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28/06/2018 | CEDH | N°001-184389

CEDH | CEDH, AFFAIRE G.I.E.M. S.R.L. ET AUTRES c. ITALIE, 2018, 001-184389


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE G.I.E.M. S.R.L. ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 1828/06 et 2 autres – voir liste en annexe)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

28 juin 2018

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Luis López Guerra, président,

Guido Raimondi,

Robert Spano,

Işıl Karakaş,

Kristina Pardalos,

Paulo Pinto de A

lbuquerque,

Erik Møse,

Helen Keller,

Paul Lemmens,

Faris Vehabović,

Egidijus Kūris,

Iulia Motoc,

Jon Fridrik Kjølbro,

Branko Lubarda,

Yonko Grozev,

Khanla...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE G.I.E.M. S.R.L. ET AUTRES c. ITALIE

(Requêtes nos 1828/06 et 2 autres – voir liste en annexe)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

28 juin 2018

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire G.I.E.M. S.R.L. et autres c. Italie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Luis López Guerra, président,

Guido Raimondi,

Robert Spano,

Işıl Karakaş,

Kristina Pardalos,

Paulo Pinto de Albuquerque,

Erik Møse,

Helen Keller,

Paul Lemmens,

Faris Vehabović,

Egidijus Kūris,

Iulia Motoc,

Jon Fridrik Kjølbro,

Branko Lubarda,

Yonko Grozev,

Khanlar Hajiyev,

András Sajó, juges,

et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 7 septembre 2015, 23 novembre 2016, 5 juillet 2017 et 1er février 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent trois requêtes (nos 1828/06, 34163/07 et 19029/11) dirigées contre la République italienne et dont quatre sociétés et un ressortissant de cet État, G.I.E.M. S.r.l., Hotel Promotion Bureau S.r.l. (société en liquidation), R.I.T.A. Sarda S.r.l. (société en liquidation), Falgest S.r.l. et M. Filippo Gironda, (« les requérants ») ont saisi la Cour le 21 décembre 2005, le 2 août 2007 et le 23 décembre 2011, respectivement, en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés, respectivement, par Mes G. Mariani et F. Rotunno, avocats à Bari ; Mes G. Lavitola, avocat à Rome, et V. Manes, avocat à Bologne ; Mes A. G. Lana et A. Saccucci, avocats à Rome.

Le gouvernement italien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme E. Spatafora, et par sa coagente, Mme P. Accardo.

3. Les requérants formulent les griefs suivants :

– G.I.E.M. S.r.l allègue une violation des articles 6 § 1, 7 et 13 de la Convention ainsi que de l’article 1 du Protocole no 1 à raison de la confiscation de son bien ;

– Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l. allèguent une violation des articles 7 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à raison de la confiscation de leurs biens ;

– Falgest S.r.l. et M. Gironda allèguent une violation des articles 7 et 13 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à raison de la confiscation de leur bien. M. Gironda soutient en outre que l’article 6 § 2 de la Convention (présomption d’innocence) a été enfreint.

4. Les griefs tirés des articles susmentionnés ont été communiqués au Gouvernement respectivement le 30 mars 2009 pour la requête no 1828/06, le 5 juin 2012 pour la requête no 34163/07 et le 30 avril 2013 pour la requête no 19029/11. Les requêtes nos 34163/07 et 19029/11 ont été déclarées irrecevables pour le surplus.

5. Le 17 février 2015, une chambre de la deuxième section, composée de Işıl Karakaş, présidente, Guido Raimondi, András Sajó, Helen Keller, Paul Lemmens, Robert Spano et Jon Fridrik Kjølbro, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

6. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 2 septembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmeP. Accardo,coagente ;

– pour les requérants

– G.I.E.M. S.r.l.
MesG. Mariani,
F. Rotunno,conseils,
MmeC. Millaseau,conseillère ;

– Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l.
MesG. Lavitola,
V. Manes,conseils,
MM.F. Mazzacuva,
N. Recchia
MmeA. Santangeloconseillers ;

– Falgest S.r.l. et M. Filippo Gironda
MesA.G. Lana,
A. Saccucci,conseils,
M.A. Sangiorgi
MmeG. Borgna,conseillers.

La Cour a entendu Mme Accardo, Me Mariani, Me Rotunno, Me Lavitola, Me Manes, Me Lana et Me Saccucci, en leurs déclarations, ainsi que Mme Accardo, Me Rotunno, Me Manes, Me Lana et Me Saccucci, en leurs réponses aux questions de juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

7. Les sociétés requérantes ont leur siège social respectivement à Bari pour G.I.E.M. S.r.l., à Rome pour Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l., et à Pellaro (Reggio de Calabre) pour Falgest S.r.l.

M. Gironda est né en décembre 1959 et réside à Pellaro.

A. G.I.E.M. S.r.l.

1) Les travaux de construction sur le terrain de la société requérante

8. La société requérante était propriétaire d’un terrain, sis à Bari sur la côte de Punta Perotti, d’une surface globale de 10 365 mètres carrés, contigu à un terrain qui appartenait à l’époque à une société à responsabilité limitée, Sud Fondi S.r.l. Son terrain était classé constructible par le plan général d’urbanisme (piano regolatore generale) quant à deux parcelles ; le restant était en revanche destiné par les dispositions techniques du plan général d’urbanisme à l’implantation de zones artisanales.

9. Par l’arrêté no 1042 du 11 mai 1992, le conseil municipal de Bari adopta le projet de lotissement (piano di lottizzazione) présenté par la société Sud Fondi S.r.l., lequel prévoyait la construction d’un complexe multifonctionnel comprenant des habitations, des bureaux et des magasins. La société requérante affirme que son terrain a été intégré d’office par le conseil municipal dans la convention de lotissement.

10. Le 27 octobre 1992, l’administration municipale de Bari demanda à la société requérante si elle souhaitait souscrire à une convention de lotissement afin de construire sur le terrain. En cas de réponse négative, l’administration aurait procédé à l’expropriation du terrain au sens de la loi no 6 de 1979 de la région des Pouilles.

11. Le 28 octobre 1992, la société requérante avisa l’administration municipale de Bari qu’elle souhaitait adhérer à une convention de lotissement. L’administration ne répondit pas.

12. Le 19 octobre 1995, l’administration municipale de Bari délivra le permis de construire à la société Sud Fondi S.r.l.

13. Le 14 février 1996, la société Sud Fondi S.r.l. entama les travaux de construction, qui furent en grande partie terminés avant le 17 mars 1997.

2) La procédure pénale contre les administrateurs de la société Sud Fondi S.r.l.

14. Le 27 avril 1996, à la suite de la publication d’un article de presse concernant les travaux de construction effectués à proximité de la mer à Punta Perotti, le procureur de la République de Bari ouvrit une enquête pénale.

15. Le 17 mars 1997, ce même procureur ordonna la saisie conservatoire de l’ensemble des constructions. Par ailleurs, il inscrivit dans le registre des personnes faisant l’objet de poursuites pénales les noms, entre autres, du fondé de pouvoir de la société Sud Fondi S.r.l. et des directeurs et responsables des travaux de construction. Dans son ordonnance, il estimait que la localité dénommée Punta Perotti était un site naturel protégé et que, par conséquent, l’édification du complexe était illégale.

16. Les représentants de la société Sud Fondi S.r.l. attaquèrent la mesure de saisie conservatoire devant la Cour de cassation. Par une décision du 17 novembre 1997, la haute juridiction annula cette mesure et ordonna la restitution de l’ensemble des constructions aux propriétaires, au motif que le site n’était frappé d’aucune interdiction de bâtir par l’effet du plan d’urbanisme.

17. Par un jugement du 10 février 1999, le tribunal de Bari reconnut le caractère illégal des immeubles bâtis à Punta Perotti au motif qu’ils n’étaient pas conformes à la loi no 431 du 8 août 1985 (« la loi no 431/1985 »), qui interdisait de délivrer des permis de construire relatifs aux sites d’intérêt naturel, parmi lesquels figuraient les zones côtières. Toutefois, considérant qu’en l’espèce l’administration locale avait bien délivré les permis de construire et qu’il était difficile de concilier la loi no 431/1985 et la législation régionale, qui présentait des lacunes, il estima qu’aucune faute ni intention délictueuse ne pouvait être reprochée aux accusés. Par conséquent, il relaxa tous les accusés au motif que l’élément moral de l’infraction faisait défaut (« perché il fatto non costituisce reato »).

18. Dans ce même jugement, estimant que les projets de lotissement étaient matériellement contraires à la loi no 47/1985 et de nature illégale, le tribunal de Bari ordonna, aux termes de l’article 19 de cette loi, la confiscation de l’ensemble des terrains lotis à Punta Perotti, dont celui de la société requérante, ainsi que des immeubles érigés sur le site, et leur intégration sans contrepartie dans le domaine de la mairie de Bari.

19. Par un arrêté du 30 juin 1999, le ministre du Patrimoine (« Ministro dei beni culturali ») frappa d’interdiction de construire la zone côtière près de la ville de Bari, ce qui comprenait le site de Punta Perotti, au motif qu’il s’agissait d’un site présentant un grand intérêt naturel. Cette mesure fut annulée par le tribunal administratif régional l’année suivante.

20. Le procureur de la République interjeta appel du jugement du tribunal de Bari, demandant la condamnation des accusés.

21. Par un arrêt du 5 juin 2000, la cour d’appel de Bari réforma le jugement de première instance. Elle estima que la délivrance des permis de construire était légale, eu égard à l’absence d’interdiction de bâtir à Punta Perotti et au défaut d’illégalité apparente dans la procédure d’adoption et d’approbation des conventions de lotissement.

22. En conséquence, la cour d’appel relaxa les accusés au motif que l’élément matériel de l’infraction faisait défaut (« perché il fatto non sussiste ») et révoqua la mesure de confiscation de l’ensemble des constructions et terrains. Le 27 octobre 2000, le procureur de la République se pourvut en cassation.

23. Par un arrêt du 29 janvier 2001, la Cour de cassation cassa sans renvoi la décision de la cour d’appel. Elle reconnut l’illégalité matérielle des projets de lotissement, au motif que les terrains concernés était frappés d’une interdiction absolue de construire et d’une contrainte de paysage, imposées par la loi. À cet égard, elle releva qu’au moment de l’adoption des projets de lotissement (le 20 mars 1990) la loi régionale no 30/1990 en matière de protection du paysage n’était pas encore en vigueur, et elle en déduisit que les dispositions applicables en l’espèce étaient celles de la loi régionale no 56 de 1980 (en matière d’urbanisme) et de la loi nationale no 431/1985 (en matière de protection des paysages).

24. La Cour de cassation observa cependant que la loi no 56/1980 imposait une interdiction de construire au sens de l’article 51 F), à laquelle les circonstances de l’espèce ne permettaient pas de déroger puisque les projets de lotissement concernaient des terrains non situés dans l’agglomération urbaine. La haute juridiction ajouta que, au moment de l’adoption des conventions de lotissement, les terrains concernés étaient inclus dans un plan urbain de mise en œuvre (piano di attuazione) du plan général d’urbanisme qui était postérieur à l’entrée en vigueur de la loi régionale no 56/1980.

25. La Cour de cassation releva qu’en mars 1990 (paragraphe 23 ci‑dessus), au moment de l’approbation des projets de lotissement, aucun programme urbain de mise en œuvre (programma di attuazione) n’était en vigueur. À cet égard, elle rappela sa jurisprudence selon laquelle il fallait qu’un plan urbain de mise en œuvre fût en vigueur à la date de l’approbation des projets de lotissement (Cour de cassation, Section 3, 21.1.97, Volpe ; 9.6.97, Varvara ; 24.3.98, Lucifero), dès lors que – toujours selon la jurisprudence –, à l’expiration d’un plan urbain de mise en œuvre, l’interdiction de construire à laquelle le programme avait mis fin redéployait ses effets. Par conséquent, il fallait retenir l’existence de l’interdiction de construire sur les terrains en cause au moment de l’approbation des projets de lotissement.

26. La Cour de cassation retint également l’existence d’une contrainte de paysage au sens de l’article 1 de la loi nationale no 431/1985. En l’espèce, l’avis de conformité à la protection des paysages de la part des autorités compétentes faisait défaut, à savoir qu’il manquait l’autorisation (nulla osta) délivrée par les autorités nationales et attestant de la conformité aux exigences de la protection du paysage – au sens de l’article 28 de la loi no 150/1942 – ainsi que l’avis préalable des autorités régionales prévu par les articles 21 et 27 de la loi no 150/1942 et l’avis du comité régional d’urbanisme prévu aux articles 21 et 27 de la loi régionale no 56/1980).

27. Enfin, la Cour de cassation releva que les projets de lotissement ne représentaient que 41 885 mètres carrés, alors que, selon les dispositions techniques du plan général d’urbanisme de la ville de Bari, la surface minimale était fixée à 50 000 mètres carrés.

28. À la lumière de ces considérations, la Cour de cassation retint donc le caractère illégal des projets de lotissement et des permis de construire délivrés. Elle relaxa les accusés au motif qu’il ne pouvait leur être reproché aucune faute ni intention de commettre les faits délictueux et qu’ils avaient commis une « erreur invincible et excusable » dans l’interprétation de dispositions régionales « obscures et mal formulées » et qui interféraient avec la loi nationale. La Cour de cassation prit également en compte le comportement des autorités administratives, et notamment les faits suivants : lors de l’obtention des permis de construire, les accusés avaient été rassurés par le directeur du bureau communal compétent ; les interdictions visant la protection des sites auxquelles le projet de construction se heurtait ne figuraient pas dans le plan d’urbanisme ; et l’administration nationale compétente n’était pas intervenue. Enfin, la Cour de cassation dit qu’en l’absence d’enquête sur les raisons des comportements tenus par les organes publics, il n’était pas permis de se livrer à des suppositions à ce sujet.

29. Dans le même arrêt, la Cour de cassation ordonna la confiscation de l’ensemble des constructions et des terrains, au motif que, conformément à sa jurisprudence, l’article 19 de la loi no 47/1985 était d’application obligatoire en cas de lotissement illégal, même en l’absence de condamnation pénale des constructeurs.

30. L’arrêt fut déposé au greffe le 26 mars 2001.

31. Dans l’intervalle, le 1er février 2001, la société requérante avait à nouveau demandé à l’administration de Bari de pouvoir conclure une convention de lotissement.

32. Le 15 février 2001, l’administration de Bari fit savoir à la société requérante qu’à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 29 janvier 2001, la propriété des terrains sis à Punta Perotti, y compris celui appartenant à la société requérante, avait été transférée à la commune.

33. La procédure pénale décrite ci-dessus a fait l’objet d’une autre requête introduite devant la Cour (Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, no 75909/01, 20 janvier 2009).

3) Les actions menées par la société requérante pour obtenir la restitution du terrain

34. Le 3 mai 2001, la société requérante saisit la cour d’appel de Bari et sollicita la restitution de son terrain. Elle allégua que, selon une jurisprudence de la Cour de cassation, la confiscation d’un bien appartenant à un tiers non partie à la procédure pénale ne pouvait être ordonnée que si ce dernier avait participé, matériellement ou moralement, à la commission de l’infraction.

35. Par une ordonnance du 27 juillet 2001, la cour d’appel fit droit à la demande de la société requérante.

36. Le procureur de la République se pourvut en cassation.

37. Par un arrêt du 9 avril 2002, la Cour de cassation annula l’ordonnance de la cour d’appel de Bari et ordonna la transmission de l’affaire au tribunal de Bari.

38. La société requérante introduisit une procédure d’incident d’exécution, sollicitant la restitution de son terrain.

39. Par une ordonnance déposée au greffe le 18 mars 2004, le juge des investigations préliminaires (« Giudice per le indagini preliminari », « le GIP ») de Bari rejeta la requête de la société requérante. Il observa tout d’abord que les doléances de l’intéressée ne portaient ni sur l’existence ni sur la régularité formelle de la mesure litigieuse. Il dit que celle-ci constituait une sanction administrative obligatoire que le juge pénal pouvait appliquer aussi à l’égard des biens des tiers n’ayant pas participé à la commission de l’infraction de lotissement illicite. Il estima que l’exigence publique de sauvegarde du territoire devait primer sur les intérêts particuliers.

40. La société requérante se pourvut en cassation. Elle souligna qu’aucun ouvrage n’avait été bâti sur son terrain, qui n’avait pas fait l’objet d’un permis de construire. Or, par sa nature même, la confiscation ne devait selon l’intéressée frapper que les seuls terrains où des constructions abusives avaient été réalisées.

41. Par un arrêt du 22 juin 2005, déposé au greffe le 18 janvier 2006, la Cour de cassation, estimant que le GIP de Bari avait motivé de façon logique et correcte tous les points controversés, débouta la société requérante de son pourvoi. La haute juridiction releva que la confiscation du terrain était conforme à sa jurisprudence constante selon laquelle la mesure visée à l’article 19 de la loi no 47 de 1985 était une sanction administrative obligatoire, appliquée par le juge pénal sur la base de la contrariété de la situation d’un bien avec la loi sur les lotissements illicites, et ce même en cas de relaxe des prévenus. Elle précisa que le propriétaire du terrain non partie à la procédure pénale qui alléguait sa bonne foi pouvait faire valoir ses droits devant les juridictions civiles.

4) Les derniers développements

42. Selon les informations fournies par les parties, en octobre 2012 la mairie de Bari, eu égard aux principes exposés et aux violations constatées par la Cour dans les arrêts Sud Fondi S.r.l. et autres (fond et satisfaction équitable, no 75909/01, 10 mai 2012), demanda au tribunal de Bari d’ordonner la restitution à la société requérante du terrain confisqué. Le 12 mars 2013, le GIP du tribunal de Bari révoqua la confiscation et ordonna la restitution du terrain au motif que, d’une part, la Cour avait conclu à la violation de l’article 7 de la Convention dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres et que, d’autre part, la société était à considérer comme un tiers de bonne foi car aucun de ses administrateurs n’était responsable du lotissement illicite. La décision du GIP fut inscrite dans les registres immobiliers le 14 juin 2013 et la société requérante put recouvrer son bien le 2 décembre 2013.

43. Le 7 avril 2005, la société requérante avait saisi le tribunal de Bari afin d’obtenir réparation des dommages subis à raison du comportement de la mairie de Bari et de ses conséquences sur son domaine. Elle faisait grief à la mairie d’avoir 1) omis d’adopter une variante au plan d’urbanisme, 2) omis de préciser l’existence de contraintes apparues quant à la destination urbaine des zones concernées par le lotissement litigieux, et 3) approuvé des procédures relatives au lotissement qui étaient apparemment légitimes mais avaient entraîné la confiscation du terrain et causé à elle un important préjudice économique.

Selon les informations fournies par les parties, la procédure est pendante dans l’attente de l’expertise sur l’évaluation des préjudices – qui d’après la société requérante s’élèvent à 52 millions d’euros.

B. Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l.

1) Le projet de lotissement

44. La société requérante R.I.T.A. Sarda S.r.l. était propriétaire d’un terrain constructible d’une surface d’environ 33 hectares sis à Golfo Aranci.

45. Selon le programme communal d’urbanisme de Golfo Aranci (programma comunale di fabbricazione) approuvé le 21 décembre 1981, le terrain en question appartenait à la zone F – classée zone touristique – et était constructible pour un volume donné. Il était possible de construire des volumes plus importants dans le cas de structures hôtelières ou para‑hôtelières.

46. Souhaitant construire une résidence touristique hôtelière comprenant plusieurs logements (produttiva alberghiera), R.I.T.A. Sarda S.r.l. présenta un projet de lotissement (piano di lottizzazione) aux autorités compétentes.

47. Le 27 mars 1991, en vertu de l’article 13 de la loi régionale no 45 de 1989, la région de Sardaigne donna son autorisation (nulla osta) pour construire à une distance minimale de 150 mètres de la mer sous réserve qu’une fois érigés les immeubles fussent effectivement utilisés à des fins touristico-hôtelières. Cette obligation devait figurer dans le registre immobilier.

48. Le 29 novembre 1991, la région de Sardaigne accorda à R.I.T.A. Sarda S.r.l. l’autorisation en matière d’aménagement paysager au sens de la loi no 431/1985 et de l’article 7 de la loi no 1497/1939 (paragraphes 93-96 ci‑dessous).

49. La ville de Golfo Aranci approuva définitivement le projet de lotissement le 17 décembre 1991.

50. Le 22 avril 1992, sous réserve de l’obtention de l’autorisation de la région, la ville de Golfo Aranci autorisa le maire à accorder un permis de construire dérogatoire permettant un volume de construction plus important que celui prévu par son plan d’urbanisme, pour réaliser une structure para‑hôtelière (opere alberghiere ricettive). Il ressort du dossier que le projet de lotissement concernait 330 026 mètres carrés.

51. Le 17 juillet 1992, la région de Sardaigne donna son autorisation définitive au projet.

52. Entre-temps, le 22 juin 1992, la loi régionale no 11/1992 entra en vigueur. Elle supprimait la possibilité de déroger à l’interdiction de construire à proximité de la mer et fixait la distance minimale à deux kilomètres pour les habitations et à 500 mètres pour les hôtels. Quant aux immeubles destinés à un usage para-hôtelier, comme les résidences touristico-hôtelières dont il est question en l’espèce, ceux-ci étaient désormais assimilés à des habitations. Toujours selon la même loi, la distance minimale de deux kilomètres devait dès lors être respectée, sauf dans les cas où, avant le 17 novembre 1989, la convention de lotissement avait été déjà conclue et où les travaux d’urbanisation avaient déjà commencé.

53. Le 17 juillet 1992, la région de Sardaigne autorisa le maire à accorder à la société R.I.T.A. Sarda S.r.l. un permis de construire dérogatoire au plan communal d’urbanisme.

54. Le 13 août 1992, le maire de Golfo Aranci et R.I.T.A. Sarda S.r.l. conclurent une convention de lotissement. Aux termes de l’article 10 de celle-ci, les immeubles construits devaient rester affectés à un usage touristico-hôtelier et ne pouvaient être vendus à l’unité pendant vingt ans. La convention précisait que le plan de lotissement était conforme à l’article 13 de la loi régionale no 45/1989 et aux autres règles urbanistiques ; elle attestait que la société requérante avait versé une caution équivalente au coût total des travaux d’urbanisation. Ces derniers seraient à la charge de la société requérante, qui était également censée céder à titre gratuit à la commune 30 % de la surface du terrain pour la construction des ouvrages d’urbanisation primaire (urbanizzazione primaria).

55. Le 31 août 1992, la ville de Golfo Aranci délivra le permis de construire pour les ouvrages d’urbanisation primaire. Le 23 novembre 1992, la ville délivra le permis de construire pour les constructions.

56. Le 19 février 1993, à la suite de l’entrée en vigueur, le 22 juin 1992 (paragraphe 52 ci-dessus), de la loi régionale no 11/1992 portant modification de la loi régionale no 45/1989, la région révoqua certaines autorisations accordées sur la base de la législation précédente. La société requérante ne fut pas concernée.

57. Les travaux débutèrent en 1993. En 1997, quatre-vingt-huit logements, soit moins d’un tiers de ceux à construire, avaient été édifiés. Plusieurs d’entre eux avaient été vendus à des particuliers, avec une clause précisant que le bien devait rester pendant des années affecté à un usage touristico-hôtelier.

58. Le 28 janvier 1995, R.I.T.A. Sarda S.r.l., à la recherche de nouveaux partenaires dans un souci d’optimisation du projet et de partage des risques, demanda à la commune si la vente des immeubles à des tiers était compatible avec la convention de lotissement. Le 14 février 1995, la commune jugea que la convention était rédigée de façon suffisamment claire et qu’il n’y avait donc nul besoin d’éclaircissements. Elle exprima un avis favorable à la possibilité de vente des immeubles, exception faite pour la vente à l’unité et sous réserve que la destination des immeubles demeurât inchangée.

59. Le 11 mars 1996, la commune, à nouveau sollicitée par la société requérante, confirma l’avis donné le 14 février 1995.

60. À une date non précisée, R.I.T.A. Sarda S.r.l. conclut un contrat préliminaire de vente avec Hotel Promotion Bureau S.r.l. concernant une partie des terrains inclus dans la convention de lotissement et certains immeubles construits dans l’intervalle. En outre, le 15 janvier 1996, Hotel Promotion Bureau. S.r.l. conclut un accord (contratto di appalto) avec R.I.T.A. Sarda S.r.l., aux termes duquel cette dernière s’engageait à effectuer des travaux de construction sur les terrains qui faisaient l’objet du contrat préliminaire de vente.

61. Le 26 février 1997, en vue de devenir propriétaire des terrains et des immeubles, Hotel Promotion Bureau S.r.l. conclut également des accords avec une agence de voyage, afin d’offrir les logements à la location hebdomadaire.

62. Le 22 octobre 1997, R.I.T.A. Sarda S.r.l. vendit à Hotel Promotion Bureau S.r.l. 36 859 mètres carrés de terrain et les bâtiments dénommés « C2 », soit seize logements destinés à un usage touristico-résidentiel. Outre les immeubles, R.I.T.A. Sarda S.r.l. transféra à Hotel Promotion Bureau S.r.l. les droits de construction. Le prix de cette transaction fut fixé à 7 200 000 000 lires italiennes (ITL), soit 3 718 489,67 euros (EUR).

63. En novembre 1997, R.I.T.A. Sarda S.r.l. était propriétaire de seize logements et des terrains concernés par le projet de lotissement, déduction faite de la parcelle no 644 et de ceux qui avaient été vendus à Hotel Promotion Bureau S.r.l. Cette dernière était propriétaire des terrains achetés et de seize logements.

64. Le 26 mars 1998, la commune approuva le transfert (voltura) du permis de construire concernant les terrains et les immeubles achetés par Hotel Promotion Bureau S.r.l.

65. Le 3 avril 2006, à la suite de la demande présentée par R.I.T.A. Sarda S.r.l. en vue d’obtenir un certificat d’urbanisme relatif aux biens litigieux concernant la période 1990-1997, la commune précisa que la convention de lotissement conclue avec R.I.T.A. Sarda S.r.l. et les autorisations accordées étaient compatibles avec les règles urbanistiques en vigueur à l’époque, et notamment avec la loi régionale no 45/1989 ; par conséquent, elle estima que l’infraction de lotissement illicite n’était pas constituée en l’espèce.

2) La procédure pénale

66. En 1997, le procureur de la République d’Olbia ouvrit une enquête pénale à l’encontre de M.C. et L. C., les représentants légaux des sociétés requérantes. Ceux-ci étaient soupçonnés de plusieurs infractions, en particulier de lotissement illicite au sens de l’article 20 de la loi no 47/1985, pour avoir édifié trop près de la mer et sans permis de construire, et d’escroquerie dans la mesure où ils avaient changé la destination des immeubles en violation de la convention de lotissement.

67. Le 20 novembre 1997, les terrains et les bâtiments construits firent l’objet d’une saisie conservatoire.

68. Par une ordonnance du 17 janvier 2000, le tribunal de Sassari restitua aux ayants droit les terrains et les bâtiments.

69. Par un jugement du 31 mars 2003, le tribunal d’Olbia relaxa sur le fond M.C et L. C. de toutes les infractions qui leur étaient reprochées, sauf celle de lotissement illicite, qui fut déclarée prescrite.

70. Eu égard à l’entrée en vigueur de la loi régionale no 11/1992 (paragraphe 52 ci-dessus) et à la nouvelle distance minimale par rapport à la mer introduite par ce texte, le tribunal estima que la ville de Golfo Aranci n’aurait jamais dû délivrer les permis de construire, et que les autorisations délivrées précédemment ne pouvaient pas légitimer une telle situation. Selon lui, les permis de construire étaient contraires à la loi ou, du moins, sans effet (inefficaci). Le tribunal expliqua que, bien qu’érigées conformément aux autorisations délivrées par la commune, les constructions litigieuses se heurtaient donc aux interdictions prévues par la loi et s’analysaient en un lotissement illicite. Il ajouta que la vente des logements à des particuliers faisait douter de l’usage touristico-hôtelier et que ce changement de destination confirmait le caractère illégal des ouvrages réalisés. En conclusion, il ordonna la confiscation des biens précédemment saisis et le transfert de la propriété à la ville de Golfo Aranci au sens de l’article 19 de la loi no 47/1985.

71. Quant au chef d’accusation d’escroquerie en particulier, le tribunal estima que le délit n’était pas constitué : pour lui, la commune n’avait subi aucun préjudice économique puisque les coûts des ouvrages d’urbanisation étaient demeurés inchangés même au regard du changement de destination. Il considéra de plus que l’existence de l’élément moral, c’est-à-dire de l’intention de frauder la commune, n’avait pas été prouvée, étant donné que la vente visait à pallier les difficultés économiques de R.I.T.A. Sarda S.r.l. Par ailleurs, il rappela que la commune avait fourni à la société un avis favorable à la vente des immeubles.

72. Par un arrêt du 11 octobre 2004, la cour d’appel de Cagliari confirma le non-lieu à poursuivre (non doversi procedere) fondé par le tribunal d’Olbia sur la prescription et réaffirma que la ville de Golfo Aranci n’aurait pas dû délivrer les permis de construire, qui étaient illégaux et en tous les cas sans effet. Elle jugea que les constructions réalisées étaient de facto incompatibles avec la loi régionale qui les interdisait. Elle observa en outre qu’entre mars 1995 et novembre 1997 la plupart des logements réalisés avaient été vendus, ce qui avait changé la destination d’usage. Quant au chef d’accusation d’escroquerie, elle confirma la relaxe des représentants légaux des sociétés requérantes en reprenant les mêmes motifs retenus par le tribunal sur ce point. Elle confirma l’ordonnance de confiscation.

73. M. C. et L. C. se pourvurent en cassation. Par un arrêt du 15 février 2007, la Cour de cassation les débouta de leur pourvoi.

3) Les derniers développements

74. Selon les informations fournies par le Gouvernement, au 29 juillet 2015, les acquéreurs individuels des immeubles confisqués en avaient toujours la pleine disposition. Auparavant, le 21 mai 2015, une délibération du conseil municipal de Golfo Aranci avait reconnu l’intérêt réel de la collectivité à la conservation du complexe immobilier confisqué, se référant, notamment, à la possibilité d’utiliser les logements pour parer aux situations d’urgence dans le cas où les autorités locales décideraient de concéder directement ou indirectement l’usage des biens à titre onéreux à des personnes à faibles revenus.

C. Falgest S.r.l. et M. Gironda

1) Le projet de lotissement

75. La société Falgest S.r.l. et M. Filippo Gironda étaient copropriétaires à parts égales d’un terrain d’une surface globale de 11 870 mètres carrés sis à Testa di Cane et Fiumarella di Pellaro (Reggio de Calabre). Le plan d’occupation des sols prévoyait pour ce terrain la possibilité de construire uniquement des résidences à usage touristico-hôtelier.

76. Le 12 octobre 1994, les requérants demandèrent un permis de construire pour une résidence touristique composée de quarante‑deux maisons et dotée d’équipements sportifs.

77. Le 15 septembre 1997, la ville de Reggio de Calabre délivra le permis de construire.

78. À la suite d’une vérification, la ville constata des disparités par rapport au projet. Le 26 janvier 1998, elle ordonna la suspension des travaux.

79. Le 29 janvier 1998, les requérants déposèrent une variante au projet de construction (variante in corso d’opera) – qui prévoyait moins de maisons (quarante au lieu de quarante-deux) et restreignait la zone de construction. Cette variante devait permettre de régulariser le projet en le rendant conforme à la loi no 47/1985.

80. Le 10 février 1998, le maire de Reggio de Calabre annula l’ordre de suspension des travaux au motif que les disparités constatées par rapport au projet de construction pouvaient être régularisées par le biais de la variante présentée en cours de construction au titre de l’article 15 de la loi no 47/1985.

81. Le 1er octobre 1998, un expert mandaté par la ville de Reggio de Calabre constata la conformité des travaux à la variante présentée. Les travaux se poursuivirent.

2) La procédure pénale

82. En 2002, le procureur de la République de Reggio de Calabre ouvrit une enquête concernant M. Gironda, en sa qualité de copropriétaire du bien, ainsi que cinq autres personnes, à savoir un administrateur de la société, deux signataires du projet immobilier et deux directeurs des travaux, tous soupçonnés de plusieurs infractions, en particulier de lotissement illicite au sens de l’article 20 de la loi no 47/1985.

83. Par un jugement du 22 janvier 2007, le tribunal de Reggio de Calabre relaxa tous les prévenus sur le fond (perché il fatto non sussiste) pour l’ensemble des infractions à l’exception de celle de lotissement illicite, pour laquelle il prononça un non-lieu pour prescription. Il constata que le projet portait sur la construction de résidences à usage touristico‑hôtelier. Or, selon lui, les caractéristiques des immeubles (caratteristiche strutturali) ainsi que des éléments de preuve donnaient à penser que la vraie finalité du projet était la vente de maisons à des particuliers, ce qui faisait douter de l’usage touristico-hôtelier du complexe. Le tribunal estima que le changement de destination rendait illicite le lotissement. En conclusion, il ordonna la confiscation des terrains et des ouvrages construits et le transfert de la propriété de ces biens à la ville de Reggio de Calabre au sens de l’article 19 de la loi no 47/1985.

84. Par un arrêt du 28 avril 2009, la cour d’appel de Reggio de Calabre relaxa les requérants sur le fond pour toutes les infractions (perché il fatto non sussiste), y compris celle de lotissement illicite. Elle annula la décision de confiscation des biens et ordonna la restitution de ceux-ci aux propriétaires.

85. La cour d’appel estima en particulier que le projet approuvé était compatible avec le plan d’occupation des sols et avec les dispositions en matière d’urbanisme. Faute de contrat ou de compromis de vente, elle jugea qu’il n’y avait aucune preuve du changement de destination des ouvrages réalisés et en déduisit qu’il n’y avait pas de lotissement illicite.

86. Par un arrêt du 22 avril 2010, déposé au greffe le 27 septembre 2010, la Cour de cassation annula sans renvoi l’arrêt de la cour d’appel, estimant que le changement de destination des immeubles construits était prouvé par les déclarations faites par des tiers et par des documents versés au dossier. Pour la haute juridiction, il s’agissait donc bel et bien d’un lotissement illicite sciemment réalisé par les inculpés (infraction qui était prescrite, ce qui entraînait un non-lieu). Par conséquent, les biens litigieux furent à nouveau frappés par la décision de confiscation prononcée en première instance par le tribunal de Reggio de Calabre. La relaxe des inculpés fut confirmée.

3) L’état actuel des biens confisqués

87. D’après un rapport d’expertise du 5 mai 2015, établi par un expert mandaté par les requérants, le complexe saisi aux intéressés est dans un état d’abandon et d’incurie avancés, la mairie propriétaire des lieux n’ayant réalisé, selon les requérants, aucune activité d’entretien des espaces.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Principes généraux de droit pénal

88. L’article 27 § 1 de la Constitution italienne prévoit que « la responsabilité pénale est personnelle ». La Cour constitutionnelle a dit à plusieurs reprises qu’il ne pouvait y avoir de responsabilité objective en matière pénale (voir, parmi d’autres, l’arrêt no 1 rendu le 10 janvier 1997 par la Cour constitutionnelle). L’article 27 § 3 de la Constitution prévoit que « les peines (...) doivent tendre à l’amendement du condamné ».

89. L’article 25 de la Constitution dispose, en ses deuxième et troisième alinéas, que « [n]ul ne peut être puni en l’absence d’une loi entrée en vigueur avant la commission des faits » et que « [n]ul ne peut faire l’objet d’une mesure de sûreté sauf dans les cas prévus par la loi ».

90. Aux termes de l’article 1 du code pénal, « [n]ul ne peut être puni pour un fait qui n’est pas expressément prévu par la loi comme étant constitutif d’une infraction pénale, et par une peine qui n’est pas établie par la loi ». L’article 199 du code pénal, qui concerne les mesures de sûreté, dispose que nul ne peut être soumis à des mesures de sûreté non prévues par la loi et en dehors des cas prévus par la loi.

91. Selon l’article 42, alinéa 1, du code pénal, « [n]ul ne peut être puni pour une action ou une omission constituant une infraction pénale prévue par la loi si, dans la commission des faits, conscience et volonté (coscienza e volontà) étaient absentes chez l’auteur ». La même règle est établie par l’article 3 de la loi no 689 du 25 novembre 1989 en ce qui concerne les infractions administratives.

92. L’article 5 du code pénal prévoit que « [n]ul ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi pénale à titre d’excuse ». La Cour constitutionnelle (dans l’arrêt no 364/1988) a jugé que ce principe ne s’appliquait pas quand il s’agissait d’une erreur invincible, de sorte que cet article doit désormais être lu comme suit : « [n]ul ne peut se prévaloir de son ignorance de la loi pénale à titre d’excuse, sauf en cas d’erreur invincible ». Elle a indiqué comme causes possibles du caractère objectivement invincible de l’erreur sur la loi pénale l’« obscurité absolue de la loi », les « assurances erronées » de la part de personnes en position institutionnelle pour juger de la légalité des faits à accomplir, ou l’état « gravement chaotique » de la jurisprudence.

B. Les dispositions en matière d’urbanisme

93. La protection des lieux pouvant être considérés comme sites naturels remarquables (bellezze naturali) est réglementée par la loi no 1497 du 29 juin 1939, qui permet à l’État de frapper d’une « contrainte de paysage » (vincolo paesaggistico) les sites à protéger.

94. Par le décret présidentiel no 616 du 24 juillet 1977, l’État a délégué aux régions les fonctions administratives en matière de protection des sites naturels remarquables.

1. La loi no 431 du 8 août 1985 (Dispositions urgentes concernant les sites présentant un grand intérêt pour l’environnement)

95. L’article 1 de cette loi soumet à des servitudes visant à protéger les paysages et l’environnement au sens de la loi no 1497/1939 (vincolo paesaggistico e ambientale), entre autres, les zones côtières situées à moins de 300 mètres de la ligne de brisement des vagues, même pour les terrains surplombant la mer. Il en découle l’obligation de demander aux autorités compétentes un avis de conformité à la protection des paysages pour tout projet de modification touchant ces zones. Ces servitudes ne s’appliquent pas aux terrains relevant des « zones urbaines A et B », à savoir les centres urbains et les zones limitrophes. Pour les terrains inclus dans d’autres zones, elles ne s’appliquent pas à ceux qui sont compris dans un « plan urbain de mise en œuvre ».

96. Par cette loi, le législateur a soumis l’ensemble du territoire italien à une protection généralisée. Quiconque ne respecte pas les servitudes prévues à l’article 1 s’expose notamment aux sanctions en matière d’urbanisme prévues par l’article 20 de la loi no 47/1985 (paragraphe 104 ci‑dessous).

2. La loi no 10 du 27 janvier 1977 (Dispositions en matière de constructibilité des sols)

97. Cette loi prévoit en son article 13 que les plans généraux d’urbanisme peuvent être réalisés sous réserve de l’existence d’un plan ou d’un programme urbain de mise en œuvre (piano o programma di attuazione). Ce plan ou programme doit délimiter les zones dans lesquelles les dispositions des plans généraux d’urbanisme doivent être mises en œuvre.

98. Il incombe aux régions de décider du contenu et de la procédure d’élaboration du plan urbain de mise en œuvre et d’établir la liste des villes exonérées de l’obligation d’adopter un tel plan.

99. Lorsqu’une ville est tenue d’adopter ce type de plan, les permis de construire ne peuvent être délivrés par le maire que s’ils visent des biens sis à l’intérieur d’une zone comprise dans le programme de mise en œuvre (sauf exceptions prévues par la loi) et que si le projet est conforme au plan général d’urbanisme.

100. Aux termes de l’article 9, les villes exonérées de l’obligation d’adopter un plan de mise en œuvre peuvent délivrer des permis de construire.

3. La loi no 56 de la région des Pouilles du 31 mai 1980

101. L’article 51, alinéa f), de cette loi est ainsi libellé :

« (...) Jusqu’à l’entrée en vigueur des plans d’urbanisme territoriaux (...)

f) Il est interdit de construire à moins de 300 mètres de la limite du domaine maritime ou du point le plus élevé surplombant la mer.

Si un plan d’urbanisme (strumento urbanistico) est déjà en vigueur ou a été adopté au moment de l’entrée en vigueur de cette loi, il n’est possible de construire que dans les zones A, B et C au sein des centres habités et au sein des installations touristiques. En outre, il est possible de construire des ouvrages publics et d’achever les installations industrielles et artisanales qui étaient en cours de construction à l’entrée en vigueur de cette loi. »

4. La loi no 47 du 28 février 1985 (Dispositions relatives au contrôle de l’activité en matière d’urbanisme et de construction, aux sanctions, à la restitution et à la régularisation des ouvrages)

102. Selon l’article 18 de cette loi, tel qu’en vigueur à l’époque des faits de l’espèce :

« Il y a lotissement illicite d’un terrain aux fins de la construction lorsqu’il y a commencement d’ouvrage impliquant une transformation urbanistique non conforme aux plans d’urbanisme (strumenti urbanistici) déjà en vigueur ou adoptés, ou en tout cas non conforme aux lois de l’État ou des régions, ou bien en l’absence de l’autorisation requise (...) ; ainsi que lorsque ladite transformation urbanistique est réalisée par le fractionnement et la vente (ou par des actes équivalents) du terrain en lots qui, par leur nature, (...) démontrent de manière incontestable leur destination réelle. (...) ».

103. L’article 19 de cette loi prévoit la confiscation des ouvrages illicites ou des terrains lotis de manière illicite, lorsque les juridictions pénales ont établi par un arrêt définitif l’illégalité du lotissement. L’arrêt pénal est immédiatement transcrit dans les registres fonciers.

104. Selon l’article 20, en cas de lotissement illicite tel que défini à l’article 18 de la même loi, les sanctions pénales prévues sont une peine d’emprisonnement de deux ans maximum et une amende pouvant aller jusqu’à 100 millions de lires italiennes (environ 51 646 euros). La confiscation n’y est pas mentionnée.

5. Le code de la construction (Décret du président de la République no 380 du 6 juin 2001)

105. Le décret présidentiel no 380 du 6 juin 2001 (Testo unico delle disposizioni legislative et regolamentari in materia edilizia) a codifié les dispositions existantes, notamment en matière de permis de construire.

106. L’article 30 § 1 du code de la construction, qui reprend sans le modifier l’article 18, alinéa 1, de la loi no 47/1985 se lit ainsi :

« Il y a lotissement illicite de terrains lorsqu’on commence des ouvrages entraînant une transformation urbanistique (...) des terrains en question en violation des documents d’urbanisme (c’est-à-dire le plan local d’urbanisme, le plan d’occupation des sols et toute autre règle encadrant l’aménagement et l’urbanisme à l’échelle d’un territoire – strumenti urbanistici) (...) ou des lois de l’État ou des régions, ou en l’absence de l’autorisation nécessaire (...) ; ainsi que lorsque ladite transformation urbanistique est réalisée par le fractionnement et la vente ou des actes équivalents du terrain en lots qui, par leur nature, (...) démontrent de manière incontestable leur destination réelle. »

107. Selon l’article 30 §§ 7 et 8, du code de la construction, qui reprend sans le modifier l’article 18, alinéas 7 et 8, de la loi no 47/1985, en cas de lotissement de terrains sans autorisation de la commune, celle-ci suspend, par ordonnance, les activités de lotissement concernant les terrains litigieux. L’autorité interdit également que les terrains et les ouvrages bâtis puissent faire l’objet d’une transaction. L’ordonnance de suspension doit être transcrite dans les registres fonciers. Si elle n’est pas annulée dans les 90 jours qui suivent, les terrains lotis sont inclus de plein droit et sans frais dans le domaine de la commune sur le territoire de laquelle le lotissement a été réalisé. Ensuite, la commune doit prévoir la démolition des constructions. Si la commune fait défaut, la région peut adopter les mesures qu’elle estime nécessaires et, en même temps, elle doit en informer le parquet en vue d’un éventuel exercice de l’action publique.

108. Au moment de la codification, les articles 19 et 20 de la loi no 47/1985 ont été fusionnés sans modification en une seule disposition, à savoir l’article 44 du code, qui est ainsi intitulé : « Art. 44 (L) – Sanctions pénales (...). » L’article 44 § 2 du code de la construction reprend l’article 19 de la loi no 47/1985, tel que modifié par l’article 3 du décret-loi no 146 du 23 avril 1985, converti en la loi no 298 du 21 juin 1985. L’article 44 dispose que :

« 2. L’arrêt définitif (sentenza definitiva) du juge pénal établissant qu’il y a eu lotissement illicite ordonne la confiscation des terrains illicitement lotis et des ouvrages illicitement bâtis. À la suite de la confiscation, les terrains sont inclus dans le domaine de la commune sur le territoire de laquelle le lotissement a été fait. L’arrêt définitif vaut titre pour inscription immédiate dans les registres immobiliers. »

C. L’infraction de lotissement illicite

1. Les formes de l’infraction

109. Selon la définition figurant à l’article 18 § 1 de la loi no 47/1985 ainsi qu’à l’article 30 § 1 du code de la construction, le lotissement illicite peut se présenter sous quatre formes :

– Lotissement illicite « matériel » (Lotizzazione abusiva materiale) ;

– Lotissement illicite « juridique » (Lottizzazione abusiva negoziale) ;

– Lotissement illicite « mixte » (Lottizzazione cosiddetta mista) ;

– Lotissement illicite par changement de destination des immeubles (Lotizzazione abusiva mediante mutamento della destinazione d’uso di edifici).

a. Lotissement illicite « matériel »

110. Cette infraction renvoie à un projet de développement urbain impliquant la construction de bâtiments ou d’infrastructures, ou susceptible de conférer à un territoire donné un aménagement différent par rapport à celui prévu par les règles urbanistiques. Selon la typologie des règles violées, on distingue deux formes différentes de lotissement illicite dans cette catégorie :

i. le lotissement illicite « matériel » formel, lorsque la transformation urbanistique est dépourvue d’autorisation ou contraire à l’autorisation accordée.

ii. le lotissement illicite « matériel » substantiel, lorsque la transformation urbanistique a été autorisée par l’administration (la commune et, éventuellement, la région) mais que cette autorisation n’est pas légitime car non conforme aux documents d’urbanisme, à la législation régionale ou aux lois nationales.

111. Jusqu’à l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation no 5115 de 2002 (affaire Salvini et autres), la notion de lotissement illicite matériel substantiel était contestée. Selon une jurisprudence de la Cour de cassation, l’infraction de lotissement illicite n’était pas constituée en cas d’autorisation donnée par les autorités compétentes (Cass., 1988, affaire Brunotti, et Cass., arrêt no 6094, 1991, affaire Ligresti et autres). L’aménagement du territoire était encadré par une série d’actes administratifs qui, à partir du plan d’urbanisme plus général, aboutissaient à l’adoption de l’acte censé régler le cas d’espèce. Le juge pénal ne pouvait refuser d’appliquer l’acte administratif d’autorisation, sauf si cet acte était considéré comme inexistant ou invalide (Cass., affaire Ligresti et autres, précitée). Dès lors que le lotissement illicite portait atteinte à la compétence de l’administration en matière d’aménagement du territoire, la contravention était constituée lorsqu’une nouvelle zone urbanisée était créée, en dehors de tout contrôle préventif de la commune (Cass., 1980, affaire Peta, et Cass., affaire Brunotti, précitée). En conclusion, selon cette jurisprudence, le lotissement était illicite seulement lorsque il n’était pas autorisé, mais pas dans l’hypothèse où, bien qu’autorisée, l’activité n’était pas jugée conforme à d’autres normes urbanistiques.

112. Dans l’arrêt no 5115 de 2002, l’Assemblée plénière, a toutefois retenu une nouvelle jurisprudence, désormais constante, selon laquelle la contravention est constituée non seulement dans le cas où les ouvrages sont en cours de réalisation sans avoir fait l’objet d’une autorisation ou en violation des modalités fixées dans l’autorisation, mais également en cas d’autorisation non conforme à d’autres règles urbanistiques, en particulier régionales ou nationales (infraction de lotissement matériel « substantiel »). Selon cette jurisprudence, le lotissement illicite « matériel formel » doit être considéré comme une hypothèse résiduelle par rapport au lotissement illicite « juridique ».

b. Lotissement illicite « juridique »

113. La contravention est constituée également lorsque la transformation urbanistique est réalisée par le fractionnement et la vente (ou par des actes équivalents) du terrain en lots qui, par leur nature même, démontrent de manière incontestable la destination réelle, différente de celle prévue par les règles urbanistiques. Dans cette hypothèse, la transformation urbanistique n’est pas causée par une activité matérielle (la construction des ouvrages) : elle est exclusivement juridique (Cass., 2009, affaire Quarta). Si aux actes juridiques s’ajoute une activité de construction, on se trouve non plus dans l’hypothèse de lotissement « juridique » mais dans celle de lotissement illicite mixte (Cass., arrêt no 618, 2012). Le lotissement juridique est une contravention qui implique une pluralité d’auteurs, c’est-à-dire au moins le vendeur et l’acheteur des lots.

c. Lotissement illicite mixte

114. Cette forme de lotissement illicite renvoie à une activité juridique de fractionnement d’un terrain en lots et à l’activité de construction consécutive à ce fractionnement (Cass., arrêt no 6080, 2008, affaire Casile, Cass., arrêt no 45732, 2012, affaire Farabegoli, et Cass., arrêt no 3454, 2013, affaire Martino).

d. Lotissement illicite par changement de destination des immeubles

115. Enfin, la jurisprudence a inclus dans la notion de lotissement illicite l’hypothèse du changement de la destination d’ouvrages construits dans une zone dont le plan de lotissement avait été auparavant approuvé. La mutation peut être réalisée, par exemple, par le fractionnement d’un complexe immobilier à vocation touristico-hôtelière sous forme de ventes séparées d’immeubles à des particuliers à usage d’habitation. Ce changement de destination doit être de nature à modifier l’aménagement du territoire. Cette forme de lotissement peut entrer dans la catégorie des lotissements matériels ou juridiques selon que l’accent est mis sur l’existence de constructions (élément matériel) ou sur la façon dont la transformation urbanistique se réalise, c’est-à-dire par un acte juridique (voir, dans ce sens, Cass., arrêt no 20569, 2015). Bien que cette forme de lotissement n’implique pas une activité de construction non autorisée, la jurisprudence estime qu’elle entre dans les hypothèses prévues par l’article 30 du code de la construction, étant donné que la vente séparée des immeubles implique nécessairement le fractionnement des terrains (Cass., affaire Farabegoli précitée).

2. Les intérêts juridiques affectés par l’infraction de lotissement illicite

116. Selon la Cour de cassation, en créant la contravention de lotissement illicite, le législateur avait l’intention de protéger deux intérêts distincts : d’une part, il souhaitait assurer que la transformation du territoire se déroulât sous le contrôle de l’administration responsable de la planification de l’aménagement du territoire (en particulier en érigeant en infraction pénale le lotissement illicite matériel formel et le lotissement illicite juridique) (Cass., affaire Salvini et autres précitée, Cass., arrêt no 4424, 2005, et Conseil d’État, arrêt no 5843, 2003), évitant ainsi le risque de travaux d’urbanisation imprévus ou différents de ceux prévus au départ (Cass., arrêt no 27289, 2012, affaire Dotta) ; d’autre part, il avait pour but de garantir la conformité aux règles urbanistiques de la transformation du territoire (c’est le cas des lotissements autorisés mais contraires à d’autres lois, c’est-à-dire les cas de lotissement matériel substantiel – Cass., affaire Salvini et autres précitée, Cass., arrêt no 4424 précité, et Conseil d’État, arrêt no 5843 précité).

117. La Cour de cassation a explicitement précisé que la contravention de lotissement illicite constituait une infraction de mise en danger. Dans une affaire en particulier, où elle a établi un parallèle avec l’infraction de construction illicite d’un immeuble, elle a parlé de danger abstrait, c’est-à-dire une présomption irréfragable de danger, sur la base de laquelle l’auteur est sanctionné indépendamment de la vérification d’un danger concret (Cass., arrêt no 20243, 2009, affaire De Filippis).

D. La confiscation à titre de sanction pour lotissement illicite

1. La nature de la confiscation

118. La Cour de cassation a toujours reconnu à la confiscation la nature de « sanction ». Au départ, elle l’avait du reste classée dans la catégorie des sanctions pénales. En conséquence, la confiscation ne pouvait être appliquée qu’aux biens du prévenu reconnu coupable du délit de lotissement illicite, conformément à l’article 240 du code pénal (Cass., affaire Brunotti précitée, Cass., Ass. plén., 1990, affaire Cancilleri, et Cass., affaire Ligresti précitée).

119. Par un arrêt du 12 novembre 1990, la Cour de cassation (affaire Licastro) a jugé que la confiscation était une sanction administrative obligatoire, indépendante de la condamnation au pénal. Selon la haute juridiction, cette sanction pouvait donc être prononcée à l’égard de tiers, dès lors qu’à l’origine de la confiscation se trouvait une situation (par exemple une construction ou un lotissement) qui était matériellement illicite, indépendamment de l’existence de l’élément moral. De ce fait, la confiscation peut être ordonnée lorsque l’auteur est relaxé à raison de l’absence d’élément moral (« perché il fatto non costituisce reato »), mais elle ne peut l’être si l’auteur est relaxé à raison de la non-matérialité des faits (« perché il fatto non sussiste »).

120. Cette jurisprudence a été largement suivie (Cass., 1995, affaire Besana, Cass., arrêt no 331, 15 mai 1997, affaire Sucato, Cass., arrêt no 3900, 23 décembre 1997, affaire Farano, Cass., arrêt no 777, 6 mai 1999, affaire Iacoangeli, et Cass., 25 juin 1999, affaire Negro). Par la décision no 187 rendue en 1998, la Cour constitutionnelle a reconnu la nature administrative de la confiscation.

121. Malgré l’approche adoptée par la Cour dans la décision Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie de 2007 (Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie (déc), no 75909/01 , 30 août 2007), confirmée par les arrêts Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie (fond, précité) en 2009 et Varvara c. Italie (no 17475/09, 29 octobre 2013), la Cour de cassation et la Cour constitutionnelle ont réaffirmé la thèse selon laquelle la confiscation litigieuse était une sanction de nature administrative (Cass., arrêt no 42741, 2008, Cass., Ass. plén., arrêt no 4880, 2015, et Cour constitutionnelle, arrêt no 49, 2015). Toutefois, elles ont reconnu que le juge pénal devait adopter une telle mesure dans le respect des normes de protection prévues par les articles 6 et 7 de la Convention (voir, par exemple, Cass., Ord., arrêt no 24877, 2014). La Cour de cassation a explicitement confirmé le caractère punitif (afflittivo) de la confiscation (Cass., arrêt no 39078 de 2009, et Cass., arrêt no 5857, 2011). Dans l’arrêt no 21125 de 2007, elle a dit que la confiscation avait pour fonction principale la dissuasion.

