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16/10/2018 | CEDH | N°001-186764

CEDH | CEDH, AFFAIRE BARKANOV c. RUSSIE, 2018, 001-186764


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BARKANOV c. RUSSIE

(Requête no 45825/11)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2018

DÉFINITIF

16/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Barkanov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčko

vá,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BARKANOV c. RUSSIE

(Requête no 45825/11)

ARRÊT

STRASBOURG

16 octobre 2018

DÉFINITIF

16/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Barkanov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 septembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 45825/11) dirigée contre la Fédération de Russie et dont un ressortissant de cet État, M. Vitaliy Dmitriyevich Barkanov (« le requérant »), a saisi la Cour le 22 juin 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté initialement par M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. A. Fedorov, chef du bureau du représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, et enfin par son représentant actuel, M. M. Galperine.

3. Le requérant alléguait en particulier que les restrictions à l’usage de son hélicoptère, imposées et maintenues par les autorités, ainsi que l’impossibilité de contester ces restrictions et d’obtenir une indemnisation pour le préjudice qu’il estimait avoir subi étaient contraires à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et à l’article 13 de la Convention.

4. Le 6 mars 2017, les griefs concernant le droit au respect des biens et le droit à un recours effectif ont été communiqués au Gouvernement et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1947 et réside à Stavropol.

6. En 2004, le requérant acheta un vieil hélicoptère. Après avoir effectué quelques réparations, il immatricula l’aéronef à son nom et l’entreposa dans un hangar appartenant à une coopérative agricole, dans la région de Stavropol.

7. L’hélicoptère était démonté ; certains éléments, dont les moteurs, manquaient et d’autres avaient été préparés pour être transportés pour réparation dans un atelier.

A. Les mesures prises à l’égard du requérant et de son hélicoptère

8. Le Service fédéral de sécurité (« le FSB »), soupçonnant le requérant de s’approprier frauduleusement et de revendre illicitement des hélicoptères, décida d’effectuer des mesures opérationnelles d’investigation à l’égard de l’intéressé.

9. Le 10 avril 2008, deux officiers du FSB inspectèrent le hangar de la coopérative en présence du requérant et dressèrent un procès-verbal d’inspection (акт обследования) avec référence aux articles 6, 7 et 15 de la loi fédérale sur les mesures opérationnelles d’investigation (voir la partie « le droit interne pertinent »). Selon ledit procès-verbal, l’hélicoptère était démonté et l’hélice de queue et les ailes de l’hélice principale se trouvaient dans le même hangar.

10. Les officiers posèrent des scellés sur le portail du hangar, ainsi que, selon le requérant, sur l’hélicoptère. Ils désignèrent S., un employé de la coopérative, comme personne responsable de la conservation du bien (на ответственное хранение). Celui-ci signa un engagement d’assurer la conservation de l’aéronef.

11. En outre, les officiers saisirent (изъяли) les originaux du certificat de navigabilité de l’hélicoptère valable jusqu’au 11 février 2008 et du certificat d’immatriculation, ainsi que les copies d’autres documents afférents à l’aéronef.

12. Le 25 avril 2008, à la demande des employés de la coopérative, l’un des officiers du FSB enleva les scellés posés sur le hangar et fit rédiger par K., un autre employé, un document par lequel celui-ci s’engageait personnellement à assurer la conservation de l’hélicoptère du requérant.

13. Toujours en 2008, le dossier de l’activité opérationnelle d’investigation fut transféré au ministère de l’Intérieur pour qu’un enquêteur de ce ministère prît la décision d’ouvrir ou non une enquête pénale contre le requérant (paragraphe 25 ci-dessous).

14. À cinq reprises (les 6 juillet et 21 octobre 2009, 19 février et 10 juin 2010 et 2 mars 2011), un enquêteur rendit une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale à l’encontre du requérant des chefs d’escroquerie et d’abus de confiance pour absence de faits constitutifs d’un délit.

B. L’enquête pénale pour vol des éléments de l’hélicoptère

15. Le 11 mai 2010, un enquêteur se rendit dans le hangar et constata que plusieurs éléments de l’hélicoptère avaient disparu, notamment l’hélice de queue et les ailes de l’hélice principale. S. et K. lui dirent que, malgré les engagements qu’ils avaient signés, personne ne surveillait réellement l’appareil.

