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18/10/2018 | CEDH | N°001-186790

CEDH | CEDH, AFFAIRE THIAM c. FRANCE, 2018, 001-186790


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE THIAM c. FRANCE

(Requête no 80018/12)

ARRÊT

STRASBOURG

18 octobre 2018

DÉFINITIF

18/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Thiam c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Yonko Grozev,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,

tif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2018,

Rend ...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE THIAM c. FRANCE

(Requête no 80018/12)

ARRÊT

STRASBOURG

18 octobre 2018

DÉFINITIF

18/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Thiam c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Yonko Grozev,
André Potocki,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 80018/12) dirigée contre la République française et dont un ressortissant mauritanien, M. Abdoul Aziz Thiam (« le requérant »), a saisi la Cour le 13 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me E. Ganem, avocat exerçant à Neuilly-sur-Seine. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue que l’action civile du Président de la République a porté atteinte à son droit à un procès équitable.

4. Le 31 août 2015, les griefs concernant l’égalité des armes et l’indépendance et l’impartialité du tribunal ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1978 et réside à Limay.

6. Le 24 septembre 2008, la banque Société Générale déposa plainte contre X des chefs de faux, usage de faux et escroquerie, M. Nicolas Sarkozy, Président de la République alors en exercice ayant contesté l’imputation au débit de son compte bancaire de quatre écritures émanant de sociétés de téléphonie mobile pour un montant de 176 euros (EUR).

7. Le 25 septembre 2008, l’enquête préliminaire fut confiée conjointement à la brigade financière et à la brigade criminelle. Le même jour, M. Sarkozy déposa une plainte qui fut jointe à l’enquête. Le 23 octobre 2008, le procureur de la République de Nanterre ouvrit une information judiciaire des chefs d’escroquerie en bande organisée commises au préjudice des sociétés, de M. Sarkozy et de huit autres personnes dont des membres de la famille de ce dernier. Au cours de l’instruction, M. Sarkozy se constitua partie civile.

8. Le 11 juin 2009, le juge d’instruction ordonna le renvoi du requérant et de six autres individus devant le tribunal correctionnel de Nanterre du chef d’escroquerie en bande organisée. Il leur était reproché, en utilisant les références de cartes de paiement et de comptes bancaires appartenant à des tiers, d’avoir obtenu l’ouverture de cent quarante-huit lignes téléphoniques, la remise de téléphones portables et le paiement des abonnements.

9. Devant le tribunal, le requérant souleva l’irrecevabilité de la constitution de partie civile de M. Sarkozy. Il fit valoir en premier lieu que la possibilité pour le Président de la République en exercice de se constituer partie civile, alors qu’il était impossible d’intenter une action contre lui ou de le requérir comme témoin pendant son mandat (article 67 de la Constitution, paragraphe 17 ci-dessous), créait un déséquilibre dans la procédure. En second lieu, il argua que le pouvoir de nomination des magistrats du siège et du parquet dont était titulaire le Président de la République en vertu des articles 64 et 65 de la Constitution (paragraphes 17, 22 et 25 ci-dessous) jetait un doute sur l’impartialité des procédures judiciaires auxquelles ce dernier était partie.

10. Par un jugement du 7 juillet 2009, le tribunal déclara le requérant coupable des faits qui lui étaient reprochés et le condamna à un an d’emprisonnement après avoir étayé sa participation aux actes préparatoires et son rôle dans l’organisation de la fraude. Il jugea la constitution de partie civile de M. Sarkozy recevable, au nom du droit d’accès à un tribunal, mais sursit à statuer sur sa demande de dommages et intérêts jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de ses fonctions de Président de la République (voir article 67 de la Constitution, paragraphe 17 ci-dessous). Le tribunal considéra en effet, au visa de l’article 6 de la Convention, que le statut juridictionnel du Président de la République entraînait une atteinte au principe de l’égalité des armes car, en tant que partie civile, celui-ci ne pouvait pendant la durée de son mandat faire l’objet d’aucune sanction pour procédure abusive ni d’aucune poursuite pour dénonciation calomnieuse ou téméraire, ni être interrogé ou confronté au prévenu (idem, voir également, paragraphe 31 ci-dessous). Il souligna par ailleurs que le pouvoir de nomination des magistrats du Président de la République pouvait donner l’apparence au justiciable qu’il ne bénéficiait pas d’un tribunal indépendant et impartial.

11. Par un arrêt du 8 janvier 2010, la cour d’appel de Versailles réforma le jugement et condamna le requérant à huit mois d’emprisonnement. Elle retint la culpabilité du requérant, tant de ses aveux que des déclarations d’autres prévenus et des éléments découverts au cours des perquisitions. Sur l’action civile, elle condamna le requérant à indemniser M. Sarkozy à 1 EUR au titre du dommage moral et, in solidum, à 2 500 EUR pour les frais engagés en première instance et en appel :

« (...) L.S., [le requérant] et F.T. avancent que le statut particulier du chef de l’État rend inenvisageable dans la présente procédure une citation, audition, confrontation acte d’information ou débat contradictoire concernant M. Sarkozy. Or ce n’est pas tant la recherche de l’égalité des arguments de fait ou de droit qui importe mais l’égale possibilité, pour chacune des parties, de présenter ses propres armes et de discuter celles de son adversaire. Dans le cas d’espèce, il est manifeste que cette présentation et discussion ont été effectives tout au long des procédures engagées, tant au cours de l’instruction préparatoire et des débats de première instance que devant la présente Cour. Le procès équitable a donc été garanti, non seulement dans l’équilibre entre les parties mais aussi par l’effectivité du débat contradictoire.

En ce qui concerne le second aspect, relatif à l’impartialité du juge qui serait mise en cause du fait de la partialité supposée du ministère public et de l’intervention du Président de la République dans la procédure alors qu’il est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, une distinction doit être opérée. Sur le premier point, les conclusions déposées par le procureur de la République de Nanterre rappellent à juste titre que l’action publique a été mise en mouvement par le ministère public qui ne peut nullement être récusé et n’était donc dépendante d’une quelconque constitution de partie civile. Sur le second point, de nombreuses juridictions civiles ou pénales, notamment en matière de presse, ont, à de multiples reprises, admis les actions introduites par le Président de la République en exercice, et à ce titre président du Conseil supérieur de la magistrature, sans qu’elles aient à aucun moment considéré que celui-ci se départissait en aucune manière de ses devoirs constitutionnels. »

La cour d’appel poursuivit en s’attachant à vérifier que l’impartialité du tribunal ne pouvait être mise en cause au vu, également, de la théorie des apparences. Elle rappela l’ambiguïté du statut du chef de l’État, qui « vient de ce qu’il est tout entier destiné à le protéger des attaques judiciaires, mais ne lui interdit pas d’agir comme un justiciable ordinaire lorsqu’il décide de se tourner vers le juge ». Elle souligna cependant que le ministère public n’était pas visé par la garantie du droit à un tribunal impartial et que les pouvoirs du président en matière de nomination des magistrats n’avait pas porté atteinte au droit à un procès équitable :

« (...) si dans la présente espèce, tant le parquet de Nanterre que celui de Versailles ont fait diligence pour que cette affaire soit examinée au plus vite, et que des moyens d’enquête inhabituels ont été déployés (brigade criminelle et brigade financière), cette célérité peut sans doute être attribuée à la qualité de la victime, mais aussi au fait que des membres de sa famille étaient visés par les mêmes agissements délictueux, éléments qui pouvaient laisser à penser qu’une action d’ampleur visant le chef de l’État et ses proches était susceptible de se mettre en place à raison de leur qualité.

