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23/10/2018 | CEDH | N°001-187492

CEDH | CEDH, AFFAIRE SAGAN c. UKRAINE, 2018, 001-187492


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SAGAN c. UKRAINE

(Requête no 60010/08)

ARRÊT

STRASBOURG

23 octobre 2018

DÉFINITIF

23/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sagan c. Ukraine,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanel

la Motoc,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 ...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE SAGAN c. UKRAINE

(Requête no 60010/08)

ARRÊT

STRASBOURG

23 octobre 2018

DÉFINITIF

23/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sagan c. Ukraine,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Paulo Pinto de Albuquerque, président,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Egidijus Kūris,
Iulia Antoanella Motoc,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 octobre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60010/08) dirigée contre l’Ukraine et dont une ressortissante, Mme Valentyna Vasylivna Sagan (« la requérante »), a saisi la Cour le 25 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. I. Lishchyna, du ministère de la Justice. Quant à la requérante, elle a été autorisée à assurer elle-même la défense de ses intérêts devant la Cour (article 36 § 2 du règlement).

3. La requérante allègue en particulier que son éviction de l’appartement qui avait été mis à sa disposition et à celle de son mari en 1979 par le lycée qui les employait, l’intrusion dans celui-ci en-dehors de sa présence et la disparition et la destruction de biens qui s’y trouvaient emportent violation de l’article 8 de la Convention. Elle dénonce également une violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

4. Le 8 septembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1956 et réside à Llutxent.

A. La genèse de l’affaire

6. En 1979, le lycée public d’enseignement professionnel no 7 de Khorostkiv (Хоростківське СПТУ no 7 ; ci-après « le lycée »), qui employait la requérante et son mari, mit un appartement d’une pièce à leur disposition (ci-après « le premier appartement »).

7. En mars 1992, l’administration locale de Khorostkiv alloua à la famille de la requérante un droit d’occupation et de jouissance pour une durée indéterminée (ордер) d’un autre appartement de trois pièces, de 37,26 m², figurant à l’actif du bilan du lycée (ci-après « le second appartement »). La famille était alors composée de la requérante, de son mari et de leurs deux enfants. En raison notamment de perturbations de la distribution d’eau dans le nouvel appartement, la famille continua, pendant trois ans environ, d’occuper le premier appartement. Jugeant le second appartement trop petit pour accueillir toute la famille, la requérante et son mari décidèrent d’y loger leurs deux enfants et de rester eux-mêmes dans le premier appartement. La requérante précise que la surface du second appartement ne correspondait pas à ce à quoi sa famille avait droit eu égard aux normes applicables.

8. La requérante et son mari démissionnèrent du lycée en 2002 et 2005 respectivement, mais continuèrent à résider dans le premier appartement.

9. Par la suite, la requérante et son mari partirent à l’étranger pour des raisons professionnelles. Ils confièrent les clés à une voisine, M.Y., qu’ils mandatèrent pour surveiller le premier appartement pendant leur absence et qu’ils autorisèrent à y entrer à tout moment. Ils y logeaient lors de leurs séjours en Ukraine, où ils revenaient une fois par an.

10. En août 2006, deux employés du lycée, V.T. et I.P., demandèrent chacun au syndicat d’administration du lycée de leur accorder l’usage d’un appartement. Lors de sa réunion du 30 janvier 2007, le comité syndical accueillit la demande d’I.P. Il décida en outre de former une commission composée du directeur du lycée, de l’inspecteur de police de quartier, d’un élu et d’un représentant du conseil local afin de dresser l’inventaire des biens qui se trouvaient dans le premier appartement, de les transporter dans une pièce du lycée et de les y placer sous clef. Ces décisions furent transcrites dans le procès-verbal no 7.

B. L’intervention dans le premier appartement

11. Le 22 février 2007, en l’absence de la requérante et de son mari, qui se trouvaient à l’étranger, un groupe dirigé par Ch., le directeur du lycée (devenu entre-temps le lycée agricole de Khorostkiv), entra dans l’appartement après avoir forcé les serrures. Il ressort du jugement du tribunal de première instance prononcé dans le cadre de la procédure civile ultérieure, qu’outre Ch., le groupe était composé de N., l’inspecteur de police de quartier, de K., un élu du conseil local, de S., un représentant du conseil local, de M., l’adjoint-intendant du directeur du lycée, et de K., un membre du syndicat d’administration du lycée. Le Gouvernement indique que les biens qui se trouvaient dans l’appartement furent transportés dans une pièce du lycée où ils furent mis sous clef.