16. Le requérant porta plainte pour vol de deux moteurs, de l’hélice de queue et des ailes de l’hélice principale, dont la valeur totale aurait été de 45 000 roubles (RUB) (équivalent à près de 1 200 euros (EUR) à l’époque des faits).

17. Le 17 août 2010, une enquête pénale pour vol d’éléments de l’hélicoptère fut ouverte. Le 21 février 2011, l’enquête fut suspendue au motif que les responsables du vol n’avaient pas pu être identifiés. Le 31 août 2016, l’affaire fut classée sans suite en raison de la prescription de l’action publique.

18. Le 30 mai 2017, l’enquête fut reprise. Le 31 mai 2017, des policiers inspectèrent le hangar et prirent des photos de l’hélicoptère et des éléments restants. Le même jour, l’enquêteur rendit une décision selon laquelle l’hélicoptère et ses éléments devaient être restitués, en tant que preuves matérielles, au requérant. Le 1er juin 2017, cette décision fut notifiée à l’intéressé.

19. Le 30 juin 2017, l’enquête fut de nouveau suspendue pour le même motif que précédemment, mais, le 16 octobre 2017, elle fut reprise.

C. Les demandes non contentieuses formulées par le requérant

1. La tentative d’engagement de poursuites pénales à l’encontre des officiers du FSB

20. À une date non précisée dans le dossier, le requérant demanda l’ouverture d’une enquête pénale contre les officiers du FSB pour abus de fonctions et voie de fait.

21. Dans une lettre adressée au requérant le 28 juin 2008, le chef de la section territoriale du FSB à Stavropol lui indiqua que les officiers avaient agi conformément à la loi et que, aux fins d’assurer la conservation des biens (материальные ценности) trouvés lors de l’inspection du 10 avril 2008, ils les avaient mis sous scellés et confiés à la direction de la coopérative agricole.

22. Le 29 septembre 2008, le comité d’instruction refusa d’ouvrir une enquête pénale contre les officiers au motif que « l’inspection du hangar, (...) la pose des scellés [sur le hangar] et la saisie des documents avaient eu lieu (...) conformément aux exigences de la loi fédérale relative aux mesures opérationnelles d’investigation ». Le requérant ne contesta pas cette décision.

2. Les demandes de restitution

23. À une date non précisée dans le dossier, le requérant sollicita auprès du procureur régional la restitution de l’hélicoptère et des documents saisis. Le 9 août 2010, le service du procureur régional lui suggéra d’adresser sa demande au ministère de l’Intérieur, compte tenu de la décision de l’enquêteur de ce ministère du 10 juin 2010 de ne pas ouvrir d’enquête pénale contre lui (paragraphe 14 ci-dessus).

24. Le 27 août 2010, le ministère de l’Intérieur répondit au requérant que, dans le cadre de la procédure prévue par l’article 144 du code de procédure pénale (« le CPP »), les fonctionnaires de ce ministère n’avaient jamais enlevé (изъяты) ni saisi (арестованы) l’hélicoptère et les documents en cause car ces mesures ne pouvaient pas être réalisées avant l’ouverture d’une enquête pénale contre lui.

25. Le requérant adressa alors au FSB une nouvelle demande de restitution de ses biens. Le 24 septembre 2010, l’adjoint du chef de la section territoriale du FSB lui répondit que les résultats de l’activité opérationnelle d’investigation et les documents relatifs à l’hélicoptère avaient été transmis au ministère de l’Intérieur afin que celui-ci décidât ou non d’ouvrir une enquête pénale contre lui, et que les officiers du FSB n’avaient ni saisi ni enlevé l’aéronef.

26. Le 31 mai 2017, le ministère de l’Intérieur invita le requérant à récupérer les documents afférents à l’hélicoptère versés au dossier des vérifications préliminaires (материалы доследственной проверки).

D. Les recours contentieux formés par le requérant

1. Le recours contre le FSB et ses agents

27. Le 3 décembre 2008, le requérant saisit le tribunal du district Leninski de Stavropol (« le tribunal de district ») d’un recours contre les officiers du FSB et la section territoriale du FSB à Stavropol. Il demandait de déclarer illégales la mise sous scellés de l’hélicoptère et la saisie des documents relatifs à l’aéronef.

