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02/10/2018 | CEDH | N°001-186435

CEDH | CEDH, AFFAIRE BIVOLARU c. ROUMANIE (N° 2), 2018, 001-186435


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BIVOLARU c. ROUMANIE (No 2)

(Requête no 66580/12)

ARRÊT

STRASBOURG

2 octobre 2018

DÉFINITIF

02/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Bivolaru c. Roumanie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus KÅ

«ris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Carlo Ranzoni,
Marko Bošnjak, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir dél...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BIVOLARU c. ROUMANIE (No 2)

(Requête no 66580/12)

ARRÊT

STRASBOURG

2 octobre 2018

DÉFINITIF

02/01/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Bivolaru c. Roumanie (no 2),

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Krzysztof Wojtyczek,
Egidijus KÅ«ris,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Carlo Ranzoni,
Marko Bošnjak, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 septembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 66580/12) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M. Gregorian Bivolaru, alias Magnus Aurolsson (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 octobre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me N. Popescu, avocate à Bucarest jusqu’au 25 juillet 2017, puis par Me M. Mîțu, avocate à Bucarest, à partir du 29 juillet 2017. Il a été représenté en outre par Me G. Thuan Dit Dieudonné, avocat à Strasbourg, tout au long de la procédure. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant se plaint en particulier d’un défaut d’équité de la procédure pénale menée contre lui, d’une atteinte à son droit à la vie privée en raison de l’interception de ses conversations téléphoniques et d’une impossibilité de bénéficier au niveau interne d’un recours effectif pour dénoncer l’atteinte alléguée à son droit à la vie privée.

4. Le 13 octobre 2015, les griefs concernant l’article 6 de la Convention quant à la condamnation du requérant par la juridiction de recours, sans audition en personne de l’intéressé et après acquittement de ce dernier au fond et en appel, et quant à la durée de la procédure, ainsi que les griefs tirés de l’article 8 de la Convention pris seul et combiné avec l’article 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement. La requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

5. À la suite du déport de Iulia Motoc, juge élue au titre de la Roumanie (article 28 du règlement), Krzysztof Wojtyczek a été désigné par la présidente pour siéger en qualité de juge ad hoc (article 26 § 4 de la Convention et article 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1952. Les parties n’ont pas informé la Cour du lieu de résidence actuel du requérant.

7. Le requérant est le leader d’un mouvement connu sous le nom de « Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu » (« le MISA »). La création et le fonctionnement du MISA ainsi que les actes d’enquête réalisés par les autorités nationales à l’égard de certains des membres du MISA sont décrits dans les affaires Amarandei et autres c. Roumanie (no 1443/10, §§ 7‑14, 26 avril 2016), Mouvement pour l’intégration spirituelle dans l’absolu c. Roumanie ((déc.), no 18916/10, §§ 4-9, 2 septembre 2014) et Bivolaru c. Roumanie (no 28796/04, § 8, 28 février 2017).

A. L’ouverture des poursuites pénales contre le requérant

8. Par une ordonnance du 12 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest ordonna l’ouverture de poursuites pénales in rem pour évasion fiscale, crime organisé et blanchiment d’argent, infractions qui auraient été commises par des membres du MISA. L’ordonnance mentionnait des informations relatives à la vente d’images pornographiques sur Internet par des membres du MISA qui auraient agi sous la coordination du requérant.

9. Le 18 mars 2004, plusieurs membres de la police spéciale perquisitionnèrent les domiciles de plus de seize membres du MISA, parmi lesquels celui du requérant et de M.D., âgée de dix-sept ans à l’époque. Lors de ces perquisitions, certains membres du MISA ont été victimes de brutalités policières (voir, à ce sujet, Amarandei et autres, précité, §§ 122‑166).

10. Le même jour, M.D. fut interrogée, en tant que témoin, par le parquet près la cour d’appel de Bucarest pendant plusieurs heures, sans qu’elle fût assistée par un avocat ou un membre de sa famille. Il ressortait de sa déclaration que le requérant avait entretenu des rapports sexuels avec elle en 2002. Le parquet près la cour d’appel de Bucarest qualifia cette déclaration de plainte pénale contre le requérant et considéra que M.D. était partie lésée dans la procédure.

11. Le jour suivant, M.D. retira cette déclaration et déposa une plainte pour abus contre le procureur ayant procédé à son interrogatoire, l’accusant de l’avoir forcée à déposer. Cette plainte fut rejetée à une date non précisée en 2004 au motif que M.D. avait été interrogée en qualité de témoin et non pas de partie lésée.

12. Dans l’intervalle, le 16 mars 2004, la mère de M.D., interrogée comme témoin, avait déclaré que sa fille avait quitté le domicile familial pour partir à Bucarest sous l’influence de « personnes qui pratiquaient le yoga » et que le requérant lui avait fourni différents biens. Elle réitéra la teneur de sa déclaration le 22 mars 2004.

13. Le 26 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest ordonna des poursuites à l’encontre du requérant des chefs de rapports sexuels avec un mineur et de perversion sexuelle.

14. Le 28 mars 2004, le requérant fut interpellé à la frontière, alors qu’il essayait de passer en Hongrie depuis la Roumanie.

15. Le 29 mars 2004, le parquet près la cour d’appel de Bucarest informa le requérant, en présence de deux avocats de son choix, qu’il était accusé des infractions de rapports sexuels avec un mineur, de perversion sexuelle et de tentative de passage illégal de la frontière. Le procès‑verbal dressé à cette occasion comportait l’indication des articles de loi réprimant ces infractions et contenait un résumé des faits reprochés. Également le 29 mars 2004, le requérant fut interrogé à deux reprises par le parquet, d’abord en qualité de prévenu puis d’inculpé, et il nia les faits reprochés.

16. Le même jour, le parquet ordonna une expertise médicolégale sur M.D. Le 1er avril 2004, celle-ci, accompagnée par son avocat, se présenta à l’Institut national de médecine légale de Bucarest afin de se soumettre à l’examen médicolégal. Une manifestation fut organisée en même temps devant cette institution par les membres du MISA, ce qui aurait déterminé M.D. à refuser ledit examen. M.D. déclara au parquet qu’elle se soumettrait à l’examen à une date ultérieure, mais elle ne se représenta pas.

17. En mai 2004, deux autres personnes, M.A.A. et S.I., déposèrent des plaintes pénales contre le requérant, qu’elles accusaient du chef de rapports sexuels avec un mineur ; ces plaintes furent jointes au dossier pénal concernant M.D.

18. Dans l’intervalle, du 30 mars au 1er avril 2004, le requérant avait été placé en détention provisoire au motif qu’il y avait des indices permettant de soupçonner qu’il avait commis les infractions de rapports sexuels avec un mineur, de perversion sexuelle et de tentative de passage illégal de la frontière. Après sa libération, il n’avait plus été retrouvé par les autorités et il avait été représenté dans la procédure subséquente par un ou plusieurs avocats de son choix. Pour de plus amples détails concernant l’interpellation, la détention et la remise en liberté du requérant, il convient de se référer à l’arrêt Bivolaru c. Roumanie (précité, §§ 25-50).

B. Le départ du requérant pour la Suède

19. À une date non précisée et dans des circonstances inconnues, le requérant partit pour la Suède, où, le 24 mars 2005, il déposa une demande d’asile politique.

20. Les 11 et 15 avril 2005, le ministère roumain de l’Intérieur formula deux demandes d’extradition du requérant en raison de l’affaire pénale concernant les infractions à caractère sexuel susmentionnées.

21. Le 21 octobre 2005, la Cour suprême suédoise rejeta ces demandes au motif que, du fait de ses convictions découlant de ses activités dans le cadre du MISA, le requérant risquait d’être persécuté en cas d’extradition vers la Roumanie.

22. Le 2 janvier 2006, les autorités suédoises délivrèrent au requérant un titre de séjour permanent en tant que réfugié ainsi qu’une nouvelle identité.

23. Le 10 février 2007, le requérant reçut des documents officiels lui permettant de voyager en tant que réfugié, en vertu de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Le passeport délivré au requérant portait la mention « valable dans tous les États, sauf la Roumanie ».

C. La procédure pénale contre le requérant

24. Par un réquisitoire du 13 août 2004, le parquet renvoya le requérant en jugement par défaut devant le tribunal départemental de Bucarest des chefs de rapports sexuels avec un mineur, de perversion sexuelle et de corruption de mineur – infractions régies par les articles 198 §§ 2 et 3, 201 §§ 3 et 3-1 et 202 § 3 du code pénal en vigueur à l’époque des faits (CP) –, ainsi que des chefs de traite des personnes, réprimée par la loi no 678/2001 concernant la prévention et la lutte contre la traite des personnes (« la loi no 678/2001 »), et de passage illégal de la frontière, prévu par l’article 70 § 1 de l’ordonnance du gouvernement no 105/2001 concernant les frontières de la Roumanie (« l’OUG no 105/2001 »).

25. Par le même réquisitoire, F.M.M., une personne avec qui M.D. avait habité, et F.F.Z., qui aurait aidé le requérant à traverser illégalement la frontière, furent renvoyés en jugement, respectivement pour le chef de corruption de mineur – infraction punie par l’article 202 1) combiné avec l’article 41 3) du CP – et pour le chef de trafic de migrants – infraction prévue par l’article 71 1) de l’OUG no 105/2001 modifiée par l’article 29 de la loi no 39/2003.

26. M.D. était partie lésée dans la procédure, et M.A.A. et S.I. se constituèrent parties civiles.

27. Par un arrêt du 24 novembre 2004, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») ordonna le transfert du dossier au tribunal départemental de Sibiu, faisant ainsi droit à une demande du requérant.

1. La procédure en première instance

28. Le 13 janvier 2005, le dossier fut enregistré au rôle du tribunal départemental de Sibiu.

29. Le requérant, représenté par l’avocat de son choix, fut cité à comparaître à deux adresses à Bucarest et, par voie d’affichage, à l’adresse de la mairie de son domicile.

30. Entre février et avril 2005, l’affaire fut ajournée trois fois pour défaut de citation correcte de la partie lésée et en raison de l’absence de certains témoins.

31. Le 11 mai 2005, le tribunal départemental de Sibiu fut informé que le requérant se trouvait en Suède. L’affaire fut ajournée quatre fois pour défaut de citation correcte du requérant, dont l’adresse en Suède n’était pas connue. Le 9 novembre 2005, par un jugement avant dire droit, le tribunal départemental prit note que l’avocat du requérant indiquait, à sa demande, l’adresse de son client à l’étranger et sollicitait que tous les actes de procédure y fussent notifiés.

32. L’affaire fut ajournée par la suite quatre fois pour défaut de procédure lié à la comparution de la partie civile M.A.A., qui devait être citée au Japon, et en raison de l’absence des témoins. À la demande du tribunal, M.A.A. indiqua l’adresse d’un nouveau domicile, en Roumanie, aux fins de sa citation à comparaître.

33. Le 31 mai 2006, l’affaire fut ajournée pour défaut de citation légale du requérant, l’accusé de réception de la citation de ce dernier en Suède ayant été retourné au tribunal avec la mention « a déménagé ». L’avocat du requérant fut invité par le tribunal à indiquer « dans un délai raisonnable » une autre adresse à laquelle son client pouvait être cité.

34. Du 11 juillet 2006 au 11 avril 2007, le tribunal départemental de Sibiu sursit à statuer afin de permettre à la Cour constitutionnelle d’examiner une exception de non‑constitutionnalité soulevée par l’intéressé concernant les dispositions de la loi no 678/2001, exception qui fut rejetée par ladite juridiction.