12. I.P. et sa famille s’installèrent dans le premier appartement. Les parties ne précisent pas à quelle date.

13. V.T., qui s’était vu refuser l’usage de l’appartement – et qui avait semble-t-il visité celui-ci en compagnie de M.Y. en janvier 2007 –, avait saisi d’une plainte le parquet de la région de Goussiatyne. Le 5 avril 2007, le procureur régional lui communiqua les résultats de la vérification qu’il avait effectuée. Il en ressortait que le comité syndical n’était pas compétent pour décider de son propre chef en la matière et que le procès-verbal no 7 n’était pas conforme à la législation. En effet, selon l’article 52 du code de l’habitat, la décision relative à l’octroi d’un logement relevait de la compétence conjointe du comité syndical et de l’administration de l’entreprise, de l’institution ou de l’établissement et devait en outre être approuvée par l’administration locale. Ensuite, selon l’article 109 § 1 du code de l’habitat, l’expulsion du logement ne pouvait avoir lieu que sur décision judiciaire, à l’exception des cas d’expulsion consentie. Le procureur en déduisit que l’expulsion de la famille de la requérante était illégale. Il indiqua en outre que l’octroi de l’usage du premier appartement à une autre personne n’était pas légalement possible avant qu’il eût été libéré par la famille de la requérante, selon les voies requises, observant à cet égard que l’expulsion n’avait pas été prononcée par un tribunal et que la famille de la requérante n’en avait pas été avisée par écrit.

14. La requérante et son mari avaient également déposé une plainte devant le parquet de la région de Ternopil (le 13 mars 2007), dans laquelle ils dénonçaient leur éviction du premier appartement. Cette plainte avait été transférée au parquet de Goussiatyne qui, d’après le Gouvernement, avait procédé à une enquête, recueillant notamment les explications du directeur du lycée, du président du syndicat d’administration du lycée, de M.Y., d’I.P. et de V.T. En mai 2007, le parquet introduisit une requête devant le tribunal de Goussiatyne visant à l’annulation du procès-verbal no 7 et à l’expulsion de la famille I.P. Le 8 juin 2007, le tribunal retourna la requête au parquet, considérant que le fait que la requérante et son mari résidaient à l’étranger ne constituait pas un motif justifiant que le parquet représentât leurs intérêts. Le parquet avait interjeté appel mais s’était ensuite désisté eu égard au retour de la requérante et de son mari en Ukraine.

15. La requérant et son mari rentrèrent en Ukraine en juillet 2007.

C. L’enquête policière

16. En septembre 2007, les affaires qui étaient restées dans le premier appartement furent brûlées ou jetées par le nouvel occupant, I.P. La requérante indique que, prévenus par M.Y. et des voisins, son mari et elle se rendirent sur place ; ils prirent des photographies de ce qui restait des affaires brulées et téléphonèrent immédiatement au département local de la police de Goussiatyne.

17. La requérante précise que les biens dont elle et son mari ont ainsi été privés comprenaient en particulier des livres, des journaux personnels et de la correspondance personnelle.

18. Le 11 septembre 2007, la requérante et son mari déposèrent une plainte. Ils dénonçaient le fait qu’I.P. avait détruit et jeté des biens leur appartenant qui se trouvaient dans le premier appartement. D’après le Gouvernement, le département local de la police de Goussiatyne (« le département de la police ») procéda à une enquête, recueillant notamment les dépositions de la requérante, de son mari, des personnes qui avaient participé à la commission susmentionnée, d’I.P., de V.P et de M.Y. Il décida le 13 septembre 2007 de ne pas introduire une action pénale, au motif que les éléments constitutifs de l’infraction prévue par l’article 185 du code pénal (vol) n’étaient pas réunis.

19. Le 7 novembre 2007, saisi par le mari de la requérante, le parquet de Goussiatyne annula cette décision et renvoya l’affaire au département de la police afin qu’il procédât à d’autres investigations. D’après le Gouvernement, il procéda en conséquence à l’audition du mari de la requérante, d’I.P. et de M.Y. Le 21 novembre 2007, le département de la police refusa de nouveau d’engager une procédure pénale, constatant que le premier appartement avait été accordé à I.P., et que la commission composée des représentants du lycée et de l’administration locale y était entrée après en avoir forcé la serrure, pour dresser l’inventaire des biens s’y trouvant et les mettre en dépôt dans le bâtiment du lycée. Après avoir souligné que ni bijoux en or ni devises étrangères n’y avaient été découverts, le département local de la police de Goussiatyne conclut que les éléments constitutifs des infractions prévues par les articles 162 (violation de domicile) et 185 du code pénal n’étaient pas réunis. Indiquant que les tribunaux civils étaient compétents en d’espèce, il précisa la voie procédurale civile à emprunter afin que l’affaire pût être examinée au fond.