Ainsi, sans qu’il soit démontré que la présidence de la République est intervenue directement dans la procédure, il est certain que le parquet local, de sa propre initiative, a déployé un zèle manifeste qui n’a toutefois en aucune façon pu préjudicier aux intérêts légitimes et aux droits fondamentaux des personnes mises en cause. Ainsi, les prévenus ne démontrent pas avoir souffert du fait de l’atteinte que porteraient les institutions françaises aux principes qui doivent gouverner un procès équitable ;

Par ailleurs, (...) l’article 64 de la Constitution énonce (...) que le président est le garant de l’autorité judiciaire ce qui légitime, au plus haut niveau de la hiérarchie des normes juridiques, et même lorsque le Président de la République est partie au procès, ses pouvoirs sur le ministère public et écarte toute remise en cause de l’indépendance des magistrats du siège (...). [Le requérant] ne peut contester le pouvoir d’agir du Président de la République comme citoyen ordinaire.

En outre, à supposer que l’organisation judiciaire française et la Convention soient incompatibles, seule la réforme de la Constitution serait en mesure de résoudre cette contradiction.

Dans ces conditions, alors que rien n’établit que le ministère public ou l’autorité de nomination des magistrats ont pu porter atteinte in concreto d’une quelconque façon à l’indépendance ou l’impartialité des juges, l’exception soulevée n’est pas fondée. »

12. Le requérant forma un pourvoi en cassation et souleva, outre une atteinte à son droit à un procès équitable, l’inconstitutionnalité de l’article 2 du code de procédure pénale (ci-après « CPP », paragraphe 31 ci-dessous) en ce qu’il ne prévoyait pas l’impossibilité pour le Président de la République de se constituer partie civile. Entre-temps, par un mémoire du 16 août 2010, le requérant demanda à la Cour de cassation de soumettre au Conseil Constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la compatibilité de l’article 2 précité avec le respect de la séparation des pouvoirs et des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable.

13. Par un arrêt du 10 novembre 2010 (Bull crim., no 180), la Cour de cassation décida de ne pas renvoyer la QPC pour le motif suivant :

« Attendu que la question, ne portant pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application, n’est pas nouvelle ;

Et attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce qu’elle vise, en réalité, à préciser le champ d’application de l’article 2 du code de procédure pénale, au regard de l’article 67 de la Constitution, ce qui relève de l’office du juge judiciaire ; »

14. Dans son avis devant la Cour de cassation, l’avocat général conclut à la cassation partielle de l’arrêt de la cour d’appel, en ce que celle-ci n’avait pas sursis à statuer sur l’action civile de M. Sarkozy jusqu’après la fin de son mandat. L’avocat général considéra que l’impossibilité d’intenter toute action contre le Président de la République (en dénonciation calomnieuse, abusive ou de fait imaginaire) ou de le requérir de témoigner n’avait pas créé, dans les circonstances de l’espèce, d’inégalité entre les parties, tout en reconnaissant que cette impossibilité pourrait poser des difficultés sérieuses dans d’autres procédures qui reposeraient essentiellement sur des accusations ou des preuves émanant du Président de la République. En revanche, selon l’avocat général, le pouvoir de nomination des magistrats du siège et du parquet dont le Président de la République est titulaire était de nature à jeter un doute sur l’impartialité objective des litiges privés auxquels le président est partie pendant l’exercice de son mandat. Il indiqua cependant que déclarer irrecevable la constitution de partie civile du Président de la République aurait pour effet de priver ce dernier de son droit d’accès à un tribunal et conclut qu’il fallait opter pour une solution de conciliation consistant à suspendre l’action civile entreprise par le président pour la défense de ses intérêts personnels jusqu’à la fin de son mandat.

15. Par un arrêt du 15 juin 2012, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation cassa l’arrêt d’appel en ce qui concerne le défaut de motivation de la peine d’emprisonnement ferme prononcée à l’encontre du requérant. Pour le reste, elle considéra ce qui ce suit :

« Mais attendu, en premier lieu, que le Président de la République qui, en sa qualité de victime, était recevable, en application de l’article 2 du code de procédure pénale, à exercer les droits de la partie civile pendant la durée de son mandat, a joint son action à celle antérieurement exercée par le ministère public et que le demandeur n’a pas bénéficié d’une décision de non-lieu ou de relaxe ;

Attendu, en deuxième lieu, que l’arrêt constate que la culpabilité du demandeur résulte tant de ses aveux que des déclarations d’autres prévenus et des éléments découverts en cours de perquisition ;

Attendu, en troisième lieu, que la cour d’appel, appréciant, sans se contredire, les éléments de la cause, a retenu que l’action du ministère public n’avait préjudicié ni aux intérêts légitimes ni aux droits fondamentaux des personnes mises en cause ;

Attendu, en quatrième lieu, que l’arrêt retient exactement que la garantie du droit à un tribunal indépendant et impartial, énoncée à l’article 6 § 1 de la Convention, ne vise que les juges et non pas le représentant de l’accusation ;

Et attendu, en dernier lieu, que la seule nomination des juges par le Président de la République ne crée pas pour autant une dépendance à son égard dès lors qu’une fois nommés, ceux-ci, inamovibles, ne reçoivent ni pressions, ni instructions dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles ; qu’après avoir constaté que chacune des parties avait pu présenter ses arguments et discuter ceux de son adversaire tout au long de l’instruction préparatoire et des débats devant le tribunal puis devant la cour d’appel, l’arrêt retient que le prévenu ne démontre pas avoir souffert d’une atteinte portée par les institutions françaises au droit au procès équitable ; que la cour d’appel en a déduit à bon droit que le principe de l’égalité des armes n’avait pas été méconnu ; (...) »

16. Par un arrêt du 24 janvier 2014, la cour d’appel de Versailles infirma la peine prononcée à l’encontre du requérant et le condamna à dix mois d’emprisonnement avec sursis.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La Constitution et les autres dispositions pertinentes relatives à la nomination, à l’avancement et au régime disciplinaire des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature

1. La Constitution

17. Les articles 64, 65 et 67 de la Constitution sont ainsi libellés :

Article 64

« Le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.

Il est assisté par le Conseil supérieur de la magistrature.

Une loi organique porte statut des magistrats.

Les magistrats du siège sont inamovibles. »

Article 65

(en vigueur jusqu’au 31 janvier 2011 [voir, paragraphe 19 ci-dessous])

« Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le Président de la République. Le ministre de la Justice en est le vice-président de droit. Il peut suppléer le Président de la République.

Le Conseil supérieur de la magistrature comprend deux formations, l’une compétente à l’égard des magistrats du siège, l’autre à l’égard des magistrats du parquet.

La formation compétente à l’égard des magistrats du siège comprend, outre le Président de la République et le garde des sceaux, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’Etat, désigné par le Conseil d’Etat, et trois personnalités n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. (...)

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

Elle statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle est alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.

(...) »

Article 65

(modifié par la loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République et entré en vigueur le 1er février 2011 [voir, paragraphe 19 ci-dessous])

« Le Conseil supérieur de la magistrature comprend une formation compétente à l’égard des magistrats du siège et une formation compétente à l’égard des magistrats du parquet.

La formation compétente à l’égard des magistrats du siège est présidée par le premier président de la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’État désigné par le Conseil d’État, un avocat ainsi que six personnalités qualifiées qui n’appartiennent ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. La procédure prévue au dernier alinéa de l’article 13 est applicable aux nominations des personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par le président de chaque assemblée du Parlement sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l’assemblée intéressée.

La formation compétente à l’égard des magistrats du parquet est présidée par le procureur général près la Cour de cassation. Elle comprend, en outre, cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que le conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités qualifiées mentionnées au deuxième alinéa.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège fait des propositions pour les nominations des magistrats du siège à la Cour de cassation, pour celles de premier président de cour d’appel et pour celles de président de tribunal de grande instance. Les autres magistrats du siège sont nommés sur son avis conforme.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis sur les nominations qui concernent les magistrats du parquet.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège. Elle comprend alors, outre les membres visés au deuxième alinéa, le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet.

La formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l’égard des magistrats du parquet donne son avis sur les sanctions disciplinaires qui les concernent. Elle comprend alors, outre les membres visés au troisième alinéa, le magistrat du parquet appartenant à la formation compétente à l’égard des magistrats du siège.