35. Le 11 avril 2007, l’affaire fut ajournée pour défaut de procédure lié à la citation du requérant, qui avait sa résidence en Suède. Le parquet sollicita un ajournement à une date ultérieure afin de permettre la citation du requérant en Suède, et l’affaire fut ajournée au 28 juin 2007.

36. Ultérieurement, l’affaire fut ajournée quatre fois en raison d’un défaut de procédure lié à la citation du requérant et de F.M.M. ou bien en raison de l’absence des témoins, pour lesquels la procédure de mandat d’amener n’avait pas été respectée. Le 4 février 2008, le tribunal départemental de Sibiu demanda aux services postaux de prendre les mesures nécessaires, sous peine de sanction, afin de communiquer en urgence les actes de procédure au requérant en Suède.

37. Le 17 mars 2008, les avocats du requérant, au nombre de deux, soutinrent que la procédure de citation à comparaître de leur client en Suède était viciée, au motif que celui-ci n’avait pas reçu la convocation pour l’audience dans le délai prévu à l’article 177 alinéa 81 du CPP, à savoir au plus tard quarante jours avant la date de ladite audience (paragraphe 102 ci‑dessous). Le parquet répliqua que le choix du domicile de l’intéressé à l’étranger avait pour finalité de tergiverser et que les procès pénaux devaient être conduits avec célérité. Le tribunal départemental ajourna l’affaire au 14 mai 2008 pour permettre la bonne conduite de la procédure de citation du requérant.

38. Lors de l’audience du 11 juillet 2008, l’un des avocats du requérant et certains témoins demandèrent l’ajournement de la procédure en raison de leurs congés respectifs. Les avocats de la partie lésée et des inculpés sollicitèrent l’ajournement de l’affaire à une date postérieure au 30 septembre 2008. Le tribunal départemental ajourna l’affaire au 3 octobre 2008.

39. Par la suite, l’affaire fut ajournée à trois reprises pour défaut de procédure lié à la comparution de la partie civile M.A.A., laquelle devait à nouveau être citée au Japon, et en raison de l’absence de certains témoins, qui devaient être cités avec mandat d’amener.

40. Le 9 février 2009, le requérant, par le biais de son avocat, présenta au tribunal départemental ses demandes de preuve.

41. Le 17 avril 2009, l’affaire fut ajournée pour permettre la citation légale de la partie civile M.A.A. et pour donner au requérant la possibilité de verser au dossier un enregistrement contenant sa déclaration concernant les faits reprochés.

42. Le 19 juin 2009, l’avocat du requérant versa au dossier un enregistrement vidéo comportant une déclaration de son client accompagnée d’une transcription, déclaration dans laquelle l’intéressé présentait sa position sur les accusations formulées contre lui. Pour justifier son absence à la procédure, le requérant se référait au rejet par la Cour suprême suédoise de la demande d’extradition formulée par la Roumanie, et il précisait que ce rejet était fondé sur un risque pour lui de subir de graves persécutions de la part des autorités roumaines en raison de ses convictions (paragraphe 21 ci‑dessus). Il clamait également son innocence quant aux faits pour lesquels il était poursuivi.

43. Au cours de l’audience tenue le même jour, le tribunal départemental visionna cet enregistrement en présence des parties et des avocats.

44. Il entendit M.D. également ce jour-là.

45. Lors de la même audience, toujours par le biais de son avocat, le requérant demanda au tribunal départemental d’ordonner au parquet de verser au dossier les mandats émis à son nom pour autoriser l’interception de ses conversations téléphoniques. Le parquet indiqua que ces documents étaient classés « secret d’État », qu’il convenait de respecter les règles relatives à la protection des documents classifiés et que seul un représentant du tribunal devait bénéficier d’un accès à ce type de renseignements. Les mandats ne furent pas versés au dossier.

46. Le 14 septembre 2009, l’affaire fut ajournée en raison d’un mouvement de protestation des magistrats en Roumanie. Par la suite, lors des deux audiences suivantes, des preuves furent instruites et l’affaire fut ajournée une fois en raison de vices de procédure. Les débats au fond eurent lieu le 26 mars 2010.

47. Le 23 avril 2010, l’avocat du requérant versa au dossier un autre enregistrement contenant les conclusions de son client sur le fond de l’affaire ainsi que leur transcription.

48. Par un jugement du même jour, le tribunal départemental prononça l’acquittement du requérant des chefs de rapports sexuels avec un mineur, de perversion sexuelle et de traite des personnes commis sur la personne de M.D. et de rapports sexuels avec un mineur commis sur la personne de S.I. En outre, il clôtura l’affaire pour cause de prescription en ce qui concernait les infractions de corruption de mineur commise sur la personne de M.D., de rapports sexuels avec un mineur commis sur la personne de M.A.A. et de passage illégal de la frontière.

2. La procédure d’appel

49. Le parquet interjeta appel du jugement du tribunal départemental de Sibiu.

50. Le 28 février 2011, le requérant fit part à la cour d’appel de son refus de faire une déclaration supplémentaire. En outre, par le biais de son avocat, il versa au dossier ses propres conclusions écrites, lesquelles comportaient une analyse des preuves instruites dans l’affaire ainsi que son opinion quant aux raisons de sa mise en accusation, et il demanda que l’appel du parquet fût rejeté.

51. Par un arrêt du 14 mars 2011, la cour d’appel d’Alba Iulia rejeta l’appel du parquet et confirma le jugement rendu en première instance.

3. La procédure de pourvoi en recours

52. Le parquet forma un pourvoi en recours contre l’arrêt de la cour d’appel.

53. Le 15 décembre 2011, le requérant versa au dossier, par le biais de ses avocats, une déclaration par laquelle il informait la Haute Cour de son souhait de ne pas faire de déclarations supplémentaires et par laquelle il proclamait son innocence.

54. Par un arrêt du 12 avril 2012, se référant aux articles 3859 § 17² et 38515 § 2 d) du code de procédure pénale et à l’article 6 de la Convention, la Haute Cour fit droit au pourvoi en recours du parquet et cassa l’arrêt rendu en appel, au motif qu’il y avait eu en l’espèce une application erronée du droit. Elle renvoya à la position des juridictions inférieures quant à l’admission, en tant que preuves, des enregistrements téléphoniques et à la procédure d’interrogatoire de certains témoins protégés.

55. La Haute Cour observait dans son arrêt que, afin de se conformer à la jurisprudence de la Cour, elle devait examiner directement les preuves instruites, étant donné que le requérant avait été acquitté en première instance et en appel, et qu’elle devait examiner le fond de l’affaire. Elle indiquait « qu’elle devait prendre des mesures positives pour clarifier des questions essentielles concernant les faits [mentionnés dans le cadre du] pourvoi en recours et donner aux inculpés la possibilité de se défendre ».

56. Lors de ses audiences successives, la Haute Cour interrogea les témoins cités dans l’affaire ainsi que M.D.

a) La commission rogatoire

57. Le 13 juillet 2012, l’un des conseils du requérant demanda à la Haute Cour d’interroger l’intéressé sur commission rogatoire en Suède. La Haute Cour demanda au requérant de présenter des documents attestant de son statut de réfugié en Suède.

58. Le 3 septembre 2012, le requérant versa au dossier des documents en ce sens. La Haute Cour demanda aux autorités roumaines de confirmer le statut de réfugié du requérant en Suède. Faute de réponse, elle adressa directement au Conseil suédois de l’immigration une demande d’informations concernant le statut de réfugié et l’adresse du requérant en Suède.

59. Pour l’audience du 21 novembre 2012 tenue devant la Haute Cour, les autorités suédoises envoyèrent les informations ainsi demandées. Lors de la même audience, la Haute Cour demanda au requérant s’il acceptait d’être interrogé par vidéoconférence, tout en précisant que cette modalité d’interrogatoire avait pour but d’assurer une perception directe de la déclaration de l’intéressé.

60. Le 12 décembre 2012, se référant à l’article 178 § 9 de la loi no 302/2004 sur la coopération judiciaire internationale en manière pénale, le requérant indiqua que l’interrogatoire par vidéoconférence ne pouvait être réalisé sans son consentement. Il déclara qu’il ne donnait pas son accord à son interrogatoire par vidéoconférence et qu’il entendait être interrogé sur commission rogatoire.

61. Le 18 décembre 2012, la Haute Cour accepta la demande du requérant d’être interrogé sur commission rogatoire. Elle transmit aux autorités suédoises, par l’intermédiaire du ministère roumain de la Justice, une demande d’assistance judiciaire et une liste de questions à poser au requérant. Elle précisait dans sa demande que celle-ci présentait un caractère urgent, étant donné que l’affaire était pendante devant les instances judiciaires roumaines depuis 2005.

62. Le 26 février 2013, les autorités suédoises informèrent la Haute Cour qu’elles n’avaient pas pu exécuter la commission rogatoire dans le délai indiqué, à savoir avant le 20 février 2013. La Haute Cour leur communiqua alors la date d’une nouvelle audience et insista sur la nécessité d’exécuter la commission rogatoire. Le 22 mars 2013, les autorités suédoises informèrent la Haute Cour qu’elles ne pouvaient pas exécuter la commission rogatoire dans le délai requis par elle.

63. Le 11 avril 2013, la Haute Cour demanda aux autorités suédoises les raisons pour lesquelles la commission rogatoire n’avait toujours pas été exécutée trois mois après sa demande initiale et si le retard était causé par la conduite du requérant ou par la procédure prévue par la loi suédoise en la matière.

64. Le 30 avril 2013, le ministère suédois de la Justice informa la Haute Cour que le retard était dû à la procédure suédoise, qu’il n’était pas imputable au requérant et que ce dernier n’avait même pas encore été contacté. Il indiqua également que la commission rogatoire ne pourrait pas être exécutée dans le délai imparti par la haute juridiction roumaine et qu’il était impossible d’estimer le délai nécessaire pour le faire.

65. Le 9 mai 2013, la Haute Cour demanda aux autorités suédoises de lui fournir des détails sur les raisons de la non-exécution de la commission rogatoire, en soulignant que les faits reprochés avaient été commis en 2000, que l’affaire était pendante devant les juridictions pénales roumaines depuis 2005 et que la procédure était dans une phase avancée. Faisant observer que tous les documents avaient été transmis aux autorités suédoises depuis le début de l’année 2013, elle demanda par ailleurs que la commission rogatoire fût exécutée avec sérieux et en urgence.

66. Le 23 mai 2013, le Bureau national d’Eurojust (Unité de coopération judiciaire de l’Union européenne) du Royaume de Suède informa la Haute Cour que le bureau du Procureur général s’occupait de l’affaire, tout en précisant que la tâche ne serait pas facile étant donné que le gouvernement suédois avait déjà rejeté une demande concernant le requérant en 2006. Il ne fournit aucun délai quant à l’exécution de la commission rogatoire.

67. La Haute Cour adressa une lettre aux autorités suédoises dans laquelle elle indiquait que le comportement de celles-ci dans l’exécution de la commission rogatoire était incompréhensible. Elle ajoutait que la demande rejetée en 2006 concernait une demande d’extradition du requérant, et non pas une demande d’interrogatoire sur commission rogatoire. Sur ce point, elle précisait que cet acte de procédure avait été sollicité par le requérant même et qu’il représentait l’un des derniers actes de procédure permettant de trancher définitivement l’affaire.