20. Le 16 juin 2008, saisi par le mari de la requérante, le parquet de Goussiatyne annula cette décision et renvoya l’affaire au département de la police afin qu’il procédât à d’autres investigations. D’après le Gouvernement, I.P. et M.Y. furent une nouvelle fois entendus. Il ajoute que, le 27 juin 2008, pour le même motif que précédemment, le département local de la police de Goussiatyne refusa une nouvelle fois d’introduire une action pénale. La requérante indique que cette décision n’a pas été portée à sa connaissance.

D. La procédure civile

21. Le 20 octobre 2007, la requérante et son mari avaient entamé une procédure civile contre le lycée ainsi que contre I.P. et sa femme, aux fins de la restitution de leurs biens, de l’annulation du procès-verbal no 7, de leur réinstallation dans le premier appartement après l’expulsion d’I.P. et de sa famille, et de la réparation par le lycée du dommage moral qu’ils estimaient avoir subi. Ils invoquaient notamment l’article 30 de la Constitution ukrainienne. Ils soutenaient en outre que la perte des biens qui se trouvaient dans le premier appartement avait eu des conséquences négatives sur leurs relations avec leurs proches et sur l’organisation de leur vie.

1. Le jugement du tribunal de Goussiatyne du 21 mars 2008

22. Le 21 mars 2008, le tribunal de Goussiatyne (« le tribunal ») rejeta l’action de la requérante et de son mari. Il reconnut qu’il y avait eu intrusion dans le premier appartement mais indiqua que les fautifs étaient V.T. et M.Y., qui avaient forcé la serrure et avaient installé une nouvelle serrure. Il releva ensuite qu’au cours d’une réunion de l’administration du lycée et de son comité syndical, plutôt que du seul comité syndical comme indiqué dans le procès-verbal no 7, il avait été décidé d’octroyer un droit de libre jouissance à I.P. Il précisa qu’aux termes de ce procès-verbal, il avait été décidé par vote :

« (...) d’accorder la surface locative appartenant auparavant au [mari de la requérante] à I.P., sans accorder le droit de privatiser ou de vendre celle-ci selon la législation relative aux logements institutionnels (« за законом відомчої квартири »).

De dresser l’inventaire des biens appartenant au [mari de la requérante], en présence des membres de la commission (...) et de transporter tous les biens dans un dépôt spécialement prévu à cette fin se trouvant dans un ancien bâtiment du lycée, de plomber celui-ci et d’en assurer la garde. »

23. Le tribunal se référa ensuite à un acte du 22 février 2007, dont il ressortait qu’à cette date, la commission composée comme indiquée au paragraphe 11 ci-dessus, avait dressé un inventaire des biens en question et les avait remisés dans un ancien bâtiment du lycée.

24. Recherchant si la famille de la requérante occupait l’appartement litigieux de manière légitime, le tribunal conclut que le droit de jouissance sur celui-ci lui avait été accordé en 1979 en violation des dispositions des articles 52 et 58 du code de l’habitat. Il constata notamment que la décision correspondante n’avait pas été prise par la direction et le comité syndical conjointement et qu’elle n’avait pas été approuvée par l’administration locale. Il releva en outre l’absence de délivrance d’un document établissant l’existence d’un droit d’occupation et de jouissance sur cet appartement (« ордер »), et constata que la famille Sagan avait été rayée du registre y afférent depuis 1992, après avoir obtenu le droit de jouissance du second appartement. Au final, le tribunal retint la nullité du titre d’occupation du premier appartement, essentiellement en raison du défaut d’approbation par l’administration locale.

25. Se penchant ensuite sur la situation d’I.P., le tribunal se référa à des informations fournies par l’administration locale de Khorostkiv le 22 janvier 2008, dont il ressortait que la décision sur l’octroi de l’usage de l’appartement à I.P. n’avait pas été approuvée par l’administration locale, relevant ainsi la même carence que celle qui entachait la décision relative à la famille Sagan en 1979. Il n’en tira cependant aucune conséquence.

26. Enfin, après avoir rappelé que le département local de la police de Goussiatyne avait refusé d’introduire une action pénale quant à l’intervention dans l’appartement en cause, le tribunal conclut que les droits civils de la requérante et de son mari n’avaient pas été violés, et rejeta la totalité de leurs demandes.

