariés intervenant au domicile privatif de la personne âgée et non à ceux travaillant dans les EHPAD, un mode d’hébergement collectif qui n’est pas considéré comme le domicile de la personne âgée au sens de l’article L. 241-10 du CSS. Les requérants firent valoir que le terme « domicile » n’était pas employé dans le paragraphe III de l’article L. 241-10 du CSS mais la préposition « chez », qui, selon eux, identifie le lieu où la personne âgée se trouve, le logement occupé par les résidents au sein des EHPAD constituant leur domicile.

8. Alors que le premier pourvoi était pendant devant la Cour de cassation (requête no 18096/12, paragraphes 9 et suivants ci-dessous), le législateur adopta une loi dont l’article 14 indiquait : « Au premier alinéa du III de l’article L 241-10 du code de la sécurité sociale, les mots « chez les » sont remplacés par les mots « au domicile à usage privatif des ».

B. Les requêtes

1. Requête no 18096/12

9. Le requérant est un établissement public de santé comprenant un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette maison de retraite a acquis le statut d’EHPAD par la conclusion d’une convention avec le préfet et le président du Conseil général au titre de l’article L. 313-12 du code de l’action sociale et des familles. Par lettre du 20 mai 2008, estimant que l’EHPAD constituait le domicile des personnes âgées qui y résident, le requérant, sur le fondement de l’article L. 241-10 III du CSS, demanda l’exonération des cotisations patronales auprès de l’URSSAF de la Charente‑Maritime. Il fit une demande de remboursement de 242 419,56 euros (EUR) au titre des cotisations sociales indûment acquittées selon lui sur la rémunération de son personnel employé pour effectuer des tâches d’aide à domicile auprès des résidents âgés pour la période de mai 2005 à avril 2008.

10. Le 2 juin 2008, l’URSSAF, puis le 18 décembre 2008, la commission de recours amiable, rejetèrent la demande du requérant au motif qu’« une maison de retraite est un mode d’hébergement collectif qui n’est pas considéré comme le domicile de la personne âgée au sens de l’article L. 241-10 du CSS ».

11. Le requérant saisit le tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de la Rochelle. Il fit valoir que le logement occupé par les résidents au sein des EHPAD constitue leur domicile au sens de l’article 102 du code civil (CC) selon lequel « Le domicile de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement.(...) », dès lors qu’il constitue leur habitation effective et réelle, qu’ils y reçoivent leur famille, l’aménagent à bon vouloir, constitue leur domicile fiscal et électoral et qu’ils y perçoivent l’aide au logement.

12. Par jugement du 1er décembre 2009, le TASS débouta le requérant de son recours au motif que le domicile ne s’étend pas aux structures d’hébergement collectif :

« [L’article L. 241-10 III] prévoit les cas d’exonération conformes à la politique de la ville qui privilégie le maintien à domicile, s’entendant par domicile classique avant hospitalisation.

De ce très long article, le tribunal retiendra que l’exonération s’applique aux aides à domicile employées sous contrat à durée indéterminée et du reste l’exonération est accordée sur la demande des intéressés (la personne âgée) ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque c’est l’établissement qui sollicite l’exonération.

L’exonération n’est prévue que si les actes de la vie courante sont effectués au domicile qui n’est en rien l’établissement de soins.

Du reste, chaque fois qu’il est dans la législation question d’une structure collective accueillant des personnes âgées, le code d’action sociale ne fait état que d’établissements assurant l’hébergement des personnes âgées et il n’est jamais question de domicile.

Le législateur privilégie le maintien à domicile car préférable pour les personnes âgées et l’exonération est précisément faite pour inciter ce maintien à domicile qui pallie la pénurie de place dans les établissements.

En résumé, [le requérant] ne peut bénéficier de l’exonération. »

13. Le requérant interjeta appel du jugement. Il dénonça l’interprétation erronée de l’article L. 241-10 du CSS par le tribunal en faisant valoir que la notion de domicile devait s’analyser au regard de l’article 102 du CC, invoquant un arrêt devenu définitif, à défaut de pourvoi de l’URSSAF, de la chambre sociale de la cour d’appel de Pau du 18 décembre 2008 allant dans ce sens (paragraphe 46 ci-dessous). Il fit également référence à des jugements rendus par plusieurs TASS qui s’étaient basés sur l’article 102 du CC pour assimiler les EHPAD au domicile des personnes âgées, dont le jugement du TASS de Bobigny du 16 mars 2010 (paragraphe 34 ci‑dessous). Il invoqua encore la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, qui dispose que le domicile peut s’entendre du lieu de résidence ou d’un d’établissement avec hébergement relevant du code l’action sociale et des familles. En dernier lieu, il dénonça la discrimination établie par l’URSSAF qui admet que les foyers-logements, structure d’hébergement collectif comme les EHPAD, bénéficient de l’exonération alors qu’il n’existe entre les deux types d’établissement aucune différence quant aux soins fournis. Il fit valoir une rupture d’égalité entre les personnes âgées logées dans des structures d’hébergement collectif.

14. Par un arrêt du 8 juin 2010, la cour d’appel de Poitiers confirma le jugement :

« (...) contrairement à l’analyse de l’appelant, les dispositions, dont il demande application, ne peuvent pas concerner le personnel même de la maison de retraite, dont l’objet est précisément d’héberger les personnes âgées dépendantes en leur assurant toutes les prestations nécessaires à leur survie, alors que le texte vise de façon claire des salariés intervenant de l’extérieur au domicile de la personne âgée dans le but de maintenir son autonomie au sein de son foyer ou de celui des membres de sa famille ou dans un foyer logement, dont les services communs sont limités, en la faisant bénéficier de prestations service à la personne n’existant pas à son domicile pour des actes qu’elle ne peut pas accomplir seule. Il y a lieu de préciser que [le requérant] n’est pas habilité au titre de l’aide sociale au sens du texte susvisé, le fait que les résidents reçoivent l’aide sociale pour la prise en charge de leurs frais de séjour dans la maison de retraite ne lui conférant pas pour autant la qualité d’employeur d’« aides à domicile ».

15. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans un moyen unique de cassation, en quatre branches, il allégua une violation des articles L. 241‑10 III du CSS et 102 du CC, reprochant aux juges du fond d’avoir retenu que :

- il est un organisme habilité à recevoir des bénéficiaires de l’aide sociale et non pas un organisme habilité au titre de l’aide sociale alors que ces qualifications sont synonymes ;

- les personnes âgées ne peuvent pas avoir leur domicile à l’hôpital ;

- l’exonération ne peut pas s’appliquer au personnel de la maison de retraite ;

- l’exonération ne peut être demandée que par les personnes âgées et pas par les organismes eux-mêmes.

16. Le 21 décembre 2010, alors que le pourvoi était pendant, fut publiée au Journal officiel de la République (Journal Officiel no 295 du 21 décembre 2010) la loi no 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 (ci-après « la loi du 20 décembre 2010»). L’article 14 de cette loi disposait que : « au premier alinéa du III de l’article L. 241-10 du code de la sécurité sociale, les mots : « chez les » sont remplacés par les mots : « au domicile à usage privatif des ».

17. Entre-temps, cette loi avait été déférée au Conseil constitutionnel par des députés qui considéraient que l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010, en excluant de l’exonération litigieuse les personnes résidant en établissement, méconnaissait le principe d’égalité. Opérant un contrôle a priori, par une décision du 16 décembre 2010, ainsi motivée, le Conseil constitutionnel déclara l’article 14 précité conforme à la Constitution :

1. « (...) Considérant que l’exonération de cotisations patronales prévue par l’article L. 241-10 du code de la sécurité sociale tend à favoriser le maintien chez elles de personnes dépendantes ; que l’attribution du bénéfice de cette exonération en fonction du caractère privatif du domicile de la personne bénéficiaire de l’aide est en lien direct avec l’objet de cet article ; que, dès lors, les dispositions de l’article 14, qui rappellent cet objet, ne méconnaissent pas le principe d’égalité devant la loi ».

18. Dans son mémoire en défense déposé le 29 décembre 2010 devant la Cour de cassation, l’URSSAF souligna que l’objectif du dispositif d’exonération était de favoriser le maintien des personnes âgées à domicile. Elle se prévalut du caractère interprétatif de l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010, qui a pour seul but de confirmer que l’exonération des cotisations ne s’applique pas aux personnes employées par les établissements d’hébergement collectif des personnes dépendantes, et d’éviter de la part de ces derniers une tentative de détournement des dispositions de l’article L. 241-10 III du CSS. L’URSSAF souligna que la loi du 20 décembre 2010 était une loi interprétative et que son article 14 devait s’appliquer immédiatement aux instances en cours, y compris devant la Cour de cassation.

19. Dans son rapport « En vue de la non-admission du pourvoi pour absence de moyen sérieux », le conseiller rapporteur fit valoir, d’une part, que l’interprétation du texte initial faite par les juges du fond était conforme à la volonté du législateur, et, d’autre part, qu’en y donnant une définition de ce qu’il fallait entendre comme domicile au sens du texte litigieux, le législateur avait clairement voulu conférer à l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 un caractère interprétatif, rendant cette décision applicable devant la Cour de cassation. Il conclut ainsi son rapport : « Par suite, la décision prise par la cour d’appel ne paraît pas pouvoir être sérieusement contestée par un moyen devenu inopérant, en sorte que le pourvoi ne semble pas pouvoir être accueilli ». L’avocat général, dans son avis, conclut au rejet du pourvoi :

« Le litige repose sur l’interprétation des dispositions de l’article L. 241-10 III du code de la sécurité sociale relatives à l’exonération des charges patronales de sécurité sociale dues en matière d’aide à domicile, dans leur version en vigueur à l’époque des faits. Ces dispositions sont-elles applicables aux personnes d’une maison de retraite, dont l’objet est précisément d’héberger les personnes âgées dépendantes qui ne sont pas demeurées à leur domicile personnel, en leur assurant toutes les prestations nécessaires à leur survie ?