28. Le 6 février 2009, le tribunal de district rejeta son recours. Le 1er avril 2009, la cour régionale de Stavropol (« la cour régionale »), statuant en cassation, annula cette décision pour manque de motivation et renvoya l’affaire devant le tribunal de district pour réexamen.

29. Le 30 juin 2009, le tribunal de district rejeta à nouveau le recours du requérant. D’une part, il se référait à la décision, non contestée par le requérant, de refus d’ouverture d’une enquête pénale contre les officiers du FSB (paragraphe 22 ci-dessus). D’autre part, il estimait que l’impossibilité de restituer les documents à l’intéressé et de lever les restrictions à l’usage de l’hélicoptère était justifiée par l’opération de vérifications préliminaires, toujours en cours, au sujet de soupçons portant sur la commission d’un délit pénal par le requérant. Le 2 septembre 2009, la cour régionale annula à nouveau cette décision et renvoya l’affaire pour réexamen.

30. Le 21 octobre 2009, le tribunal de district rejeta pour la troisième fois le recours du requérant en reprenant ses motifs précédents. Le 18 novembre 2009, la cour régionale confirma cette décision en cassation. Elle jugea qu’il était établi que seul le hangar avait été mis sous scellés.

2. L’action civile en réparation du préjudice

31. Le 21 octobre 2010, le requérant assigna la section territoriale du FSB devant le tribunal de district. Il demandait la restitution de son hélicoptère et la réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi en raison de l’impossibilité continue de s’en servir et du pillage partiel de l’aéronef.

32. Le 16 décembre 2010, le tribunal de district rejeta l’action du requérant. Il se référa en particulier à la décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale contre les officiers du FSB, à la décision du 21 octobre 2009 et à l’arrêt de cassation du 18 novembre 2009 (paragraphes 22 et 30 ci‑dessus). En outre, de la même manière qu’il l’avait fait dans le cadre du recours contre le FSB et ses agents (paragraphes 29-30 ci-dessus), le tribunal estima que les documents saisis ne pouvaient pas être restitués au requérant et que les restrictions à l’usage de l’aéronef ne pouvaient pas être levées tant que les vérifications préliminaires avant l’ouverture éventuelle d’une enquête pénale contre l’intéressé étaient en cours. Enfin, il rejeta la demande de réparation du dommage moral au motif que les actions du défendeur ou de ses agents n’avaient pas été déclarées contraires à la loi.

33. Le 15 mars 2011, la cour régionale de Stavropol rejeta le pourvoi en cassation du requérant. Elle fit siennes les conclusions du juge de première instance et ajouta que, à compter du jour où les scellés posés sur le hangar avaient été retirés, en 2008, jusqu’à la constatation de la disparition de certains éléments de l’hélicoptère, en 2010, le requérant avait pu jouir sans entrave de son droit de propriété sur l’aéronef. Elle considéra également que le requérant n’avait pas démontré l’existence d’une ingérence, préjudiciable à son égard, des fonctionnaires du FSB dans son droit de propriété.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. Les dispositions pertinentes de la loi fédérale sur les mesures opérationnelles d’investigation

34. L’article 5 de la loi no 144-FZ du 12 août 1995 sur les mesures opérationnelles d’investigation (« la LMOI ») (закон об оперативно‑розыскной деятельности) impose le respect des droits et libertés lors de la mise en place des mesures opérationnelles d’investigation. L’article 6 de cette loi comporte la liste exhaustive des mesures opérationnelles d’investigation qui peuvent être prises en dehors du cadre de la procédure pénale. Y figure en particulier l’inspection (обследование) de locaux, de terrains et de véhicules.

35. L’article 7 de cette loi énonce les fondements pour la prise de mesures opérationnelles d’investigation, notamment l’ouverture d’une enquête pénale (§ 1) ou l’existence d’informations quant à la commission possible d’un délit pénal (§ 2).

36. L’article 15 de la même loi autorise les agents mettant en œuvre des mesures opérationnelles d’investigation à effectuer des saisies (изъятие) des objets. Depuis 2009, cet article leur permet également d’effectuer des saisies de documents, et impose de dresser un procès-verbal de saisie conformément au CPP et de remettre les copies certifiées de ces documents aux personnes qui les possédaient.