2. L’arrêt de la cour d’appel de la région de Ternopil du 3 juin 2008

27. La requérante et son mari interjetèrent appel. Ils contestaient notamment la légalité du procès-verbal no 7, et faisaient valoir qu’à supposer même que le premier appartement leur eût été accordé de manière illégale, leur expulsion devait se faire selon les voies légales, et notamment dans le respect de l’article 109 du code de l’habitat. Ils contestaient également l’assertion du tribunal selon laquelle M.Y. et V.T. étaient entrés dans l’appartement sans leur autorisation, et dénonçaient le fait que V.T. et des témoins, qui pouvaient confirmer les faits quant à la fracture de la serrure et à la destruction de leurs biens, n’avaient pas été entendus par le tribunal lors de l’audience. Par ailleurs, ils invoquaient l’article 30 de la Constitution et soutenaient que l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement était illégale.

28. Il ressort des termes de leur requête en cassation (paragraphe 30 ci‑dessous) qu’au cours de la procédure devant la cour d’appel, la requérante et son mari avaient déclaré retirer leur requête pour autant qu’elle visait leur expulsion du premier appartement.

29. Le 3 juin 2008, la cour d’appel de la région de Ternopil confirma le jugement de première instance. Elle retint en particulier que la requérante et son mari demeuraient et travaillaient à l’étranger depuis 2000, que « les biens des Sagans » qui se trouvaient dans l’appartement litigieux étaient de petite valeur et qu’ayant obtenu le droit de jouissance d’un autre logement en 1992, ils avaient perdu le droit d’usage de l’appartement occupé précédemment. Elle n’examina pas la question de la légalité de l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement à l’aune notamment de l’article 30 de la Constitution.

3. Le rejet de la demande d’autorisation de former un pourvoi en cassation

30. La requérante et son mari tentèrent de se pourvoir en cassation. Ils dénonçaient en particulier une violation des dispositions de l’article 30 de la Constitution et des articles 9 § 3 et 109 du code de l’habitat, et le fait que les tribunaux n’avaient pas examiné la légalité de l’ouverture du premier appartement, de l’intervention dans celui-ci, de leur expulsion, et de la disparition de leurs biens.

31. Le 10 octobre 2008, un juge de la Cour suprême refusa d’autoriser la requérante et son mari à se pourvoir en cassation contre les décisions des tribunaux inférieurs, au motif qu’il n’avait décelé aucun indice d’application erronée de la législation interne.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution de l’Ukraine

32. L’article 30 de la Constitution de l’Ukraine garantit à chacun l’inviolabilité de son logement. Il précise notamment que l’on ne peut s’introduire dans le logement ou dans une propriété d’une personne, inspecter les lieux ou y perquisitionner qu’en vertu d’une décision judiciaire motivée. Il ajoute que la loi peut prévoir une procédure différente en cas d’urgence ou dans un contexte de sauvetage de la vie humaine, de préservation de la propriété ou de recherche directe de suspects d’infractions pénales.

B. Le code de l’habitat du 30 juin 1983 (amendé)

33. L’article 4 du code de l’habitat (amendé) dispose que les maisons ainsi que les locaux à usage d’habitation dans d’autres immeubles, qui appartiennent à l’État, constituent le fonds de logements d’État.

34. Selon l’article 18, la gestion du fonds de logements est assurée par son propriétaire ou par un établissement mandaté dans la mesure définie par le propriétaire.

35. L’article 52 réglemente l’attribution des appartements du fonds de logements institutionnels. Il précise notamment que les appartements sont attribués par une décision commune de l’administration et du comité syndical des entreprises, institutions et établissements concernés qui, soit la soumettent à l’approbation du conseil municipal compétent, soit, dans certains cas, en informent seulement celui-ci. Sur la base de cette décision, le comité exécutif du conseil municipal délivre à la personne concernée un titre d’occupation, qui constitue le fondement juridique unique pour l’installation dans le logement accordé (article 58 du code).

36. Selon l’article 109 § 1, l’expulsion locative ne peut être poursuivie qu’en vertu d’une décision de justice, à l’exception des cas d’expulsion consentie.

C. Le code pénal du 5 avril 2001 (amendé)

37. L’article 162 du code pénal (amendé) prévoit la responsabilité pénale pour violation de domicile. Son paragraphe 1 englobe sous cette notion toute intervention illégale dans un logement ou autre propriété d’une personne physique, toute inspection ou perquisition illégale, ainsi que toute expulsion illégale ou tous autres actes violant un domicile. Son paragraphe 2 spécifie la responsabilité pour une violation de domicile commise par un fonctionnaire avec recours à la force ou menace de son emploi.