La question repose sur l’interprétation du texte : or, les débats parlementaires à l’occasion de la discussion de la loi du [20 décembre 2010] (...) établissent clairement les raisons pour lesquelles le législateur a entendu modifier le texte. Il est rappelé que le dispositif, dès son origine, a eu pour vocation de favoriser le maintien à leur domicile des personnes âgées dépendantes et que certains, en en demandant le bénéfice « détournent manifestement l’esprit de la loi (...) ». La modification apportée par les mots « au domicile à usage privatif des » en remplacement du mot « chez » étant interprétative, elle donne parfaitement le sens du texte dans sa version en vigueur au moment des faits de la présente espèce. Nous sommes exactement dans la situation d’une loi qui « se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit existant qu’une définition imparfaite a rendu susceptible de controverse » (Civ., 9 décembre 2008, no 08-10.061). »

20. Dans ses observations en réplique, le requérant fit valoir que cette loi n’était pas interprétative mais modificative dans le sens où elle avait modifié les termes originaux de la disposition litigieuse afin de lui conférer un sens différent. Il indiqua que l’article L. 241-10 III, dans sa rédaction antérieure à la loi de 2010, n’avait suscité aucune controverse jusque-là et que la Cour de cassation ne s’était encore jamais prononcée sur l’éligibilité des EHPAD au bénéfice de l’exonération. Une intervention du législateur pour agir sur les litiges en cours n’était dès lors aucunement justifiée. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, il indiqua que l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 manifestait clairement et explicitement une ingérence du législateur dans le cours de la justice afin d’influer sur le déroulement judiciaire d’une affaire, en privant de sa base juridique l’action en justice engagée avant l’entrée en vigueur de la loi, en violation du principe de la séparation des pouvoirs et du droit à un procès équitable. Selon lui, aucun impératif d’intérêt général ne justifiait cette ingérence dans l’administration de la justice, l’article 14 ayant pour finalité de profiter à l’État par l’intermédiaire de l’URSSAF pour mettre un terme à un risque de condamnation de cette dernière. Le requérant n’avança aucune argumentation fondée sur les articles 14 de la Convention et 1er du Protocole no 1 dans son mémoire en réplique.

21. Par arrêt du 22 septembre 2011, la Cour de cassation rejeta le pourvoi :

« Mais attendu que l’arrêt retient que l’article L. 241-10 III (...) dispose que sont exonérées des cotisations patronales pour la fraction versée en contrepartie des tâches effectuées chez les personnes visées au I du même article, les rémunérations des aides à domicile employées dans les conditions prévues par ce texte ;

Que de cette énonciation, la cour d’appel a déduit à bon droit que l’exonération ne pouvait s’appliquer qu’aux rémunérations des salariés intervenant au domicile privatif de la personne âgée et a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision (...) »

2. Requête no 53601/12

22. Le requérant, établissement public, gère la maison de retraite « Le Bon Accueil». Celle-ci acquit le statut d’EHPAD par la conclusion d’une convention avec le préfet et le président du conseil général. Par une décision du 31 octobre 2008, la demande de remboursement par le requérant de la somme de 120 655 EUR au titre des cotisations patronales litigieuses fut rejetée par l’URSSAF. Celle-ci se fonda sur deux lettres ministérielles des 26 août 1987 et du 22 juin 1993 refusant à toute structure d’hébergement collectif le bénéfice de l’exonération, à l’exception des logements-foyers, au motif que la condition de domicile n’était pas satisfaite.

23. Par jugement du 12 avril 2010, le TASS de l’Ain débouta le requérant de son recours contre cette décision. Par arrêt du 23 décembre 2010, la cour d’appel de Lyon confirma le jugement :

« (...) Les parties s’opposent uniquement sur la question de savoir si une maison de retraite peut être considérée comme un domicile.

L’article 102 du code civil définit le domicile comme un lieu du principal établissement.

La personne âgée hébergée de manière définitive et non temporaire en maison de retraite a bien son domicile à la maison de retraite au sens du code civil.

Cependant, le texte sur l’exonération des cotisations sociales se réfère clairement à une acception du domicile qui est totalement différente du concept légal qu’en donne le code civil.

En effet, l’article L. 241-10 III du code de la sécurité sociale renvoie expressément à l’article L. 7231-1 du code du travail en ce qui concerne l’activité ouvrant droit à l’exonération ; or, cet article réglemente l’assistance aux personnes âgées qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans l’environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile.

Les personnes hébergées dans l’établissement public maison de retraite Le Bon Accueil signent un contrat de séjour qui est soumis aux dispositions du code de l’action sociale et des familles ; or, l’article L. 231-4 du code de l’action sociale et des familles dispose : « Toute personne âgée qui ne peut être utilement aidée à son domicile peut être placée ... soit dans un établissement de santé ou une maison de retraite publics ou à défaut dans un établissement privé. »

Ainsi, s’agissant des personnes âgées, la notion de maintien à domicile s’oppose clairement à la notion d’accueil en établissement.

[Le requérant] ne favorise pas le maintien à domicile des personnes âgées mais au contraire les héberge; il ne peut donc bénéficier des exonérations de cotisations sociales (...) ».

24. Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans son moyen unique de cassation, il fit valoir que seule la version issue de la loi du 19 décembre 2007 était applicable au litige (paragraphe 43 ci-dessus) et non la loi du 20 décembre 2010 (désignée par erreur dans les écritures par la loi no 2010‑1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011). Il ajouta que le texte nouveau ne pouvait avoir un caractère interprétatif justifiant son application rétroactive aux instances en cours dès lors qu’il substituait de nouvelles conditions d’exonération, plus restrictives, à celles résultant du texte précédent, lequel ne faisait pas de l’existence d’un domicile ayant un usage exclusivement privatif une condition d’application de l’exonération des cotisations. Il souligna ainsi qu’à « supposer que la cour d’appel ait implicitement entendu se retrancher derrière le caractère interprétatif de la loi du 29 décembre 2010 [sic] pour faire application, à la présente instance, des dispositions de l’article L. 241-10 III du CSS dans leur version issue de ladite loi, la décision entreprise violerait l’article 2 du code civil, ensemble les articles 6-1 de la Convention et 1er du Premier protocole additionnel ».

25. Dans son rapport, le conseiller rapporteur fit les observations suivantes :

« Comme il est indiqué dans le mémoire ampliatif, il appartenait à la Cour de cassation de trancher la question de principe tenant au champ d’application des dispositions de l’article L. 241-10 III du code de la sécurité sociale dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 20 décembre 2010 (désignée également par erreur comme la loi No 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011). Il s’agissait de savoir si l’exonération des cotisations patronales instituée sur les rémunérations des personnes assurant des prestations d’aide à domicile auprès des personnes âgées dépendantes était applicable aux salaires des employés des EHPAD.

Saisie de cette question dans un litige opposant l’hôpital local Saint-Pierre d’Oléron, qui comprend un EHPAD, à l’Urssaf de la Charente-Maritime, la deuxième chambre civile l’a tranchée dans un arrêt du 22 septembre 2011 (no 10-19.954) en cours de publication.

Dans cet arrêt, qui a rejeté le pourvoi de l’établissement, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir déduit de l’article L. 241-10 III, dans sa formulation applicable au présent litige, que l’exonération ne pouvait s’appliquer qu’aux rémunérations des salariés intervenant au domicile privatif de la personne âgée.

Eu égard à cette prise de position, le présent pourvoi, faute de moyen sérieux de cassation, ne semble pas pouvoir être admis. »

26. Par un arrêt du 16 février 2012, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.

3. Requêtes nos 23542/13, 32194/13, 39165/13, 39173/13, 39180/13, 39184/13, 49923/13 et 57424/13, 76512/13, 76527/13, 76519/13, 76530/13, 46862/14 et 46819/14

27. Les requérants furent tous déboutés de leur demande d’exonération des cotisations patronales demandées sur le fondement de l’article L. 241‑10 III du CC par jugements confirmés par les cours d’appel. Ils ne formèrent aucun pourvoi en cassation, compte tenu de la non-admission du pourvoi décidé par la Cour de cassation dans l’affaire no 53601/12 (paragraphe 26 ci-dessus).