37. La pose des scellés n’est pas prévue par la LMOI.

B. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale

38. Selon l’article 144 du CPP, l’enquêteur doit vérifier les informations qui lui sont transmises relativement à tout délit pénal déjà commis ou en cours de préparation et doit, dans un délai de trois jours à compter de la réception de ces informations, rendre une décision d’ouverture ou non d’une enquête pénale. Ce délai peut exceptionnellement être prorogé jusqu’à 30 jours.

39. Dans le cadre de ces vérifications préliminaires (проверка сообщения о преступлении), l’article 144 du CPP donne certains pouvoirs à l’enquêteur. Il lui confère en particulier le pouvoir d’exiger des contrôles sur pièces (производства документальных проверок). Dans sa rédaction en vigueur à compter de 2010, cet article lui permet en plus d’exiger des examens (исследований) des documents et des objets et, dans sa rédaction à partir de 2013, de saisir lesdits documents et objets.

40. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’article 115 du CPP, relatif à la saisie des biens, sont exposées dans l’arrêt Uniya OOO et Belcourt Trading Company c. Russie (nos 4437/03 et 13290/03, § 242, 19 juin 2014).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

41. Le requérant allègue que, depuis la mise sous scellés de son hélicoptère, la remise de celui-ci à des tiers pour conservation et la saisie des documents y afférents, il ne peut plus s’en servir, et que certains de ses éléments ont été volés. Le requérant dénonce à cet égard une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général (...) »

A. Sur la recevabilité

42. Le Gouvernement indique que non seulement le requérant n’a pas contesté en justice la réponse qui lui avait été donnée le 27 août 2010 par le ministère de l’Intérieur concernant sa demande de restitution (paragraphe 24 ci-dessus) mais que, après le prononcé de la dernière décision de refus d’ouvrir une enquête pénale contre lui, le 2 mars 2011, il n’a plus sollicité la restitution de son hélicoptère et des documents afférents à l’aéronef. Le Gouvernement semble ainsi suggérer que l’intéressé n’a pas épuisé les voies de recours internes.

43. Le requérant rétorque qu’il a formé plusieurs recours afin de récupérer son bien, en vain.

44. La Cour relève que le Gouvernement ne précise pas la manière dont le requérant aurait dû, selon lui, contester la réponse du ministère de l’Intérieur. À supposer que le Gouvernement suggère que l’intéressé aurait dû former un recours contre ce ministère, la Cour observe que, dans le cadre des contentieux opposant le requérant au FSB et à ses officiers, les juridictions internes ont également statué sur la légitimité des restrictions à l’usage de l’hélicoptère imposées par les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur (paragraphes 29 et 32 ci-dessus). Rappelant sa jurisprudence selon laquelle, lorsqu’une voie de recours a été utilisée, l’usage d’une autre voie dont le but est pratiquement le même n’est pas exigé (voir, par exemple, Tkachenko c. Russie, no 28046/05, § 35, 20 mars 2018, avec les références citées), la Cour estime que le requérant n’était pas tenu d’exercer un recours séparé contre le ministère de l’Intérieur ou ses fonctionnaires.

45. Quant à l’absence de tentatives du requérant de faire lever les restrictions à l’usage de son bien après la dernière décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale contre lui, la Cour note que la cour régionale de Stavropol a statué le 15 mars 2011 sur l’appel formé par l’intéressé contre le jugement rejetant son action en réparation, soit postérieurement à la dernière décision de refus d’ouverture d’une enquête pénale. Dans ces circonstances, elle estime qu’il serait excessif d’exiger du requérant qu’il entame de nouvelles démarches dans le but toujours identique de faire lever les restrictions à l’usage de son bien.

Par conséquent, la Cour rejette l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

46. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

47. Le Gouvernement soutient que les officiers du FSB ont agi conformément aux articles 5, 6, 7 de la LMOI, que leurs vérifications poursuivaient un but légitime, à savoir la lutte contre les délits, et que celles-ci ne s’analysaient pas en une ingérence dans le droit du requérant au respect de ses biens. Il allègue que l’hélicoptère n’a pas été déplacé du hangar, qu’il n’a pas été mis sous scellés et qu’il n’a pas été interdit au requérant de s’en servir, de sorte que, selon lui, aucune ingérence dans le droit de l’intéressé au respect de ses biens n’a eu lieu.