38. L’article 185 prévoit la responsabilité pénale pour vol.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION EN RAISON DE L’ÉVICTION DE LA FAMILLE DE LA REQUÉRANTE DU PREMIER APPARTEMENT ET DE L’INTRUSION DU 22 FÉVRIER 2007 DANS CELUI-CI

39. La requérante dénonce l’expulsion de sa famille du premier appartement ainsi que l’intrusion dans celui-ci – illégale selon elle – qui a eu lieu en son absence le 22 février 2007. Estimant avoir subi une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et de son domicile, elle invoque l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

1. Sur les exceptions du Gouvernement

a) Arguments des parties

40. Le Gouvernement invite la Cour à conclure au défaut manifeste de fondement du grief pour autant qu’il vise l’éviction du premier appartement. Il fait valoir à cet égard qu’un autre appartement appartenant au lycée avait été attribué à la requérante et à sa famille, et qu’en tout état de cause, l’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile. Le Gouvernement estime par ailleurs que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées dès lors que, devant la cour d’appel de la région de Ternopil, la requérante et son mari ont retiré leur requête en ce qu’elle visait leur expulsion.

41. Pour autant que le grief concerne l’intrusion dans l’appartement par la commission constituée le 30 janvier 2007, le Gouvernement reproche à la requérante de ne pas avoir interjeté appel de la décision du 27 juin 2008 du département local de la police de Goussiatyne de ne pas introduire une action pénale. Il en déduit pareillement qu’elle n’a pas épuisé les voies de recours internes.

42. La requérante fait valoir qu’elle n’a pas été informée de la décision du 27 juin 2008 du département local de la police de Goussiatyne de ne pas introduire une action pénale. Elle ajoute que la thèse du Gouvernement selon laquelle elle n’a pas utilisé tous les recours internes dont elle disposait doit être écartée, eu égard aux plaintes qu’elle a déposées devant la police, aux décisions répétées de cette dernière de ne pas introduire d’action pénale et aux censures subséquentes du parquet.

b) Appréciation de la Cour

43. La Cour rappelle que la finalité de l’article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises. Ainsi, le grief dont on entend saisir la Cour doit d’abord avoir été soulevé, au moins en substance, dans les formes et délais prescrits par le droit interne, devant les juridictions nationales appropriées. L’obligation découlant de l’article 35 se limite cependant à faire un usage normal des recours vraisemblablement effectifs, suffisants et accessibles. En particulier, la Convention ne prescrit l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats (voir, parmi de nombreux autres, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, §§ 43-46, CEDH 2006‑II). Ce qui importe aux fins de cette disposition, c’est que les requérants aient donné aux juridictions internes l’opportunité de statuer en premier lieu sur les griefs dont ils saisissent la Cour, en usant d’une voie de recours appropriée (voir, par exemple, Simons c. Belgique (déc.), no 71407/10, § 23, 28 août 2012, et Hernaiz-van den Eynden c. Belgique (déc.), no 618/08, § 19, 7 mai 2013). Par ailleurs, un requérant qui a utilisé une voie de droit apparemment effective et suffisante ne peut se voir reprocher de ne pas avoir essayé d’en utiliser d’autres qui étaient disponibles mais ne présentaient guère plus de chances de succès (voir, à titre d’exemple, Aquilina c. Malte [GC], no 25642/94, § 39, CEDH 1999-III).

44. En l’espèce, la requérante et son mari ont saisi les juridictions civiles d’une action dirigée contre le lycée ainsi que contre I.P. et sa femme, et visant à la restitution de leurs biens, à l’annulation du procès-verbal no 7, à leur réinstallation dans le premier appartement après l’expulsion d’I.P. et de sa famille, et à la réparation par le lycée du dommage moral qu’ils estimaient avoir subi. La Cour note que le Gouvernement ne conteste pas qu’une telle procédure était de nature à remédier à la situation que la requérante dénonce dans la présente requête quant à l’éviction de sa famille du premier appartement et à l’intrusion dans celui-ci du 22 février 2007. Le Gouvernement ne peut donc soutenir que la condition de l’épuisement des voies de recours internes exigeait qu’elle usât en plus de la voie pénale – à supposer du reste que cette voie eût été efficace dans les circonstances de la cause – et que, en conséquence, elle interjetât appel de la décision du 27 juin 2008 du département local de la police de Goussiatyne.

45. La Cour estime en outre que, dans le cadre de la procédure devant les juridictions civiles, la requérante a soulevé en substance le grief tiré de l’article 8 de la Convention dont elle saisit maintenant la Cour. À cet égard, elle note en particulier qu’elle fondait son action sur l’article 30 de la Constitution, qui garantit à chacun l’inviolabilité de son logement (voir Ratushna c. Ukraine, no 17318/06, § 53, 2 décembre 2010).