Le Conseil supérieur de la magistrature se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République au titre de l’article 64. Il se prononce, dans la même formation, sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la Justice. La formation plénière comprend trois des cinq magistrats du siège mentionnés au deuxième alinéa, trois des cinq magistrats du parquet mentionnés au troisième alinéa, ainsi que le conseiller d’État, l’avocat et les six personnalités qualifiées mentionnées au deuxième alinéa. Elle est présidée par le premier président de la Cour de cassation, que peut suppléer le procureur général près cette cour.

Sauf en matière disciplinaire, le ministre de la Justice peut participer aux séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature.

Le Conseil supérieur de la magistrature peut être saisi par un justiciable dans les conditions fixées par une loi organique.

(...) »

Article 67

« Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions. »

2. Le Conseil supérieur de la magistrature

18. Sous la IIIe République, le Conseil supérieur de la magistrature (ci‑après CSM) désignait la formation de la Cour de cassation quand elle siégeait comme juridiction disciplinaire des magistrats du siège. Les Constitutions de 1946 et 1958 ont institué le CSM en tant qu’organe distinct, lui consacrant spécifiquement un article. Les lois constitutionnelles des 27 juillet 1993 et 23 juillet 2008 ont réformé la composition et les attributions du CSM.

19. Avant la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 précitée et la loi organique no 2010-830 du 22 juillet 2010 de mise en application, dont la mise en œuvre était prévue à la fin du mois de janvier 2011, et depuis 1958, le Président de la République était président du Conseil supérieur de la magistrature. Ainsi, M. Sarkozy a été président du CSM de 2006 au mois de janvier 2011. Le ministre de la Justice y siégeait alors en qualité de vice‑président. L’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle précisait que la refonte du CSM devait passer, notamment, par la suppression de sa présidence par le chef de l’État : « L’évolution du rôle que joue l’autorité judiciaire dans une démocratie moderne impose que le Président de la République cesse d’en assurer la présidence ». Également avant la révision de 2008, la formation compétente du CSM à l’égard des magistrats du siège comprenait, outre le Président de la République et le ministre de la Justice, cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’État, désigné par le Conseil d’État, et trois personnalités n’appartenant ni au parlement ni à l’ordre judiciaire désignées respectivement par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Outre sa compétence pour les nominations des magistrats (paragraphes 22 et suivants ci-dessous), cette formation statuait comme conseil de discipline et était alors présidée par le premier président de la Cour de cassation.

20. La composition actuelle du CSM, résultant de la réforme constitutionnelle de 2008, se trouve décrite à l’article 65 de la Constitution cité au paragraphe 17 ci-dessus.

3. Nomination et avancement des magistrats de carrière

21. L’accès à la magistrature est traditionnellement subordonné à la réussite d’un concours. Les candidats admis sont nommés auditeurs de justice et reçoivent une formation professionnelle au sein de l’École nationale de la magistrature. Le recrutement par intégration directe est également prévu et strictement réglementé par l’ordonnance no 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature (ci-après « l’ordonnance de 1958 »).

22. Les articles 4, 6 et 28 de l’ordonnance de 1958 sont ainsi libellés :

Article 4

« Les magistrats du siège sont inamovibles.

En conséquence, le magistrat du siège ne peut recevoir, sans son consentement, une affectation nouvelle, même en avancement. »

Article 26

« Le Président de la République nomme les auditeurs de justice aux postes du second degré de la hiérarchie judiciaire sur les propositions du garde des sceaux, ministre de la Justice.

Suivant leur rang de classement, à l’exclusion des fonctions visées par les réserves du jury prévues à l’article 21 et en fonction de la liste qui leur est proposée, les auditeurs font connaître au garde des sceaux, ministre de la Justice, le poste auquel ils souhaitent être nommés.

(...)

Au vu de ces choix, le garde des sceaux, ministre de la Justice, saisit pour avis la formation compétente du Conseil supérieur. (...) »

Article 28

« Les décrets de nomination aux fonctions de président d’un tribunal de grande instance ou d’un tribunal de première instance ou de conseiller référendaire à la Cour de cassation sont pris par le Président de la République sur proposition de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature.

Les décrets portant promotion de grade ou nomination aux fonctions de magistrat autres que celles mentionnées à l’alinéa précédent sont pris par le Président de la République sur proposition du garde des sceaux, ministre de la Justice, après avis conforme de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature pour ce qui concerne les magistrats du siège et après avis de la formation compétente du Conseil supérieur pour ce qui concerne les magistrats du parquet. Les règles de nomination des magistrats du parquet s’appliquent aux magistrats du cadre de l’administration centrale du ministère de la Justice. »

23. La hiérarchie du corps judiciaire comprend deux grades (article 2 de l’ordonnance de 1958). L’avancement des magistrats du siège se fait au choix, sur la base du mérite. Toutefois, des conditions sont posées pour l’avancement du second au premier grade. Outre la justification de sept ans d’ancienneté, les magistrats qui le demandent et sont dignes d’obtenir un avancement sont inscrits sur un tableau d’avancement établi par la commission d’avancement, composée majoritairement de magistrats élus. La commission se prononce au vu de l’examen individuel du dossier du magistrat qui a été évalué par son supérieur hiérarchique au cours d’une procédure contradictoire. Le tableau d’avancement est alors communiqué à chaque magistrat et affiché au sein de chaque juridiction en toute transparence, de manière à permettre à ceux qui n’ont pas été proposés d’adresser à la commission une demande d’inscription (articles 15, 18, 21, et 22 à 27 du décret no 93-21du 7 janvier 1993 pris pour l’application de l’ordonnance de 1958).

24. Par ailleurs, l’accès des magistrats du siège à certaines fonctions est subordonné à l’inscription sur une liste d’aptitude et de sélection établie par la commission d’avancement. Le projet de nomination est communiqué au CSM et aux chefs de la Cour de cassation et des cours d’appel qui doivent en assurer la diffusion (article 27-1 de l’ordonnance de 1958).

25. Comme pour la nomination des nouveaux magistrats (article 26 de l’ordonnance de 1958, paragraphe 22 ci-dessus), toute promotion ou nomination à une nouvelle fonction prend la forme d’un décret du Président de la République sur proposition du ministre de la Justice qui fait suite à la proposition du CSM ou à son avis conforme dans les conditions prévues à l’article 65 de la Constitution précité (paragraphe 17 ci-dessus). Ce décret peut faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État. Le juge de l’excès de pouvoir exerce un contrôle restreint : il vérifie que le choix n’est pas entaché d’une erreur manifeste dans l’appréciation des besoins du service et de l’aptitude respective des magistrats concernés. Il s’assure également que la nomination n’est pas entachée d’erreur de droit ou de détournement de pouvoir (voir, par exemple, CE, no 259294, 10 août 2005 ; CE, no 325268, 10 janvier 2011). Le Conseil d’État a précisé que le principe d’égalité de traitement implique que le CSM procède à un examen approfondi de la valeur de chacun des candidats. S’il lui est loisible de fixer, à titre indicatif, des critères de sélection tels que la mobilité géographique, ou une meilleure adéquation des profils aux emplois, il lui appartient toujours de se livrer à un examen particulier des données propres à chaque dossier (CE, no 273176, 14 décembre 2005 ; CE, no 272232, 10 mars 2006).

4. Mesures disciplinaires concernant les magistrats du siège

26. Selon l’article 43 de l’ordonnance de 1958, « tout manquement par un magistrat aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité, constitue une faute disciplinaire ». D’après l’article 65 alinéa 2 de la Constitution, l’action disciplinaire est portée devant le CSM, dans sa formation compétente à l’égard des magistrats du siège, qui statue comme conseil de discipline et qui est présidée par le premier président de la Cour de cassation. Le CSM est saisi par le ministre de la Justice, qui peut demander en amont d’éventuelles poursuites une enquête à l’inspection générale de la justice (à l’époque des faits « inspection des services judiciaires) qui relève du ministère de la Justice. Le CSM peut également être saisi par le premier président de la cour d’appel dont dépend le juge poursuivi et, depuis 2010, par tout justiciable à l’occasion d’une procédure judiciaire concernant le comportement adopté par un magistrat du siège dans l’exercice de ses fonctions (article 50-1 à 50-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958). Dans la dernière hypothèse, une commission d’admission examine d’abord la recevabilité de la plainte.