122. Ainsi, l’application de la sanction est autorisée même lorsque la procédure pénale pour lotissement illicite ne se solde pas par la condamnation « formelle » de l’accusé (Cass., arrêt no 39078 de 2009, et Cour constitutionnelle, arrêt no 49 de 2015), sauf si celui-ci est étranger à la commission des faits et que sa bonne foi a été constatée (Cass., arrêt no 36844 de 2009).

2. Le rôle du juge pénal dans l’application de la sanction

123. La confiscation pour lotissement illicite peut être ordonnée par une autorité administrative (la commune ou, à défaut, la région) ou par une juridiction pénale.

124. La compétence des juridictions pénales en matière de confiscation se rattache étroitement à leur pouvoir de statuer sur la responsabilité pénale des personnes dans les cas de lotissement illicite. En conséquence, lorsque l’infraction de lotissement illicite est prescrite avant l’ouverture des poursuites pénales, une juridiction qui clôt par la suite la procédure ne peut ordonner une mesure de confiscation : elle ne peut le faire que si le délai de prescription expire après l’ouverture des poursuites pénales.

125. Dans le cas d’un lotissement illicite matériel formel ou d’un lotissement illicite juridique réalisé en l’absence ou en violation d’une autorisation, deux doctrines ressortent de la jurisprudence interne. Selon la première, le juge pénal se substitue à l’administration (« svolge un ruolo di supplenza » : Cass., arrêt no 42741 de 2008, Cass., arrêt no 5857 de 2011, et Cass., ordonnance no 24877 de 2014).

126. Selon l’autre doctrine, la confiscation prévue par l’article 44 du code de la construction constitue l’expression d’un pouvoir répressif (sanzionatorio) attribué par la loi au juge pénal, qui n’a pas un caractère subsidiaire ou substitutif mais qui est autonome par rapport à celui de l’administration. Selon la Cour de cassation, il faut considérer comme définitivement dépassée en matière d’urbanisme la doctrine faisant du juge pénal le substitut de l’administration, puisque le fait d’ériger le lotissement illicite en infraction pénale vise à assurer la protection du territoire (Cass., arrêt no 37274, 2008, affaire Varvara, et Cass., arrêt no 34881, 2010, affaire Franzese).

127. De plus, en cas de lotissement illicite matériel substantiel, le rôle du juge pénal consiste non pas simplement à vérifier qu’aucun lotissement ne soit réalisé en l’absence ou en violation d’une autorisation, mais également à établir si le lotissement, autorisé ou non, est compatible avec d’autres normes de rang supérieur à l’acte d’autorisation. Pour prononcer la confiscation, le juge pénal doit établir l’existence de l’élément matériel de la contravention de lotissement illicite, ce qui signifie qu’il doit constater l’existence de tous les éléments constitutifs du comportement délictuel. Selon l’article 18 de la loi no 47 de 1985, la notion de comportement illicite ne se limite pas aux comportements qui se manifestent en l’absence d’autorisation, mais vise aussi ceux qui enfreignent les règles en matière d’urbanisme et les normes régionales et nationales (Cass., affaire Salvini et autres précitée). Dans ce contexte, la Cour de cassation a précisé les rapports entre l’acte de l’administration qui autorise le lotissement et le pouvoir du juge pénal d’établir s’il y a eu lotissement illicite et de prononcer la confiscation. Elle a précisé que, lorsque l’autorisation n’est pas conforme à d’autres règles urbanistiques, le juge pénal peut condamner l’auteur du lotissement et prononcer la confiscation sans toutefois se livrer à la moindre appréciation d’un point de vue administratif sur l’autorisation accordée. Le juge pénal n’ayant pas le droit d’annuler l’autorisation, celle-ci reste valide (Cass., affaire Salvini et autres précitée, Cass., affaire Varvara précitée, et Cass. arrêt no 36366, 2015, affaire Faiola).

3. Les effets sur la confiscation de la régularisation a posteriori du lotissement (sanatoria)

128. Lorsqu’il y a eu lotissement illicite en l’absence ou en violation d’un permis de construire, l’autorité administrative ne peut éviter le prononcé de la confiscation par le juge pénal que dans les conditions cumulatives suivantes : a) le lotissement a été régularisé (sanato) a posteriori par la commune ; b) l’acte de régularisation est légitime ; c) l’autorisation ex post facto (ou la modification du plan d’aménagement territorial) est émise avant que la condamnation au pénal ne devienne définitive. Ainsi, une fois la condamnation devenue définitive, la confiscation ne peut plus être révoquée même en cas de régularisation a posteriori du lotissement par l’autorité administrative (Cass., arrêt no 21125 de 2007, affaire Licciardello, Cass., arrêt no 37274, 2008, affaire Varvara, et Cass., affaire Franzese, précitées).

129. En revanche, dans tous les cas de lotissement illicite autorisé mais contraire à d’autres règles de rang supérieur, ce qui représente, selon la Cour de cassation, le cas le plus fréquent (lotissement illicite matériel substantiel), l’administration n’a aucun pouvoir de régularisation. En pareil cas, le juge pénal agit de façon totalement autonome et indépendante de l’autorité administrative (Cass., arrêts nos 21125 de 2007, 39078 de 2009, 34881 de 2010 et 25883 de 2013).

E. Jurisprudence constitutionnelle

130. Dans les arrêts nos 348 et 349 du 22 octobre 2007, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur le rang de la Convention dans la hiérarchie des sources du droit interne. L’article 117 de la Constitution, tel que modifié par la loi constitutionnelle no 3 du 18 octobre 2001, impose au législateur le respect des obligations internationales. Ainsi, la Cour constitutionnelle a considéré que la Convention était une norme de rang intermédiaire entre les lois ordinaires et la Constitution qui devait être appliquée telle qu’interprétée par la Cour.

131. Par conséquent, selon la Cour constitutionnelle il appartient au juge du fond d’interpréter la norme interne de manière conforme à la Convention et à la jurisprudence de la Cour mais, lorsqu’une telle interprétation se révèle impossible ou que le juge a des doutes quant à la compatibilité de la norme interne avec la Convention, il est tenu de soulever une question de constitutionnalité.

132. En janvier et en mai 2014, la Cour constitutionnelle a été saisie respectivement par le tribunal de Teramo et par la Cour de cassation de deux questions de constitutionnalité au sujet de l’article 44, alinéa 2, du décret législatif no 380/2001, à la suite de l’arrêt Varvara c. Italie ((fond), no 17475/09, 29 octobre 2013).

133. Dans son arrêt no 49 du 26 mars 2015, la Cour constitutionnelle a jugé (traduction non officielle) :

« 6.– Le question posée par la Cour de cassation ainsi que celle posée par le tribunal de Teramo sont également irrecevables au motif qu’elles sont chacune fondées sur un postulat interprétatif erroné à deux égards.

Si elles divergent quant aux effets que l’arrêt Varvara est censé produire dans l’ordre juridique interne, les deux juridictions de renvoi sont convaincues que, en rendant cet arrêt, la Cour de Strasbourg a énoncé un principe de droit aussi innovateur qu’impératif à l’égard des tribunaux tenus de l’appliquer en retenant une nouvelle manière d’interpréter l’article 7 de la Convention.

Le premier malentendu imputable aux juridictions de renvoi tient à la portée qu’elles attribuent à l’arrêt de la Cour de Strasbourg.

En dernière analyse, la Cour européenne aurait dit que, dès lors qu’une sanction tombe sous le coup de l’article 7 de la Convention et qu’elle est donc réputée être une « peine » relevant du champ d’application de cette disposition, elle ne peut être infligée que par une juridiction pénale, au même titre qu’une condamnation pour une infraction. Par voie de conséquence, les confiscations sur la base de règles d’occupation des sols – qui à ce jour sont toujours qualifiées de sanctions administratives au regard du droit national et sont imposées avant tout par l’administration, tout en étant néanmoins entourées des garanties prévues par l’article 7 de la Convention – auraient basculé en intégralité dans le domaine du droit pénal. Autrement dit, la protection matérielle garantie par l’article 7 aurait été complétée par une autre garantie, formelle cette fois, consistant en une réserve de compétence pour le juge pénal quant à l’application d’une mesure emportant une « peine », ce qui voudrait dire que de telles sanctions ne peuvent être imposées que parallèlement à une condamnation pénale.

La conséquence serait que, dès lors qu’une infraction administrative, qu’en vertu de son pouvoir souverain étendu le législateur distinguerait d’une infraction pénale (voir l’ordonnance no 159 de 1994 ; suivie des arrêts no 273 de 2010, no 364 de 2004 et no 317 de 1996 (...) et les ordonnances no 212 de 2004 et no 177 de 2003), est susceptible de dégager des critères autonomes permettant de la qualifier d’« infraction » au sens de la Convention, elle passera dans le domaine du droit pénal de l’État contractant. Il en résulterait dès lors une fusion entre la notion de sanction pénale au niveau national et au niveau européen. Ainsi, le domaine du droit pénal serait étendu au-delà de ce que législateur aurait souverainement décidé, même s’agissant de sanctions qui, fussent-elles mineures, n’en constitueraient pas moins des « peines » aux fins de l’article 7 de la Convention, pour d’autres raisons (Grande Chambre, arrêt du 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande).

Les juridictions de renvoi exposent cette thèse sans se rendre compte que sa compatibilité tant avec la Constitution qu’avec la Convention elle-même, telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg, est douteuse.

6.1.– (...) Comment on le sait, depuis ses arrêts rendus le 8 juin 1976 dans l’affaire Engel et autres c. Pays-Bas et le 21 février 1984 dans l’affaire Öztürk c. Allemagne, la Cour de Strasbourg retient des critères spécifiques pour établir si une sanction peut être qualifiée de « peine » au sens de l’article 7 de la Convention, ce précisément afin de veiller à ce que les processus massifs de dépénalisation engagés par les États membres depuis des années 1960 n’aient pas pour effet de priver les infractions des garanties matérielles énoncées aux articles 6 et 7 de la Convention postérieurement à la dépénalisation (voir l’arrêt Öztürk précité).

Dès lors, le pouvoir souverain dont jouit le législateur national pour juguler l’essor du droit pénal en recourant à des régimes de sanctions jugés mieux adaptés, au regard tant de la nature de la sanction infligée que des procédures simplifiées applicables lors de la phase administrative de l’imposition de la sanction, n’est pas mis en doute. Le but est plutôt d’éviter qu’un tel procédé conduise à faire disparaître l’ensemble des garanties historiquement associées à l’essor du droit pénal, que la Convention est censée protéger.

C’est dans le cadre de cette démarche mixte – consistant, d’une part, à ne pas revenir sur les choix de politique pénale de l’État tout en atténuant, d’autre part, les conséquences préjudiciables de ces politiques sur les garanties individuelles – que la nature de la Convention ressort au grand jour en tant qu’instrument censé aller au-delà des éléments tenant à la qualification formelle d’une infraction, sans pour autant empiéter sur le choix souverain du législateur national mais en examinant plutôt la substance des droits de l’homme en cause et en en préservant l’efficacité.

Il est d’ailleurs un principe établi qu’une « peine » peut être aussi infligée par une autorité administrative, pourvu que la décision de celle-ci soit attaquable devant un tribunal offrant les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, même si celui-ci n’a pas forcément à être investi d’une compétence pénale (voir, plus récemment, l’arrêt rendu le 4 mars 2014 dans l’affaire Grande Stevens et autres c. Italie, s’agissant de sanctions considérées comme graves). Il a été ajouté que la « peine » pouvait être le fruit de l’aboutissement d’une procédure administrative quand bien même aucune juridiction pénale n’aurait formellement rendu un verdict de culpabilité (voir l’arrêt rendu le 11 janvier 2007 en l’affaire Mamidakis c. Grèce).

6.2.– (...) Les expressions ainsi retenues, qui sur le plan linguistique peuvent donner matière à une interprétation n’appelant aucune mise en responsabilité sous la seule forme d’une condamnation pénale, sont tout à fait conformes du point de vue de la logique à la mission de la Cour de Strasbourg qui consiste à analyser la violation des droits de l’homme sous son aspect tangible, indépendamment de la formulation abstraite retenue par le législateur national pour qualifier le comportement en question.

Force est pour la Cour constitutionnelle de conclure que non seulement les juridictions de renvoi n’étaient pas obligées de dégager de l’arrêt Varvara le principe de droit sur lequel se fondent les présentes questions préjudicielles de constitutionnalité, mais aussi qu’elles auraient dû tirer de cet arrêt les conséquences inverses. D’ailleurs, cet arrêt est conforme au texte de la décision et à l’exposé des faits de l’espèce sur lesquels il a été statué, ce qui va davantage dans le sens de la logique traditionnelle sur laquelle repose la jurisprudence de la Cour européenne, et ce qui en tous les cas respecte le principe constitutionnel de subsidiarité dans le domaine du droit pénal, ainsi que le pouvoir souverain du législateur en matière de politique de répression des infractions, lorsqu’il choisit le cas échéant de qualifier la sanction d’administrative par nature (pour les besoins de l’ordre juridique interne).

Du point de vue de la Cour de Strasbourg, les garanties qu’offre l’article 7 de la Convention en matière de confiscations opérées sur la base de règles d’occupation des sols s’expliquent certainement par le résultat excessif que de telles mesures peuvent avoir, au-delà du redressement de la violation de la loi (voir l’arrêt rendu le 20 janvier 2009 en l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie), ce qui dépend alors de la manière dont ces mesures s’articulent en droit italien.

Toutefois, ces garanties n’excluent pas la possibilité que le pouvoir d’imposer des sanctions administratives, qui est la raison d’être des régimes de ce type avant toute intervention du juge pénal, soit effectivement rattaché à une considération d’intérêt général, en l’occurrence la « planification des constructions sur le territoire » (voir arrêt no 148 de 1994), que l’administration a pour mission de préserver. Il est important d’ajouter que cette considération n’est en aucun cas étrangère à la Cour européenne (voir l’arrêt rendu par celle-ci le 8 novembre 2005 en l’affaire Saliba c. Malte).

En l’état actuel des choses, sauf si la jurisprudence de la Cour européenne en vient à évoluer (à la suite du renvoi devant la Grande Chambre des litiges se rapportant aux confiscations nationales fondées sur les règles d’occupation des sols, dans les requêtes nos 19029/11, 34163/07 et 1828/06), la thèse exposée par les juridictions de renvoi, sur laquelle reposent leurs doutes quant à la constitutionnalité des dispositions contestées et selon laquelle il peut être déduit sans équivoque de l’arrêt Varvara qu’une confiscation sur la base des règles d’occupation des sols ne peut être ordonnée que parallèlement à une condamnation pénale judiciaire pour délit de construction illicite, doit dès lors être considérée comme erronée.

7.– (...) Il est parfois difficile de voir tout de suite si une certaine interprétation des dispositions de la Convention est désormais suffisamment confirmée à Strasbourg, surtout s’agissant d’arrêts ou de décisions censés statuer sur des litiges dont les faits sont très particuliers et rendus de surcroît en tenant compte des répercussions de la Convention sur des systèmes de droit autres que celui de l’Italie. Cela dit, il existe incontestablement des indices susceptibles d’orienter le juge national dans son analyse : la créativité offerte par le principe énoncé par rapport à l’approche traditionnelle suivie dans la jurisprudence européenne ; la faculté de marquer une distinction, voire une opposition, avec d’autres arrêts et décisions de la Cour de Strasbourg ; l’existence d’opinions dissidentes, surtout celles fondées sur des arguments solides ; le fait que les arrêts ou décisions n’aient pas été avalisés par la Grande Chambre parce qu’ils émanent d’une formation de rang inférieur ; le fait que, dans le cas d’espèce, la Cour européenne n’ait pas été en mesure de tenir compte des particularités du système de droit national et qu’elle y ait transposé des critères d’appréciation qui ont été conçus pour d’autres États membres et qui, en raison de ces particularités, ne se révèlent guère adaptés à l’Italie.

Lorsque tous ces indices, ou certains d’entre eux, apparaissent clairement, ainsi qu’il se dégagerait d’un arrêt qui ne peut méconnaître les caractéristiques particulières de chaque cas d’espèce, il n’y a aucune raison d’obliger les tribunaux ordinaires à suivre l’interprétation retenue par la Cour de Strasbourg afin de trancher un litige particulier, sauf si celui-ci relève d’un « arrêt pilote » au sens strict. »

F. La confiscation sans condamnation en droit italien

134. La confiscation est normalement conçue comme une mesure pénale par l’article 240 du code pénal. En principe, l’application de cette mesure, s’agissant particulièrement de la confiscation prévue par le premier paragraphe de cette disposition, est tributaire de la condamnation du défendeur. Il existe en droit italien d’autres formes de confiscation sans condamnation (« confisca senza condanna »), par exemple la confiscation directe des produits d’un crime (Cass., arrêt no 31617, 2015, affaire Lucci); la confiscation à titre préventif en vertu de l’article 2 § 3 de la loi no 575 du 31 mai 1965 et de l’article 24 du code antimafia ; la confiscation relative à des infractions de contrebande en vertu de l’article 301 du décret présidentiel no 43/1973, tel que modifié par l’article 11 de la loi no 413/1991 (Cass., arrêt no 8330, 2014, affaire Antonicelli et autres) ; la confiscation d’animaux (article 4 de la loi no 150 de 1992, Cass., arrêt no 24815, 2013) ; ou la confiscation d’œuvres d’art et d’objets culturels (article 174 § 3 du décret législatif no 42 de 2004, Cass., arrêt no 42458, 2015, Amalgià).

G. Autres dispositions

135. L’article 676 du code de procédure pénale permet, notamment aux personnes non impliquées dans des procédures pénales ayant des répercussions sur leurs biens, de demander la révocation de la confiscation selon les modalités prévues par les articles 665 et s. de ce même code.

136. Selon l’article 31 § 9 du code de la construction, en cas de déclaration de culpabilité pour le délit de construction illicite, le juge pénal ordonne la démolition du seul ouvrage litigieux.

137. La loi no 102 du 3 août 2009 de conversion du décret-loi no 78 de 2009 introduit dans le même décret l’article 4 § 4ter qui prévoit, outre la mainlevée de la confiscation ordonnée par le juge pénal, les critères de réparation des préjudices subis par les parties intéressées à raison d’une confiscation jugée contraire à la Convention par la Cour européenne des droits de l’homme.

138. L’article 579, alinéa 3, du code de procédure pénale prévoit que la confiscation, qui selon le droit interne constitue une mesure de sûreté, peut être attaquée selon les règles régissant les recours concernant la responsabilité pénale de l’accusé.

III. LE DROIT INTERNATIONAL PERTINENT

139. Plusieurs types de procédures de confiscation ont été créés pour lutter plus efficacement contre le crime international, le crime organisé et les autres formes d’infractions graves. Les dispositions de droit international les plus importantes sur la confiscation sont l’article 37 de la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants, telle que modifiée par le Protocole de 1972 à cette convention, l’article 5 de la Convention des Nations unies de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, les articles 77 § 2 b), 93 § 1 k) et 109 § 1 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale, établi en 1998, l’article 8 de la Convention internationale de 1999 pour la suppression du financement du terrorisme, l’article 12 de la Convention des Nations unies de 2000 contre la criminalité transnationale, l’article 31 de la Convention des Nations unies de 2003 contre la corruption et l’article 16 de la Convention de l’Union africaine de 2003 sur la prévention et la lutte contre la corruption.

140. Une étude de ces instruments internationaux révèle une acceptation généralisée du principe de la confiscation de l’objet physique de l’infraction (objectum sceleris), des instruments de l’infraction (instrumentum sceleris) et du produit du crime (productum sceleris), ainsi que d’autres biens de valeur équivalente (« confiscation en valeur »), de produits qui ont été transformés ou mêlés à d’autres biens, et des revenus ou autres bénéfices indirects émanant du produit du crime. L’ensemble de ces mesures de confiscation sont tributaires d’une condamnation pénale préalable. Les mesures de confiscation ne peuvent être infligées à des personnes morales ou physiques non parties à la procédure, sauf les tiers de mauvaise foi.

141. La confiscation sans condamnation demeure relativement exceptionnelle en droit international. Parmi les instruments susmentionnés, seul l’article 54 § 1 c) de la Convention des Nations unies de 2003 contre la corruption recommande que les parties, dans un but d’assistance mutuelle, envisagent de prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de biens en l’absence de condamnation pénale lorsque l’auteur de l’infraction ne peut être poursuivi « pour cause de décès, de fuite ou d’absence ou dans d’autres cas appropriés ».

142. La Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime, ouverte à la signature le 8 novembre 1990 à Strasbourg et entrée en vigueur le 1er septembre 1993 (« la Convention de Strasbourg »), définit la confiscation comme « une peine ou une mesure ordonnée par un tribunal à la suite d’une procédure portant sur une ou des infractions pénales, peine ou mesure aboutissant à la privation permanente du bien ».

143. Les parties à la Convention de Strasbourg s’engagent en particulier à ériger en infraction le blanchiment des produits du crime et à confisquer des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à ces produits. La Convention de Strasbourg propose des motifs spécifiques de refus de reconnaître les décisions des autres pays signataires concernant la confiscation in rem ou la confiscation sans condamnation, par exemple : « la mesure sollicitée serait contraire aux principes fondamentaux de l’ordre juridique de la Partie requise », « l’infraction à laquelle se rapporte la demande ne serait pas une infraction au regard du droit de la Partie requise », ou « la demande ne porte pas sur une condamnation antérieure, ni sur une décision de caractère judiciaire, ni sur une déclaration figurant dans une telle décision, déclaration selon laquelle une ou plusieurs infractions ont été commises, et qui est à l’origine de la décision ou de la demande de confiscation ».

144. Ces obligations ont été maintenues dans la Convention du Conseil de l’Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme, qui a été ouverte à la signature le 16 mai 2005 à Varsovie et est entrée en vigueur le 1er mai 2008 (« la Convention de Varsovie »), et qui était censée remplacer la Convention de Strasbourg. La Convention de Varsovie a été ratifiée par vingt-huit pays, dont quinze membres de l’Union européenne (UE).

145. En ce qui concerne la confiscation sans condamnation, l’article 23 § 5 de la Convention de Varsovie invite les États à « coopérer dans la mesure la plus large possible » quant à l’exécution de mesures équivalentes à la confiscation qui ne constituent pas des sanctions pénales, dès lors que de telles mesures ont été ordonnées par une autorité judiciaire sur la base d’une infraction pénale.

146. Eu égard à hétérogénéité des législations internes, certaines organisations internationales, telles que le Groupe d’action financière (GAFI) de l’OCDE, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et la Banque mondiale ont produit des guides de bonnes pratiques et des recommandations à cet égard. La Recommandation no 4 du GAFI, intitulée « Normes internationales sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération », mise à jour en octobre 2016, recommande aux États d’adopter des mesures autorisant la confiscation sans condamnation « dans la mesure où une telle obligation est conforme aux principes de leur droit interne ». La recommandation no 38 invite les États à s’assurer qu’ils disposent du pouvoir de répondre aux demandes fondées sur des procédures de confiscation sans condamnation préalable et des mesures provisoires associées, à moins que cela ne contrevienne aux principes fondamentaux de leur droit interne.

IV. DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE

147. Dans le cadre de l’Union européenne, la décision-cadre no 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime imposait tout d’abord aux États de ne pas limiter l’application de la Convention de Strasbourg aux infractions punies d’une peine privative de liberté d’une durée maximale supérieure à un an, et d’autoriser la confiscation de biens dont la valeur correspondait aux instruments et aux produits du crime.

148. La décision-cadre ultérieure 2005/212/JAI du Conseil du 24 février 2005 relative à la confiscation des produits, des instruments et des biens en rapport avec le crime prévoyait la confiscation ordinaire, y compris la confiscation en valeur, pour toutes les infractions passibles d’une peine d’emprisonnement d’un an maximum, ainsi que la confiscation de tout ou partie des biens détenus par une personne reconnue coupable de certaines infractions graves, lorsque celles-ci avaient été « commises dans le cadre d’une organisation criminelle », sans établir aucun lien entre les biens censés être d’origine criminelle et une infraction spécifique. Ce dernier procédé était qualifié de « pouvoirs de confiscation élargis ».

La décision-cadre prévoyait trois séries différentes d’exigences minimales parmi lesquelles les États membres pouvaient choisir afin d’exercer leurs pouvoirs de confiscation élargis. En conséquence, lors du processus de transposition de la décision-cadre, les États membres ont choisi au sein de leurs systèmes différentes options qui ont abouti à des concepts de confiscation élargie ayant des contenus divergents.

149. La directive no 2014/42 du Parlement européen et du Conseil du 3 avril 2014 concerne le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime dans l’Union européenne et, aux termes de son article 3, s’applique aux infractions pénales couvertes par :

a) la convention établie sur la base de l’article K.3, paragraphe 2, point c), du traité sur l’Union européenne, relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne (12) (ci-après dénommée «convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires»);

b) la décision-cadre 2000/383/JAI du Conseil du 29 mai 2000 visant à renforcer par des sanctions pénales et autres la protection contre le faux monnayage en vue de la mise en circulation de l’euro (13);

c) la décision-cadre 2001/413/JAI du Conseil du 28 mai 2001 concernant la lutte contre la fraude et la contrefaçon des moyens de paiement autres que les espèces (14);

d) la décision-cadre 2001/500/JAI du Conseil du 26 juin 2001 concernant le blanchiment d’argent, l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime (15);

e) la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme (16);

f) la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé (17);

g) la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue (18);

h) la décision-cadre 2008/841/JAI du Conseil du 24 octobre 2008 relative à la lutte contre la criminalité organisée (19);

i) la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil (20);

j) la directive 2011/93/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que la pédopornographie et remplaçant la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil (21);

k) la directive 2013/40/UE du Parlement européen et du Conseil du 12 août 2013 relative aux attaques contre les systèmes d’information et remplaçant la décision-cadre 2005/222/JAI du Conseil (22), ainsi que par d’autres instruments juridiques si ceux-ci prévoient spécifiquement que la présente directive s’applique aux infractions pénales qu’ils harmonisent.

150. L’article 4 § 1 de la même directive prévoit la confiscation de tout ou partie des instruments et des produits ou des biens dont la valeur correspond à celle de ces instruments ou produits, sous réserve d’une condamnation définitive à une infraction pénale visée à l’article 3, qui peut aussi avoir été prononcée dans le cadre d’une procédure par défaut. L’article 4 § 2 contient une disposition qui vise la confiscation sans condamnation :

« Lorsqu’il n’est pas possible de procéder à la confiscation sur la base du paragraphe 1, à tout le moins lorsque cette impossibilité résulte d’une maladie ou de la fuite du suspect ou de la personne poursuivie, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments ou produits dans le cas où une procédure pénale a été engagée concernant une infraction pénale qui est susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique et où ladite procédure aurait été susceptible de déboucher sur une condamnation pénale si le suspect ou la personne poursuivie avait été en mesure de comparaître en justice. »

151. La directive no 2014/42 a harmonisé les dispositions sur les pouvoirs de confiscation élargis en instituant une norme minimale unique. L’article 5 de cette directive se lit ainsi :

« Les États membres adoptent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de tout ou partie des biens appartenant à une personne reconnue coupable d’une infraction pénale susceptible de donner lieu, directement ou indirectement, à un avantage économique, lorsqu’une juridiction, sur la base des circonstances de l’affaire, y compris les éléments factuels concrets et les éléments de preuve disponibles, tels que le fait que la valeur des biens est disproportionnée par rapport aux revenus légaux de la personne condamnée, est convaincue que les biens en question proviennent d’activités criminelles. »

152. L’article 6 de la directive no 2014/42 prévoit la confiscation des avoirs de tiers :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre la confiscation de produits ou de biens dont la valeur correspond à celle des produits qui ont été transférés, directement ou indirectement, à des tiers par un suspect ou une personne poursuivie ou qui ont été acquis par des tiers auprès d’un suspect ou d’une personne poursuivie, au moins dans les cas où ces tiers savaient ou auraient dû savoir que la finalité du transfert ou de l’acquisition était d’éviter la confiscation, sur la base d’éléments ou de circonstances concrets, notamment le fait que le transfert ou l’acquisition a été effectué gratuitement ou en échange d’un montant sensiblement inférieur à la valeur marchande. »

153. L’article 8 de cette directive prévoit les garanties suivantes :

1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour faire en sorte que les personnes concernées par les mesures prévues par la présente directive aient droit à un recours effectif et à un procès équitable pour préserver leurs droits.

2. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la décision de gel soit communiquée à la personne concernée dans les meilleurs délais après son exécution. Cette communication s’accompagne d’indications précisant, au moins brièvement, le ou les motifs de la décision concernée. Lorsque cela est nécessaire pour éviter de compromettre une enquête pénale, les autorités compétentes peuvent toutefois reporter la communication de la décision de gel à la personne concernée.

3. La décision de gel ne reste en vigueur que le temps nécessaire pour préserver les biens en vue de leur éventuelle confiscation ultérieure.

4. Les États membres prévoient la possibilité effective pour la personne dont les biens sont concernés d’attaquer la décision de gel devant un tribunal, conformément aux procédures prévues dans le droit national. Ces procédures peuvent prévoir que lorsque la décision de gel initiale a été prise par une autorité compétente autre qu’une autorité judiciaire, ladite décision est d’abord soumise pour validation ou réexamen à une autorité judiciaire avant de pouvoir être attaquée devant un tribunal.

5. Les biens gelés ne faisant pas l’objet d’une confiscation ultérieure sont immédiatement restitués. Les conditions ou règles de procédure régissant la restitution de ces biens sont fixées par le droit national.

6. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que toute décision de confiscation soit dûment motivée et communiquée à la personne concernée. Les États membres prévoient la possibilité effective pour une personne à l’encontre de laquelle une confiscation est ordonnée d’attaquer la décision devant un tribunal.

7. Sans préjudice des directives 2012/13/UE et 2013/48/UE, les personnes dont les biens sont concernés par la décision de confiscation ont le droit d’avoir accès à un avocat pendant toute la procédure de confiscation en ce qui concerne la détermination des produits et instruments afin qu’elles puissent préserver leurs droits. Les personnes concernées sont informées de ce droit.

8. Dans les procédures visées à l’article 5, la personne concernée a une possibilité réelle de contester les circonstances de l’espèce, y compris les éléments factuels concrets et les éléments de preuve disponibles sur la base desquels les biens concernés sont considérés comme des biens provenant d’activités criminelles.

9. Les tiers sont en droit de faire valoir leur titre de propriété ou d’autres droits de propriété, y compris dans les cas visés à l’article 6.

10. Lorsque, à la suite d’une infraction pénale, la victime demande réparation à la personne qui fait l’objet d’une mesure de confiscation prévue par la présente directive, les États membres prennent les mesures nécessaires pour que la mesure de confiscation n’empêche pas ladite victime de chercher à obtenir réparation. »

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

154. La Cour considère d’abord que, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice et en application de l’article 42 § 1 de son règlement, il y a lieu de joindre les requêtes, les faits à l’origine des trois affaires et le cadre législatif étant les mêmes.

II. OBSERVATION LIMINAIRE

155. La Cour précise d’emblée que les requêtes en question concernent uniquement la question de la compatibilité avec la Convention de la confiscation sans condamnation au sens de l’article 18 § 1 de la loi no 47/1985, telle qu’intégrée dans l’article 30 § 1 du code de la construction (paragraphes 102 et 106 ci-dessus).

III. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A. Thèses du Gouvernement

156. Le Gouvernement soulève des exceptions préliminaires relatives aux trois requêtes.

1. G.I.E.M. S.r.l.

157. Quant à la première requérante, le Gouvernement souligne qu’il a informé la Cour, pendant la procédure devant la chambre, qu’avant d’introduire sa requête à Strasbourg, G.I.E.M. S.r.l. avait entamé une procédure devant le tribunal de Bari afin d’obtenir la réparation des dommages subis en raison du comportement de la mairie de Bari, de la confiscation et des conséquences économiques négatives sur le patrimoine de la société.

Selon le Gouvernement, l’objet de cette procédure coïnciderait avec les griefs soulevés dans la requête. La société requérante ayant omis d’informer la Cour de cette circonstance essentielle, la requête serait abusive et donc irrecevable en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

158. En outre, la procédure en question étant pendante dans l’attente du dépôt de l’expertise ayant pour objet l’évaluation des dommages prétendument subis par l’intéressée, la requête serait quoi qu’il en soit prématurée (article 35 § 1).

159. Le Gouvernement rappelle par ailleurs que le terrain a déjà été restitué à la société requérante en décembre 2013. Enfin, il indique à cet égard que l’article 4ter de la loi no 102 du 3 août 2009 (paragraphe 137 ci-dessus) fixe, outre la mainlevée de la confiscation qui est ordonnée par le juge pénal, les critères d’indemnisation des préjudices subis par les parties intéressées à raison d’une confiscation « non justifiée au regard de la Convention ». Mais la société requérante n’aurait pas introduit une action en compensation de ces préjudices et ne se serait donc pas prévalue de ce recours effectif.

2. Falgest S.r.l. et M. Gironda

160. En ce qui concerne la société Falgest S.r.l., le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes dans la mesure où, comme le prouverait le succès qui a couronné l’action de G.I.E.M. S.r.l., la société requérante aurait pu et dû faire valoir, en application de l’article 676 du code de procédure pénale (paragraphe 135 ci-dessus), un incident d’exécution (article 665 du code de procédure pénale) et solliciter auprès du juge de l’exécution le rétablissement de son droit de propriété sur les biens confisqués.

L’article 676 susmentionné permettrait aux personnes non impliquées dans des procédures pénales ayant des répercussions sur leurs biens de demander la révocation de la confiscation. L’efficacité de ce recours serait prouvée, entre autres, par le fait que, dans le cadre des éléments mis à la disposition des candidats à un concours pour avocats organisé en 2012 par une école d’avocats de Rome, figurerait une fiche modèle pour la rédaction d’un recours en opposition à la confiscation pour lotissement illicite inspirée des principes fixés dans l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité). D’après le Gouvernement, il est expliqué dans cette fiche que le recours peut être utilisé aussi par les tiers ayant subi les effets négatifs de la mesure.

161. Toujours au sujet de Falgest S.r.l., le Gouvernement observe par ailleurs que la société requérante n’a pas sollicité la restitution du terrain confisqué, mais seulement une indemnisation. Selon lui, elle aurait dû saisir les juridictions italiennes « d’une action contre l’État en réparation de la perte économique subie à cause de la confiscation qu’elle estimait illégale ».

162. Le Gouvernement ajoute encore que la société requérante aurait également pu utiliser la voie de recours ouverte par l’article 579, alinéa 3, du code de procédure pénale (paragraphe 138 ci-dessus) qui prévoit que l’inculpé qui a bénéficié d’une relaxe peut attaquer le jugement uniquement sur la confiscation afin d’obtenir une nouvelle évaluation sur le fond.

163. Le Gouvernement réitère enfin l’exception de non-épuisement du recours qu’il a déjà soulevée à l’égard de G.I.E.M. S.r.l., expliquant que la société requérante n’a pas usé du recours prévu par l’article 4ter de la loi no 102 du 3 août 2009 (voir paragraphes 137 et 159 ci-dessus).

164. En conclusion, il estime que la requête est irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 § 1 de la Convention.

3. Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l.

165. Enfin, quant à Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l., le Gouvernement réitère les arguments relatifs à la nécessité de faire valoir un incident d’exécution (paragraphe 160 ci-dessus).

B. Thèses des sociétés requérantes

1. G.I.E.M. S.r.l.

166. Tout en admettant que leur cliente avait engagé une procédure civile avant de saisir la Cour, les conseils de la société G.I.E.M. S.r.l. allèguent que la requête n’est ni abusive ni prématurée.

167. Ils soutiennent que les faits relatés dans la requête ne sont pas erronés et qu’il n’y a eu aucune tentative d’induire la Cour en erreur. La procédure nationale porterait sur la reconnaissance de la responsabilité extracontractuelle de la mairie de Bari pour les préjudices découlant des décisions adoptées par celle-ci, alors que les griefs soulevés devant la Cour concerneraient plutôt l’illégalité de la privation de propriété en raison de l’application d’une sanction de nature pénale non prévisible. Au surplus, la procédure entamée devant le tribunal de Bari n’aurait toujours pas abouti à une décision définitive permettant d’apporter une solution au litige.

168. Quant à la possibilité de se prévaloir de l’article 4ter de la loi no 102 du 3 août 2009, les conseils de la société G.I.E.M. S.r.l dénoncent l’inefficacité de la voie de recours, laquelle fixerait les critères d’évaluation des immeubles à restituer à la suite d’un arrêt de la Cour constatant que la confiscation a été adoptée en violation de la Convention. Ils indiquent que, dans le cas de leur cliente, le terrain confisqué a déjà été restitué en 2013 et que, compte tenu de l’absence d’ouvrages construits sur le bien, il n’y aurait aucune possibilité d’obtenir un quelconque dédommagement.

169. Selon eux, le Gouvernement aurait dû, à la suite des deux arrêts Sud Fondi S.r.l. et autres (précités), proposer à leur cliente une somme à titre de dédommagement pour tous les préjudices subis au lieu de continuer à contester le bien-fondé de la requête.

2. Falgest S.r.l.

170. Les conseils de la société Falgest S.r.l., estiment que l’incident d’exécution permet de soulever uniquement des questions liées à l’existence, l’exécution, la portée et la légitimité substantielle et formelle du titre exécutoire, ce qui exclut de la compétence du juge de l’exécution une nouvelle évaluation des faits. Ils en déduisent que, même si la société requérante avait utilisé ce recours, elle n’aurait pas obtenu la restitution des biens confisqués. Ils rappellent que les juges du fond avaient déjà constaté l’existence des éléments moral et matériel de l’infraction de lotissement illicite et la sanction imposée à la société a été ordonnée en application d’une jurisprudence constante de la Cour de cassation. Ne pouvant pas fournir un redressement adéquat, l’incident d’exécution ne serait dès lors pas une voie de recours effective au sens de l’article 35 § 1 de la Convention.

3. Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l.

171. Quant à Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l., elles contestent en substance l’effectivité de l’incident d’exécution.

C. Appréciation de la Cour

1. G.I.E.M. S.r.l.

a) Sur le caractère abusif de la requête

172. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 35 § 3 a), une requête peut être déclarée abusive notamment si elle se fonde délibérément sur des faits controuvés (Gross c. Suisse [GC], no [67810/10](http://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22appno%22:%5B%2267810/10%22%5D%7D), § 28, CEDH 2014).

173. La Cour constate que la société requérante a admis avoir saisi les juridictions civiles et ne pas l’en avoir informée lors de l’introduction de la requête à Strasbourg. Eu égard à l’explication fournie par G.I.E.M. S.r.l., à savoir que la procédure civile interne pendante et celle devant la Cour ont des objectifs différents, la Cour se voit dans l’impossibilité d’accepter la thèse du Gouvernement.

174. L’omission dont il est question ne saurait s’analyser en une tentative de cacher à la Cour des informations essentielles ou en tout cas pertinentes pour sa décision. En effet, le tribunal de Bari est appelé à réparer les préjudices éventuels résultant du comportement de la mairie de Bari, qui aurait induit la société requérante en erreur concernant la destination des terrains à la construction alors que les lois urbanistiques interdisaient toute activité d’urbanisation (paragraphe 42 ci-dessus). En revanche, la requête présentée à Strasbourg vise à obtenir un constat de violation des articles 7 de la Convention et 1 du Protocole no 1 en raison d’une confiscation que la société requérante considère comme dépourvue de base légale.

175. En conclusion, n’ayant relevé aucune intention frauduleuse dans le chef de la société requérante, la Cour rejette l’exception tirée du caractère abusif de la requête.

b) Sur l’épuisement des voies de recours internes

176. La Cour rappelle que la règle relative à l’épuisement des voies de recours internes vise à ménager aux États contractants l’occasion de prévenir ou de redresser les violations alléguées contre eux avant que ces allégations ne lui soient soumises (voir, parmi beaucoup d’autres, Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 75, CEDH 2011 (extraits)). À l’époque des faits, G.I.E.M. S.r.l. a donné aux juridictions nationales la possibilité d’examiner ses griefs et de réparer les violations alléguées. La Cour observe toutefois que la procédure civile engagée par la société requérante le 7 avril 2005 (paragraphe 43 ci-dessus) poursuivait un but différent de celui qui est recherché par la requête devant elle.

177. En ce qui concerne la voie de recours prévue par la loi no 102/2009, l’exception du Gouvernement ne saurait être accueillie, car la restitution du terrain à la société requérante est intervenue non pas à la suite d’un arrêt de la Cour constatant la violation des droits de l’intéressée (paragraphe 137 ci-dessus), mais à l’issue d’une procédure engagée par la mairie de Bari en octobre 2012 (paragraphe 42 ci-dessus). Dès lors, la Cour rejette l’exception de non‑épuisement des voies de recours internes dans le chef de la société G.I.E.M. S.r.l.

2. Falgest S.r.l.

178. Quant à la société Falgest S.r.l., la Cour, pour ce qui est de la loi no 102/2009, renvoie aux motifs et aux conclusions figurant au paragraphe 177 ci-dessus.

179. Quant à la voie de recours ouverte, selon le Gouvernement, par l’article 579, alinéa 3, du code de procédure pénale (paragraphes 138 et 162 ci-dessus), la Cour se limite à observer que ce recours est ouvert à un défendeur qui a bénéficié d’un non-lieu, et lui donne la possibilité de contester le jugement spécifiquement en cas de confiscation ordonnée comme mesure de sûreté. Il ne saurait, par conséquent, être fait grief à la société requérante de ne pas l’avoir tentée, la confiscation litigieuse n’étant pas une telle mesure de sûreté.

180. En ce qui concerne le recours prévu par l’article 676 du code de procédure pénale (paragraphes 135 et 160 ci-dessus), ce recours était dénué d’effectivité avant l’arrêt en l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précitée). En effet, le 31 mai 2001, longtemps avant l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres, G.I.E.M. S.r.l. s’était prévalue de ce recours et la Cour de cassation l’avait déboutée en juin 2005, au motif que la confiscation pouvait être appliquée aussi aux biens appartenant à des tiers de bonne foi (paragraphes 34-41 ci‑dessus). Le Gouvernement n’a pas démontré, jurisprudence à l’appui, que ce recours a été appliqué depuis l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres à une situation où, comme en l’espèce, l’infraction a été prescrite.

181. Certes, dans la deuxième procédure d’exécution relative à l’affaire G.I.EM. S.r.l., le 12 mars 2013, le juge de l’exécution, saisi par la mairie de Bari en octobre 2012, a révoqué la confiscation en raison du fait, d’une part, que la Cour avait conclu à la violation de l’article 7 de la Convention dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précitée) et, d’autre part, que la société avait été considérée comme tiers de bonne foi car aucun de ses administrateurs n’avait été reconnu responsable de lotissement illicite (paragraphe 42 ci‑dessus).

Tel n’est pas le cas de la société Falgest S.r.l. La décision du juge de l’exécution du 12 mars 2013 susmentionnée portait sur la nécessité de prouver l’existence de l’élément moral de l’infraction de lotissement illicite, alors que dans l’affaire Falgest S.r.l. les autorités judiciaires ont constaté que l’infraction était constituée (paragraphes 82-86 ci-dessus). Si les administrateurs de la société requérante n’ont pas été condamnés, c’est en raison de la prescription des infractions. Le recours mentionné par le Gouvernement ne permettait donc pas la réparation des violations alléguées par la société requérante.

182. Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel les requérants auraient dû engager une procédure civile contre l’État en vue d’obtenir une réparation pour la confiscation (paragraphe 161 ci-dessus), la Cour rappelle qu’au regard de l’article 35 § 1 de la Convention, rien n’impose d’user de recours qui ne sont ni adéquats ni effectifs. Pour pouvoir être jugé effectif, un recours doit être susceptible de remédier directement à la situation dénoncée et présenter des perspectives raisonnables de succès (Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 73-74, 25 mars 2014). En l’espèce, eu égard au fait qu’au moment de l’introduction de la requête la confiscation était considérée comme licite, la Cour voit mal comment le recours mentionné par le Gouvernement aurait pu se révéler effectif.

183. En conclusion, la Cour rejette les exceptions soulevées par le Gouvernement dans le chef de la société Falgest S.r.l.

3. Hotel Promotion Bureau S.r.l et R.I.TA. Sarda S.r.l.

184. Concernant cette requête, la Cour se borne à renvoyer à la conclusion à laquelle elle est parvenue aux paragraphes 180-181 ci‑dessus au sujet de la même exception soulevée par le Gouvernement pour la requête introduite par la société Falgest S.r.l. et par M. Gironda.

185. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire du Gouvernement.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

186. Tous les requérants allèguent que la confiscation de leurs biens, alors qu’ils n’ont pas été condamnés, a enfreint l’article 7 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèse du Gouvernement

187. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse et prône l’incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention des trois requêtes. Il estime que le lotissement illicite est constitué dès lors qu’il y a modification de terrains par l’édification illicite d’ouvrages ou par le fractionnement illicite de terrains réalisé en violation de la législation en vigueur, des plans d’urbanisme, ou en l’absence de l’autorisation administrative requise.

188. Soulignant la nécessité de protéger les paysages et l’environnement et d’aménager des espaces urbains vivables et bien organisés, le Gouvernement indique qu’afin de contrer le phénomène des lotissements illicites qui perturbe fréquemment le bon aménagement du territoire, l’État italien dispose de « nombreux instruments légaux ».

189. Il rappelle que, selon l’article 30 du code de la construction (décret no 380 pris le 6 juin 2001 par le président de la République), l’acquisition d’un terrain loti de manière abusive est nulle et non avenue (alinéa 9), le lotissement illicite d’un terrain peut être suspendu par la commune par une mesure conservatoire (alinéa 7), et la propriété de la zone illicitement lotie est transférée à la commune compétente, à laquelle il incombe de procéder à la destruction des constructions édifiées illégalement (alinéa 8). Il précise qu’en cas d’inertie de la part de la commune, la région dont elle relève procède à la démolition.

190. Le Gouvernement ajoute qu’aux termes de l’article 44, alinéa 2, dudit code, lorsque des poursuites pénales sont intentées contre la personne accusée d’être responsable du lotissement illicite, le tribunal ordonne la confiscation de la zone en question pour autant qu’il estime le lotissement illicite. Dans ce cas aussi, la propriété du terrain confisqué serait transférée à la commune.

191. Le Gouvernement explique que l’administration publique ordonne donc la confiscation si ou tant que des poursuites pénales ne sont pas engagées contre les responsables du lotissement illicite. Il indique qu’en revanche, dès l’ouverture des poursuites, c’est le tribunal saisi qui ordonne la confiscation en substituant sa décision à l’acte administratif de confiscation – que l’autorité administrative compétente aurait dû adopter en application de l’article 30, alinéa 8. Le Gouvernement précise que la confiscation déploie ses effets quelle que soit l’autorité qui l’ordonne.

192. La confiscation ordonnée par l’administration publique serait la règle générale. D’après le Gouvernement, les juridictions pénales n’ordonnent la confiscation que dans les cas suivants : lorsqu’elles prononcent une condamnation ; lorsque la responsabilité des accusés a été prouvée mais qu’une décision de relaxe est rendue en raison de la prescription (« sentenza di proscioglimento per intervenuta prescrizione del reato ») ; en cas de décès de l’accusé ; et à la suite d’une amnistie.

193. Pour le Gouvernement, la loi no 47/1985 distinguait nettement entre les peines (détention jusqu’à deux ans et amende) sanctionnant le lotissement illicite (article 20) et la confiscation ordonnée par une juridiction pénale (article 19). Or, après que le décret no 380/2001 eut codifié les règles existantes notamment en matière de permis de construire et repris tels quels les articles 19 et 20 de la loi no 47/1985, ces deux dispositions différentes, en raison d’un choix malencontreux des rédacteurs de cet instrument, auraient été placées dans la même disposition, à savoir l’article 44 du code de la construction (paragraphe 108 ci-dessus).

194. Le Gouvernement exclut que la confiscation de terrains ordonnée par une juridiction pénale en application de l’article 44 § 2 du code de la construction soit une « peine » (« pena ») en droit italien ou une peine accessoire (« pena accessoria ») selon l’article 240 du code pénal, observant que :

a) la confiscation ordonnée par la juridiction pénale prive le propriétaire de ses droits de propriété, de la même façon que l’acte administratif pris en vertu de l’article 30 du code de la construction ;

b) la confiscation vise à rétablir le bon usage des terrains ;

c) la zone confisquée est transférée à la commune sur le territoire de laquelle elle est sise (à savoir l’organe territorial chargé de veiller au bon usage des terrains), et non à l’État, comme dans le cas de confiscations ordonnées en application de l’article 240 du code pénal.

195. Le Gouvernement estime que pour mieux appréhender les instruments de protection des paysages existant dans l’ordre juridique italien, la Cour doit s’attacher à la différence entre les dispositions relatives à l’édification d’un ouvrage en l’absence ou en violation d’un permis et les dispositions concernant le lotissement illicite d’un terrain.

196. Le Gouvernement explique qu’en application des premières, en cas de verdict de culpabilité (article 31 § 9 du code de la construction, paragraphe 136 ci-dessus), le juge pénal ordonne la démolition du seul ouvrage pour sanctionner à titre accessoire le délit de construction illicite. Selon lui, dans le cas d’un lotissement illicite, le juge prononce la confiscation du terrain sous réserve qu’il ait été prouvé que le lotissement était illicite (article 44 § 2 du code), indépendamment de la condamnation de l’accusé. L’intérêt général représenté par la protection des paysages dans ce deuxième cas serait supérieur car il ne s’agit point d’une construction isolée mais bel et bien d’un détournement d’un terrain de son usage naturel, concrétisé, par exemple, par la construction d’un village composé de dizaines de villas.

197. De l’avis du Gouvernement, l’interprétation donnée par la Cour à l’article 19 de la loi no 47/1985 dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie ((déc.), no 75909/01, 30 août 2007), confirmée dans l’arrêt Varvara précité, ne concorde pas avec la réglementation de la confiscation de terrains dans l’ordre juridique italien.

Le Gouvernement rappelle que la Cour a décidé que la confiscation litigieuse constituait une sanction pénale au sens de l’article 7 de la Convention car :

a) elle se rattachait à une infraction pénale ;

b) le code de la construction considérait la confiscation litigieuse comme une peine ;

c) la sanction ne tendait pas à la réparation pécuniaire d’un préjudice, mais avait essentiellement un caractère punitif en vue d’empêcher la réitération de manquements aux conditions fixées par la loi ;

d) la sanction était particulièrement grave puisqu’elle s’étendait à tous les terrains inclus dans le projet de lotissement ;

e) le caractère matériellement illégal des lotissements avait été constaté par les juridictions pénales.

198. Or, le Gouvernement estime que cette conclusion de la Cour est erronée. Selon lui, en premier lieu, il n’est pas exact que la confiscation se rattache toujours à un délit car, en application de l’article 30, alinéa 8, du code de la construction, elle peut être ordonnée par l’administration publique avant le passage en force de chose jugée d’une décision de condamnation, et peut aussi être dirigée contre une société à laquelle, en vertu du principe societas delinquere non potest, aucun délit ne peut être reproché.

199. Le deuxième argument de la Cour ne serait pas non plus pertinent au motif qu’il serait illogique de conclure à une différence de nature ‑ administrative ou pénale – de la confiscation en fonction de l’autorité administrative ou judiciaire qui l’impose.

200. Troisièmement, la confiscation n’aurait pas pour but de sanctionner les responsables de l’acte illicite mais viserait l’élimination des effets du lotissement illicite en mettant les paysages immédiatement à l’abri d’un usage inconciliable avec les plans généraux d’urbanisme. La mesure aurait donc aussi pour objectif la prévention.

201. Le Gouvernement ajoute que le caractère pénal de la confiscation ne saurait dépendre ni de la gravité des conséquences économiques sur le patrimoine du propriétaire du terrain confisqué, ni de la superficie de celui-ci, ni des dimensions de la construction ou du pourcentage de terrain non bâti confisqué. Il soutient que la nature de la mesure doit s’apprécier en fonction du régime légal établi par la loi et interprété et appliqué par la jurisprudence nationale.

202. Enfin, la circonstance que la confiscation se trouve régie par l’article 44 du code de la construction, intitulé « Sanctions pénales » (« Sanzioni penali ») ne serait pas une preuve de sa classification parmi les peines mais le fruit d’une erreur des rédacteurs du texte législatif.

203. Pour le Gouvernement, depuis la décision sur la recevabilité de la Cour dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (précitée), les juridictions italiennes ont interprété le régime juridique de la confiscation des terrains à la lumière des principes de la Convention tels que la Cour les a entendus, en se livrant à une interprétation de l’article 44 § 2 du code de la construction conforme à l’article 7 de la Convention.

Cette adaptation aurait conduit non pas à un changement de la qualification juridique de la mesure mais à l’introduction dans l’ordre juridique italien des garanties prévues à l’article 7 de la Convention. Par conséquent, une juridiction pénale ne pourrait ordonner la confiscation que si elle établit à la fois l’existence de l’élément matériel (« elemento oggettivo ») et celle de l’élément moral (« elemento soggettivo ») de l’acte illicite.

Le Gouvernement conclut de ce qui précède que la confiscation de terrains adoptée en application de l’article 44 du code de la construction n’est pas une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention.

2. Thèses des requérants

a. G.I.E.M. S.r.l.

204. La société requérante se réfère aux faits exposés et aux motifs développés par la Cour dans sa décision sur la recevabilité Sud Fondi S.r.l. et autres (précitée), et en déduit que la confiscation de son terrain, subie en l’absence de toute activité illégale de sa part ou de son représentant légal, doit s’analyser en une peine au sens de la jurisprudence de Strasbourg.

b. Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l.

205. Tout en admettant que, selon le droit national et la jurisprudence consolidée, la confiscation pour lotissement illicite est considérée comme une sanction de nature administrative, les sociétés requérantes rappellent que, néanmoins la Cour a clairement indiqué dans sa décision sur la recevabilité en l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (précitée) que la confiscation prévue à l’article 44, alinéa 2, du code de la construction doit être qualifiée de sanction pénale effective et doit, pour cette raison, respecter les principes fondamentaux régissant l’exercice de la compétence pénale, à commencer par le principe de légalité consacré par l’article 7 de la Convention.