4. Requêtes nos 58995/13 et 30287/14

28. Dans l’affaire no 58995/13, le requérant fut débouté de sa demande d’exonération des cotisations patronales. Dans son moyen de cassation, il fit valoir que l’ingérence du législateur dans le cours de la justice était contraire aux articles 6 § 1 et 1er du Protocole no 1 à la Convention. Il n’invoqua pas l’article 14 de la Convention. Par un arrêt du 14 mars 2013, la Cour de cassation rejeta son pourvoi :

« Mais attendu que l’article L. 241-10, III du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable au litige (...) ne peut s’appliquer qu’aux rémunérations des salariés intervenant au domicile privatif de ces personnes, à l’exclusion des lieux non privatifs ou collectifs occupés en établissement (...) ;

Et attendu que la cour d’appel a relevé, répondant aux moyens développés sans entrer dans le détail de l’argumentation des parties, et faisant une exacte application de la signification du mot « chez », abstraction faite de motifs en partie inopérants, mais surabondants, d’une part que l’établissement géré par l’hôpital était une solution d’hébergement collectif, ce dont il se déduisait que la prestation ne visait pas au maintien dans un domicile privatif, et que la domiciliation des personnes hébergées au sein de l’EHPAD était une domiciliation collective et non une domiciliation individualisée par rapport à un logement privatif, acquis ou loué ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision au regard de l’article L. 241-10, III, du code de la sécurité sociale, sans qu’il puisse être constaté un manquement à l’article 6 de la Convention(...), une atteinte à l’espérance légitime que protège l’article 1er du protocole additionnel annexé à cette Convention, ou une application rétroactive de l’article 14 de la loi no 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011 en violation de l’article 2 du code civil (...) ; »

29. Dans la requête no 30287/14, la requérante est une association gérant un foyer d’accueil médicalisé pour adultes handicapés. Par jugement du 20 mai 2011, le TASS d’Ille-et-Vilaine la débouta de sa demande de remboursement de la cotisation litigieuse au motif qu’elle était une structure collective qui ne dispensait pas une aide destinée au maintien des personnes à leur domicile. Le tribunal fit valoir à cet égard que la situation d’un résident dans le foyer d’accueil médicalisé était très différente de celle d’une personne habitant un foyer-logement, formule d’hébergement répondant à l’objectif d’un maintien à domicile que l’exonération de cotisation avait précisément pour objet de favoriser. Par arrêt du 19 juin 2012, la cour d’appel de Rennes confirma le jugement en soulignant la spécificité des différents types d’aide à domicile : « (...) le fait que cette exonération s’applique aux aides à domicile intervenant en foyer-logement (...) ne constitue pas une discrimination dans la mesure où les conditions d’hébergement dans un foyer-logement sont différentes de celles d’une structure d’hébergement comme un foyer d’accueil médicalisé (...) en ce qu’elle constitue une résidence certes collective mais comportant à la fois des locaux privatifs et des locaux communs affectés à la vie collective, les occupants étant titulaires d’un bail d’habitation ». La requérante forma un pourvoi en cassation en invoquant des moyens de cassation tirés de la violation des articles 6 § 1, 14 et 1er du Protocole no 1. Par un arrêt du 10 octobre 2013, la Cour de cassation rejeta le pourvoi :

« Mais attendu qu’en retenant pour l’application de l’article L. 242-10-III que pour le bénéfice de l’exonération de la rémunération d’une aide à domicile, celui-ci s’entend du domicile privatif dès lors, d’une part, que ces dispositions qui visent à exonérer de charges des employeurs, ne se comprennent que dans le cadre de la volonté du législateur de favoriser le maintien des personnes handicapées à leur domicile en leur apportant les aides nécessaires pour leur permettre de rester autonomes et éviter l’hébergement en structure collective, d’autre part, que le terme "chez" et l’obligation d’indiquer l’adresse impliquent une intervention au domicile privatif alors que lorsque la personne est contrainte d’être prise en charge dans une structure d’hébergement collectif même si elle bénéficie d’une chambre personnelle, les tâches effectuées par les salariés de la structure d’hébergement caractérisent une intervention « auprès » de la personne et non « chez » celle-ci, la cour d’appel a, à bon droit, décidé que l’association ne pouvait bénéficier de l’exonération sollicitée ; (...) ».

5. Requêtes nos 59003/13, 68916/13 et 5485/14

30. Dans les requêtes nos 59003/13 et 68916/13, les requérants formèrent des pourvois en cassation sans invoquer la violation de leur droit à un procès équitable au sens de l’article 6 § 1 ou celle des articles 1er du Protocole no 1 et 14 de la Convention. Par arrêt du 14 mars 2013 (no 12-12.280), la Cour de cassation rejeta le pourvoi du requérant no 59003/13. Par arrêt du 25 avril 2013 (no 12-19.614), la Cour de cassation déclara le pourvoi du requérant 68916/13 non admis.

31. Dans la requête no 5485/14, le requérant forma un pourvoi en cassation et ne souleva pas de moyen de cassation tiré de la violation de la Convention sauf pour dénoncer une mauvaise interprétation par la cour d’appel de la disposition du CSS applicable à l’époque des faits. Par un arrêt du 11 juillet 2013 (no 12-20.583), la Cour de cassation rejeta son pourvoi.

6. Requêtes nos 68908/13 et 68918/13

32. S’agissant de la requête no 68908/13, le requérant forma un pourvoi en cassation contre un arrêt de la cour d’appel de Grenoble. Il invoqua les articles 6 § 1 et 1er du Protocole no 1 à la Convention. Par un arrêt du 25 avril 2013, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.

33. S’agissant de la requête no 68918/13, la requérante forma un pourvoi en cassation dans lequel elle invoqua la violation de l’article 6 § 1 de la Convention. Par un arrêt du 25 avril 2013, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.

7. Requête no 23544/14

34. Par jugement du 16 mars 2010, le TASS de Bobigny fit droit à la demande d’exonération des cotisations patronales de la requérante dans les termes suivants :

« (...) la préposition « chez » renvoie à la notion de domicile de la personne. Le domicile apparaît donc comme une condition de l’exonération prévue par l’article L. 241-10 III du Code de la sécurité sociale. Il y a donc lieu d’examiner si la condition de domicile est remplie en l’espèce.

En l’espèce, [la requérante] (...) accueille des résidents âgés nécessitant l’aide de tierce personne auxquels elle propose un projet de soins visant à prévenir et traiter les déficiences et un projet de vie visant à limiter le désavantage social induit par la perte d’autonomie.

Compte tenu de leur âge et de leur niveau de dépendance, les résidents de [la requérante] ne peuvent plus se maintenir dans leur domicile d’origine.

Les résidents ont signé avec la maison de retraite un contrat de séjour à durée indéterminée, ils prennent leur repas au sein de l’établissement, ils y dorment, ils y reçoivent leur famille et ils y exercent la majorité de leurs activités journalières.

En outre, les personnes âgées résidant au sein de la maison de retraite (...) sont fiscalement domiciliées à partir du logement qu’elles y occupent. De même, elles reçoivent et envoient leurs courriers de leur adresse à la maison de retraite (...) et le domicile figurant sur leur carte électorale est l’adresse de l’établissement. Leur résidence au sein de l’EHPAD ouvre droit au bénéfice d’une allocation logement réservée aux logements occupés à titre de domicile principal.

Il ne peut dès lors être contesté ni l’intention des résidents d’y élire domicile ni qu’il s’agit de leur lieu d’habitation respectif.

Par ailleurs, la Charte des Droits et Libertés de la Personne Dépendante prévoit en son article 2 que toute personne âgée en situation de handicap ou de dépendance doit pouvoir choisir un lieu de vie – domicile personnel ou collectif – adapté à ses attentes et à ses besoins. Il est également précisé que lorsque la personne âgée dépendante vit dans une institution, celle-ci devient son nouveau domicile.

Ainsi, [la requérante] justifie que les bénéficiaires des prestations litigieuses ont établi leur domicile dans son établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes afin d’y fixer leur principal établissement.

L’URSAFF réfute la notion de domicile telle que définie par l’article 102 du code civil en s’appuyant sur la lettre ministérielle du 26 mars 1993 diffusée par lettre circulaire ACOSS du 22 juin 1993, sur une lettre ministérielle du 26 août 1987 et sur une lettre collective du 16 décembre 2008. Or, ces circulaires sont dépourvues de valeur réglementaire. En outre, la circulaire de 1993 écarte l’application des dispositions de l’article L. 241-10 III du Code de la sécurité sociale aux maisons de retraite, ajoutant ainsi aux dispositions légales.

L’article L. 241-10 III (...), qui est clair et ne souffre d’aucune interprétation, ne prévoit aucune exclusion de son champ d’application pour les prestations fournies aux personnes âgées dépendantes bénéficiant d’un hébergement collectif.

En conséquence, [la requérante] constituant pour ses résidents leur domicile, les exonérations de cotisations prévues par l’article L. 241-10 III du Code de la sécurité sociale lui sont applicables. (...) »

35. Par un arrêt du 28 juin 2012, la cour d’appel de Paris infirma le jugement. La requérante forma un pourvoi en cassation en invoquant une violation des articles 6 § 1 de la Convention et 1er du Protocole no 1. Par un arrêt du 19 septembre 2013, la Cour de cassation déclara le pourvoi non admis.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Historique du dispositif d’aide au maintien des personnes âgées ou handicapées à leur domicile tel que décrit par le Gouvernement

36. D’après le Gouvernement, le dispositif d’aide au maintien des personnes âgées ou handicapées à leur domicile par le truchement de l’exonération de charges patronales sur la rémunération des aides à domicile a été institué par l’article 38 de la loi no 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’urgence. À l’origine, l’exonération ne s’appliquait qu’aux aides à domicile engagées directement par les personnes en bénéficiant.

37. La loi no 93-121 du 27 janvier 1993 a étendu partiellement le dispositif d’exonération aux aides à domicile employées par les associations agréées au titre de l’article L. 129-1 du code du travail, par les associations ayant exclusivement pour activité les services rendus aux personnes physiques à leur domicile, ou encore par les organismes habilités au titre de l’aide sociale ou ayant passé convention avec un organisme de sécurité sociale. Le bénéfice de l’exonération était limité à 30 % des cotisations patronales de sécurité sociale.