27. Au cours de la procédure disciplinaire, le président du conseil de discipline nomme un rapporteur. Le magistrat est cité et son dossier lui est communiqué. À l’audience, après audition du directeur des services judiciaires et lecture du rapport, le magistrat, qui peut se faire représenter, est invité à fournir ses explications et ses moyens de défense. L’audience est publique. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exigent, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès de la salle d’audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office, par le conseil de discipline. La décision du CSM est motivée et rendue publiquement (articles 51 à 58 de l’ordonnance de 1958). Elle peut être attaquée devant le Conseil d’État.

5. Dispositions pertinentes relatives aux magistrats du parquet

28. S’agissant des dispositions pertinentes relatives aux magistrats du parquet, il est renvoyé à l’arrêt Moulin c. France (no 37104/06, §§ 22 à 29, 23 novembre 2010). Il est rappelé, qu’à la différence des magistrats du siège, ils sont liés par un lien hiérarchique avec le ministre de la Justice.

29. Le 26 avril 2016, un projet de réforme du CSM a été adopté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale. Il prévoyait notamment de reconnaître à la formation du CSM compétente pour les magistrats du parquet le pouvoir de statuer sur les propositions de nominations par un avis conforme, et non plus par un avis simple. Ce projet de réforme constitutionnelle qui devait être approuvé par le Parlement réuni en Congrès n’a pas abouti. Par ailleurs, la loi organique no 2016-1090 du 8 août 2016 a supprimé la nomination des procureurs généraux en Conseil des ministres.

B. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale

30. Selon l’article 31 du CPP applicable à l’époque des faits, « Le ministère public exerce l’action publique et requiert l’application de la loi ». La loi du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et mise en œuvre de l’action publique a complété cette disposition en y ajoutant « dans le respect du principe d’impartialité auquel il est tenu ». Cette loi a également abrogé la possibilité pour le ministre de la Justice de donner au ministère public des instructions générales dans une affaire individuelle.

31. Selon l’article 2 du CPP, l’action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert d’un dommage directement causé par l’infraction. Si la victime constituée partie civile doit faire face à des contraintes, puisqu’elle ne peut plus témoigner et s’expose à des sanctions en cas d’échec ou d’abus, en revanche elle bénéficie d’un statut de partie au procès pénal, a connaissance du développement de la procédure, peut présenter des demandes d’actes, exercer des voies de recours et surtout obtenir de la juridiction pénale réparation de son dommage. Les abus de constitution de partie civile peuvent être réprimés pénalement pour sanctionner la dénonciation calomnieuse et de fait imaginaire (articles 226‑10 et 434-26 du code pénal). Sur le plan civil, les actions prévues par les articles 91, 472 et 516 du CPP permettent à une personne bénéficiaire d’un non-lieu ou d’une relaxe de demander des dommages et intérêts à celui qui a abusivement engagé à l’action civile. Ces actions ne peuvent être exercées qu’à l’encontre d’une partie civile qui a elle-même mis en mouvement l’action publique.

32. Au cours de l’information, les parties peuvent saisir le juge d’instruction d’une demande tendant à ce qu’il soit procédé à leur audition ou à leur interrogatoire, à l’audition d’un témoin, à une confrontation ou à un transport sur les lieux, à ce qu’il soit ordonné la production par l’une d’entre elles d’une pièce utile à l’information, ou à ce qu’il soit procédé à tous autres actes qui leur paraissent nécessaires à la manifestation de la vérité (article 82-1 du CPP).

33. Devant le tribunal, le ministère public et les avocats des parties peuvent poser directement des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et à toutes personnes appelées à la barre, en demandant la parole au président. Le prévenu et la partie civile peuvent également poser des questions par l’intermédiaire du président (article 442-1 du CPP).

C. Les commissions chargées de mener une réflexion sur le statut juridictionnel du Président de la République

34. Inspiré par les travaux de la « Commission Avril » créée en 2002, le statut juridictionnel actuel du Président de la République, tel que prévu par l’article 67 de la Constitution (paragraphe 17 ci-dessus), consiste en ce qu’il bénéficie :

- d’une immunité pour les actes accomplis dans l’exercice de son mandat (sous réserve d’une procédure devant la Cour pénale internationale ou de l’engagement d’une procédure de destitution par le Parlement réuni en Haute Cour en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat) ;

- d’une inviolabilité juridictionnelle pendant la durée de son mandat pour tous les actes commis en dehors de sa qualité de président.

35. Par un décret du 16 juillet 2012, le Président de la République a décidé la création d’une commission de rénovation et de déontologie de la vie publique présidée par l’ancien Premier ministre, M. Lionel Jospin. Cette commission était chargée de proposer des réformes pouvant trouver leur traduction dans une modification de la Constitution, mais aussi dans la loi organique ou dans la loi ordinaire, et notamment sur la question du statut juridictionnel du Président de la République. Dans un rapport rendu public le 7 novembre 2012, la Commission s’est penchée pour la première fois sur la position « offensive » du Président de la République, c’est-à-dire sur la possibilité dont il dispose de se constituer partie civile. Elle a estimé « nécessaire de remettre en cause, tant au pénal qu’au civil, l’inviolabilité du Président de la République pour les actes qui n’ont pas été accomplis en sa qualité de chef de l’État ». En matière civile, la Commission juge « que l’extension de l’inviolabilité au champ des actions civiles est tout à la fois contestable dans son principe, disproportionnée par rapport au but poursuivi et choquante du point de vue de ses conséquences ». En particulier, elle estime que « la règle de l’inviolabilité du chef de l’État en matière civile, dans la mesure où elle ne s’accompagne pas, en contrepoint, d’une interdiction qui serait faite au Président lui-même d’agir en justice au cours de son mandat, en tant que personne privée, pour la défense de ses intérêts civils, est la cause d’une très regrettable asymétrie ».

III. TEXTES INTERNATIONAUX ET TEXTES DU CONSEIL DE L’EUROPE RELATIFS À L’INDÉPENDANCE JUDICIAIRE ET AU PRINCIPE D’INAMOVIBILITÉ DES JUGES

36. Il est renvoyé à l’arrêt Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, CEDH 2016), et en particulier aux §§ 77 à 83. Il est également renvoyé à l’arrêt Tsanova-Gecheva c. Bulgarie (no 43800/12, § 63, 15 septembre 2015) dans lequel est rappelé le contenu de l’avis no 10 (2007) du Conseil consultatif de juges européens sur les procédures de sélection, de nomination et de promotion des juges.

37. Les passages pertinents de la Charte européenne sur le statut des juges du 8-10 juillet 1998[1] se lisent ainsi :

« 1.3. Pour toute décision affectant la sélection, le recrutement, la nomination, le déroulement de la carrière ou la cessation de fonctions d’un juge ou d’une juge, le statut prévoit l’intervention d’une instance indépendante du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif au sein de laquelle siègent au moins pour moitié des juges élus par leur pairs suivant des modalités garantissant la représentation la plus large de ceux‑ci. »

38. La compilation des opinions et rapports de la Commission de Venise concernant les cours et les juges (CDL-PI (2015)001), en sa partie « Appointment of judges » se lit ainsi :

« 2.2.3.1 Multitude of systems

(...)

In some older democracies, systems exist in which the executive power has a strong influence on judicial appointments. Such systems may work well in practice and allow for an independent judiciary because the executive is restrained by legal culture and traditions, which have grown over a long time.

(...)

Notwithstanding their particularities appointment rules can be grouped under two main categories.

In elective systems, judges are directly elected by the people (this is an extremely rare example and occurs at the Swiss cantonal level) or by the Parliament (...)

Appointments of ordinary judges [in contrast to constitutional judges] are not an appropriate subject for a vote by Parliament because the danger that political considerations prevail over the objective merits of a candidate cannot be excluded.

(...)

In the direct appointment system the appointment body can be the Head of State (...)