206. Les sociétés requérantes estiment qu’en dépit des déclarations des juridictions italiennes dans la présente affaire, la confiscation de terrains « illicitement lotis » ne peut être qualifiée de simple sanction administrative non soumise au principe de responsabilité pénale personnelle ; elle doit au contraire respecter les règles matérielles et procédurales gouvernant le constat d’une telle responsabilité.

207. Pour les intéressées, le caractère « pénal » de ce type de confiscation et, par conséquent, l’applicabilité de l’article 7, confirmés par la Cour dans son arrêt Varvara (précité), sont une évidence.

c. Falgest S.r.l. et M. Gironda

208. Les requérants soutiennent eux aussi que la confiscation litigieuse ne saurait être considérée simplement comme une sanction de nature administrative qui échapperait au principe de la responsabilité pénale individuelle.

209. Ils soulignent qu’en dépit de la position de la Cour sur le sujet et nonobstant l’obligation pesant sur le juge national de se conformer à la jurisprudence de Strasbourg, la Cour de cassation italienne a persisté dans son orientation interprétative, allant jusqu’à déclarer que la confiscation doit s’appliquer même en l’absence de condamnation pour prescription lorsque le juge a constaté l’existence des éléments moral et matériel de l’infraction de lotissement illicite.

3. Appréciation de la Cour

a. Principes généraux

210. La Cour rappelle que la notion de « peine » contenue dans l’article 7 possède une portée autonome. Pour rendre effective la protection offerte par cette disposition, la Cour doit demeurer libre d’aller au-delà des apparences et d’apprécier elle-même si une mesure particulière s’analyse au fond en une « peine » au sens de cette clause (Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 27, série A no 307-A, et Jamil c. France, 8 juin 1995, § 30, série A no 317‑B).

211. Le libellé de l’article 7 § 1, seconde phrase, indique que le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une « peine » consiste à déterminer si la mesure en question a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale. Toutefois, d’autres éléments peuvent également être jugés pertinents à cet égard, à savoir la nature et le but de la mesure en cause, sa qualification en droit interne, les procédures associées à son adoption et à son exécution, ainsi que sa gravité (Welch, précité, § 28, Jamil, précité, § 31, Kafkaris, précité, § 142, M. c. Allemagne, no 19359/04, § 120, CEDH 2009, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 82, CEDH 2013, et Société Oxygène Plus c. France (déc.), no 76959/11, § 47, 17 mai 2016).

b. Application des principes généraux au cas d’espèce

212. Dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (précitée, décision du 30 août 2007 sur la recevabilité), la Cour a estimé que la confiscation pour lotissement illicite subie par les requérants s’analysait en une peine au sens de l’article 7 de la Convention, malgré le fait qu’aucune condamnation pénale préalable n’avait été prononcée à l’encontre des sociétés requérantes ou de leurs représentants. Pour cela, elle s’est appuyée sur la circonstance que la confiscation litigieuse se rattachait à une « infraction pénale » fondée sur des dispositions juridiques générales, que le caractère matériellement illégal des lotissements avait été constaté par les juridictions pénales, que la sanction prévue à l’article 19 de la loi no 47 de 1985 visait pour l’essentiel à punir pour empêcher la réitération de manquements aux conditions fixées par la loi, que le code de la construction de 2001 classait parmi les sanctions pénales la confiscation pour lotissement abusif et, enfin, que la sanction présentait une certaine gravité. Dans son arrêt Varvara (précité, § 51), la Cour a confirmé cette conclusion.

213. Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 7 dans la présente affaire.

214. Il incombe dès lors à la Cour de rechercher si les confiscations litigieuses s’analysent en des « peines » au sens de l’article 7 de la Convention. Pour ce faire, elle appliquera les critères qui se dégagent des principes généraux rappelés ci-dessus.

i) Les confiscations ont-elles été imposées à la suite de condamnations pour des infractions pénales ?

215. S’agissant du point de savoir si les confiscations litigieuses ont été imposées à la suite de condamnations pour des infractions pénales, la Cour rappelle qu’elle a généralement considéré que cet élément ne constituait qu’un critère, parmi d’autres, à prendre en considération (Saliba c. Malte (déc.), no 4251/02, 23 novembre 2004, Sud Fondi S.r.l. et autres (décision précitée), M. c. Allemagne (précité), Berland c. France, no 42875/10, § 42, 3 septembre 2015), sans qu’il puisse passer pour déterminant quand il s’agit d’établir la nature de la mesure (Valico S.r.l c. Italie (déc.), no 70074/01, CEDH 2006-III, et Société Oxygène Plus (décision précitée, § 47). Ce n’est que plus rarement que la Cour a considéré cet élément comme décisif pour déclarer l’article 7 inapplicable (Yildirim c. Italie ((déc.), no 38602/02, CEDH 2003-IV ; Bowler International Unit c. France, no 1946/06, § 67, et 23 juillet 2009).

216. De l’avis de la Cour, conditionner la nature pénale d’une mesure, sur le terrain de la Convention, au fait que l’individu ait commis un acte qualifié d’infraction pénale par le droit interne et ait été condamné pour cette infraction par une juridiction pénale se heurterait à la portée autonome de la notion de « peine » (voir, dans ce sens, Valico S.r.l, décision précitée). En effet, sans une interprétation autonome de la notion de peine, les États seraient libres d’infliger des peines sans les qualifier comme telles, privant ainsi les individus des garanties offertes par l’article 7 § 1. Cette disposition se verrait ainsi privée d’effet utile. Or, il est d’une importance cruciale que la Convention soit interprétée et appliquée d’une manière qui en rende les garanties concrètes et effectives, et non pas théoriques et illusoires, ce qui s’applique également à l’article 7 (Del Rio Prada, précité, § 88).

217. Par conséquent, si la condamnation par les tribunaux pénaux internes peut constituer un critère, parmi d’autres, pour déterminer si une mesure constitue ou non une « peine » au sens de l’article 7, l’absence d’une telle condamnation ne suffit pas à exclure l’applicabilité de cette disposition.

218. En l’espèce, le Gouvernement conteste, contrairement à ce qu’il a soutenu dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (décision précitée), que les confiscations se rattachent toujours à une « infraction pénale », prenant ainsi le contrepied de la Chambre dans ladite affaire qui avait estimé que, bien qu’ « aucune condamnation pénale préalable n’a[vait] été prononcée à l’encontre des sociétés requérantes ou de leurs représentants par les juridictions italiennes », la confiscation litigieuse se rattachait néanmoins à une infraction pénale fondée sur des dispositions juridiques générales.

219. Eu égard aux circonstances des cas d’espèce en cause dans la présente affaire, et après avoir examiné les arguments du Gouvernement, la Grande Chambre ne voit pas de raisons de s’écarter de la conclusion de la Chambre dans la décision Sud Fondi S.r.l. et autres (précitée). En tout état de cause, à supposer même qu’une conclusion différente s’impose, pour les raisons exposées ci-dessus la Cour considère qu’à lui seul ce critère ne saurait exclure la nature pénale de la mesure. La Cour se doit ainsi d’examiner les autres critères susmentionnés.

ii) La qualification de la confiscation en droit interne

220. Pour ce qui est de la qualification de la confiscation en droit interne, la Cour observe tout d’abord que l’article 44 du code de la construction, qui régit la confiscation faisant l’objet des présentes affaires, est intitulé « Sanctions pénales » (paragraphe 108 ci-dessus). Elle prend note en outre de la thèse du Gouvernement selon laquelle ce libellé serait simplement le fruit d’une erreur des rédacteurs du texte législatif au moment de la codification des règles pertinentes en la matière. Cependant, l’historique législatif de cette disposition ne vient pas à l’appui de cet argument. De plus, la loi ayant été approuvée en 2001, le législateur a eu pendant seize ans la possibilité de procéder à sa correction s’il l’avait souhaité.

221. Cet élément indique que la confiscation est bien une « peine » au sens de l’article 7 (Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, décision précitée)

iii) La nature et le but de la confiscation

222. En ce qui concerne la nature et le but de la confiscation, la Grande Chambre confirme les conclusions de la Chambre dans les arrêts précités Sud Fondi S.r.l. et autres (fond) et Varvara, selon lesquelles la confiscation pour lotissement illicite subie par les requérants avait une nature et un but punitifs, et donc s’analyse en une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention. Trois raisons peuvent être avancées pour justifier cette conclusion.

223. Premièrement, le caractère punitif (« afflittivo ») et dissuasif de la mesure litigieuse a été souligné par la Cour de cassation italienne (paragraphe 121 ci-dessus). Comme l’a souligné le Gouvernement (paragraphe 203 ci-dessus), les juridictions internes ont accepté le principe selon lequel les garanties de l’article 7 s’appliquent en cas de confiscation.

224. Deuxièmement, le Gouvernement a reconnu dans ses observations que la confiscation est compatible avec l’article 1 du Protocole no 1, notamment parce qu’elle poursuit le but de « punir » les responsables des transformations illicites de terrains (voir les observations du Gouvernement du 5 juin 2015, § 119). En d’autres termes, le Gouvernement lui-même souligne la nature punitive de la confiscation.

225. Troisièmement, la Cour remarque que la confiscation est une sanction obligatoire (paragraphes 41 et 119 ci-dessus). Son imposition n’est pas soumise à la preuve d’un préjudice réel ou d’un risque concret pour l’environnement. La confiscation peut donc être appliquée même en l’absence de toute activité concrète visant à transformer le territoire, comme dans les affaires concernant la société G.I.E.M. S.r.l. et M. Gironda.

226. Pour toutes ces raisons, la Cour estime que le but de la confiscation des biens des requérants pour lotissement illicite était punitif.

iv) La gravité des effets de la confiscation

227. Quant à la gravité de la mesure en question, la Cour observe que la confiscation pour lotissement illicite constitue une sanction particulièrement lourde et intrusive. Dans les limites du site concerné, elle s’applique non seulement aux terrains qui ont été construits ainsi qu’à ceux pour lesquels il a été démontré que les propriétaires avaient l’intention de construire ou qu’il y avait eu un changement de destination des immeubles, mais également à la totalité des autres terrains faisant partie du site. De plus, elle ne donne lieu à aucune indemnisation (Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italie, décision précitée).

v) Les procédures d’adoption et d’exécution de la confiscation

228. Pour ce qui est des procédures d’adoption et d’exécution de la confiscation, la Cour observe que cette mesure est ordonnée par les juridictions pénales. Tel a été le cas pour les requérants.

229. En outre, la Cour juge peu convaincant l’argument selon lequel les juridictions pénales agiraient en lieu et place de l’administration publique.

230. Tout d’abord, cet argument est controversé en droit interne, au moins en cas de lotissement illicite (matériel formel ou juridique) réalisé en l’absence ou en violation d’une autorisation, la jurisprudence interne ayant adopté deux approches opposées (paragraphes 123-127 ci-dessus). Quoi qu’il en soit, une fois la condamnation pénale devenue définitive, la confiscation ne peut plus être révoquée même en cas de régularisation a posteriori du lotissement par l’autorité administrative (paragraphes 128‑129 ci-dessus).

231. De plus, le fait que le juge pénal ne se substitue pas à l’autorité administrative est encore plus évident en cas de lotissement illicite matériel substantiel. En effet, quand l’administration a autorisé un lotissement contraire aux règles d’urbanisme, ce qui constitue un lotissement illicite, le pouvoir du juge de confisquer le terrain et les ouvrages ne représente pas un acte par lequel le juge se substitue à l’administration. Il révèle au contraire un conflit entre la juridiction pénale et l’autorité administrative dans l’interprétation des lois régionales et nationales en matière d’urbanisme. Le rôle du juge pénal ne consiste pas simplement à vérifier qu’aucun lotissement ne soit réalisé en l’absence ou en violation d’une autorisation, mais également à rechercher si le lotissement, autorisé ou non, est compatible avec toutes les autres normes applicables.

232. Tel a été notamment le cas de figure qui s’est présenté dans l’affaire Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l., où la commune, alors que le procès pénal pour lotissement illicite était encore pendant, a déclaré que la convention de lotissement conclue avec R.I.T.A. Sarda S.r.l. et les autorisations accordées respectaient les règles urbanistiques en vigueur à l’époque, notamment la loi régionale no 45/1989, et que, par conséquent, l’infraction de lotissement illicite n’était pas constituée dans cette affaire (paragraphe 65 ci-dessus). En revanche, le juge pénal a désavoué la position de l’administration et a constaté la responsabilité des sociétés requérantes. En d’autres termes, la juridiction pénale a agi de manière autonome par rapport à l’autorité administrative.

c. Conclusion

233. En conséquence de ce qui précède, la Cour conclut que les mesures de confiscation s’analysent en des « peines » au sens de l’article 7 de la Convention. Cette conclusion, qui est le fruit de l’interprétation autonome de la notion de « peine » au sens de l’article 7, entraîne l’applicabilité de cette disposition, même en l’absence de procédure pénale au sens de l’article 6. Pour autant, et comme l’a souligné la Cour constitutionnelle italienne dans son arrêt no49 de 2015 (paragraphe 133 ci-dessus), elle n’exclut pas la possibilité pour les autorités nationales d’imposer des « peines » à travers des procédures autres que des procédures pénales au sens du droit national.

234. La Cour constate en outre que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, elle le déclare recevable.

B. Sur le fond

235. Afin d’apprécier si l’article 7 a été respecté en l’espèce, la Cour se doit à présent d’examiner si les mesures de confiscations litigieuses étaient conditionnées par l’existence d’un élément moral comme énoncé dans l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité), si ces mesures pouvaient être appliquées sans être précédées de condamnations formelles et sans que les sociétés n’aient été parties aux procédures en cause.

1. Sur le point de savoir si les mesures de confiscation litigieuses supposaient l’existence d’un élément moral

a. Thèses des parties

236. Les parties reprennent en substance les arguments développés sous l’angle de l’applicabilité de l’article 7.

237. En particulier, les requérants s’accordent à dire que, comme la Cour l’a relevé dans les arrêts précités Sud Fondi S.r.l. et autres (fond) et Varvara, l’article 18 de la loi no 47/1985 ne répond pas à l’exigence de prévisibilité dans la mesure où il prévoit qu’il y a lotissement illicite non seulement pour ce qui est des transformations des sols en violation des prescriptions du droit urbanistique, mais aussi en cas de contrariété desdites transformations avec les lois régionales et nationales. La Cour de cassation italienne elle‑même aurait reconnu que la législation existante était obscure et mal formulée. Les requérants observent en outre que la sanction de la confiscation a été infligée en l’absence de tout comportement pénalement répréhensible ou d’engagement de la responsabilité des sociétés requérantes. Quant à M. Gironda, la mesure privative aurait été imposée à la suite d’un non-lieu pour prescription par la Cour de cassation qui, cassant l’arrêt d’appel, a clairement stigmatisé le comportement du requérant sans toutefois consigner un constat de responsabilité « substantielle » dans le dispositif de son arrêt.

238. Le Gouvernement rappelle que dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précitée) la Cour a conclu à la violation de l’article 7 de la Convention au motif que la confiscation n’était pas une conséquence prévisible du comportement des requérantes (qui avaient été relaxées parce que les tribunaux ne les avaient pas estimées coupables de l’infraction dont elles étaient accusées) et que dès lors la confiscation litigieuse n’était pas prévue par la loi au sens de l’article 7 de la Convention.

239. Selon le Gouvernement, la législation actuellement en vigueur et la jurisprudence italienne sont pleinement en accord avec l’article 7 tel que la Cour l’a interprété pour les raisons suivantes :

a) la confiscation de terrains consécutive au lotissement illicite de ceux‑ci se trouve régie par les articles 30 et 44 du code de la construction. Les responsables (selon la définition qu’en donne l’article 30) savent que s’ils effectuent un lotissement illicite (« trasformazione urbanistica o edilizia dei terreni ») en procédant à une construction (« lottizzazione abusiva materiale ») ou à une répartition illicite des terrains (« lottizzazione abusiva negoziale »), ils se verront privés de la propriété des terrains en question par la juridiction pénale compétente qui ordonnera la confiscation de ceux-ci en application de l’article 44 § 2 du code ;

b) depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle no 239 de 2009 – dans lequel la haute juridiction a invité les tribunaux italiens à donner de l’article 44 § 2 du code une interprétation conforme à la Convention en ligne avec celle de la Cour –, une jurisprudence bien établie indique que la confiscation peut être ordonnée sous réserve qu’il soit prouvé, au moins en substance, que l’accusé est responsable du lotissement abusif du terrain en cause : la juridiction pénale peut ordonner la confiscation seulement si sont établis à la fois l’élément matériel et l’élément moral (paragraphe 203 ci‑dessus).

240. Dès lors, le Gouvernement invite la Cour à constater le respect de l’article 7 de ce chef en l’espèce.

b) Appréciation de la Cour

241. La Cour note que dans son arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité), elle a rappelé la portée du principe de la légalité des délits et des peines et l’exigence de prévisibilité des effets de la loi pénale qui en découle (§§ 105‑110). Appliquant cette notion au cas d’espèce, elle a souscrit aux conclusions de la Cour de cassation italienne dans cette affaire, selon lesquelles faute de prévisibilité des normes violées, les prévenues avaient commis une erreur inévitable et excusable, ce qui excluait la présence de l’élément moral indispensable à la constatation de l’infraction et justifiait leur acquittement (ibidem §§ 111-114). La Cour a poursuivi en considérant :

« 115. Un ordre d’idée complémentaire mérite d’être développé. Au niveau interne, la qualification d’« administrative » (...) donnée à la confiscation litigieuse permet de soustraire la sanction dont il s’agit aux principes constitutionnels régissant la matière pénale. L’article 27/1 de la Constitution prévoit que la « responsabilité pénale est personnelle » et l’interprétation jurisprudentielle qui en est donnée précise qu’un élément moral est toujours nécessaire. En outre l’article 27/3 de la Constitution (« Les peines .... doivent tendre à la rééducation du condamné ») aurait du mal à s’appliquer à une personne condamnée sans que sa responsabilité ne puisse être engagée.

116. En ce qui concerne la Convention, l’article 7 ne mentionne pas expressément le lien moral entre l’élément matériel de l’infraction et la personne qui en est considérée comme l’auteur. Cependant, la logique de la peine et de la punition ainsi que la notion de « guilty » (dans la version anglaise) et la notion correspondante de « personne coupable » (dans la version française) vont dans le sens d’une interprétation de l’article 7 qui exige, pour punir, un lien de nature intellectuelle (conscience et volonté) permettant de déceler un élément de responsabilité dans la conduite de l’auteur matériel de l’infraction. À défaut, la peine ne serait pas justifiée. Il serait par ailleurs incohérent, d’une part, d’exiger une base légale accessible et prévisible et, d’autre part, de permettre qu’on considère une personne comme « coupable » et la « punir » alors qu’elle n’était pas en mesure de connaître la loi pénale, en raison d’une erreur invincible ne pouvant en rien être imputée à celui ou celle qui en est victime.

117. Sous l’angle de l’article 7, pour les raisons développées plus haut, un cadre législatif qui ne permet pas à un accusé de connaître le sens et la portée de la loi pénale est défaillant non seulement par rapport aux conditions générales de « qualité » de la « loi » mais également par rapport aux exigences spécifiques de la légalité pénale. »

242. La Grande Chambre souscrit à la thèse selon laquelle la logique de la peine et de la punition ainsi que la notion de « guilty » (dans la version anglaise) et la notion correspondante de « personne coupable » (dans la version française) vont dans le sens d’une interprétation de l’article 7 qui exige, pour punir, un lien de nature intellectuelle. En effet, ainsi qu’il est expliqué dans l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité), il découle du principe de la légalité des délits et des peines que la loi pénale doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment, de façon à être accessible et prévisible dans ses effets. Un justiciable doit pouvoir savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes et quelles omissions engagent sa responsabilité pénale. Cela implique également qu’une peine au sens de l’article 7 ne se conçoit en principe qu’à la condition qu’un élément de responsabilité personnelle dans le chef de l’auteur de l’infraction ait été établi. Il y a, en effet, ainsi que la Cour de cassation italienne l’a relevé dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres (voir le paragraphe 112 de l’arrêt de la Cour dans cette affaire), une corrélation évidente entre le degré de prévisibilité d’une norme pénale et le degré de responsabilité personnelle de l’auteur de l’infraction. Aussi la Grande Chambre partage-t-elle les conclusions de la Chambre dans l’affaire Sud Fondi S.r.l. et autres selon lesquelles l’article 7 exige, pour punir, un lien de nature intellectuelle permettant précisément de déceler un élément de responsabilité dans la conduite de l’auteur matériel de l’infraction (ibidem § 116).

243. Pour autant, et comme la Cour l’a indiqué dans son arrêt Varvara (précité, § 70), cette exigence ne fait pas obstacle à certaines formes de responsabilité objective opérant à travers des présomptions de responsabilité, à condition que celles-ci respectent la Convention. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention, selon laquelle les États contractants demeurent libres, en principe, de réprimer au pénal un acte accompli hors de l’exercice normal de l’un des droits que protège la Convention (arrêt Engel et autres c. Pays‑Bas du 8 juin 1976, § 81, série A no 22, p. 34, par. 81) et, partant, de définir les éléments constitutifs de pareille infraction. Ils peuvent notamment, sous certaines conditions, rendre punissable un fait matériel ou objectif considéré en soi, qu’il procède ou non d’une intention délictueuse ou d’une négligence; leurs législations respectives en offrent des exemples. Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit ; la Convention n’y met pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les États contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil. Or il ressort de la jurisprudence que ce seuil se trouve dépassé quand une présomption a pour effet de priver une personne de toute possibilité de se disculper par rapport aux faits mis à sa charge, la privant ainsi du bénéfice de l’article 6 § 2 de la Convention (voir, parmi d’autres, Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, §§ 27-28, série A no 141‑A, Janosevic c. Suède, no 34619/97, § 68, CEDH 2002 VII, et Klouvi c. France, no 30754/03, § 48, 30 juin 2011).

244. La Cour rappelle que la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions (voir parmi d’autres, mutatis mutandis, Hammerton c. Royaume-Uni, no 6287/10, § 84, 17 mars 2016). Eu égard au fait que les articles 7 et 6 § 2 ont en commun, dans leurs domaines respectifs, de protéger le droit de toute personne de ne pas se voir infliger une peine sans que sa responsabilité personnelle, y compris un lien de nature intellectuelle avec l’infraction, n’ait été dûment établie, la Cour estime que la jurisprudence décrite ci-dessus s’applique mutatis mutandis sur le terrain de l’article 7.

245. En outre, la Cour relève qu’à la suite de l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité), les tribunaux internes ont accepté ce raisonnement et modifié leur jurisprudence en conséquence quant à deux aspects importants. Premièrement, même en cas de non-lieu en raison de la prescription, la confiscation ne peut être mise en œuvre que s’il est démontré que l’infraction est constituée tant dans son élément matériel que dans son élément moral. Deuxièmement, depuis l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (ibidem), les juridictions internes se sont abstenues d’infliger une telle mesure de confiscation à des tiers de bonne foi.

246. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que dans les présentes affaires, l’article 7 exigeait que les confiscations litigieuses fussent prévisibles pour les requérants et qu’elles ne leur fussent pas imposées en l’absence d’un lien intellectuel dénotant un élément de responsabilité dans leur conduite.

247. La question qui se pose à ce stade est dès lors celle de savoir s’il peut avoir été satisfait à cette exigence, sachant que a) aucun des requérants n’a fait l’objet d’une condamnation formelle à cet égard, et que b) les sociétés requérantes n’ont jamais été parties aux procédures en question. La Cour examinera ci-après chacune de ces circonstances.

2. Sur le point de savoir si les mesures de confiscation litigieuses pouvaient être appliquées en l’absence de condamnations formelles

248. La Cour observe qu’en l’espèce l’ensemble des requérants se sont vu confisquer leurs biens malgré le fait qu’aucun d’entre eux n’avait fait l’objet d’une condamnation formelle: dans le cas de la société G.I.E.M. S.r.l., ni la société elle-même ni ses représentants n’ont jamais été poursuivis (paragraphes 23-29 ci-dessus) ; quant aux autres sociétés requérantes, contrairement à leurs représentants, elles n’ont jamais été parties aux procédures en question (paragraphes 66-73, 82-86 ci-dessus) ; enfin, les poursuites dont M. Gironda a fait l’objet ont été abandonnées en raison de la prescription.

249. Les parties ont des avis clairement divergents sur la nécessité d’une condamnation formelle, laquelle a déjà été examinée dans l’arrêt Varvara (précité). Les requérants soutiennent que, selon cet arrêt, les mesures de confiscation litigieuses ne pouvaient pas être appliquées en l’absence de condamnations formelles, et demandent à la Cour de confirmer la jurisprudence Varvara sur ce point.

Le Gouvernement défend la thèse opposée. Il invite donc la Cour à infirmer l’arrêt Varvara sur ce point et à confirmer la position des juridictions internes, en particulier celle de la Cour constitutionnelle (paragraphe 133 ci-dessus).

250. La Grande Chambre rappelle la jurisprudence Varvara (précitée), selon laquelle:

« 71. La logique de la « peine » et de la « punition », et la notion de « guilty » (dans la version anglaise) et la correspondante notion de « personne coupable » (dans la version française), militent pour une interprétation de l’article 7 qui exige, pour punir, une déclaration de responsabilité par les juridictions nationales, qui puisse permettre d’imputer l’infraction et d’infliger la peine à son auteur. À défaut de quoi, la punition n’aurait pas de sens (Sud Fondi S.r.l. et autres, précité, § 116). Il serait en effet incohérent d’exiger, d’une part, une base légale accessible et prévisible et de permettre, d’autre part, une punition quand, comme en l’espèce, la personne concernée n’a pas été condamnée.

72. Dans la présente affaire, la sanction pénale infligée au requérant, alors que l’infraction pénale était éteinte et que sa responsabilité n’a pas été consignée dans un jugement de condamnation, ne se concilie pas avec les principes de légalité pénale que la Cour vient d’expliciter et qui font partie intégrante du principe de légalité que l’article 7 de la Convention commande d’observer. Dès lors, la sanction litigieuse n’est pas prévue par la loi au sens de l’article 7 de la Convention et est arbitraire. »

251. Il en résulte que l’article 7 s’oppose à ce qu’une sanction de nature pénale puisse être imposée à un individu sans que soit établie et déclarée au préalable sa responsabilité pénale personnelle. Sans cela, la présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention serait, elle aussi, méconnue.

252. Toutefois, s’il est clair que, comme l’indique l’arrêt Varvara (ibidem), la déclaration de responsabilité pénale requise est souvent énoncée dans un jugement pénal condamnant formellement l’accusé, il ne faut pas pour autant y voir une règle obligatoire. En effet, l’arrêt Varvara ne permet pas de conclure que les confiscations pour lotissement illicite doivent nécessairement s’accompagner de condamnations par des juridictions pénales au sens du droit national. Pour sa part, la Cour doit s’assurer que la déclaration de responsabilité pénale respecte les garanties prévues par l’article 7 et qu’elle résulte d’une procédure conforme aux exigences de l’article 6. À cet égard, la Cour souligne que ses arrêts ont tous la même valeur juridique. Leur caractère contraignant et leur autorité interprétative ne sauraient par conséquent dépendre de la formation de jugement qui les a rendus.

253. Il en résulte également que, comme la Cour l’a déjà indiqué à propos du caractère autonome de son interprétation de l’article 7 (paragraphe 233 ci-dessus), le respect de l’article 7 tel qu’interprété dans l’affaire Varvara ne requiert pas que tout litige relevant de cet article doive nécessairement être traité dans le cadre d’une procédure pénale au sens strict. En ce sens, l’applicabilité de cette disposition n’a pas pour effet d’imposer la « criminalisation » par les Etats de procédures que, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, ils ne font pas relever du droit pénal au sens strict.

254. À cet égard la Cour rappelle que, en s’appuyant sur le principe établi dans l’arrêt Öztürk (précité, §§ 49 et 56) elle a maintes fois jugé que « le respect de l’article 6 de la Convention n’exclut pas que dans une procédure de nature administrative, une « peine » soit imposée d’abord par une autorité administrative » (Grande Stevens et autres c. Italie, nos 18640/10 et 4 autres, §§ 138-139, 4 mars 2014 , voir également Kadubec c. Slovaquie, 2 septembre 1998, § 57, Recueil 1998-VI, Čanády c. Slovaquie, no 53371/99, § 31, 16 novembre 2004, et A. Menarini Diagnostics S.r.l. c. Italie, no 43509/08, §§ 58-59, 27 septembre 2011). Ce principe a été confirmé également sous l’angle du droit à la présomption d’innocence, prévu par l’article 6 § 2 de la Convention. Ainsi, dans l’affaire Mamidakis c. Grèce, (no 35533/04, § 33, 11 janvier 2007) la Cour a considéré:

« Quant au grief selon lequel les juridictions administratives n’ont pas pris en compte le fait que le requérant n’avait pas été poursuivi au pénal pour la même infraction, la Cour estime que cette situation ne saurait s’analyser en une violation de la présomption d’innocence. En effet, une telle affirmation signifierait qu’aucune procédure administrative ne pourrait être conduite en l’absence d’une procédure pénale et qu’aucun constat d’infraction ne saurait être prononcé par une juridiction administrative en l’absence d’une déclaration formelle de culpabilité par une juridiction pénale. En outre, le requérant ne soulève aucun autre argument qui pourrait amener la Cour à la conclusion que les juridictions administratives l’ont considéré comme coupable avant de se prononcer définitivement sur son affaire ».

255. Ayant ainsi écarté la nécessité d’une procédure pénale, la Cour doit néanmoins rechercher si l’imposition des confiscations litigieuses exigeait à tout le moins une déclaration formelle de responsabilité pénale à charge des requérants.

256. Alors que les requérants soulignent l’illégalité de la confiscation en l’absence de condamnation formelle, le Gouvernement estime que, mis à part le cas de G.I.E.M. S.r.l., les sociétés requérantes et leurs représentants, dont M. Gironda, ont été clairement reconnus coupables de violation des règles urbanistiques.

257. La Cour observe que puisque les sociétés requérantes n’ont pas été poursuivies comme telles et n’étaient pas non plus parties à la procédure (paragraphes 248 ci-dessus et 269 ci-dessous), elles ne peuvent pas avoir fait l’objet d’une déclaration de responsabilité préalable. Par conséquent, la question de savoir si la déclaration de responsabilité pénale requise par l’article 7 doit répondre à des exigences de forme ne se pose que dans le chef de M. Gironda.

258. En l’espèce, la Cour doit donc rechercher si, bien que l’infraction mise à charge de M. Gironda soit prescrite, elle peut avoir égard aux éléments de cette infraction constatés par les juridictions nationales pour conclure à l’existence, en substance, d’une déclaration de responsabilité pouvant servir de préalable nécessaire à l’imposition d’une sanction compatible avec l’article 7 de la Convention.

259. La Cour rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence qu’il peut s’avérer nécessaire de s’attacher, par-delà les apparences et le vocabulaire employé, à cerner la réalité d’une situation (Ezeh et Connors c. Royaume‑Uni [GC], nos 39665/98 et 40086/98, § 123, CEDH 2003-X). Elle peut ainsi regarder au-delà du dispositif d’un jugement interne et tenir compte de sa substance, la motivation faisant partie intégrante de la décision (voir, mutatis mutandis, Allen c. Royaume-Uni [GC], no 25424/09, § 127, 12 juillet 2013).

260. De l’avis de la Cour, il convient de tenir compte, d’une part, de l’importance qu’il y a, dans une société démocratique, à assurer l’Etat de droit et la confiance des justiciables dans la justice, et, d’autre part, de l’objet et du but du régime appliqué par les juridictions italiennes. À cet égard, il apparaît que ledit régime vise à lutter contre l’impunité qui résulte de ce que, par l’effet combiné d’infractions complexes et de délais de prescription relativement courts, les auteurs de telles infractions échapperaient systématiquement aux poursuites et surtout aux conséquences de leurs méfaits (voir, mutatis mutandis, El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 192, CEDH 2012).

261. La Cour ne saurait faire abstraction de ces considérations dans l’application de l’article 7 en l’espèce, pour autant que les juridictions en question aient agi dans le strict respect des droits de la défense consacrés par l’article 6 de la Convention. C’est pourquoi elle estime que lorsque les juridictions saisies constatent la réalisation de tous les éléments de l’infraction de lotissement illicite tout en concluant au non-lieu, en raison de la seule prescription, ces constatations s’analysent, en substance, en une condamnation au sens de l’article 7, lequel en pareil cas n’est pas violé.

262. Il en résulte que l’article 7 n’a pas été méconnu dans le chef de M. Gironda.

3. Sur le point de savoir si les mesures de confiscation litigieuses pouvaient être appliquées aux sociétés requérantes qui n’étaient pas parties aux procédures en cause

a. Thèses des parties

263. Les sociétés requérantes soulignent qu’elles n’ont pas été parties aux procédures pénales pour lotissement illicite et que, d’ailleurs, elles ne pouvaient pas l’être en vertu de la loi. En ce qui concerne en particulier la société G.I.E.M. S.r.l., ses représentants n’ont même pas été poursuivis, la confiscation de son bien ayant simplement résulté de son intégration d’office dans le lotissement de Punta Perotti.

264. Le Gouvernement observe que la possibilité de constituer une personne morale a l’indéniable avantage de limiter le risque d’entreprise au sujet juridique expressément créé pour exercer cette activité. Selon lui, l’associé d’une personne morale assume ainsi les risques uniquement pour ce qu’il a apporté à la société et celle-ci subit forcément les conséquences défavorables de la confiscation. Contrairement à la société G.I.E.M. S.r.l., les sociétés Hotel Promotion Bureau S.r.l., R.I.T.A. Sarda S.r.l. et Falgest S.r.l. ne peuvent à l’évidence pas prétendre être de bonne foi, puisqu’elles seraient « des instruments juridiques dans les mains de leurs actionnaires ».

b) Appréciation de la Cour

265. La Cour relève que le droit italien reconnaît aux sociétés à responsabilité limitée, parmi lesquelles figurent les sociétés requérantes, une personnalité juridique distincte de celle de leurs administrateurs ou associés. En principe, se pose donc la question de savoir si les personnes physiques qui ont été impliquées dans les procédures devant les juridictions internes ont agi et ont été jugées en leur propre nom ou en leur qualité de représentants légaux des sociétés.

266. Cependant, la Cour observe qu’en droit italien, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, en vertu du principe societas delinquere non potest (« les personnes morales ne peuvent pas commettre des infractions pénales »), les sociétés à responsabilité limitée ne pouvaient pas, en tant que telles, être parties à un procès pénal, malgré leur personnalité juridique distincte. Partant, elles ne pouvaient pas être légalement représentées dans le cadre des procédures pénales en cause en l’espèce, alors que les actes (et la responsabilité qui en découlait) de leurs représentants légaux respectifs leur ont été directement attribués. Elles étaient donc des tiers à ces procédures, comme les arrêts rendus par les juridictions internes l’ont confirmé.

267. La Cour observe à cet égard qu’elle a toujours reconnu la personnalité juridique distincte des sociétés à responsabilité limitée, estimant par exemple dans l’affaire (Agrotexim et autres c. Grèce, 24 octobre 1995, § 66, série A no 330‑A) que :

« (...) la Cour n’estime justifié de lever le “voile social” ou de faire abstraction de la personnalité juridique d’une société que dans des circonstances exceptionnelles, notamment lorsqu’il est clairement établi que celle-ci se trouve dans l’impossibilité de saisir par l’intermédiaire de ses organes statutaires ou – en cas de liquidation – par ses liquidateurs les organes de la Convention ».

268. La Cour a appliqué cette jurisprudence dans sa décision sur la recevabilité dans l’affaire Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l. afin de rejeter les griefs soulevés en leur propre nom par le directeur et/ou les actionnaires des sociétés requérantes au regard de l’article 7 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 à raison de la confiscation. Dans le même esprit, les griefs soumis par les sociétés requérantes concernant la violation de l’article 6 ont été déclarés irrecevables dans les décisions sur la recevabilité, dans lesquels la Cour a déclaré que, étant donné que les procédures litigieuses n’avaient concerné ni Falgest S.r.l., ni Hotel Promotion Bureau S.r.l., ni R.I.T.A. Sarda S.r.l., ces sociétés requérantes ne pouvaient pas être considérées comme des victimes de la violation alléguée.

269. Il s’agit donc en l’espèce de trancher la question de l’application d’une sanction pénale prononcée contre des personnes morales alors que ces dernières, en raison de leur personnalité juridique distincte, n’ont été parties à aucune procédure (pénale, administrative, civile, etc).

270. En droit italien, la confiscation des biens est une sanction appliquée par le juge pénal comme conséquence obligatoire de l’établissement de l’infraction de lotissement illicite. Aucune distinction n’est prévue pour le cas où le propriétaire des biens est une société qui, en vertu du droit italien, ne peut pas légalement avoir commis une infraction pénale (paragraphe 266 ci-dessus).

271. La Cour a déjà jugé, dans l’arrêt Varvara (précité, § 65), qu’« une conséquence d’importance capitale découle du principe de légalité en droit pénal : l’interdiction de punir une personne alors que l’infraction a été commise par une autre ». Pour étayer cette thèse, la Cour a formulé les considérations suivantes :

« 64. La Cour a eu jusqu’à présent l’opportunité de se pencher sur cette question sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention.

65. Dans l’affaire A.P., M.P. et T.P. c. Suisse, 29 août 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑V), des héritiers avaient été punis pour des actes délictueux commis par le défunt. La Cour a estimé que la sanction pénale infligée aux héritiers pour une fraude fiscale imputée au défunt ne se conciliait pas avec une règle fondamentale du droit pénal, selon laquelle la responsabilité pénale ne survit pas à l’auteur de l’acte délictueux (ibidem, § 48). C’est ce que le droit suisse reconnaissait explicitement, et la Cour a affirmé que cette règle est aussi requise pour la présomption d’innocence consacrée à l’article 6 § 2 de la Convention. Hériter de la culpabilité du défunt n’est pas compatible avec les normes de la justice pénale dans une société régie par la prééminence du droit. Ce principe a été réaffirmé dans l’affaire Lagardère (Lagardère c. France, no 18851/07, 12 avril 2012, § 77), où la Cour a rappelé que la règle selon laquelle la responsabilité pénale ne survit pas à l’auteur de l’acte délictueux est aussi requise non seulement pour la présomption d’innocence consacrée à l’article 6 § 2 de la Convention, mais en outre qu’hériter de la culpabilité du défunt n’est pas compatible avec les normes de la justice pénale dans une société régie par la prééminence du droit.

66. Étant donné le rapprochement entre les articles 6 § 2 et 7 § 1 de la Convention (Guzzardi c. Italie, 6 novembre 1980, § 100, série A no 39), la Cour estime que la règle qu’elle vient de rappeler est également valide sous l’angle de l’article 7 de la Convention, qui commande d’interdire qu’en droit pénal l’on puisse répondre pour le fait d’autrui. En effet, s’il est vrai que toute personne doit pouvoir établir à tout moment ce qui est permis et ce qui est interdit par le biais de lois précises et claires, l’on ne saurait concevoir alors un système qui punisse ceux qui ne sont pas responsables, car un tiers l’a été. »

272. La Grande Chambre estime qu’il y a lieu de confirmer ce raisonnement. En l’espèce, les sociétés G.I.E.M. S.r.l., Hotel Promotion Bureau S.r.l., R.I.T.A. Sarda S.r.l. et Falgest S.r.l. n’ont été parties à aucune procédure. Seul le représentant légal de Hotel Promotion Bureau S.r.l. et de Falgest S.r.l., ainsi que deux associés de R.I.T.A. Sarda S.r.l., ont été mis en accusation à titre personnel. Ainsi, les autorités ont appliqué aux sociétés requérantes une sanction pour des agissements de tiers, en l’occurrence, sauf dans le cas de G.I.E.M. S.r.l., leurs représentants légaux ou associés agissant à titre personnel.

273. Enfin, en réponse à l’allégation du Gouvernement selon laquelle Hotel Promotion Bureau S.r.l., R.I.T.A. Sarda S.r.l. et Falgest étaient de mauvaise foi (paragraphe 264 ci-dessus), la Cour relève que rien dans les éléments versés au dossier de l’affaire ne donne à croire que la propriété des biens ait été transférée aux sociétés requérantes par leurs représentants légaux (voir, à cet effet, l’article 6 de la directive 2014/42, paragraphe 152 ci-dessus).

274. En conclusion, eu égard au principe selon lequel on ne peut sanctionner une personne pour un acte engageant la responsabilité pénale d’autrui, une mesure de confiscation appliquée, comme en l’espèce, à des personnes physiques ou morales non parties aux procédures est incompatible avec l’article 7.

4. Conclusions

275. À la lumière des considérations qui précèdent, la Cour parvient aux conclusions suivantes :

– Il y a eu violation de l’article 7 dans le chef des sociétés requérantes en ce qu’elles n’étaient pas parties au procès pénal (paragraphe 274 ci-dessus) ;

– Il n’y a pas eu violation de l’article 7 en ce qui concerne M. Gironda, en ce que les constatations des juridictions nationales dans la procédure dirigée contre lui s’analysent, en substance, en une déclaration de responsabilité répondant aux exigences de cette disposition (paragraphe 262 ci-dessus).

V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

276. Les requérants dénoncent une violation de leur droit de propriété. Ils invoquent l’article 1 du Protocole no 1, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

277. La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a. Les requérants

278. La société G.I.E.M. S.r.l. considère que la confiscation de son bien constitue une privation de propriété. Elle soutient que, en permettant, à travers une formulation générale, d’étendre la confiscation bien au-delà des terrains directement concernés par les transformations urbaines illicites, l’article 19 de la loi 47/1985 contrevient à l’article 1 du Protocole no l. Selon elle, cette norme implique une ingérence légitime uniquement sur la base d’une loi qui soit accessible, précise et prévisible. La société requérante estime que l’article 19 aurait dû indiquer plus en détail les limites dans lesquelles il était possible de prononcer la confiscation par rapport aux faits établis, en précisant, selon un principe de raison et de proportionnalité, l’étendue des terrains confiscables par rapport aux ouvrages réalisés et les comportements illicites établis objectivement et subjectivement. Elle explique que l’absence de clarté et de précision de la loi nationale, ainsi que de la loi régionale, considérée par la Cour comme « obscure et mal formulée » dans son arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité), a permis la confiscation d’une superficie trois fois plus étendue que celle concernée par les permis de construire délivrés par la mairie de Bari. Plus grave encore, cela aurait également touché sa propriété, alors même qu’elle n’était pas du tout impliquée dans les faits à l’origine des poursuites pénales.

Quant à la proportionnalité de la mesure litigieuse, la société requérante souligne que la réalisation des travaux de transformation liés à la construction par les propriétaires des terrains limitrophes au sien auraient pu, tout au plus, obliger à sacrifier les seuls terrains transformés.

279. Les sociétés Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l. rappellent que la Cour, dans sa jurisprudence, attache une importance particulière au respect de l’exigence de légalité. Dans l’arrêt Varvara (précité), mais aussi dans l’arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité), elle aurait établi que l’infraction pour laquelle la peine avait été prononcée était dépourvue de base légale et violait la Convention et que la peine infligée au requérant était arbitraire. Cette conclusion aurait conduit ensuite la Cour à déclarer que l’ingérence dans le droit au respect de la propriété était tout aussi arbitraire et qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no 1. Par ailleurs, les sociétés requérantes estiment que l’ingérence d’un État dans le droit de propriété doit garantir un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. Elles expliquent qu’en l’espèce, il y a lieu de prendre en compte l’ampleur de la confiscation frappant les biens : les quatre-vingt-huit lots construits occupaient au total 15 920 m², alors que la confiscation a frappé une superficie additionnelle 14,5 fois plus importante.

280. La société Falgest S.r.l. et M. Gironda estiment que la confiscation qu’ils ont subie s’analyse en une privation de propriété au sens du premier paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1.

281. Selon les requérants, la mesure litigieuse, ordonnée par la Cour de cassation, se révèle manifestement illégale et arbitraire et, en tout cas, dépourvue de base légale suffisamment claire, accessible et prévisible. Les requérants se réfèrent à la conclusion contenue dans l’arrêt Varvara (précité), selon laquelle le défaut de légalité pénale de la sanction pour lotissement illicite constaté sous l’angle de l’article 7 de la Convention se traduit par le défaut de « légalité patrimoniale » de la confiscation sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1.

282. Pour le cas où la Cour considérerait que la confiscation litigieuse avait une base légale, les requérants soutiennent qu’elle était disproportionnée par rapport au but poursuivi et qu’elle n’a pas respecté le juste équilibre entre les intérêts en jeu. Face à de simples actes de réservation en vue de l’achat futur d’immeubles portant sur moins de 11 % de la superficie du terrain, la confiscation de la totalité des biens ne constituerait pas une mesure proportionnée. Pour les requérants, l’intérêt général aurait tout aussi bien pu être assuré par des mesures moins intrusives.

b. Le Gouvernement

283. Le Gouvernement soutient que les mesures de confiscation des biens des requérants ont été adoptées conformément au second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1 et que les ingérences litigieuses qui en résultent ne constituent pas des violations de cette disposition. Les mesures contestées auraient une base légale, poursuivraient un but légitime et seraient proportionnées. Pour ce qui est de ce dernier aspect, le Gouvernement assure que des mesures moins contraignantes n’étaient pas envisageables. Selon lui, il aurait été techniquement très difficile, sinon impossible, de limiter la confiscation seulement aux terrains bâtis et de séparer les zones bâties de celles qui ne l’étaient pas. De l’avis du Gouvernement, une confiscation seulement partielle des terrains aurait porté atteinte aux buts légitimes poursuivis par l’État, à savoir la mise en conformité des lots concernés avec les dispositions en matière d’urbanisme, la protection de l’environnement et la sanction des responsables de transformations urbanistiques illicites. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement estime que l’État doit disposer d’une ample marge d’appréciation quant au choix des instruments à déployer afin de trouver les meilleures solutions pour garantir la protection de l’environnement.

284. En ce qui concerne la première requérante, le Gouvernement observe que le terrain confisqué a été restitué.

285. Au sujet des biens des sociétés Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l, il considère que l’ingérence litigieuse était proportionnée, eu égard au fait que seuls seize des quatre-vingt-huit appartements construits ont été confisqués.

286. Enfin, quant à la société Falgest S.r.l., le Gouvernement conteste le pourcentage de terrains non construits confisqués et soutient qu’il s’agirait non pas de 89 % mais de moins de 50 % de l’entière propriété.

2. Appréciation de la Cour

287. La Cour rappelle que dans les arrêts Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité, §§ 125-129) et Varvara (précité, § 83), elle a estimé que la confiscation des terrains et des bâtiments des requérants avait constitué une ingérence dans la jouissance de leur droit au respect des biens protégés par l’article 1 du Protocole no 1.

288. La Grande Chambre parvient à la même conclusion en l’espèce. Il convient donc de déterminer laquelle des normes énoncées dans cette disposition est applicable.

a. La norme applicable

i) Principes généraux

289. L’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, figurant dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général et d’assurer le paiement des amendes. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété ; dès lors, elles doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, entre autres, James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 37, série A no 98, et Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999-II).

ii) Application au cas d’espèce

290. Dans l’arrêt sur le fond Sud Fondi S.r.l. et autres (précité, §§ 128‑129), la Cour a jugé :

«128. La Cour note que la présente affaire se différencie de l’affaire Agosi c. Royaume-Uni (arrêt du 24 octobre 1986, série A no 108), où la confiscation a été ordonnée à l’égard de biens constituant l’objet de l’infraction (objectum sceleris), à la suite de la condamnation des prévenus, car en l’espèce la confiscation a été ordonnée à la suite d’un acquittement. Pour la même raison, la présente affaire se distingue de C.M. c. France ((déc.), no [28078/95](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B), CEDH 2001‑VII) ou d’Air Canada c. Royaume-Uni (arrêt du 5 mai 1995, série A no 316‑A), où la confiscation, ordonnée après la condamnation des accusés, avait frappé des biens qui étaient l’instrumentum sceleris et qui se trouvaient en possession de tiers. S’agissant des revenus d’une activité criminelle (productum sceleris), la Cour rappelle qu’elle a examiné une affaire où la confiscation avait suivi la condamnation du requérant (voir Phillips c. Royaume-Uni, no [41087/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B), §§ 9-18, CEDH 2001-VII) ainsi que des affaires où la confiscation avait été ordonnée indépendamment de l’existence de toute procédure pénale, car le patrimoine des requérantes était présumé être d’origine illicite (voir Riela et autres c. Italie (déc.), no [52439/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B), 4 septembre 2001, Arcuri et autres c. Italie (déc.), no [52024/99](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B), 5 juillet 2001, Raimondo c. Italie, 22 février 1994, § 29, série A no 281‑A) ou être utilisé pour des activités illicites (Butler c. Royaume-Uni (déc.) no [41661/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B), 27 juin 2002). Dans la première affaire citée ci-dessus, la Cour a dit que la confiscation constituait une peine au sens du deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 (Phillips, précité, § 51, et, mutatis mutandis, Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 35, série A no 307-A), tandis que dans les autres affaires elle a estimé qu’il s’agissait de la réglementation de l’usage des biens.

129. Dans le cas d’espèce, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si la confiscation tombe dans la première ou dans la deuxième catégorie, car dans tous les cas c’est le deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 qui s’applique (Frizen c. Russie, no [58254/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx#%7B), § 31, 24 mars 2005). »

291. La Grande Chambre ne voit aucune raison de parvenir en l’espèce à une autre conclusion.

b. Observation de l’article 1 du Protocole no 1

i) Principes généraux

292. La Cour rappelle que l’article 1 du Protocole no 1 exige qu’une ingérence de l’autorité publique dans la jouissance du droit au respect de biens ait une base légale : la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention (Amuur c. France, 25 juin 1996, § 50, Recueil 1996-III, et Iatridis, précité, § 58).

293. Par ailleurs, étant donné que le second paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 doit s’interpréter à la lumière du principe général énoncé dans la première phrase de cet article, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ; en d’autres termes, il incombe à la Cour de rechercher si un juste équilibre a été maintenu entre les exigences de l’intérêt général à cet égard et l’intérêt de la société concernée. Ce faisant, elle reconnaît à l’Etat une ample marge d’appréciation tant pour choisir les moyens à mettre en œuvre que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre l’objectif poursuivi (Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 149, CEDH 2005‑VI).

ii) Application au cas d’espèce

294. En l’espèce, il n’y a pas lieu de décider si la violation de l’article 7 constatée ci-dessus (paragraphe 275 ci-dessus) a automatiquement pour conséquence que les confiscations litigieuses étaient dépourvues de base légale et donc ont enfreint l’article 1 du Protocole no 1, eu égard aux conclusions ci-dessous sur les points de savoir si ces confiscations poursuivaient un but légitime et étaient proportionnées.

295. Nul ne saurait contester la légitimité des politiques étatiques destinées à protéger l’environnement, car par ce biais le bien-être et la santé des personnes s’en trouvent également garantis et défendus (Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 84, CEDH 2010, et Brosset-Triboulet et autres c. France [GC], no 34078/02, § 87, 29 mars 2010). Toutefois, force est de constater que l’examen de la situation actuelle, qui se fonde sur les renseignements fournis par les parties, laisse planer des doutes quant à la réalisation du but qui a justifié les mesures contestées par les requérants.

296. Tout d’abord, le terrain confisqué à la société G.I.E.M. S.r.l. a été restitué en 2013 à la société requérante à la suite d’une demande introduite devant le tribunal de Bari par la maire de cette ville. Cette restitution a été effectuée en vertu des principes établis par la Cour dans son arrêt Sud Fondi S.r.l. et autres (fond, précité) sur le terrain des articles 7 de la Convention et 1 du Protocole no 1 (paragraphes 42-43 ci-dessus).

297. Ensuite, en ce qui concerne les sociétés Hotel Promotion S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l., au 29 juillet 2015, les immeubles confisqués étaient toujours occupés par les propriétaires. De plus, en mai 2015, le conseil municipal de Golfo Aranci a reconnu l’intérêt actuel de la collectivité à conserver le complexe immobilier confisqué, compte tenu de la possibilité d’utiliser les logements pour parer aux situations d’urgence en concédant, directement ou indirectement, l’usage des biens à titre onéreux à des personnes ayant de faibles revenus (paragraphe 74 ci-dessus).

298. Enfin, en mai 2015, l’expert mandaté par la société Falgest S.r.l. et par M. Gironda a souligné l’état d’abandon dans lequel se trouverait le complexe saisi aux intéressés, faute d’entretien par la mairie propriétaire des lieux (paragraphe 87 ci-dessus).

299. Il est donc permis de se demander dans quelle mesure la confiscation de la propriété des biens en question a concrètement contribué à la protection de l’environnement.

300. Quant à la proportionnalité de la mesure, l’article 1 du Protocole no 1 exige pour toute ingérence un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 83-95, CEDH 2005-VI). Ce juste équilibre est rompu si la personne concernée doit supporter une charge excessive et exorbitante (Sporrong et Lönnroth précité, §§ 69-74, et Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09, 52851/08, 53727/08, 54486/08 et 56001/08, § 57, 31 mai 2011).

301. Afin d’apprécier le caractère proportionné de la confiscation, les éléments suivants peuvent être pris en compte : la possibilité d’adopter des mesures moins contraignantes, telles que la démolition des ouvrages non conformes aux dispositions pertinentes ou l’annulation du projet de lotissement ; le caractère illimité de la sanction résultant du fait qu’elle peut inclure indifféremment des zones bâties et non bâties et même des zones appartenant à des tiers ; le degré de faute ou d’imprudence des requérants ou, à tout le moins, le rapport entre leur conduite et l’infraction litigieuse.