68. Le 31 mai 2013, le ministère suédois de la Justice indiqua que le bureau du Procureur général n’avait pas encore pris une décision quant à la demande d’assistance judiciaire, que le dossier devait faire l’objet d’une appréciation et que celle-ci prenait du temps en raison de la nécessité pour d’autres autorités suédoises de recueillir des renseignements. Il mentionna également qu’une décision sur la demande d’assistance judiciaire serait prise au plus tôt à l’automne 2013 et que, si la demande était accueillie, le dossier serait attribué à un parquet chargé de traiter celle-ci.

69. Par un jugement avant dire droit du 6 juin 2013, après une audience tenue en présence des avocats du requérant, la Haute Cour estima qu’il ne convenait plus d’attendre la réponse des autorités suédoises quant à l’audition de l’intéressé sur commission rogatoire. Pour fonder sa décision, elle indiqua ce qui suit :

« (...) compte tenu des réponses des autorités suédoises, d’où il ressort non seulement qu’il n’est pas possible d’envisager l’époque à laquelle cette preuve [consistant en l’audition] pourrait être [recueillie], mais aussi que [la] réalisation [de l’audition] même est incertaine (...) ; compte tenu de ce que la demande a été formulée six mois auparavant, il convient de renoncer à la mesure ordonnée, à savoir l’audition de l’inculpé Gregorian Bivolaru et de ne plus attendre la réponse des autorités du Royaume de Suède à cet égard. »

Ce jugement n’était pas susceptible d’un recours spécifique.

70. Lors de la même audience, la Haute Cour fit droit à la demande des avocats du requérant de verser au dossier des preuves circonstancielles et ajourna l’affaire au 14 juin 2013.

b) L’interception des conversations téléphoniques

71. La Haute Cour lui ayant demandé de verser au dossier les mandats émis pour l’interception des conversations téléphoniques du requérant, le parquet déclassifia les trois mandats émis au nom de ce dernier le 13 novembre 2002 et les 11 février et 9 mai 2003 et les versa au dossier de l’affaire.

72. En examinant la légalité de ces mandats, la Haute Cour constata que ceux-ci avaient été émis par le procureur conformément à la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale de la Roumanie (« la loi no 51/1991 ») en vigueur à l’époque des faits. Se référant à l’arrêt Dumitru Popescu c. Roumanie (no 2) (no 71525/01, 26 avril 2007), elle indiqua que, bien que la loi no 51/1991 méconnaissait l’article 8 de la Convention puisqu’elle ne permettait pas de protéger un requérant contre l’arbitraire des autorités, l’utilisation des enregistrements comme preuve par le juge national ne privait pas l’intéressé d’un procès équitable. Elle conclut que, dans les circonstances de l’espèce, les enregistrements pouvaient constituer des preuves.

c) L’arrêt rendu dans le cadre de la procédure de pourvoi en recours

73. Le 13 juin 2013, le requérant réitéra sa demande d’interrogatoire sur commission rogatoire et versa au dossier des preuves circonstancielles.

74. Lors de l’audience du 14 juin 2013, les avocats du requérant et ceux de son coïnculpé F.F.Z., demandèrent que F.M.M., également inculpée, fût à nouveau interrogée. La Haute Cour rejeta cette demande.

75. Les débats devant la Haute Cour eurent lieu. La position du requérant fut défendue par deux avocats choisis par celui-ci.

76. Par un arrêt définitif du 14 juin 2013, se fondant sur les preuves du dossier (déclarations des témoins, écrits, les enregistrements des conversations), la Haute Cour condamna le requérant à une peine de six ans d’emprisonnement du chef de rapports sexuels avec un mineur commis sur la personne de M.D. Elle l’acquitta en revanche pour les infractions de traite des personnes commise sur la personne de M.D., de rapports sexuels avec un mineur commis sur la personne de S.I. et de perversion sexuelle commise sur la personne de M.D. En outre, elle décida de clôturer l’affaire pour prescription en ce qui concernait les infractions de rapports sexuels avec un mineur commis sur la personne de M.A.A., de corruption de mineur commise sur la personne de M.D. et de passage illégal de la frontière.

77. Dans son arrêt, en examinant si le requérant avait été interrogé pendant la procédure, la Haute Cour nota ce qui suit : l’intéressé avait été interrogé au début des poursuites pénales ; après sa remise en liberté, il ne s’était plus présenté au procès ; il avait transmis ses propres déclarations aux juridictions inférieures ; il avait indiqué, avant que le recours ne fût déclaré recevable, ne pas vouloir faire de déclarations supplémentaires devant la Haute Cour ; lors de l’examen au fond du recours, il n’avait pas consenti à son interrogatoire par vidéoconférence, et la procédure d’interrogatoire sur commission rogatoire n’avait pas abouti. La Haute Cour motiva sa décision de ne pas poursuivre cette procédure ainsi :

« Compte tenu du laps de temps très long écoulé depuis qu’elle [la Haute Cour] a adressé sa demande aux autorités suédoises, de l’absence de certitude quant à une réponse positive de la part de celles-ci et d’une absence de justification quant à la longueur de cette procédure ([il est fait état de] la difficulté de l’affaire, [de] l’existence d’une demande antérieure rejetée – probablement [mise en] lien avec la demande d’extradition rejetée antérieurement – sans qu’il soit constaté qu’il ne s’agit pas d’une nouvelle demande d’extradition mais d’une [demande d’]audition de l’inculpé, [dont le seul but est d’obtenir] des réponses à certaines questions), mais également de [l’absence] d’un délai dans lequel la demande (éventuellement accueillie) sera [concrétisée] par l’audition de l’inculpé ; tous ces éléments, [qui remettent] en question la volonté réelle des autorités judiciaires suédoises d’accorder l’assistance judiciaire aux autorités homologues de l’État roumain, membre de l’Union européenne, combinés avec la phase très avancée de la procédure de réexamen du fond de l’affaire (la nouvelle administration des preuves étant quasiment clôturée) et avec la durée très longue de la procédure pénale (le dossier est pendant devant les juridictions internes depuis 2005 pour des infractions présumées commises de 2000 à 2004), [ont conduit] la Haute Cour, lors de l’audience du 6 juin 2013, à revenir sur l’acceptation de la [demande de l’inculpé d’une audition sur] commission rogatoire, admise le 18 décembre 2012. »

78. Le 17 juin 2013, le tribunal départemental délivra un mandat d’arrêt européen au nom du requérant en vue de l’exécution de la peine de six ans d’emprisonnement infligée par l’arrêt définitif du 14 juin 2013 de la Haute Cour.

D. L’action en responsabilité civile délictuelle

79. Entre-temps, le 1er juin 2012, se fondant sur les articles 998, 999 et 1000 § 3 du code civil en vigueur à l’époque des faits et sur les articles 8 et 13 de la Convention, le requérant saisit le tribunal de première instance de Bucarest (« le tribunal de première instance ») d’une action en responsabilité civile délictuelle contre l’État, représenté par le ministère des Finances, et contre le parquet près la Haute Cour pour dénoncer une illégalité des mandats émis les 13 novembre 2002 et 9 mai 2003 et des écoutes téléphoniques et pour demander réparation du préjudice qu’il disait avoir subi du fait de ces enregistrements.

80. Le requérant demandait 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral. À cet égard, il expliquait que les mandats d’interception de ses conversations téléphoniques, qui avaient selon lui été illégalement et arbitrairement émis, lui avaient causé un préjudice grave puisqu’ils auraient porté atteinte à son droit au respect de sa vie privée et que les enregistrements obtenus par ce biais auraient été utilisés pour constituer un dossier pénal contre lui. Il ajoutait que l’interception de ses conversations lui avait occasionné un préjudice psychique incontestable et un fort sentiment d’insécurité, eu égard également à la persécution qu’il aurait subie pendant le régime communiste.

81. Par un jugement du 15 janvier 2013, le tribunal de première instance déclara l’action irrecevable. Sur recours du requérant, par un arrêt du 29 janvier 2014, le tribunal départemental de Bucarest cassa le jugement susmentionné et renvoya l’affaire au tribunal de première instance.

82. Par un jugement du 27 janvier 2015, ce tribunal rejeta l’action comme mal fondée. Le requérant forma un pourvoi en recours.

83. Par un arrêt définitif du 23 juin 2015, le tribunal départemental de Bucarest fit droit au pourvoi du requérant et admit l’action de celui-ci. Après avoir noté que les mandats émis au nom du requérant étaient fondés sur la loi no 51/1991 et que la compatibilité de celle-ci avec la Convention avait été examinée par la Cour dans l’affaire Dumitru Popescu (no 2) (précitée), et après avoir rappelé les critères établis par la Cour dans cette affaire, le tribunal départemental jugea que les mandats autorisant l’interception des conversations de l’intéressé avaient porté atteinte au droit à la vie privée de ce dernier. Il notait que le requérant n’avait pas bénéficié des garanties concernant la sauvegarde et la destruction des enregistrements et qu’au moment de la réalisation de ceux-ci il n’existait pas une autorité indépendante qui aurait pu attester leur réalité et leur fiabilité. Le tribunal départemental concluait que l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée n’était pas proportionnée au but poursuivi, à savoir la protection de la sécurité nationale.

84. Quant à la réparation à octroyer, considérant que le constat de violation de l’article 8 de la Convention constituait en soi une réparation équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant, le tribunal départemental octroya à ce dernier une somme symbolique de 1 leu roumain (RON, soit environ 0,30 EUR). Pour justifier sa décision quant au montant du préjudice moral, le tribunal départemental tint le raisonnement suivant :

« Pour ce qui est de l’existence du préjudice moral allégué, celui-ci ressort de la méconnaissance même du droit à la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention, le tribunal retenant le lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice subi par le requérant.

Dans ce contexte, le tribunal considère que l’action en justice (...) est bien fondée et il convient (...) d’y faire droit, en obligeant l’État roumain, par le ministère des Finances, à payer au demandeur la somme de 1 leu (RON) au titre du préjudice moral.

Certaines précisions s’imposent quant à l’établissement du montant du dommage moral dans la présente affaire.

Ainsi, le fait d’accorder 1 leu au titre du préjudice moral a, de manière évidente, une valeur symbolique, en renforçant l’effet de la décision par laquelle il est fait droit à l’action en raison de la méconnaissance du droit à la vie privée.

Dans ce contexte, le fait d’accueillir l’action et le constat de la méconnaissance [du droit au respect de la vie privée] offrent au requérant une réparation suffisante du préjudice moral subi, étant donné qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les faits qui étaient à l’origine de la violation constatée et la somme d’argent sollicitée par l’intéressé, [somme] qui n’a aucunement été [étayée] et ne peut pas être évaluée.