In assessing this traditional method, a distinction needs to be made between parliamentary systems where the president (or monarch) has more formal powers and (semi-) presidential systems. In the former system the President is more likely to be withdrawn from party politics and therefore his or her influence constitutes less of a danger for judicial independence. What matters most is the extent to which the head of state is free in deciding on the appointment. It should be ensured that the main role in the process is given to an independent body – the judicial council. The proposals from this council may be rejected only exceptionally, and the President would not be allowed to appoint a candidate not included on the list submitted by it. As long as the President is bound by a proposal made by an independent judicial council (...) the appointment by the President does not appear to be problematic.

In some countries judges are appointed by the government (...). There may be a mixture of appointment by the Head of State and appointment by the Government. (...) As pointed out above, this method may function in a system of settled judicial traditions but its introduction in new democracies would clearly raise a concern. (...) »

39. Dans son avis no10 (2007) à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le Conseil de la Justice au service de la société, le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), organe consultatif du Conseil de l’Europe, se prononce sur la présidence des Conseils de la Justice :

« III. C. 3. Sélection du Président

33. Il convient de veiller à ce que la présidence du Conseil de la Justice soit exercée par une personne impartiale qui ne soit pas proche des partis politiques. Par conséquent, dans les régimes parlementaires où le Président/chef de l’État a des pouvoirs plutôt protocolaires, rien ne s’oppose à ce que la Présidence du Conseil de la Justice lui soit attribuée, alors que dans les autres régimes, le président du Conseil de la Justice pourrait être élu par le Conseil lui-même, et devrait être un juge. »

40. Dans sa compilation précitée (paragraphe 38 ci-dessus), en sa partie « Council of Justice », la Commission de Venise souligne que si la participation de ces derniers à la nomination des juges est cruciale, leur compétence ne doit pas forcément être étendue à toute l’administration du système judiciaire, qui peut être laissé au ministre de la Justice (4.1). Le point 4.2 traite de la composition des Conseils de la Justice et se lit ainsi :

« 4.2.1 General approach

“There is no standard model that a democratic country is bound to follow in setting up its Supreme Judicial Council so long as the function of such a Council fall within the aim to ensure the proper functioning of an independent Judiciary within a democratic State. Though models exist where the involvement of other branches of power (the legislative and the executive) is outwardly excluded or minimised, such involvement is in varying degrees recognised by most statutes and is justified by the social content of the functions of the Supreme Judicial Council and the need to have the administrative activities of the Judiciary monitored by the other branches of power of the State. It is obvious that the Judiciary has to be answerable for its actions according to law provided that proper and fair procedures are provided for and that a removal from office can take place only for reasons that are substantiated. Nevertheless, it is generally assumed that the main purpose of the very existence of a Supreme Council of the Judiciary is the protection of the independence of judges by insulating them from undue pressures from other powers of the State in matters such as the selection and appointment of judges and the exercise of disciplinary functions.”

(...)

4.2.6. Chair of the Council; structure and working bodies of the Council

“It is necessary to ensure that the chair of the judicial council is exercised by an impartial person who is not close to party politics. Therefore, in parliamentary systems where the president / head of state has more formal powers there is no objection to attributing the chair of the judicial council to the head of state, whereas in (semi-) presidential systems, the chair of the council could be elected by the Council itself from among the non-judicial members of the council. Such a solution could bring about a balance between the necessary independence of the chair and the need to avoid possible corporatist tendencies within the council.”

CDL-AD(2007)028, Report on Judicial Appointments by the Venice Commission, § 35

(...)

“In addition, the Commission considers that [the proposed measure], providing that the President chairs the Council of Justice, could prove rather problematic. Having the President as the Chair is not necessarily the best solution (although provided for in a number of European Constitutions) and his or her role as the Chair should be purely formal. In this regard, the Commission wishes to recall the European Charter on the Statute for Judges, which stresses the importance of the absolute independence of this body from both the executive and the legislative powers

CDL-AD (2004)044, Interim Opinion on Constitutionnal Reforms in the Republic of Armenia, § 58

(...) »

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

41. Invoquant l’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention, le requérant allègue que la constitution de partie civile du Président de la République rompt l’égalité des armes et porte atteinte au droit à un tribunal indépendant et impartial. L’article 6 §§ 1 et 3 d) de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

(...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; (...) »

A. Sur la recevabilité

42. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèse des parties

a) Sur le grief relatif à l’égalité des armes

43. Le requérant soutient que le respect de l’égalité des armes impose d’examiner de manière formelle si les parties au procès pénal sont sur un pied d’égalité, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Il considère que le Gouvernement ne saurait lui reprocher de n’avoir pas sollicité l’audition du Président qu’il savait interdite par l’article 67 de la Constitution. Par ailleurs, le statut du chef de l’État qui proscrit toute action ou demande reconventionnelle à son encontre induit nécessairement une atteinte au principe de l’égalité des armes.

44. Le requérant souligne que l’égalité des armes ne se réduit pas au respect du principe du contradictoire. Elle a trait aussi à l’absence de liens privilégiés entre les parties et à un nécessaire équilibre des pouvoirs conférés aux parties.

45. Le Gouvernement, après avoir souligné qu’il n’existe pas en droit interne de texte empêchant le Président de la République de se constituer partie civile au cours de son mandat, rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour (Perna c. Italie [GC], no 48898/99, CEDH 2003‑V), il n’est pas utile de faire interroger les témoins à charge et à décharge dans le cadre d’une confrontation si la condamnation ne s’appuie pas sur les dires du ou des témoins. Le Gouvernement affirme qu’en l’espèce, il ne résulte pas des décisions des juridictions nationales que les arguments développés par M. Sarkozy, dans sa plainte notamment, ont constitué un élément à charge à l’encontre du requérant. La condamnation de ce dernier repose sur d’autres constatations, notamment les déclarations d’un autre mis en examen et ses propres aveux. Il n’a, par ailleurs, jamais demandé l’audition du Président de la République.

46. Sur l’impossibilité alléguée par le requérant d’exercer à l’encontre du Président les actions sanctionnant les dénonciations abusives en cas de non-lieu ou de relaxe, le Gouvernement rappelle qu’elles ne sont prévues que lorsque la partie civile a elle-même mis en mouvement l’action publique. Or, en l’espèce, c’est le procureur qui est à l’origine des poursuites et il n’a été conclu ni à un non-lieu ni à une relaxe dans le cas du requérant. Le fait que l’enquête pénale ait été menée avec une diligence particulière témoigne du bon fonctionnement de la justice (des membres de la famille de M. Sarkozy étaient également visés, ce qui laissait penser qu’une action d’ampleur était susceptible de se mettre en place) et le requérant n’établit pas en quoi cette circonstance l’aurait privé d’un procès équitable. Enfin, le Gouvernement considère que le requérant n’avait pas d’intérêt juridique à agir à l’encontre du Président du chef de dénonciation calomnieuse ou du chef de dénonciation d’un fait imaginaire car les éléments constitutifs de ces infractions n’étaient pas réunis. Il conclut que le requérant ne peut soutenir que l’impossibilité d’exercer de telles actions était de nature à le placer dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire.

b) Sur le grief relatif à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal

47. Le requérant affirme que la participation du Président de la République à la nomination des magistrats du siège rend le jugement inéquitable, sans qu’il y ait à apporter une quelconque preuve des pressions exercées sur les juges. L’avenir professionnel de ces magistrats relève de ce pouvoir de nomination qui peut être considéré comme un moyen de pression, au moins d’un point de vue des apparences. En tout état de cause, la faculté pour le Président de la République de demander à des juges dont le devenir professionnel est dans sa dépendance de juger sur ses intérêts privés pose problème au regard des règles du procès équitable.

48. Le requérant dénonce également la partialité du ministère public. Le fait que les poursuites aient été engagées par le parquet et non par le Président de la République ne garantit pas l’apparence d’indépendance et d’impartialité du tribunal. Compte tenu du lien de dépendance entre un membre du parquet hiérarchiquement soumis à l’exécutif et une partie civile qui est le chef de l’exécutif, le justiciable ne peut espérer un procès équitable. En l’espèce, les moyens d’enquête inhabituels, la célérité de l’information judiciaire, le zèle manifeste du ministère public qui a déposé à l’audience devant le tribunal des conclusions aux fins de soutenir la recevabilité de la constitution de partie civile du Président, ne peuvent être attribués qu’à la qualité de la victime.