302. En outre, il convient de ne pas négliger l’importance des obligations procédurales au titre de l’article 1 du Protocole no 1. Ainsi, la Cour a maintes fois relevé que, nonobstant le silence de l’article 1 du Protocole no 1 en matière d’exigences procédurales, une procédure judiciaire afférente au droit au respect des biens doit aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition (Sovtransavto Holding c. Ukraine, no 48553/99, § 96, CEDH 2002‑VII, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, § 134, CEDH 2005‑XII (extraits), Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 83, CEDH 2007‑I, J.A. Pye (Oxford) Ltd et J.A. Pye (Oxford) Land Ltd c. Royaume-Uni [GC], no 44302/02, § 57, CEDH 2007‑III, Zafranas c. Grèce, no 4056/08, § 36, 4 octobre 2011, et Giavi c. Grèce, no 25816/09, § 44, 3 octobre 2013 ; voir également, mutatis mutandis, Al‑Nashif c. Bulgarie, no 50963/99, § 123, 20 juin 2002, et Grande Stevens et autres, précitée, § 188). Une ingérence dans les droits prévus par l’article 1 du Protocole no 1 ne peut ainsi avoir de légitimité en l’absence d’un débat contradictoire et respectueux du principe de l’égalité des armes, qui permette de discuter des aspects présentant de l’importance pour l’issue de la cause. Pour s’assurer du respect de cette condition, il y a lieu de considérer les procédures applicables d’un point de vue général (voir, parmi d’autres, AGOSI, précitée, § 55, Hentrich c. France, § 49, 22 septembre 1994, , série A no 296‑A, Jokela c. Finlande, no 28856/95, § 45, CEDH 2002‑IV, Gáll c. Hongrie, no49570/11, § 63, 25 juin 2013, et Sociedad Anónima del Ucieza c. Espagne, no 38963/08, § 74, 4 novembre 2014).

303. L’application automatique de la confiscation en cas de lotissement illicite prévue – sauf pour les tiers de bonne foi – par la loi italienne s’accorde mal avec ces principes dans la mesure où elle ne permet pas au juge d’évaluer quels sont les instruments les plus adaptés aux circonstances spécifiques de l’espèce et, plus généralement, d’effectuer une mise en balance entre le but légitime sous-jacent et les droits des intéressés touchés par ladite sanction. De plus, les sociétés requérantes n’ayant pas été parties aux procédures litigieuses, elles n’ont profité d’aucune des garanties procédurales visées au paragraphe 302 ci-dessus.

304. En conclusion, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 dans le chef de tous les requérants à raison du caractère disproportionné de la mesure de confiscation.

VI. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

305. La société G.I.E.M. S.r.l. se plaint de ne pas avoir eu accès à un tribunal, soutenant qu’elle n’a eu aucune possibilité de se défendre ni de contester la confiscation devant le juge pénal du fond ou dans le cadre d’une procédure civile. Selon elle, la possibilité de faire valoir un incident d’exécution ne lui a pas permis de remédier à ces défaillances. Elle invoque les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

306. Se référant à l’article 13 de la Convention, la société Falgest S.r.l., quant à elle, dénonce l’absence d’une voie de recours interne accessible et effective qui permettrait d’alléguer la violation des articles 7 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à raison de la confiscation ordonnée par la Cour de cassation.

Ces dispositions sont ainsi libellées :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...). »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

307. Le Gouvernement conteste ces thèses.

308. Constatant que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

309. La Cour estime toutefois qu’il n’y a pas lieu de les examiner car ils se confondent avec celui qu’elle a tranché sous l’angle des articles 7 de la Convention et 1 du Protocole no 1.

VII. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

310. M. Gironda dénonce également une violation de la présomption d’innocence en raison de la décision de la Cour de cassation imposant la confiscation du terrain malgré le non-lieu pour prescription. Il invoque l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

A. Sur la recevabilité

311. La Cour relève que ce grief est lié à celui qui a été examiné sur le terrain de l’article 7 de la Convention et qu’il doit donc aussi être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a. M. Gironda

312. Le requérant souligne que la Cour de cassation n’a pas seulement censuré l’erreur de droit commise par le juge d’appel. D’après lui, en se substituant à ce dernier de façon non rituelle, la haute juridiction a constaté la présence de tous les éléments nécessaires pour constituer l’infraction de lotissement illicite tant dans son élément matériel que dans son élément moral. Le requérant explique que selon la Cour de cassation, le changement de destination des immeubles construits était prouvé par les déclarations faites par des tiers et par les documents versés au dossier. Il estime que, pour cette juridiction, le caractère illicite du lotissement ne faisait point de doute. Cette décision violerait clairement le principe de la présomption d’innocence consacré par l’article 6 § 2 de la Convention.

b. Le Gouvernement

313. Le Gouvernement conteste cette thèse et renvoie à cet égard aux arguments qu’il a développés sous l’angle de l’article 7.

2. Appréciation de la Cour

a. Principes généraux

314. L’article 6 § 2 protège le droit de toute personne à être « présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Considérée comme une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, la présomption d’innocence revêt aussi un autre aspect. Son but général, dans le cadre de ce second volet, est d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée. Dans de telles situations, la présomption d’innocence a déjà permis – par l’application lors du procès des diverses exigences inhérentes à la garantie procédurale qu’elle offre – d’empêcher que soit prononcée une condamnation pénale injuste. Sans protection destinée à faire respecter dans toute procédure ultérieure un acquittement ou une décision d’abandon des poursuites, les garanties d’un procès équitable énoncées à l’article 6 § 2 risqueraient de devenir théoriques et illusoires. Ce qui est également en jeu une fois la procédure pénale achevée, c’est la réputation de l’intéressé et la manière dont celui-ci est perçu par le public. Dans une certaine mesure, la protection offerte par l’article 6 § 2 à cet égard peut recouvrir celle qu’apporte l’article 8 (voir, par exemple, Zollmann c. Royaume-Uni (déc.), no 62902/00, CEDH 2003‑XII, et Taliadorou et Stylianou c. Chypre, nos 39627/05 et 39631/05, §§ 27 et 56‑59, 16 octobre 2008, et Allen, précité, §§ 93-94).

315. Par ailleurs, la culpabilité ne saurait être établie légalement dans une procédure clôturée par une juridiction avant l’administration de preuves ou la tenue de débats qui lui auraient permis de statuer sur le fond de l’affaire (Baars c. Pays-Bas, no 44320/98, §§ 25-32, 28 octobre 2003, et Paraponiaris précité, §§ 30-33). À titre d’exemple, dans l’affaire Didu c. Roumanie (no 34814/02, §§ 40-42, 14 avril 2009), la Cour a conclu qu’il y avait eu violation de l’article 6 § 2 à raison de la décision de la juridiction statuant en dernière instance de casser les décisions de relaxe rendues par les juridictions inférieures et de constater la culpabilité de l’intéressé tout en clôturant les poursuites pour cause de prescription de la responsabilité pénale, dans la mesure où les droits de la défense n’avaient pas été respectés dans la procédure devant elle, alors que cette juridiction de dernière instance était la première à avoir jugé le requérant coupable. De même, dans l’affaire Giosakis c. Grèce (no 3), (no 5689/08, § 41, 3 mai 2011), la Cour a jugé contraire à l’article 6 § 2 de la Convention le fait pour la Cour de cassation d’avoir cassé l’arrêt de relaxe rendu par la cour d’appel, tout en constatant l’extinction des poursuites pour cause de prescription.

316. Il ressort de cette jurisprudence qu’un problème se pose sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention lorsque la juridiction qui clôt la procédure pour cause de prescription casse simultanément les décisions de relaxe des juridictions inférieures et se prononce sur la culpabilité de l’intéressé.

b. Application au cas d’espèce

317. En l’espèce, le requérant a été relaxé en appel et la confiscation a été annulée après que le projet de lotissement eût été considéré comme compatible avec le plan d’occupation des sols et les lois urbanistiques (paragraphe 84 ci-dessus). Par la suite, cette décision a été annulée sans renvoi par la Cour de cassation, qui a estimé que la responsabilité du requérant avait été prouvée. Le requérant a donc été déclaré en substance coupable par la Cour de cassation, nonobstant le fait que les poursuites pour l’infraction en question étaient prescrites. Cette circonstance méconnait la présomption d’innocence.

318. Il en résulte que l’article 6 § 2 de la Convention a été enfreint en l’espèce dans le chef de M. Gironda.

VIII. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

319. Dans leurs observations du 26 mai 2015, Hotel Promotion S.r.l. et R.I.T.A. Sarda S.r.l. ont réitéré leur grief concernant la violation de l’article 6 de la Convention. De même, Falgest S.r.l. et M. Gironda se sont plaints à nouveau de la violation de l’article 6 § 2 de la Convention quant à cinq autres personnes inculpées pour lotissement illicite, à l’instar de M. Gironda. À l’origine, ces personnes étaient aussi requérantes devant la Cour. Or ces griefs ont été déclarés irrecevables par les décisions partielles du 5 juin 2012 et du 30 avril 2013.

320. Les décisions sur la recevabilité sont définitives. Il s’ensuit que la Cour n’a pas compétence pour connaître de ces griefs (voir, mutatis mutandis, Bulena c. République tchèque, no 57567/00, § 37, 20 avril 2004).

IX. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

321. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

322. Les requérants ont tous déposé leurs demandes de satisfaction équitable dans les délais impartis par le président de la Cour.

323. Dans son mémoire devant la Grande Chambre, le Gouvernement ne s’est pas prononcé sur la demande de satisfaction équitable des requérants.

324. Eu égard aux circonstances de la cause, la Cour estime que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver en entier et de fixer la procédure ultérieure, en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et les requérants (article 75 § 1 du règlement). À cette fin, la Cour accorde aux parties un délai de trois mois à partir de la date du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Décide, à l’unanimité, de joindre les requêtes ;

2. Déclare, à l’unanimité, les requêtes recevables quant aux griefs tirés des articles 6 §§ 1 et 2, et 13 de la Convention et 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Déclare, à la majorité, les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 7 de la Convention ;

4. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il y a eu violation de l’article 7 de la Convention dans le chef de toutes les sociétés requérantes ;

5. Dit, par dix voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention dans le chef de M. Gironda ;

6. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention dans le chef de tous les requérants ;

7. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’existence d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention dans le chef de la société G.I.E.M. S.r.l. et de l’article 13 dans le chef des sociétés G.I.EM. S.r.l. et Falgest S.r.l. ;

8. Dit, par seize voix contre une, qu’il y a eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention dans le chef de M. Gironda ;

9. Dit, à l’unanimité, que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ; en conséquence,

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et les requérants à lui adresser par écrit, dans un délai de trois mois à compter de la date de notification du présent arrêt, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la Cour le soin de la fixer au besoin.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme à Strasbourg, le 28 juin 2018.

Johan CallewaertLuis López Guerra
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante de la juge Motoc ;

– opinion en partie concordante, en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque ;

– opinion partiellement dissidente, partiellement concordante, des juges Spano et Lemmens ;

– opinion partiellement dissidente commune aux juges Sajò, Karakaş, Pinto de Albuquerque, Keller, Vehabović, Kūris et Grozev.

L.L.G.
J.C.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE MOTOC

‘Apri la mente a quel ch’io ti paleso

e fermalvi entro; ché non fa scienza,

sanza lo ritenere, avere inteso.’

Dante, Divina commedia, Paradiso, Canto V

I. Introduction

Dans cette affaire j’ai voté avec la majorité, mais pour des raisons qui tiennent à la cohérence du dialogue judiciaire entre notre Cour et les instances nationales italiennes. Le dialogue judiciaire, d’une part avec l’ensemble des autorités nationales qui ont changé leur jurisprudence pour donner suite aux décisions de notre Cour et d’autre part avec la Cour constitutionnelle italienne, est une des questions centrales que soulève la présente affaire. Celle-ci met en évidence les difficultés inhérentes à ce dialogue judiciaire, notamment avec les juridictions internes et surtout dans un domaine où, à mon avis, il y a eu un revirement de jurisprudence dans le passé, et le droit international et le droit européen ont évolué. La question du dialogue judiciaire est d’autant plus pertinente que le protocole « du dialogue » – le Protocole 16 –, qui a été ratifié, entrera en vigueur le 1er août 2018.[1]

Si le Protocole 16 avait été en vigueur, la Cour constitutionnelle aurait pu poser une question ausssi élégante que celle qu’elle avait posé à la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire Taricco e.a.(Taricco I). Dans ce contexte on aurait pu imaginer que notre arrêt en l’affaire GIEM et autres puisse être l’équivalent de l’arrêt M.A.S. et M.B. (Taricco II)[2].

« Ex turpi causa non oritur actio » (nul ne peut tirer avantage d’une infraction) est un ancien adage latin très connu. Le domaine de la confiscation des avoirs en l’absence de condamnation est un domaine de la plus grande actualité juridique internationale. La politique de justice pénale s’oriente de plus en plus vers le but de priver les auteurs d’infractions de leurs gains économiques comme moyen de lutte contre la conduite criminelle et ses conséquences. Au cours des dernières décennies, on a développé une politique pénale internationale orientée vers la saisie des bénéfices financiers du crime et la lutte contre la criminalité acquisitive. Il nous semble que la Cour dans le contexte de cette affaire n’a répondu que partiellement à la question de la compatibilité de cette évolution de la politique pénale internationale avec notre jurisprudence.

En tant que juges européens, on regarde le dialogue entre les juges de notre perspective, qui est celle de l’application de la Convention européenne des droits de l’homme ; mais pour ne pas réduire le dialogue à un monologue, il faut comprendre les autorités nationales et parfois, comme disait Churchill, « Courage is what it takes to stand up and speak; courage is also what it takes to sit down and listen ».

Remarques préliminaires

La Cour est parvenue à ses conclusions dans cette affaire en partant du principe selon lequel nul ne peut être déclaré coupable d’une infraction pénale commise par un tiers. Les sociétés requérantes n’étaient pas présentes dans les procédures engagées contre elles en Italie car, en droit italien, une société ne peut pas commettre d’infraction pénale.

Dans son appréciation, la Cour a confirmé la jurisprudence découlant des arrêts de chambre rendus auparavant dans ce domaine, en particulier des arrêts Sud Fondi c. Italie[3] et Varvara c. Italie.[4] Elle a réaffirmé que les mesures de confiscation imposées par les autorités italiennes constituaient une « peine » au sens de l’article 7. Elle a tenu compte des éléments suivants : l’illégalité des faits avait été établie par les juridictions pénales, la sanction était liée à une infraction pénale, elle avait un caractère dissuasif, elle était qualifiée de sanction pénale en droit interne, et enfin elle était particulièrement sévère.

Contrairement aux sociétés requérantes, M. Gironda était partie à la procédure pénale : celle-ci était dirigée contre lui. De plus, la Cour de cassation a conclu qu’il avait sciemment commis l’infraction de développement illicite de site. En ce sens, il était coupable parce que l’élément mental avait été établi. Néanmoins, la procédure a été abandonnée en raison de la prescription légale.

Confirmant l’arrêt Varvara c. Italie, la Cour rappelle que pour que l’imposition d’une peine soit conforme à l’article 7, il faut que la responsabilité pénale personnelle de l’intéressé soit établie. Elle précise toutefois que la responsabilité pénale personnelle peut être établie même en l’absence de condamnation formelle. Ainsi, « les mesures de confiscation ne doivent pas nécessairement être accompagnées de condamnations ».[5]

Dans le cas présent, où l’infraction de développement illicite de site était établie mais où aucune condamnation ne pouvait être prononcée en raison d’une prescription, la Cour juge l’imposition de mesures de confiscation conforme à l’article 7. Elle conclut donc qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 à l’égard de M. Gironda.

En revanche, elle parvient à la conclusion inverse en ce qui concerne le grief que M. Gironda tirait, sur le terrain de l’article 6 § 2, d’une violation alléguée de la présomption d’innocence. Elle fonde sa conclusion à cet égard sur le fait que, en substance, la Cour de cassation avait déclaré M. Gironda coupable, même si l’infraction était prescrite. Elle confirme ainsi sa jurisprudence antérieure, selon laquelle lorsque la décision de dernière instance arrête la procédure et décide simultanément de la culpabilité de l’accusé, il y a violation de l’article 6 § 2.

L’arrêt de la Cour cite les instruments internationaux mais sans en tirer aucune conclusion ni les utiliser dans son argumentation juridique. On observe dans les conventions internationales récentes un accent mis de plus en plus sur l’importance des avoirs.[6]

Les défis rencontrés par l’État ont été décrits avec justesse par Lord Neuberger, Lord Hughes et Lord Toulson dans l’affaire R. v. Ahmad[7] :

« D’abord, il y a des obstacles pratiques à la détection, à la localisation et au recouvrement d’avoir effectivement obtenu de manière criminelle puis détenus par des criminels. En effet, l’accusé est souvent aussi trompeur qu’il le peut, et les sophistications et corruptions occasionnelles dans la communauté financière internationale sont de nature à rendre très difficile, souvent même impossible, de localiser les produits du crime. Ensuite, toujours en raison de la réticence et de la malhonnêteté des accusés, les enquêteurs se trouvent souvent dans une incertitude considérable, voire complète, quant à i) le nombre, l’identité et le rôle des complices de l’infraction, et ii) le montant du produit total de l’infraction, c’est-à-dire comment, quand et dans le cadre de quelle entente ou arrangement le produit a été ou devait être réparti entre les différents malfaiteurs. »[8]

II. Le dialogue entre la CEDH et les instances italiennes dans le domaine de la confiscation des avoirs en l’absence de condamnation préalable

La communication qui a lieu au sein d’une culture repose sur des hypothèses de base considérées comme pour acquises, qui fournissent les outils nécessaires à l’attribution d’une signification implicite et, ainsi, à la communication, à l’interprétation et à la compréhension. L’interprétation est conditionnée par la précompréhension ou les préconceptions de ce sur quoi elle porte. Par exemple, Hans-Georg Gadamer caractérise la condition préalable nécessaire à toute interprétation par la notion de préjugé[9]. Dans cette analyse, l’interprète ne peut attacher de signification à un objet qu’à partir de préjugés initiaux sur ce qu’il doit interpréter. Cela signifie que toute interprétation consciente nécessite une compréhension initiale de ce qui est interprété. Ainsi, à proprement parler, la compréhension et l’interprétation ne peuvent être différenciées conceptuellement.

Ronald Dworkin considère que dans l’interprétation juridique, les juges assument le rôle d’auteurs consécutifs d’un roman où ils écrivent chacun un chapitre, ajoutant leur propre chapitre à l’histoire en cours d’écriture (celle du droit). Cependant, lorsqu’il écrit son chapitre, chaque auteur doit veiller à la cohérence de l’histoire dans son ensemble, c’est-à-dire que les chapitres doivent s’intégrer dans l’œuvre globale, en constituer une partie cohérente avec les autres. En ce sens, les juges agissent en tant qu’auteurs d’un roman-feuilleton dont le titre serait « le droit ».[10]

Ainsi, en rendant la justice, chaque juge participe à une entreprise collective consistant à interpréter l’histoire du droit – c’est-à-dire les lois et les précédents rédigés par d’autres juges – dans le cadre de l’affaire sur laquelle il statue, et il ajoute à cette histoire son propre chapitre. La tâche de chaque participant est de construire son chapitre de manière à ce que le résultat soit le meilleur roman possible (l’ordre juridique), selon la moralité politique de la collectivité. Chaque décision de justice devrait donc contribuer à la cohérence de l’ordre juridique en mettant en œuvre la moralité politique de la collectivité. On peut dégager plusieurs impulsions dans le dialogue avec les autorités italiennes.

1. Moment[11] Sud Fondi

Avant l’arrêt rendu par notre Cour en l’affaire Sud Fondi, les autorités administratives pouvaient ordonner la confiscation des biens qui avaient été transformés en violation des règles applicables à l’utilisation ordonnée des terres (urbanisme). Ces mesures visaient à rétablir la légalité : une fois engagée la procédure pénale dirigée contre la personne accusée de la transformation illégale du terrain, la juridiction pénale était compétente pour ordonner la confiscation du terrain illégalement transformé, à condition d’avoir établi que la transformation était effectivement illégale. Le tribunal pouvait donc prendre une mesure semblable à celles pouvant être prises par les autorités administratives. Selon les dispositions de droit interne existant à l’époque et l’interprétation qui en était donnée par les juridictions nationales, la confiscation ordonnée par les juridictions pénales était une sanction administrative, car il s’agissait d’une mesure visant à restaurer la légalité. Elle n’était pas considérée comme une mesure punitive, liée à la responsabilité personnelle de l’accusé : elle était justifiée par le simple fait que la transformation était illégale. Or, selon l’arrêt Sud Fondi, la mesure de confiscation est une « peine » au sens de l’article 7 § 1 de la Convention. Cette analyse impliquait que la mesure ne pouvait être imposée que sur la base d’une loi suffisamment précise et à condition qu’il y ait un lien intellectuel entre les actes objectivement illégaux et leur auteur : il fallait que soit établi un élément de responsabilité dans le comportement de l’auteur. Les tribunaux italiens ont tenté de mettre en œuvre l’arrêt Sud Fondi. Cela a abouti à une interprétation du droit interne selon laquelle l’ordonnance de confiscation ne pouvait être prononcée qu’à l’égard d’une personne « dont la responsabilité a[vait] été établie en vertu d’un lien intellectuel » (conscience et intention) avec les faits.

Du point de vue de notre jurisprudence, l’applicabilité de l’article 7 représente à mon avis un revirement. Auparavant, il existait une jurisprudence selon laquelle la confiscation de biens appartenant à A dans le cadre d’une procédure pénale dirigée contre B n’équivalait pas à l’ouverture d’une procédure pénale contre A : par conséquent, A ne pouvait invoquer le volet pénal des articles 6 ou 7 – en revanche, il pouvait invoquer le volet civil de l’article 6 ainsi que l’article 1 du Protocole no 1.

La question se pose donc de savoir si en l’espèce, la confiscation doit être considérée comme une sanction infligée aux sociétés requérantes, ou si elle doit être comparée à la ligne de jurisprudence susmentionnée. Le fait qu’une procédure pénale soit engagée contre des tiers ne peut être considéré comme équivalent à une accusation ou une inculpation de l’intéressé, et celui-ci ne peut donc pas invoquer le volet pénal des articles 6 ou 7. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner l’imposition de mesures de confiscation prononcées à la suite de poursuites pénales engagées contre des tiers, généralement à la suite de la condamnation de ceux-ci. Dans ces affaires, elle a souvent conclu que la personne visée par la mesure n’avait fait l’objet d’aucune condamnation pénale, de sorte que le volet pénal de l’article 6 ne trouvait pas à s’appliquer.[12] Bien que la Cour ait admis que des mesures consécutives à un acte pour lequel des tiers avaient été poursuivis aient porté atteinte aux droits de propriété du requérant, elle a refusé de considérer que cela impliquait « la détermination d’une accusation pénale » portée contre le requérant lui-même.[13] Pour les mêmes raisons, elle a jugé l’article 7 inapplicable à un cas de confiscation de biens qui avaient été utilisés par un tiers pour commettre une infraction pénale (confiscation d’un véhicule qui avait été utilisé à des fins d’immigration clandestine).[14]

Néanmoins, la Cour a examiné la compatibilité de ce type de mesure de confiscation avec le volet civil de l’article 6[15] et avec l’article 1 du Protocole no 1.[16] Statuant sur l’application de l’article 1 du Protocole no 1, la Cour a dit que, dans la recherche d’un juste équilibre entre l’intérêt général de la collectivité et les intérêts particuliers de l’individu, il faut tenir compte de l’attitude du propriétaire du bien susceptible de confiscation, par exemple du degré de faute ou d’inattention manifesté par celui-ci lors de l’achat du bien en question. La Cour doit rechercher si la confiscation était de nature à permettre une prise en compte raisonnable du degré de faute ou de sollicitude de l’intéressé ou, à tout le moins, de la relation entre le comportement de ce dernier et la violation de la loi indubitablement commise. Elle doit également rechercher si les procédures en question ont fourni au requérant une possibilité raisonnable de faire valoir son cas auprès des autorités responsables.[17]

À la suite de l’affaire Sud Fondi, les instances italiennes ont, comme la Cour constitutionnelle le mentionne dans son arrêt 49/2015, considéré que l’article 7 était applicable aux affaires de ce type.

2. Moment Varvara

Par la suite, la Cour a confirmé que l’article 7 était applicable en pareil cas,[18] sans motiver cette conclusion autrement que par référence à l’arrêt Sud Fondi. Sur le fond, elle a jugé que trois conséquences découlaient du principe de légalité en droit pénal : l’interdiction d’une interprétation extensive des dispositions pénales, l’interdiction de punir une personne alors que l’infraction a été commise par une autre personne et l’interdiction d’infliger une peine sans que la responsabilité ait été reconnue. Sur ce dernier point, la Cour utilise un langage ambigu : elle parle parfois de manière générale de « responsabilité », parfois d’une manière plus spécifique de « condamnation », terme qui est également utilisé dans le contexte strictement pénal de l’article 5 § 1 a). Le paragraphe de conclusion de l’arrêt Varvara illustre cette ambiguïté, car il souligne le fait que la responsabilité du requérant « n’a pas été consignée dans un jugement de condamnation ».[19] Appliquant ce dernier principe aux faits de l’espèce, la Cour estime que « la sanction pénale (sic) infligée au requérant, alors que l’infraction pénale était éteinte et que [la] responsabilité [de l’intéressé] n’a pas été consignée dans un jugement de condamnation, ne se concilie pas avec [le] principe de légalité que l’article 7 de la Convention commande d’observer ».[20]

La Cour de cassation et le tribunal de Teramo ont interprété l’arrêt Varvara comme exigeant une « condamnation » reconnaissant la personne coupable d’une infraction pénale, ce qui excluait la possibilité de prendre une décision de confiscation dans le cas où l’infraction pénale serait prescrite. Sur la base de cette lecture, et en supposant qu’ils auraient à appliquer le droit interne en conséquence, ils ont demandé à la Cour constitutionnelle si l’exigence d’une « condamnation » était compatible avec la Constitution italienne.[21]

La réponse de la Cour constitutionnelle a été principalement que les questions qui lui étaient soumises reposaient sur deux erreurs d’interprétation.[22]

En premier lieu, la Cour constitutionnelle n’était pas convaincue que la Cour de cassation et le tribunal de Teramo aient correctement interprété l’arrêt Varvara lorsqu’elles avaient considéré que la Cour européenne exigeait que la personne concernée ait été « condamnée » pour une infraction qui devait être de nature « pénale » en droit interne. Selon elle,[23] cette interprétation était contraire non seulement à la Constitution italienne (en ce qu’elle aurait limité le pouvoir discrétionnaire du législateur de décider si un comportement donné devrait être sanctionné par le droit pénal ou par le droit administratif), mais aussi à la jurisprudence de la Cour européenne (laquelle admet que des « peines », au sens de la Convention, peuvent être imposées par une autorité administrative, en l’absence de déclaration formelle de culpabilité prononcée par un tribunal pénal). En outre, et surtout, la Cour constitutionnelle était d’avis que l’on pouvait interpréter l’arrêt Varvara différemment, en considérant qu’il exigeait seulement que soit établie la « responsabilité » de la personne, sous quelque forme que ce soit (une « condamnation » n’étant qu’une forme de reconnaissance parmi d’autres). En conséquence, elle concluait que « dans l’état actuel des choses », c’est-à-dire tant que la Grande Chambre n’avait pas statué sur l’affaire G.I.E.M. et autres, on ne pouvait pas interpréter sans équivoque l’arrêt Varvara comme impliquant que la confiscation n’aurait été possible qu’en cas de « condamnation » pour transformation illégale de la terre. Dès lors, puisqu’il était possible d’interpréter différemment l’arrêt Varvara, la Cour constitutionnelle estimait que les juridictions internes devaient adopter l’interprétation conforme à la jurisprudence de la Cour européenne et compatible avec la Constitution italienne.[24]

Dans ce même arrêt no 49/2015, la Cour constitutionnelle a estimé que les arrêts de la Cour de Strasbourg n’avaient pas la même importance selon qu’ils étaient ou non le produit de la procédure pilote et selon qu’ils s’inscrivaient ou on dans une ligne de jurisprudence bien établie. Elle a ajouté que, même si les lois devaient être interprétées en harmonie avec la Convention, la Constitution était « axiologiquement » prédominante.[25] Si les réactions de la doctrine italiennes ont été elles-mêmes plus que critiques par rapport à cette décision,[26] notre Cour a seulement réagi d’une manière ferme mais modérée en soulignant que « ses arrêts ont tous la même valeur juridique. Leur caractère contraignant et leur autorité interprétative ne sauraient par conséquent dépendre de la formation de jugement qui les a rendus ».[27]

Si la Cour avait déjà fait l’objet de critiques similaires par le passé, la critique provient cette fois d’une institution qui considère que les normes de la convention ont « rang intermédiaire entre les lois ordinaires et la Constitution ». Par ailleurs, comme l’a jugé la Cour constitutionnelle,[28] l’article 117 de la Constitution impose au législateur le respect des obligations internationales.

Ainsi, la Cour constitutionnelle a considéré que la Convention était une norme de rang intermédiaire entre les lois ordinaires et la Constitution, devant être appliquée telle qu’interprétée par la Cour.

Comme l’ont reconnu les juges allemands, la Convention européenne des droits de l’homme doit faire l’objet d’une interprétation juridique méthodologiquement justifiable. Il n’est peut-être pas inutile ici de donner quelques éléments de compréhension de la relation entre la Cour constitutionnelle et notre Convention.

Avant la « Révolution de 2007 », la Cour constitutionnelle italienne considérait que la Convention européenne n’avait pas une valeur plus élevée que la législation ordinaire.[29] La Constitution italienne prévoit en effet que le système juridique italien doit être conforme aux normes reconnues en droit international. L’article 2 de la Constitution dispose que la République « reconnaît et garantit les droits inviolables de la personne ».

Dans ses décisions nos 348/2007 et 349/2007, la Cour constitutionnelle italienne a précisé le fonctionnement des relations entre les autorités nationales et la Convention européenne des droits de l’homme, ainsi que la place de la Convention dans la hiérarchie des normes nationale.[30]

Dans ces décisions, la Cour constitutionnelle a déclaré inconstitutionnelles deux lois concernant l’indemnisation en cas d’expropriation à des fins publiques et l’expropriation illégale. Elle a fondé sa décision sur l’article 117 § 1 de la Constitution italienne, qui dispose que des « pouvoirs législatifs sont exercés dans l’État et les régions conformément à la Constitution et aux contraintes de la législation de l’UE et des obligations internationales ». Elle a également jugé ces lois contraires à l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention parce que les indemnisations prévues n’étaient pas suffisantes.

En Italie, la Convention se trouve, dans la hiérarchie des normes, à la position supra-législative, c’est-à-dire au-dessus des lois ordinaires.[31] Cependant, elle ne se trouve pas au niveau de la Constitution : elle doit donc y être conforme.[32] Néanmoins, en pratique, cette analyse de la Cour constitutionnelle signifie que les juridictions internes peuvent suspendre toute procédure relevant d’une législation interne contraire à la Convention et poser à la Cour constitutionnelle une question de constitutionnalité avant de statuer sur l’affaire.[33] La Cour constitutionnelle se prononce alors sur la constitutionnalité des dispositions pertinentes de la Convention, telles qu’interprétées par la Cour de Strasbourg. En l’absence de conflit entre la Convention et la Constitution, elle déclare les dispositions de la Convention compatibles avec l’ordre constitutionnel italien. Si la loi est incompatible avec ces dispositions, elle la déclare inconstitutionnelle en vertu de l’article 117 § 1 de la Constitution. L’article 117 § 1 permet donc à la Cour constitutionnelle d’utiliser indirectement la Convention pour apprécier la constitutionnalité de la législation nationale, à condition qu’il ne soit pas porté atteinte aux normes constitutionnelles.[34]

La Cour constitutionnelle a également reconnu que la Cour européenne des droits de l’homme était la seule instance compétente pour livrer une interprétation faisant autorité des dispositions de la Convention.[35] L’une des implications de cette décision touche à la constitutionnalité de la législation nationale. Ainsi, les limites du pouvoir des tribunaux ordinaires sont précisées : ces tribunaux doivent saisir la Cour constitutionnelle, ils ne peuvent examiner eux-mêmes la relation entre la loi, la Convention et la Constitution.

La Cour constitutionnelle a modifié sa pratique pour donner suite aux décisions rendues par notre Cour dans les domaines du jugement in absentia (décision no 317/2009) et du droit à un procès public en matière pénale (décisions nos 93/2010 et 80/2011), et elle a même envisagé de réformer les règles de procédure pénale après que la Cour eut conclu à la violation du droit à un procès équitable (décision no 113/2011).[36] Avant l’affaire no 49/2015, elle a aussi adopté des positions divergentes avec la Cour européenne dans les décisions nos 264/2012 (relative au traitement privilégié d’une certaine classe de retraités) et 263/2011 (relative à la portée du principe de rétroactivité de la loi pénale plus favorable).[37]

Conclusions

Dans l’affaire GIEM et autres, notre Cour a confirmé la jurisprudence Varvara en d’efforçant de préciser certains aspects de l’arrêt de chambre. Cette affaire met en évidence les difficultés du dialogue judiciaire dans un contexte où la nécessité d’éradiquer la criminalité transnationale s’est accrue et a induit une évolution de la législation internationale : cette évolution doit se faire dans le respect des droits de l’homme.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE, EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Table des matières

I. Introduction (§§ 1-2)

Partie I – Le message de Rome à Strasbourg (§§ 3-56)

II. La relation entre la Convention et la Constitution (§§ 3-20)

A. Les premiers « arrêts jumeaux » novateurs (§§ 3-7)

i. La Convention vue comme une norme de rang intermédiaire entre la Constitution et la loi ordinaire (§§ 3-4)

ii. Le pouvoir limité des juges ordinaires pour l’application de la Convention (§§ 5-7)

B. Le raffinement introduit par la deuxième paire « d’arrêts jumeaux » (§§ 8-14)

i. La maximisation des garanties de la Convention et de la Constitution (§§ 8‑10)

ii. La « marge d’appréciation » des arrêts de la Cour (§§ 11-15)

C. La revolutio de l’arrêt no 49/2015 (§§ 16-20)

i. L’héritage incontesté de l’affaire Sud Fondi (§§ 16-17)

ii. L’arrêt Varvara interprété dans le « flux continu » de la jurisprudence de Strasbourg (§§ 18-20)

III. Les conséquences de l’arrêt no 49/2015 dans l’ordre juridique italien (§§ 21-56)

A. La lecture erronée de l’arrêt Varvara (§§ 21-27)

i. L’oblitération du « droit à l’oubli » (§§ 21-24)

ii. L’instrumentalisation de la justice pénale à des fins de politique administrative (§§ 25-27)

B. L’illusoire déclaration « substantielle » de responsabilité (§§ 28‑35)

i. L’insurmontable absence de sécurité juridique (§§ 28-33)

ii. La violation du principe de la présomption d’innocence (§§ 34-35)

C. Le critère volatil du « droit consolidé » (§§ 36-56)

i. La distorsion d’une jurisprudence bien établie (§§ 36-42)

ii. Le critère troublant de la « non-consolidation » du droit (§§ 43-56)

Partie II – La réponse de Strasbourg à Rome (§§ 57-90)

IV. La place de la Cour en Europe (§§ 57-71)

A. L’esprit du temps (§§ 57-63)

i. La Cour en proie à de forts vents contraires (§§ 57-60)

ii. Une approche du droit pénal privilégiant l’efficacité (§§ 61‑63)

B. L’acquis civilisationnel de la Cour (§§ 64-67)

i. L’extraordinaire héritage de la Cour (§§ 64-65)

ii. L’exemple révélateur de l’Italie (§§ 66-67)

C. Quel dialogue judiciaire ? (§§ 68-71)

i. La logique antagoniste du « nous et eux » (§§ 68-69)

ii. La lutte par procuration pour la survie du droit international (§§ 70-71)

V. Le « dernier mot » à la Cour (§§ 72-90)

A. L’« autorité interprétative » de l’arrêt de la Cour (§§ 72‑80)

i. De l’effet res interpretata à l’effet erga omnes de l’arrêt de la Cour (§§ 72‑77)

ii. Du repli sur soi constitutionnel au constitutionnalisme à plusieurs niveaux (§§ 78-80)

B. Une doctrine constitutionnelle des droits de l’homme orientée sur la Convention (§§ 81-86)

i. L’intégration de la Convention dans l’ordre constitutionnel et juridique (§§ 81‑84)

ii. La protection garantie par la Convention : un « plancher », pas un « plafond » (§§ 85-86)

C. Le défi de la rhétorique de l’« identité nationale » (§§ 87-90)

i. Une leçon à tirer de la saga Taricco (§§ 87-88)

ii. La ligne Maginot entre la Convention et la Charte des droits fondamentaux (§§ 89-90)

VI. Conclusion (§§ 91-95)

I. Introduction (§§ 1-2)

1. Bien que je me sois rallié à l’opinion dissidente commune aux juges Sajó, Karakaş, Keller, Vehabović, Kūris et Grozev (« l’opinion dissidente commune »), trois raisons me poussent à rédiger aussi une opinion séparée. En premier lieu, je suis persuadé que la manière dont la Cour constitutionnelle italienne (la « Cour constitutionnelle »[38]) a interprété l’arrêt Varvara[39] constitue le cœur de cette affaire. Or à mon avis, l’opinion dissidente commune n’épuise pas l’analyse des raisons pour lesquelles la Cour constitutionnelle s’est méprise sur l’arrêt Varvara. Je reviendrai plus longuement sur ce point. En deuxième lieu, j’estime devoir une explication supplémentaire pour avoir voté en faveur du constat de violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») en l’espèce (dans le cas du requérant M. Gironda) alors que j’avais voté dans le sens opposé dans l’affaire Varvara.

2. En troisième lieu, dans son arrêt no 49 de 2015, la Cour constitutionnelle a examiné les modalités de la relation entre la Convention, telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour »), et la Constitution italienne. Les modalités novatrices, mais problématiques, qui encadrent cette relation méritent de la part de la Cour de Strasbourg un examen des plus attentifs, dans la mesure où elles influent directement sur la mise en œuvre de la jurisprudence de la Cour en Italie et pourraient exercer une influence décisive sur la manière dont d’autres juridictions constitutionnelles ou suprêmes appliquent la Convention dans leurs pays respectifs étant donné la haute estime dans laquelle est tenue la Cour constitutionnelle italienne. Je ne pense pas qu’ignorer les critiques adressées par certaines cours suprêmes et constitutionnelles à la Cour de Strasbourg et à sa jurisprudence soit de nature à servir un dialogue judiciaire sincère. Ni des raisons de diplomatie judiciaire ni des considérations de stratégie politique ne sauraient justifier le silence assourdissant que la Cour a parfois observé dans le passé sur une question aussi brûlante. Cette fois-ci, les choses sont différentes.

Le message qu’adresse le présent arrêt n’est ni sibyllin ni hésitant, mais au contraire clair et ferme : tous les arrêts de la Cour sont revêtus de la même valeur juridique, de la même nature contraignante et de la même autorité interprétative[40]. Au vu de son importance incontestable, non seulement pour l’Italie mais aussi pour tous les États parties à la Convention, je vais examiner l’impact de ce principe sur le système européen de protection des droits de l’homme puis j’en tirerai toutes les conséquences pour la mise en œuvre de la Convention en Italie.

Partie I – Le message de Rome à Strasbourg (§§ 3-56)

II. La relation entre la Convention et la Constitution (§§ 3-20)

A. Les premiers « arrêts jumeaux » novateurs (§§ 3-7)

i. La Convention vue comme une norme de rang intermédiaire entre la Constitution et la loi ordinaire (§§ 3-4)

3. Avant 2007[41], la Consulta plaçait dans l’ordre juridique italien la Convention sur le même plan que la loi ordinaire parce que la Convention avait été intégrée dans l’ordre juridique italien par une loi ordinaire, la loi no 848 du 4 août 1955[42]. Se fondant sur une approche dualiste du droit international, la Cour constitutionnelle affirmait que les dispositions de la Convention avaient le même statut que la loi qui les avait incorporées dans l’ordre juridique interne[43]. Pourtant, simultanément, la Cour constitutionnelle admettait que « l’interprétation en conformité avec la Constitution [s’appuyait] sur des règles importantes, y compris d’origine supranationale », faisant en ces termes référence à la Convention et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques[44]. De plus, désireuse d’enrichir l’interprétation du catalogue constitutionnel des droits fondamentaux, la Cour constitutionnelle invoquait non seulement les dispositions de la Convention, mais aussi la jurisprudence de la Cour[45]. L’impact de la Convention dans le paysage constitutionnel demeurait toutefois très limité[46]. Cela n’empêchait pas les juges ordinaires[47] d’appliquer à l’occasion le droit conventionnel en évinçant la disposition de droit interne concurrente[48].

4. Dans ses arrêts pionniers no 348 et no 349 de 2007, aussi appelés les « arrêts jumeaux » (sentenze gemelle), la Cour constitutionnelle a réagi à cette pratique des juges ordinaires, en tenant compte du nouveau libellé de l’article 117 de la Constitution, tel qu’amendé par la loi constitutionnelle no 3 du 18 octobre 2001, qui imposait au législateur de se conformer aux obligations internationales[49]. Se fondant sur cette base constitutionnelle, la Cour constitutionnelle a estimé que la Convention était une norme de rang intermédiaire entre la loi ordinaire et la Constitution et a affirmé son monopole sur le règlement de tout conflit entre la Convention et le droit interne. Son discours relatif à la place formelle des traités internationaux dans la hiérarchie italienne des sources de droit soulignait sans ambiguïté le rang supralégislatif de la Convention. En cas de conflit entre la Convention, telle qu’interprétée par la Cour, et la législation interne postérieure à la loi no 848 du 4 août 1955, les juges ordinaires ne pouvaient pas accorder la priorité à la première et donc mettre de côté la disposition interne concurrente, mais devaient soumettre la question conflictuelle à la Cour constitutionnelle, qui avait le dernier mot à cet égard[50]. La Cour constitutionnelle devait alors apprécier si la disposition de la Convention en cause, telle qu’interprétée par la Cour, était compatible avec la Constitution et si tel était le cas, elle devait examiner si la loi litigieuse était compatible avec la Convention. S’il s’avérait que la disposition de la Convention en cause, telle qu’interprétée par la Cour, n’était pas compatible avec la Constitution, la loi no 848 du 4 août 1955 devait alors être partiellement abrogée pour autant que ladite disposition était concernée, dans la mesure où la Convention elle-même ne pouvait être jugée inconstitutionnelle. Si la loi litigieuse n’était pas compatible avec la Convention, elle devait être abrogée parce qu’elle était contraire au premier alinéa de l’article 117 § 1 de la Constitution. Ainsi, l’interprétation de la Convention par la Cour de Strasbourg revêtait une valeur normative dans la mesure où elle fonctionnait comme un standard normatif pour le contrôle de la constitutionnalité des lois ordinaires.

ii. Le pouvoir limité des juges ordinaires pour l’application de la Convention (§§ 5-7)

5. Selon le Giudice delle leggi (le juge des lois), les États parties à la Convention n’avaient pas créé un ordre juridique international et n’avaient pas imposé l’obligation d’incorporer la Convention dans l’ordre juridique interne. On ne pouvait donc pas affirmer qu’il existait un ordre juridique externe qui, par ses organes de décision, adoptait omisso medio des normes ayant force obligatoire pour toutes les autorités internes. Partant, il n’y avait pas de limitation à la souveraineté nationale. Dès lors, les individus ne pouvaient pas bénéficier directement de la protection offerte par la Convention[51]. Néanmoins, toujours selon la Cour constitutionnelle, il appartenait aux juges ordinaires d’interpréter la norme interne conformément à la Convention et à la jurisprudence de la Cour. En cas de doute sur la compatibilité de la norme interne avec la Convention, le juge ordinaire était tenu de soulever une question de constitutionalité et de saisir la Cour constitutionnelle.

6. Ce raisonnement reposait principalement sur la distinction alléguée entre l’ordre juridique de l’Union européenne, dont on convenait qu’il avait un effet direct, et la Convention, laquelle, du point de vue de la Cour constitutionnelle, n’avait pas d’effet direct dans l’ordre juridique interne des Parties contractantes dans la mesure où elle ne permettait pas aux juges ordinaires d’écarter la législation concurrente[52]. Tout en admettant que la Convention différait d’autres traités internationaux puisque son interprétation n’était pas confiée aux Parties contractantes mais à une Cour qui avait le « dernier mot » (ultima parola)[53] à cet égard, la Cour constitutionnelle soulignait que la Convention devait se concevoir comme un accord multilatéral ne limitant pas la souveraineté des parties contractantes[54]. En fin de compte, les traités relatifs aux droits de l’homme comme la Convention devaient selon elle être considérés comme n’importe quel autre traité international, excepté dans le cas d’un traité international englobant des principes coutumiers de droit international[55].

7. Dans la logique des « arrêts jumeaux », la Convention ne pouvait même pas offrir un degré de protection supérieur à celui garanti par la Constitution, mais seulement une « garantie des droits fondamentaux au moins équivalente au niveau garanti par la Constitution italienne » (« una tutela dei diritti fondamentali almeno equivalente al livello garantito dalla Costituzione italiana »)[56]. La Convention demeurait ainsi une source externe de droit qui ne devait pas compromettre l’unité de la Constitution. Si la Cour constitutionnelle devait rechercher un équilibre raisonnable entre les obligations imposées par le droit international, y compris celles découlant de la Convention, et la protection des intérêts bénéficiant d’une garantie constitutionnelle reconnue par d’autres articles de la Constitution, la primauté du droit conventionnel sur la loi ordinaire n’était assurée qu’au moyen du premier alinéa de l’article 117 de la Constitution, et les dispositions de la Convention de même que les arrêts de la Cour les interprétant devaient être perçus comme des « faits extérieurs » à l’ordre juridique italien. Le dualisme anzilottien à l’ancienne était resté vivace, la Convention étant clairement soumise, comme n’importe quelle autre loi, à l’examen attentif de la Cour constitutionnelle[57].

B. Le raffinement introduit par la deuxième paire « d’arrêts jumeaux » (§§ 8-14)

i. La maximisation des garanties de la Convention et de la Constitution (§§ 8‑10)

8. Deux années plus tard, la Cour constitutionnelle a affiné la logique des « arrêts jumeaux » en adoptant deux nouveaux « arrêts jumeaux », les arrêts no 311 de 2009 et no 317 de 2009[58]. Tout en mettant en évidence la singularité de certaines dispositions de la Convention qui incluaient des normes de type coutumier directement applicables par le juge ordinaire en vertu de l’article 10 de la Constitution[59] et le rôle de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg en qualité d’interprète officiel de la Convention, avec pour conséquence logique que la Cour constitutionnelle n’avait pas le pouvoir de substituer sa propre interprétation d’une disposition de la Convention à celle de la Cour[60], les juges du Palazzo della Consulta ont néanmoins limité l’autorité interprétative de la Cour à la « substance » (la sostanza) de sa jurisprudence « consolidée » (consolidatasi)[61].

9. Dans le but louable d’apporter le degré de protection le plus élevé possible aux droits fondamentaux communs à la Convention et à la Constitution, le Giudice costituzionale s’est livré à un exercice de mise en balance sur la base de l’« interpénétration » (compenetrazione) entre les deux catalogues de droits et des « interrelations normatives entre les différents niveaux de garantie » (interrelazioni normative tra i vari livelli delle garanzie). Ainsi, les juges de la Consulta ont explicitement admis que la Convention telle qu’interprétée par la Cour était de rang égal à celui de la Constitution : « lorsqu’elle complète l’article 117 § 1 de la Constitution, une disposition de la CEDH reçoit de celle-ci le même statut dans la hiérarchie des normes, avec toutes les implications que cela suppose en termes d’interprétation et de mise en balance (...) »[62]. Par conséquent, l’article 117 de la Constitution n’excluait pas que la Convention, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, offrît un degré de protection supérieur :

« Il est évident que cette cour non seulement ne peut pas permettre que l’on applique l’article 117 § 1 de la Constitution pour imposer un degré de protection moindre que celui qu’offre déjà le droit interne, mais qu’elle ne peut pas non plus admettre que le niveau de protection plus élevé qui pourrait être introduit par le même mécanisme soit refusé aux titulaires d’un droit fondamental. En conséquence de ce raisonnement, il convient de comparer la protection des droits fondamentaux garantie par la Convention et celle découlant de la Constitution dans le but de chercher à maximiser les garanties, y compris par le développement du potentiel inhérent aux normes constitutionnelles qui concernent les mêmes droits. »[63]

Il y a lieu de noter que la Cour constitutionnelle s’est octroyé le pouvoir de dire que la protection offerte par la Convention, telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg, pouvait être plus forte que celle résultant de la Constitution. Mais cela signifie également qu’elle peut, à l’inverse, prendre la position opposée et dire que la protection offerte par la Constitution peut être plus forte que celle qui résulte de la Convention telle qu’interprétée par la Cour de Strasbourg.

10. Dans cette quête de « la maximisation des garanties » offertes par la Convention et par la Constitution, il appartient à la Cour constitutionnelle de procéder au nécessaire exercice de mise en balance avec d’« autres intérêts bénéficiant d’une protection constitutionnelle, à savoir d’autres dispositions constitutionnelles qui garantissent à leur tour des droits fondamentaux qui pourraient pâtir de l’expansion d’une protection individuelle »[64]. Ce faisant, la Cour constitutionnelle inscrit l’application de la Convention dans l’ordre juridique italien dans une perspective systémique plus vaste, mettant en évidence l’importance de « l’environnement constitutionnel » dans lequel la Convention est appliquée ainsi que le rôle de la Consulta en qualité d’arbitre ultime de la force exécutoire des arrêts de la Cour dans l’ordre juridique italien.

En dépit du nouveau rang para-constitutionnel accordé au droit conventionnel, les graines de la discorde avec Strasbourg étaient néanmoins semées dans la mesure où l’ampleur et les limites de son incorporation dépendent, dans le discours mais aussi en pratique, de la décision de la Cour constitutionnelle quant aux intérêts en jeu au niveau interne. En droit constitutionnel, le contrôle de constitutionalité imposé aux normes conventionnelles telles qu’interprétées par la Cour n’est même pas limité à un ensemble de normes ou intérêts constitutionnels spéciaux essentiels. Contrairement aux fameuses « contre-limites » (controlimiti)[65] qui peuvent contrer la pénétration du droit de l’EU[66], voire délimiter certaines règles du droit international coutumier[67], toute norme ou tout intérêt constitutionnel peut servir de barrière légitime à la pénétration de la Convention.

ii. La « marge d’appréciation » des arrêts de la Cour (§§ 11-15)

11. Si la deuxième paire « d’arrêts jumeaux » a consacré une incontestable promotion du droit conventionnel, tel qu’interprété par la Cour de Strasbourg, dans la mesure où celui-ci n’est plus perçu comme un corpus de droit externe dans l’ordre juridique italien mais comme un corpus de droit placé sur un pied d’égalité avec la Constitution et présentant une affinité axiologique avec elle, l’application de la Convention dans le droit interne demeure en tout état de cause soumise au contrôle strict de la Cour constitutionnelle. Pour préserver ce contrôle, la Cour constitutionnelle recourt à un instrument technique tiré de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg elle-même, la « marge d’appréciation » (margine di apprezzamento), mais l’applique à la modulation de l’effet juridique des arrêts de la Cour dans l’ordre juridique italien[68].

12. Soucieuse de consolider cet axe de raisonnement, la Cour constitutionnelle insiste sur la distinction entre le rôle de la Cour de Strasbourg, qui consiste à « statuer sur une affaire individuelle et sur un droit fondamental individuel » (alla Corte europea spetta di decidere sul singolo caso e sul singolo diritto fondamentale), et le rôle des autorités nationales, y compris celui de la Cour constitutionnelle, qui consiste à protéger les droits fondamentaux de manière coordonnée et systémique, et donc à empêcher que la protection de certains droits fondamentaux « ne se développe de manière déséquilibrée au détriment d’autres droits également protégés par la Constitution et par la Convention européenne » (si sviluppi in modo squilibrato, con sacrificio di altri diritti ugualmente tutelati dalla Carta costituzionale e dalla stessa Convenzione europea)[69].

13. Cet argument renferme implicitement deux critiques concernant la nature de la jurisprudence de la Cour, qui ont été explicitées dans la jurisprudence constitutionnelle qui a suivi. D’un côté, pour la Consulta, les arrêts de la Cour sont trop spécifiques à l’affaire en question et atomistes[70], puisqu’ils dépendent dans une très large mesure du contexte et des circonstances de la cause. À ses yeux, étant donné que la jurisprudence de la Cour repose sur les précédents, ce qui permet une consolidation de ses principes sur la durée, tous les arrêts ne peuvent pas être reconnus comme représentant la jurisprudence de la Cour. D’un autre côté, de l’avis de la Consulta, les arrêts rendus à Strasbourg sont simplistes et trop linéaires, parce qu’ils ne tiennent compte que des intérêts subjectifs concernés et non de tous les intérêts objectifs en jeu ; dès lors, la jurisprudence de la Cour ne prend pas pleinement en considération la singularité de l’ordre juridique italien[71]. Si nécessaire, il arrive à la Cour constitutionnelle de rééditer l’exercice de mise en balance des intérêts effectué par la Cour de Strasbourg à la lumière des intérêts objectifs prévalant dans l’ordre constitutionnel italien[72]. C’est précisément pour cette raison qu’une certaine marge d’appréciation devrait, selon elle, être accordée aux autorités internes dans la mise en œuvre des arrêts de la Cour[73].

14. La seconde paire d’« arrêts jumeaux » (arrêts nos 311 et 317 de 2009) marque un certain revirement des juges de la Consulta par rapport à la première paire d’« arrêts jumeaux » (arrêts nos 348 et 349 de 2007). Si les premiers « arrêts jumeaux » étaient axés sur l’instauration d’un ordre formel, de type kelsenien, de primauté de la Constitution sur la Convention et de la Convention sur la loi ordinaire dans le but de délimiter les rôles respectifs du juge ordinaire et du juge constitutionnel lorsqu’il s’agissait de faire respecter la hiérarchie des sources du droit[74], la seconde paire d’« arrêts jumeaux » tendait vers une articulation substantielle entre la Constitution et la Convention fondée sur le principe de la maximisation de la protection des droits fondamentaux des deux catalogues, mais imposant les modalités d’une délimitation unilatérale du pouvoir entre Rome et Strasbourg[75].

Finalement, la Cour constitutionnelle a transmis un message dénué d’ambigüité, en faisant savoir que tout en étant ouverte à un certain degré d’intégration du droit conventionnel et constitutionnel, elle entendait conserver une large part de pouvoir discrétionnaire dans l’exécution des arrêts de la Cour dans l’ordre juridique interne, créant ainsi un risque manifeste de conflit avec Strasbourg et d’insécurité juridique dans l’ordre juridique italien[76].