Par conséquent, les circonstances spécifiques de l’affaire, le comportement du requérant – qui s’était soustrait à l’enquête pénale et à la condamnation prononcée par les instances roumaines –, la circonstance que la culpabilité de l’intéressé a été établie dans le cadre de la procédure pénale sur la base de toutes les preuves instruites, et non pas uniquement sur la base des enregistrements contestés, ne justifient pas l’octroi de la somme sollicitée par l’intéressé au titre du préjudice moral, étant donné que ce recours n’est pas mis à la disposition d’une partie comme un moyen d’enrichissement, mais comme un moyen d’obtention d’une satisfaction équitable pour le préjudice subi en raison de la méconnaissance du droit à la vie privée. »

E. L’évolution ultérieure des faits

1. L’extradition du requérant vers la Roumanie

85. Le 26 février 2016, le requérant fut appréhendé à Paris alors qu’il circulait sous une fausse identité.

86. Par un arrêt du 8 juin 2016, la cour d’appel de Paris ordonna la remise du requérant aux autorités judiciaires roumaines. Pour décider ainsi, la cour d’appel de Paris nota d’abord ce qui suit :

« (...) la décision du Royaume de Suède d’accorder [à l’intéressé] le statut de réfugié politique à une date où la Roumanie n’était pas membre encore de l’Union européenne n’avait pas pour effet d’imposer à la chambre de l’instruction de refuser la remise de l’intéressé aux autorités judiciaires roumaines, au titre des dispositions de la Convention de Genève sur les réfugiés, dans la mesure où un tel refus contreviendrait à l’indication, mise à la charge de l’autorité judiciaire de l’[État] membre d’exécution, de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen pour un autre motif que ceux exhaustivement énumérés de non-exécution obligatoire prévus à l’article 3 de la décision-cadre [de 2002 relative au mandat d’arrêt européen] ou de non-exécution facultative prévus aux articles 4 et 4 bis de cette même décision-cadre (...) ».

87. Ensuite, considérant qu’il lui appartenait de rechercher s’il y avait des motifs obligatoires ou facultatifs de refus de la remise de l’intéressé aux autorités roumaines, la cour d’appel de Paris se pencha en particulier sur les questions de savoir, premièrement, s’il était établi que le mandat d’arrêt européen émis par les autorités judiciaires roumaines visait à la condamnation du requérant pour ses opinions politiques ou s’il pouvait être porté atteinte à la situation de celui-ci pour cette raison, et, deuxièmement, si le requérant avait été condamné en son absence.

88. Pour ce qui était de l’argument relatif à une persécution de l’intéressé pour des raisons politiques liées à ses convictions, la cour d’appel de Paris reprit de manière détaillée le raisonnement que la Cour avait tenu dans l’arrêt Amarandei et autres c. Roumanie, (no 1443/10, §§ 239 à 248, 26 avril 2016) pour déclarer manifestement mal fondé un grief tiré des articles 9 et 14 de la Convention. Dans cette affaire, les membres du MISA alléguaient avoir fait l’objet de persécutions, ensemble avec leur leader (à savoir le requérant de la présente affaire), pour des raisons liées à leurs convictions. La Cour avait conclu qu’en l’occurrence la preuve de la condamnation du leader du MISA en raison de ses opinions politiques n’avait pas été rapportée et qu’il n’était pas établi qu’il pourrait être porté atteinte à la situation de celui-ci en Roumanie pour cette même raison.

89. Concernant la condamnation par défaut du requérant, la cour d’appel de Paris nota que ce dernier avait été représenté dans la procédure par un avocat de son choix et par un deuxième conseil. Elle ajouta ce qui suit :

« (...) [que,] dès le début du procès, [l’intéressé] a été cité à plusieurs adresses en Roumanie et en Suède, où il s’était réfugié, que la citation dans ce dernier pays avait été effectuée par lettre recommandée avec accusé de réception et qu’il avait signé la preuve [de l’]accomplissement de la procédure de citation, qu’il avait refusé de s’expliquer devant ses juges par visioconférence, qu’il avait été donné une suite favorable à sa demande d’audition par commission rogatoire [et] que c’était uniquement en raison de l’inertie des autorités suédoises que la Haute Cour a[vait] renoncé à cette audition (...) »

90. La cour d’appel de Paris constata qu’en l’espèce les conditions étaient réunies pour autoriser la remise de l’intéressé aux autorités roumaines.

91. Un pourvoi fut introduit contre l’arrêt du 8 juin 2016 ; il fit l’objet d’une décision de rejet le 12 juillet 2016.

92. Le 22 juillet 2016, le requérant fut conduit en Roumanie, où il fut placé en détention.

2. La demande du requérant de réouverture de la procédure pénale

93. Le 2 août 2016, se fondant sur l’article 466 du nouveau code de procédure pénale (« le NCPP » ; paragraphe 107 ci-dessous) et sur l’article 6 de la Convention, le requérant demanda au tribunal départemental de Sibiu la réouverture du procès ayant abouti à sa condamnation par l’arrêt définitif de la Haute Cour du 14 juin 2013 (paragraphe 76 ci-dessus). Il tirait argument du fait que le procès s’était déroulé en son absence et qu’il n’avait pas été interrogé par la Haute Cour. Il exposait que, lors du procès initial, il s’était trouvé dans une impossibilité objective d’y participer, ce qui selon lui ressortait de la décision des autorités suédoises de lui accorder le statut de réfugié, et qu’à aucun moment il n’avait manifesté de manière non équivoque son intention de ne pas participer au procès. Il expliquait qu’il s’était trouvé en situation de force majeure, étant titulaire d’un passeport comportant la mention de sa validité dans tous les États sauf la Roumanie (paragraphe 23 ci‑dessus), et qu’il aurait subi des persécutions en cas de retour en Roumanie.

94. Par un jugement du 11 novembre 2016, après avoir examiné les pièces du dossier, le tribunal départemental de Sibiu rejeta la demande de réouverture du procès. Pour décider ainsi, le tribunal départemental nota que, d’après l’article 466 du NCPP, le condamné qui avait mandaté un avocat pour le représenter dans la procédure ne pouvait pas être considéré comme ayant été jugé par contumace, et que, en l’espèce, le requérant avait été représenté par des avocats de son choix tout au long de la procédure, y compris pendant les poursuites pénales.

95. Le tribunal départemental de Sibiu indiqua ensuite que, bien que la solution de l’affaire fût certaine – étant donné que le requérant avait été représenté par des avocats dans la procédure –, il allait répondre également aux affirmations du requérant selon lesquelles celui-ci s’était trouvé dans une impossibilité objective de participer au procès compte tenu de son statut de réfugié. À cet égard, le tribunal nota que, par un arrêt du 21 octobre 2005, la Cour suprême suédoise avait rejeté la demande d’extradition du requérant formulée par les autorités roumaines. Il estima qu’il convenait toutefois de tenir compte également de l’arrêt du 8 juin 2016 de la cour d’appel de Paris (paragraphes 86 à 90 ci-dessus), laquelle avait examiné la situation du requérant et avait jugé qu’il ne pouvait pas être retenu que celui-ci avait été pénalement condamné en raison de ses opinions politiques ni qu’il existait un risque que lors de son retour en Roumanie l’intéressé fût soumis à des persécutions en raison de ses convictions. En outre, il exposa que, dans son arrêt Amarandei et autres (précité, §§ 239 et 244), la Cour avait déclaré manifestement mal fondé le grief des membres du MISA tiré des articles 9 et 14 de la Convention, après avoir constaté que les actions des agents de l’État n’avaient pas poursuivi un but discriminatoire portant atteinte au droit des intéressés de manifester leurs convictions. Le tribunal considéra que, en l’espèce, même si le requérant avait obtenu le statut de réfugié, il n’avait pas été confronté à un cas de force majeure l’ayant empêché de revenir en Roumanie, son retour n’ayant dépendu que de sa propre volonté.

96. Le tribunal départemental de Sibiu nota également que le requérant n’avait pas été dans l’impossibilité d’informer les juridictions roumaines de son impossibilité de participer au procès, mais que, au contraire, il les avait prévenues, dans ses déclarations, qu’il n’avait pas l’intention de se présenter en personne au procès. Le tribunal constata donc que le requérant ne se trouvait pas non plus dans le deuxième cas de figure prévu par la première phrase de l’article 466 § 2 du NCPP (paragraphe 107 ci-dessous).

97. Le tribunal départemental de Sibiu examina ensuite si, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, le requérant se trouvait dans une situation qui aurait imposé la réouverture de la procédure. À ce sujet, le tribunal départemental nota qu’il ressortait clairement du dossier que le requérant s’était vu notifier les accusations pénales portées contre lui et qu’il avait été représenté dans la procédure par ses avocats, avec lesquels il avait collaboré de manière permanente et effective. Il ajouta que l’intéressé, qui avait transmis ses déclarations écrites ou enregistrées sur bande vidéo, par le biais de ses avocats, pour versement au dossier, n’avait jamais sollicité l’ajournement du procès en arguant de son impossibilité à se présenter devant le tribunal et qu’il avait demandé aux différentes juridictions d’examiner l’affaire sur la base des preuves du dossier en indiquant qu’il ne se présenterait pas en personne. Le tribunal nota également que le requérant avait demandé à être interrogé sur commission rogatoire, mais que cette modalité d’interrogatoire ne permettait pas d’assurer un contact direct entre la formation de jugement et l’accusé. Il souligna qu’il avait été loisible au requérant d’être interrogé par vidéoconférence, mais que celui-ci n’avait pas consenti à cette modalité d’interrogatoire. Pour le tribunal départemental, ces éléments prouvaient que le requérant avait eu connaissance du procès et qu’il avait renoncé de manière non équivoque à son droit de comparaître en personne.

98. Le requérant interjeta appel de ce jugement, tirant argument, entre autres, de ce qu’il n’avait pas été entendu par la Haute Cour. Il soutenait que les autorités suédoises lui avaient conseillé de ne pas consentir à un interrogatoire par vidéoconférence pour que sa vie et son intégrité physique ne fussent pas mises en danger. À cet égard, il exposait qu’il avait été agressé en 2005 au cours de sa détention en Suède, qu’après sa remise en liberté dans ce pays il avait reçu des lettres de menaces, que les autorités suédoises lui avaient alors indiqué ne pas être en mesure d’assurer sa protection permanente, et qu’elles lui avaient demandé de signer une déclaration par laquelle il s’engageait à être prudent et à assurer lui-même sa protection contre d’éventuelles agressions.

99. Il ajoutait que, dans l’affaire Amarandei et autres (précitée), l’État roumain avait été condamné pour des abus commis par ses agents sur les membres du MISA ce qui, selon lui, prouvait que ses craintes d’être persécuté en Roumanie étaient fondées.

100. Par un arrêt définitif du 8 mars 2017, la cour d’appel d’Alba Iulia rejeta l’appel du requérant et confirma le bien-fondé du jugement du 11 novembre 2016. Elle ajouta que les allégations du requérant selon lesquelles les autorités suédoises lui avaient conseillé de ne pas accepter la vidéoconférence pour des raisons liées à sa propre sécurité n’étaient pas étayées par des preuves. Elle indiqua aussi qu’il n’y avait pas non plus de preuves démontrant que les actes d’agression commis sur la personne du requérant et les menaces proférées à son encontre étaient dus ou liés aux autorités roumaines ou à des personnes intéressées dans la présente affaire.

3. La remise en liberté du requérant

101. Le 13 septembre 2017, le requérant fut remis en liberté conditionnelle.

II. LE DROIT INTERNE ET INTERNATIONAL PERTINENT

A. Les dispositions du code de procédure pénale

102. Les articles pertinents en l’espèce du CPP tel qu’en vigueur au cours de la procédure étaient ainsi libellés :

Article 177

« 81. Afin d’établir le délai permettant d’assurer la présence de (...) l’inculpé se trouvant à l’étranger, il convient de prendre en compte les normes internationales applicables dans les rapports avec l’État sur le territoire duquel se trouve l’inculpé et, à défaut de telles normes, la nécessité de recevoir la citation à comparaître au plus tard quarante jours avant la date établie pour l’audience. »

Article 3859

« Peut faire l’objet d’un pourvoi en recours : (...)

17². l’arrêt qui est contraire à la loi ou dans lequel une application erronée de la loi a été faite (...) »

Article 38514

« 1. Lorsque le tribunal statue sur le pourvoi en recours, il doit interroger l’inculpé présent, conformément aux dispositions du chapitre II [Le procès en première instance] du titre II de la Partie spéciale, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. »

Article 38515

« Lorsqu’il statue sur le pourvoi en recours, le tribunal peut (...)