38. La loi no 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999 a opéré une refonte de l’article L. 241-10 du code de la sécurité sociale, modifié à plusieurs reprises depuis 1987, afin de le rendre plus lisible, et surtout d’harmoniser le régime de l’exonération sans distinction entre les aides à domicile employées de gré à gré par les personnes bénéficiaires du dispositif et celles employées par des structures les mettant à disposition des personnes âgées. Cette loi visait également à étendre le bénéfice du dispositif aux centres communaux et intercommunaux d’action sociale.

39. La refonte du texte s’est néanmoins inscrite dans l’objectif initial du dispositif qui était de favoriser le maintien des personnes âgées à leur domicile. En effet, les lettres ministérielles des 26 juillet 1987 et 26 mars 1993 ont rappelé que pour ouvrir droit à cette mesure d’exonération de cotisations, les personnes visées devaient être maintenues à leur domicile, ce qui excluait l’hébergement collectif dans les structures sociales et socio‑médicales.

40. Avant comme après la loi du 23 décembre 1998, l’exonération des cotisations n’a donc concerné que la rémunération des aides à domicile intervenant au domicile des personnes âgées.

41. Après la modification de l’article L. 241-10, III, par la loi du 26 juillet 2005, qui avait essentiellement pour but d’unifier les aides à domicile et les aides à la personne, le sens du texte a à nouveau été précisé.

42. Ainsi, la lettre 2008-262 du 16 décembre 2008 de la direction de la réglementation du recouvrement et du service (DIRRES) a rappelé que les textes prévoyant l’exonération des cotisations pour l’emploi d’aide à domicile ne s’appliquaient pas aux structures collectives à l’exception des logements foyers et que l’objectif du législateur était de maintenir la personne à son domicile personnel afin de pallier la pénurie de places disponibles et accessibles financièrement en hébergement collectif.

B. L’article L. 241-10 du CSS

43. L’article L. 241-10 du CSS, dans sa version issue de la loi du 19 décembre 2007, applicable, selon les requérants, aux faits des espèces, est ainsi libellé :

Article L. 241-10

« I.- La rémunération d’une aide à domicile est exonérée des cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales, lorsque celle-ci est employée effectivement à leur service personnel, à leur domicile ou chez des membres de leur famille, par :

a) Des personnes ayant atteint un âge déterminé et dans la limite, par foyer, et pour l’ensemble des rémunérations versées, d’un plafond de rémunération fixé par décret ;

b) Des personnes ayant à charge un enfant ouvrant droit au complément de l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé mentionné à l’article L. 541-1 ou à la prestation de compensation dans les conditions définies au 1o du III de l’article L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles.

c) Des personnes titulaires :

- soit de l’élément de la prestation de compensation mentionnée au 1o de l’article L. 245-3 du code de l’action sociale et des familles ;

- soit d’une majoration pour tierce personne servie au titre de l’assurance invalidité, de la législation des accidents du travail ou d’un régime spécial de sécurité sociale ou de l’article L. 18 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

d) Des personnes se trouvant, dans des conditions définies par décret, dans l’obligation de recourir à l’assistance d’une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie, sous réserve d’avoir dépassé un âge fixé par décret ;

e) Des personnes remplissant la condition de perte d’autonomie prévue à l’article L. 232-2 du code de l’action sociale et des familles, dans des conditions définies par décret. (...)

Sauf dans le cas mentionné au a), l’exonération est accordée sur la demande des intéressés par l’organisme chargé du recouvrement des cotisations dans des conditions fixées par arrêté ministériel.

Le bénéfice de ces dispositions ne peut se cumuler pour une même aide à domicile avec le complément de libre choix du mode de garde de la prestation d’accueil du jeune enfant versé au titre de la garde à domicile.

II.- Les particuliers et personnes morales qui ont passé un contrat conforme aux articles L. 442-1 et L. 444-3 du code de l’action sociale et des familles pour l’accueil par des particuliers à leur domicile, à titre onéreux, de personnes mentionnées aux a, c, d et e du I du présent article sont exonérés, dans les conditions prévues à l’avant-dernier alinéa du même I, des cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales dues sur la rémunération qu’elles versent à ces accueillants familiaux.

III.- Les rémunérations des aides à domicile employées sous contrat à durée indéterminée ou sous contrat à durée déterminée pour remplacer les salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu dans les conditions visées à l’article L. 122‑1-1 du code du travail par les associations et les entreprises admises, en application de l’article L. 129-1 du code du travail, à exercer des activités concernant la garde d’enfant ou l’assistance aux personnes âgées ou handicapées, les centres communaux et intercommunaux d’action sociale et les organismes habilités au titre de l’aide sociale ou ayant passé convention avec un organisme de sécurité sociale sont exonérées des cotisations patronales d’assurances sociales et d’allocations familiales pour la fraction versée en contrepartie de l’exécution des tâches effectuées chez les personnes visées au I ou bénéficiaires de prestations d’aide-ménagère aux personnes âgées ou handicapées au titre de l’aide sociale légale ou dans le cadre d’une convention conclue entre ces associations ou organismes et un organisme de sécurité sociale (...) ».

44. L’article 129-1 du code du travail mentionné dans l’alinéa III de l’article L. 241-10, remplacé en juillet 2010 par une autre disposition du code du travail, vise les associations et les entreprises dont l’activité porte notamment sur l’assistance aux personnes âgées, aux personnes handicapées ou aux autres personnes « qui ont besoin d’une aide personnelle à leur domicile ou d’une aide à la mobilité dans l’environnement de proximité favorisant leur maintien à domicile ».

C. L’article 14 de la loi du 20 décembre 2010

45. L’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 est issu d’un amendement présenté à l’Assemblée nationale par M. Bur, rapporteur au nom de la commission des affaires sociales pour les recettes et l’équilibre général. L’objet de l’amendement a été exposé au cours des débats parlementaires. M. Bur indiqua ce qui suit :

« Certains établissements d’accueil de personnes âgées ou handicapées revendiquent le droit de bénéficier des exonérations relatives aux services à la personne. Des officines les démarchent en ce sens en soutenant que ces établissements sont des lieux de résidence offrant des services d’aide à domicile visés par les exonérations de charge. Pendant longtemps, ces démarches n’ont pas paru mériter débat. Mais il existe semble-t-il quelques risques juridiques. C’est pourquoi je vous propose de clarifier notre législation. (...)

Je rappelle que ces dispositifs d’exonération de charges sociales sont destinés à favoriser l’aide à domicile et non l’emploi dans ces établissements. Cette clarification vise à prévenir tout litige. En précisant le champ des exonérations, relatives au service à la personne, l’amendement vise, en effet, à éviter que les structures d’hébergement collectif de personnes âgées ou handicapées ne réclament éventuellement par voie contentieuse, le bénéfice du mécanisme d’exonérations sociales pour les activités d’aides à domicile dans le secteur des services à la personne. Il s’agit de garantir que ces dispositifs ne seront pas dévoyés de leur objectif, qui est de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées ou handicapées.

(...) Il s’agit d’exclure du bénéfice de cette exonération les établissements pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) et les établissements d’accueil des personnes handicapées. (...)

La rédaction en est claire : il s’agit d’exclure de l’exonération l’ensemble des établissements dont le tarif est fixé sous la forme d’un prix de journée dans le cadre d’une convention avec un organisme de sécurité sociale. (...)

M. G.M. Qu’en est-il des maisons de retraite non médicalisées, où les personnes âgées sont locataires ?

M. Yves Bur, rapporteur pour les recettes et l’équilibre général. Elles ne sont pas concernées.

M. C.L. Je juge moi aussi que cet amendement risque, par son imprécision, d’être dommageable à des structures telles que les maisons d’accueil rurales pour personnes âgées (MARPA), où des personnes âgées sont domiciliées. Faute d’une rédaction plus précise, cet amendement nous ferait passer d’un excès à un autre sur le plan juridique.

Mme B.P. : La précision de « l’usage privatif » ne me semble pas opérante, un EHPAD pouvant tout à fait être considéré comme un domicile, puisque les personnes qui y résident peuvent toucher l’allocation logement.

M. Yves Bur : Je veillerai à ce que la rédaction de l’amendement garantisse que seuls les EHPAD soient exclus du dispositif. Il paraît évident que ces établissements ne doivent pas pouvoir bénéficier à la fois d’un prix de journée et d’une exonération de charges pour services d’aide à domicile. »

Cet amendement a été approuvé par le Gouvernement, par la voix du ministre du Budget de l’époque :

« Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour la pertinence de cet amendement. Je crois en effet important de rappeler que, en créant le mécanisme d’exonération sociale pour les activités d’aides à domicile dans le secteur des services à la personne, l’intention du législateur répondait très clairement au souci de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées dépendantes. Il ne faut jamais s’éloigner de l’esprit du législateur quand on met en place des dispositifs qui ont des conséquences budgétaires.

Certains établissements, en demandant le bénéfice des exonérations pour le personnel qu’ils emploient, détournent manifestement l’esprit de la loi, et ce alors même qu’ils bénéficient déjà par ailleurs, nous le savons, d’autres sources de financement public.

La conception même de ce dispositif d’exonération est fondée sur la notion de domicile, qui doit être entendu strictement au sens du domicile à usage privatif de la personne âgée dépendante. Il va de soi – mais je le rappelle – que, dans la mesure où ils constituent pour des personnes âgées autonomes un domicile à caractère privatif, les foyers-logements étaient déjà inclus dans le champ de l’exonération et qu’ils demeureront bénéficiaires du dispositif malgré l’adoption de cet amendement.