15. Comme l’on pouvait s’y attendre, un conflit a éclaté trois ans plus tard, avec « l’affaire des pensions de retraite suisses ». Dans l’arrêt Maggio et autres c. Italie [77], la Cour de Strasbourg a contredit l’arrêt no 172 de 2008 de la Cour constitutionnelle en considérant que dans la loi no 296/2006 l’État italien avait méconnu les droits des requérants garantis par l’article 6 § 1 de la Convention ; la Cour de Strasbourg a ainsi rejeté l’argument avancé par le Gouvernement selon lequel la loi était nécessaire pour restaurer l’équilibre dans le système de retraite en supprimant les avantages dont bénéficiaient des personnes qui avaient travaillé en Suisse et payé des cotisations moins élevées, considérant que cet argument n’était pas assez convaincant pour l’emporter sur les risques inhérents à l’adoption d’une législation rétroactive qui avait pour effet d’influer de manière décisive sur l’issue d’un litige pendant auquel l’État était partie. Cette divergence de points de vue entre Strasbourg et Rome a conduit à ce que dans son arrêt no 264 de 2012, la Cour constitutionnelle refît à la lumière d’« autres intérêts constitutionnels » l’exercice de mise en balance qui avait été effectué par la Cour de Strasbourg et conclût qu’il existait bel et bien des raisons impérieuses d’intérêt général qui justifiaient une application rétroactive de la loi. Curieusement, la Consulta invoqua « non seulement le système national de valeurs dans leurs interactions, mais aussi la substance de la décision de la Cour qui était en jeu » (« non solo il sistema nazionale di valori nella loro interazione, ma anche la sostanza della decisione della Corte EDU di cui si tratta »), comme si le respect pour la « substance » de la jurisprudence de Strasbourg justifiait un non-respect de l’arrêt Maggio rendu par la Cour. Par la suite, dans les affaires Cataldo et autres c. Italie [78] et Stefanetti et autres c. Italie[79], la Cour a clairement indiqué qu’elle s’en tenait à sa position. Dans son arrêt no 166 de 2017, la Cour constitutionnelle n’a pas revu sa position, répétant que l’ « innovation » dans l’arrêt Stefanetti rendu à Strasbourg (« il novum della sentenza Stefanetti ») n’ajoutait rien au débat sur la constitutionalité de la norme interne litigieuse[80].

C. La revolutio de l’arrêt no 49/2015 (§§ 16-20)

i. L’héritage incontesté de l’affaire Sud Fondi (§§ 16-17)

16. Après le « double monologue » (doppio monologo) dans l’affaire des pensions de retraite suisses[81], l’occurrence d’un autre conflit sérieux entre la Consulta et la Cour de Strasbourg était prévisible étant donné les modalités que la seconde paire d’« arrêts jumeaux » avaient instaurées pour leur relation. Le conflit éclata en janvier et en mai 2014, lorsque le tribunal de Teramo et la Cour de Cassation saisirent la Cour constitutionnelle de deux questions de constitutionnalité portant sur l’article 44 § 2 du décret législatif no 380/2001 à la suite de l’arrêt Varvara[82].

17. Dans son arrêt no 49/2015[83], la Cour constitutionnelle a rappelé le caractère administratif de la mesure de confiscation énoncée à l’article 44 § 2, mais a admis qu’il s’agissait d’une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention[84] et que la présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention trouvait à s’appliquer[85]. L’héritage de l’affaire Sud Fondi[86] était incontestable et est demeuré incontesté.

Néanmoins, la Cour constitutionnelle a affirmé que le rejet de l’affaire pour dépassement des délais légaux pouvait s’accompagner « de la motivation la plus large sur la responsabilité à la seule fin de la confiscation du bien loti »[87]. En d’autres termes, dans l’ordre juridique italien une décision de prescrizione (prescription) de l’infraction n’est ni logiquement ni juridiquement incompatible avec une appréciation pleine et entière de la responsabilité[88]. Qui plus est, de l’avis de la Cour constitutionnelle, après la réception de l’arrêt Sud Fondi[89] dans l’ordre juridique italien, cette appréciation n’est pas une faculté (facoltà) du juge, mais une obligation (obbligo) du respect de laquelle dépend la légalité de la confiscation.

ii. L’arrêt Varvara interprété dans le « flux continu » de la jurisprudence de Strasbourg (§§ 18-20)

18. La Consulta a conclu que l’hypothèse formulée par les juridictions de renvoi selon laquelle l’arrêt Varvara avait instauré un principe juridique innovant et contraignant qui venait contredire une règle qui existait de longue date dans l’ordre juridique italien était erronée, pour trois raisons. Premièrement, les juridictions de renvoi avaient selon elle ignoré le caractère de « droit vivant » (diritto vivente) de la jurisprudence de la Cour, qui était prononcée dans un « flux continu » (flusso continuo) et était rattachée à la « situation concrète » dans laquelle elle trouvait son origine. De l’avis de la Cour constitutionnelle, le rejet de la demande de renvoi devant la Grande Chambre n’a fait que confirmer qu’aucun principe nouveau n’avait été instauré.

Deuxièmement, selon la Consulta, les juridictions de renvoi ont présupposé à tort que l’arrêt Varvara avait aspiré la sanction administrative de confiscation dans la sphère du droit pénal. Cela aurait contredit la propre jurisprudence de la Cour, qui soulignait la subsidiarité de la sanction pénale et le pouvoir discrétionnaire laissé au législateur pour la définition de l’étendue des infractions administratives dans une volonté de lutter contre « l’hypertrophie du droit pénal ».

Troisièmement, selon la Consulta, les juridictions de renvoi avaient mal compris la volonté de la Cour de protéger la « substance des droits de l’homme » (la sostanza dei diritti umani), si nécessaire en passant outre le cadre formel des faits (l’inquadramento formale di una fattispecie). L’arrêt Varvara devrait être interprété comme imposant simplement une déclaration « substantielle » de responsabilité, et donc comme étant compatible avec la déclaration simultanée de la prescription de l’infraction conformément aux règles du droit interne. En d’autres termes, la logique qui a présidé à l’arrêt Varvara aurait voulu que les règles de prescription fussent compatibles avec une condamnation « substantielle ».

19. Entre le Scylla de la solution de la confrontation directe avec la Cour de Strasbourg telle que proposée par la Cour de Cassation[90] et le Charybde de la subordination directe à la Cour telle que suggérée par le Tribunale di Teramo[91], la Cour constitutionnelle a recherché une via de mezzo, replaçant l’arrêt Varvara dans le contexte d’un flux progressif et continu de jurisprudence[92] qui ne révèle pas toujours clairement le principe sur la base duquel l’affaire a été tranchée[93]. De l’avis de la Cour constitutionnelle, l’arrêt Varvara n’a pas instauré un principe nouveau et contraignant et ne relève pas de la jurisprudence consolidée, c’est-à-dire de la jurisprudence à partir de laquelle il est possible de dériver « une norme propre à garantir dans les États contractants la sécurité juridique et l’uniformité d’un niveau minimum de protection des droits de l’homme »[94].

20. La Cour constitutionnelle a rappelé le principe imposant au juge ordinaire de suivre la jurisprudence de la Cour. Elle a toutefois précisé qu’en cas de doute quant à la conformité de cette jurisprudence avec la Constitution, la jurisprudence ne liait le juge ordinaire que lorsqu’elle était « bien établie » au sens de l’article 28 de la Convention ou énoncée dans un « arrêt pilote »[95]. Partant, selon cette haute juridiction, l’arrêt Varvara, qui avait établi le principe selon lequel l’article 7 de la Convention imposait qu’une sanction pénale fût précédée d’une condamnation formelle, n’avait pas exprimé une analyse jurisprudentielle consolidée et ne devait donc pas lier les juridictions nationales. Pour étayer son jugement, la Cour constitutionnelle a indiqué que, en cas de conflit entre la Convention et des normes constitutionnelles, ces dernières devraient prévaloir à raison d’une « suprématie axiologique de la Constitution sur la CEDH » (predominio assiologico della Costituzione sulla CEDU)[96].

III. Les conséquences de l’arrêt no 49/2015 dans l’ordre juridique italien (§§ 21-56)

A. La lecture erronée de l’arrêt Varvara (§§ 21-27)

i. L’oblitération du « droit à l’oubli » (§§ 21-24)

21. Dans son analyse de l’arrêt Varvara, la Cour constitutionnelle italienne a assuré que c’était un « principe consolidé » du droit européen qui permettait à une autorité administrative d’appliquer une peine à la condition que celle-ci fût susceptible de contrôle juridictionnel[97]. À cet égard, on pouvait « donc douter que l’arrêt Varvara ait effectivement suivi la voie indiquée par chacune des deux juridictions de renvoi en introduisant un élément dissonant dans le contexte plus vaste de la Convention ». Partant, poursuivait la Cour constitutionnelle, s’agissant de la signification de la « condamnation », ce que la Cour « avait en tête » dans l’arrêt Varvara n’était pas la « forme de la décision rendue par le tribunal » (c’est-à-dire un verdict formel de culpabilité) mais plutôt « la substance qui accompagne nécessairement pareille décision lorsqu’elle impose une sanction pénale conformément à l’article 7 de la CEDH, c’est-à-dire un constat de responsabilité. »

22. Comme le démontre l’opinion commune dissidente, il ne s’agit pas là d’une lecture plausible ni de l’arrêt Varvara ni de la jurisprudence pertinente[98]. Pour l’application d’une « peine », l’arrêt Varvara requiert que l’infraction (« pénale », « administrative », « fiscale » ou autre, suivant sa classification dans le droit national) ne soit pas prescrite et qu’un « jugement de condamnation » ait été prononcé. Ce jugement de condamnation peut à l’évidence être prononcé dans le contexte d’une procédure pénale stricto sensu ou dans le cadre de toute procédure au sens de l’article 7 de la Convention, comme une procédure administrative, fiscale ou autre qui applique des « peines »[99]. Le champ d’application de l’article 7 de la Convention, qui couvre également les procédures qui ne sont pas désignées comme « pénales » dans le droit national, n’est pas décisif pour la question de savoir si « l’imposition des confiscations litigieuses exigeait à tout le moins une déclaration formelle de responsabilité pénale à charge des requérants »[100]. Le champ d’application de la disposition est une chose, son contenu en est une autre.

23. Comme le proclame l’arrêt Sud Fondi[101], et comme l’ont admis les Giudici delle leggi[102], la teneur du principe de légalité inclut le principe nulla poena sine culpa, qui doit être établi (tant la culpa que la poena) dans les délais impartis par les règles de prescription pertinentes. Dans un État régi par la primauté du droit et le principe de légalité, le pouvoir revenant à l’État de poursuivre et de sanctionner des infractions, même complexes, est limité dans le temps ou, pour reprendre l’élégante formulation de la Cour constitutionnelle, « avec le passage du temps après la commission des faits, la nécessité d’un châtiment s’atténue et un droit à l’oubli mûrit pour leur auteur » (trascorso del tempo dalla commissione del fatto, si attenuino le esigenze di punizione e maturi un diritto all’oblio in capo all’autore di esso)[103]. À défaut, les valeurs de la sécurité juridique et de la prévisibilité inhérentes au principe de légalité, et partant, ce principe lui-même, seraient sacrifiés sur l’autel de l’efficience du système judiciaire.

24. Dans ces conditions, lorsqu’une infraction est prescrite, les raisons de poursuivre ne prévalent plus et la finalité de la sanction pénale ne s’impose plus. Déclarer qu’une infraction pénale est prescrite revient précisément à sacrifier la lutte contre l’impunité. Si le but de la lutte contre l’impunité prévalait toujours, aucune infraction ne serait jamais prescrite. C’est l’élément central de l’arrêt Varvara, « le droit à l’oubli » (diritto all’oblio)[104], qui est ainsi oblitéré par la Cour constitutionnelle. L’exigence d’un « jugement de condamnation » posée par l’arrêt Varvara[105] est la simple conséquence logique de l’exigence de délais de prescription. Il ne peut y avoir de châtiment sans déclaration formelle de culpabilité parce qu’il ne peut y avoir pareille déclaration après la prescrizione de l’infraction. En d’autres termes, l’élément central du fameux paragraphe 72 de l’arrêt Varvara consiste à reconnaître que l’application de la prescription n’est pas une condamnation substantielle (la prescrizione non è una sostanziale condanna). Si l’arrêt Sud Fondi[106] a établi le principe nulla poena sine culpa, l’arrêt Varvara a reconnu la prescription comme faisant partie intégrante du principe de légalité. Dès lors, l’article 7 exclut d’imposer une confiscation (qui est une « peine » selon le droit conventionnel tel qu’interprété par la Cour et selon le droit constitutionnel italien tel qu’interprété par la Cour constitutionnelle) en cas d’infraction prescrite, parce que la prescrizione revêt la signification d’une garantie matérielle, et non une simple signification procédurale, dans la Convention comme dans le droit national[107].

ii. L’instrumentalisation de la justice pénale à des fins de politique administrative (§§ 25-27)

25. À la lumière de ces considérations, le choix opéré par la Cour constitutionnelle italienne d’invoquer « la fonction [de la Cour de Strasbourg consistant à] percevoir la violation du droit fondamental dans sa dimension tangible, indépendamment de la formulation abstraite » utilisée pour qualifier l’infraction, peut être compris comme une tentative de nier l’évidence, à savoir qu’un constat « substantiel » de culpabilité n’a guère de sens s’il ne signifie pas une déclaration formelle de culpabilité faite par un tribunal. Cet argument est particulièrement malencontreux puisqu’il déforme la signification de la théorie de la prévalence de la substance (la sostanza) sur la forme (l’inquadramento formale) défendue par la Cour, qui a toujours été utilisée pour assurer la protection du défendeur contre des formes déguisées de sanction. La Cour constitutionnelle se sert de l’argument de la protection de la « substance des droits de l’homme » (la sostanza dei diritti umani) pour affaiblir les droits de l’homme du défendeur ciblé par la confisca senza condanna (confiscation sans condamnation). Il est à mon avis inadmissible que la Cour constitutionnelle utilise contra reum une théorie qui a été élaborée par la Cour pour bénéficier au défendeur.

26. Ces considérations s’appliquent également à l’argument tiré de la nécessité de lutter contre l’« hypertrophie » du droit pénal[108]. S’il est vrai que la politique de l’État en matière de droit pénal doit être régie par le principe de l’intervention minimale, il est inadmissible de recourir à cet argument in malam partem, aux fins de priver le défendeur de la protection offerte par l’article 7 et de lui infliger une confiscation en l’absence de toute condamnation formelle pour cause de prescription. On renverse ainsi la subsidiarité du droit pénal afin de pouvoir infliger le châtiment après la prescrizione.

27. De fait, lorsqu’il applique la confisca urbanistica senza condanna (confiscation sans condamnation imposée dans les affaires de lotissement), le juge cherche à contrer l’inertie de l’administration locale et la connivence avec les projets de lotissement illicites. En d’autres termes, le système de justice pénale s’acquitte de fonctions administratives. Du point de vue du droit constitutionnel, il est clair que la mutation du juge pénal en organe supplétif (di supplenza) de l’administration est incompatible avec le principe de séparation des pouvoirs. Cet amalgame des deux rôles distincts, celui de la justice et celui de l’administration, constitue une instrumentalisation indue du système de justice pénale à des fins de pure politique administrative, qui reflète une politique de pan-pénalisation menée par l’État italien. Dès lors, c’est le choix actuel de politique opéré par l’État italien, confirmé par l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle, qu’il convient de blâmer parce qu’il contredit le principe de la subsidiarité du droit pénal, et non l’arrêt Varvara.

B. L’illusoire déclaration « substantielle » de responsabilité (§§ 28‑35)

i. L’insurmontable absence de sécurité juridique (§§ 28-33)

28. Selon la Cour constitutionnelle, une déclaration « substantielle » de culpabilité ne soulèverait pas de préoccupations au regard de la Convention. Cela laisse de nombreuses questions qui n’ont pas trouvé de réponse, et qui n’ont même pas été posées. Le Giudice costituzionale n’a ni clarifié « les limites que le système procédural peut (...) imposer au juge pénal concernant les activités qui sont nécessaires pour parvenir à l’appréciation de la responsabilité »[109], ni indiqué si la confisca urbanistica ne pouvait s’appliquer que lorsque les éléments objectifs et subjectifs de la responsabilité avaient déjà été établis avant la prescrizione de l’infraction ou si le juge pouvait compléter l’enquête après ce moment dans le but d’établir les éléments objectifs et subjectifs de la responsabilité, et si tel était le cas, quelles garanties procédurales trouveraient alors à s’appliquer. La Cour constitutionnelle n’a pas non plus indiqué précisément quel critère de preuve le juge devait appliquer pour établir « substantiellement » les faits pertinents en vue d’imposer une confiscation[110]. Si les règles de prescription limitent les pouvoirs dont dispose l’État pour enquêter sur la vie des personnes, comment va-t-on atteindre ce but si toutes les infractions peuvent néanmoins donner lieu à une enquête permettant de parvenir à une appréciation « substantielle » de la responsabilité ? Ou bien existe-t-il des infractions spéciales qui admettent ces déclarations « substantielles » de culpabilité et d’autres qui ne l’admettent pas ?

29. Dans le présent arrêt, la majorité de la Grande Chambre ne considère pas que ce « trou noir » juridique et l’insurmontable absence de sécurité juridique qu’il induit soient problématiques. En réalité, la déclaration « substantielle » de responsabilité constitue un chèque en blanc permettant aux juridictions nationales d’agir selon leur gré. Dans la tension wébérienne entre Wertrationalität (rationalité par valeurs, ou axiologique) et Zweckrationalität (rationalité par finalités), les juges, qu’ils soient internationaux ou nationaux, doivent toujours tendre vers la première et non vers la seconde, qui relève de la politique. On a l’impression qu’à certains égards, le présent arrêt constitue davantage un exercice de rationalité par finalités plutôt qu’un exercice de rationalité par valeurs. Il va sans dire que les représentants de la loi en général, et les tribunaux en particulier, ont la vie bien plus facile avec le régime de la confiscation sans condamnation pour cause de prescription de l’infraction (confisca senza condanna per reato prescritto). De cette manière, la finalité alléguée que l’État entend poursuivre avec ce « régime appliqué par les juridictions italiennes », qui « vise à lutter contre l’impunité », pour reprendre les mots employés par la majorité au paragraphe 260 du présent arrêt, est beaucoup plus aisée à atteindre. Mais ce raisonnement relève de la pure rationalité par finalités. Le juge n’est pas censé se lancer dans pareils calculs, en se comportant comme un auxiliaire asservi aux intérêts et aux choix de politique du Gouvernement, et surtout pas dans un domaine juridique aussi sensible que le droit pénal. Point essentiel, le juge ne doit pas imputer aux défendeurs les carences d’une politique pénale irrationnelle de l’État, et notamment d’une politique qui induit « l’effet combiné d’infractions complexes et de délais de prescription relativement courts »[111].

30. Même à supposer que les faits de lotissement illicite constituent une « infraction complexe »[112], que le délai de prescription pertinent était « relativement court »[113] et que leur effet combiné a créé une situation dans laquelle les auteurs de cette infraction échappaient « systématiquement »[114] aux poursuites et aux sanctions, le défendeur n’a pas à supporter la responsabilité de pareils choix de politique pénale. Or c’est exactement ce que revient à dire le paragraphe 260 du présent arrêt[115].

31. Plus généralement, la notion de déclaration « substantielle » de responsabilité va en elle-même à l’encontre des valeurs de la sécurité juridique et de la prévisibilité, puisque la personne/entité concernée ne peut véritablement prévoir si ses biens vont être confisqués. Apparemment, la majorité propose de limiter l’applicabilité de la notion de « condamnation en substance » : celle-ci ne devrait s’appliquer que pour empêcher l’impunité dans le cas « d’infractions complexes ». La « complexité » des infractions constituant toutefois un critère très vague, cette analyse remet en question les valeurs de la sécurité juridique et de la prévisibilité.

32. De plus, la notion de déclaration « substantielle » de responsabilité repose sur une analogie avec une condamnation[116]. Pour étayer cette analogie, la majorité assimile la décision par laquelle « les juridictions saisies constatent la réalisation de tous les éléments de l’infraction de lotissement illicite tout en concluant au non-lieu, en raison de la seule prescription » à « une condamnation au sens de l’article 7 »[117]. Ce faisant, elle permet de comprendre, à partir de la motivation de cette décision, que les éléments d’actus reus et de mens rea sont prouvés. Cette analogie entre motivation et condamnation est fondamentalement erronée parce que pareille extension de la notion de « condamnation » au détriment du défendeur correspond à une analogie in malam partem inadmissible. La fiction juridique d’une « condamnation en substance » contredit l’essence même de l’interdiction de l’analogie au détriment du défendeur, laquelle se trouve au cœur du principe de légalité (nulla poena sine lege certa, stricta).

33. La Cour a toujours refusé cette analogie. Par exemple, dans l’affaire Marguš c. Croatie,[118] la Cour a déclaré sans ambigüité que « l’abandon de poursuites pénales par un procureur n’équivalait ni à une condamnation ni à un acquittement » et que la décision de non-lieu n’entrait donc pas dans le champ d’application de l’article 4 du Protocole no 7 à la Convention. Ces deux issues (condamnation ou acquittement) ne peuvent évidemment se trouver que dans le dispositif d’une décision rendue par une juridiction interne, c’est-à-dire là où le tribunal compétent expose l’issue de l’affaire. La motivation n’est aucunement pertinente pour l’application du principe ne bis in idem dans les procédures pénales. La majorité ignore ce principe élémentaire du droit de la procédure pénale au point qu’elle s’efforce de tirer des conclusions préjudiciables au défendeur (« en substance, une condamnation ») de la motivation d’un arrêt lorsqu’elles ne figurent pas dans le dispositif. Cette démarche, pour autant qu’elle vise à conclure à une « condamnation en substance » sans tenir compte du fait que le défendeur n’a pas été formellement déclaré coupable, est contraire à l’essence même du principe ne bis in idem[119].

ii. La violation du principe de la présomption d’innocence (§§ 34-35)

34. Enfin, la déclaration « substantielle » de responsabilité viole outrageusement le principe de la présomption d’innocence. La Cour ayant à plusieurs reprises rejeté toute déclaration de culpabilité, dans des décisions d’acquittement aussi bien que de non-lieu ou de rejet d’une affaire, déclaration qu’elle analyse en une violation flagrante de l’article 6 § 2 de la Convention[120], le « pieno accertamento di responsabilità »[121] (plein établissement de la responsabilité) requis par la Cour constitutionnelle comme fondement de la confisca senza condanna porte clairement atteinte au droit d’être présumé innocent. En fait, ce point est si évident qu’il est difficile de croire que dans un État régi par l’état de droit tel que l’Italie une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention puisse être appliquée quitte à violer aussi frontalement l’article 6 § 2 de cette même Convention.

35. La déclaration « substantielle » de responsabilité me rappelle le verdict à moitié acquitté qui était pratiqué au Moyen-Âge, dans lequel, bien que les accusés fussent acquittés, une certaine culpabilité était prouvée sur la base de certains éléments et les intéressés étaient un tant soit peu sanctionnés. À mon avis, la situation d’une personne qui bénéficie d’une déclaration de prescrizione mais qui est néanmoins soumise à une ordonnance de confiscation sur la base d’une déclaration indiquant que les faits sont prouvés et que la culpabilité est établie est très similaire à celle des personnes qui étaient autrefois à moitié acquittées. Veillons néanmoins à ne pas oublier qu’une Révolution a eu lieu en 1789, entre autres pour mettre un terme à pareille absurdité. Tirer les leçons de l’histoire permettrait parfois de ne pas répéter les mêmes erreurs encore et encore.

C. Le critère volatil du « droit consolidé » (§§ 36-56)

i. La distorsion d’une jurisprudence bien établie (§§ 36-42)

36. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle définit les nouvelles modalités de la relation entre le droit conventionnel, tel qu’interprété par la Cour, et le droit constitutionnel. De son point de vue, l’effet inter partes de l’arrêt de la Cour est indéniable et lie le juge national dès le prononcé de l’arrêt par la Cour, mais il doit être distingué de son effet erga omnes, que la Cour constitutionnelle ne nie pas mais qu’elle laisse à la discrétion des juges nationaux[122]. Les juridictions nationales peuvent accorder cet effet à un arrêt correspondant au « droit consolidé » et le refuser à un arrêt ne correspondant pas au « droit consolidé ». Cette conclusion est censée être confirmée par la structure de la Cour (cinq sections avec un mécanisme de renvoi devant la Grande Chambre) et ses méthodes de travail (opinions dissidentes). Bien que la Consulta ne déclare pas explicitement quels sont les critères permettant d’identifier le « droit consolidé », elle suggère certains indices qui trahissent une jurisprudence « non consolidée », comme le caractère inédit du principe énoncé dans la jurisprudence par rapport à la jurisprudence antérieure, l’existence d’opinions dissidentes, un arrêt de chambre non confirmé par la Grande Chambre et un doute quant à la prise en compte des spécificités de l’ordre juridique interne[123].

37. Les procédures et critères par lesquels le système judiciaire italien fait respecter la Convention relèvent de la sphère du droit interne, dont la Cour n’a pas à se préoccuper. Toutefois, comme le reconnaissent volontiers la Cour de Strasbourg ainsi que la Cour constitutionnelle italienne, c’est la Cour de Strasbourg qui est l’organe qui a le « dernier mot » sur l’interprétation de la Convention[124]. Dès lors, il appartient à cette Cour d’indiquer clairement que la notion de « droit consolidé » ne repose sur aucun fondement dans la jurisprudence de Strasbourg, comme elle l’a fait dans le présent arrêt.

38. Les juges du Palazzo della Consulta affirment que la notion de « jurisprudence consolidée » est reconnue à l’article 28 de la Convention et que cela démontre que même au regard de la Convention, il est admis que le pouvoir de persuasion des décisions est susceptible de fluctuer jusqu’à ce qu’une « jurisprudence bien établie » émerge. À l’appui de cette lecture, ils citent le rapport explicatif du Protocole no 14 à la Convention, lequel indique à propos de l’article 8 que la notion de jurisprudence bien établie désigne « la plupart du temps » la « jurisprudence constante d’une Chambre » ou que « par exception », un seul arrêt de principe de la Cour constitue une « jurisprudence bien établie, particulièrement s’il s’agit d’un arrêt de la Grande Chambre »[125].

39. La notion de jurisprudence bien établie diffère toutefois radicalement du concept de « droit consolidé » utilisé par la Cour constitutionnelle, malgré une apparente similitude. Tout d’abord, la fonction de la jurisprudence bien établie ne consiste aucunement à moduler la force normative ou la « densité persuasive » des arrêts et décisions de la Cour suivant le degré de « consolidation ». La jurisprudence bien établie a pour seule fonction de conférer à un comité la « compétence »[126] de statuer sur une affaire au lieu de la renvoyer à une section de la Cour. Ce n’est pas parce que la jurisprudence bien établie serait à quelque égard supérieure au reste de la jurisprudence, mais simplement parce qu’elle permet de recourir à une procédure « simplifiée »[127] pour les affaires répétitives[128]. Qui plus est, les requérants peuvent contester le caractère bien établi de la jurisprudence en invoquant l’article 28 § 3 de la Convention. La jurisprudence bien établie permet à la Cour d’opérer dans sa jurisprudence une distinction en fonction de la simplicité d’interprétation, mais n’est en rien révélatrice de la force contraignante de ses arrêts.

40. La Convention veut dire ce que la Cour considère que la Convention veut dire, ni plus ni moins. Les juridictions au sein des États membres ainsi que le grand public en général doivent pouvoir escompter que la Cour respectera ses décisions et arrêts antérieurs dans chaque affaire présentant des circonstances factuelles analogues, aussi nombreux que les précédents puissent être[129]. Cela vaut évidemment aussi pour les procédures d’arrêt « pilote » et « quasi pilote ». Bien qu’ils ne reposent pas sur la Convention mais sur le règlement de la Cour[130], ces arrêts sont des instruments classiques de contrôle de constitutionnalité qui jouent un rôle déterminant dans la solution apportée aux dysfonctionnements du droit interne ou à la non‑correction par le législateur des dysfonctionnements systémiques, mais ils ne sont pas revêtus d’une autorité interprétative spéciale ni d’une force juridique distincte. En fait, ils confirment pour l’essentiel la jurisprudence antérieure qui a été prononcée à l’égard de la partie contractante défenderesse ou d’autres parties contractantes[131]. Pour cette Cour, toute décision ou tout arrêt constitue une source d’interprétation qui fait autorité pour la Convention et constitue, comme la Cour constitutionnelle italienne l’admet elle-même, « le dernier mot »[132] à propos de sa signification. La Cour énonce ce principe en des termes simples : « ses arrêts ont tous la même valeur juridique. Leur caractère contraignant et leur autorité interprétative ne sauraient par conséquent dépendre de la formation de jugement qui les a rendus »[133].

41. La Cour prend grand soin non seulement d’opérer une distinction entre trois notions, à savoir la « valeur juridique », le « caractère contraignant » et l’« autorité interprétative », mais aussi d’inclure dans la phrase le mot fondamental « tous », de manière à lever le moindre doute sur son intention. Pour la Cour, quelle que soit la catégorie à laquelle appartient la formation de jugement compétente, chacun de ses arrêts définitifs devient res judicata entre les parties au litige et res interpretata à l’égard de toutes les parties contractantes. Le principe de l’« autorité interprétative » (res interpretata) de « tous » les arrêts de la Cour entre ainsi dans la jurisprudence de Strasbourg par la grande porte de cet arrêt de Grande Chambre[134].

42. Ce principe prive l’arrêt no 49/2015 de sa pierre angulaire théorique. En effet, la Cour réfute la notion de diritto consolidato qui se trouve au cœur de ce même arrêt. Ainsi, la Grande Chambre appelle la Cour constitutionnelle à revoir les modalités de sa relation avec la Cour et ne lui laisse aucune « marge d’appréciation » qui lui permettrait de s’en abstenir, puisque la Cour ne recourt pas à la marge d’appréciation en l’espèce[135] ; il n’est du reste pas non plus tenable d’invoquer la marge d’appréciation dans le cas des dispositions insusceptibles de dérogation telles que l’article 7 de la Convention[136], pas plus qu’il n’est admissible de recourir à cette doctrine pour refuser d’exécuter un arrêt définitif de la Cour dans l’ordre juridique interne[137].

ii. Le critère troublant de la « non-consolidation » du droit (§§ 43-56)

43. Une analyse détaillée des critères que la Cour constitutionnelle italienne met en œuvre dans le but de repérer le « droit non consolidé » trahit sa propension à créer une situation d’insécurité juridique dangereuse. Qui plus est, une étude plus attentive montrera qu’en elle-même, la notion de « droit consolidé » va à l’encontre du but recherché. Le premier critère invoqué par la Cour constitutionnelle italienne pour réfuter le caractère consolidé de la jurisprudence européenne est celui de la « créativité du principe affirmé par rapport à l’approche traditionnelle de la jurisprudence européenne ». On peine à comprendre ce que « créativité » signifie dans pareil contexte. En particulier, toute solution apportée à une situation factuelle qui se présente pour la première fois devant la Cour serait, ipso facto, « créative » dans un sens pertinent. Le « droit consolidé » ne pourrait donc pas émerger d’une seule affaire. Si cela était vrai, la Cour se retrouverait dans une situation absurde : lorsqu’elle aurait à examiner une seconde affaire présentant les mêmes circonstances factuelles, elle ne disposerait pas encore de « droit consolidé » pour étayer son analyse. Ce ne serait qu’après un nombre indéterminé d’affaires indépendantes qu’elle pourrait se conformer au « droit consolidé ».

44. Qui plus est, pour mettre en évidence la « créativité », il est nécessaire de comparer les caractéristiques pertinentes du contexte factuel et de la motivation en droit des différentes affaires de manière à pouvoir décider si la solution apportée à une affaire était « créative » ou « traditionnelle ». Ce travail de comparaison constitue toutefois un exercice intellectuel qui n’a rien d’évident ni d’innocent. Toutes les affaires étant différentes à certains égards, on pourrait dire que toutes les affaires sont « créatives » au sens fort du terme. L’interprète dispose ainsi d’un énorme pouvoir discrétionnaire pour discerner, parmi les affaires, celles qui sont contraignantes et celles qui ne le sont pas. Ce point est illustré encore plus clairement par le deuxième critère que mentionne la Cour constitutionnelle : « la possibilité de déceler des points de distinction, voire d’opposition par rapport à d’autres arrêts et décisions de la Cour de Strasbourg ». L’exercice consistant à distinguer ou à opposer des affaires entre elles ne va pas de soi et peut aboutir à des résultats très divers suivant la personne à laquelle cette mission est confiée et le contexte dans lequel elle l’exécute.

45. Le troisième critère avancé par la Cour constitutionnelle, celui de « l’existence d’opinions dissidentes, surtout si elles sont alimentées par des arguments solides », ne se révèle pas moins problématique. D’un côté, la « solidité » des arguments semble relever d’une évaluation bien trop subjective pour qu’elle puisse être considérée comme un indice sérieux du caractère contraignant d’un arrêt ou d’une décision – ou, comme en l’espèce, du caractère non contraignant du raisonnement contraire. D’un autre côté, et plus fondamentalement, les opinions dissidentes ne dévalorisent nullement la force juridique des arrêts auxquels elles sont jointes. De plus, considérer que les opinions dissidentes amoindrissent de quelque manière que ce soit la force juridique des arrêts reviendrait à investir individuellement les juges d’un pouvoir qu’ils ne peuvent pas logiquement détenir, ou être censés détenir, au sein d’un organe collégial tel que la Cour.

46. Le quatrième critère réside dans « le fait que la décision prise émane d’une formation ordinaire et qu’elle n’a pas été avalisée par la Grande Chambre ». Ce critère ne trouve pas non plus de fondement dans la Convention. Les arrêts définitifs délivrés par les chambres n’ont pas besoin d’être ratifiés par la Grande Chambre pour avoir une force juridique pleine et entière. La force juridique d’un arrêt de Grande Chambre est exactement la même que celle d’un arrêt de chambre.

47. Le cinquième et dernier critère énoncé par la Cour constitutionnelle est peut-être celui qui révèle le plus clairement les inconvénients qu’entraîne sur un plan pratique l’analyse effectuée par cette juridiction. Selon la Cour constitutionnelle, « le fait que dans l’affaire dont elle se trouve saisie, la Cour européenne n’a pas été en mesure d’apprécier les particularités du système juridique national et qu’elle lui a appliqué des critères d’appréciation conçus par référence à d’autres États membres et qui, au regard de ces particularités, se révèlent par contraste peu adaptés à l’Italie », priverait un arrêt de sa force obligatoire dans des affaires similaires. Pareille situation se produirait à chaque fois qu’une juridiction nationale considère que la Cour de Strasbourg a appliqué à mauvais escient à un État un principe juridique qu’elle jugeait applicable à un autre État. Sur un plan qualitatif, cela revient à dire que les juridictions nationales ne devraient pas suivre les arrêts et décisions de la Cour de Strasbourg lorsqu’elle les pense « peu adaptés à l’Italie ».

48. Quel que soit l’angle sous lequel on l’analyse, ce cinquième critère repose sur des hypothèses erronées. Lorsqu’ils admettent que la Cour ne prend pas en compte les particularités du système juridique national, les juges du Palazzo della Consulta supposent soit que la Cour ignore les informations sur le droit national communiquées par les deux parties, les tiers intervenants et sa propre division interne de la recherche, soit qu’elle a reçu des informations erronées de la part de tous les acteurs susmentionnés. De plus, la Cour constitutionnelle oblitère le fait que dans son exercice de mise en balance, la Cour de Strasbourg prend en considération les multiples facteurs qui ont trait à « la protection des droits et libertés d’autrui » ainsi que d’autres intérêts sociaux objectifs comme la sécurité nationale, l’intégrité territoriale ou la sûreté publique, le bien-être économique du pays, la défense de l’ordre et la prévention des infractions pénales, la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, et la protection de l’autorité ou de l’impartialité du pouvoir judiciaire (par exemple, articles 8-11 de la Convention) et même les exigences imposées par les situations d’urgence (article 15 de la Convention), et qu’elle se livre à cet exercice dans le cadre du système juridique du Conseil de l’Europe[138]. Pire encore, lorsqu’elle souligne la prévalence des particularités du système juridique national dans son propre exercice de mise en balance des droits garantis par la Convention avec les intérêts constitutionnels en jeu, la Cour constitutionnelle prend une position hostile à la cause des droits de l’homme universels, ou du moins en donne l’impression, et limite donc rigoureusement sa propre jurisprudence sur l’effet erga omnes des arrêts de la Cour[139].

49. Les problèmes posés par le dernier critère apparaissent plus clairement s’ils sont envisagés en conjonction avec les deux premiers critères. Si la Cour de Strasbourg statue sur une affaire trouvant son origine dans l’État membre A par référence à une affaire analogue tranchée dans l’État membre B, la juridiction interne pourrait accuser la Cour d’avoir indûment procédé à une « extension » qui ne prend pas correctement en compte les spécificités du pays. En revanche, si la Cour statue sur l’affaire en recourant à un raisonnement nouveau, la juridiction interne pourrait l’accuser d’avoir fait preuve de « créativité ». Dans aucun de ces deux cas la décision ne constituerait du « droit consolidé ».

50. Enfin, fait tout aussi troublant que les critères en eux-mêmes, la Cour constitutionnelle considère que le droit « consolidé » (et donc contraignant) n’existe pas à chaque fois que « tout ou partie » des critères susmentionnés sont présents. Si chacun des critères exposés conférerait un pouvoir discrétionnaire énorme à celui qui l’interprète, la combinaison de tous ces critères remettrait en question plus directement le sens même de la jurisprudence européenne.

51. Il est déconcertant de constater que les critères permettant de déceler le droit non consolidé reposent sur une interprétation erronée de la structure de la Cour, puisque les articles 27, 28, 42 et 44 de la Convention énoncent les conditions dans lesquelles les arrêts rendus et les décisions prises respectivement par les formations de juge unique, les comités, les chambres et la Grande Chambre deviennent eux-mêmes définitifs et que ni par leur lettre ni par leur esprit ils ne confirment l’hypothèse sous-entendue par la Cour constitutionnelle d’une différence dans la force juridique de ces arrêts et décisions. Qui plus est, ces critères brossent un portrait peu flatteur de la jurisprudence de la Cour qui est loin d’être étayé par des preuves, par exemple lorsqu’il est suggéré qu’il peut y avoir certains arrêts dans lesquels la Cour « en substance » ne dit rien (non dica nulla), ou que les arrêts rendus dans des sphères du droit nouvelles sont susceptibles de « révision », et plus largement, qu’une partie de la jurisprudence de la Cour ne concorde pas avec une « approche plus traditionnelle de la jurisprudence européenne », quelle que soit la manière dont on la définit. Et surtout, l’effet visé par ces critères consiste à libérer les juges ordinaires de l’obligation que leur impose la Convention de donner leur plein effet aux arrêts de la Cour[140].

52. Fait surprenant, la Cour constitutionnelle est prête à admettre que chaque juge ordinaire exerce un contrôle diffus du caractère « consolidé » des arrêts de la Cour. Ainsi, en 2015, les juges ordinaires ont regagné un pouvoir véritablement illimité sur l’application de la Convention que la première paire « d’arrêts jumeaux » avait cherché à limiter strictement. Il faut toutefois noter une différence majeure. Si jusqu’en 2007, les juges ordinaires avaient le dernier mot sur l’application de la Convention au détriment du droit national, en 2015 ils ont gagné le pouvoir d’écarter l’application des arrêts de la Cour lorsqu’ils estiment que ces arrêts ne constituent pas du « droit consolidé ». Dans un langage sociologique, on dirait que la redistribution des pouvoirs qui s’est opérée en 2015 entre la Cour de Strasbourg et la Cour constitutionnelle a renforcé la position de cette dernière, mais que cela n’a pas été sans conséquences sur le plan interne, puisque la redistribution des pouvoirs entre juges ordinaires et juges constitutionnels a affaibli la position de ces derniers. Il apparaîtrait que la préoccupation suscitée par l’autorité croissante de la jurisprudence de la Cour était si profonde après les affaires Maggio et autres[141] et Agrati et autres[142] que le Giudice delle leggi a estimé qu’il pouvait s’appuyer sur les juges ordinaires non seulement pour faire un premier contrôle de cette jurisprudence mais aussi pour lui servir d’alliés dans leur confrontation avec Strasbourg.

53. Pendant les trois années qui se sont écoulées depuis l’arrêt no 49 de 2015, la Cour constitutionnelle n’a pas donné davantage d’indications sur la manière dont les critères permettant d’identifier le droit consolidé devaient être interprétés ou appliqués. Dans son arrêt no 184 de 2015, par exemple, elle a recouru à la notion de consolidata giurisprudenza europea pour interpréter l’article 6 de la Convention tel qu’appliqué en interne[143]. Elle n’a pas expliqué comment cette « consolidation » devait être appréciée. Des commentaires superficiels similaires à propos du « droit consolidé » sont formulés par exemple dans les arrêts no 187 de 2015[144], no 36 de 2016[145], no 102 de 2016[146], no 200 de 2016[147] et no 43 de 2018[148]. À d’autres occasions, la Cour constitutionnelle s’est contentée de faire allusion à une non-application des arrêts de la Cour de Strasbourg sur le fondement des critères énoncés dans l’arrêt no 49 de 2015. Ainsi, dans son arrêt no 166 de 2017, la Cour constitutionnelle n’a inclus aucune référence à la notion de diritto consolidato dans son appréciation juridique, bien que l’État l’ait fait. Le Giudice delle leggi a cependant relevé que l’arrêt Stefanetti c. Italie avait été délivré par la Cour « mais avec l’opinion dissidente de deux de ses membres »[149].

54. Il n’est donc guère surprenant que l’utilisation du critère du « droit consolidé » par les juges ordinaires se soit révélée plutôt chaotique, à tout le moins, comme le montre la réception de l’arrêt de Grande Chambre De Tommaso[150]. La manière dont ce critère a été appliqué donne l’impression qu’il fait un peu office de « joker » qui permet de tirer toute conclusion qui serait avantageuse pour les autorités nationales. Le « droit consolidé » d’un juge sera le « droit non consolidé » d’un autre juge. Tout est possible.

55. En résumé, en l’état actuel de la jurisprudence constitutionnelle italienne, la Constitution et la Convention contiennent des catalogues de droits fondamentaux qui sont reliés entre eux et qu’il s’agit d’articuler dans le but de maximiser la protection des droits conventionnels et constitutionnels. Cette tâche revient au législateur et aux juridictions internes, qui ont le devoir d’interpréter le droit interne en conformité avec les normes de la Convention telles qu’interprétées par la Cour de Strasbourg[151]. En cas de conflit entre le droit interne et la Convention, il appartient à la Cour constitutionnelle de le résoudre, les juges ordinaires ne disposant pas du pouvoir de refuser d’appliquer une règle interne incompatible. Seul le droit consolidé peut entraîner un conflit puisque le droit non consolidé ne mérite même pas d’effet erga omnes. Si la jurisprudence consolidée de la Cour est incompatible avec la Constitution, c’est la Constitution qui prévaut et la loi qui a transposé la Convention sera déclarée partiellement invalide par la Cour constitutionnelle.

56. Du point de vue de Strasbourg, la solution de la Cour constitutionnelle revient à la possibilité omniprésente d’une déclaration d’inconstitutionnalité partielle de la loi de 1955 qui ne pourrait pas être mise en œuvre devant le Conseil de l’Europe sans une dénonciation de la Convention puisque les réserves faites à la carte ne sont pas compatibles avec la Convention et certainement pas avec son article 7.

Partie II – La réponse de Strasbourg à Rome (§§ 57-90)

IV. La place de la Cour en Europe (§§ 57-71)

A. L’esprit du temps (§§ 57-63)

i. La Cour en proie à de forts vents contraires (§§ 57-60)

57. Dans une Europe fortement polarisée et désordonnée, déstabilisée par l’implosion des partis majoritaires traditionnels et l’émergence de nouveaux arrivants populistes, troublée par des luttes économiques croissantes et la guerre à ses frontières, la politique se tourne vers un pur chauvinisme ethno-religieux. Le chauvinisme, ce ne sont pas seulement des personnes qui agissent contre la dignité inhérente à tout être humain, ce sont les avantages matériels que le chauvin et sa classe tirent de l’exercice du pouvoir, c’est la manière perverse dont le pouvoir est exercé dans la société. Placer la peur au cœur de la conscience individuelle dans une logique primitive d’homo homini lupus et semer la méfiance entre les pays dans une logique basique de regnum regno lupus est essentiel pour atteindre leur objectif de saper la crédibilité du système de la Convention, monter davantage les Européens les uns contre les autres et affaiblir la cohésion du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne. Cette même peur a inspiré les purges, les listes noires, les déportations et, dans certains cas, la discrimination et le meurtre cautionnés par l’État.

58. Les lignes de faille politiques d’hier disparaissent au profit des partis extrémistes et des mouvements populistes qui sont apparus aux deux extrémités du spectre politique. L’un des principaux points communs entre ces partis et mouvements est leur flot sans précédent de verbiage belliqueux contre la Cour, fondé sur des informations erronées, inexactes et faciles à réfuter. Une attitude aussi méprisable en dit long sur les valeurs sociales et politiques de ces partis et mouvements et sur leur attachement inexistant à la culture européenne des droits de l’homme. Ces dernières années, le ressentiment contre la Cour a atteint un niveau alarmant, attisant une rage sectaire contre le système de la Convention lui-même. La rhétorique de la Convention qui serait une « charte de scélérats », qui protègerait les terroristes, les pédophiles et toutes sortes de criminels contre la majorité innocente, les migrants abusifs et paresseux contre les travailleurs dévoués, ou les minorités privilégiées contre l’homme de la rue défavorisé, reflète la peur exacerbée du marginal, de ce qui est étranger ou différent.

59. Deux courants critiques semblent avoir fusionné : d’un côté, l’idée omniprésente que la portée universelle de la Cour est une menace pour la démocratie locale ; de l’autre, l’affirmation cynique selon laquelle le droit des droits de l’homme tel qu’il est appliqué par la Cour repousse les limites de la notion de droit voire, à franchement parler, ne relève absolument pas du droit. À force de répétition, ces idées ont fini par acquérir une crédibilité factice. Il est difficile de les distinguer des autres signes d’une idéologie réactionnaire qui accapare l’espace médiatique par ses cris alarmistes, affirmant que l’État perd le contrôle de ses frontières et que l’Europe perd le contrôle de son identité. Cette rhétorique est imprégnée d’idées rebattues sur une Europe subissant les assauts des forces quasi-hérétiques de la modernité et des gouvernements constamment assiégés par des organisations internationales aux visées politiques qui ne cessent de croître. Une telle rhétorique a depuis longtemps effacé la ligne de démarcation qui séparait la proclamation de contrevérités d’une critique des avancées de la jurisprudence. Convaincue qu’il suffit de formuler un souhait pour qu’il se réalise, elle raille l’idée d’universalité des droits de l’homme dans le but de revoir l’acquis civilisationnel de la Cour et de faire reculer cette dernière.

60. Le problème principal est que ce récit politiquement motivé, qui vise à bouleverser le système de la Convention tel qu’il a été construit et a évolué au cours des soixante dernières années, a contaminé le discours, sinon le cœur, des plus hauts représentants judiciaires dans certains pays. La présente affaire était une excellente occasion pour la Cour de lutter contre ces forts vents contraires et de défendre le principal atout du système européen de protection des droits de l’homme et la garantie fondamentale du système de la Convention lui-même, à savoir la force obligatoire des arrêts de la Cour. Pour l’essentiel, la Cour a su saisir cette opportunité.

ii. Une approche du droit pénal privilégiant l’efficacité (§§ 61‑63)

61. Il est vrai que la majorité rejette la nature de sanction administrative de la confisca urbanistica, mais elle n’offre aucune discussion crédible sur les arguments contraires opposés par le gouvernement défendeur, qui continue de qualifier ladite mesure de misura di natura reale e di carattere ripristinatorio (mesure portant sur un droit réel et de nature réparatrice)[152]. La majorité a en effet choisi de ne pas répondre à l’appel que j’avais lancé dans mon opinion séparée jointe à l’arrêt Varvara, où j’évoquais l’état problématique de la jurisprudence en matière de confiscation. Au lieu de mettre un peu d’ordre à cet égard dans la jurisprudence de la Cour, la majorité préfère rendre un arrêt strictement limité à la confisca urbanistica, comme cela est affirmé au paragraphe 155 de l’arrêt, sans relier l’appréciation juridique qu’elle fait de ladite mesure à d’autres formes de confiscation qui ont déjà fait l’objet d’un examen de la Cour[153].

Après avoir résolu la question de l’applicabilité de l’article 7 de façon aussi peu satisfaisante, la majorité aborde le cœur de l’affaire de la même manière. Il est vrai qu’elle confirme le principe nulla poena sine culpa tel que consacré dans l’affaire Sud Fondi[154]. Selon le paragraphe 242 du présent arrêt, en effet, l’article 7 exige, pour punir, un lien de nature intellectuelle[155]. Mais en dépit de cette confirmation, la majorité revient immédiatement sur sa propre position et concède au paragraphe suivant que cette exigence ne fait pas obstacle à certaines formes de « responsabilité objective opérant à travers des présomptions de responsabilité », reprenant ainsi le cœur du malheureux paragraphe 70 de l’arrêt Varvara. On en vient à se demander comment deux perspectives radicalement opposées de l’article 7, voire du droit pénal lui-même, peuvent être confirmées par la même juridiction et on s’attendrait à ce que la majorité fournisse au lecteur une explication de cet imbroglio juridique. Mais elle omet tout simplement de fournir une articulation entre ces deux déclarations contradictoires tant sur le plan logique qu’axiologique. La seule justification qu’elle donne est que, la Cour ayant accepté certaines formes de présomption de responsabilité sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, elle « estime que la jurisprudence décrite ci-dessus s’applique mutatis mutandis sur le terrain de l’article 7 »[156]. Cette très regrettable confusion entre les garanties procédurales de l’article 6 et les garanties matérielles de l’article 7 ne s’arrête pas là.

62. À cet égard, le présent arrêt est dans l’air du temps. Malheureusement, la majorité semble fourvoyée par une approche du droit pénal privilégiant uniquement l’efficacité. Comme cela est souligné dans l’opinion dissidente commune, le paragraphe 260 du présent arrêt ressemble fort à une tentative faite sans conviction d’entériner la confisca urbanistica senza condanna sur la base de besoins non négociables de « prévention des infractions » et de lutte contre des « infractions complexes », quoi que cela puisse signifier. Ce type de raisonnement est indissociable de l’amalgame politique idéologiquement rétrograde aujourd’hui dominant, qui est composé d’une approche purement rétributiviste du droit pénal[157], d’une procédure pénale privilégiant uniquement les intérêts de la police[158], d’un droit pénitentiaire délibérément durci et justifié par l’argument du « bien mérité »[159] et d’une politique de « crimmigration » réellement inhumaine[160], sans pour autant offrir la moindre justice pour les victimes de graves infractions telles que la torture[161]. Une jurisprudence aussi liberticide montre le pire visage de l’Europe dans l’histoire récente du droit pénal, comme si Beccaria n’avait jamais écrit Dei delitti e delle pene.

63. Dans cet état d’esprit erroné, en appliquant l’article 7 à M. Gironda, la majorité va jusqu’à admettre l’inadmissible dans un État régi par le principe de la primauté du droit : elle troque en effet les garanties de l’article 7, insusceptibles de dérogation, contre les droits reconnus par l’article 6, auxquels il peut être dérogé[162]. Qui plus est, dans son effort apparent pour sauver à tout prix la confisca urbanistica senza condanna dans le cas de M. Gironda, la majorité se contredit. Tout en affirmant que la confisca senza condanna n’est admissible sous l’angle de l’article 7 de la Convention que « pour autant que les juridictions en question aient agi dans le strict respect des droits de la défense consacrés par l’article 6 de la Convention »[163], elle conclut à une violation de l’article 6 § 2 de la Convention à l’égard de M. Gironda, mais à la non-violation de l’article 7. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi la majorité n’applique pas son propre critère au cas de M. Gironda. En l’espèce, les juridictions n’ont pas agi « dans le strict respect » de l’article 6. Par conséquent, en application du critère dégagé par la majorité elle-même, il devrait y avoir violation non seulement de l’article 6, mais aussi de l’article 7. Quoi qu’il en soit, en fin de compte, la confisca urbanistica senza condanna n’est pas sauve puisqu’elle méconnaît toujours la présomption d’innocence, comme le reconnaît la Grande Chambre de manière presque unanime[164].

B. L’acquis civilisationnel de la Cour (§§ 64-67)

i. L’extraordinaire héritage de la Cour (§§ 64-65)

64. Pour chaque once de critique envers la Cour, il y a une livre d’éloges. Par le biais de ses décisions et arrêts contraignants, la Cour a exercé une admirable suprématie au niveau mondial dans le domaine de la protection des droits de l’homme, incitant l’humanité à progresser dans les États membres et au-delà. Dans une Europe où de trop nombreuses personnes sont confrontées à une trop grande souffrance et ne bénéficient que de trop peu d’opportunités, la Cour a le plus souvent porté le flambeau du progrès, promouvant la cause des minorités, des marginaux, des exclus, des honnis, des dépossédés, des défavorisés, des non-votants, des intouchables, des parias, de tous ces enfants du silence laissés pour compte par les États et les juridictions internes.