49. Le requérant estime que la possibilité de présenter ses arguments devant le tribunal est sans incidence sur le point de savoir si ce dernier présentait une apparence d’indépendance et d’impartialité.

50. Enfin, sur l’atteinte alléguée par le Gouvernement au droit du Président de la République d’accéder à un tribunal, le requérant répond que l’irrecevabilité de la constitution de partie civile du Président doit constituer le contrepoint de son immunité, afin de permettre une séparation efficace des pouvoirs.

51. Le Gouvernement souligne tout d’abord que le tribunal indépendant et impartial au sens de l’article 6 de la Convention fait référence aux magistrats du siège et non du parquet, ces derniers appartenant à l’accusation dans le procès pénal au sens de cette disposition.

52. Le Gouvernement reconnaît que la nomination des magistrats du siège par le Président de la République peut paraitre donner à ce dernier un avantage lorsqu’il est partie au procès. Cependant, l’article 64 de la Constitution garantit l’indépendance de ces magistrats qui sont inamovibles, ne dépendent pas de l’autorité du Garde des Sceaux, sont soustraits à toute forme d’ingérence extérieure et dont les décisions sont couvertes par la collégialité. Le Gouvernement ajoute que la nomination des magistrats du siège se fait avec l’assistance du CSM, organe constitutionnel permettant d’assurer l’indépendance de l’autorité judiciaire.

53. Le Gouvernement souligne encore que la présence au procès du Président de la République en qualité de partie civile n’a eu aucune incidence négative sur l’apparence d’indépendance et d’impartialité du tribunal : la décision de poursuite a été initiée par le procureur, le requérant a pu présenter ses arguments et discuter ceux de son adversaire tout au long de l’instruction préparatoire et des débats devant les juridictions nationales, il a reconnu sa participation aux faits et d’autres éléments de procédure ont établi sa participation à la fraude.

54. Enfin, le Gouvernement constate que dans la présente affaire, il n’y a aucun lien entre le litige purement privé et l’activité institutionnelle ou politique du Président de la République. Ainsi, une décision d’irrecevabilité de sa constitution de partie civile aurait constitué une atteinte à la substance même du droit d’accéder, comme tout citoyen, à un tribunal. En outre, restreindre l’action civile du Président de la République pendant son mandat génèrerait un risque d’impunité pour ceux voulant porter atteinte à la fonction présidentielle, ce qui serait peu conciliable avec le droit de chaque citoyen au respect de ses libertés et avec le principe d’une bonne administration de la justice.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

55. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, le principe de l’égalité des armes – l’un des éléments de la notion plus large de procès équitable – requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire (Nideröst-Huber c. Suisse, 18 février 1997, § 45, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I), y compris dans le cadre de l’exercice des voies de recours (Ben Naceur c. France, no 63879/00, 3 octobre 2006).

56. La Cour rappelle également que les exigences du paragraphe 3 d) de l’article 6 représentent des aspects particuliers du droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de cette disposition et elle examinera le grief du requérant sous l’angle de ces deux textes combinés (Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, §100, CEDH 2015 et la jurisprudence citée).

57. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (Correia de Matos c. Portugal [GC], no 56402/12, § 126, 4 avril 2018). Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l’intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l’infraction soient dûment poursuivis ainsi que, si nécessaire, des droits des témoins (Schatschaschwili, précité, §101).

58. En outre, l’article 6 § 3 d) consacre le principe selon lequel, avant qu’un accusé puisse être déclaré coupable, tous les éléments à charge doivent en principe avoir été produits devant lui en audience publique, en vue d’un débat contradictoire. Ce principe ne va pas sans exceptions, mais on ne peut les accepter que sous réserve des droits de la défense ; en règle générale, ceux‑ci commandent de donner à l’accusé une possibilité adéquate et suffisante de contester les témoignages à charge et d’en interroger les auteurs, soit au moment de leur déposition, soit à un stade ultérieur (idem, §§ 103-105).

59. Par ailleurs, la Cour rappelle que lorsqu’elle a eu à déterminer, dans de précédentes affaires, si un tribunal pouvait passer pour « indépendant » – notamment à l’égard de l’exécutif et des parties – elle a tenu compte de facteurs tels que le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y avait ou non apparence d’indépendance. L’inamovibilité des juges en cours de mandat est généralement considérée comme un corollaire de leur indépendance et, partant, comme l’une des exigences de l’article 6 § 1 (Campbell et Fell c. Royaume-Uni, 28 juin 1984, § 78, série A no 80, Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 49, CEDH 2013 (extraits) et Haarde c. Islande, no 66847/12, § 103, 23 novembre 2017). La nomination de juges par l’exécutif est admissible, pourvu que les juges ainsi nommés soient libres de toute pression ou influence lorsqu’ils exercent leur rôle juridictionnel (Sacilor-Lormines c. France, no 65411/01, § 67 CEDH 2006‑XIII, Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, no 23614/08, § 49, 30 novembre 2010).

60. Enfin, la Cour renvoie, s’agissant des principes généraux gouvernant

la question de l’impartialité d’un tribunal, à l’arrêt Morice c. France [GC], no 29369/10, §§ 73 à 78, CEDH 2015). Les concepts d’indépendance et d’impartialité sont étroitement liés et, selon les circonstances, peuvent appeler un examen conjoint (Sacilor-Lormines, précité, § 62).

b) Application en l’espèce

61. La Cour observe, à titre liminaire, que les juridictions nationales ont marqué des hésitations, du fait de l’ambivalence de la position du Président de la République lorsqu’il est demandeur à une instance, pour décider que l’action civile qu’il avait engagée pour la défense de ses intérêts civils était conforme aux principes d’égalité des armes, d’indépendance et d’impartialité du tribunal (paragraphes 10 et 11 ci-dessus ; voir, également, les conclusions de l’avocat général devant la Cour de cassation, paragraphe 14 ci-dessus). La Cour de cassation, statuant en assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, a cependant considéré que l’article 2 du CPP n’excluait pas la constitution de partie civile du Président de la République et décidé qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur la compatibilité de cette disposition avec le principe de séparation des pouvoirs et les garanties du procès équitable (paragraphes 13 et 15 ci‑dessus). La Cour relève qu’à l’époque où la Cour de cassation a rendu son arrêt en l’espèce, le nouvel article 65 de la Constitution était entré en vigueur (paragraphe 17 ci-dessus) et le chef de l’État ne présidait plus le CSM. A cette date également, la question du statut juridictionnel du Président de la République, protégé de toute action en justice mais non interdit d’agir en justice en se constituant partie civile, au regard du principe d’égalité devant la justice, ne faisait pas encore l’objet de débat au plan interne (paragraphe 35 ci-dessus).