2. faire droit au pourvoi, infirmer la décision attaquée et (...)

d) retenir l’affaire pour la juger à nouveau (...) »

Article 38516

« Lorsque le tribunal qui a statué sur le pourvoi en recours retient l’affaire pour la juger à nouveau, conformément à l’article 38515 par. 2 d), il se prononce également, par une décision, sur les questions relatives à l’administration des preuves et fixe une date pour les débats. Lors des débats, le tribunal doit entendre l’inculpé présent, conformément aux dispositions prévues dans la Partie spéciale, Titre II, Chapitre II, lorsque ce dernier n’a pas été entendu par les juridictions ayant statué sur le fond et en appel ou encore lorsque ces juridictions n’ont pas prononcé antérieurement une décision de condamnation. »

B. Les dispositions légales nationales et internationales concernant la coopération judiciaire internationale en manière pénale

103. La loi no 302/2004 sur la coopération judiciaire internationale en manière pénale (« la loi no 302/2004 »), telle qu’en vigueur à l’époque de la procédure initiale ayant abouti à la condamnation du requérant, prévoyait en son article 171 que l’assistance judiciaire internationale comprenait des actions telles que la commission rogatoire et l’audition par vidéoconférence.

104. Selon la même loi, la commission rogatoire internationale en matière pénale consistait en le pouvoir (împuternicirea) qu’une autorité judiciaire de l’État demandeur donnait à l’autorité d’un autre État afin que celle-ci procédât, à sa place et en son nom, à des actes judiciaires dans le cadre d’un procès pénal (article 173). L’audition du suspect ou de l’inculpé pouvait faire l’objet d’une commission rogatoire (article 174 § 1 a)).

105. L’article 178 de la loi no 302/2004 régissait l’audition par vidéoconférence. Les déclarations de l’inculpé se trouvant à l’étranger pouvaient être recueillies par vidéoconférence lorsqu’il n’était pas souhaitable ou pas possible que la personne en cause fût présente en personne sur le territoire de la Roumanie (article 178 § 11). La demande d’audition par vidéoconférence devait exposer le motif pour lequel la personne qui devait être interrogée ne pouvait pas comparaître en personne (article 178 § 3). L’audition était effectuée directement par l’autorité judiciaire compétente de l’État demandeur, ou sous sa direction, conformément au droit interne de ce dernier (article 178 § 6 c)). L’article 178 § 9 de la même loi prévoyait que les dispositions concernant l’audition par vidéoconférence pouvaient être appliquées pour l’audition du suspect ou de l’inculpé « si la personne en cause y consentait » et s’il existait un accord entre les autorités roumaines et les autorités de l’État requis.

106. L’article 9 du deuxième Protocole additionnel à la Convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale et l’article 10 de la Convention relative à l’entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l’Union européenne concernant l’audition par vidéoconférence sont cités dans l’arrêt Marcello Viola c. Italie (no 45106/04, §§ 23 et 24, CEDH 2006‑XI (extraits)).

C. Les dispositions du nouveau code de procédure pénale concernant la réouverture d’un procès pénal

107. L’article 466 du NCPP, en vigueur depuis le 1er février 2014, se lit ainsi en ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1) La personne condamnée [par un arrêt] définitif en son absence peut demander la réouverture du procès pénal dans un délai d’un mois à partir du moment où elle a pris connaissance, par toute [forme de] notification officielle, qu’un procès pénal a été conduit contre elle.

2) Est considérée comme ayant été jugée par défaut (en son absence) la personne condamnée qui n’a pas été citée à comparaître au procès et n’a pas pris connaissance par un autre moyen officiel de l’existence de celui-ci, ou bien [celle] qui a eu connaissance de l’existence du procès et s’est absentée de manière justifiée sans avoir eu la possibilité d’en informer le tribunal. N’est considérée comme ayant été jugée par défaut ni la personne condamnée qui a désigné un avocat de son choix ou un mandataire si ces derniers se sont présentés [à un certain moment] (oricand) au cours du procès, ni la personne qui, après la communication du jugement de condamnation, effectuée conformément à la loi, n’a pas fait appel, a renoncé [à faire appel] ou a retiré son appel. »

D. Les dispositions légales concernant les écoutes téléphoniques

108. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 51/1991 et du CPP applicables en matière d’interception des conversations téléphoniques, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, sont citées dans les affaires Dumitru Popescu (no 2) (précitée, §§ 41, 44 et 45) et Bucur et Toma c. Roumanie (no 40238/02, §§ 55 et suiv., 8 janvier 2013).

109. L’essentiel de la réglementation générale en matière de responsabilité civile délictuelle, à savoir les articles 998-1000 du code civil, en vigueur à l’époque des faits, est décrit dans les arrêts Iambor c. Roumanie (no 1) (no 64536/01, § 142, 24 juin 2008) et Pantea c. Roumanie (no 33343/96, § 153, CEDH 2003‑VI (extraits)).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

110. Le requérant allègue qu’il n’a pas bénéficié d’un procès équitable au motif qu’il a été condamné par la juridiction de recours sans avoir été personnellement entendu par elle et après avoir été acquitté au fond et en appel. En outre, il dénonce la durée de la procédure pénale, qu’il estime déraisonnable. Dans une lettre du 1er août 2017, il se plaint en outre d’avoir été jugé par contumace dans le cadre de la procédure pénale finalisée par l’arrêt du 14 juin 2013 de la Haute Cour et de s’être vu opposer un refus de réouverture du procès de la part des juridictions internes. Il invoque l’article 6 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...)

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

(...). »

A. Sur la recevabilité

1. Sur les allégations du requérant relatives à son jugement par contumace

111. Le requérant se plaint d’avoir été jugé par contumace dans le cadre de la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation par l’arrêt du 14 juin 2013 de la Haute Cour. Il explique qu’il n’a jamais renoncé à son droit de participer au procès mais qu’il s’est trouvé dans une impossibilité objective d’y prendre part. À cet égard, il met en avant son statut de réfugié en Suède, justifié selon lui par le danger auquel il se serait exposé en Roumanie. Il dénonce également le refus des juridictions internes de rouvrir la procédure pénale menée à son encontre ainsi que la manière dont le droit interne a été interprété et appliqué.

112. La Cour renvoie aux principes bien établis en matière de condamnation par contumace, présentés dans l’affaire Sejdovic c. Italie ([GC], no 56581/00, §§ 81-95 et 99, CEDH 2006‑II) et rappelés dans l’affaire Abdelali c. France (no 43353/07, § 50, 11 octobre 2012). La condamnation par contumace désigne une décision judiciaire prononcée à l’issue d’un procès déroulé en l’absence du condamné. Elle rappelle notamment que, lorsqu’il ne s’agit pas d’un inculpé atteint par une notification à personne, la renonciation à comparaître et à se défendre ne peut pas être inférée de la simple qualité de « latitante » (en fuite), fondée sur une présomption dépourvue de base factuelle suffisante. Cela étant, la Cour ne saurait pour autant exclure que certains faits avérés puissent démontrer sans équivoque que l’accusé sait qu’une procédure pénale est dirigée contre lui et connaît la nature et la cause de l’accusation et qu’il n’a pas l’intention de prendre part au procès ou entend se soustraire aux poursuites (voir également Hu c. Italie, no 5941/04, § 54, 28 septembre 2006).

113. En l’espèce, la Cour constate que le requérant s’est vu notifier les accusations pénales portées contre lui (paragraphes 15 et 18 ci‑dessus). En outre, l’intéressé a été représenté dans la procédure par des avocats qu’il avait mandatés et avec lesquels il a maintenu un contact permanent pour la préparation de sa défense (paragraphes 39, 42, 45, 47, 50 et 53 ci-dessus). Dès lors, la Cour estime que des faits avérés démontrent sans équivoque que l’intéressé savait qu’une procédure pénale était dirigée contre lui. Le requérant estimait être dans une impossibilité objective, due – selon lui – à sa qualité de réfugié en Suède, de se présenter physiquement au procès. Cela étant, ce seul fait ne permet pas à la Cour de considérer que l’intéressé a été condamné par défaut, alors qu’il avait été dûment informé de la procédure dont il avait pleinement connaissance et qu’il avait été représenté par des avocats de son choix. Il n’y a pas eu non plus en l’espèce déni de justice, l’affaire ayant été jugée sur le fond et toutes les voies de recours prévues en droit interne ayant été disponibles à l’intéressé, indépendamment de la présence physique de ce dernier au procès (voir, a contrario et mutatis mutandis, Poitrimol c. France, 23 novembre 1993, §§ 37-38, série A no 277‑A).

114. Enfin, la Cour accorde de l’importance au fait que le système judiciaire roumain permettait la réouverture d’une procédure lorsque l’inculpé avait été jugé par contumace (paragraphe 107 ci-dessus ; voir, pour une situation contraire, Hu, précité, § 57). En l’espèce, le tribunal départemental saisi par le requérant d’une demande de réouverture a minutieusement examiné les motifs avancés par celui-ci, et il a présenté des arguments logiques et ne comportant aucun indice d’arbitraire avant de rejeter cette demande (paragraphes 94 à 97 ci-dessus).

115. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

2. Sur les autres griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention

116. Constatant que les griefs concernant la condamnation, pour la première fois, du requérant par la Haute Cour sans audition en personne par cette juridiction ainsi que la durée de la procédure ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Quant à la condamnation par la juridiction de recours sans audition en personne, par celle-ci, du requérant et après acquittement de ce dernier au fond et en appel

a) Arguments des parties

i. Le requérant

117. Le requérant soutient que, d’après le droit interne, une fois le recours accueilli, la Haute Cour était dans l’obligation de s’assurer d’avoir la perception directe et immédiate des preuves instruites, y compris de la déclaration de la personne inculpée.

118. Se référant à l’article 178 § 9 de la loi no 302/2004, il indique que l’interrogatoire par vidéoconférence ne pouvait pas être réalisé sans son accord et que la loi n’imposait pas à une personne inculpée de fournir des raisons pour justifier son refus.

119. Le requérant considère ensuite que sa situation est similaire à celle du requérant de l’affaire Constantinescu c. Roumanie (no 28871/95, CEDH 2000‑VIII). Il avance que la présence de la personne poursuivie aux débats est primordiale afin de garantir le droit de celle-ci à être entendue, de contrôler l’exactitude de ses déclarations et de comparer ses dires avec ceux des victimes ou des témoins. Il indique qu’en l’espèce il a demandé à trois reprises, par le biais de ses avocats, à être entendu sur commission rogatoire, ce qui prouverait qu’il n’avait pas renoncé à son droit à être auditionné. Il ajoute que la Haute Cour n’a précisé à aucun moment comment il aurait pu être présent pour faire une déclaration tout en ayant le statut de réfugié. Il indique enfin que la Haute Cour a renoncé à le faire entendre sur commission rogatoire, et il estime qu’elle a ainsi porté atteinte à l’équité de la procédure dans son ensemble, et ce d’autant plus qu’il aurait constamment clamé son innocence.