65. La Cour a cherché à être un toit sous lequel chacun pourrait se blottir pour rester à l’abri des multiples tempêtes qui ont balayé l’Europe par le passé, et des nombreuses autres qui se profilent à l’horizon. Bien au-delà des atteintes alléguées à des droits civils et politiques fondamentaux, la Cour a écouté la voix de ceux qui appartiennent au plus bas échelon de la hiérarchie sociale, de ceux qui se sentent mis à l’écart, dont l’aspiration à l’amélioration est étouffée par un système d’éducation publique appauvri, étranglée par un système de santé publique sous-financé et en sous-effectif et négligée par un système judiciaire surchargé, parfois indifférent. Dans ce contexte troublé, la Cour ne s’est pas abstenue de répondre aux préoccupations quotidiennes de la classe populaire en difficulté, comme elle l’a fait par exemple pour l’accès des étrangers aux prestations sociales. Prenons l’exemple révélateur de l’Italie.

ii. L’exemple révélateur de l’Italie (§§ 66-67)

66. En Italie, l’héritage de la Cour est extrêmement riche et il a eu un impact sur de nombreux domaines du droit, dont la procédure pénale (notamment la publicité obligatoire des débats judiciaires[165], l’exclusion des procédures par défaut[166], l’indemnisation en cas de procédure excessivement longue[167] et le mécanisme de révision de la chose jugée sur la base d’un arrêt de la Cour[168]), le droit pénal (le principe de la rétroactivité de la loi plus favorable [169] et la réhabilitation après condamnation [170]), le droit pénitentiaire (les conditions de détention dans les prisons surpeuplées[171] et les conversations téléphoniques des détenus[172]), le droit civil (le principe de non-rétroactivité[173]), le droit de la famille (le droit au mariage des étrangers[174], le droit au regroupement familial[175] et la rétroactivité de la loi assimilant les enfants nés hors mariage à ceux issus du mariage[176]), le droit de la faillite (le statut personnel du failli[177]), le droit médical (la procréation médicalement assistée[178] et la recherche scientifique sur les embryons[179]), le droit de la sécurité sociale (la non-discrimination dans l’accès des étrangers aux prestations sociales[180]), le droit du travail (la liberté syndicale[181]), le droit administratif (l’expropriation pour cause d’utilité publique[182]) et même le droit constitutionnel (l’immunité parlementaire[183]). En somme, la jurisprudence de la Cour a profondément influencé le contrôle constitutionnel à l’italienne et a « amené la Cour constitutionnelle à réviser sa jurisprudence antérieure et à développer de nouveaux principes et normes »[184].

67. Pareil impact a attiré à la Cour, par le passé, l’antipathie de partis des deux côtés de l’échiquier politique ainsi que d’une puissante élite de combattants politiques habiles, qui ont uni leurs forces dans une coalition englobant les partisans néo-libéraux qui détestent toute intervention de l’État et les admirateurs de l’État-nation qui sont viscéralement opposés à toute forme de courtoisie internationale et d’alliance. L’humeur est sanguine dans certains milieux en Europe. Certains dirigeants poussent les populations vers leurs pires instincts et nourrissent leur base politique d’arguments agressifs sur des questions délicates comme la politique pénale, l’immigration ou les minorités. Ces idées ont de plus en plus de prise. Elles sont défendues par une masse aussi puérile que ses dirigeants. L’esprit souverainiste et étroit se voit dans les réactions à certains arrêts « gênants » de la Cour. Dans leur croisade contre les principes établis du droit international et les principes fondamentaux du système de la Convention, certains gouvernements et leurs protégés prétendent que leur appropriation de la Convention signifie que les tribunaux nationaux ont le dernier mot sur son interprétation et, surtout, sur l’exécution des arrêts de la Cour. L’attrait du message aspire à faire perdre de vue la différence entre le pouvoir des Parties contractantes sur le sort de la Convention en tant que traité international et le rôle unique et inconditionnel de la Cour pour déterminer son contenu conformément à l’article 19 de la Convention et imposer son interprétation par des arrêts ayant un effet direct et contraignant dans l’ordre juridique de toutes les Parties contractantes.

C. Quel dialogue judiciaire ? (§§ 68-71)

i. La logique antagoniste du « nous et eux » (§§ 68-69)

68. Certaines juridictions nationales n’ont pas résisté au virage populiste actuel qui tend à faire de la Cour le bouc-émissaire de tous les fléaux de l’Europe. Sous la devise séduisante du « dialogue judiciaire » entre les juridictions nationales et la Cour se cache un stratagème cynique qui vise à ébranler les piliers du système de la Convention[185]. Suivant la logique amère, conflictuelle et antagoniste du « nous et eux », certaines juridictions nationales ont remis en cause la force juridique des arrêts gênants de la Cour en préconisant une interprétation westphalienne des droits de l’homme centrée sur l’État, qui donnerait la priorité au pouvoir réglementaire discrétionnaire des gouvernements sur les droits fondamentaux des citoyens. Les leçons de l’histoire ne pourraient être plus éloignées de leur esprit. Dompter la Cour est un défi pour leurs ambitions croissantes.

69. Ne nous laissons pas embourber dans un jargon juridique et des détails techniques. Les déclarations pieuses selon lesquelles le dialogue judiciaire réaffirmera l’engagement des Parties contractantes à respecter des principes établis de longue date qui garantissent l’intégrité du système de la Convention n’ont servi qu’à masquer une animosité malveillante envers la Cour tendant à entraver toute poussée vers une action plus ambitieuse de la part de cette dernière. La marge de réaction de la Cour est de plus en plus réduite.

ii. La lutte par procuration pour la survie du droit international (§§ 70-71)

70. Le présent arrêt s’avère un bon aperçu des maux qui pourraient nous assaillir dans un futur proche. Certaines autorités nationales parient sur l’échec du système européen des droits de l’homme. Elles ne s’arrêtent devant aucun tabou. Après l’adoption en Russie de la loi du 15 décembre 2015 qui accordait à la Cour constitutionnelle russe le pouvoir de déclarer inexécutables les décisions d’instances internationales, dont celles de la Cour, si elles contredisaient la Constitution russe, la sonnette d’alarme aurait dû être tirée en Europe[186]. Le fait que, dans son arrêt qui a ouvert la porte à cette loi[187], la Cour constitutionnelle russe ait cité comme source d’inspiration, entre autres, l’arrêt no 264/2012 rendu par la Cour constitutionnelle italienne dans l’affaire des pensions de retraite suisses n’est pas un signe particulièrement apaisant. Lorsque le tabou le plus fort cède, comme cela a été le cas en décembre 2015, rien ne s’oppose à l’effondrement des plus faibles.

71. Dans leur lutte finale contre le droit international et les juridictions internationales, les cavaliers de l’esprit de clocher ne seront arrêtés que par un solide raisonnement juridique fondé sur des principes, qui peut à la fois dénoncer leur discours hautain et égoïste, convaincre la communauté juridique et apaiser les craintes de la classe populaire. Le choix des juridictions internes, en particulier des cours constitutionnelles et suprêmes, apparaît aujourd’hui clairement : adhérer à la vision cosmopolite des droits de l’homme universels en tant que limitation de la souveraineté des États[188], ou embrasser la vision opposée du repli sur soi du droit interne en tant que réserve inexpugnable de la souveraineté, et par conséquent de droits de l’homme universels considérés comme « une absurdité sur des échasses », pour reprendre l’expression de Bentham. C’est une lutte par procuration entre partisans et opposants du droit international.

V. Le « dernier mot » à la Cour (§§ 72-90)

A. L’« autorité interprétative » de l’arrêt de la Cour (§§ 72‑80)

i. De l’effet res interpretata à l’effet erga omnes de l’arrêt de la Cour (§§ 72‑77)

72. La Convention n’oblige pas seulement les États à faire respecter, conformément à l’article 46 de la Convention, la force obligatoire d’un arrêt de la Cour à l’égard des parties au litige, mais aussi à empêcher qu’une violation constatée dans un arrêt ne soit répétée à l’égard de tiers[189]. C’est l’une des conséquences du principe de subsidiarité et de son rôle essentiel dans l’architecture du système de la Convention. En particulier, les juridictions nationales doivent interpréter et appliquer le droit interne conformément à la Convention et à la jurisprudence de la Cour. Ainsi, s’il incombe au premier chef aux autorités nationales d’interpréter et d’appliquer le droit interne, la Cour doit vérifier si la manière dont le droit est interprété et appliqué produit des effets conformes aux principes de la Convention[190] tels qu’interprétés au regard de sa jurisprudence[191].

73. S’agissant d’une conséquence du principe de subsidiarité, cette règle s’applique également en dehors des limites étroites des articles 41 et 46 de la Convention, qui concernent principalement les relations entre les parties au litige. Cela ressort également de la déclaration de Brighton, dans laquelle les États membres se sont engagés à garantir « [l]a pleine mise en œuvre de la Convention au niveau national [qui] suppose que les États parties prennent des mesures effectives pour prévenir les violations »[192]. À cette fin, « [t]outes les lois et politiques devraient être conçues et tous les agents publics devraient exercer leurs responsabilités d’une manière qui donne plein effet à la Convention ». Ainsi, « [l]es juridictions et instances nationales devraient prendre en compte la Convention et la jurisprudence de la Cour ».

74. Par ailleurs, les mesures qu’un État est tenu de prendre pour l’exécution d’un arrêt ne se bornent pas à celles qui concernent le requérant. C’est la conséquence des considérations susmentionnées concernant la subsidiarité. Lorsque la violation provient d’un problème structurel, l’État défendeur doit, au contraire, prendre les mesures générales appropriées pour y remédier afin d’éviter que la même violation puisse affecter d’autres personnes. Selon la jurisprudence constante de la Cour, en cas de constat d’une violation contre un État,

« [c]elui-ci est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à prendre des mesures individuelles et/ou, le cas échéant, générales dans son ordre juridique interne, afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer les conséquences, l’objectif étant de placer le requérant, autant que possible, dans une situation équivalente à celle dans laquelle il se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de la Convention »[193].

75. Cela est bien évidemment lié au fait que la Cour se fonde sur des principes pour statuer[194]. Celle-ci a rappelé à maintes reprises que

« ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont assumés en leur qualité de Parties contractantes »[195].

76. Les arrêts de la Cour ayant tous la même valeur juridique, le même caractère contraignant et la même autorité interprétative[196], l’application de cette règle ne saurait dépendre, comme le laisse penser la Cour constitutionnelle italienne dans son arrêt no 49/2015, de la formation de jugement qui les a rendus[197]. Certes, il n’est pas exclu que la signification de certains arrêts doive parfois être clarifiée. Un échange jurisprudentiel entre la Cour et les juridictions internes concernées peut alors répondre à cette nécessité, sans que cela puisse toutefois avoir pour conséquence de suspendre les obligations de ces dernières au regard de la jurisprudence de Strasbourg.

En d’autres termes, la valeur juridique de l’arrêt de la Cour englobe non seulement son effet obligatoire inter partes (son « caractère contraignant » pour reprendre les termes utilisés par la Cour) mais aussi son « autorité interprétative », tout aussi importante. En le nommant, la Cour a transformé le concept doctrinal de l’« autorité interprétative » (res interpretata) de ses arrêts en un principe d’interprétation et d’application de la Convention juridiquement contraignant. Il ne s’agit plus d’une simple énonciation doctrinale, mais d’un principe juridique à part entière, judiciairement sanctionné et régissant l’effet des arrêts de la Cour. En ce sens, l’arrêt de la Cour a un effet erga omnes à l’égard de toutes les Parties contractantes, même s’il n’a été prononcé qu’à l’égard de l’une ou certaines d’entre elles[198]. Cela correspond à la reconnaissance judiciaire d’un engagement que les Parties contractantes ont pris dès la déclaration d’Interlaken :

« 4. La Conférence rappelle la responsabilité première des États parties de garantir l’application et la mise en œuvre de la Convention, et, en conséquence, appelle les États parties à s’engager à :

(...)

c) tenir compte des développements de la jurisprudence de la Cour, notamment en vue de considérer les conséquences qui s’imposent suite à un arrêt concluant à une violation de la Convention par un autre État partie lorsque leur ordre juridique soulève le même problème de principe ; »[199]

77. On peut également trouver confirmation de cette approche dans la déclaration de Brighton, où il est affirmé que « [l]es requêtes répétitives ont le plus souvent pour origine des problèmes systémiques ou structurels au niveau national » et qu’il « incombe aux États parties concernés, sous la surveillance du Comité des Ministres, de faire en sorte que ces problèmes et les violations qui en découlent soient réglés dans le cadre de l’exécution effective des arrêts de la Cour »[200]. Par ailleurs, « [p]ar sa surveillance, le Comité des Ministres veille à ce qu’il soit donné suite de manière appropriée aux arrêts de la Cour, y compris par la mise en œuvre de mesures générales destinées à résoudre des problèmes systémiques plus larges »[201]. Enfin, les États sont encouragés « à développer des moyens et des mécanismes au plan interne pour assurer l’exécution rapide des arrêts de la Cour »[202].

ii. Du repli sur soi constitutionnel au constitutionnalisme à plusieurs niveaux (§§ 78-80)

78. Ces obligations s’étendent au droit constitutionnel des États parties à la Convention. L’article 1 de la Convention ne fait aucune distinction quant au type de normes ou mesures en cause et n’exclut aucune partie de la « juridiction » des États membres de l’empire de la Convention. C’est donc par l’ensemble de leur « juridiction » – laquelle, souvent, s’exerce d’abord à travers la Constitution – que lesdits États répondent de leur respect de la Convention[203]. En outre, pareille approche est conforme à l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités selon lequel un État ne peut invoquer les dispositions de son droit interne, y compris de son droit constitutionnel, pour justifier la non-exécution d’un traité[204].

79. L’époque du repli sur soi constitutionnel est dépassée en Europe. À l’heure du constitutionnalisme à plusieurs niveaux, la Convention est un « instrument constitutionnel de l’ordre public européen »[205]. Elle prévaut ainsi sur les dispositions et intérêts constitutionnels des Parties contractantes non seulement à Malte[206], en Irlande[207], en Bosnie[208], en Russie[209] et en Hongrie[210], mais aussi en Italie et dans tous les autres États membres du Conseil de l’Europe. En termes dogmatiques, du point de vue de Strasbourg, la distinction surannée entre ordres constitutionnels monistes et dualistes est devenue sans objet et n’a aucun effet sur la force obligatoire de la Convention, selon l’interprétation qu’en donnent les arrêts de la Cour, dans le droit interne des Parties contractantes[211]. Ce constitutionnalisme à plusieurs niveaux, défendu et pratiqué par le Conseil de l’Europe, va au-delà de cette distinction en ce qu’il cherche une reductio ad unitatem dans les questions relatives aux droits fondamentaux dans tous les États membres[212].

80. Comme le montre bien l’affaire Baka[213], ce principe selon lequel la Convention prévaut sur les dispositions et intérêts constitutionnels des Parties contractantes est particulièrement important dans le contexte politique actuel en Europe, à l’heure où des « démocraties illibérales » étendent les limites de leurs constitutions en adoptant des dispositions contraires aux principes fondamentaux du droit de la Convention, tels que le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Si les Parties contractantes veulent une Cour de Strasbourg assez forte pour résister aux autorités nationales qui sont grundrechtsfeindlich (hostiles aux droits de l’homme), alors elles devront également l’affronter lorsqu’elle frappe à leur porte. Le système de la Convention est évidemment incompatible avec une logique hypocrite NIMBY (« Not in my backyard! », pas dans mon arrière-cour) qui prétendrait que les droits de l’homme universels sont une bonne chose pour les autres, mais une mauvaise chose pour soi-même.

B. Une doctrine constitutionnelle des droits de l’homme privilégiant la Convention (§§ 81-86)

i. L’intégration de la Convention dans l’ordre constitutionnel et juridique (§§ 81‑84)

81. Il convient d’observer que la Cour constitutionnelle italienne a déjà intégré de nombreux principes de la Convention dans le droit interne, développant une théorie constitutionnelle des droits fondamentaux sensible à la Convention. Dans son arrêt no 349/2007, elle souligne ainsi que le système de la Convention « garantit l’application d’un niveau uniforme de protection au sein de tous les États membres ». Pour plus de précision, la Convention est un traité normatif multilatéral doté d’un mécanisme de fixation de critères centralisé et faisant autorité ainsi que d’un système de garantie collective[214].

82. Par ailleurs, selon les juges du Palazzo della Consulta, l’article 46 de la Convention impose aux États d’adopter non seulement les mesures individuelles nécessaires pour mettre un terme aux effets de la violation constatée et apporter une réparation, mais aussi, le cas échéant, toute mesure générale susceptible de résoudre le problème structurel au cœur de la violation[215]. Ainsi, dans l’arrêt louable qu’elle a rendu dans l’affaire Dorigo, la Cour constitutionnelle a conclu que l’article 630 du code de procédure pénale était inconstitutionnel en ce qu’il ne prévoyait pas la réouverture d’une procédure pénale après le constat définitif d’une violation de l’article 6.

83. Après l’arrêt Scoppola (no 2)[216], la Cour constitutionnelle est allée plus loin. Dans son arrêt no 210/2013, exemplaire, la Consulta, confrontée aux « petits frères de Scoppola » (i fratelli minori di Scoppola), a fait référence non seulement à l’obligation de remplacer la peine infligée à l’accusé Scoppola, mais aussi à l’obligation implicite de mettre un terme au problème structurel du cadre juridique interne qui a abouti à une violation de la Convention et d’en supprimer les effets pour tous les détenus dans la même situation. C’était une occasion parfaite pour les juges du Palazzo della Consulta de reconnaître pleinement l’effet erga omnes des arrêts de la Cour. Ils ont répondu aux attentes, soulignant l’existence d’un tel effet même lorsque la Cour n’utilise pas le mécanisme de l’arrêt pilote ou n’impose pas l’adoption de mesures générales[217]. L’effet juridique d’un arrêt définitif de la Cour, quel que soit son objet ou sa forme, est contraignant pour toute Partie contractante. Faisant une excellente démonstration de ce principe, la Cour constitutionnelle a affirmé sans équivoque que l’effet erga omnes des arrêts de la Cour englobait également les arrêts rendus à l’encontre d’autres Parties contractantes[218].

84. L’intégration de la Convention dans l’ordre juridique italien est également favorisée par les imbrications de fond entre la Constitution et la Convention ainsi que par l’interaction entre les garanties conventionnelles et nationales. Pareille interaction est évidemment facilitée par l’article 2 de la Constitution et l’ouverture du catalogue constitutionnel des droits de l’homme puisqu’une clause ouverte comme celle de la Constitution italienne est le moyen naturel d’incorporer les droits et libertés non expressément prévus par la Constitution mais qui découlent du droit international[219]. Une telle ouverture au droit international est en effet une caractéristique de la tradition juridique et de la civilisation romaines. Dans la vision cosmopolite de l’éternel Gaïus :

« Omnes populi, qui legibus et moribus reguntur, partim suo proprio, partim communi omnium hominum jure utuntur; nam quod quisque populus ipse sibi jus constituit, id ipsius proprium est vocaturque jus civile, quasi jus proprium civitatis; quod vero naturalis ratio inter omnes homines constituit, id apud omnes populos peraeque custoditur vocaturque jus gentium, quasi quo jure omnes gentes utuntur. Populus itaque Romanus partim suo proprio, partim communi omnium hominum jure utitur. »[220]

ii. La protection garantie par la Convention : un « plancher », pas un « plafond » (§§ 85-86)

85. Une théorie constitutionnelle des droits fondamentaux sensible à la Convention ne suffit toutefois plus aujourd’hui. Il faut une théorie constitutionnelle privilégiant la Convention, ce qui est différent et plus exigeant. D’un point de vue axiologique, même si la Convention et la Constitution sont sur le même plan, la première prévaut sur la seconde en cas de conflit inévitable. La théorie constitutionnelle doit être fondée sur ce principe de base, particulièrement en ces temps où la nature intrinsèquement contre-majoritaire des droits de l’homme est oubliée par certains législateurs, certaines juridictions et autres autorités publiques nationales. L’hypersensibilité nationale à certains intérêts constitutionnels ou, pire encore, la transaction purement matérielle entre les droits de la Convention et les « autres intérêts constitutionnels » ne peuvent pas se dissimuler derrière l’outil argumentatif de la maximisation des droits fondamentaux. Cela dénaturerait le sens de l’article 53 de la Convention. Comme l’a récemment déclaré le président Raimondi,

« la conformité à la Constitution d’une disposition législative donnée n’en garantit pas la conformité à la Convention dont les exigences peuvent, dans certains cas, être plus élevées que celles de la Constitution nationale »[221].

86. Compte tenu de la véritable signification de l’article 53 de la Convention, la relation entre la Cour et les cours suprêmes et constitutionnelles doit respecter la ligne rouge vif qui suit. Les juridictions nationales peuvent aller au-delà du degré de protection de la Convention accordé au requérant, mais elles ne peuvent pas être en deçà, même si elles allèguent une prise en considération systémique d’autres intérêts constitutionnels impliqués. Métaphoriquement parlant, la protection garantie par la Convention est un « plancher », pas un « plafond »[222]. Par conséquent, les cours constitutionnelles et suprêmes sont appelées à interpréter les arrêts de la Cour et à les confronter à l’environnement constitutionnel national dans lequel ils seront appliqués. Mais les juridictions internes ne peuvent pas « refaire » l’arrêt de la Cour. En d’autres termes, elles ne peuvent pas réexaminer l’affaire à la lumière d’« autres intérêts constitutionnels » et statuer contre un requérant qui aurait déjà obtenu gain de cause à Strasbourg. Les cours suprêmes et constitutionnelles ne devraient pas tenir lieu d’instance d’appel pour le gouvernement défendeur contre les arrêts rendus à Strasbourg en faveur du requérant. Les cours suprêmes et constitutionnelles ne devraient pas donner une deuxième[223] voire une troisième[224] chance au gouvernement de rediscuter une affaire après avoir perdu à Strasbourg. Ce serait une distorsion abstruse du système de la Convention. Comme l’a si brillamment énoncé Lord Rodger, Argentoratum locutum, iudicium finitum : « Strasbourg a parlé, l’affaire est close »[225].

C. Le défi de la rhétorique de l’« identité nationale » (§§ 87-90)

i. Une leçon à tirer de la saga Taricco (§§ 87-88)

87. Les risques mentionnés ci-dessus sont évidemment aggravés par le fait que « l’identité nationale » est une « bonne à tout faire », qui se confond facilement avec l’appréciation opportuniste de « l’intérêt national » dans le contexte politique et social particulier d’une affaire donnée. Le statut de la prescription en est un bon exemple. Comment un même État peut-il arguer à Luxembourg le contraire de ce qu’il défend à Strasbourg ? Comment la même Cour constitutionnelle peut-elle soutenir devant la Cour de justice de l’Union européenne que le délai de prescription est une garantie matérielle du droit pénal soumise au principe de légalité[226], un trait distinctif et essentiel des « principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel de l’État membre » et des « droits inaliénables de la personne reconnus par la Constitution de l’État membre », en somme, de l’« identité nationale » italienne[227], et en même temps plaider devant la Cour de Strasbourg qu’il s’agit d’un trait non pertinent du droit italien aux fins du principe de légalité, qui ne s’oppose même pas à une confiscation sans condamnation dans des affaires de lotissement illicite dans lesquelles l’infraction est prescrite ? Pourquoi le mécanisme du droit à l’oubli (meccanismo del tempo dell’oblio)[228] constitue-t-il une caractéristique essentielle du droit constitutionnel italien à opposer à l’application d’une peine à Luxembourg, mais pas à Strasbourg ?

88. Ces questions ne sont pas rhétoriques. Elles visent à démontrer que la pertinence du délai de prescription pour l’« identité nationale », protégée par les fameuses « contre-limites » invoquées dans l’arrêt no 24/2017, a été totalement ignorée dans l’arrêt no 49/2015, simplement parce que cela n’était pas opportun aux fins de l’affaire. S’il est vrai que, comme l’arrêt no 24/2017 l’affirme à juste titre et comme la Cour de justice de l’Union européenne l’a également confirmé[229], la prescrizione est une garantie fondamentale des défendeurs dans l’ordre constitutionnel et juridique italien, comme elle l’est dans l’ordre juridique européen, il est incompréhensible que cette même garantie n’ait joué aucun rôle dans la motivation de l’arrêt no 49/2015.

ii. La ligne Maginot entre la Convention et la Charte des droits fondamentaux (§§ 89-90)

89. Par ailleurs, aucune « contre-limite » ne saurait être invoquée contre le droit de la Convention tel qu’il est interprété par la Cour. Les « droits de l’homme inaliénables » italiens ne peuvent être employés comme une arme contre les droits de l’homme européens compte tenu de la profonde affinité axiologique entre la Convention et la Constitution démocratique de la République italienne. Pour reprendre les termes de l’un des meilleurs exemples de la jurisprudence constitutionnelle italienne, les droits de l’homme

« également garantis par les conventions universelles ou régionales signées par l’Italie, trouvent une expression, et une garantie non moins forte, dans la Constitution (...) non seulement en raison de la valeur à attribuer à la reconnaissance générale des droits inviolables de l’homme par l’article 2 de la Constitution (...), mais aussi parce qu’en plus de la correspondance de ces droits dans les catalogues, les différentes formules qui les expriment s’intègrent et se complètent réciproquement dans leur interprétation »[230].

Ainsi, il n’est certainement pas acceptable d’invoquer in malam partem d’« autres intérêts constitutionnels », tels que la protection de l’environnement, pour étendre la confiscation sans condamnation à une infraction prescrite de lotissement illicite[231].

90. En fin de compte, la « ligne Maginot » qui était auparavant tracée entre le droit de la Convention et celui de l’Union européenne a disparu. En réalité, il s’est toujours agi d’une barrière défensive insaisissable contre la pleine mise en œuvre de la Convention, qui inspirait un faux sentiment de sécurité mais ne représentait pas la nature véritablement imbriquée du droit de la Convention et de celui de l’Union européenne à travers la Charte des droits fondamentaux. Ces deux droits limitent la souveraineté de l’État. La primauté sur le droit interne, même sur le droit constitutionnel, et l’effet direct dans l’ordre juridique interne sont également des caractéristiques intrinsèques du système de la Convention[232]. Cela signifie évidemment que tous les juges ordinaires sont des « juges ordinaires de la Convention » (giudici comuni della Convenzione) habilités à écarter l’application du droit interne lorsque celui-ci est contraire au droit de la Convention tel qu’interprété par la Cour[233]. Un tel « contrôle diffus de la conventionalité » (sindacato diffuso di convenzionalità) favorise non seulement la courtoisie internationale, mais aussi la transparence judiciaire interne, évitant la tentation d’une interprétation « forcée » du droit interne conforme à la Convention qui reviendrait à écarter celui-ci de manière « masquée » (disapplicazione mascherata). La convergence des jurisprudences de Strasbourg et de Luxembourg et l’influence mutuelle de leurs normes juridiques contribuent à la constitutionnalisation de l’ordre juridique européen[234]. S’il faut absolument déterminer une prépondérance, les articles 52, paragraphe 3, et 53 de la Charte sont très clairs : ils établissent la subordination axiologique de la Charte et, par conséquent, de toute la législation européenne aux normes des droits de l’homme définies par la Convention telle qu’interprétée par la Cour[235].

VI. Conclusion (§§ 91-95)

91. Je regrette que le présent arrêt ne fournisse pas de réponse à la demande de clarification que j’avais exprimée dans Varvara. Ce sera pour une autre fois. La majorité préfère contourner les principales questions de fond, comme la position du principe nulla poena sine culpa dans l’article 7 de la Convention et la question épineuse de la compatibilité de l’exigence de l’élément moral établie dans l’arrêt Sud Fondi[236] avec la jurisprudence confuse et déroutante de la Cour sur les présomptions de responsabilité. Au lieu de répondre à ces questions, elle aggrave la situation en transposant de manière apodictique cette jurisprudence à l’article 7, sans aucune explication plausible et sans tenir compte du fait que l’article 7 est insusceptible de dérogation. Sur cette base doctrinale chancelante, la majorité choisit de s’écarter de Varvara à l’égard de M. Gironda, mais elle ne fournit aucune motivation de principe à ce choix et prend une position qui privilégie uniquement l’efficacité en la matière. Cette position est dans l’air du temps. En fin de compte, la confisca urbanistica senza condanna n’est pas sauve puisqu’elle méconnaîtra toujours la présomption d’innocence, comme le reconnaît la majorité elle-même.

92. En considérant que l’application d’une sanction à l’infraction de lotissement illicite ne requiert pas, en droit italien, de déclaration formelle de culpabilité, que la jurisprudence de la Cour veut dire, sur ce point, le contraire de ce qu’elle énonce clairement et, plus largement, que les arrêts de la Cour peuvent de manière opportune être ignorés lorsque leur « principe effectif » n’est pas clair, l’arrêt no 49/2015 a pour effet pratique de permettre aux juridictions nationales d’ignorer l’effet erga omnes de tout arrêt de la Cour ou, au mieux, d’appliquer ces arrêts de manière sélective. Les principes énoncés dans l’arrêt no 49/2015 menacent de restreindre l’effet pratique de la jurisprudence de la Cour sur les systèmes juridiques nationaux d’une manière manifestement préjudiciable à la poursuite du fonctionnement de l’ensemble du système de la Convention. Le risque de contagion de la désobéissance parmi les États membres du Conseil de l’Europe n’est pas moins évident, comme le montrent des exemples récents au Royaume-Uni et en Russie. Tout le système de la Convention est en danger.

93. En reconnaissant ce danger, la Cour saisit l’occasion d’apporter une réponse et d’affirmer un principe. Le présent arrêt est très important concernant la question épineuse du « droit consolidé » (diritto consolidato) et il restera dans les mémoires comme un grand pas en avant pour la protection des droits de l’homme en Europe. Le Giudice delle leggi ne peut ignorer le message le plus important envoyé par Strasbourg dans cet arrêt : les arrêts de la Cour « ont tous la même valeur juridique [et] leur caractère contraignant et leur autorité interprétative ne sauraient par conséquent dépendre de la formation de jugement qui les a rendus »[237]. Ce principe prive l’arrêt no 49/2015 de sa pierre angulaire théorique. En effet, la Cour réfute la notion de « droit consolidé » qui se trouve au cœur de ce même arrêt. Ainsi, la Grande Chambre appelle la Cour constitutionnelle à revoir les modalités de sa relation avec la Cour et ne lui laisse aucune « marge d’appréciation » qui lui permettrait de s’en abstenir. Ce faisant, la Cour constitutionnelle doit être attentive à la valeur de la Convention en tant qu’instrument constitutionnel de l’ordre public européen et au rôle unique de la Cour qui fait autorité dans le paysage juridique européen[238].

94. La présente opinion est un plaidoyer pour le principe d’universalité des droits de l’homme. En Europe, la Cour est le premier interprète de cette universalité. Pourtant, son autorité interprétative est remise en cause et ses arrêts ne sont pas exécutés par certaines autorités nationales, en particulier par certaines cours constitutionnelles et suprêmes. Outre les pressions politiques récemment exercées sur la Cour, cette « réticence » de certaines cours constitutionnelles et suprêmes exerce une pression indue sur l’ensemble du système de la Convention[239]. Il faut dépasser cette attitude de défiance (atteggiamento diffidente)[240].

95. Il est temps de se réveiller face au risque systémique sans précédent auquel le système européen des droits de l’homme est confronté. Ce n’est pas le moment d’employer des euphémismes constitutionnels, et encore moins d’attiser les flammes à Strasbourg avec une rhétorique de « l’identité nationale » dopée par une imagerie anti-cosmopolite. En tant que père fondateur du système, l’Italie a une responsabilité particulière dans la période difficile que traverse le système de la Convention aujourd’hui. C’est aux pères fondateurs de donner l’exemple. C’est tout ce qu’on peut attendre d’une nation qui a tant fait pour la culture juridique européenne.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE, PARTIELLEMENT CONCORDANTE, DES JUGES SPANO ET LEMMENS

(Traduction)

I. Introduction

1. Nous ne pouvons souscrire à une bonne partie de l’arrêt. À nos yeux, la majorité rate l’occasion d’engager un dialogue constructif avec la Cour constitutionnelle italienne et de corriger la jurisprudence de la Cour. Au lieu de cela, elle continue d’imposer aux autorités internes une interprétation du droit interne qui en méconnaît les caractéristiques essentielles et de faire peser sur le système interne de protection de l’environnement des exigences conventionnelles qui en entravent gravement l’efficacité.

2. Nous sommes toutefois d’accord avec la majorité qu’il existe certains défauts dans le système italien. Pour cette raison, nous avons voté avec elle, pour des motifs quelque peu différents, en faveur d’un constat de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

De plus, à l’inverse de la majorité, nous préférerions examiner les griefs sur le terrain aussi des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, qui selon nous ont été violés, dans une large mesure pour les mêmes raisons pour lesquelles, à nos yeux, il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1.

Notre principal désaccord porte sur l’examen par la majorité du grief de violation de l’article 7. Nous estimons qu’une analyse du régime italien de confiscation en matière de lotissements doit aboutir à la conclusion que ce type de mesure, même imposée par une juridiction pénale dans un procès pénal, n’est pas une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention et sort donc du champ d’application de cette disposition. En outre, à supposer l’article 7 applicable, nous considérons que, de manière générale, la majorité tire de cette disposition des garanties qui n’ont guère ou pas de rapport avec le principe de légalité en droit pénal.

Enfin, nous constatons que nos propres vues s’opposent sur la question de l’existence d’une violation de l’article 6 § 2 de la Convention. Selon nous, ce n’est pas une question majeure. Nous n’allons donc pas nous y appesantir dans la présente opinion séparée.

II. Un bref aperçu historique des rapports entre la Cour européenne et des juridictions italiennes

3. Pour bien comprendre les enjeux de la présente affaire, il est important de souligner de quelle façon la Cour a traité la question des mesures de confiscation en matière de lotissements illicites en Italie, et de quelle façon les tribunaux italiens ont réagi à ses arrêts. Selon nous, un aperçu historique montre que, si le système italien repose sur une politique de protection écologique stricte mais cohérente, la Cour en a rejeté dès le début certaines des caractéristiques. Les tribunaux italiens ont cherché à s’aligner dans la mesure du possible sur les principes de la jurisprudence de la Cour, et en même temps à respecter les choix politiques du législateur.

4. Avant la décision rendue par la Cour dans l’affaire Sud Fondi (2007)[241], la situation en droit italien était assez claire.

Les autorités administratives (la commune et, en cas d’inaction de celle-ci, la région) pouvaient ordonner la confiscation des biens transformés (lotis) en méconnaissance des règles d’urbanisme applicables. La propriété en était transférée à la commune ; celle-ci – ou en cas d’inaction de sa part, la région – pouvait procéder à la démolition de tout ouvrage illégalement bâti. Ces mesures visaient au rétablissement de la légalité, ni plus ni moins. Il n’y avait aucun élément punitif. Ce système d’action administrative est encore en vigueur (article 30 §§ 7 et 8 du code de la construction, mentionné au paragraphe 107 de l’arrêt). Jusqu’à présent, il ne semble être l’objet d’aucune controverse entre la Cour et les autorités internes.

Une fois des poursuites pénales engagées contre la personne accusée d’être responsable de lotissement illicite, le juge pénal devenait compétent pour ordonner la confiscation du bien illicitement loti, à condition qu’il soit établi que le lotissement était effectivement « illicite » (article 44 § 2 du code de la construction, cité au paragraphe 108 de l’arrêt). Il pouvait alors prendre une mesure similaire à celle que peut prendre l’administration. Il s’agissait d’un outil efficace dont disposait le pouvoir judiciaire pour pallier l’incapacité ou la réticence de l’administration à prendre des mesures contre le lotissement illicite. Comme la Cour de cassation l’a dit dans la demande qu’elle a formée le 20 mai 2014 aux fins d’une décision préliminaire de la Cour constitutionnelle (évoquée au paragraphe 132 du présent arrêt) et qui s’est soldée par l’arrêt no 49 de 2015 rendu par la Cour constitutionnelle (paragraphe 133 du présent arrêt), on peut voir dans ce système une mise en œuvre du droit à un environnement sain, protégé par la Constitution.

Selon l’interprétation donnée au droit interne par les juridictions nationales, la confiscation ordonnée par le juge pénal était non pas une peine (au regard du droit interne) mais une « sanction administrative », au sens d’une mesure visant à rétablir la légalité. Elle n’est pas considérée comme une mesure punitive[242] rattachée d’une quelconque façon à la responsabilité personnelle de l’accusé ; le seul fait que le lotissement était « illicite » ou incompatible avec la loi (ce qui n’est pas la même chose que de dire qu’il est le fruit d’un fait « délictueux ») justifie la mesure.

5. Puis intervint la décision de la Cour dans l’affaire Sud Fondi (2007, précitée), suivie de l’arrêt rendu au fond dans cette affaire (2009)[243].

Selon cette décision, la mesure de confiscation est une « peine » au sens de l’article 7 § 1 de la Convention. Comme l’explique ensuite l’arrêt, cela implique que la mesure ne peut être imposée que sur la base d’une règle de droit suffisamment précise (ibidem, §§ 107-110 et 111-114) et pourvu qu’il existe un « lien de nature intellectuelle (conscience et volonté) » entre le fait objectivement illicite et son auteur, permettant de déceler un « élément de responsabilité » dans la conduite de ce dernier (ibidem, § 116).

6. Les juridictions italiennes ont tenté d’appliquer la jurisprudence Sud Fondi tout en respectant du mieux qu’elles le pouvaient l’idée fondamentale à la base du mécanisme de sanction en matière d’urbanisme. Or, selon les mots de la Cour constitutionnelle, elles ont cherché à « donner de la disposition de droit interne une interprétation aussi conforme que possible à celle de la Cour européenne » (arrêt no 239 de 2009, cité au paragraphe 239 b) du présent arrêt). Il en a résulté une interprétation du droit interne selon laquelle la confiscation ne pouvait être prononcée que contre une personne « dont la responsabilité [avait] été établie en vertu d’un lien de nature intellectuelle (conscience et volonté) avec les faits » (arrêt no 239 de 2009).

Ce développement est souligné aussi dans les observations du Gouvernement. Ce dernier indique que, à la suite de l’arrêt no 239 de 2009 rendu par la Cour constitutionnelle, la Cour de cassation a jugé que la confiscation ne pouvait être prononcée que s’il était établi que l’accusé était « responsable », c’est-à-dire si était prouvée l’existence non seulement de l’élément matériel (« elemento oggetivo »), mais aussi de l’élément subjectif ou moral (« elemento soggettivo ») du lotissement illicite (voir les observations du Gouvernement, résumées aux paragraphes 203 et 239 b) du présent arrêt ; le Gouvernement se réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 13 juillet 2009 – 8 octobre 2009, no 39078, mentionné aux paragraphes 121, 122 et 129 du présent arrêt). Il ajoute que, en revanche, la confiscation de biens illicitement lotis ne peut plus être prononcée contre les personnes n’ayant commis aucune infraction et ayant agi de bonne foi (il se réfère à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2010 – 10 novembre 2010, no 39715, mentionné au paragraphe 122 du présent arrêt). Il faut noter que, dans son arrêt no 49 de 2015, la Cour constitutionnelle a souligné que, dans un procès pénal, la charge d’établir la mauvaise foi d’un tiers acheteur, qu’il ait engagé ou non sa responsabilité pénale, pèse sur l’accusation.

À notre avis, il s’agit de changements considérables dans l’interprétation et l’application du droit interne, dont la jurisprudence de la Cour est à l’origine[244]. Comme la Cour constitutionnelle l’a souligné dans son arrêt no 49 de 2015, les juridictions internes ont accepté de convertir la sanction administrative que constituait une mesure applicable du seul fait de l’existence d’une situation objectivement illégale, que le propriétaire d’une construction illicite ait engagé ou non sa responsabilité pénale d’une quelconque manière, en une mesure applicable aux seules personnes qui, d’une manière ou d’une autre, sont personnellement responsables de l’illégalité.

Toutefois, les juridictions internes n’ont pas changé d’avis quant à la nature de la confiscation au regard du droit interne. Elles estiment que la mesure est toujours une « sanction administrative », et non une « peine », certainement pas une mesure de nature « pénale » (en droit interne ; paragraphe 121 du présent arrêt). C’est la raison pour laquelle, selon nous, elles ont accepté que la confiscation pouvait être ordonnée même lorsque le propriétaire n’était pas reconnu coupable d’une infraction, soit parce qu’il n’avait jamais été inculpé (s’il s’agit par exemple d’une personne morale) soit parce que, bien que jugé responsable de l’acte illicite perpétré, il a été acquitté (d’un point de vue strictement pénal) par l’effet de la prescription (prescrizione en italien). Cette dernière possibilité est soulignée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt no 49 de 2015 qui dit que, en droit interne, il n’est pas impossible en soi qu’un acquittement pour prescription soit assorti d’un exposé plus ou moins détaillé des motifs se rapportant à la « responsabilité » aux seules fins de la confiscation de terrains illicitement lotis.

7. L’épisode suivant est l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Varvara (2013)[245].

La Cour a confirmé que l’article 7 était applicable, sans autre motif qu’une référence à sa décision Sud Fondi (Varvara, précité, § 51).

Sur le fond, la Cour a jugé que trois conséquences découlaient du principe de légalité en matière pénale : l’interdiction d’interpréter de manière extensive les règles de droit pénal (ibidem, § 62), l’interdiction de punir une personne alors que l’infraction a été commise par une autre (ibidem, §§ 63-66) et l’interdiction d’infliger une peine en l’absence de constat de responsabilité (ibidem, §§ 67-71). Faisant application de ce dernier principe aux faits de l’espèce, elle a dit : « la sanction pénale [criminal penalty selon la traduction anglaise] [avait été] infligée au requérant, alors que l’infraction pénale était éteinte et que sa responsabilité [his criminal liability selon la traduction anglaise][246] n’a[vait] pas été consignée dans un jugement de condamnation [verdict as to his guilt selon la traduction anglaise]. » Infliger une peine dans ces conditions était incompatible avec le principe de légalité énoncé à l’article 7 (ibidem, § 72).

8. Les juridictions italiennes étaient de nouveau censées réagir à cet arrêt de la Cour.

La Cour de cassation et le tribunal de Teramo ont interprété l’arrêt Varvara comme exigeant une « condamnation » formelle pour une infraction pénale, excluant ainsi la possibilité d’ordonner la confiscation lorsque l’infraction pénale est prescrite. Se fondant sur cette interprétation, et présumant qu’ils auraient à interpréter le droit interne en conséquence, ils ont demandé à la Cour constitutionnelle si l’exigence d’une « condamnation » serait compatible avec la Constitution italienne (paragraphe 132 du présent arrêt).

La Cour constitutionnelle a principalement répondu que les questions des juridictions de renvoi reposaient sur un postulat interprétatif erroné à deux égards (§ 6 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle, cité au paragraphe § 133 du présent arrêt).

Le premier point de ce postulat erroné est pertinent dans notre affaire.[247] La Cour constitutionnelle a dit qu’elle n’était pas convaincue que les deux juridictions de renvoi avaient correctement interprété l’arrêt Varvara en supposant que celui-ci exigeait une « condamnation » pour une infraction de nature « pénale » au regard du droit interne. Elle a relevé qu’une telle interprétation aurait été en conflit non seulement avec la Constitution italienne (en ce qu’elle limiterait la faculté pour le législateur de décider si tel ou tel comportement doit être « sanctionné » par le droit pénal ou par le droit administratif) mais aussi avec la jurisprudence de la Cour européenne (qui reconnaissait qu’une « peine », selon le sens autonome qu’en donne la Convention, pouvait être imposée par une autorité administrative en l’absence de jugement de condamnation formel par le juge pénal (§ 6.1). De plus, et surtout, elle a indiqué qu’il était possible de donner une autre interprétation à l’arrêt Varvara, à savoir en considérant qu’elle impose seulement que soit établie la « responsabilité », sous quelque forme que ce soit (une « condamnation » pour une infraction en étant l’une des différentes formes possibles). Dès lors, « en l’état actuel des choses » – c’est-à-dire pour autant que la Grande Chambre n’en juge pas autrement dans la présente affaire – il ne pouvait être déduit sans équivoque de l’arrêt Varvara qu’une confiscation n’est possible qu’en cas de « condamnation » pour délit de lotissement illicite. Puisqu’il était possible d’interpréter différemment l’arrêt Varvara, les juridictions internes se devaient d’adopter cette dernière interprétation, conforme à la jurisprudence de la Cour européenne et compatible avec la Constitution italienne (§ 6.2).

9. Que pouvons-nous conclure de cet aperçu ?

Selon nous, avec l’affaire Sud Fondi, la Cour a gravement nui à l’efficacité du régime italien en matière de lotissement illicite. Néanmoins, loin de chercher le conflit, les juridictions internes ont cherché à incorporer l’interprétation donnée par la Cour à l’article 7 dans l’application par elles du droit interne, sans toutefois considérer que la nature intrinsèque de la confiscation avait changé (une mesure visant non pas à punir une personne pour un fait délictueux mais à rétablir la légalité).

Avec l’arrêt Varvara, la Cour a encore franchi un cap. Cette fois, il y avait de réelles inquiétudes au sein du système judiciaire italien, y compris de la Cour constitutionnelle. Si la conséquence de l’arrêt Varvara était qu’une confiscation nécessitait une « condamnation » pour une infraction (au regard du droit interne) et ne pouvait plus être ordonnée lorsque celle-ci était prescrite, il aurait été impossible dans bien des cas au juge pénal de prendre des mesures contre les sociétés et les personnes morales, même quand celles-ci avaient manifestement agi de mauvaise foi.

Nous sommes satisfaits que la majorité ne soit pas allée aussi loin que l’arrêt Varvara. Nous nous dissocions toutefois de la confirmation par elle du raisonnement de la jurisprudence Sud Fondi, comme nous allons l’expliquer ci-dessous en détail.

III. Article 1 du Protocole no 1 à la Convention

10. À nos yeux, l’article 1 du Protocole no 1 est la disposition essentielle en l’espèce. Les biens des requérants ont été saisis. Nous avons voté avec nos collègues en faveur d’un constat de violation de cette disposition. Nous sommes toutefois parvenus à cette conclusion sans avoir à qualifier de « peine » la mesure de confiscation.

11. La première question qui se pose dans cette analyse est celle de la norme applicable tirée de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 289-291 de l’arrêt).

Comme dans l’affaire Sud Fondi, la majorité laisse sans réponse la question de savoir si la confiscation s’analyse en une mesure relevant du « contrôle de l’usage des biens » ou visant à « assurer le paiement d’amendes » (paragraphes 290-291 de l’arrêt).

À notre avis, la Cour aurait dû prendre clairement position. Les confiscations ordonnées en l’espèce étaient une réaction à la violation des règles d’urbanisme internes. Il est donc clair à nos yeux qu’elles s’analysaient en des mesures impliquant le « contrôle de l’usage des biens ». En revanche, la confiscation n’est pas un moyen d’« assurer le paiement d’amendes » (le texte anglais de l’article 1 du Protocole no 1 parle de « penalties »). Il s’agit d’une mesure autonome, imposée en cas de lotissement illicite, que le propriétaire ait ou non commis une infraction ou été condamné à une amende.

12. Pour être compatible avec le second alinéa de l’article 1 du Protocole no 1, une mesure se rapportant au contrôle de l’usage de terres doit être « légale » (Centro Europa 7 S.r.l. et Di Stefano c. Italie [GC], no 38433/09, § 187, CEDH 2012), poursuivre un but d’« intérêt général » et ménager un juste équilibre entre les impératifs de l’intérêt général et ceux de la sauvegarde des droits fondamentaux de chacun (voir, parmi d’autres, Depalle c. France [GC], no 34044/02, § 83, CEDH 2010, et Brosset-Triboulet et autres c. France [GC], no 34078/02, § 86, 29 mars 2010).

Pour ce qui est de la légalité de la mesure concernée, la majorité ne se prononce pas (paragraphe 294 de l’arrêt). À notre avis, il n’y a aucune raison de douter que cette première condition est satisfaite.

Pour ce qui est de l’intérêt général, nous convenons avec la majorité que les politiques étatiques destinées à protéger l’environnement poursuivent un tel but (paragraphe 295 de l’arrêt). Nous estimons également que les juridictions internes ont agi dans l’intérêt général lorsqu’elles ont ordonné la confiscation des biens appartenant aux requérants. Certes, le comportement ultérieur des autorités municipales était peut-être inattendu (paragraphes 296-298 de l’arrêt) mais, à notre avis, il n’a pas pour autant eu d’incidence sur la justification des décisions des tribunaux. De plus, à part la restitution de ses biens à la société G.I.E.M., les autorités compétentes peuvent toujours encore prendre des mesures visant au rétablissement concret de la légalité.

La principale question est de savoir si les tribunaux ont ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits individuels des requérants. À l’instar de la majorité, nous estimons que le système italien ne permet pas de parvenir à un bon équilibre entre les intérêts. Indépendamment de ce que la confiscation est une mesure imposée automatiquement dès que le caractère illicite du lotissement est établi et de ce que, en l’espèce, les sociétés requérantes n’étaient même pas parties aux procès (paragraphe 303 de l’arrêt), nous jugeons inacceptable qu’il n’y ait eu aucune analyse permettant de dire si, oui ou non, la confiscation faisait peser une charge exorbitante sur le propriétaire. Voilà à nos yeux un élément particulièrement pertinent dès lors que le lotissement illicite ne concernait qu’une partie des terrains dont la confiscation avait été ordonnée.

13. Nous en concluons à la violation de l’article 1 du Protocole no 1.

IV. Article 6 § 1 et article 13 de la Convention

14. La majorité déclare recevables le grief tiré par G.I.E.M. d’un défaut d’accès à un tribunal aux fins de décider d’une contestation sur ses droits et obligations de caractère civil et le grief tiré par Falgest d’une absence de recours internes effectifs concernant les violations alléguées de l’article 7 et de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, mais elle n’estime pas nécessaire d’examiner ces griefs au fond (paragraphes 308-309 de l’arrêt).

Nous avons voté en défaveur de cette dernière conclusion.

Nous l’avons fait afin de souligner que, ainsi qu’il a été indiqué ci-dessus dans les développements consacrés au grief de violation de l’article 1 du Protocole no 1 (§ 12 ci-dessus), les sociétés requérantes ne bénéficiaient d’aucune protection procédurale contre les mesures en cause car elles n’étaient même pas parties aux procédures. Pour cette raison, il y a eu selon nous une violation de l’article 6 § 1 en ce qui concerne G.I.E.M., ainsi qu’une violation de l’article 13, en combinaison avec l’article 1 du Protocole no 1 (seulement) en ce qui concerne G.I.E.M. et Falgest.

V. Article 7 de la Convention

1. Applicabilité

15. La majorité confirme la décision précitée Sud Fondi, qui assimile la décision de confiscation à une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention.

Il était erroné selon nous de juger l’article 7 applicable aux confiscations telles que prévues dans la législation italienne en matière de lotissement[248]. Pour les raisons exposées ci-dessous, nous estimons qu’une mesure de cette nature ne s’analyse pas en une « peine ». Si les juridictions internes ont tiré des conclusions de ce que la Cour a dit dans l’affaire Sud Fondi, le Gouvernement a expressément invité la Cour à revenir sur cette décision. À nos yeux, il aurait mieux fallu faire un pas en arrière et permettre aux mesures de confiscation de conserver leurs caractéristiques essentielles, que nous ne jugeons pas incompatibles en elles-mêmes avec la Convention.

16. La majorité souligne que la notion de « peine » au sens de l’article 7 revêt un sens autonome (paragraphe 210 de l’arrêt). Elle ajoute que, si le point de départ de toute appréciation de l’existence d’une « peine » consiste à déterminer « si la mesure en question a été imposée à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale », d’autres éléments peuvent également être pris en compte (paragraphe 211 de l’arrêt).

Nous aurions adopté une autre approche. Afin de déterminer si une mesure doit être qualifiée de « peine », nous estimons que la Cour doit s’intéresser à sa « nature intrinsèque » (Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 90, CEDH 2013), eu égard « au droit interne dans son ensemble et à la manière dont il était appliqué à [l’]époque [considérée] » (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 145, CEDH 2008). Autrement dit, c’est en se fondant sur les caractéristiques attribuées à une mesure par le droit interne que la Cour doit donner sa qualification à celle-ci sur le terrain de la Convention. Et c’est aux juridictions internes qu’il revient d’expliciter la teneur du droit interne pertinent (Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], no 57592/08, § 40, CEDH 2017). Dans son arrêt no 49 de 2015, la Cour constitutionnelle a dit la même chose, indiquant qu’il revient à la Cour de Strasbourg non pas de se prononcer sur le sens du droit interne mais seulement de vérifier si celui-ci, tel que défini et appliqué par les juridictions internes, est conforme à la Convention. Ajoutons que la Cour ne peut s’écarter de l’interprétation donnée par les juridictions internes au droit interne que lorsque celle-ci est arbitraire ou manifestement déraisonnable (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, § 85, CEDH 2007‑I, Károly Nagy c. Hongrie [GC], no 56665/09, § 71, CEDH 2017, et Radomilja et autres c. Croatie [GC], no 37685/10, § 149, 20 mars 2018).

Comme il a été expliqué ci-dessus, avant et après l’affaire Sud Fondi précitée, les juridictions internes ont constamment vu dans la confiscation en matière de politique urbaine une « sanction administrative », et non une « peine » au sens du droit interne (§§ 4 et 6 ci-dessus). À notre avis, il y a de bonnes raisons de le dire : la compétence première d’ordonner la mesure revient à l’administration ; la confiscation, en droit interne, n’est pas tributaire d’une condamnation pour une infraction ; et la confiscation vise au rétablissement de la légalité, c’est-à-dire réparer le dommage causé à l’intérêt général et à la prévention de nouvelles irrégularités. Ce dernier point est à notre avis le plus pertinent, sinon le point déterminant, lorsqu’il s’agit d’apprécier la « nature intrinsèque » de la mesure.

17. La majorité reconnaît que les confiscations en question n’ont pas été imposées à la suite de condamnations pour des infractions pénales (paragraphes 215-219 de l’arrêt). À nos yeux, il s’agit d’un élément très important qui indique clairement que les mesures imposées n’étaient pas des « peines » au sens de l’article 7 de la Convention.

Pour la majorité, le fait que la mesure de confiscation pouvait être imposée en l’absence de condamnation préalable n’exclut pas nécessairement l’applicabilité de l’article 7 (paragraphe 217 de l’arrêt). Nous ne le contestons pas, pourvu qu’il existe des arguments convaincants en sens inverse. Or, selon nous, aucun argument de la sorte n’existe.

Il semble que la majorité juge suffisant, pour qualifier une mesure de « peine », que celle-ci « se rattach[e] à une infraction pénale fondée sur des dispositions juridiques générales » (paragraphe 218 de l’arrêt). Un tel lien entre la mesure et l’infraction est à notre avis trop vague et trop distant. Une mesure concrètement imposée à tel ou tel individu ne peut passer pour une « peine » simplement parce que, dans d’autres circonstances, à l’égard d’autres individus, elle pourrait être considérée comme telle. Et en quoi la référence aux « dispositions juridiques générales » est-elle pertinente ? Des mesures non constitutives d’une « peine » ne sont-elles pas aussi fondées sur de telles dispositions ?