62. La Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation nationale ainsi que de décider des questions de constitutionnalité (Henryk Urban et Ryszard Urban, précité, § 51). La Cour rappelle également qu’il n’est pas question d’imposer aux États un modèle constitutionnel donné réglant d’une manière ou d’une autre les rapports et l’interaction entre les différents pouvoirs étatiques (Savino et autres c. Italie, nos 17214/05 et 2 autres, § 92, 28 avril 2009). Le choix du législateur français de permettre au Président de la République d’agir en justice au cours de son mandat ne saurait ainsi constituer en soi un objet de contestation devant la Cour. Si la notion de séparation du pouvoir exécutif et de l’autorité judiciaire tend à acquérir une importance croissante dans la jurisprudence de la Cour, ni l’article 6 ni aucune autre disposition de la Convention n’oblige les États à se conformer à telle ou telle notion constitutionnelle théorique concernant les limites admissibles à l’interaction entre l’un et l’autre. La question est toujours de savoir si, dans une affaire donnée, les exigences de la Convention ont été satisfaites (Henryk Urban et Ryszard Urban, précité, § 46, Haarde, précité, § 84).

i. Sur l’égalité des armes

63. Dans la mesure où le requérant se plaint du déséquilibre créé par rapport au Président de la République parce que ce dernier serait protégé par l’article 67 de la Constitution de toute action prévue pour sanctionner les abus de sa constitution de partie civile, la Cour relève que la Cour de cassation a considéré que les conditions d’ouverture de ces actions n’étaient pas réunies en fait puisque que le requérant n’était pas bénéficiaire d’un non-lieu ou d’une relaxe et que M. Sarkozy n’avait pas mis en mouvement l’action publique (paragraphe 15 ci-dessus). Dans ces conditions, la Cour ne voit pas de raisons de considérer que l’intervention du Président dans la procédure a privé le requérant d’une égalité de traitement quant à la possibilité d’exercer les actions précitées. Au demeurant, si sa culpabilité n’avait pas été retenue, et si M. Sarkozy avait mis en mouvement l’action publique, le requérant aurait pu les engager dans le délai d’un mois suivant la cessation des fonctions du Président de la République conformément à l’article 67 alinéa 3 de la Constitution (article 17 ci-dessus). La Cour considère qu’il en est de même pour les autres actions pénales citées par le requérant, dénonciation calomnieuse ou de fait imaginaire, qu’il n’avait manifestement aucun intérêt à exercer, le Président de la République n’ayant pris que l’initiative de dénoncer des prélèvements frauduleux sur son compte bancaire auprès de sa banque, faits pour lesquels le procureur de la République a considéré qu’il y avait lieu d’ouvrir une information judiciaire.

64. Le requérant allègue ensuite que l’équité du procès eût exigé sa confrontation avec le Président de la République devant le juge d’instruction ou au cours des débats devant le tribunal. La Cour relève que le Président de la République ne peut être requis de témoigner en vertu de son statut protecteur défini au deuxième alinéa de l’article 67 de la Constitution. Son absence au procès repose ainsi sur un motif juridique sérieux, prévu par la Constitution, et sur des considérations objectives de protection qui s’attachent à la fonction des gouvernants, ce qui ne heurte pas en tant que tel l’article 6 de la Convention (mutatis mutandis, Urechean et Pavlicenco c. République de Moldova, nos 27756/05 et 41219/07, § 47, 2 décembre 2014).

65. Quoi qu’il en soit, la Cour retient que, pour condamner le requérant, les juridictions nationales n’ont fait référence à aucune preuve à charge déterminante que la partie civile, dont la plainte et la constitution de partie civile ont suivi la plainte du directeur de la banque et la mise en mouvement de l’action publique par le procureur de la République, aurait pu apporter et dont il aurait fallu vérifier la crédibilité et la fiabilité au cours d’un interrogatoire ou d’une audience. La Cour observe à cet égard que la Cour de cassation a constaté que la cour d’appel avait à raison considéré que « la culpabilité du [requérant] résulte tant de ses aveux que des déclarations d’autres prévenus et des éléments découverts en cours de perquisitions ». Ainsi, la nature de l’affaire, les preuves disponibles et les versions non contradictoires du prévenu, le requérant, et de la partie civile, n’imposaient pas l’audition de cette dernière en tout état de cause.

66. Dans la mesure où le requérant se plaint également d’une rupture de l’égalité des armes en raison du soutien du ministère public à la partie civile, la Cour constate qu’aucun élément du dossier n’indique que l’intervention de M. Sarkozy en cours de procédure aurait encouragé le ministère public à des agissements ayant pour but ou pour effet d’influencer indûment la juridiction pénale ou de l’empêcher de se défendre efficacement. Aussi, la Cour ne trouve rien à redire à la conclusion de la cour d’appel selon laquelle « l’action du ministère public n’avait préjudicié ni aux intérêts légitimes ni aux droits fondamentaux des personnes mises en cause » (paragraphe 11 ci‑dessus). Elle n’exclut pas à cet égard que le délit dénoncé ait pu justifier la diligence de l’enquête, celui-ci pouvant causer du tort à de nombreuses personnes, comme les faits de l’affaire le démontrent (paragraphes 7 et 8 ci‑dessus).

67. Enfin, la Cour relève qu’il ne résulte pas des éléments du dossier que le requérant n’aurait pas bénéficié du contradictoire.

68. Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l’intervention de M. Sarkozy en tant que partie civile dans la procédure n’a pas eu concrètement pour effet de créer un déséquilibre dans les droits des parties et le déroulement de la procédure. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 s’agissant du principe d’égalité des armes.

ii. Sur l’indépendance et l’impartialité du tribunal

69. La Cour distinguera l’allégation du défaut d’indépendance et d’impartialité, comme l’ont fait les juridictions nationales, selon qu’elle concerne les magistrats du parquet ou les magistrats du siège.

α) Quant au défaut allégué d’indépendance et d’impartialité du parquet

70. S’agissant des magistrats du parquet, la Cour rappelle que si elle a conclu à l’absence d’indépendance de ces derniers dans l’arrêt Moulin précité, ce n’est que sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention s’agissant du contrôle juridictionnel d’une privation de liberté, et donc au sens de cette seule disposition et des notions autonomes développées par sa jurisprudence à ce titre. Pour le reste, elle observe que le statut de ces magistrats semble toujours faire débat au plan interne mais elle réitère qu’il ne lui appartient pas de prendre position dans ce débat qui relève des autorités nationales (paragraphe 29 ci-dessus ; Moulin, précité, § 57).

71. En tout état de cause, en l’espèce, le procureur, en tant que partie poursuivante, n’était pas appelé, en cette qualité, à « décider du bien-fondé d’une accusation en matière pénale » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. La Cour rappelle à cet égard que le ministère public ne saurait être astreint aux obligations d’indépendance et d’impartialité que l’article 6 impose à un « tribunal », c’est‑à‑dire un organe juridictionnel « appelé à trancher, sur la base de normes de droit et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence » (Thoma c. Luxembourg (déc.), no 38432/97, 25 mai 2000, Agnelet c. France (déc.), no 61198/08, 27 septembre 2011, Nastase c. Roumanie (déc.), no 80563/12, 18 novembre 2014, Ryan James Clements c. Grèce (déc.), no 76629/14 , 19 avril 2016).

β) Quant à l’allégation du manque d’indépendance et de la partialité du « tribunal » appelé à juger la cause du requérant

72. Quant à l’allégation de partialité des juges invoquée par le requérant, la Cour réitère que sa culpabilité a été établie par des éléments de preuve qui sont indépendants de l’action civile du Président de la République. En outre, force est de constater que le requérant n’a pas allégué que les juges du fond et de la Cour de cassation ont agi sur instruction du Président de la République ou fait autrement preuve de partialité. La Cour estime en conséquence que le déroulement du procès du requérant ne révèle rien qui ait porté atteinte à son impartialité.

73. En ce qui concerne le défaut d’indépendance du « tribunal » allégué par le requérant, la Cour relève que la Cour de cassation n’a pas considéré que la nomination des magistrats du siège par le Président de la République créait un lien de dépendance à l’égard de ce dernier. Elle a souligné en particulier que ces magistrats étaient protégés par leur inamovibilité et qu’ils étaient indépendants, ne pouvant faire l’objet de pressions ou d’instruction provenant de l’autorité de nomination. Ce faisant, la Cour observe qu’elle a apprécié l’indépendance du « tribunal » uniquement de manière objective, soit par rapport à la situation statutaire des magistrats du siège, sans toutefois prendre en compte l’apparence d’indépendance de celui-ci.

74. La Cour rappelle cependant que lorsqu’elle est appelée à déterminer si un tribunal peut passer pour indépendant comme l’exige l’article 6 § 1 de la Convention, les apparences peuvent revêtir de l’importance (Sramek c. Autriche, 22 octobre 1984, § 42, série A no 84). En ce qui concerne l’apparence d’indépendance, l’optique d’une partie entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de l’intéressé peuvent passer pour « objectivement justifiées » (Sacilors-Lormines, précité, § 63). La Cour examinera donc aussi le grief du requérant du point de vue des apparences.