48. Selon le Gouvernement, au moment de l’inspection du hangar en 2008, l’hélicoptère en question n’était déjà plus en état de voler et, après l’inspection, rien n’aurait empêché le requérant de le réparer et de s’en servir.

49. Enfin, le Gouvernement soutient que le requérant, en toute mauvaise foi, a refusé de récupérer les documents relatifs à l’hélicoptère en juin 2017.

b) Le requérant

50. Le requérant expose en particulier que l’hélicoptère avait été placé et restait sous scellés, et que même après l’enlèvement des scellés du hangar par un officier du FSB, il était interdit à S. et K. de lui remettre l’aéronef. Selon l’intéressé, il s’agissait d’une « saisie de fait » (фактически), mesure prévue par l’article 115 du CPP.

51. Le requérant estime que les restrictions à son droit de propriété sur l’hélicoptère, qui lui auraient été imposées sans autorisation judiciaire, ont été décidées en violation de l’article 7 § 2 de la LMOI et n’ont pas satisfait à la condition de « légalité » prévue par l’article 1 du Protocole no 1. À ses yeux, les agissements des officiers du FSB constituaient une voie de fait, donc un délit pénal.

52. Le requérant soutient que, au moment où les officiers du FSB ont inspecté l’hélicoptère, celui-ci était en état de voler et que, à présent, il n’en reste qu’une épave. Il considère que le pillage de son bien a été la conséquence directe de l’ingérence des autorités. Il reproche en outre à celles-ci de ne pas avoir mené une enquête effective concernant le vol des éléments de son hélicoptère. Selon lui, les autorités avaient bien été informées de l’endroit où se seraient trouvés les éléments volés, mais elles n’auraient entrepris aucun effort afin de les récupérer et de les lui restituer. Le requérant considère que la reprise, en 2017, de l’enquête relative au vol était seulement formelle et qu’elle témoigne de la mauvaise foi des autorités.

53. Le requérant indique enfin qu’aucune mesure d’instruction n’a été prise concernant les documents relatifs à l’hélicoptère, de sorte que, selon lui, leur rétention par les autorités n’était pas nécessaire. Il nie avoir refusé de récupérer ces documents.

54. Quant à son action en réparation du préjudice qu’il estimait avoir subi, le requérant reproche aux juridictions de s’être référées à des vérifications préliminaires au sujet des soupçons de commission d’un délit qui pesaient sur lui alors que, à cette époque, une décision définitive de refus d’ouverture d’enquête pénale à son encontre avait déjà été rendue.

2. L’appréciation de la Cour

a) Sur l’existence d’un « bien » et d’une ingérence, et sur la règle applicable

55. La Cour observe que, en l’espèce, les parties s’accordent à dire que l’hélicoptère en question était le « bien » du requérant au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

56. Elle observe, en revanche, que les parties sont en désaccord sur l’existence d’une ingérence dans le droit du requérant au respect de son bien. Si le requérant argue que son hélicoptère a été mis sous scellés et a fait l’objet d’une saisie de fait, le Gouvernement soutient qu’aucune ingérence n’a eu lieu.

57. La Cour constate que, à l’exception d’une lettre du 28 juin 2008 rédigée par le chef de la section territoriale du FSB à Stavropol (paragraphe 21 ci-dessus), aucun élément dans le dossier ne démontre que l’hélicoptère a été mis sous scellés ou saisi. Elle relève cependant que, à la suite de l’inspection par les agents de l’État du hangar où se trouvait le bien du requérant, ledit hangar a été mis sous scellés, la garde de l’hélicoptère a été confiée aux employés de la coopérative agricole, même après l’enlèvement des scellés du hangar, et les documents relatifs à l’hélicoptère, y compris son certificat d’immatriculation, sont restés en possession des autorités. Elle note que, en l’absence du certificat d’immatriculation, le requérant ne pouvait pas librement se servir et disposer de l’aéronef. Elle constate de surcroît que les juridictions internes ont confirmé à plusieurs reprises l’existence de restrictions continues à l’usage de l’hélicoptère (paragraphes 29-30, 32-33 ci-dessus).

Il ressort de l’ensemble de ces éléments que le droit du requérant au respect de ses biens a fait l’objet d’une ingérence par les autorités.