120. Le requérant expose qu’il se trouvait dans une impossibilité objective de participer au procès, ce qui selon lui ressort de la décision des autorités suédoises de lui accorder le statut de réfugié : il précise qu’il risquait de subir des persécutions en Roumanie en raison de ses convictions. Il indique que tant la campagne de presse menée à son encontre que les différents actes d’agression et les menaces l’ayant visé prouvent que ses craintes étaient fondées. Pour le requérant, les constats de violation des articles 3, 5 et 8 de la Convention opérés par la Cour dans le chef de tout ou partie des membres du MISA dans l’arrêt Amarandei et autres (précité) démontrent également que ses craintes étaient justifiées.

ii. Le Gouvernement

121. Le Gouvernement soutient que la présente cause diffère de l’affaire Constantinescu (précitée) en ce que, en l’espèce, d’une part, la Haute Cour n’aurait jamais refusé d’entendre personnellement le requérant ou ses avocats et, d’autre part, le requérant aurait lui-même décidé de ne pas se présenter devant les juridictions en se référant à son statut de réfugié. Le Gouvernement indique aussi que, à la différence de l’affaire Constantinescu (précitée), la Haute Cour a pu connaître la position du requérant par l’intermédiaire des avocats de ce dernier puisque ceux-ci auraient été présents aux audiences devant elle et auraient été entendus.

122. Le Gouvernement expose ensuite que le requérant a refusé d’être interrogé par vidéoconférence, sans fournir de justification, alors que ce mode d’interrogatoire était selon lui le seul apte à compenser, dans une certaine mesure, « le manque d’immédiateté » qui aurait été causé par l’absence physique de l’intéressé. Il indique que le requérant a demandé à être entendu sur commission rogatoire après avoir renoncé à déposer dans un premier temps, alors que, de manière générale, pareil mode d’audition ne correspondrait pas à un témoignage présenté en personne par l’accusé. Il ajoute que, dans sa requête, l’intéressé s’est borné à se plaindre de manière générale d’une omission de la Haute Cour de procéder à son audition sur commission rogatoire, et ce, à ses dires, sans démontrer concrètement de quelle manière l’omission alléguée a influé sur l’équité de la procédure.

123. Le Gouvernement indique que le requérant avait versé au dossier des déclarations enregistrées, que les juridictions inférieures ont visionné ces pièces et que tous ces documents ont été versés au dossier devant la Haute Cour.

124. Le Gouvernement indique enfin que la demande de réouverture de la procédure formulée par le requérant a été examinée et rejetée par les juridictions nationales compétentes et que celles-ci ont tenu compte à cet égard de la jurisprudence de la Cour (paragraphe 95 ci‑dessus).

b) Appréciation de la Cour

i. Les principes applicables

125. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention ne souffre aucune dérogation. Toutefois, la définition de cette notion ne saurait être soumise à une règle unique et invariable mais elle est au contraire fonction des circonstances propres à chaque affaire. Lorsqu’elle examine un grief tiré de l’article 6 § 1, la Cour doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, parmi d’autres, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 101, CEDH 2015, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 250, CEDH 2016).

126. La Cour rappelle que la comparution d’un prévenu revêt une importance capitale dans l’intérêt d’un procès pénal équitable et juste (Hermi c. Italie [GC], no 18114/02, § 58, CEDH 2006‑XII), en raison tant du droit de l’intéressé à être entendu que de la nécessité de contrôler l’exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que des témoins (Sejdovic, précité, § 92).

127. La comparution personnelle du prévenu ne revêt pourtant pas la même importance décisive en appel qu’en première instance. Les modalités d’application de l’article 6 de la Convention en appel dépendent des particularités de la procédure dont il s’agit : il faut prendre en compte l’ensemble du procès mené dans l’ordre juridique interne et le rôle qu’y a joué la juridiction d’appel (Kashlev c. Estonie, no 22574/08, § 38, 26 avril 2016 et Marcello Viola c. Italie, no 45106/04, § 54, CEDH 2006‑XI (extraits)).

128. Devant une instance d’appel jouissant de la plénitude de juridiction, l’article 6 de la Convention ne garantit pas nécessairement le droit à une audience publique ni, si une telle audience a lieu, celui d’assister en personne aux débats (Constantinescu, précité, § 54). En revanche, lorsqu’une instance d’appel est amenée à connaître d’une affaire en fait et en droit et à étudier dans son ensemble la question de la culpabilité ou de l’innocence, elle ne peut, pour des motifs d’équité du procès, décider de ces questions sans appréciation directe des témoignages présentés en personne par l’accusé qui soutient qu’il n’a pas commis l’acte tenu pour une infraction pénale (voir, par exemple, Ekbatani c. Suède, 26 mai 1988, § 32, série A no 134, Constantinescu, précité, § 55, et Popovici c. Moldova, nos 289/04 et 41194/04, § 68, 27 novembre 2007). Il en est a fortiori ainsi dans la présente affaire où le requérant a été condamné pour la première fois lors du pourvoi en recours (voir, par exemple, Popa et Tănăsescu c. Roumanie, no 19946/04, § 52, 10 avril 2012).

129. Cela étant, le défaut d’interrogatoire de l’inculpé par la juridiction pénale, lorsque le cadre législatif interne le permet, n’emporte pas automatiquement violation de l’article 6 § 1 de la Convention : les démarches faites par les autorités judiciaires pour auditionner l’inculpé et l’attitude de ce dernier à cet égard sont des éléments à prendre en considération pour décider de l’équité de la procédure dans son ensemble (voir, en ce sens, Rusu c. Roumanie (déc.), no 6246/04, §§ 28-29, 31 août 2010, où, après avoir constaté que la juridiction statuant en recours avait correctement cité à sept reprises, sans succès, les intéressés, la Cour a déclaré le grief irrecevable, en notant que « la juridiction de recours a[vait] utilisé tous les moyens dont elle disposait pour s’assurer de la comparution des requérants aux débats » ; voir également en ce sens, Hernández Royo c. Espagne, no 16033/12, § 39, 20 septembre 2016, et Ivanciuc c. Roumanie (déc.), no 18624/03, CEDH 2005-XI, où la Cour a déclaré un grief similaire irrecevable après avoir noté que le requérant s’était totalement désintéressé du procès, en s’abstenant d’assister à toutes les audiences devant les tribunaux internes, et qu’aucun manquement à la procédure interne ne pouvait être reproché au tribunal).

130. Elle rappelle également que, ni la lettre ni l’esprit de l’article 6 de la Convention n’empêchent une personne de renoncer de son plein gré aux garanties d’un procès équitable de manière expresse ou tacite. Cependant, pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, la renonciation au droit de prendre part à l’audience doit se trouver établie de manière non équivoque et s’entourer d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité. De plus, elle ne doit se heurter à aucun intérêt public important (Sejdovic précité, § 86, Kashlev précité, § 42, et Medenica c. Suisse, no 20491/92, § 55, CEDH 2001‑VI).

131. La Cour rappelle que les États contractants jouissent d’une grande liberté dans le choix des moyens propres à permettre à leur système judiciaire de respecter les impératifs de l’article 6. La tâche de la Cour consiste à rechercher si la voie suivie a conduit, dans un litige déterminé, à des résultats compatibles avec la Convention, eu égard également aux circonstances spécifiques de l’affaire, à sa nature et à sa complexité. En résumé, comme indiqué plus haut, la Cour doit examiner si la procédure a revêtu, dans son ensemble, un caractère équitable (Ibrahim et autres, précité, §§ 250 et 251, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, § 113, CEDH 2017 (extraits)). Enfin, si l’on veut garantir un procès équitable à l’accusé, toutes les difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées, notamment par des garanties procédurales solides (voir, mutatis mutandis, Schatschaschwili, précité, § 145).

ii. L’application de ces principes à la présente espèce

132. La Cour prend note de la position du requérant, qui se plaint exclusivement de ne pas avoir été entendu par la Haute Cour – juridiction l’ayant condamné pour la première fois, après son acquittement en première instance et en appel : l’intéressé dénonce plus particulièrement un refus de la plus haute juridiction de le faire interroger sur commission rogatoire.

133. La Cour observe qu’en l’espèce la Haute Cour était appelée à examiner l’affaire en fait et en droit et à procéder à une appréciation globale de la culpabilité ou de l’innocence du requérant. La participation de ce dernier aux débats et son audition lors de la procédure de pourvoi en recours étaient donc, en principe, nécessaires aux fins de la Convention (voir, en ce sens, Kashlev, précité, § 45, et Hernández Royo, précité, § 34).

134. Cela étant, la Cour note qu’en l’occurrence, le requérant, qui avait obtenu le statut de réfugié en Suède, n’entendait pas participer physiquement à la procédure devant la juridiction statuant sur son pourvoi en recours (comparer avec Constantinescu, précité, où le requérant avait été présent à l’audience) : l’intéressé avait obtenu en 2006 le statut de réfugié en Suède, après que la Cour suprême suédoise eut rejeté en 2005 la demande d’extradition le visant en raison d’un risque de persécution en Roumanie à cause de ses convictions (paragraphe 21 ci‑dessus). La Cour peut donc comprendre que l’intéressé n’entendait pas se présenter en personne pour déposer devant la Haute Cour.

135. Pour autant, il convient de relever que, bien qu’ayant été absent physiquement et bien qu’ayant informé la Haute Cour, lors de l’examen de l’admissibilité de la demande de pourvoi en recours formée par le parquet, de son intention de ne pas faire de déclaration supplémentaire (paragraphe 53 ci‑dessus), l’intéressé a demandé à être entendu lors de l’examen au fond du pourvoi en recours, position qu’il a maintenue jusqu’à la fin de la procédure (paragraphe 73 ci-dessus). Dans les circonstances de l’espèce, il ne peut donc pas être conclu que le requérant avait renoncé à son droit à être entendu (contrairement aux requérants des affaires Kashlev, précité, § 45, et Hernández Royo, précité, § 39). De même, il ne peut pas être retenu que le requérant s’était désintéressé de la procédure (comparer avec Ivanciuc, décision précitée).

136. Dès lors, la Cour doit examiner si, dans les circonstances de l’espèce, la Haute Cour a agi avec diligence et utilisé tous les moyens dont elle disposait afin de donner au requérant l’occasion d’être auditionné. Pour ce qui est de la manière concrète de procéder à l’interrogatoire du requérant, la Cour tient compte des particularités de l’espèce, à savoir l’impossibilité alléguée de ce dernier de se rendre en Roumanie pour être interrogé par la Haute Cour.

137. À ce sujet, la Cour observe que, eu égard à l’absence physique du requérant au procès, la Haute Cour a eu recours à l’entraide judiciaire internationale. Dans le cadre de l’assistance judiciaire internationale en matière pénale, la loi no 302/2004 mettait à la disposition des autorités judiciaires deux voies aux fins de l’audition d’un inculpé se trouvant à l’étranger et ne pouvant pas comparaître en personne : la vidéoconférence et la commission rogatoire (paragraphes 103 à 105 ci-dessus).

138. À cet égard, la Cour note que la Haute Cour a proposé au requérant de l’interroger par vidéoconférence – une forme de participation à la procédure qui n’est pas, en soi, incompatible avec la notion de procès équitable et public (Sakhnovski c. Russie [GC], no 21272/03, § 98, 2 novembre 2010, et Marcello Viola, précité, § 67) – et que l’intéressé, entouré par le conseil de ses avocats, a sciemment refusé d’être interrogé par vidéoconférence au motif que la loi interne lui permettait de ne pas consentir à une telle modalité d’audition (paragraphe 60 ci-dessus).

139. S’il est vrai que le droit interne n’imposait pas à la personne refusant de donner son consentement à un interrogatoire par vidéoconférence de justifier sa position, il n’en reste pas moins que, dans la présente espèce – où le requérant reproche à la juridiction ayant prononcé sa condamnation de ne pas l’avoir interrogé –, cette modalité d’interrogatoire pouvait être, de l’avis de la Cour, un moyen approprié pour assurer l’audition directe et diligente de l’intéressé par la Haute Cour.