Or, je crains que le renvoi à l’article du code de l’action sociale et des familles qui vise les structures d’accueil collectif et qui ne vise donc qu’en creux les foyers-logements ne soit pas de nature à clarifier les choses dans le sens que vous souhaitez. Je suis donc favorable à cet amendement et, si j’ai développé de façon aussi argumentée la position du Gouvernement, c’est aussi pour permettre au Conseil constitutionnel de connaître l’intention du législateur et les modalités d’application. »

D. Jurisprudence citée par les parties

46. Par jugements des 22 novembre 2010, 13 décembre 2010 et 14 juin 2011, les TASS des Vosges, de Saint-Étienne et de la Dordogne ont fait droit à des demandes de remboursement des cotisations patronales litigieuses. Par un arrêt du 18 décembre 2008, la cour d’appel de Pau a considéré que « le texte de l’article L. 241-10 du CSS est clair et ne souffre d’aucune interprétation, il n’exclut pas les personnes domiciliées dans les maisons de retraite du bénéfice de l’exonération ».

47. Par jugements des 11 janvier, 19 mai et 19 juillet 2010, les TASS des Côtes d’Armor, d’Amiens et du Gers ont exclu du bénéfice de l’exonération litigieuse les personnes employées par les établissements d’hébergement collectif. En outre, par la décision no 2010-620 DC du 16 décembre 2010 , le Conseil constitutionnel a jugé que l’article 14 de la loi déférée par les députés ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la loi (voir, paragraphe 17 ci-dessus).

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

48. La Cour considère que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, il y a lieu, en application de l’article 42 § 1 de son règlement, de joindre les requêtes, eu égard à leur similitude quant aux faits et aux questions juridiques qu’elles posent.

II. SUR LA RECEVABILITÉ DES REQUÊTES Nos 59003/13, 68916/13 et 5485/14 (paragraphes 30 et 31 ci-dessus)

49. S’agissant de ces requêtes, le Gouvernement fait valoir que les requérants n’ont soulevé devant la Cour de cassation aucun des griefs invoqués dans leur formulaire de requête (article 6 § 1 de la Convention et article 14 combiné avec l’article 1er du Protocole no 1), y compris en substance. Il demande leur rejet pour non-épuisement des voies de recours internes.

50. Les requérants contestent cette affirmation.

51. La Cour constate, avec le Gouvernement, que les mémoires déposés par les requérants devant la Cour de cassation ne contiennent pas de moyens tirés de la Convention correspondant aux griefs qu’ils soulèvent devant la Cour. Partant, elle estime que les requêtes sont irrecevables pour non épuisement des voies de recours internes et qu’elles doivent être rejetées en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DU FAIT DE L’INTERVENTION LÉGISLATIVE

52. Les requérants allèguent que par l’adoption de l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010, le législateur est intervenu afin de modifier l’issue des procédures auxquelles l’État était partie, rompant ainsi l’égalité des armes. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

53. S’agissant des requêtes nos 23542/13, 32194/13, 39165/13, 39173/13, 39180/13, 39184/13, 49923/13 et 57424/13, 76512/13, 76527/13, 76519/13, 76530/13, 46862/14 et 46819/14 (paragraphe 27 ci-dessus), le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour décider si, en ne formant pas de pourvoi en cassation, les requérants ont épuisé les voies de recours internes.

54. Les requérants invitent la Cour à déclarer les requêtes précitées recevables au motif qu’un éventuel pourvoi porté devant la Cour de cassation aurait été vain compte tenu des arrêts rendus par cette juridiction les 22 septembre 2011 (paragraphe 21 ci-dessus) et 16 février 2012 (paragraphe 26 ci-dessus).

55. Eu égard à l’autorité de la Cour de cassation dans le système juridictionnel français, ainsi qu’à la nature des arrêts précités, la Cour estime que, dans un tel contexte juridique, les requérants pouvaient légitimement déduire de la jurisprudence que dans leurs espèces, un pourvoi en cassation devant cette même instance eût été voué à l’échec.

56. Par conséquent, constatant que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable pour les requêtes citées au paragraphe 53 ci-dessus, ainsi que pour toutes les autres, à l’exception de celles mentionnées aux paragraphes 30 et 31 ci‑dessus (voir, paragraphes 49 à 51 ci-dessus).

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

57. Les requérants estiment que la loi litigieuse a été adoptée à un moment crucial de la procédure, soit juste avant le déroulement de la première instance en cassation. Cette situation a permis à l’URSSAF de s’appuyer dans son mémoire en défense sur l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 pour conforter sa position et alléguer le caractère interprétatif de ce dernier, et, au conseiller rapporteur de proposer la non‑admission sur cette base ainsi que sur la décision du Conseil constitutionnel. Les requérants soulignent que les termes du débat n’étaient pourtant pas fixés : si le jugement de première instance et l’arrêt d’appel étaient défavorables dans la première procédure, des jugements et un arrêt d’appel indiquaient que le domicile des personnes âgées dépendantes s’entend également d’une chambre en EHPAD (paragraphe 46 ci-dessus). Ils dénoncent le fait que la Cour de cassation, qui devait se prononcer sur la question de principe, a ainsi rejeté le premier pourvoi en employant les termes de la loi du 20 décembre 2010, ce qui a conduit également à l’infirmation d’un jugement favorable à l’un d’entre eux (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) après l’arrêt rendu le 22 septembre 2011.

58. Les requérants affirment que la Cour condamne un tel procédé : lorsqu’une loi de validation est votée au moment où le procès est sur le point de trouver son issue, il y a atteinte au droit à un procès équitable, à l’indépendance des tribunaux et à l’égalité des armes (Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis c. Grèce, 9 décembre 1994, série A no 301‑B et Papageorgiou c. Grèce, 22 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI).

59. Les requérants déduisent de ce qui précède que la loi a purement et simplement entériné la position de l’État dans le cadre des procédures diligentées contre l’URSSAF et toujours pendantes devant les juridictions.

60. Ils considèrent également que la loi litigieuse n’est pas intervenue pour interpréter les versions précédentes de l’article L. 241-10 du CSS ni confirmer une intention initiale du législateur, mais seulement pour des considérations financières, qui ne constituent pas un motif impérieux d’intérêt général. Selon les requérants, la loi de 2009 portant réforme de l’hôpital (paragraphe 13 ci-dessus), la charte des droits et libertés de la personne en situation de dépendance ou handicap (paragraphe 34 ci-dessus), l’arrêt de la cour d’appel de Pau du 18 décembre 2008 (paragraphe 46 ci‑dessus) et les débats parlementaires (paragraphe 45 ci-dessus) reconnaissent que l’EHPAD est le domicile d’une personne âgée ou dépendante. Ils considèrent qu’ils étaient légitimes à demander le bénéfice de l’exonération litigieuse et que, dès lors, l’intervention législative visait uniquement à mettre fin aux instances judiciaires en cours.

61. Les requérants soutiennent encore que la demande d’exonération des charges patronales est indispensable au bon fonctionnement de leur établissement. Ils indiquent bénéficier, en tant qu’EHPAD publics habilités au titre de l’aide sociale, de tarifs fixés par les collectivités publiques beaucoup moins élevés que dans les structures privées. Ils soulignent que l’article L. 241-10 III ne pose pas comme condition du bénéfice de l’exonération l’absence de financement public et que les structures visées par cet article bénéficient aussi de subventions publiques.

b) Le Gouvernement

62. Le Gouvernement considère tout d’abord que le stade de la procédure auquel la modification législative est intervenue, à savoir à la suite de l’arrêt d’appel déboutant le premier requérant de sa demande de remboursement (paragraphe 14 ci-dessus), ne pose pas de problème au regard du principe d’égalité des armes. Cette situation est différente des faits de l’affaire Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis précitée dans laquelle l’ingérence législative était intervenue alors que l’État et les requérants étaient engagés dans un litige depuis neuf ans et que les derniers disposaient d’un jugement définitif et exécutoire contre le premier.

63. Selon le Gouvernement, l’historique du dispositif de l’exonération fiscale en question (paragraphes 36 à 42 ci-dessus) et les travaux préparatoires de la loi litigieuse (paragraphe 45 ci-dessus) démontrent que l’article 14 a un caractère interprétatif et qu’il vise à entériner l’interprétation issue des versions précédentes du texte, à savoir favoriser le maintien des personnes âgées à leur domicile. Ce dispositif vise précisément à pallier le manque de places disponibles et accessibles financièrement en hébergement collectif.

64. Le Gouvernement se réfère en particulier à la décision du Conseil constitutionnel. Il souligne que ce dernier a rappelé que l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 avait pour seule finalité de confirmer l’interprétation faite du texte antérieur, selon laquelle l’exonération litigieuse ne s’applique qu’à la rémunération des aides à domicile intervenant au domicile privé des personnes âgées et handicapées.

65. Le Gouvernement indique encore que les décisions citées par les requérants comme allant dans leur sens ne traduisent pas l’état de la jurisprudence sur la question soulevée. Il produit des décisions rendues avant la loi du 20 décembre 2010, selon lesquelles le domicile visé par l’article L. 241-10 III doit s’entendre comme le domicile personnel (paragraphe 47 ci-dessus).

66. Le Gouvernement conclut que le législateur avait pour objectif de favoriser le maintien des personnes âgées dépendantes à domicile et qu’il poursuivait ainsi un motif d’intérêt général au sens de la jurisprudence de la Cour.