46. Cela étant, la Cour constate que, devant la cour d’appel de la région de Ternopil, la requérante et son mari ont retiré leur requête en ce qu’elle dénonçait leur expulsion du premier appartement (paragraphe 28 ci-dessus). Ce faisant, ils ont privé les juridictions internes saisies de la possibilité de statuer sur ce volet du grief que la requérante formule maintenant sur le terrain de l’article 8 de la Convention.

47. Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes s’agissant du volet du grief tiré de l’article 8 de la Convention relatif à l’expulsion du premier appartement, lequel doit donc être rejeté en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

48. La condition de l’épuisement des voies de recours internes est en revanche remplie s’agissant du volet du grief relatif à l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement.

2. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention

49. La Cour relève que le Gouvernement ne conteste pas que l’article 8 de la Convention est applicable en l’espèce. En particulier, il ne soutient pas qu’au moment de l’intrusion litigieuse le premier appartement n’était pas le « domicile » de la requérante, au sens de cette disposition.

50. La Cour en prend acte. Elle estime cependant que les circonstances de la cause requièrent qu’elle apporte certaines précisons sur ce point.

51. La Cour relève que les juridictions internes ont retenu qu’à partir de 1992, la requérante et son mari occupaient illicitement le premier appartement (paragraphes 24 et 29 ci-dessus). Elle observe en outre qu’au moment de l’intrusion litigieuse, la requérante et son mari, qui s’étaient expatriés pour des raisons professionnelles, n’y résidaient plus qu’une fois par an, lorsqu’ils revenaient en Ukraine pour les vacances. Cet appartement n’était donc plus leur résidence principale mais, en quelque sorte, une résidence secondaire.

52. Il faut toutefois rappeler que la notion de « domicile », au sens de l’article 8 de la Convention, ne se limite pas au domicile légalement occupé ou établi, mais qu’il s’agit d’un concept autonome qui ne dépend pas d’une qualification en droit interne. La question de savoir si une habitation particulière constitue un « domicile » relevant de la protection de l’article 8 est indépendante de celle de la légalité de l’occupation de celle-ci : elle dépend des circonstances factuelles, notamment de l’existence de liens suffisants et continus avec un lieu déterminé (voir, par exemple, Winterstein et autres c. France, no 27013/07, § 141, 17 octobre 2013, ainsi que les références qui y sont indiquées). Or, en l’espèce, il est établi que la requérante et son mari ont habité de manière continue dans le premier appartement pendant plus de vingt ans et qu’ils ont continué à l’utiliser après leur départ pour l’étranger, ce dont atteste le fait qu’ils y séjournaient lorsqu’ils revenaient en Ukraine, qu’ils avaient confié les clés à une voisine afin qu’elle en prenne soin en leur absence, et que des meubles et autres biens leur appartenant s’y trouvaient. Ils avaient donc un lien avec celui-ci, lequel perdurait à la date de l’intrusion litigieuse.

53. La Cour rappelle également qu’elle a jugé qu’une résidence secondaire entièrement meublée et équipée, utilisée notamment comme résidence de vacances, peut être considérée comme un domicile au sens de l’article 8 de la Convention (voir Fägerskiöld c. Suède (déc.), no 37664/04, 26 février 2008, ainsi que les références qui y figurent). En outre, dans des circonstances similaires, la Cour a admis qu’encore que le lien entre des personnes et un appartement qu’ils n’occupaient qu’occasionnellement soit plus faible que dans le cas de personnes demeurant dans un logement, l’impossibilité d’y accéder constituait une ingérence dans leur droit au respect de leur « domicile » (voir Lazarenko et autres c. Ukraine (déc.), no 27427/02, §§ 54-55, 11 décembre 2012).

54. Il apparaît ainsi qu’à la date de l’intrusion litigieuse, le premier appartement était le « domicile » de la requérante, au sens de l’article 8 de la Convention.

3. Autres motifs d’irrecevabilité

55. La Cour constate par ailleurs que le volet du grief tiré de l’article 8 de la Convention relatif à l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

56. Le Gouvernement fait valoir que les mesures prises par l’État pour protéger le droit de la requérante au respect de son domicile et de sa vie privée et familiale répondent pleinement aux obligations découlant de l’article 8 de la Convention ainsi qu’à son obligation de réagir avec la plus grande cohérence face à la situation dans laquelle elle se trouvait. Il souligne que l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement répondait au fait que, le mois précédent, M.Y. et V.T. y avaient pénétré sans autorisation et avaient changé la serrure, et visait ainsi à protéger les biens qui s’y trouvaient. Il ajoute que les forces de l’ordre ont pleinement pris en compte les plaintes de la requérante et de son mari, ont procédé à des investigations afin d’établir pleinement les faits dénoncés, ont recueilli les déclarations des personnes susceptibles de détenir des informations pertinentes et ont examiné les conditions de logement et de vie qu’offrait l’appartement litigieux. Il constate en outre que les juridictions internes ont complètement pris en compte et analysé les résultats de ces investigations ainsi que les éléments produits par les parties et ont rendu des décisions suffisamment motivées.