140. La Cour observe ensuite que la Haute Cour a également fait droit à la demande du requérant d’être interrogé sur commission rogatoire en Suède, mais que, en raison des retards pris par les autorités suédoises dans l’examen de la demande d’assistance judiciaire et de l’absence de prévisibilité quant au moment de la possible réalisation d’un tel interrogatoire, elle a décidé de renoncer à l’audition du requérant (paragraphe 69 ci‑dessus). En effet, la Cour constate que, d’après les pièces du dossier, dès le début de la procédure de commission rogatoire, les autorités suédoises n’ont pas fourni d’explication pour le non-respect des délais successifs fixés par les autorités roumaines (paragraphes 62 et 64 ci‑dessus). Après environ six mois d’échanges entre la Haute Cour et les autorités suédoises compétentes (paragraphes 61 à 68 ci‑dessus) l’examen de la demande d’assistance judiciaire se trouvait toujours dans sa phase initiale et qu’il y avait une incertitude tant quant à l’issue de celle-ci que quant au délai dans lequel, en cas de réponse positive, l’intéressé serait interrogé (paragraphe 68 ci-dessus). Or la Haute Cour a informé les autorités suédoises du caractère urgent de sa demande, urgence justifiée par le temps écoulé depuis la commission des faits reprochés au requérant, la durée de la procédure et l’état d’avancement de la procédure (paragraphes 61, 65 et 67 ci‑dessus). La Cour note par ailleurs qu’aucune erreur procédurale n’avait été opposée aux autorités roumaines par les autorités suédoises dans la formulation de la demande d’assistance judiciaire. La Haute Cour ne disposait pas d’autres moyens dans son ressort pour accélérer la procédure de commission rogatoire.

141. Dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour accorde de l’importance au fait que la Haute Cour a exposé les raisons qui l’ont déterminée à renoncer à l’interrogatoire de l’intéressé par commission rogatoire. La haute juridiction a mentionné l’incertitude quant à l’issue de sa demande d’assistance judiciaire et quant à la date éventuelle d’exécution de la commission rogatoire (paragraphe 69 ci-dessus), ainsi que la durée de la procédure dans son ensemble devant les juridictions roumaines (paragraphe 76 ci‑dessus).

142. Eu égard à la durée de l’examen de la demande d’assistance judiciaire, laquelle, à la lumière de la réponse des autorités suédoises (paragraphe 68 ci-dessus), ne présentait pas de perspectives claires d’aboutir, la décision de la Haute Cour de ne plus suivre la procédure y afférente, intervenue après plusieurs rappels adressés aux autorités suédoises, ne paraît pas, de l’avis de la Cour, déraisonnable. En outre, la Cour constate que la procédure pénale était pendante depuis de nombreuses années devant les juridictions internes (paragraphes 155 et 159 ci-dessous). Elle rappelle avoir déjà admis que des considérations liées à un jugement dans un délai raisonnable et à la nécessité en découlant d’un traitement rapide des affaires inscrites au rôle des instances judiciaires pouvaient entrer en ligne de compte pour déterminer si des débats publics correspondaient à un besoin après le procès en première instance (comparer avec Marcello Viola, précité, § 70). Dès lors, la Cour estime que la Haute Cour a fait des démarches raisonnables pour offrir au requérant l’occasion d’être entendu par la voie de la commission rogatoire.

143. La Cour relève également que, à la différence de l’affaire Constantinescu, la présente espèce se caractérise par le fait que la Haute Cour a pu connaître la position du requérant par l’intermédiaire des avocats de ce dernier, lesquels étaient présents lors de l’examen du pourvoi en recours et ont débattu l’affaire devant elle (paragraphes 74 et 75 ci‑dessus ; voir également, Titei c. Roumanie (déc.) no 1691/03, 23 mai 2006). Ces avocats ont été constamment et tout au long de la procédure en contact avec le requérant, et ils ont défendu les intérêts de leur client de manière effective. De même, la Cour note que, alors que le 6 juin 2013, en présence des avocats du requérant, la Haute Cour avait renoncé à interroger ce dernier sur commission rogatoire (paragraphe 69 ci-dessus), le 13 juin 2013, celui-ci a persévéré dans sa demande d’être interrogé sur commission rogatoire (paragraphe 73 ci‑dessus), sans demander à être entendu par un autre moyen. Or l’intéressé, qui se trouvait représenté par les avocats de son choix, aurait pu raisonnablement envisager les possibles conséquences de sa demande.

144. La Cour note enfin que, bien que n’ayant fourni aucune explication, dans le cadre de la procédure initiale, à son refus d’être interrogé par vidéoconférence, le requérant a affirmé, dans le cadre de la procédure tendant à l’obtention de la réouverture de son procès, qu’il avait été conseillé en ce sens par les autorités suédoises (paragraphe 98 ci‑dessus). Or, à l’instar de la cour d’appel d’Alba Iulia (paragraphe 100 ci-dessus), la Cour relève que ces assertions n’ont été étayées par aucune preuve.

145. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la Haute Cour a déployé tous les efforts que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elle dans le cadre juridique existant pour assurer l’interrogatoire de l’intéressé et qu’aucun manque de diligence ne peut lui être reproché.

146. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention de ce chef.

2. Quant à la durée de la procédure pénale

a) Arguments des parties

i. Le requérant

147. Le requérant estime que ni la complexité de l’affaire ni son comportement ne justifient la durée de la procédure. Il indique qu’il n’existe aucune obligation légale imposant de choisir, en matière procédurale, une domiciliation dans le pays où le procès se déroule. Il ajoute que le juge constitutionnel a fait droit à sa demande et que, par conséquent, il ne peut lui être reproché d’avoir soulevé une exception d’inconstitutionnalité.

148. Le requérant considère enfin que les autorités nationales sont les seules responsables de la durée de la procédure pénale menée contre lui, qu’il qualifie de déraisonnable. À cet égard, il indique que la procédure a été pendante pendant cinq ans devant le tribunal départemental de Sibiu et que les ajournements de l’affaire étaient dus à des erreurs commises dans l’administration du système judiciaire.

ii. Le Gouvernement

149. Le Gouvernement soutient que la durée de la procédure est due à la complexité de l’affaire et à la conduite des parties.

150. Pour ce qui est de la complexité de de l’affaire, il se réfère à la nature des accusations portées contre le requérant, aux circonstances ayant entouré la réalisation des auditions de certaines des parties – auditions qui auraient été effectuées alors que des manifestations auraient eu lieu devant les juridictions – et à la réception par le président de la formation de jugement de la Haute Cour, avant le prononcé de son arrêt par cette juridiction, de menaces. Il ajoute que plus de trente-cinq témoins ont été interrogés au cours de la procédure pénale – par le tribunal départemental de Sibiu, puis par la Haute Cour – et que l’une des parties civiles a résidé à l’étranger pendant le déroulement du procès.

151. Concernant la conduite des parties, le Gouvernement expose que, après sa remise en liberté le 1er avril 2004, le requérant n’a été retrouvé à aucune de ses adresses connues par les autorités roumaines et qu’il a été renvoyé en jugement par défaut. Il indique également que la durée de la procédure a été allongée par la nécessité de citer l’intéressé à l’étranger. En outre, il avance que les autres inculpés et les parties civiles ont agi de manière coordonnée dans la procédure, puisque leur but aurait consisté en la défense des intérêts du requérant.

b) Appréciation de la Cour

152. La Cour note que la procédure pénale contre le requérant a commencé le 28 mars 2004, date de l’interpellation de l’intéressé, et qu’elle a pris fin par le prononcé de l’arrêt définitif du 14 juin 2013 de la Haute Cour quand le fond de l’affaire a été définitivement tranché. Elle observe que la procédure pénale a donc duré en l’espèce neuf ans, deux mois et deux semaines environ pour trois degrés de juridiction.

153. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier eu égard à la complexité de l’affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités compétentes ainsi qu’à l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

154. À titre liminaire, la Cour tient à préciser qu’elle ne saurait ignorer le contexte tendu dans lequel l’affaire s’est déroulée, surtout pendant l’enquête et les poursuites pénales, les actes de procédure ayant parfois été reportés en raison des manifestations réalisées par les sympathisants du MISA (paragraphe 16 ci-dessus).

155. La Cour constate qu’en l’espèce l’affaire a été pendante environ cinq ans et trois mois devant le tribunal départemental de Sibiu avant le prononcé par cette juridiction d’un jugement sur le fond.

156. La Cour tient compte de ce que, étant donné que le requérant résidait à l’étranger, des règles de procédure spécifiques devaient être appliquées pour la citation à comparaître (paragraphe 37 ci-dessus), ce qui a contribué à l’allongement de la procédure. Cela étant, bien que certaines périodes aient été nécessaires aux autorités roumaines pour identifier l’endroit où se trouvait l’intéressé, il ressort du jugement avant dire droit du 9 novembre 2005 que, lorsqu’il a été interrogé à ce sujet, l’avocat du requérant a communiqué au tribunal départemental de Sibiu l’adresse de son client à l’étranger (paragraphe 31 ci-dessus).

157. La Cour remarque également que de nombreux ajournements ont été nécessaires devant le tribunal départemental de Sibiu en raison de défauts de citation correcte (paragraphe 30 ci-dessus), spécialement s’agissant de la partie civile M.A.A. (paragraphes 32 et 39 ci-dessus), et au motif que la procédure de mandat d’amener n’avait pas été correctement utilisée (paragraphes 36 et 39 ci-dessus). S’il est vrai que le tribunal en question a essayé d’accélérer la communication des actes de procédure (paragraphe 36 in fine ci-dessus), il n’en reste pas moins que l’État est responsable des actions entreprises par toutes ses institutions, et non pas uniquement par les organes judiciaires (Martins Moreira c. Portugal, 26 octobre 1988, § 60, série A no 143).

158. Pour ce qui est enfin de la durée de la procédure en appel et en recours, la Cour considère que celle-ci s’est déroulée avec diligence. Toutefois, la durée de la procédure en première instance a eu un impact déterminant sur la durée de la procédure dans son ensemble, qui, en l’espèce, est déraisonnable.

159. Pour autant, eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la durée de la procédure pénale dans son ensemble a été déraisonnable et qu’elle est imputable aux autorités nationales. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à la durée de cette procédure.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

160. Le requérant se plaint de l’interception de ses conversations téléphoniques, qu’il estime avoir été illégale, et il dénonce une atteinte à son droit au respect de la vie privée. Il invoque l’article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

161. Le Gouvernement estime que le requérant ne peut plus se prétendre victime d’une violation de son droit au respect de la vie privée en raison de l’interception de ses conversations téléphoniques. Il indique également que le requérant a omis d’informer la Cour du prononcé de l’arrêt du 23 juin 2015 du tribunal départemental de Bucarest, information essentielle, selon lui, pour la résolution de l’affaire, ce qui constituerait un abus du droit de recours individuel.

162. Concernant l’absence de qualité de victime de l’intéressé, le Gouvernement expose que si le constat d’une méconnaissance de l’article 8 de la Convention n’est qu’implicite dans l’arrêt du 14 juin 2013 de la Haute Cour, dans son arrêt du 23 juin 2015, le tribunal départemental de Bucarest a mentionné de manière expresse que l’interception des conversations téléphoniques réalisée en application de la loi no 51/1991 avait porté atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée.