2. Appréciation de la Cour

67. La Cour rappelle que si, en principe, le pouvoir législatif n’est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de la prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l’article 6 s’opposent, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice dans le but d’influer sur le dénouement judiciaire d’un litige (arrêts Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis précité, § 49, Zielinski et Pradal & Gonzalez et autres précité, § 57). La Cour rappelle en outre que l’exigence de l’égalité des armes implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse (voir notamment les arrêts Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas du 27 octobre 1993, § 33, série A no 274, et Raffineries grecques Stran et Stratis Andreadis, précité, § 46).

68. La Cour est amenée à se prononcer sur la question de savoir si l’intervention de la loi du 20 décembre 2010 a porté atteinte au caractère équitable des procédures, et à l’égalité des armes, en modifiant, en cours d’instance, l’issue de celles-ci.

69. La Cour note que la loi du 20 décembre 2010 a été promulguée alors qu’aucune décision n’avait été encore rendue par la Cour de cassation mais que plusieurs instances étaient pendantes devant les tribunaux des affaires de sécurité sociale et devant les cours d’appel. L’article 14 de cette loi, en remplaçant les mots « chez les » par les mots « au domicile à usage privatif » était ainsi de nature à réduire les chances des requérants, en tant que structures collectives, d’obtenir satisfaction dans leurs actions contre l’URSSAF. Les autorités de l’État ont indiqué que l’adoption de l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 devait clarifier l’article L. 241-10 III du CSS, cette clarification visant « à prévenir tout litige » (paragraphe 45 ci-dessus).

70. Cela étant, la Cour constate que, à la date de l’adoption de la disposition législative litigieuse, à l’exception d’un seul requérant (paragraphe 34 ci-dessus), aucun des intéressés n’avait obtenu de jugement leur reconnaissant le droit à un remboursement de la cotisation litigieuse. De plus, seules quelques décisions isolées de première instance et un unique arrêt de cour d’appel (paragraphe 46 ci-dessus), avaient reconnu qu’une structure collective d’hébergement de personnes âgées constituait pour ses résidents leur domicile au sens de l’alinéa III de l’article L. 241-10 du CSS et ouvrait ainsi droit au bénéfice de l’exonération pour les rémunérations des salariés intervenant dans ces structures. Enfin, la Cour observe que l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 avait pour but, officiellement reconnu, de préciser que le dispositif d’exonération était destiné à favoriser l’aide à domicile pour les personnes âgées continuant de vivre chez elles. La Cour estime dès lors que la question se pose de savoir si, avant la loi nouvelle, les requérants pouvaient de façon convaincante prétendre que les salariés des structures d’hébergement collectif de personnes âgées ou dépendantes entraient dans le champ d’application de l’exonération, et obtenir le remboursement des cotisations en cause.

71. Elle souligne à cet égard que l’historique du dispositif d’aide au maintien des personnes âgées à leur domicile et les débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi du 20 décembre 2010 démontrent que son article 14 ne visait pas à prendre position en faveur de l’URSSAF ni à corriger une interprétation du texte qui aurait été favorable aux requérants. Les raisons avancées par les autorités publiques au cours des travaux parlementaires soulignent très clairement la nécessité de remédier à une faille technique du droit mis en évidence par le contentieux, afin de réaffirmer l’intention initiale du législateur quant au mécanisme d’exonération sociale dans le secteur des services à la personne. Il ressort ainsi de ces débats que les requérants ne pouvaient escompter bénéficier de ce mécanisme conçu dès l’origine pour que les personnes âgées ne quittent pas leur domicile privatif. Il en résulte notamment assez précisément que les EHPAD, à la différence des foyers-logements, n’avaient pas vocation à entrer dans le champ d’application de l’exonération prévue à l’alinéa III de l’article L. 241-10 III du CSS (paragraphe 45 ci-dessus, voir, également paragraphes 22 et 42 ci-dessus). Enfin, le Conseil constitutionnel a considéré que l’objet de l’exonération litigieuse était de favoriser le maintien à domicile de personnes en état de dépendance, et que l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010, en précisant qu’elle n’était applicable qu’à la rémunération des tâches effectuées au domicile privatif de ces personnes, ne faisait que rappeler cet objet.

72. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que le but de l’intervention législative était de clarifier, par une rédaction plus explicite, le sens de l’article L. 241-10 III du CSS, et de restituer et réaffirmer la volonté initiale du législateur d’exonérer des cotisations patronales les rémunérations des aides au domicile d’origine des personnes dépendantes dans le but de maintenir leur autonomie au sein de leur foyer personnel. La Cour considère dès lors que les requérants ne peuvent valablement invoquer la possibilité, dans le cadre d’une procédure, de se prévaloir d’un « droit » techniquement imparfait sans que, au nom du respect de l’équité de la procédure, le législateur puisse intervenir pour préciser les conditions de ce droit et ses limites (mutatis mutandis, OGIS-Institut Stanislas, OGEC Saint-Pie X et Blanche de Castille et autres c. France, nos 42219/98 et 54563/00, § 69, 27 mai 2004). Elle note à cet égard que les débats parlementaires insistent sur le fait que les requérants ont tenté de détourner l’esprit de la loi (paragraphe 45 ci-dessus) et en déduit qu’ils ne pouvaient exclure que le législateur intervienne pour préciser les conditions de remboursement des cotisations litigieuses (mutatis mutandis, National & Provincial Building Society, Leeds Permanent Building Society et Yorkshire Building Society c. Royaume-Uni, 23 octobre 1997, § 109, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII).

73. En conclusion, la Cour partage l’avis du Gouvernement selon lequel l’intervention du législateur était prévisible et répondait à une impérieuse justification d’intérêt général. Elle conclut dès lors que les requérants ne peuvent pas se plaindre d’une atteinte à leur droit à un procès équitable.

74. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION DU FAIT DE LA MOTIVATION DES ARRÊTS DE LA COUR DE CASSATION (Requêtes nos 18096/12 et 53601/12)

75. Les requérants dénoncent une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison du défaut de motivation des arrêts rendus par la Cour de cassation les 22 septembre 2011 et 16 février 2012.

76. La question posée par la Cour aux parties était la suivante :

« Les contestations sur les droits de caractère civil des requérants dans les requêtes nos 18096/12 et 53601/12 ont-elles été entendues équitablement par la Cour de cassation, comme l’exige l’article 6 § 1 de la Convention ? En particulier, le droit de ces requérants à un examen effectif de leurs moyens, ainsi qu’à une réponse motivée à leurs moyens essentiels, a-t-il été respecté ? »

A. Sur la recevabilité

77. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

78. Le requérant de la requête no 18096/12 dénonce la motivation lacunaire de l’arrêt du 22 septembre 2011. Il indique qu’elle crée une confusion puisque la Cour de cassation se fonde sur l’article L. 241-10 du CSS dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de la loi de 2010 tout en employant les termes de la nouvelle loi sans s’y référer. Il déplore l’absence de réponse à son argument tiré de l’incompatibilité de l’intervention législative avec l’article 6 de la Convention, alors que la Cour de cassation était amenée à statuer sur la question litigieuse pour la première fois et que des centaines de litiges étaient pendants. Il rappelle que la violation de la Convention a été soulevée devant la Cour de cassation dans son mémoire en réplique puisque la loi litigieuse est intervenue après le dépôt de son mémoire ampliatif et avant que l’URSSAF et le conseiller rapporteur soumettent respectivement leur mémoire et rapport.

79. Le requérant de la requête no 53601/12, précise qu’il ne se plaint pas de la conformité de la procédure de non admission des pourvois en cassation avec l’article 6 § 1 de la Convention. Son grief a trait à l’absence de motivation à laquelle l’usage de cette procédure a conduit dans son cas : la Cour de cassation s’est retranchée derrière son arrêt de principe du 22 septembre 2011 alors que ce dernier ne contient aucune motivation sur la compatibilité de l’application rétroactive de l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 avec la Convention.

b) Le Gouvernement

80. Le Gouvernement ne répond pas à la question posée s’agissant de la requête no 18096/12.

81. Quant à l’arrêt de non-admission rendu par la Cour dans la requête no 53601/12, il rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle la Cour de cassation ne manque pas à son obligation de motivation lorsqu’elle se fonde sur une disposition légale spécifique pour écarter un pourvoi comme dépourvu de chance de succès (Burg et autres c. France (déc.), no 34763/02, CEDH 2003‑II). Le Gouvernement indique en tout état de cause que le requérant était en mesure de comprendre les motifs de la non-admission de son pourvoi puisque le rapport du conseiller rapporteur fait référence à la motivation de l’arrêt de principe rendu le 22 septembre 2011 dans la requête no 18096/12. Ce rapport démontre au demeurant que les moyens soulevés par le requérant ont fait l’objet d’un examen effectif de la Cour de cassation.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes applicables

82. La Cour a déjà jugé à maintes reprises que la procédure préalable d’admission des pourvois en cassation est, en soi, conforme aux dispositions de l’article 6 de la Convention, et qu’elle ne contrevient pas, notamment à l’obligation de motivation qui en découle (voir, par exemple, Viard c. France, no 71658/10, § 31, 9 janvier 2014). La Cour rappelle que, devant la Cour de cassation, lorsqu’il est fait application de la procédure de non‑admission, les parties reçoivent avant l’audience une copie de l’avis de non-admission établi par le rapporteur et que ce document indique les motifs pour lesquels les moyens à l’appui du pourvoi ne sont pas de nature à entraîner la cassation de l’arrêt attaqué. Cette transmission de l’avis de non‑admission permet d’assurer l’exigence de motivation (Magnin c. France (déc.), no 26219/08, 10 mai 2012).