75. La Cour constate que le requérant concentre son argumentation sur le pouvoir de nomination des magistrats du siège du Président de la République. Associé à sa qualité de partie civile, l’exercice de ce pouvoir était de nature, selon lui, au moins du point de vue des apparences, à susciter des doutes sur l’indépendance du « tribunal » appelé à le juger. La Cour analysera en conséquence essentiellement le mode de nomination des juges pour établir si ce « tribunal » pouvait passer pour indépendant, après avoir préalablement relevé que les autres critères d’appréciation de l’indépendance, à savoir la durée du mandat des juges et l’existence d’une protection contre les pressions extérieures étaient de nature à garantir leur indépendance fonctionnelle et à les protéger des pressions extérieures, notamment vis-à-vis du pouvoir exécutif.

76. À cet égard, et comme le souligne le Gouvernement, la Cour considère que la situation statutaire des magistrats du siège les protègent contre d’éventuelles atteintes à leur indépendance.

77. La Cour retient ainsi que leur inamovibilité est constitutionnellement garantie (paragraphe 17 ci-dessus ; voir, également, paragraphe 22 ci‑dessus). Elle rappelle que l’inamovibilité des juges est une garantie d’indépendance fondamentale des membres d’une juridiction contre l’arbitraire du pouvoir exécutif (Baka, précité, paragraphe 34 ci-dessus, Sacilors Lormines, précité, § 67).

78. En outre, et ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation, les magistrats du siège ne sont pas placés sous la subordination du ministère de la Justice et ne subissent aucune pression ou instruction dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle.

79. Enfin, l’inamovibilité, comme garantie de l’indépendance, s’accompagne en droit français de règles précises relatives à l’avancement et à la discipline des magistrats. Les décisions affectant la nomination des magistrats du siège, le déroulement de leur carrière, mutation et promotion, sont prises après l’intervention du CSM et une procédure contradictoire, voire sur sa seule proposition pour les fonctions les plus importantes (paragraphes 23 à 25 ci-dessus). En matière disciplinaire, le CSM statue comme conseil de discipline et il prononce directement la sanction, de sorte que ses décisions en la matière présentent un caractère juridictionnel (paragraphes 17, 26 et 27 ci-dessus).

80. Reste la question de l’indépendance du « tribunal » eu égard au pouvoir de nomination du Président de la République. La Cour réitère que la seule nomination de magistrats par un membre de l’exécutif ne crée par pour autant une dépendance si, une fois nommés, ces magistrats ne reçoivent ni pressions ni instructions dans l’exercice de leurs fonctions juridictionnelles (Henryk Urban et Ryszard Urban c. Pologne, précité, § 49).

81. En France, le pouvoir de nomination des magistrats du siège exercé par le Président de la République prend la forme d’un décret signé à la suite d’une proposition du ministre de la Justice, après un « avis conforme » du CSM prévu par l’article 65 de la Constitution, ce qui signifie concrètement que l’exécutif ne pourrait pas nommer un magistrat contre cet avis. De plus, la formation compétente du CSM fait des « propositions » pour les nominations des magistrats du siège de la Cour de cassation ainsi que des présidents des cours d’appel et des tribunaux de grande instance et procède, ainsi, seule, à l’examen des candidatures et au choix de celle qui lui paraît devoir être retenue. Le pourvoi du requérant a ainsi été examiné par la Cour de cassation, juridiction supérieure de l’autorité judiciaire, dont les conseillers sont nommés sur proposition même du CSM. Enfin, le décret de nomination d’un magistrat n’est pas un acte discrétionnaire puisqu’il peut faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’État (paragraphe 25 ci-dessus).

82. La Cour déduit des prérogatives du CSM, contribuant avec le Président de la République à garantir l’indépendance des magistrats, que la signature par le Président de la République des décrets de nomination des nouveaux juges ou de leur promotion ou de leur nomination à une nouvelle fonction (paragraphes 22 et 25 ci-dessus) consacre formellement l’aboutissement du processus de ces décisions et n’implique pas, en tant que telle, une atteinte à l’indépendance de ceux qu’elles concernent. Au surplus, l’exercice collégial du pouvoir de « proposition » et d’« avis conforme » du CSM constitue, de l’avis de la Cour, une garantie essentielle contre le risque de pressions sur les juges de la part de l’exécutif. Tel est d’ailleurs la position de la Commission de Venise, qui souligne le rôle crucial des Conseils de Justice . organes indépendants - dans le processus de nomination des magistrats (paragraphes 38 et 40 ci-dessus), essentiel à l’équilibre d’une société démocratique.

83. Pour autant, et même si les prérogatives du CSM sont de nature à répondre aux craintes exprimées à l’égard de l’indépendance fonctionnelle des juges, la Cour constate que dans les circonstances de l’espèce, M. Sarkozy, partie au litige, était encore président du CSM lorsque les juges du tribunal correctionnel de Nanterre et de la cour d’appel de Versailles ont décidé de la cause du requérant (paragraphes 10 et 11 ci-dessus). Ainsi, à cette époque, M. Sarkozy cumulait son statut de président du CSM et sa qualité de partie civile au litige. L’intervention du Président de la République dans la procédure pouvait donc conduire le requérant à s’interroger sur l’influence de celui-ci sur l’avenir professionnel des magistrats qu’il contribuait à nommer et qui étaient saisis d’une demande portant sur ses intérêts privés. La Cour estime que pareille impression ne suffit pourtant pas à établir un manque d’indépendance.

84. En effet, le requérant, qui n’a été condamné à payer à M. Sarkozy qu’1 EUR au titre du préjudice moral ainsi que les frais de procédure, n’a fourni aucun élément concret de nature à démontrer qu’il pouvait avoir la crainte objectivement justifiée que les juges du tribunal de grande instance de Nanterre et de la cour d’appel de Versailles se trouvaient sous l’influence du Président de la République. La Cour observe à ce titre que l’affaire soumise aux juges ne présentait aucun lien avec les fonctions politiques de M. Sarkozy et que celui-ci n’avait ni déclenché l’action publique, ni fourni d’élément destiné à établir la culpabilité du requérant. Au surplus, la Cour retient que la Cour de cassation a rendu son arrêt le 15 juin 2012, dans lequel elle a examiné les griefs du requérant relatifs à l’égalité des armes ainsi qu’à l’indépendance et l’impartialité du tribunal, soit à une date où M. Sarkozy ne présidait plus le CSM. En effet, la Cour constate que, postérieurement à l’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 8 janvier 2010, la réforme de la Constitution française issue de la loi du 23 juillet 2008 est entrée en vigueur. Celle-ci a transféré la présidence de cet organe du Président de la République au premier président de la Cour de cassation, afin de conforter l’indépendance de la justice.

85. La Cour estime nécessaire de rappeler que la situation de partie demanderesse à un litige d’une personnalité ayant un rôle institutionnel dans le déroulement de la carrière des juges est susceptible de créer un doute légitime sur l’indépendance et l’impartialité de ceux-ci. Cependant, en l’espèce, eu égard à ce qui précède et compte tenu de l’objet du litige, la Cour n’aperçoit aucun motif de constater que les juges du fond appelés à statuer sur la cause du requérant n’étaient pas indépendants au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente

* * *

[1] Adoptée lors d’une réunion organisée sous l’égide du Conseil de l’Europe qui eut lieu à Strasbourg les 8-10 juillet 1998 entre différents participants issus de pays européens et deux associations internationales de magistrats, et entérinée par la réunion des présidents des cours suprêmes des pays d’Europe centrale et orientale qui se tint à Kiev les 12-14 octobre 1998, puis une fois encore par des magistrats et des représentants des ministres de la Justice de vingt-cinq pays européens réunis à Lisbonne les 8-10 avril 1999


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-186790
Date de la décision : 18/10/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure pénale;Article 6-1 - Procès équitable;Égalité des armes;Tribunal impartial;Tribunal indépendant)

Parties
Demandeurs : THIAM
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GANEM E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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