58. Quant à la forme de l’ingérence, la Cour rappelle que les mesures effectuées à l’égard des biens pour les besoins de la procédure pénale s’analysent comme une réglementation de l’usage des biens, au sens du deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir, par exemple, Lachikhina c. Russie, no 38783/07, § 58, 10 octobre 2017, avec les références citées).

b) Sur la justification de l’ingérence

59. La Cour doit rechercher si l’ingérence se justifie sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Pour être compatible avec cette disposition, une mesure doit remplir trois conditions : elle doit être effectuée « dans les conditions prévues par la loi », « pour cause d’utilité publique » et dans le respect d’un juste équilibre entre les droits du propriétaire et les intérêts de la communauté.

60. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention exige, avant tout et surtout, qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens soit légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Sud Fondi srl et autres c. Italie, no 75909/01, § 136, 20 janvier 2009, avec les références citées). La condition de la « légalité » implique que la mesure soit conforme aux dispositions du droit interne et ne soit pas arbitraire (East West Alliance Limited c. Ukraine, no 19336/04, § 167, 23 janvier 2014, avec les références citées).

61. En l’espèce, la Cour constate que la pose des scellés sur le hangar, qui avait été effectuée en tant que mesure opérationnelle d’investigation, n’était prévue par aucune disposition interne et n’avait donc aucune base légale. Elle relève néanmoins, bien que le requérant n’en ait pas officiellement été informé, que cette mesure a pris fin le 25 avril 2008 quand les scellés ont été retirés du hangar.

62. La Cour constate également que les agents de l’État ont confié la garde de l’hélicoptère du requérant à des tiers, et ce sans limitation de durée et même après l’enlèvement des scellés du hangar. Elle note que cette mesure n’était prévue par aucune disposition interne et qu’elle n’avait donc, elle non plus, aucune base légale.

63. La Cour note ensuite que les autorités ont saisi et retenu les documents relatifs à l’hélicoptère pendant plusieurs années sans qu’une enquête pénale n’ait été ouverte. Si elle admet que la saisie des documents pouvait découler de l’article 15 de la LMOI (paragraphe 36 ci-dessus), à supposer que le terme « objets » puisse s’appliquer auxdits documents, il n’en va pas de même pour leur rétention continue, mesure qui n’est prévue par aucune disposition de la LMOI ou du CPP.

64. La Cour note enfin que les juridictions internes ont justifié les « restrictions à l’usage » de l’hélicoptère par les vérifications préliminaires, au sens de l’article 144 du CPP, alors que cet article ne permettait pas l’imposition de cette mesure (comparer paragraphes 24 et 39 ci-dessus). Il s’ensuit que ces restrictions à l’usage n’étaient pas non plus « fondées sur la loi ».

65. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que l’ingérence n’a pas été opérée selon les conditions prévues par la loi, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. Cette conclusion rend superflu l’examen des autres exigences de cette disposition

Partant, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

66. Le requérant se plaint qu’il ne disposait d’aucun recours effectif pour pouvoir récupérer son bien. Il invoque l’article 13 de la Convention à cet égard qui est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

67. Le Gouvernement combat cette thèse. Il indique que le requérant avait à sa disposition plusieurs recours en justice dont il a usé, et que les juridictions ont statué après avoir minutieusement analysé toutes les circonstances pertinentes de l’affaire.

68. La Cour relève que ce grief est lié à celui examiné ci-dessus. La Cour considère qu’elle a examiné la question juridique principale soulevée par la présente requête, de sorte que le grief tiré de l’article 13 se trouve englobé par le constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (paragraphe 65 ci-dessus). Elle estime ainsi qu’il n’y a pas lieu de statuer séparément sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention (voir, par exemple, Džinić c. Croatie, no 38359/13, § 82, 17 mai 2016).

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

69. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

1. Les arguments des parties

70. Le requérant réclame 21 976 730 roubles (RUB) (équivalent à 319 940 EUR à la date des observations) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi, cette demande étant ventilée comme suit : 9 784 730 RUB pour le coût du transport de l’hélicoptère dans des ateliers à Moscou et à Iekaterinbourg, de sa peinture intégrale et de la réparation à neuf de tous les éléments principaux (y compris de deux moteurs et du fuselage de l’appareil), et 12 192 000 RUB pour le manque à gagner en raison de l’impossibilité d’exploiter commercialement l’aéronef. Il fournit à l’appui de sa demande quelques devis pour les travaux de réparation et un document intitulé « business plan ».

71. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison des souffrances causées par les violations alléguées de ses droits garantis par les articles 6, 8, 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention.

72. Le Gouvernement soutient, concernant le dommage matériel, qu’au moment de l’inspection du hangar par les officiers du FSB, l’hélicoptère en question était déjà démonté et qu’il n’était pas en état de voler sans diverses réparations. Selon lui, le requérant ne pouvait donc pas l’exploiter et en tirer un quelconque bénéfice. Par ailleurs, le Gouvernement argue que les travaux de peinture et de réparation du fuselage n’ont aucun lien avec l’objet de la présente affaire. Il invite la Cour à rejeter la demande du requérant au titre du préjudice matériel.

73. Le Gouvernement considère que les sommes demandées au titre du dommage moral sont excessives et sans lien avec les violations alléguées. Il estime que le constat de violation constitue en soi une réparation suffisante à ce titre.

2. L’appréciation de la Cour

74. La Cour rappelle que, conformément aux principes dégagés par sa jurisprudence constante, la forme et le montant de la satisfaction équitable diffèrent selon les cas et dépendent directement de la nature de la violation constatée (voir, par exemple, Lachikhina, précité, § 68). En l’espèce, le constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention découle des restrictions, contraires à la loi et continues, à l’usage du bien du requérant.

75. Concernant le dommage matériel, la Cour estime qu’il convient de prendre en compte les éléments suivants pour le calcul de la somme à allouer. Au moment de son acquisition par le requérant en 2004, l’hélicoptère était ancien et, au moment de l’inspection du hangar par les autorités en 2008, il n’était pas en état de voler : son certificat de navigabilité était périmé et plusieurs de ses pièces, dont les moteurs, manquaient. Il devait être transporté, aux frais du requérant, dans un atelier. Entre le moment où le hangar a été placé sous scellés en 2008 et le moment où les autorités ont invité le requérant à récupérer son hélicoptère et les documents y afférents en 2017, l’appareil a subi une dépréciation et, de plus, certains éléments ont disparu (l’hélice de queue et les ailes de l’hélice principale).

Compte tenu de ces éléments, la Cour considère que le requérant ne peut pas réclamer de sommes pour les réparations, la peinture et le transport de l’hélicoptère, et elle rejette cette partie de la demande qui n’a aucun lien avec la violation constatée. Elle estime que seules peuvent être allouées des sommes correspondant à la dépréciation du bien entre 2008 et 2017 et à la valeur des éléments disparus.

76. Concernant le manque à gagner allégué, la Cour ne peut pas accepter le calcul du requérant. En effet, d’une part, l’hélicoptère nécessitant des réparations au moment de l’ingérence des autorités, le requérant ne pouvait pas commencer à l’exploiter. D’autre part, le « business plan » fourni par le requérant ne contient aucune justification des sommes demandées par l’intéressé et apparaît comme étant purement spéculatif. Aussi la Cour rejette-t-elle également cette partie de la demande.

77. Enfin, concernant la demande formulée au titre du dommage moral, eu égard aux circonstances de l’espèce et au constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention auquel elle est parvenue, la Cour considère que l’intéressé a nécessairement connu une détresse, une frustration et un sentiment d’injustice de sorte que l’octroi d’une certaine somme est justifié. Elle relève toutefois que la somme réclamée se rapporte également aux griefs tirés des articles 6, 8 et 13 de la Convention, pour lesquels aucune violation n’a été constatée.

78. À la lumière de l’ensemble des éléments dont elle dispose, statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue au requérant une somme forfaitaire de 6 500 EUR tous chefs de préjudice confondus, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme.

B. Frais et dépens

79. Le requérant n’a pas soumis de demande de remboursement de frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

80. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 6 500 EUR (six mille cinq cents euros), à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommages moral et matériel ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıVincent A. De Gaetano
Greffière AdjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-186764
Date de la décision : 16/10/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (Article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens)

Parties
Demandeurs : BARKANOV
Défendeurs : RUSSIE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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