83. La Cour rappelle également que le droit à un procès équitable ne peut passer pour effectif que si les demandes et les observations des parties sont vraiment « entendues », c’est-à-dire dûment examinées par le tribunal saisi. Autrement dit, l’article 6 implique à la charge du « tribunal » l’obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence (Van de Hurk c. Pays-Bas, 19 avril 1994, § 59, série A no 288, Tourisme d’affaires c. France, no 17814/10, § 25, 16 février 2012).

84. À ce titre, l’article 6 § 1 oblige les tribunaux à motiver leurs décisions, mais il ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument. L’étendue de ce devoir peut varier selon la nature de la décision. Il faut, en outre, tenir compte notamment de la diversité de moyens qu’un plaideur peut soulever en justice et des différences dans les États contractants en matière de dispositions légales, coutumes, conceptions doctrinales, présentation et rédaction des jugements et arrêts. C’est pourquoi la question de savoir si un tribunal a manqué à son obligation de motiver découlant de l’article 6 de la Convention ne peut s’analyser qu’à la lumière des circonstances de l’espèce (Tourisme d’affaires, précité, § 26).

85. Enfin, la Cour rappelle que les tribunaux doivent examiner avec rigueur les moyens ayant trait aux « droits et libertés » garantis par la Convention dont ils sont saisis. Il s’agit là d’un corollaire du principe de subsidiarité (Fabris c. France [GC], no 16574/08, § 72, CEDH 2013 (extraits), Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 96, 28 juin 2007, Magnin, précité).

b) Application en l’espèce

86. S’agissant de la requête no 18096/12, la Cour observe que le pourvoi, dirigé contre l’arrêt de la cour d’appel du 8 juin 2010, tel que formulé par les moyens du mémoire ampliatif du requérant, avait pour objet l’interprétation de la loi dans sa version antérieure à la loi du 20 décembre 2010 qui n’était pas encore promulguée. La Cour de cassation n’était donc pas saisie de cette loi, même si l’URSSAF et le requérant en ont débattu dans leurs écritures ultérieures. Cela a conduit la haute juridiction à refuser de suivre son conseiller rapporteur, qui faisait valoir que l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010 réglait le problème d’interprétation posé par le requérant et proposait, en conséquence, d’écarter son moyen de cassation comme « inopérant », afin de déclarer le pourvoi non admis. Ce faisant, la Cour de cassation a indiqué de la façon la plus nette qu’elle ne statuait pas sur le fondement de la loi nouvelle. La Cour estime que cette analyse n’est pas remise en cause par le fait que l’arrêt du 22 septembre 2011 a utilisé le terme « privatif » contenu dans l’article 14 de la loi du 20 décembre 2010, ce mot étant particulièrement adapté pour exprimer, comme le voulait cette décision, que ne pouvait être prise en compte une résidence collective. La Cour retient donc qu’il a été jugé, par l’arrêt du 22 septembre 2011, que l’interprétation de l’article L. 241-10 III, dans sa version applicable aux faits de l’espèce, ne permettait pas aux établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes d’obtenir le remboursement des cotisations qu’ils sollicitaient.

87. S’agissant de la requête no 53601/12, la Cour constate que les moyens du pourvoi formé contre l’arrêt de la cour d’appel du 23 décembre 2010 soutenaient également que l’article L. 241-10 III du CSS devait être interprété dans sa version antérieure à la loi du 20 décembre 2010. Or, c’est précisément ce qu’avait fait la Cour de cassation par son arrêt du 20 septembre 2011, à l’occasion du premier pourvoi. C’est pourquoi, contrairement au premier pourvoi, la Cour de cassation a suivi l’orientation de son conseiller rapporteur, qui, soulignant que l’objet du pourvoi avait été réglé par cet arrêt, avait proposé de déclarer ce second pourvoi non admis.

88. Il résulte de ces éléments que les deux requérants, qui soutenaient que l’article L. 241-10-III du code de la sécurité sociale, interprété dans sa version antérieure à la loi du 20 décembre 2010, leur donnaient le droit à bénéficier du remboursement de certaines cotisations, ont reçu une réponse claire et négative de la Cour de cassation.

89. Eu égard à ce qui précède, et dès lors qu’il n’est pas contesté que les avocats aux Conseils qui représentaient les requérants devant la Cour de cassation ont dûment reçu les fiches de non-admission des pourvois pour absence de moyens sérieux, la Cour conclut que cette juridiction n’a pas manqué à l’obligation de motiver qui découle de l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de cette disposition.

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 1er DU PROTOCOLE No 1

90. Les requérants se plaignent d’une différence de traitement entre les organismes employant des aides à la personne fondée sur la notion de « domicile ». En particulier, ils font valoir que la différence de traitement avec les foyers-logements, qui bénéficient de l’exonération alors qu’ils constituent aussi des structures d’hébergement collectif, ne repose sur aucune justification objective et raisonnable. Ils invoquent l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no1 ainsi libellés :

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 1 du Protocole no 1

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Thèses des parties

1. Sur la recevabilité

a) Le Gouvernement

91. S’agissant des requêtes mentionnées au paragraphe 27 ci-dessus, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour pour ce qui est de l’épuisement des voies de recours internes du grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1. En outre, pour le restant des requêtes, à l’exception de la requête no 30287/14 (paragraphe 29 ci-dessus) et des requêtes déclarées irrecevables au paragraphe 51 ci-dessus, le Gouvernement soutient que le grief n’a pas été invoqué par les requérants devant la Cour de cassation. En conséquence, il demande le rejet de celui-ci pour non-épuisement des voies de recours internes.

92. Le Gouvernement soutient également que l’article 14 de la Convention n’est pas applicable car les faits de l’espèce ne tombent pas sous l’empire de l’article 1 du Protocole no 1, les requérants ne disposant pas d’un « bien » au sens de cette disposition. Il indique que les requérants ne disposaient d’aucun droit au bénéfice de l’exonération litigieuse ni d’aucune « espérance légitime ». D’une part, les dispositions en vigueur lors de la saisine des tribunaux étaient suffisamment claires en ce qui concerne les personnes concernées par le dispositif d’exonération. D’autre part, les requérants, pour la plupart, avaient été déboutés de leurs demandes par les juges du fond.

b) Les requérants

93. Les requérants soutiennent qu’il aurait été vain de soulever le grief devant la Cour de cassation dès lors que le Conseil constitutionnel s’était déjà prononcé sur le principe d’égalité de traitement concernant l’exonération des cotisations concernées. Dans la requête no 18096/12, le requérant souligne que la loi est intervenue en cours d’instance devant la Cour de cassation, qu’il a soulevé l’article 6 de la Convention, sans qu’il n’obtienne de motivation sur ce point, et qu’il n’avait pas le temps de penser à soulever un autre fondement juridique.

94. Les requérants considèrent qu’ils avaient une créance suffisamment établie en droit interne pour être considérée comme une valeur patrimoniale au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Ils se réfèrent à leur argumentation précédente (paragraphe 60 ci-dessus) et à l’arrêt de la cour d’appel de Pau du 18 décembre 2008 (paragraphe 46 ci-dessus).

2. Sur le fond

95. Les requérants font valoir qu’ils se trouvent dans une situation comparable à celle des foyers-logements. Les prestations délivrées au titre de l’aide à domicile sont identiques, que celles-ci soient à destination de personnes accueillies dans des foyers-logement, foyers médicalisés ou dans des maisons de retraite. De même, l’EHPAD comporte des locaux privatifs, les résidents disposant de leur propre chambre, et des locaux communs. De plus, les résidents dans les foyers-logements signent un contrat de résidence qui, à l’instar des contrats de séjour dans les autres structures, sont des contrats « sui generis ». En outre, tout comme la résidence en foyer logement, celle de l’EHPAD ouvre droit à perception de l’aide personnalisée au logement. S’agissant de la requête no 30287/14, la requérante fait valoir que l’association constitue le nouveau logement des personnes handicapées et que « le domicile figurant sur la carte électorale des résidents est l’adresse de l’EHPAD ».

96. Les requérants considèrent que la différence de traitement fondée sur des considérations liées à la notion de domicile des personnes âgées ne repose sur aucune justification objective et raisonnable. En particulier, ils soulignent que l’exonération avait pour but de favoriser l’emploi des services à la personne et d’alléger la charge financière pesant sur les personnes âgées. Or, en refusant le bénéfice de l’exonération aux EHPAD, cette situation discriminatoire se répercute sur la charge financière pesant sur ces personnes.

97. Le Gouvernement souligne la différence entre les EHPAD et les foyers-logements, qui ne se trouvent pas dans une situation comparable, ce qui justifie une différence de traitement :

- les foyers-logements sont des logements à usage privatif avec services collectifs dont l’usage est facultatif alors que les EHPAD sont des structures collectives d’hébergement ;

- les premiers sont soumis au code de l’action sociale et des familles en tant que structures sociales alors que les seconds sont soumis au code de la sécurité sociale ;

- les foyers-logements reçoivent des salariés de l’extérieur dans le but de maintenir l’autonomie des personnes concernées au sein du foyer tandis que les EHPAD hébergent et assurent toutes les prestations nécessaires à la survie des personnes âgées ;

- les prestations d’aides ou de soins à domicile sont réalisées dans les foyers par des intervenants extérieurs pris en charge par les personnes âgées elles-mêmes soit directement, soit par le recours d’un service d’aide à domicile. Dans les EHPAD, les résidents bénéficient de prestations hôtelières mais aussi de matériels et de mobiliers permettant la prise en charge de la dépendance ainsi que d’un personnel qualifié ;

- les personnes hébergées dans les EHPAD signent un contrat de séjour tandis que les personnes dans les foyers sont locataires de leur logement.