57. La requérante rejette la thèse du Gouvernement selon laquelle l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement par le groupe dirigé par le directeur du lycée faisait suite au fait que M.Y. et V.T. y avaient pénétré et avaient changé la serrure de la porte, et qu’elle visait en conséquence à protéger les biens qui s’y trouvaient. Elle souligne qu’elle avait chargé M.Y. de s’occuper de l’appartement, l’avait autorisée à y entrer et lui avait donné les clefs. Selon elle, le but de l’intrusion du 22 février 2007 était de l’évincer de l’appartement pour y installer une autre personne. Elle ajoute que le directeur du lycée ne l’avait pas préalablement informée de son intention d’entrer dans l’appartement alors qu’il avait son numéro de téléphone, pas plus qu’il n’en avait informé M.Y. Elle rappelle par ailleurs qu’il a été établi dans le cadre de l’enquête conduite à la suite de ses plaintes que, le 22 févier 2007, la serrure de la porte d’entrée de l’appartement avait été forcée par des employés du lycée, que diverses personnes y avaient pénétré et que les biens qui s’y trouvaient en avaient été extraits. Par ailleurs, elle déplore que la cour d’appel de Ternopil n’ait pas pris en compte le fait que cette intrusion n’avait pas préalablement été autorisée par une décision judiciaire. Elle déplore également que, alors qu’il était établi que cette intrusion était illégale, les forces de l’ordre n’aient pas enquêté de manière objective et aient refusé d’introduire une action pénale.

2. Appréciation de la Cour

58. La Cour souligne tout d’abord que l’intrusion qui a eu lieu le 22 février 2007 dans le premier appartement s’analyse en une « ingérence » dans le droit de la requérante au respect de son domicile. Cela n’a du reste pas prêté à controverse entre les parties.

59. Elle observe ensuite que cette intrusion a été décidée lors d’une réunion de l’administration et du comité syndical du lycée, lequel comité est l’organe compétent au sein de celui-ci pour se prononcer sur l’attribution des appartements lui appartenant. Une commission composée du directeur du lycée, de l’inspecteur de police de quartier, d’un élu et d’un représentant du conseil local a été constituée à cette occasion, avec pour mission de dresser l’inventaire des biens se trouvant dans l’appartement, de les transporter dans une pièce du lycée et de les y placer sous clef. L’intrusion du 22 février 2007 a été le fait de ces personnes, auxquelles se sont ajoutés l’adjoint-intendant du directeur du lycée et un membre du syndicat d’administration du lycée (paragraphes 11 et 22 ci-dessus).

60. La décision de mener cette action et la conduite effective de celle-ci sont donc imputables à des acteurs de l’administration publique, lesquels entendaient ainsi intervenir dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.

61. La Cour en déduit que l’ingérence dénoncée est le fait d’une « autorité publique », au sens du second paragraphe de l’article 8. Il convient en conséquence d’analyser le grief sous l’angle des obligations négatives que cette disposition met à a charge des États : pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes au regard du second paragraphe de cette disposition et est « nécessaire dans une société démocratique » pour le ou les atteindre (voir, par exemple, Libert c. France, no 588/13, §§ 41-42, 22 février 2018).

62. La Cour rappelle que les mots « prévue par la loi » veulent d’abord que la mesure contestée ait une base en droit interne (voir, par exemple, parmi beaucoup d’autres, Van Rossem c. Belgique, no 41872/98, § 38, 9 décembre 2004, et Golovan c. Ukraine, no 41716/06, § 56, 5 juillet 2012).

63. Elle constate à cet égard que l’article 30 de la Constitution ukrainienne précise qu’une intrusion dans un logement ne peut se faire que sur la base d’une décision judiciaire motivée, ajoutant que la loi peut prévoir une procédure différente en cas d’urgence ou dans un contexte de préservation de la propriété notamment (paragraphe 32 ci-dessus). Or, en l’espèce, l’intrusion du 22 février 2007 ne reposait pas sur une décision judiciaire préalable, et le Gouvernement ne prétend pas qu’il aurait été fait application d’une législation spécifique d’exception. La Cour constate de plus quant à ce point que la requérante a soulevé devant les juridictions civiles un moyen relatif à l’illégalité de l’intrusion au regard notamment de l’article 30 de la Constitution, mais que ce moyen n’a pas été examiné. En particulier, rien dans les motifs de l’arrêt du 3 juin 2008 de la cour d’appel de la région de Ternopil n’indique qu’elle aurait considéré que les circonstances de l’espèce caractérisaient une exception prévue par la loi permettant de se passer d’une décision judiciaire préalable (paragraphe 29 ci-dessus). Par ailleurs, invoquant notamment l’article 30 de la Constitution et dénonçant en particulier le fait que les juridictions du fond n’avaient pas examiné la légalité de l’intrusion du 22 février 2007, la requérante et son mari ont déposé une demande visant à être autorisés à se pourvoir en cassation, laquelle n’a toutefois pas été accueillie (paragraphes 30-31 ci-dessus). Il apparaît en fait que les juridictions internes ne se sont pas du tout prononcées sur la question de la légalité de l’intrusion.