163. En ce qui concerne la réparation octroyée, le Gouvernement avance que la solution retenue par le tribunal départemental de Bucarest est similaire à celle adoptée par la Cour dans l’affaire Dumitru Popescu (no 2) (précitée) et dans des affaires récentes concernant l’interception de communications et des mesures de surveillance, dans lesquelles la Cour aurait jugé que le constat de violation représentait en soi une réparation équitable suffisante du préjudice moral (Szabó et Vissy c. Hongrie, no 37138/14, § 98, 12 janvier 2016, et Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, § 312, CEDH 2015).

164. Il ajoute que, même si dans d’autres affaires similaires la Cour a pu juger nécessaire d’octroyer une réparation pécuniaire pour le préjudice moral subi, il convient de tenir compte de ce que l’évaluation du dommage moral ne serait pas soumise à des règles strictes et que le juge national serait, généralement, mieux placé pour procéder à une telle évaluation. Il précise que, en l’espèce, le tribunal départemental de Bucarest a indiqué les raisons l’ayant déterminé à octroyer une somme symbolique pour le dommage moral.

2. Le requérant

165. Le requérant s’estime toujours victime d’une violation de l’article 8 de la Convention. À cet égard, il explique que, bien que le tribunal départemental de Bucarest ait constaté une méconnaissance de cette disposition, il a fait dépendre le montant de l’indemnité à octroyer au titre du préjudice moral de son comportement et de sa culpabilité pénale, et non pas du manque de garanties de la loi en cause et de l’ingérence illégale dans son droit au respect de sa vie privée dénoncés par lui. Il considère que, de façon générale, la dignité d’une personne ne doit pas être protégée seulement lorsque celle-ci subit des affections physiques ou psychiques graves. Selon lui, l’existence d’un préjudice moral chez une personne victime d’une méconnaissance par une autorité publique d’un droit reconnu par la législation nationale ne doit pas être rejetée ab initio pour manque de preuves mais doit au contraire être présumée, d’une manière raisonnable, au regard de l’existence du fait illicite en soi.

166. Le requérant indique que, dans une affaire similaire à la sienne, les juridictions internes ont alloué à la partie demanderesse environ 11 574 EUR au titre du préjudice moral et que, dans l’affaire Balteanu c. Roumanie (no 142/04, 16 juillet 2013), la Cour a accordé à la partie requérante 4 500 EUR au titre du préjudice moral après avoir constaté une violation de l’article 8 de la Convention à raison d’une interception illégale de conversations téléphoniques.

167. Le requérant considère non seulement que la réparation allouée dans son affaire est dérisoire et tardive mais aussi que la motivation retenue par le tribunal départemental de Bucarest permet de conclure que cette juridiction a procédé à une reconnaissance formelle d’une violation de l’article 8 de la Convention.

B. Appréciation de la Cour

168. La Cour rappelle que c’est aux autorités nationales qu’il appartient en premier lieu de redresser une violation alléguée de la Convention. Cela étant, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à retirer la qualité de « victime » à celui-ci que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Kurić et autres c. Slovénie [GC], no 26828/06, §§ 259-260, CEDH 2012 (extraits), Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 81, CEDH 2012, et O’Keeffe c. Irlande [GC], no 35810/09, § 115, CEDH 2014 (extraits)). Il appartient donc à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités nationales, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement offert peut être considéré comme approprié et suffisant (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 193, CEDH 2006‑V).

169. En l’occurrence, la Cour observe que le requérant a saisi les juridictions internes d’une action en responsabilité civile délictuelle, dans le cadre de laquelle, par un arrêt définitif du 23 juin 2015, le tribunal départemental de Bucarest a reconnu de manière expresse la violation de son droit au respect de sa vie privée à raison de l’interception de ses conversations téléphoniques. Ainsi, la première condition imposée par la jurisprudence de la Cour quant à la qualité de victime est remplie en l’espèce.

170. Pour ce qui est du redressement de la violation constatée, la Cour rappelle qu’il doit être approprié et suffisant. Cela dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, eu égard en particulier à la nature de la violation de la Convention qui se trouve en jeu (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010, et Shishanov c. République de Moldova, no 11353/06, § 106, 15 septembre 2015). En outre, la Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer que la qualité de « victime » d’un requérant peut aussi dépendre du montant de l’indemnité qui, le cas échéant, lui a été accordée au niveau national, ou à tout le moins de la possibilité de demander et d’obtenir réparation pour le dommage subi, compte tenu de la situation dont il se plaint devant elle, et que ce constat s’applique, mutatis mutandis, aux plaintes pour violation de l’article 8 (Kurić et autres, précité, § 262, et Scordino (no 1), précité, § 202).

171. La Cour note que, en l’espèce, le tribunal départemental de Bucarest a octroyé au requérant une somme symbolique de 1 RON au titre du préjudice moral. Pour ce faire, il s’est référé, entre autres, à des faits ultérieurs aux enregistrements, liés à la procédure pénale (paragraphe 84 ci‑dessus). La Cour ne saurait partager l’approche de la juridiction nationale sur ce point : l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée et de sa correspondance, due à une loi qui ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 8 de la Convention, est indépendante des développements ultérieurs du procès pénal de l’intéressé.

172. Il n’en demeure pas moins que, bien que la somme octroyée au requérant soit extrêmement faible, pour rendre sa décision, le tribunal départemental a également suivi de près la jurisprudence pertinente de la Cour en la matière. En effet, ce tribunal s’est référé et a adopté l’approche suivie par la Cour dans l’arrêt Dumitru Popescu (no 2) c. Roumanie, dans lequel cette Cour avait examiné les dispositions de la loi no 51/1991 telle qu’en vigueur à l’époque des faits dans le contexte de l’interception de conversations téléphoniques en Roumanie et était parvenue à un constat de violation (paragraphe 83 ci-dessus). De même, pour décider si une réparation s’imposait, le tribunal départemental a suivi le raisonnement de la Cour dans ledit arrêt quant à la nécessité d’octroyer une somme au titre du préjudice moral et a indiqué que le simple constat de violation constituait une réparation équitable suffisante (paragraphe 84 ci-dessus ; Dumitru Popescu (no 2), précité, § 116).

173. La Cour observe également que, dans des affaires récentes dans lesquelles elle a constaté une violation de l’article 8 de la Convention en raison du défaut de conformité de la loi interne avec cette disposition, elle a jugé que ce constat représentait en soi une réparation équitable suffisante du préjudice moral (Szabó et Vissy, précité, § 98, et Roman Zakharov, précité, § 312). Or, dans la présente affaire, les juridictions internes ont été elles aussi appelées à examiner la conformité du droit interne avec la Convention et ont constaté que celui-ci contrevenait à l’article 8 de la Convention.

174. Eu égard à ce qui précède, bien que la somme accordée au requérant par le tribunal départemental fût symbolique, la Cour estime que la réparation ainsi établie n’est pas, en l’espèce, en désaccord avec sa propre jurisprudence en la matière.

175. Étant donné que les juridictions internes ont reconnu et réparé la violation de l’article 8 de la Convention dont le requérant se plaint devant la Cour, il convient d’accueillir l’exception soulevée par le Gouvernement. Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

176. Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner également l’exception du Gouvernement tirée de l’abus du droit de recours individuel du requérant (paragraphe 161 ci-dessus).

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION PRIS EN COMBINAISON AVEC L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

177. Le requérant se plaint également de ne pas avoir bénéficié au niveau interne d’un recours effectif qui lui aurait permis de faire constater la violation de son droit à la vie privée, en raison de l’interception de ses conversations téléphoniques. Il invoque l’article 13 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

178. Le Gouvernement conteste cette thèse.

179. En l’espèce, la Cour vient de constater que le requérant ne peut plus se prétendre victime d’une violation de l’article 8 de la Convention (paragraphe 175 ci-dessus), étant donné qu’à la suite d’une action en responsabilité civile délictuelle les juridictions internes ont examiné son grief et ont constaté et réparé la violation alléguée (paragraphes 169 et 172 ci‑dessus). Dès lors, elle estime que le requérant a bénéficié d’un recours effectif devant les juridictions internes. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

180. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

181. Le requérant réclame 100 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison des différentes violations alléguées de la Convention et de l’impact du procès pénal sur sa réputation personnelle et professionnelle.

182. Le Gouvernement invite la Cour à considérer qu’un constat de violation de la Convention constituerait une réparation suffisante du préjudice moral. Subsidiairement, il soutient que la somme sollicitée par le requérant au titre du préjudice moral est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour.

183. La Cour rappelle que le seul constat de violation de la Convention auquel elle est parvenue en l’espèce résulte de la durée de la procédure pénale. Aussi la Cour estime-t-elle qu’il convient d’accorder au requérant 1 200 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

184. Le requérant demande également 58 067 EUR pour les frais et dépens. Il indique que cette somme correspond aux honoraires de Me G. Thuan Dit Dieudonné devant la Cour et à ceux d’un cabinet d’avocats devant les juridictions internes s’élevant respectivement à 10 465 EUR et à 47 602 EUR. Le requérant a versé au dossier des justificatifs pour l’intégralité de la somme représentant les honoraires de Me G. Thuan Dit Dieudonné.

185. Le Gouvernement soutient que les sommes sollicitées au titre des honoraires d’avocat sont excessives et non justifiées par la complexité de l’affaire. Il indique que l’intéressé n’a pas versé au dossier un récapitulatif des heures de travail de ses avocats. Il indique aussi que la demande formulée pour Me G. Thuan Dit Dieudonné se réfère à la rédaction de la demande de satisfaction équitable, alors que cette demande aurait été rédigée par Me N. Popescu. En outre, il renvoie à des affaires dans lesquelles la Cour aurait conclu au caractère excessif des sommes sollicitées pour les honoraires d’avocat.

186. Pour ce qui est des frais relatifs à la procédure interne, le Gouvernement indique que la défense du requérant a été assurée par les avocats T.B. et M.M. Il soutient que le contrat d’assistance judiciaire conclu avec le cabinet d’avocats mentionné par le requérant dans sa demande au titre des frais et dépens a été signé par l’un des témoins dans la procédure interne, que ce dernier a payé la somme de 151 282,32 RON à ce cabinet et que le requérant n’a pas démontré qu’il avait remboursé la somme indiquée audit témoin.

187. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 000 EUR pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

188. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable pour ce qui est des griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’absence de démarches diligentes de la part de la Haute Cour pour entendre le requérant et quant à la durée de la procédure, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention quant à l’absence de démarches diligentes de la part de la Haute Cour pour entendre le requérant ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure ;

4. Dit, par six voix contre une,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. 1 200 EUR (mille deux cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 2 octobre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea TamiettiGanna Yudkivska
Greffier adjointPrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Kūris.

A.N.T.
G.Y.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

Ayant voté (avec le juge De Gaetano) contre l’octroi d’une réparation au titre du « dommage moral » que le même requérant alléguait avoir subi dans une affaire dont il avait précédemment saisi la Cour (Bivolaru c. Roumanie, no 28796/04, 28 février 2017), je considère que, dans les circonstances particulières de la présente affaire, le constat de violation de l’article 6 § 1 de la Convention constitue également une satisfaction équitable suffisante pour ce « dommage ». Je ne m’oppose toutefois pas à l’octroi de la somme indiquée au point 4 a) ii du dispositif de l’arrêt au titre des frais et dépens supportés par le requérant. Je n’ai voté contre l’ensemble du point 4 qu’en raison de la structure établie du dispositif des arrêts de la Cour.


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