98. S’agissant de la requête no 30287/14, le Gouvernement relève que la requérante ne présente pas une argumentation spécifique au foyer d’accueil médicalisé des personnes handicapées et qu’elle reprend pour l’essentiel sa motivation sur les EHPAD. En tout état de cause, il précise que les foyers‑logements et les foyers médicalisés ne se trouvent pas dans une situation comparable. Les seconds sont des structures collectives d’hébergement et ont pour objet d’accueillir les personnes gravement handicapées ayant besoin d’un logement permanent pour effectuer la plupart des actes essentiels de la vie courante et recevoir une surveillance médicale et des soins constants. Ils sont des établissements sociaux ou médico-sociaux officiellement reconnus par le code de l’action sociale et des familles.

99. En tout état de cause, le Gouvernement estime que la distinction opérée entre les bénéficiaires de l’exonération poursuit le but légitime de favoriser le maintien à domicile des personnes âgées et se justifie par le fait que les charges de personnel des EHPAD et des foyers médicalisés font déjà l’objet de financements publics. Leur accorder l’exonération conduirait ces structures à cumuler deux financements publics pour couvrir les dépenses de personnel.

B. Appréciation de la Cour

100. La Cour constate que le mémoire ampliatif du requérant, dans la requête no 53601/12, ne contenait pas de moyen tiré des articles 1 du Protocole no 1 et 14 de la Convention. Dans ces conditions, la Cour de cassation n’ayant pas apprécié ce grief faute d’en être saisie, la Cour estime que les requérants cités au paragraphe 27 ci-dessus ne peuvent se prévaloir de l’arrêt de non-admission rendue par la Cour de cassation dans cette affaire pour justifier le fait qu’elles n’ont pas formé de pourvoi en cassation devant cette instance. La Cour observe également, avec le Gouvernement, qu’à l’exception de la requérante dans la requête no 30287/14, aucun des intéressés n’a soulevé ni explicitement ni en substance devant la Cour de cassation la violation de l’article 14 combiné avec l’article 1 du protocole no 1 qu’ils invoquent maintenant devant la Cour. Ce constat a déjà été fait pour trois requêtes (paragraphe 51 ci-dessus). En conséquence, pour tous les autres requérants, à l’exception de la requête no 30287/14, ce grief est irrecevable et doit être rejeté pour non épuisement des voies de recours internes conformément à l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

101. S’agissant de la requête no 30287/14, la Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, l’article 14 de la Convention complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante, puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses (voir, parmi beaucoup d’autres, Fabris, précité, § 47).

102. Dans des cas où, comme en l’espèce, un requérant formule sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 un grief aux termes duquel il a été privé, en tout ou en partie et pour un motif discriminatoire visé à l’article 14, d’une valeur patrimoniale, le critère pertinent consiste à rechercher si, n’eût été ce motif discriminatoire, l’intéressé aurait eu un droit, sanctionnable par les tribunaux internes, sur cette valeur patrimoniale (voir, mutatis mutandis, Stec et autres c. Royaume‑Uni (déc.) [GC], nos [65731/01](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2265731/01%22%5D%7D) et [65900/01](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2265900/01%22%5D%7D), § 55, CEDH 2005‑X ; Fabris, précité, § 52).

103. La Cour rappelle qu’une différence de traitement ne pourra soulever un problème du point de vue de l’interdiction de la discrimination telle que prévue à l’article 14 de la Convention que si les personnes soumises à des traitements différents se trouvent dans des situations comparables, compte tenu des éléments caractéristiques de leur situation dans le contexte donné (Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 121, 5 septembre 2017, D.H. et autres c. République tchèque [GC], no [57325/00](https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2257325/00%22%5D%7D), § 175, CEDH 2007-IV). Les éléments qui caractérisent des situations différentes et déterminent leur comparabilité doivent être appréciés à la lumière du domaine concerné et de la finalité de la mesure qui opère la distinction en cause (Fabian, précité, § 121). Une telle distinction est discriminatoire si elle manque de justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Par ailleurs, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement ; cette marge est d’ordinaire ample lorsqu’il s’agit de prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale (Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, §§ 51-52, CEDH 2006‑VI).

104. À supposer que la requérante puisse se prétendre titulaire d’un « bien », qui rend l’article 14 de la Convention applicable à l’espèce, et que le motif discriminatoire qu’elle invoque constitue « une autre situation » au sens de cette disposition, la Cour estime en tout état de cause que le grief doit être rejeté pour défaut manifestement de fondement pour la raison suivante. La Cour relève que le TASS et la cour d’appel ont établi la différence entre un foyer médicalisé et un foyer-logement, en soulignant que le contrat de séjour signé par les personnes hébergées dans le premier est exclusif d’un maintien à domicile proprement dit (paragraphe 29 ci-dessus). Elle note que le Gouvernement confirme que les foyers médicalisés ne sont pas des structures d’hébergement à usage privatif comme le sont les foyers‑logements. Dans ces conditions, et compte tenu du peu d’éléments apportés par la requérante pour justifier qu’elle se trouve dans une situation analogue ou comparable aux structures bénéficiant de l’exonération, la Cour considère que tel n’est pas le cas. Partant, le grief est irrecevable et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare les requêtes nos 59003/13, 68916/13 et 5485/14 irrecevables, et les vingt-et-une autres requêtes recevables quant au grief relatif à l’interférence législative et irrecevables quant au grief tiré de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 ;

3. Déclare les requêtes nos 18096/12 et 53601/12 recevables quant au grief relatif à la motivation de la Cour de cassation ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention s’agissant de l’interférence législative ;

5. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention s’agissant de la motivation des arrêts de la Cour de cassation des 22 septembre 2011 et 16 février 2012.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 novembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente

ANNEXE

|

No de requête

|

Introduite le

|

Requérant

Lieu de résidence

---|---|---|---

1.
|

18096/12

|

20/03/2012

|

HÔPITAL LOCAL SAINT-PIERRE D’OLERON

17310 Saint-Pierre-d’Oléron

2.
|

53601/12

|

14/08/2012

|

MAISON DE RETRAITE LE BON ACCUEIL

01150 Lagnieu

3.
|

23542/13

|

25/03/2013

|

HÔPITAL LOCAL DES MEES

04190 Les Mees

4.
|

32194/13

|

15/03/2013

|

MAISON DE RETRAITE CHAMPDIEU

42600 Champdieu

5.
|

39165/13

|

15/04/2013

|

MAISON DE RETRAITE RENÉ ANDRIEU

47150 Monflanquin

6.
|

39173/13

|

15/04/2013

|

MAISON DE RETRAITE CORDELIERS

03130 Le Donjon

7.
|

39180/13

|

15/04/2013

|

MAISON DE RETRAITE RÉSIDENCE D’EAWY SAINT SAENS

76680 Saint Saens

8.
|

39184/13

|

15/04/2013

|

MAISON DE RETRAITE DE L’HORTHUS

34270 Claret

9.
|

49923/13

|

31/07/2013

|

MAISON DE RETRAITE LES OLIVIERS

34360 Saint Chinian

10.
|

57424/13

|

31/07/2013

|

MAISON DE RETRAITE DE STEENBECQUE

59189 Steenbecque

11.
|

58995/13

|

12/09/2013

|

HÔPITAL LOCAL DE SAINT-FELICIEN

07410 Saint-Félicien

12.
|

59003/13

|

13/09/2013

|

HÔPITAL LOCAL DE VIC-FEZENSAC

32190 Vic-Fezensac

13.
|

68908/13

|

29/10/2013

|

HÔPITAL LOCAL DIEULEFIT

26220 Dieulefit

14.
|

68916/13

|

24/10/2013

|

CENTRE COMMUNAL D’ACTION SOCIALE DE PLESSALA (CCAS)

22330 Plessala

15.
|

68918/13

|

29/10/2013

|

FONDATION LES VILLAGES DE SANTÉ ET D’HOSPITALISATION EN ALTITUDE (VSHA)

74730 Passy

16.
|

76512/13

|

27/11/2013

|

CENTRE COMMUNAL DE L’ACTION SOCIALE NEZIGNAN L’EVEQUE

34120 Nézignan L’Evêque

17.
|

76519/13

|

27/11/2013

|

HÔPITAL LOCAL DE MURAT

15300 Murat

18.
|

76527/13

|

27/11/2013

|

CENTRE COMMUNAL D’ACTION SOCIALE D’UGINE

73400 Ugine

19.
|

76530/13

|

27/11/2013

|

MAISON DE RETRAITE LIEVIN PETITPREZ

59190 Morbecque

20.
|

5485/14

|

11/01/2014

|

EHPAD DE LALOUVESC

07520 Lalouvesc

21.
|

23544/14

|

19/03/2014

|

MAISON DE RETRAITE LA MERIDIENNE

92390 Villeneuve- la-Garenne

22.
|

30287/14

|

10/04/2014

|

ADAPEI 35

35044 Rennes

23.
|

46819/14

|

19/06/2014

|

CENTRE HOSPITALIER LOUIS JAILLON DE SAINT CLAUDE

39200 Saint-Claude

24.
|

46862/14

|

19/06/2014

|

CENTRE HOSPITALIER INTERCOMMUNAL PIERRE FUTIN D’ORGELET

39270 Orgelet


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