18. La majorité donne quatre raisons pour lesquelles, en dépit de ce que les confiscations n’avaient pas été imposées à la suite d’une condamnation pour une infraction pénale, elles n’en étaient pas moins des « peines » au sens de l’article 7. La majorité étoffe ainsi le raisonnement de la décision précitée Sud Fondi.

À notre avis, ces raisons sont loin d’être convaincantes.

19. La majorité évoque tout d’abord le fait que l’article 44 du code de la construction, qui régit la mesure de confiscation en cause, est intitulé « Sanctions pénales ». C’est selon elle une indication que la mesure est qualifiée de sanction pénale en droit interne (paragraphe 220 de l’arrêt).

Certes, dans le code de la construction, les peines au sens strict du terme (article 44 § 1) et les décisions de confiscation (article 44 § 2) sont régis par le même article, sous l’intitulé « Sanctions pénales ». À première vue, il pourrait s’agir d’un argument solide. Or, à y voir de plus près, nous ne pensons pas qu’il puisse en être tiré le moindre argument. Premièrement, une telle conclusion contredit manifestement l’interprétation constante de la nature des confiscations données par les tribunaux internes. Deuxièmement, le code de la construction est le fruit d’une codification des dispositions légales en vigueur au moyen d’un décret présidentiel (décret no 380 du 6 juin 2001 ; paragraphe 105 de l’arrêt). Une simple codification par le pouvoir exécutif ne peut changer le sens des dispositions légales codifiées. Il y a donc lieu de s’attacher aux dispositions initiales en matière de sanctions pénales et de confiscations, telles qu’énoncées dans la loi no 47 du 28 février 1985. Les articles 19 et 20 de ce texte opéraient une nette distinction entre, respectivement, les mesures de confiscation et les sanctions pénales. La confiscation ne figurait pas parmi les sanctions pénales (paragraphes 103 et 104 de l’arrêt). Nous sommes donc d’accord avec le Gouvernement lorsqu’il dit que les auteurs de la qualification ont fait une erreur (paragraphe 202 de l’arrêt), et nous estimons que cette erreur ne saurait avoir la moindre conséquence sur la codification de la mesure de confiscation. Enfin, on peut douter que le libellé de l’intitulé d’un article dans une loi ou un règlement puisse avoir une quelconque pertinence. Selon l’adage « rubrica non fit ius » (un titre ne crée pas le droit), un intitulé n’a aucune portée normative.

20. La majorité se réfère ensuite à la nature et au but de la confiscation, disant que la confiscation des biens des requérants avait un caractère punitif (paragraphes 222-226 de l’arrêt).

Bien que cette interprétation ne soit pas déterminante puisque la notion revêt un sens autonome sur le terrain de l’article 7 de la Convention, nous constatons d’emblée qu’elle n’est pas conforme au but attribué par les juridictions internes aux mesures de confiscation, même depuis la décision Sud Fondi.[249]

La majorité retient trois arguments pour infirmer l’interprétation donnée à la mesure en question par les juridictions internes.

Premièrement, elle s’appuie sur la jurisprudence de ces dernières postérieure à la décision Sud Fondi, qui reconnaît que les garanties de l’article 7 de la Convention s’appliquent (paragraphe 223 de l’arrêt). À nos yeux, cela ne peut être un argument pertinent permettant de justifier a posteriori la conclusion de la décision Sud Fondi. Les juridictions italiennes se sont senties obligées d’appliquer les garanties de l’article 7, telles qu’interprétées par la Cour, en raison de l’autorité que revêtent les arrêts de celle-ci, non parce qu’elles estimaient que c’est ce qui pouvait découler de la nature des mesures de confiscation. De plus, elles ont pris soin de dire (seulement) que les garanties de l’article 7 devaient s’appliquer, en particulier la condition voulant que la responsabilité de la personne contre laquelle la confiscation a été ordonnée ait été mise en jeu : elles ne sont pas revenues sur leur analyse de la nature d’une confiscation, selon laquelle, en particulier, une telle mesure n’était pas punitive.

Deuxièmement, la majorité s’appuie sur une « reconnaissance » par le Gouvernement, dans ses observations sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, que la confiscation poursuivait un but punitif (paragraphe 224 de l’arrêt). L’argument est selon nous extrêmement faible. Sur le terrain de l’article 7, le Gouvernement soutient très clairement que cette mesure n’est pas une peine parce que sa finalité est non pas de punir mais de rétablir le bon usage des terrains et d’éliminer les conséquences du lotissement illicite (paragraphes 194 b) et 200 de l’arrêt). Lorsqu’il parle de « peine » (en mettant le mot entre guillemets, voir le § 119 de ses observations), c’est afin de démontrer que la mesure satisfaisait au but d’« intérêt général » sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1, et dans l’hypothèse où la Cour, à l’inverse de ce qu’il soutient, conclurait que la confiscation relève du champ d’application de l’article 7 de la Convention. Il n’y a pas la moindre reconnaissance du caractère punitif de la mesure aux fins de cette dernière disposition.

Troisièmement, la majorité s’appuie sur le fait que la confiscation est une mesure obligatoire que le juge interne doit imposer qu’il existe ou non un danger réel ou un risque concret pour l’environnement (paragraphe 225 de l’arrêt). Il est vrai que des mesures punitives peuvent être imposées au seul motif que le comportement de l’intéressé était contraire au droit pénal, que la victime ou l’intérêt général ait subi un quelconque dommage ou non. Mais n’en est-il pas de même aussi pour les autres mesures non punitives visant au rétablissement de la légalité ? Nous ne voyons pas pourquoi l’absence d’un danger réel ou d’un risque concret de dommage ferait obstacle à une mesure de nature purement administrative, destinée à faire respecter le régime légal applicable.

À nos yeux, il n’existe aucune bonne raison de s’écarter de l’opinion des juridictions internes, fondée sur une analyse du droit interne, selon laquelle la confiscation au regard de la législation en matière de lotissement vise à rétablir la légalité et non à en punir l’auteur. Le droit administratif est parsemé de mesures non punitives visant à prévenir les irrégularités et à mettre fin aux situations illégales. Comme la Cour constitutionnelle l’a dit dans son arrêt no 49 de 2015, c’est au législateur qu’il revient de décider quels sont les meilleurs moyens de garantir que les obligations et devoirs soient imposés effectivement. La majorité prête à la confiscation un but qui n’est pas celui envisagé par le législateur.

21. La majorité s’appuie par ailleurs sur la gravité des effets d’une confiscation. Elle souligne que cette mesure est « une sanction particulièrement lourde et intrusive », qui ne donne lieu à aucune indemnisation (paragraphe 227 de l’arrêt).

Nous partageons cette analyse. C’est en partie à cause de l’absence d’examen des charges qui en résultent sur les requérants, comparées à l’intérêt général, que nous concluons à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (§ 12 ci-dessus). Nous reconnaissons aussi que le degré de gravité de la peine est un élément pertinent pour ce qui est de l’applicabilité du volet pénal de l’article 6 de la Convention, à supposer qu’il existe une « accusation ». Mais pour ce qui est de déterminer si la confiscation est une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention, « la gravité de la mesure n’est (...) pas décisive en soi, puisque de nombreuses mesures non pénales de nature préventive, tout comme des mesures devant être qualifiées de pénales, peuvent avoir un impact substantiel sur la personne concernée » (Bergmann c. Allemagne, no 23279/14, § 150, 7 janvier 2016 ; voir aussi, parmi d’autres, Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 32, série A no 307‑A, Van der Velden c. Pays-Bas (déc.), no 29514/05, CEDH 2006‑XV, M. c. Allemagne, no 19359/04, § 120, CEDH 2009, et Del Río Prada, précité, § 82).

Bref, ce n’est pas parce qu’une confiscation est une mesure lourde qu’elle est à coup sûr de nature punitive.

22. La majorité évoque enfin les procédures d’adoption et d’exécution d’une mesure de confiscation (paragraphes 228-232 de l’arrêt).

Elle observe tout d’abord que la mesure est ordonnée par les tribunaux pénaux (paragraphe 228 de l’arrêt). C’est indéniable, mais ce n’est pas pour autant un argument convaincant à nos yeux. Il n’est d’ailleurs pas inhabituel que des tribunaux pénaux rendent des décisions de nature non pénale. Le meilleur exemple est la possibilité pour eux dans un certain nombre de pays d’ordonner des mesures de réparation à caractère civil en faveur de la victime d’un fait délictueux dont l’auteur a été jugé coupable. De toute manière, la Cour doit aller au-delà des apparences (paragraphe 210 de l’arrêt). Si la confiscation ordonnée par le juge pénal est souvent une peine additionnelle, ce n’est pas forcément le cas dans toutes les affaires. Compte tenu du régime légal particulier des confiscations en droit de l’urbanisme italien, leur nature diffère de celle des confiscations « ordinaires ». La majorité ne semble pas prêter la moindre attention au particularisme des mesures de confiscation en cause[250].

La majorité rejette ensuite la thèse du Gouvernement selon laquelle le juge pénal se substitue à l’autorité administrative compétente (paragraphes 229-232 de l’arrêt). Ce que le Gouvernement semble soutenir, c’est que le pouvoir d’ordonner une confiscation est avant tout celui de l’administration, et que le juge pénal jouit de la même compétence, qu’il peut exercer si l’administration manque à le faire. Autrement dit, selon le Gouvernement, une décision de confiscation en cas de lotissement illicite a le même contenu, produit les mêmes effets et revêt donc la même nature (non punitive), quelle que soit l’autorité qui en est l’auteur (paragraphe 191 de l’arrêt). Il nous semble qu’il n’y a pas de réponse à la substance de cet argument, auquel nous souscrivons.

23. Au vu de ce qui précède, nous concluons qu’il n’y a pas suffisamment de raisons de dire que la confiscation en droit italien, imposée par le juge pénal en cas de lotissement illicite, est une « peine » au sens de l’article 7 de la Convention. Le grief fondé sur cette disposition aurait donc dû être déclaré incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. Voilà pourquoi nous avons voté en défaveur de la recevabilité de ce grief.

Notre analyse sur le terrain de l’article 7 pourrait s’arrêter ici. Cependant, nous sommes également en grand désaccord avec certaines des exigences que la majorité tire de cette disposition. Pour cette raison, nous allons à présent examiner le grief sur le fond aussi.

2. Sur le fond

24. Ayant jugé que les confiscations en cause pouvaient être qualifiées de « peines » au sens de l’article 7 de la Convention, la majorité conclut ensuite que cette disposition exigeait que de telles mesures fussent prévisibles pour les requérants et faisait échec à toute décision imposant celles-ci « en l’absence d’un lien intellectuel dénotant un élément de responsabilité dans leur conduite » (paragraphe 246 de l’arrêt). Sur cette base, la majorité examine ensuite si cette dernière exigence a été satisfaite, compte tenu de ce qu’aucun des requérants n’a été formellement jugé coupable et de ce que les sociétés requérantes n’ont jamais été parties aux procès en question (paragraphe 247 de l’arrêt).

La majorité fait reposer ses conclusions sur le raisonnement exposé aux paragraphes 116-117 de l’arrêt Sud Fondi précité (tel que repris au paragraphe 241 du présent arrêt), dans lequel la Cour avait reconnu que l’article 7 ne faisait expressément mention d’aucun lien moral entre l’élément matériel de l’infraction et la personne qui en était considérée comme l’auteur. Elle n’en a pas moins dit ceci : « la logique de la peine et de la punition ainsi que la notion de « guilty » (dans la version anglaise) et la notion correspondante de « personne coupable » (dans la version française) vont dans le sens d’une interprétation de l’article 7 qui exige, pour punir, un lien de nature intellectuelle (conscience et volonté) permettant de déceler un élément de responsabilité dans la conduite de l’auteur matériel de l’infraction. A défaut, la peine ne serait pas justifiée » (ibidem, § 116). Et de poursuivre : « [i]l serait (...) incohérent, d’une part, d’exiger une base légale accessible et prévisible et, d’autre part, de permettre qu’on considère une personne comme « coupable » et la « punir » alors qu’elle n’était pas en mesure de connaître la loi pénale, en raison d’une erreur invincible ne pouvant en rien être imputée à celui ou celle qui en est victime » (ibidem). La Cour en conclut : « un cadre législatif qui ne permet pas à un accusé de connaître le sens et la portée de la loi pénale est défaillant non seulement par rapport aux conditions générales de « qualité » de la « loi » mais également par rapport aux « exigences spécifiques de la légalité pénale » découlant de l’article 7 de la Convention (ibidem, § 117).

Avec tout le respect dû à nos collègues, nous ne sommes pas d’accord.

25. L’article 7 de la Convention est intitulé « Pas de peine sans loi » (« No punishment without law » en version anglaise). De plus, comme la Cour l’a dit, la garantie consacrée à l’article 7 est un élément essentiel de la prééminence du droit. Elle empêche l’application rétroactive de la loi pénale au détriment de l’accusé. Elle consacre aussi, de manière plus générale, le principe selon lequel seule la loi peut définir une infraction et fixer une peine (nullum crimen, nulla poena sine lege). Si elle interdit en particulier l’extension du champ d’application des infractions pénales existantes à des faits qui, antérieurement, n’en constituaient pas une, elle pose également comme principe que la loi pénale ne peut être appliquée de façon extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie. Autrement dit, la loi doit clairement définir les infractions et les peines correspondantes. Cette exigence se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef (voir, parmi d’autres, Del Río Prada, précité, §§ 77-79, et Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, §§ 153-154, CEDH 2015).

Dès lors, selon nous, il découle directement de sa jurisprudence constante que la Cour a pour tâche, au regard de l’article 7 de la Convention, de vérifier que, au moment où l’accusé a commis l’acte pour lequel il a été poursuivi et condamné, une disposition légale en vigueur rendait cet acte punissable et que la peine imposée n’a pas outrepassé les limites fixées par cette disposition. Ainsi, l’article 7 est avant toute chose une garantie de prééminence du droit limitant la capacité des États contractants à infliger des sanctions pénales de manière rétroactive ou non prévisible. Toutefois, selon nous, il ne limite pas, comme la majorité le conclut aujourd’hui, la latitude dont jouit l’État lorsque son législateur se penche sur la formulation des éléments subjectifs et objectifs de la responsabilité pénale au niveau interne. Autrement dit, et pour être bien clair, l’article 7 n’est pas et n’a jamais été un instrument d’harmonisation du droit pénal matériel parmi les États membres du Conseil de l’Europe.

26. Une analyse plus détaillée de l’opinion de la majorité nous fait ensuite observer que celle-ci est avant tout fondée sur la corrélation directe prêtée entre l’exigence de prévisibilité découlant de l’article 7 de la Convention et le constat selon lequel « une peine au sens de l’article 7 ne se conçoit en principe qu’à la condition qu’un élément de responsabilité personnelle dans le chef de l’auteur de l’infraction ait été établi » (paragraphe 242 de l’arrêt).

Nous contestons cette interprétation du principe de légalité sur le terrain de l’article 7. D’ailleurs, la majorité fait tout de suite marche arrière au paragraphe 243 par rapport au passage précité du paragraphe 242, selon lequel l’article 7 de la Convention requiert un « lien de nature intellectuelle permettant de déceler un élément de responsabilité » en disant que cette exigence « ne fait pas obstacle à certaines formes de responsabilité objective opérant à travers des présomptions de responsabilité, à condition que celles-ci respectent la Convention ». Elle se réfère ensuite à la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 § 2, exposant que, en principe, les États contractants peuvent, « sous certaines conditions, rendre punissable un fait matériel ou objectif considéré en soi, qu’il procède ou non d’une intention délictueuse ou d’une négligence ». C’est ce qu’on appelle habituellement la responsabilité pénale de plein droit ou objective. Bien que la Cour n’ait pas eu la possibilité de définir de manière plus détaillée en quoi consistent ces « conditions », qui limitent l’application de la responsabilité pénale objective sur le terrain de la Convention, il est clair à nos yeux que ces limitations découleraient des prescriptions non pas de l’article 7 mais de l’article 6 § 2. Autrement dit, la question de savoir s’il peut être justifié au regard de la Convention de réprimer un « fait simple ou objectif », sans que l’accusation ait à établir un lien intellectuel, est intimement liée à l’interprétation et à l’application de la présomption d’innocence garantie par la seconde de ces dispositions mais n’est pas une exigence découlant de la première. Bref, si bien sûr nous ne mettons pas en cause le recours par elle à la méthodologie établie selon laquelle « la Convention doit se lire comme un tout et s’interpréter de manière à promouvoir sa cohérence interne et l’harmonie entre ses diverses dispositions » (paragraphe 244 de l’arrêt), la majorité, au lieu d’appliquer cette méthodologie pour clarifier l’articulation entre les articles 6 § 2 et 7 de la Convention, sème les grains de la confusion dans l’interprétation et l’application de ces deux garanties des droits de l’homme certes importantes, mais conceptuellement distinctes.

27. Deuxièmement, l’opinion de la majorité repose sur une démarche tendant à extrapoler, à partir de la notion de « condamné » (« guilty ») dans l’article 7 § 1 et de la raison d’être de la peine et du châtiment, l’exigence d’un « lien intellectuel », entendu au sens d’une conscience et d’une volonté, décelant un élément de responsabilité dans la conduite de l’auteur de l’infraction, en l’absence de laquelle la peine sera injustifiée. Cette interprétation de l’article 7 n’a aucune base dans la jurisprudence de la Cour, à l’exception de l’arrêt de chambre Sud Fondi, que la majorité de la Grande Chambre désormais confirme. Elle ne dénote pas non plus à nos yeux une bonne lecture de cette disposition.

La première phrase de l’article 7 § 1 de la Convention dit que « nul ne peut être condamné » pour une quelconque infraction pénale à raison d’une « action ou [d’une] omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international ». La règle énoncée dans cette phrase est claire : elle interdit l’application rétroactive de la loi pénale et, de plus, elle a été interprétée dans la jurisprudence comme exigeant une prévisibilité dans l’application de cette même loi, ainsi qu’il a été précédemment indiqué (§ 25 ci-dessus). Dans ce contexte, le mot « condamné » doit être entendu comme un renvoi à la notion traditionnelle retenue pour décrire le constat de culpabilité sous l’empire des lois internes en matière de procédure pénale. En d’autres termes, dès lors qu’une juridiction nationale a jugé que l’accusation avait établi, à l’aune du critère de preuve voulu, les éléments subjectifs et objectifs de la disposition pénale visée dans l’acte d’accusation, elle déclare l’accusé « coupable » de l’infraction. En revanche, cette notion, sur le terrain de l’article 7 de la Convention, ne fait naître aucune exigence quant à la substance des lois pénales internes. Autrement dit, il n’en découle pas que la loi pénale doive être formulée de manière à exiger certains types particuliers d’éléments subjectifs (mens rea) ou objectifs (actus reus) pour imposer la responsabilité pénale. Ce choix est du ressort non pas de la Cour mais des autorités nationales, du moins au regard de l’article 7 de la Convention. D’ailleurs, comme la Cour l’a dit dans son arrêt de principe Engel et autres, « la Convention laisse les États libres d’ériger en infraction pénale une action ou une omission ne constituant pas l’exercice normal d’un des droits qu’elle protège » (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 81, série A no 22). Dès lors, si d’autres dispositions matérielles de la Convention peuvent fixer des limites à la capacité pour l’État de réprimer certains comportements (voir, par exemple, Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45, sur le terrain de l’article 8 de la Convention et de la pénalisation de certains actes homosexuels entre adultes consentants), l’article 7 se contente d’interdire, en des termes généraux, l’application rétroactive de la loi pénale et d’exiger que celle-ci soit prévisible et accessible. Il ne régit pas la substance de la loi pénale.

28. Enfin, la conclusion de la majorité, qui exige sous l’angle de l’article 7 de la Convention un « lien intellectuel dénotant un élément de responsabilité dans [la] conduite [des requérants] » (paragraphe 246 de l’arrêt), est la base à partir de laquelle elle recherche ensuite si l’application de la mesure de confiscation contre M. Gironda et les sociétés requérantes était contraire à cette disposition, ni lui ni elles n’ayant été formellement condamnés pour l’infraction de lotissement illicite, au sens de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Varvara, et cette mesure ayant été imposée sans que ces personnes aient été parties aux procédures pénales (paragraphes 248-275 de l’arrêt).

Or, selon nous, point n’est besoin d’interpréter l’article 7 de la Convention hors de son contexte afin d’offrir les garanties nécessaires en pareils cas. Une telle protection découle naturellement de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 6 § 1. Ainsi qu’il a été expliqué ci-dessus, il est clair qu’imposer une mesure de confiscation à une partie à une procédure judiciaire qui n’a pas eu la possibilité de se défendre elle-même ne risque guère d’être considéré comme une atteinte proportionnée au droit au respect des biens (§ 12 ci-dessus). De plus, pareilles procédures seront aussi inévitablement contraires à l’exigence de procès équitable découlant de l’article 6 § 1 de la Convention, que l’application de la mesure de confiscation soit examinée sous le volet civil ou sous le volet pénal de cette disposition (§ 14 ci-dessus).

29. En somme, nous considérons que, en interprétant l’article 7 de la Convention de manière à exiger un lien moral pour l’imposition d’une mesure pénale, la majorité a imprégné le principe de légalité en matière pénale d’un contenu qui n’est pas rationnellement conforme à la nature et au but de cette garantie fondamentale de la prééminence du droit, telle qu’elle trouve son expression dans un traité international relatif aux droits de l’homme fixant des normes minimales de non-rétroactivité et de prévisibilité dans les affaires pénales.

Enfin, l’interprétation extensive donnée au champ d’application de l’article 7 dans l’affaire Sud Fondi précitée a laissé les juridictions internes dans un embarras considérable. Ces dernières ont néanmoins décidé qu’elles appliqueraient les garanties découlant de l’article 7 (§ 6 ci-dessus). Dans l’arrêt Varvara précité, la Cour a également interprété de manière extensive les exigences matérielles de l’article 7. Si le présent arrêt ne suit pas l’arrêt Varvara sur tous les points, nous aurions préféré que, sur le fond, il revienne à l’interprétation incontestée de l’article 7 antérieure à la jurisprudence Varvava, ce qui aurait permis de ne pas perturber inutilement davantage le système italien de confiscations en matière de lotissement.

VI. Article 6 § 2 de la Convention

30. Sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention, la question se pose de savoir si la présomption d’innocence a été bafouée à l’égard de M. Gironda, à raison de ce que la confiscation de ses biens a été ordonnée alors que l’infraction pour laquelle il était poursuivi était prescrite.

Nous sommes chacun parvenus à des conclusions différentes sur ce point. Nous tenons à expliquer brièvement pourquoi nous avons voté ainsi.

Le juge Spano partage le constat par la Cour d’une violation de l’article 6 § 2 de la Convention au motif que la Cour de cassation a déclaré M. Gironda coupable en substance, alors que l’action publique pour l’infraction en question était éteinte (paragraphes 310-318 de l’arrêt).

Le juge Lemmens estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2. La mesure de confiscation imposée à M. Gironda étant non pas une sanction pénale qui reposait sur un jugement de « condamnation » mais une mesure de réparation fondée sur l’illégalité matérielle de la situation, la prescription de l’infraction pénale ne faisait pas obstacle à ce qu’il soit conclu que les conditions pour ordonner la confiscation étaient satisfaites.

VII. Conclusion

31. Comme nous l’avons expliqué dans la présente opinion, l’arrêt rendu ce jour par la Grande Chambre entache d’un manque de clarté et de cohérence la jurisprudence de la Cour relative à l’article 7 de la Convention.

D’une part, la majorité confirme la jurisprudence précitée Sud Fondi dans la mesure où la Cour avait dit que les confiscations en matière de lotissements illicites étaient des « peines » au sens de l’article 7 (paragraphe 233 de l’arrêt). Elle confirme également les arrêts précités Sud Fondi et Varvara dans la mesure où la Cour avait considéré que l’article 7 exigeait, pour qu’une telle « peine » puisse être imposée, que la responsabilité du propriétaire du bien confisqué soit d’une certaine manière engagée (paragraphe 242 de l’arrêt). Selon nous, la Cour aurait dû plutôt saisir cette occasion pour infirmer ces arrêts.

D’autre part, la majorité s’écarte de l’arrêt Varvara dans la mesure où la Cour avait estimé dans cette affaire qu’une « condamnation » formelle était nécessaire pour qu’une peine puisse être imposée. Elle dit à présent qu’il suffit que tous les éléments de l’infraction soient réunis, ce qui permet désormais aux juridictions pénales de juger une personne « responsable » quand bien même l’action pénale serait éteinte par l’effet de la prescription légale (paragraphe 261 de l’arrêt). À nos yeux, autant mettre un emplâtre sur une jambe de bois. Il reste à voir si cette adaptation de la jurisprudence de la Cour suffira à permettre à la justice italienne de prendre des mesures efficaces contre les lotissements illicites.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SAJÓ, KARAKAŞ, PINTO DE ALBUQUERQUE, KELLER, VEHABOVIĆ, KŪRIS ET GROZEV

(Traduction)

1. Nous nous dissocions respectueusement du constat par la majorité de non-violation de l’article 7 de la Convention à l’égard de M. Gironda.
2. Dans les paragraphes ci-dessous, nous soutiendrons tout d’abord que la majorité s’écarte du principe tiré de l’arrêt Varvara (Varvara c. Italie, no 17475/09, 29 octobre 2013). Ensuite, nous montrerons qu’il est difficile de dire si la conclusion de la majorité représente l’exposé d’un nouveau principe contraire à celui énoncé dans l’arrêt Varvara, ou d’une exception à celui-ci. Enfin, nous démontrerons que le constat par la majorité de violation de l’article 6 contredit intrinsèquement son propre constat de violation de l’article 7 à l’égard de M. Gironda.

I. Non-respect de la jurisprudence Varvara

3. À nos yeux, la majorité s’écarte de la conclusion de l’arrêt Varvara. Qu’elle le fasse sans avancer de raisons solides – et sans admettre le non-respect – est significatif. En tout état de cause, nous soutiendrons ci-dessous que la solution de la majorité à l’égard de M. Gironda est erronée en elle-même.
4. Dans le passé, la Cour a dit : « [s]ans que la Cour soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents » (Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, § 70, CEDH 2001‑I).
5. Dans l’arrêt Varvara, tout comme en l’espèce, une confiscation a été imposée « alors que l’infraction pénale était éteinte et que [la] responsabilité [du requérant] n’a[vait] pas été consignée dans un jugement de condamnation » (Varvara, précité, § 72). La majorité, dans le présent arrêt, estime que ce passage ne permet pas de conclure que « les confiscations pour lotissement illicite doivent nécessairement s’accompagner de condamnations formelles par des juridictions pénales » (paragraphe 252). Il s’ensuit selon elle que l’arrêt Varvara « ne requiert pas que tout litige relevant [de l’article 7 de la Convention] doive nécessairement être traité dans le cadre d’une procédure pénale au sens strict » (paragraphe 253). Nous sommes d’accord avec ces passages, que nous estimons conformes à l’arrêt Varvara et à la jurisprudence de la Cour.
6. Puis la majorité ajoute : « [a]yant ainsi écarté la nécessité d’une procédure pénale, la Cour doit néanmoins rechercher si l’imposition des confiscations litigieuses exigeait à tout le moins une déclaration formelle de responsabilité pénale à charge des requérants » (paragraphe 255). C’est là que la majorité s’écarte clairement de l’arrêt Varvara : lorsque ce dernier arrêt, dans sa version française authentique, dit que l’article 7 exige un « jugement de condamnation » du requérant (Varvara, précité, § 72), la majorité dit qu’il suffit qu’il y ait « en substance (...) une déclaration de responsabilité » (paragraphe 258). Alors que, dans l’arrêt Varvara, la Cour avait fait de l’inexistence d’un jugement formel de condamnation l’une des deux conditions rendant la confiscation incompatible avec l’article 7, la majorité ne juge pas cet élément pertinent.
7. Les deux conditions énoncées au paragraphe 72 de l’arrêt Varvara sont cumulatives : pour qu’une peine telle que la confiscation soit appliquée, l’infraction ne doit pas être prescrite et il doit exister un « jugement de condamnation » formel (ou une « condamnation », pour reprendre la terminologie du présent arrêt). Autrement dit, le principe posé dans l’arrêt Varvara est qu’une peine ne peut être infligée si le délai légal de prescription a expiré et en l’absence de condamnation formelle. Pareille condamnation peut être prononcée dans le cadre d’un procès pénal au sens strict ou de toute procédure relevant de l’article 7, par exemple une procédure administrative appliquant une « peine » (paragraphe 254). Contrairement au principe susmentionné de l’arrêt Varvara, la majorité conclut ceci : « lorsque les juridictions saisies constatent la réalisation de tous les éléments de l’infraction de lotissement illicite tout en concluant au non-lieu, en raison de la seule prescription, ces constatations s’analysent, en substance, en une condamnation au sens de l’article 7, lequel en pareil cas n’est pas violé » (paragraphe 261).

II. Le présent arrêt énonce-t-il un principe ?

8. Indépendamment de l’articulation du présent arrêt avec l’arrêt Varvara, il est difficile de dire si nous devrions voir dans les conclusions de la majorité l’énoncé d’un principe (selon laquelle la prescription et la garantie d’une condamnation formelle sont sans pertinence pour les besoins de l’article 7) ou d’une exception au principe posé dans l’arrêt Varvara (selon lequel il est incompatible avec l’article 7 d’infliger une peine une fois expiré le délai de prescription et en l’absence d’une condamnation formelle). S’il est vrai que l’« observation liminaire » au paragraphe 155 indique que le présent arrêt est d’interprétation restrictive, il est tout aussi vrai que la majorité n’avance aucune raison permettant de distinguer la présente affaire des autres. Nous examinerons donc l’une et l’autre de ces cas de figure.
9. Selon nous, le présent arrêt ne peut être interprété comme fixant un principe qui permettrait l’application d’une peine à la suite d’un constat de culpabilité « substantiel », malgré l’expiration du délai de prescription. Un tel principe reposerait sur une distinction entre une « condamnation formelle » (paragraphe 248) et « en substance (...) une déclaration de responsabilité [pénale] » (paragraphe 258). Selon la majorité, l’article 7 n’exige pas la première du moment que l’existence de la seconde est établie.
10. Un tel principe conduirait à un casse-tête linguistique, voire logique. Que signifierait un jugement de condamnation « substantiel » suivi de l’imposition d’une peine ? En quoi différerait-t-il d’une « condamnation formelle » ? Nous ne pouvons voir dans la distinction ainsi faite par la majorité qu’une question d’ordre linguistique : une « déclaration substantielle » de culpabilité serait exactement semblable à une « condamnation formelle » (parce qu’elle doit trancher en fait et en droit, qu’elle peut être suivie de l’imposition d’une peine, etc.), mais sans pour autant être appelée « condamnation formelle ». Les délais légaux de prescription feraient obstacle non pas aux déclarations « substantielles » de culpabilité assorties de l’imposition de peines, mais aux seules condamnations qualifiées de « formelles ».
11. Nous estimons que cette conclusion n’est guère défendable, et il est impensable à nos yeux que la majorité ait voulu l’approuver. Même si la Cour a antérieurement laissé aux États membres une certaine latitude dans l’application des délais légaux de prescription, elle n’a jamais jugé ceux-ci totalement dénués de pertinence pour les besoins de l’article 7. Elle a validé la prolongation a posteriori de ces délais, avec toutefois comme réserve importante qu’il n’y ait pas d’« arbitraire » (Previti c. Italie (déc.), no 1845/08, § 81, 7 juin 2012). Un principe reposant sur une déclaration « substantielle » de culpabilité faisant de la prescription légale une formalité futile serait une invitation à l’arbitraire.
12. Ces considérations sont d’autant plus pertinentes si l’on se rappelle que les délais légaux de prescription sont de nature substantielle dans certains systèmes constitutionnels internes. Ainsi, en Italie, la Cour constitutionnelle a jugé que la loi régissant les délais de prescription était une « règle substantielle de droit pénal » et qu’elle était « soumise au principe de légalité » (Ordinanza Costituzionale no 24/2017, § 8). Il serait manifestement incompatible avec la propre interprétation de la Cour constitutionnelle de rétrograder en une formalité futile les délais de prescription, en lesquels elle voit des garanties substantielles de droit pénal.

III. Le présent arrêt énonce une exception

13. Pour les raisons susmentionnées, on ne peut voir dans le présent arrêt que l’exposé d’une exception au principe de l’arrêt Varvara qui interdit l’imposition de peines à l’expiration des délais de prescription et en l’absence d’une condamnation formelle. L’« observation liminaire » au paragraphe 155 confirme qu’il s’agissait de l’intention de la majorité. Mais si c’est une exception, quels sont les cas qui dérogent au principe ? S’agit-il de certains types d’infraction, de certaines formes de peine ou d’une combinaison des deux ? Et pour quelle raison restreindre l’exception à ces cas ? Voilà des questions importantes restées sans réponse.
14. Si la Cour énonce une exception au principe né de la Convention et de sa propre jurisprudence, elle ne peut le faire par le seul fiat judiciaire. Il faut pour cela des motifs convaincants, ceux-ci ayant une double fonction. D’une part, les motifs ont une fonction normative primordiale : ceux qui sont retenus doivent être suffisamment impérieux pour justifier l’absence de protection pour certaines catégories de requérants ou d’affaires. Le requérant doit être à même de comprendre en quoi son cas diffère de celui d’une autre personne qui, dans des circonstances similaires, jouirait de la protection offerte par la Convention. D’autre part, les motifs ont une fonction juridique plus déterminante : ceux que la Cour devrait exposer sont censés délimiter la portée de l’exception dans les affaires futures de manière à ce que les États contractants comme les personnes habitant sur leur territoire soient en mesure d’adapter leur comportement afin de se conformer à la Convention. C’est d’autant plus fondamental dans un arrêt relatif à l’article 7 qui souligne l’importance de la prévisibilité en tant que valeur de la Convention (paragraphe 246).
15. Malheureusement, ce n’est pas ce que fait le présent arrêt. Les seules « considérations » qui semblent avoir poussé la majorité à énoncer cette exception au principe de l’arrêt Varvara – pas de peine sans condamnation formelle – sont exposées en son paragraphe 260 et méritent d’être citées dans leur intégralité :

« 260. De l’avis de la Cour, il convient de tenir compte, d’une part, de l’importance qu’il y a, dans une société démocratique, à assurer l’État de droit et la confiance des justiciables dans la justice, et, d’autre part, de l’objet et du but du régime appliqué par les juridictions italiennes. À cet égard, il apparaît que ledit régime vise à lutter contre l’impunité qui résulte de ce que, par l’effet combiné d’infractions complexes et de délais de prescription relativement courts, les auteurs de telles infractions échapperaient systématiquement aux poursuites et surtout aux conséquences de leurs méfaits (voir, mutatis mutandis, El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 192, CEDH 2012). »

À nos yeux, cela ne suffit pas à justifier l’exception que la majorité semble énoncer.

16. Tout régime répressif – c’est un pléonasme – est censé lutter contre l’impunité. Lorsqu’ils ont rédigé la Convention, les États contractants étaient conscients que le respect de l’article 7, auquel ils s’engageaient, impliquait une limite à leur capacité à « empêcher l’impunité ». Une lutte inconditionnelle contre l’impunité ne saurait en elle-même et par elle-même justifier un assouplissement des droits conventionnels.
17. La seule jurisprudence citée au paragraphe 260, à savoir l’arrêt El-Masri, souligne l’importance d’engager des poursuites dans les meilleurs délais « en vue d’éviter toute apparence d’impunité relativement à certains actes » (El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 192, CEDH 2012). Or, les questions de fait et de droit analysées dans l’arrêt El-Masri (une violation de l’article 3 sous son volet procédural à raison d’un défaut d’enquête des organes de l’État sur des allégations de mauvais traitements commis par des agents de l’État) ne sont pas les mêmes qu’en l’espèce. Dans l’arrêt El-Masri, il n’y avait pas de valeurs concurrentes à mettre en balance : personne dans cette affaire n’avait soutenu que l’article 7 ou toute autre disposition de la Convention faisait obstacle à l’engagement de poursuites par l’État. Au contraire, dans l’affaire El-Masri, l’État avait l’obligation d’engager des poursuites précisément sur la base d’un droit tiré de la Convention. Le requérant alléguait une violation de l’article 3 sous son volet procédural à raison de l’inaction de l’État dans les investigations sur des mauvais traitements et la Cour lui a donné raison. Enfin, le droit international, que la Cour traite avec une déférence particulière, fait obligation de réprimer la torture. Toutes ces différences suffisent à montrer que la seule autorité citée par la majorité à l’appui de sa position n’est pas pertinente en l’espèce.
18. Nous considérons que la « complexité » des infractions en question n’est pas davantage un critère suffisamment solide pour une exception aussi importante. La majorité ne donne d’ailleurs aucun moyen de distinguer une affaire « complexe » d’une affaire « simple ». Si tant est que le droit interne serve de référence, le législateur italien ne semble pas avoir estimé que l’infraction de lotissement illicite fût particulièrement complexe : rien n’indique que l’affaire ait fait l’objet d’une enquête par des services spécialisés ou de poursuites par des procureurs spécialisés, ni qu’elle ait été jugée par des juridictions spécialisées. De plus, en droit italien, le lotissement illicite est une simple contravention (contravenzione) punissable au maximum de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 51 645 euros (article 44 § 1 c) du code de la construction, décret du président de la République no 380 du 6 juin 2001).
19. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut exister d’infractions dont les caractéristiques particulières appelleraient une sorte de considération particulière. Ainsi, parfois, des garanties procédurales peuvent entrer en conflit avec les droits d’autrui. Les maltraitances d’enfants en sont un exemple. Dans ces affaires, la Cour « tient spécialement compte des particularités de la procédure se rapportant aux maltraitances d’enfants, surtout lorsqu’interviennent des mineurs », au point d’apprécier la conformité de celle-ci au droit d’interroger les témoins, consacré à l’article 6 § 3 d) (Magnusson c. Suède (déc.), no 53972/00 ; voir aussi S.N. c. Suède, no 34209/96, 2 juillet 2002, §§ 47-53). La raison en est notamment qu’il faut respecter le droit à la vie privée des victimes, protégé par l’article 8 de la Convention. Nous ne sommes saisis d’aucun conflit de la sorte en l’espèce.
20. La Convention n’impose pas aux États un bref délai de prescription légale, si bien que tout État membre qui verrait dans ses propres délais de prescription un lourd obstacle peut les allonger (Previti¸ précité, § 80, et Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96 et 4 autres, § 149, CEDH 2000‑VII). D’ailleurs, l’Italie a allongé les délais de prescription légaux depuis la période considérée en l’espèce : la réforme opérée par la loi no 251 du 5 décembre 2005 a allongé lesdits délais fixés dans le code pénal, tandis que la loi no 103 du 23 juin 2017 prévoit la suspension du délai de prescription dès que sont pris certains actes de procédure. Cela veut dire que, même à supposer qu’à l’époque des faits il fût excessivement difficile, en raison des brefs délais de prescription fixés par le droit italien, d’engager des poursuites dans les affaires analogues à celles examinées dans le présent arrêt, la cause en est un choix politique de l’État italien qui ne saurait être imputé à M. Gironda.

IV. Les conclusions de la majorité sont incohérentes

21. Enfin, les conclusions de la majorité sont intrinsèquement incohérentes. Au paragraphe 252, la majorité dit ceci : « [p]our sa part, la Cour doit s’assurer que la déclaration de responsabilité pénale respecte les garanties prévues par l’article 7 et qu’elle résulte d’une procédure conforme aux exigences de l’article 6 ». Elle reprend le même raisonnement qu’au paragraphe 261.
22. Nous estimons que ce raisonnement est juridiquement indéfendable et instaure un dangereux précédent. Selon la majorité, la violation de l’article 7 dépend du respect des garanties de l’article 6, ce qui voudrait dire que le respect de l’article 6 peut compenser une violation de l’article 7. Il est impératif de tenir séparées les analyses sur ces deux terrains. Le principe de légalité que consacre l’article 7 est une garantie de droit pénal matériel qui, logiquement, ne peut dépendre des garanties procédurales. Le respect des garanties de l’article 6 est étranger à ce que l’article 7 permet à l’État de faire. Il n’est pas une monnaie d’échange pour une violation de l’article 7. Il ne faudrait pas ouvrir la porte aux négociations entre garanties procédurales et garanties matérielles.
23. Les dangers d’un tel raisonnement sont illustrés dans le présent arrêt. Dans le raisonnement de la majorité, en cas de constat de culpabilité « substantiel », une violation de l’article 6 emporte de plein droit violation de l’article 7 (paragraphes 252 et 255). Néanmoins, la majorité ne voit aucune contradiction lorsqu’elle conclut à la violation de l’article 6 § 2 sans constater de violation de l’article 7 à l’égard de M. Gironda. Selon sa propre approche sur le terrain de l’article 6, un constat de violation de l’article 6 § 2 conduit nécessairement à une violation de l’article 7. À la lumière du raisonnement de la majorité, l’absence de constat de violation de l’article 7 à l’égard de M. Gironda n’est pas convaincante.
24. Il y a lieu de noter qu’un problème résultera dans tous les autres cas similaires à celui de M. Gironda (des cas qu’on appellerait en terminologie juridique italienne fratelli minori di Gironda, ou « jeunes frères de Gironda »). Une déclaration de culpabilité « substantielle » (et l’imposition consécutive d’une peine de confiscation) lorsque l’action pénale est éteinte emportera toujours violation de l’article 6 § 2, comme la majorité le fait observer au paragraphe 317 (pour plus de références, voir la jurisprudence citée aux paragraphes 314-315). Cela veut manifestement dire que pour tous les fratelli minori di Gironda, il y aura forcément violation de l’article 6 § 2 et, selon nous, une violation de l’article 7 aussi. Aussi, l’État défendeur ne peut ordonner une confiscation une fois l’infraction prescrite et en l’absence de condamnation formelle, sauf à engager sa responsabilité internationale, à tout le moins sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention.

V. Conclusion

25. Ainsi qu’il a été démontré ci-dessus, nous sommes d’avis que le respect du principe nulla poena sine lege aurait dû conduire la Grande Chambre à conclure à la violation de l’article 7 de la Convention à l’égard de M. Gironda. L’importance de ce principe consacré à l’article 7 ne saurait être mésestimée.
26. Les motifs retenus par la Cour ne sont pas seulement une source pour la jurisprudence future : leur apport est crucial aussi dans les décisions des juridictions internes des États du Conseil de l’Europe ou des pays tiers, voire dans celles des autres organes de protection des droits de l’homme aux quatre coins du monde. Les juristes, les politiciens, les activistes et les universitaires examinent régulièrement nos arrêts pour en tirer des arguments à l’appui de leurs prétentions juridiques. Nous ne pouvons savoir aujourd’hui comment cet assouplissement du principe de légalité sera interprété. Nous ne pouvons qu’espérer que, à l’avenir, la Cour précisera la portée du présent arrêt et réaffirmera avec force le principe selon lequel l’État ne peut imposer de peine une fois expirés les délais de prescription légaux et en l’absence de condamnation formelle.

ANNEXE

No de requête

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Nom de l’affaire

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Date d’introduction

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Requérant(s)

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Nom du représentant

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1828/06

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G.I.E.M. S.r.l.

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21/12/2005

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G.I.E.M. S.r.l.

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Giuseppe MARIANI

34163/07

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Hotel Promotion Bureau S.r.l. et R.I.T.A Sarda S.r.l. c. Italie

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02/08/2007

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Hotel Promotion Bureau S.r.l.

R.I.T.A Sarda S.r.l.

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Giuseppe LAVITOLA

19029/11

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Falgest S.r.l. et Gironda c. Italie

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23/03/2011

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Falgest S.r.l.

Filippo GIRONDA

|

Anton Giulio LANA

* * *

[1] L’Italie a signé mais n’a pas ratifié le Protocole no 16.

[2]. Récemment, à la fin de l’année 2017, la CJUE s’est prononcée sur une autre affaire concernant la TVA : M.A.S. et M.B. (Taricco II). Dans cette affaire, elle a rappelé que les États membres doivent veiller, en cas de fraude grave à la TVA, à ce que des sanctions pénales efficaces et dissuasives soient adoptées. Néanmoins, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’UE, il appartient aux États membres d’adopter les règles de prescription applicables aux procédures pénales relatives à ces affaires. Cela signifie, en substance, que si un État membre doit imposer des sanctions pénales efficaces et dissuasives en cas de fraude grave à la TVA, il est libre de considérer, par exemple, que les règles de prescription font partie du droit pénal matériel. La CJUE a souligné qu’en pareil cas, l’État membre doit respecter le principe selon lequel les infractions pénales et les peines doivent être définies par la loi, ce qui correspond à un droit fondamental consacré par l’article 49 de la Charte, même dans un contexte d’impunité dans bon nombre de cas de fraude grave à la TVA.

[3] Sud Fondi S.r.l. et autres c. Italy, no 75909/01, 20 janvier 2009

[4] Varvara c. Italy, no 17475/09, 29 octobre 2013

[5] Voir le paragraphe 252 de l’arrêt.

[6] Pour une présentation détaillée concernant l’utilité de la confiscation des biens, voir: Boucht, J., The Limits of Asset Confiscation, Hart Publishing, 2017, pp. 2-5

[7] Boucht, supra, p. 4

[8] R c. Ahmed [2014] 3 WLR 23, para. [36].

[9] . Gadamer, H-G., Truth and Method, Bloomsbury Academic; édition Reprint (27 juin, 2013)

[10] Dworkin, R., Law’s Empire, Hart Publishing; édition New Ed (1er octobre 1998)

[11] En utilisant ici le mot “moment”, je me réfère au terme “constitutional moments” créé dans : Ackerman, B., “Storrs Lectures: Discovering the Constitution”, Yale Law Journal, vol. 93, pp. 1013-1072 (1984).

[12] AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, série A no 108, § 66 ; CM c. France (déc.), no 28078/95, 26 juin 2001

[13] Voir, par exemple, AGOSI, précité, § 65

[14] Yildirim c. Italie (déc.), no 38602/02, CEDH 2003-IV

[15] Décision Yildirim précitée

[16] Voir AGOSI, précité, § 54, et Air Canada c. Royaume-Uni, 5 mai 1995, §§ 29-48, série A no 316-A

[17] AGOSI, précité, § 55

[18] Arrêt Varvara, § 51

[19] Ibid., § 72

[20] Ibid.

[21] Voir l’ordonnance de renvoi du 17 janvier 2014, résumée au paragraphe 1 de l’arrêt no 49 de 2015 de la Cour constitutionnelle

[22] Arrêt no 49 de 2015 de la Cour constitutionnelle italienne., § 6

[23] Ibid., § 6.1

[24] Ibid., § 6.2

[25] Sabato, R, The Experience of Italy in Judicial Dialogue and Human Rights, Cambridge University Press, p. 275.

[26] Voir Bignami, M, “Le gemelle crescono in salute: la confisca urbanistica tra constituzione, CEDU e diritto vivente”; Martinico, G., “Corti costituzionali (o supreme) e ‘disobbedienza funzionale’” Pulitano, D., “Due approcci opposti sui rapport fra Costituzionale e CEDU in materia penale. Questioni lasciate aperte de Corte cost. N.49/2015”; Ruggeri, A., “Fissati nuovi palette alla Consulta a riguardo del rilievo della CEDU in ambito interno”; Vigano, F., “La consulta e la tela di Penelope”, Vol.2, Diritto Penale Contemporaneo (Rivista Trimestrale), 2015.

[27] Voir le paragraphe 252 de l’arrêt

[28] Voir le paragraphe 130 de l’arrêt.

[29] Barsotti, V., Carozza P. G., Cartabia, M., Simoncini, A., Italian Constitutional justice in Global Context, Oxford University Press, 2016, p. 224

[30] Ibid., p. 226

[31] Pollicino, O. The ECtHcR and the Italian Constitutional Court, The UK and European Human Rights: A strained Relationship?, Bloomsbury, p. 366

[32] Barsotti et autres, supra, p. 229

[33] Pollicino, supra, p. 366.

[34] Sabato, supra, pp. 273-274

[35] Pollicino, supra, p. 366.

[36] Barsotti et autres, supra, p. 230

[37] Ibid.

[38]. La Cour constitutionnelle italienne, siégeant au Palazzo della Consulta, sera également désignée dans la présente opinion par les expressions la « Consulta » ou le « Giudice delle leggi ».

[39]. Varvara c. Italie, no 17475/09, 29 octobre 2013.

[40]. Paragraphe 252 de l’arrêt de la Grande Chambre.

[41]. Il convient de noter que la première référence à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg dans le rapport annuel du président de la Cour constitutionnelle aux médias remonte à 1989 (elle portait sur la jurisprudence relative à la durée de la procédure) et que la première référence à la relation entre la Cour constitutionnelle et la Cour de Strasbourg date de 2004.

[42]. Arrêts de la Cour constitutionnelle no 188/80, no 153/87, no 323/89, no 315/90 et no 388/99.

[43]. Ce n’est que plus tard que la Cour constitutionnelle a déclaré, dans un obiter dictum célèbre mais qui est demeuré isolé, que la loi de 1955 ratifiant la Convention avait une force particulière parce qu’« il s’agi[ssai]t de dispositions découlant d’une source investie d’une compétence atypique et, qu’en tant que telles, elles [étaient] insusceptibles d’abrogation ou de modification par une loi ordinaire » (arrêt no 10/93).

[44]. Arrêt de la Cour constitutionnelle no 413 de 2004.

[45]. Arrêt de la Cour constitutionnelle no 154 de 2004, qui faisait référence au droit protégé par l’article 6 de la Convention, à la lumière de l’interprétation faite dans les arrêts Cordova c. Italie (no 1), no 40877/98, CEDH 2003‑I et Cordova c. Italie (no 2), no 45649/99, CEDH 2003‑I (extraits).

[46]. A. Pace, « La limitata incidenza della CEDU sulle libertà politiche e civili in Italia » (2001) 7 Diritto pubblico 1 ; M. Cartabia, « La CEDU e l’ordinamento italiano: rapporti tra fonti, rapporti tra giurisdizioni », et F. Viganò, « ’Sistema CEDU’ e ordinamento interno: qualche spunto di riflessione in attesa delle decisioni della Corte costituzionale », tous deux dans R. Bin et al. (éds.), All’incrocio tra Costituzione e CEDU. Il rango delle norme della Convenzione e l’efficacia interna delle sentenze di Strasburgo, Turin, Giappichelli, 2007. Les contributions à ce séminaire de Ferrare donnent un excellent aperçu de la situation telle qu’elle se présentait immédiatement avant le prononcé des « arrêts jumeaux ».

[47]. L’expression « juges ordinaires » (giudici comuni) sera utilisée dans cette opinion dans le sens des juridictions internes ordinaires, c’est-à-dire par opposition à la Cour constitutionnelle.

[48]. Voir les arrêts emblématiques de la Cour de cassation no 2194 de 1993, no 6672 de 1998 et no 28507 de 2005.

[49]. Les travaux des universitaires italiens consacrés aux sujets abordés dans cette opinion sont extrêmement riches. Dans le but de toucher un public plus large, je leur préférerai toutefois la littérature rédigée en anglais et en français, sans pour autant négliger les textes en italien. Concernant les arrêts no 348 et no 349 voir, entre autres, G. Repetto, « Rethinking a constitutional role for the ECHR, The dilemmas of incorporation into Italian domestic law » dans G. Repetto, The Constitutional Relevance of the ECHR in Domestic and European Law, an Italian perspective, Cambridge: Intersentia, 2013, 37-53 ; M. Parodi, « Le sentenze della Corte Edu come fonte di diritto. La giurisprudenza costituzionale successiva alle sentenze n° 348 e n. 349 del 2007 » (2012) Diritti Comparati ; F. Jacquelot, « La réception de la CEDH par l’ordre juridique italien : itinéraire du dualisme italien à la lumière du monisme français » (2011) Revue de Droit Public 1235 ; A. Ruggeri, « Corte costituzionale e Corti europee: il modello, le esperienze, le prospettive », dans Del Canto et Rossi (éd.), Corte costituzionale e sistema istituzionale, Turin, Giappichelli, 2011 ; P. Ridola, « La Corte costituzionale e la Convenzione europea dei diritti dell’uomo: tra gerarchia delle fonti nazionali e armonizzazione in via interpretativa », dans P. Ridola, Diritto comparato e diritto comune europeo, Turin, Giappichelli, 2010 ; E. Cannizzaro, « The effect of the ECHR on the Italian legal order: direct effect and supremacy » (2009) XIX Italian Yearbook of International Law 173 ; F. Lafaille, « CEDH et constitution italienne : la place du droit conventionnel au sein de la hiérarchie des normes » (2009) Revue de Droit Public 1137 ; F. Sorrentino, « Apologia delle « sentenze gemelle » (brevi note a margine delle sentenze nn. 348 e 349/2007 della Corte costituzionale », in Diritto e società, 2/2009 ; AAVV, Riflessioni sulle sentenze 348‑349/2007 della Corte costituzionale, a cura di C. Salazar e A. Spadaro, Milan, 2009 ; O. Pollicino, « Constitutional Court at the crossroads between parochialism and co-operative constitutionalism » (2008) 4 European Constitutional Law Review 363 ; F. Dal Monte et F. Fontanelli, « The Decisions no. 348 and 349 of 2007 of the Italian Constitutional Court: the efficacy of the European convention in the Italian legal system » (2008) 9 German Law Journal 889 ; F. Ghera, « Una svolta storica nei rapporti del diritto interno con il diritto internazionale pattizio (ma non in quelli con il diritto comunitario) » (2008) Foro italiano I, 50 ; M. Luciani, « Alcuni interrogativi sul nuovo corso della giurisprudenza costituzionale in ordine ai rapporti tra diritto italiano e diritto internazionale » (2008) Corriere giuridico 185 ; M. Cartabia, « Le sentenze gemelle: Diritti fondamentali, fonti, giudici » (2007) 52 Giurisprudenza Costituzionale 3564 ; F. Donati, « La CEDU nel sistema italiano delle fonti del diritto alla luce delle sentenze della Corte costituzionale del 24 ottobre 2007 » (2007) I Diritti dell’ Uomo 14 ; A. Guazzarotti, « La Corte e la CEDU: il problematico confronto di standard di tutela alla luce dell’art. 117, comma I, Cost. » (2007) Giurisprudenza Costitutizionale 3574 ; et Pinelli, « Sul trattamento giurisdizionale della CEDU e delle leggi con essa confliggenti » (2007) 52 Giurisprudenza Costituzionale 3518.