64. Il en résulte que l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement n’avait pas de base légale en droit interne. Elle n’était donc pas « prévue par la loi », au sens de l’article 8 de la Convention. Cela suffit pour que la Cour conclue à la violation de cette disposition.

65. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention de ce chef.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

66. La requérante se plaint également sur le terrain de l’article 8 de la Convention de la destruction par le feu de biens qui se trouvaient dans le premier appartement. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, elle soutient que, dans le cadre de la procédure initiée devant les juridictions civiles, son droit à un procès équitable a été violé. Elle dénonce à cet égard la carence des tribunaux à examiner la légalité de l’expulsion de sa famille, de l’ouverture du premier appartement et de l’intrusion dans celui-ci, et de la disparition et de la destruction de ses biens, ainsi que le défaut d’interroger des témoins dont les témoignages auraient été décisifs ; elle dénonce également une appréciation inadéquate de la situation de sa famille, en contraste avec l’attitude des tribunaux par rapport à celle de la famille d’I.P.

67. Toutefois, eu égard aux faits de l’espèce, aux thèses des parties et aux conclusions auxquelles la Cour est parvenue sur le terrain de l’article 8 de la Convention s’agissant de l’expulsion de la famille de la requérante du premier appartement et de l’intrusion du 22 février 2007 dans celui-ci, la Cour estime qu’elle a examiné les principales questions juridiques soulevées par la présente requête et qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur les autres griefs (voir, notamment, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 156, CEDH 2014).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

68. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

69. La requérante demande réparation du préjudice matériel que lui aurait causé l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement, le déplacement de certains des biens qui s’y trouvaient et la destruction d’autres biens. Elle déclare toutefois ne pas être en mesure d’évaluer la valeur de ses pertes. Elle réclame par ailleurs 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elle estime avoir subi.

70. Le Gouvernement ne se prononce pas.

71. La requérante n’ayant ni évalué le dommage matériel dont elle sollicite la réparation, ni présenté des éléments permettant de le calculer, la Cour rejette la demande y relative. Elle considère en revanche qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 4 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

72. La requérante, qui assurait elle-même la défense de ses intérêts devant la Cour, demande 570 EUR et 9 134,76 hryvnias (UAH) au titre de ses frais et dépens (soit environ 870 EUR à la date de la demande). Le premier de ces montants correspondant au prix d’un voyage en bus aller‑retour Valence-Ternopol effectué par elle et son mari en juillet 2007. Le second de ces montants est ventilé comme il suit : 29,26 UAH, correspondant aux frais d’une lettre recommandée adressée à la Cour le 16 mars 2009 ; 55,50 UAH, correspondant à des frais encourus devant la Cour suprême ; 9 050 UAH, correspondant à des honoraires d’avocats payés dans le cadre de la procédure interne. Elle produit des justificatifs pour chacun de ces montants.

73. Le Gouvernement ne se prononce pas.

74. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, en l’absence de toute explication de la requérante quant à l’objet du voyage du 19 juillet 2007, il n’y a pas lieu de prendre en compte le coût de celui-ci. Eu égard aux documents dont elle dispose et à sa jurisprudence, la Cour juge en revanche raisonnable d’accueillir le reste des demandes de la requérante. Elle lui octroie en conséquence 870 EUR tous frais confondus.

C. Intérêts moratoires

75. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief tiré de l’article 8 de la Convention recevable pour autant qu’il concerne l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement, et irrecevable pour autant qu’il concerne l’expulsion de la requérante du premier appartement ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de l’intrusion du 22 février 2007 dans le premier appartement ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de l’article 8 de la Convention pour autant qu’il vise la destruction par le feu de biens qui se trouvaient dans le premier appartement et du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 870 EUR (huit cent soixante-dix euros), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliPaulo Pinto de Albuquerque
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-187492
Date de la décision : 23/10/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect du domicile)

Parties
Demandeurs : SAGAN
Défendeurs : UKRAINE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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