[50]. Le fait est que certains tribunaux ordinaires ont continué à écarter l’application du droit interne sur la base de la Convention, comme dans l’arrêt de Cassazione (Cour de cassation) (chambre I) no 27918 de 2011, qui mentionne la immediata operatività ainsi que la diretta applicabilità de la Convention, l’arrêt de Cassazione (chambre III) no 19985 de 2011, qui fait référence à la precetività delle norme convenzionali ainsi que dans l’arrêt du Consiglio di Stato no 1220 du 2 mars 2010, qui avance que la Convention est devenue partie intégrante du droit de l’UE ipso jure, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et qu’elle bénéficie désormais de l’effet direct et de la primauté. La Cour constitutionnelle s’est opposée à cette dernière interprétation dans son arrêt no 80 de 2011 et surtout dans son arrêt no 210/2013, estimant que la nouvelle version de l’article 6 § 3 du traité sur l’Union européenne n’avait pas transformé la Convention en une partie du droit de l’UE. La Cour de justice du Luxembourg a confirmé l’opinion de la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 24 avril 2012, prononcé dans l’affaire C-571/10, Kambejaj. À propos de la réaction des tribunaux ordinaires, voir, parmi d’autres, L. Fontaine et F. Laffaille, « La « communautarisation » de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Le juge administratif italien et les normes européennes » (2011) 127 Revue de Droit Public 1015 ; A. Ruggeri, « La Corte fa il punto sul rilievo interno della CEDU e della Carta di Nizza-Strasburgo (a prima lettura di Corte cost. n. 80 del 20/1) », in forumcostituzionale.it, 23 mars 2011 ; E. Lamarque, « Il vincolo alle leggi statali e regionali derivante dagli obblighi internazionali nella giurisprudenza comune », in Corte costituzionale (ed), Corte costituzionale, giudici comuni e interpretazioni adeguatrici, Milan : Giuffrè, 2010 ; et I. Carlotto, « l giudici comuni e gli obblighi internazionali dopo le sentenze n. 348 e n. 349 del 2007 della Corte costituzionale: un’analisi sul seguito giurisprudenziale » (2010) Politica del Diritto 41.

[51]. Ce point de vue n’était pas partagé de façon unanime par les hautes juridictions italiennes. Par exemple, dans son arrêt no 1191/89, la Cour de cassation avait déjà déclaré que l’article 6 de la Convention était auto-exécutoire.

[52]. Paragraphe 3.3 du cons. in dir. (motivation en droit) de l’arrêt no 348/2007 de la Cour constitutionnelle.

[53]. Paragraphe 6.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 348/2007 de la Cour constitutionnelle.

[54]. Paragraphe 6.1 du cons. in dir. de l’arrêt no 348/2007 de la Cour constitutionnelle.

[55]. Paragraphe 6.1 du cons. in dir. de l’arrêt no 349/2007 de la Cour constitutionnelle.

[56]. Ibidem.

[57]. Paragraphe 4.6 du cons. in dir. de l’arrêt no 348/2007 de la Cour constitutionnelle.

[58]. Concernant les arrêts no 311 et 317 voir, parmi d’autres, V. Barsotti et al., « Italian Constitutional Justice in Global Context », Oxford : Oxford University Press, 2015 ; N. Perlo, « Les juges italiens et la Cour européenne des droits de l’homme : vers la construction d’un système juridique intégré de protection des droits », in X. Magnon et al. (éd.), « L’office du juge constitutionnel face aux exigences supranationales », Bruxelles: Bruylant, 2015 ; et « La Cour Constitutionnelle italienne et ses résistances à la globalisation de la protection des droits de l’homme: un barrage contre le pacifique »? » (2013) 95 Revue française de droit constitutionnel 717 ; C. Padula, « La Corte costituzionale ed i « controlimiti » alle sentenze della Corte europea dei diritti dell’uomo: riflessioni sul bilanciamento dell’art. 117, co. 1, Cost. », in Federalismi.it, 10 décembre 2014 ; G. Reppetto, « L’effetto di vincolo delle sentenze della Corte europea dei diritti dell’uomo nel diritto interno: dalla riserva di bilanciamento al « doppio binario » » (2014) 20 (3) Diritto Pubblico 1075 ; M. Cartabia, « La tutela multilivello dei diritti fondamentali-il cammino della giurisprudenza costituzionale italiana dopo l’entrata in vigore del Trattato di Lisbona », Incontro trilaterale tra le Corti costituzionali italiana, portoghese e spagnola - Santiago del Compostela 16-18 octobre 2014 ; F. Gallo, Rapporti fra Corte Constituzionale e Corte EDU, Bruxelles, 24 mai 2012, in Rivista AIC 1/2013 ; D. Tega, « I diritti in crisi tra Corti nazionali e Corte europea di Strasburgo », Milan : Giuffrè, 2012 ; O. Pollicino, « Allargamento dell’Europa ad est e rapporti tra Corti costituzionali e corti europee. Verso una teoria generale dell’impatto interordinamentale del diritto sovranazionale », Milan : Giuffrè, 2012 ; D. Tega, « L’ordinamento costituzionale italiano e il « sistema » CEDU: accordi e disaccordi », in V. Manes et V. Zagrebelsky (éd.), « La CEDU nell’ordinamento penale italiano », Milan : Giuffré, 2011 ; E. Gianfrancesco, « Incroci pericolosi: CEDU, Carta dei diritti fondamentali e Costituzione italiana tra Corte costituzionale, Corte di giustizia e Corte di Strasburgo », in Rivista dell’Associazione italiana dei costituzionalisti, no 1/2011 ; O. Pollicino, « Margine di apprezzamento, art 10, c.1, Cost. e bilanciamento « bidirezionale »: evoluzione o svolta nei rapporti tra diritto interno e diritto convenzionale nelle due decisioni nn. 311 e 317 del 2009 della Corte costituzionale? », in Forum di Quaderni costituzionali, 16 décembre 2009, A. Ruggeri, « Conferme e novità di fine anno in tema di rapporti tra diritto interno e CEDU (a prima lettura di Corte cost. nn. 311 e 317 del 2009) », Forum di Quaderni costituzionali, 2009.

[59]. Paragraphe 6 du cons. in dir. de l’arrêt no 311/2009 de la Cour constitutionnelle.

[60]. Paragraphe 7 du cons. in dir. de l’arrêt no 317/2009 de la Cour constitutionnelle.

[61]. Paragraphe 6 du cons. in dir. de l’arrêt no 311/2009 de la Cour constitutionnelle. Dans le récent arrêt no 49 de 2015, la Cour constitutionnelle a rappelé ce principe interprétatif : « Questa Corte ha già precisato, e qui ribadisce, che il giudice comune è tenuto ad uniformarsi alla « giurisprudenza europea consolidatasi sulla norma conferente » (sentenze n. 236 del 2011 e n. 311 del 2009), « in modo da rispettare la sostanza di quella giurisprudenza » (sentenza n. 311 del 2009; nello stesso senso, sentenza n. 303 del 2011) ».

[62]. Paragraphe 7 du cons. in dir. de l’arrêt no 317/2009 de la Cour constitutionnelle.

[63]. Ibidem.

[64]. C’est un raffinement du « ragionevole bilanciamento » déjà mentionné au paragraphe 4.7 du cons. in dir. de l’arrêt no 348/2007. La valeur ajoutée de l’arrêt de 2009 réside dans la mise en avant de la relation moins formaliste et hiérarchique, et plus axiologique et substantielle, entre la Constitution et la Convention, au nom du principe de la « maximisation des garanties ».

[65]. Ce noyau intangible de l’identité constitutionnelle et de la souveraineté de l’État inclut « les principes fondamentaux de notre ordre constitutionnel » et « les droits inaliénables de la personne humaine », tels que décrits par les arrêts de la Cour constitutionnelle no 183/73, no 170/84, no 232/89 et no 238/2014.

[66]. Arrêt du Consiglio di Stato du 8 août 2005, affaire 4207/2005.

[67]. Arrêt no 238/2014 de la Cour constitutionnelle.

[68]. La marge d’appréciation a été mentionnée à la fois au paragraphe 7 de l’arrêt no 317 de 2009 et au paragraphe 9 de l’arrêt no 311 de 2009. Ces deux références renvoient toutefois à des choses très différentes. Si l’arrêt no 311 fait simplement référence à la jurisprudence de la Cour sur l’interprétation dans certains domaines sociaux, l’arrêt no 317 diffère en ce qu’il prétend lui que les États disposent d’une marge d’appréciation pour la mise en œuvre des arrêts de la Cour. Sur le recours à la doctrine de la marge d’appréciation par la Cour constitutionnelle, voir M. Cartabia, « La tutela multilivello (…) », précité, page 20, qui justifie son utilisation « lorsqu’un consensus n’est pas encore consolidé » ; voir également V. Schiarabba, « La dottrina del margine di apprezzamento e i rapporti con le corti nazionali », in O. Pollicino et V. Sciarabba, « La Corte europea dei diritti dell’uomo e la Corte di Giustizia nella prospettiva della giustizia costituzionale », in Forum costituzionale.it, 2010 ; et F. Bilancia, « Con l’obiettivo di assicurare l’effettività degli strumenti di garanzia la Corte costituzionale italiana funzionalizza il ‘margine di apprezzamento’ statale, di cui alla giurisprudenza CEDU, alla garanzia degli stessi diritti fondamentali » (2009) Giurisprudenza costituzionale 4772.

[69]. Voir le paragraphe 7 du cons. in dir. de l’arrêt no 311/2009 de la Cour constitutionnelle.

[70]. Arrêt no 236/2011 de la Cour constitutionnelle. Faisant référence aux positions de la Cour de Strasbourg et de la Cour constitutionnelle, M. Cartabia a considéré que « si cette affaire n’a pas conduit à un véritable conflit judiciaire en bonne et due forme, la diversité des positions entretenues par les deux cours ne peut être dissimulée » (« La tutela multilivello (…) », précité, page 18).

[71]. Arrêt no 236/2011 de la Cour constitutionnelle.

[72]. Arrêt no 264/2012 de la Cour constitutionnelle.

[73]. Il convient de noter que dans son arrêt no 264/2012, la Cour constitutionnelle a, pour écarter l’application de l’arrêt rendu par la Cour, recouru à la doctrine de la marge d’appréciation et non aux controlimiti, comme le giudice rimettente l’avait demandé (paragraphe 4.2). Voir à propos de cet arrêt, parmi d’autres, M. Cartabia, « I diritti in Europa: la prospettiva della giurisprudenza costituzionale italiana » (2015) Rivista trimestrale di diritto pubblico, I, 45, et « La tutela multilivello (…) », précité, pages 12-15 ; F. Viganò, « Convenzione europea dei diritti dell’uomo e resistenze nazionalistiche: Corte costituzionale italiana e Corte europea tra guerra e dialogo », in Diritto Penale Contemporaneo (DPC), 14 juillet 2014 ; R. Dickmann, « Corte costituzionale e controlimiti al diritto internazionale. Ancora sulle relazioni tra ordinamento costituzionale e CEDU », in Federalismi.it, Focus Human Rights, no 3/2013, 16 septembre 2013 ; M. Massa, « La sentenza no 264 del 2012 della Corte costituzionale: dissonanze tra le corti sul tema della retroattività », in Quaderni costituzionali, 1/2013 ; et A. Ruggeri, « La Consulta rimette abilmente a punto la strategia dei suoi rapporti con la Corte EDU e, indossando la maschera della consonanza, cela il volto di un sostanziale, perdurante dissenso nei riguardi della giurisprudenza convenzionale, (« a prima lettura » di Corte cost. n. 264 del 2012) », in Diritti Comparati, 14 décembre 2012.

[74]. Voir les remarques éclairantes de l’ancien juge de la Cour constitutionnelle, Sabino Cassese, Dentro la Corte. Diario di un giudice costituzionale, Bologna: Il Mulino, 2015, 78, 88, 89 et 213.

[75]. La Cour constitutionnelle n’emploie pas un langage cohérent depuis son arrêt no 317/2009, et continue parfois de recourir au langage de type hiérarchique, par exemple dans l’arrêt no 93/2010.

[76]. J’avais déjà anticipé ce conflit dans la note de bas de page 9 de mon opinion séparée jointe à l’arrêt Fabris c. France [GC], no 16574/08, CEDH 2013 (extraits).

[77]. Maggio et autres c. Italie, nos 46286/09 et 4 autres, 31 mai 2011.

[78]. Cataldo et autres c. Italie, nos 54425/08 et 5 autres, 24 juin 2014.

[79]. Stefanetti et autres c. Italie, nos 21838/10 et 7 autres, 15 avril 2014.

[80]. Paragraphe 5 du cons. in dir. de l’arrêt no 166/2017 de la Cour constitutionnelle. La situation actuelle ne pourra être surmontée qu’au prix d’une intervention du législateur, comme l’a suggéré la Cour constitutionnelle au paragraphe 8 de cet arrêt, ou d’une déclaration d’inconstitutionnalité partielle de la loi no 848 de 1955 pour autant que l’article 6 de la Convention est concerné, suivie de la formulation d’une réserve à la Convention à cet égard. La Cour aurait le dernier mot concernant la compatibilité de cette réserve avec la Convention. Si cette voie de droit échouait, l’État italien n’aurait plus qu’à dénoncer la Convention. En tout état de cause, la situation de refus de l’exécution de l’un des arrêts de la Cour engage la responsabilité internationale de l’État italien.

[81]. En fait, dans une autre affaire contemporaine à celle des pensions de retraite suisses qui portait sur la légitimité constitutionnelle de dispositions législatives d’interprétation authentique (l’affaire du personnel ATA), la Cour a dit que « [s]’agissant de la décision de la Cour constitutionnelle, la Cour rappelle qu’elle ne saurait suffire à établir la conformité de la loi no 266 de 2005 avec les dispositions de la Convention » (Agrati et autres c. Italie, nos 43549/08 et 2 autres, § 62, 7 juin 2011), s’opposant ainsi aux conclusions de l’arrêt no 234/2007 de la Cour constitutionnelle. Dans son arrêt no 257/2011, la Cour constitutionnelle a donné une interprétation étroite de l’arrêt Agrati et autres c. Italie, déclarant la constitutionalité des dispositions en jeu. Concernant ces arrêts voir, parmi d’autres, M. Bignami, « La Corte Edu e le leggi retroattive », in Questione Giustizia, 13 septembre 2017 ; G. Bronzini, « I limiti alla retroattività della legge civile tra ordinamento interno e ordinamento convenzionale: dal « disallineamento » al dialogo? », in AAVV, Dialogando sui diritti. Corte di Cassazione e CEDU a confronto, Naples : EGEA Editore, 2016 ; Servizio Studi Corte Costituzionale, « La legge di interpretazione autentica tra Costituzione e Cedu », a cura di I. Rivera, 2015 ; M. Massa, « Difficoltà di dialogo. Ancora sulle divergenze tra Corte costituzionale e Corte europea in tema di leggi interpretative », in Giurisprudenza Costituzionale 1/2012 ; et F. Bilancia, « Leggi retroattive ed interferenza nei processi in corso: la difficile sintesi di un confronto dialogico tra Corte costituzionale e Corte europea fondato sulla complessità del sistema dei reciproci rapporti », in Giurisprudenza costituzionale, 6/2012.

[82]. À propos de la réaction à l’arrêt Varvara voir, parmi d’autres, F. Viganò, « Confisca urbanistica e prescrizione: a Strasburgo il re è nudo (a proposito di Cass. pen., sez. III, ord. 30 aprile 2014) », in DPC, 9 juin 2014 ; A. Balsamo, « La Corte europea e la confisca senza condanna per la lottizzazione abusiva » (2014) Cassazione Penale 1396 ; et G. Civello, « La sentenza Varvara c. Italia « non vincola » il giudice italiano: dialogo fra Corti o monologhi di Corti? », in Archivio Penale, 2015, no 1.

[83]. Voir parmi d’autres, V. Lo Guidice, « Confisca senza condanna e prescrizione: il filo rosso dei controlimiti », in DPC, 28 avril 2017 ; A. Giannelli, « La confisca urbanistica (art. 7 CEDU) », in Di Stasi, CEDU e Ordinamento Italiano, Vicenza: CEDAM, 2016, 563-590 ; C. Padula, « La Corte Edu e i giudici comuni nella prospettiva della recente giurisprudenza costituzionale », in Consulta online, 2016 fasc. 2 ; D. Pulitanò, « Due approcci opposti sui rapporti fra Costituzione e CEDU in materia penale. Questioni lasciate aperte da Corte cost. n. 49/2015 », in DPC, 22 juin 2015 ; O. Di Giovine, « Antiformalismo Interpretativo: Il pollo di Russell e la stabilizzazione del precedente giurisprudenziale », in DPC, 5/2015 ; G. Martinico, « Corti costituzionali (o Supreme) e « disobbedienza funzionale » – Critica, dialogo e conflitti nel rapporto tra diritto interno e diritto delle convenzioni (CEDU e Convenzione americana sui diritti umani) », in DPC, 28 avril 2015 ; A. Ruggeri, « Fissati nuovi paletti dalla Consulta a riguardo del rilievo della Cedu in ambito interno », in DPC, 2 avril 2015 ; D. Tega, « La sentenza della Corte costituzionale no. 49/2015 sulla confisca: il predominio assiologico della Costituzione sulla CEDU » (2015) Quaderni constituzionali 400 ; et « A National Narrative: The Constitution’s Axiological Prevalence of the ECHR–A Comment on the Italian Constitutional Court Judgment No. 49/2015 », in the Blog of the International Journal of Constitutional Law, 1er mai 2015 ; A. Pin, « A Jurisprudence to Handle with Care: The European Court of Human Rights’ Unsettled Case Law, its Authority, and its Future, According to the Italian Constitutional Court », dans le même blog ; F. Viganò, « La Consulta e la tela di Penelope. Osservazioni a primissima lettura su C. cost., sent. 26 marzo 2015, n. 49, in materia di confisca di terreni abusivamente lottizzati e proscioglimento per prescrizione », in DPC, 30 mars 2015 ; M. Bignami, « Le gemelle crescono in salute: la confisca urbanistica tra Costituzione, CEDU e diritto vivente », in DPC, 30 mars 2015 ; A. Russo, « Prescrizione e confisca. La Corte costituzionale stacca un nuovo biglietto per Strasburgo », in Archivio Penale ; R. Conti, « La Corte assediata? Osservazioni a Corte cost. n. 49/2015 », in Consulta online, 10 avril 2015 ; N. Colacino, « Convenzione europea e giudici comuni dopo Corte costituzionale n. 49/2015: sfugge il senso della « controriforma » imposta da Palazzo della Consulta », in Ordine Internazionale e Diritti Umani, no 3/2015 ; G. Civello, « Rimessa alla Grande Camera la questione della confisca urbanistica in presenza di reato prescritto: verso il superamento della sentenza Varvara? », Archivio Penale 2015, no 2 ; P. Mori, « Il predominio assiologico della Costituzione sulla CEDU: Corte costituzionale 49/2015 ovvero della ‘normalizzazione’ dei rapporti tra diritto interno e la CEDU », in SIDIBlog, 2015 ; V. Zagrebelsky, « Corte cost. n. 49/2015, giurisprudenza della Corte europea dei diritti umani, art. 117 Cost., obblighi derivanti dalla ratifica dela Convenzione », in Osservatorio costituzionale, 2015, no 5 ; G. Sorrenti, « Sul triplice rilievo di Corte cost., sent. n. 49/2015, che ridefinisce i rapporti tra ordinamento nazionale e CEDU e sulle prime reazioni di Strasburgo », in Forum di Quaderni Costituzionali, 7 décembre 2015 ; D. Russo, « Ancora sul rapporto tra Costituzione e Convenzione europea dei diritti dell’uomo: brevi note sulla sentenza della Corte Costituzionale n. 49 del 2015 », in Osservatorio delle fonti, 2/2015 ; G. Repetto, « Vincolo al rispetto del diritto CEDU ‘consolidato’: proposta di adeguamento interpretativo » (2015) Giurisprudenza Costituzionale 411.

[84]. Paragraphe 6 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle. Dans la mesure où la Cour constitutionnelle même admet l’applicabilité des garanties offertes par l’article 7 à la confisca urbanistica, je ne peux plus tenir la position que j’ai défendue dans mon opinion séparée jointe à l’arrêt Varvara, dans laquelle j’estimais que l’article 7 ne trouvait pas à s’appliquer. Je ne veux certainement pas essere più realista del re (être plus royaliste que le roi).

[85]. Paragraphe 5 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[86]. L’arrêt Sud Fondi srl et autres c. Italie, no 75909/01, 20 janvier 2009, a reçu un accueil positif dans l’arrêt no 239/2009 de la Cour constitutionnelle. Dans son arrêt no 49/2015, la Cour constitutionnelle a confirmé cette jurisprudence.

[87]. Paragraphe 5 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[88]. Paragraphe 6.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[89]. Sud Fondi, précité.

[90]. La Cour de cassation a considéré que l’arrêt Varvara n’était pas compatible avec certaines dispositions de la Constitution italienne, dans la mesure où il garantissait une « forme d’hyperprotection du droit au respect des biens alors même que le bien litigieux ne revêtait aucune utilité sociale (articles 41 et 42 de la Constitution), en faisant le sacrifice de principes d’une valeur constitutionnelle supérieure ou du droit de développer sa propre personnalité dans un environnement sain (articles 2, 9 et 32 de la Constitution) ». Il y a néanmoins lieu de noter que la Cour de cassation avait précédemment admis la logique qui avait présidé à l’arrêt Varvara (chambre pénale III, arrêt du 11 mars 2014, no 23965, et chambre pénale III, arrêt des 11 mars-16 avril 2014, no 16694).

[91]. Le juge de Teramo a considéré que la pratique de confiscation en vigueur dans les affaires d’infractions prescrites avait été jugée contraire à l’article 7 tel qu’interprété par l’arrêt Varvara, et qu’il n’existerait aucune autre solution interprétative pour résoudre cette contradiction.

[92]. Paragraphe 6.1 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[93]. Ibidem.

[94]. Paragraphe 7 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[95]. Ibidem.

[96]. Paragraphe 4 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle. Il n’est guère surprenant que la Cour constitutionnelle ait fait écho à la position prise par la Cour suprême du Royaume-Uni concernant l’absence d’effet erga omnes des arrêts de la Cour qui ne représentent pas une jurisprudence « claire et constante ». Concernant les opinions de Lord Philip dans l’affaire Horncastle et de Lord Bingham dans l’affaire Ullah, voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Hutchinson c. Royaume-Uni [GC], no 57592/08, CEDH 2017.

[97]. Paragraphe 6 de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[98]. Comme l’observe à juste titre F. Viganò, l’arrêt Varvara s’inscrivait dans la lignée de l’arrêt Paraponiaris c. Grèce, no 42132/06, 25 septembre 2008, et ne marquait donc aucune discontinuité à l’égard de la jurisprudence antérieure (« Confisca urbanistica (…) », précité, page 280).

[99]. Rien dans l’arrêt Varvara n’exige une sentence prononcée par une juridiction pénale. Il est vrai que la traduction en anglais de cet arrêt critique que « the criminal penalty which was imposed on the applicant despite the fact that the criminal offence had been time-barred and his criminal liability had not been established in a verdict as to his guilt » (« la sanction pénale infligée au requérant, alors que l’infraction pénale était éteinte et que sa responsabilité n’a pas été consignée dans un jugement de condamnation) ». Mais les mots « criminal liability » (responsabilité pénale) doivent être lus dans leur contexte : dans l’affaire Varvara, la confiscation a été décidée par la juridiction pénale, de sorte que son caractère pénal n’a pas été contesté. Cet aspect apparaît encore plus clairement dans la version française originale, qui estime simplement problématique le fait que la « responsabilité [du requérant] n’a pas été consignée dans un jugement de condamnation ».

[100]. Paragraphe 255 de l’arrêt.

[101]. Sud Fondi, précité.

[102]. Arrêt no 239/2009 de la Cour constitutionnelle.

[103]. Cette élégante formulation de l’arrêt no 24/2017 de la Cour constitutionnelle contredit sur un plan littéral, logique et axiologique la phrase ci-après, que l’on peut lire dans l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle : « Nell’ordinamento giuridico italiano la sentenza che accerta la prescrizione di un reato non denuncia alcuna incompatibilità logica o giuridica con un pieno accertamento di responsabilità. » Ces phrases ne peuvent pas être vraies toutes les deux. L’une d’elles est forcément erronée, et l’auteur de cette opinion considère que la Cour constitutionnelle avait raison dans son arrêt no 24/2017, mais pas dans son arrêt no 49/2015.

[104]. Fort justement, F. Viganò a cerné le cœur de l’arrêt Varvara en des termes exactement identiques : « Quest’ultima osservazione ci consente, d’altra parte, di evidenziare che il problema qui in discussione non è soltanto quello della piena garanzia di un ‘giusto processo’ in relazione all’accertamento del fatto e delle responsabilità individuali quali presupposto della misura ablatoria; ma anche quello, squisitamente sostanziale, del significato della declaratoria di prescrizione del reato dal punto di vista dell’imputato. (...) A Strasburgo, purtroppo, il re è nudo. La sottile retorica e le raffinate distinzioni della nostra giurisprudenza non valgono, avanti ai giudici europei, a difendere l’indifendibile: e cioè l’inflizione di una pena per un reato che lo stesso ordinamento giuridico italiano ritiene estinto per prescrizione, essendo ormai inutilmente trascorso il ‘tempo dell’oblio’ legislativamente stabilito per quel medesimo reato. » (« Confisca Urbanistica (…) », précité, page 286).

[105]. Varvara, précité, § 72.

[106]. Sud Fondi, précité.

[107]. Sur la nature de la prescription en matière pénale dans le droit conventionnel, voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, CEDH 2014 (extraits), et l’opinion que j’ai rédigée conjointement avec la juge Turkovic dans l’affaire Matytsina c. Russie, no 58428/10, 27 mars 2014. Elle s’écarte évidemment de la conception limitée exposée dans la décision Previti c. Italie (déc.), no 1845/08, 12 février 2013.

[108]. Cet argument est reformulé par la majorité au paragraphe 253 de l’arrêt.

[109]. Paragraphe 5 de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[110]. Ibidem. L’unique référence renvoie aux « règles de preuve adéquates » (attenendosi ad adeguati standard probatori).

[111]. Paragraphe 260 de l’arrêt.

[112]. La majorité se contente de supposer ce qui doit être prouvé. Pire encore, elle méconnaît le droit italien. Absolument rien dans l’arrêt ou dans le dossier n’indique que l’infraction de lotissement illicite soit plus complexe en droit italien que des infractions similaires dans d’autres pays ni qu’il soit plus difficile d’engager des poursuites contre cette infraction en Italie que de poursuivre les auteurs d’infractions similaires dans d’autres pays. Rien ne prouve non plus que le législateur italien considère que cette infraction est complexe en elle-même. Au contraire, le législateur estime qu’il s’agit là d’une infraction mineure (contravvenzione), passible de la peine maximale de deux ans d’emprisonnement et d’une amende non supérieure à 51 645 euros, et pour laquelle un sursis est même autorisé (article 163 du code pénal italien). Si la personne condamnée ne commet pas d’infractions pendant les deux années de mise à l’épreuve, « l’infraction s’éteint » (il reato è estinto) aux termes de l’article 167 du code pénal. Le sursis associé à la peine n’entraîne toutefois pas la suspension de la confiscation.

[113]. Ni l’arrêt ni le dossier ne contiennent le moindre élément indiquant que ce soit le cas. Les règles de prescription applicables en droit italien n’ont pas été comparées avec celles en vigueur dans d’autres pays. Qui plus est, la majorité ne devrait pas oublier que les États disposent de beaucoup d’autres possibilités se conciliant davantage avec l’État de droit lorsqu’ils veulent s’acquitter de leur mission de lutte contre les « infractions complexes », par exemple le rallongement des délais de prescription légale y afférents. À cet égard, la majorité ignore la modification qui a été apportée par le législateur lui-même à la règle de prescription pertinente dans la loi no 103, du 13 juin 2017, laquelle allonge les délais de prescription concernés.

[114]. Là encore, rien dans l’arrêt ou dans le dossier ne prouve qu’il y ait eu à l’époque des faits ou qu’il y ait actuellement une absence « systématique » de poursuites et de sanctions en cas de lotissement illicite en Italie. Au contraire, les statistiques communiquées par le ministère montrent que le pourcentage des infractions prescrites (prescrizioni) sur le nombre total des décisions définitives (definiti) ne cesse de reculer, et qu’il est passé de 14,69 % en 2004 à 9,48 % en 2014. Si l’on consulte les statistiques disponibles par catégorie d’infractions, on observe que les infractions prescrites dans la sphère de l’administration publique et devant les juridictions de première instance représentent respectivement 15,5 % et 5,6 % du total des décisions rendues ([https://www.giustizia.it/resources/cms/documents/ANALISI_PRESCRIZIONE_CON_COMMENTI.pdf](https://www.giustizia.it/resources/cms/documents/ANALISI_PRESCRIZIONE_CON_COMMENTI.pdf)). Ces chiffres ne confirment tout simplement pas le raisonnement développé par la majorité.

[115]. Les carences du régime de la prescription dans le droit italien ont déjà été sévèrement critiquées par la Cour dans le passé (Alikaj et autres c. Italie, no 47357/08, § 99, 29 mars 2011, et Cestaro c. Italie, no 6884/11, § 208, 7 avril 2015).

[116]. Paragraphe 261 de l’arrêt.

[117]. La majorité limite donc le recours à la confisca senza condanna aux cas dans lesquels les éléments de l’infraction ont déjà été établis au moment où l’infraction se trouve prescrite, ce qui interdit la poursuite des investigations sur ces éléments à partir de ce moment-là.

[118]. Marguš c. Croatie [GC], no 4455/10, § 120, CEDH 2014 (extraits).

[119]. Il ne s’agit pas ici de s’appesantir sur les conséquences de la thèse de la « condamnation en substance » pour le principe ne bis in idem. Je renvoie simplement à cet égard à mon opinion séparée jointe à l’arrêt A et B c. Norvège [GC], nos 24130/11 et 29758/11, CEDH 2016.

[120]. Voir, parmi d’autres, Cleve c. Allemagne, no 48144/09, 15 janvier 2015, et Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, série A no 266‑A. Incidemment, la Cour constitutionnelle interprète de manière erronée la jurisprudence de la Cour lorsqu’elle développe son argumentaire pour une déclaration substantielle de culpabilité. En témoigne de manière criante l’utilisation qu’elle fait de l’arrêt Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, série A no 62, pour défendre la proposition selon laquelle « [i]l ne s’agit pas de la forme du jugement, mais de sa substance » (Cour constitutionnelle, § 6.2). Ce que la Cour dit au paragraphe 37 de l’arrêt Minelli, c’est que même dans des décisions formelles d’acquittement, une juridiction nationale peut violer la présomption d’innocence en formulant des assertions à propos de la culpabilité d’un accusé. Mais si la Cour de Strasbourg évoque ce phénomène pour expliquer qu’il est interdit, la Cour constitutionnelle décrit ce même phénomène afin d’habiliter les juridictions internes à perpétuer cette pratique. Il ne s’agit même pas là d’une application in malam partem d’un principe, mais d’une subversion intégrale de celui-ci

[121]. Paragraphe 6.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[122]. Paragraphe 7 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[123]. Paragraphe 7 du cons. in dir. de l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle.

[124]. Paragraphe 6.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 348/2007 de la Cour constitutionnelle.

[125]. Rapport explicatif du Protocole n° 14 à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, § 68.

[126]. Ibidem, § 40.

[127]. Ibidem.

[128]. Ibidem.

[129]. Sur la valeur de précédent des arrêts de la Cour, voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Herrmann c. Allemagne [GC], no 9300/07, 26 juin 2012.

[130]. Article 61 du règlement de la Cour.

[131]. Sur la force juridique des arrêts « pilotes » et « quasi pilotes », voir mes opinions séparées jointes aux arrêts Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, CEDH 2013 (extraits), et Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 809/08, CEDH 2016.

[132]. Paragraphe 6.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 348/2007 de la Cour constitutionnelle.

[133]. Paragraphe 252 de l’arrêt. L’emplacement de cette phrase peut paraître surprenant, mais il a une explication. La Cour voulait poser un principe avant d’amorcer l’analyse de la valeur de l’arrêt Varvara aux paragraphes 255 à 261 qui suivent. Le principe, qui concerne le « caractère contraignant » et « l’autorité interprétative » de tous les arrêts de la Cour, est une réponse directe à l’arrêt no 49/2015 de la Cour constitutionnelle ainsi qu’un message adressé à toutes les cours suprêmes et constitutionnelles en Europe.

[134]. Voir la partie II (V. A. i.) ci-dessous à propos de la signification de l’« autorité interprétative » de l’arrêt de la Cour.

[135]. Il est à noter que la majorité ne résout pas la présente affaire en s’appuyant sur l’argument de la marge d’appréciation, alors que cette pratique est fréquente depuis quelque temps. La seule référence marginale à la marge appréciation dans l’analyse de la Cour se situe au paragraphe 293, et elle concerne l’article 1 du Protocole no 1.

[136]. Un certain sens de la décence empêche encore d’invoquer la marge d’appréciation pour s’attaquer à l’article de 7 de la Convention, qui garantit, ne l’oublions pas, un droit non susceptible de dérogation.

[137]. Comme l’indique à juste titre F. Viganò, « L’accertamento della violazione presuppone, in altre parole, la valutazione della Corte di non riconoscere più alcun margine di apprezzamento da parte dello Stato (…) una volta che sia stata accertata una violazione, lo Stato soccombente non ha più alcun margine di apprezzamento da far valere agli occhi della Corte, se non forse sulle concrete modalità con le quali eseguire la sentenza medesima » (« Convenzione europea (…) », précité, page 19). L’arrêt rendu dans l’affaire Moreira Ferreira c. Portugal (no 2) [GC], no 19867/12, CEDH 2017 (extraits), ne change rien à cette question, puisque les conclusions malheureuses formulées par la faible majorité sur le fond se limitent aux circonstances très spécifiques de la cause, alors que le premier arrêt Moreira Ferreira n’avait pas été, toujours de l’avis de la majorité, assez clair quant à l’indication de rouvrir la procédure pénale. En tout état de cause, Moreira Ferreira (no 2) concerne une violation de l’article 6, laquelle est une disposition susceptible de dérogation. Dès lors, Moreira Ferreira (no 2) ne trouve certainement pas à s’appliquer à l’exécution des arrêts portant sur le principe de la légalité des peines, qui n’admet pas de dérogation.

[138]. En fait, la Cour constitutionnelle elle-même reconnaît que le Conseil de l’Europe est une « réalité juridique, fonctionnelle et institutionnelle » (paragraphe 6.1 du cons. in dir. de l’arrêt no 349/2007). Concernant la structure constitutionnelle et le mode opératoire du système juridique du Conseil de l’Europe, voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, CEDH 2016. La reconnaissance de l’existence de ce système juridique est importante parce qu’elle permet de lire les dispositions de la Convention et la jurisprudence de la Cour à la lumière de l’article 11 de la Constitution italienne.

[139]. Comme il sera démontré plus bas, le cinquième critère de la Cour constitutionnelle contredit ses notables arrêts no 170/2013 et no 210/2013.

[140]. Il est à noter que ce même arrêt no 49/2015 n’explique pas pourquoi l’arrêt Sud Fondi constitue du droit consolidé alors que ce n’est pas le cas de l’arrêt Varvara. La Cour constitutionnelle n’essaie pas de démontrer que l’arrêt Sud Fondi est davantage en phase avec la jurisprudence de la Cour que l’arrêt Varvara. Ni le caractère « créatif » de l’arrêt Sud Fondi, ni le fait qu’il s’agit d’un arrêt de chambre qui n’a pas été confirmé par la Grande Chambre n’ont été pris en considération. Aucun de ces facteurs n’a à l’évidence été pris en compte dans l’arrêt no 239/2009, qui a été le premier à dire que l’arrêt Sud Fondi induisait une évolution dans le droit italien relatif au caractère pénal de la confiscation.

[141]. Maggio et autres, précité.

[142]. Agrati et autres, précité.

[143]. Paragraphe 5 du cons. in dir. de l’arrêt no 184/2015 de la Cour constitutionnelle.

[144]. Arrêt no 187/2015 de la Cour constitutionnelle (qui se contente de déclarer que l’arrêt Varvara « n’est pas l’expression de la jurisprudence consolidée de la Cour de Strasbourg »).

[145]. Voir le paragraphe 8 du cons. in dir. de l’arrêt no 36/2016 de la Cour constitutionnelle, qui indique uniquement que « de la jurisprudence européenne consolidée découle le principe de droit selon lequel (…) », citant trois affaires contre l’Italie.

[146]. Paragraphes 1, 4 et 6.1 du cons. in dir. de l’arrêt no 102/2016 de la Cour constitutionnelle. Cet arrêt est cité dans l’arrêt no 43/2018.

[147]. Voir le paragraphe 4 du cons. in dir. de l’arrêt no 200/2016 de la Cour constitutionnelle, qui note simplement que « la Grande Chambre a consolidé la jurisprudence européenne » concernant le principe ne bis in idem depuis qu’elle a réglé un « conflit entre sections de la Cour européenne des droits de l’homme ».

[148]. Paragraphe 5 du cons. in dir. de l’arrêt no 43/2018 de la Cour constitutionnelle. Malgré le caractère « innovant » du principe énoncé dans l’arrêt A. et B. c. Norvège (GC), qui contredit la jurisprudence antérieure de la Cour, y compris la jurisprudence contre l’Italie, comme l’arrêt Grande Stevens et autres c. Italie, la Cour constitutionnelle a ordonné au giudice a quo de tenir compte de l’arrêt de la Grande Chambre.

[149]. Paragraphe 4.1 du cons. in dir. de l’arrêt no 166/2017 de la Cour constitutionnelle.

[150]. D. Galliani, « Sul mestiere del giudice, tra Costituzione e Convenzione », in Consulta online, 23 mars 2018, page 50.

[151]. L’interprétation devrait s’inscrire « à l’intérieur des limites permises par le texte de la norme » (paragraphe 6.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 349/2007 et paragraphe 3 du cons. in dir. de l’arrêt no 239/2009), « suivant la lecture qu’en donne la Cour de Strasbourg » (paragraphe 6 du cons. in dir. de l’arrêt no 311/2009). À propos de cette méthode d’interprétation, voir V. Zagrebelsky et al, « Manuale dei diritti fondamentali in Europa », Bologna: Il Mulino, 2016 ; E. Malfatti, « L’interpretazione conforme nel « seguito » alle sentenze di condanna della Corte di Strasburgo », in Scritti in onore di G. Silvestre, II, Turin : Giappichelli, 2016 ; I. Rivera, « L’obbligo di interpretazione conforme alla CEDU e i controlimiti del diritto convenzionale vivente », in Federalismi.it, 19/2015 ; B. Randazzo, « Interpretazione delle sentenze della Corte europea dei diritti ai fini dell’esecuzione (giudiziaria) e interpretazione della sua giurisprudenza ai fini dell’applicazione della CEDU », in Rivista AIC 2/2015 ; E. Lamarque, « The Italian courts and interpretation in conformity with the Constitution, EU law and the ECHR », in Rivista AIC, 4/2012 ; V. Marzuillo, « Giurisprudenza della Corte di Strasburgo e interpretazione conforme delle norme interne », in F. Del Canto et E. Rossi, E. Sciso, « Il principio dell’interpretazione conforme alla Convenzione europea dei diritti dell’Uomo e la confisca per la lottizzazione abusiva », in Rivista di diritto internazionale, 1/2010, 131.

[152]. Observations du Gouvernement devant la Grande Chambre.

[153]. Il me semble qu’une recherche dans la jurisprudence de la Cour sur les formes de peine (telles que la confiscation) infligées en l’absence d’une condamnation pénale montrerait au moins l’existence de quatre groupes d’affaires : décisions de confiscation et mesures similaires prononcées à l’égard de tiers dans le cadre d’une procédure pénale (par exemple, AGOSI c. Royaume-Uni, 24 octobre 1986, § 66, série A no 108, et Air Canada c. Royaume‑Uni, 5 mai 1995, §§ 29-48, série A no 316‑A) ; décisions de confiscation et mesures similaires prononcées en dehors de toute procédure pénale, notamment mesures préventives à l’égard de personnes dont les biens sont présumés être d’origine illicite (par exemple, Riela et autres c. Italie (déc.), no 52439/99, 4 septembre 2001, et Butler c. Royaume-Uni (déc.), no 41661/98, 27 juin 2002) ; infliction par une juridiction administrative d’une sanction administrative malgré une décision d’acquittement ou de non-lieu rendue dans une procédure pénale (par exemple, Vanjak c. Croatie, no 29889/04, §§ 69-72, 14 janvier 2010, Šikić c. Croatie, no 9143/08, §§ 54-56, 15 juillet 2010, et Kapetanios et autres c. Grèce, nos 3453/12 et 2 autres, § 88, 30 avril 2015) ; et prononcé par une juridiction pénale de décisions de confiscation ou de mesures similaires malgré une décision d’acquittement ou de non-lieu rendue dans une procédure pénale (par exemple, Saliba c. Malte (déc.), no 4251/02, 23 novembre 2004, Geerings c. Pays-Bas, no 30810/03, 1er mars 2007, et Paraponiaris, précité). Sur cette jurisprudence, voir A. Maugeri, « La tutela della proprietà nella CEDU e la giurisprudenza della Corte europea in tema di confisca », in M. Montagna (org), Sequestro e confisca, Turin: Giappichelli editore, 2017.

[154]. Sud Fondi, précité.

[155]. L’affirmation du paragraphe 242 est formulée en termes généraux et n’est pas liée aux circonstances de l’espèce. L’affirmation analogue contenue au paragraphe 246, qui concerne « les présentes affaires », doit ainsi être considérée comme une application au cas d’espèce du principe énoncé au paragraphe 242.

[156]. Paragraphe 244 de l’arrêt. Comme s’il s’agissait d’une sorte de consolation pour une omission évidente, la Cour note ensuite, au paragraphe 245, que « les tribunaux internes ont accepté ce raisonnement », à savoir la condition de l’élément moral et le principe de la responsabilité subjective en droit pénal, argument qui ne change toutefois rien au fait que la Cour ne justifie pas les affirmations contradictoires qu’elle énonce aux paragraphes 242 et 243 de l’arrêt.

[157]. Armani Da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, CEDH 2016, sur la justification de la politique de la police consistant à tirer pour tuer dans la cadre d’actions antiterroristes et sur l’application d’un critère subjectif privilégiant l’intérêt de la police pour justifier la légitime défense putative en faveur des policiers.

[158]. Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, CEDH 2016, concernant le déni, sans aucune raison impérieuse, du droit d’accès à un avocat lors du premier interrogatoire du suspect au poste de police, puis l’utilisation et l’appréciation au procès des éléments de preuve à charge en résultant, et mon opinion séparée dans A et B c. Norvège, précité, sur la rétrogradation de la garantie ne bis in idem au rang d’un droit fluide, étroitement interprété, en un mot illusoire.

[159]. Hassan c. Royaume-Uni [GC], no 29750/09, CEDH 2014, sur la pratique de l’internement en l’absence de toute dérogation au titre de l’article 15, et mon opinion séparée dans Hutchinson, précité, sur l’absence obstinée de tout mécanisme de libération conditionnelle pour les condamnés à la perpétuité réelle.

[160]. Voir mes opinions séparées dans S.J. c. Belgique (radiation) [GC], no 70055/10, 19 mars 2015, concernant l’implacable et impudente politique d’expulsion des malades étrangers en fin de vie, et Abdullahi Elmi et Aweys Abubakar c. Malte, nos 25794/13 et 28151/13, 22 novembre 2016, concernant la politique de détention inhumaine des demandeurs d’asile et des migrants irréguliers. Selon moi, l’arrêt rendu dans l’affaire Paposhvili c. Belgique [GC], no 41738/10, CEDH 2016, ne répond pas suffisamment aux préoccupations que j’ai exprimées dans mon opinion dans S.J. c. Belgique. Nous reviendrons sur cette question à une autre occasion.

[161]. Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, 15 mars 2018, sur le refus du for de nécessité ou de la compétence internationale en matière civile envers un réfugié qui avait saisi une juridiction suisse d’une demande de réparation au civil pour les dommages découlant de la torture qu’il alléguait avoir subie dans un État tiers, la Tunisie ; de même que Al‑Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, CEDH 2001‑XI, et Jones et autres c. Royaume-Uni, nos 34356/06 et 40528/06, CEDH 2014, concernant l’octroi d’une immunité respectivement à un État et à des agents d’États étrangers assignés au civil pour des actes de torture.

[162]. Il convient d’observer que, dans ce contexte, ni Paraponiaris, précité, ni Geerings, précité, ne sont mentionnés, et encore moins discutés.

[163]. Paragraphe 261 de l’arrêt.

[164]. Paragraphes 317 et 318 de l’arrêt.

[165]. Arrêts nos 93/2010, 135/2014, 109/2015 de la Cour constitutionnelle.

[166]. Arrêt no 371/2009 de la Cour constitutionnelle.

[167]. Arrêts nos 184/2015 et 36/2016 de la Cour constitutionnelle.

[168]. Arrêt no 113/2011 de la Cour constitutionnelle.

[169]. Arrêt no 210/2013 de la Cour constitutionnelle.

[170]. Arrêt no 234/2015 de la Cour constitutionnelle.

[171]. Arrêt no 279/2013 de la Cour constitutionnelle.

[172]. Arrêt no 143/2013 de la Cour constitutionnelle.

[173]. Arrêts nos 78/2012, 170/2013, 191/2014 et 260/2015 de la Cour constitutionnelle.

[174]. Arrêt no 254/2011 de la Cour constitutionnelle.

[175]. Arrêt no 202/2013 de la Cour constitutionnelle.

[176]. Arrêt no 146/2015 de la Cour constitutionnelle.

[177]. Arrêt no 39/2008 de la Cour constitutionnelle.

[178]. Arrêt no 229/2015 de la Cour constitutionnelle.

[179]. Arrêt no 84/2016 de la Cour constitutionnelle.

[180]. Arrêts nos 187/2010, 329/2011, 40/2013 et 22/2015 de la Cour constitutionnelle.

[181]. Arrêt no 178/2015 de la Cour constitutionnelle.

[182]. Arrêts nos 348 et 349/2007, 181/2011, 338/2011 et 187/2014 de la Cour constitutionnelle.

[183]. Arrêts nos 313/2013 et 115/2014 de la Cour constitutionnelle.

[184]. M. Cartabia, Of Bridges and walls: the « Italian » style of constitutional adjudication, Bled, 23 juin 2016, p. 12 (mais l’auteur cite également les arrêts nos 264/2012 et 49/2015 à titre d’exemple de la « différence et [de l’] originalité » de la jurisprudence constitutionnelle italienne) ; voir également T. Groppi, « La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans les décisions de la Cour Constitutionnelle italienne, une recherche empirique », in L. Burgorgue-Larsen (ed), Les défis de l’inteprétation et de l’application des droits de l’homme, de l’ouverture au dialogue, Paris: Pedone, 2017 ; E. Sciso, « The Italian Constitutional Court and the Impact of the European Convention of Human Rights in Italy », in Judging Human Rights – Courts of General Jurisdiction as Human Rights Courts, 2017, Month 1, 1-15 ; L. Mezzetti, « Human rights between Supreme Court, Constitutional Court and Supranational Court: the Italian experience » (2016) 52 IUS Gentium 29 ; et M. D’Amico, « Il rilievo della CEDU nel « diritto vivente »: in particolare, il segno lasciato dalla giurisprudenza « convenzionale » nella giurisprudenza costituzionale », in L. D’Andrea et al., Crisi dello Stato nazionale, dialogo intergiurisprudenziale, tutela dei diritti fondamentali, Turin: Giappichelli, 2015.

[185]. Sur le dialogue entre la Cour et les cours suprêmes et constitutionnelles des Parties contractantes, voir B. Peters, « The Rule of Law Effects of Dialogues between National Courts and Strasbourg: An Outline », in A. Nollkaemper et M. Kanetake (eds.), The rule of law at the national and international levels: contestations and deference, Oxford: Hart, 2016 ; AAVV, « Dialogando sui diritti. Corte di Cassazione e CEDU a confronto », Naples: EGEA Editore, 2016 ; D. Russo, « La ‘confisca in assenza di condanna’ tra principio di legalità e tutela dei diritti fondamentali: un nuovo capitolo del dialogo tra le Corti », in Osservatorio sulle fonti, avril 2015 ; A.Baraggia, « La tutela dei diritti in Europa nel dialogo tra corti: ‘epifanie’ di una unione dai tratti ancora indefiniti », in Rivista AIC, 2/2015 ; R. Conti, « Costituzione e diritti fondamentali: una partita da giocare alla pari », in R. Cosio et R. Foglia (ed.), Il diritto europeo nel dialogo delle Corti, Milan: Giuffrè, 2013 ; G. Civello, « Il ‘dialogo’ fra le quattro corti: dalla sentenza ‘Varvara’ della CEDU (2013) alla sentenza ‘Taricco’ della CGUE (2015) », Archivio Penale, 2015, no 3 ; A. Ruggeri, « ‘Dialogo’ tra le corti e tecniche decisorie, a tutela dei diritti fondamentali », in www.federalismi.it, 24/2013 ; G. Martinico, « Is the European Convention going to be a « Supreme »? A comparative-constitutional overview of ECHR and EU law before national courts » (2012) 23 EJIL 415 ; Popelier et al. (eds), Human Rights Protection in the European Legal Order: « The Interaction between the European and the National Courts », Cambridge: Intersentia, 2011 ; O. Pollicino et G. Martinico, « The National Judicial Treatment of the ECHR and EU laws. A Constitutional Comparative Perspective », Groningen: Europa Law, 2010 ; M. Cartabia, « Europe and Rights: Taking dialogue seriously » (2009) European Constitutional Law Review 5 ; Fontanelli et al, « Shaping Rule of Law through Dialogue, International and Supranational Experiences », Groningen: Europa Law, 2009 ; W. Sadursky, « Partnering with Strasbourg: Constitutionalisation of the European Court of Human Rights, the Accession of Central and East European States to the Council of Europe, and the Idea of Pilot Judgments » (2009) 3 Human Rights Law Review 397 ; H. Keller et A. Stone-Sweet, « A Europe of Rights, The Impact of the ECHR on National Legal Systems », Oxford: Oxford University Press, 2008 ; G. Ferrari, « Corti nazionali e corti europee », Naples: ESI, 2007 ; L. Montanari, « I diritti dell’uomo nell’area europea tra fonti internazionali e fonti interne », Turin: Giappichelli, 2002. Sur l’abus de la notion de « dialogue » dans ce contexte, qui renvoie en réalité à une actio finium regundorum entre les juridictions concernées, voir R. Bin, « L’interpretazione conforme. Due o tre cose che so di lei », Rivista AIC, 1/2015, et De Vergottini, « Oltre il dialogo tra le corti », Bologne: Il Mulino, 2010.

[186]. Sur cette loi et son impact sur le système de la Convention, voir mon article « Plaidoyer for the European Court of Human Rights » (2018) European Human Rights Law Review, Issue 2, 119 ; A. Guazzarotti, « La Russia e la CEDU: I controlimiti visti da Mosca », in (2016) Quaderni costituzionali 383 ; C. Filippini, « La Russia e la CEDU: l’obiezione della Corte costituzionale all’esecuzione delle sentenze di Straburgo », in (2016) Quaderni costituzionali 386 ; et A. De Gregorio, « Russia, Il confronto tra la corte costitutzionale e la Corte europea per i diritti dell’Uomo tra chiusure e segnali di distensione », in Federalismi-Focus Human Rights, 27 juillet 2016.

[187]. Cour constitutionnelle de Russie no 21-P/2015 du 14 juillet 2015.

[188]. Sur cette vision, voir mon opinion séparée dans Al-Dulimi et Montana Management Inc., précité.

[189]. Voir mon opinion séparée dans Fabris, précité.

[190]. Carbonara et Ventura c. Italie, no 24638/94, § 68, CEDH 2000‑VI, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96 et 2 autres, § 49, CEDH 2001‑II, et Storck c. Allemagne, no 61603/00, § 93, CEDH 2005‑V.

[191]. Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 191, CEDH 2006‑V, et Daddi c. Italie (déc.), no 15476/09, 2 juin 2009.

[192]. Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, Déclaration de Brighton, 20 avril 2012, paragraphes 7 et 9.

[193]. Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 85, CEDH 2009.

[194]. Sur la nécessité d’une motivation de principe dans les arrêts de la Cour, différente de son approche parfois regrettablement casuistique, voir également mon opinion séparée dans Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, CEDH 2014.

[195]. Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 154, série A no 25.

[196]. Paragraphe 252 du présent arrêt.

[197]. Ibidem.

[198]. La Cour a déjà implicitement affirmé ce point de vue à plusieurs reprises, comme dans Opuz c. Turquie, no 33401/02, § 163, CEDH 2009. De nombreux présidents de la Cour ont également exprimé ce principe à titre extrajudiciaire. Par exemple, dans le « Mémorandum du Président de la Cour européenne des droits de l’homme aux États en vue de la Conférence d’Interlaken » du 3 juillet 2009, le président de la Cour de l’époque a souligné cette idée : « Il n’est plus acceptable qu’un État ne tire pas le plus tôt possible les conséquences d’un arrêt concluant à une violation de la Convention par un autre État lorsque son ordre juridique comporte le même problème. L’autorité de la chose interprétée par la Cour va au-delà de la res judicata au sens strict. Une telle évolution ira de pair avec l’« effet direct » de la Convention en droit interne et avec son appropriation par les États. ». Ce principe est également confirmé par l’Avis sur la mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, adopté par la Commission de Venise lors de sa 53e session plénière, 2002, paragraphe 32. La notion d’effet de facto erga omnes des arrêts rendus par la Cour de Strasbourg a également été employée (voir l’Avant-propos du président Costa au Rapport annuel 2008 de la Cour européenne des droits de l’homme, 2009, et D. Spielmann, « Jurisprudence of the European Court of Human Rights and the Constitutional Systems of Europe » in Rosenfeld et Sajó (eds), The Oxford Handbook of Comparative Constitutional Law, Oxford: Oxford University Press, 2012, Chapter 59, p. 1243).

[199]. Conférence de haut niveau sur l’avenir de la Cour européenne des droits de l’homme, Déclaration d’Interlaken, 19 février 2010. J’observe que la déclaration se réfère à l’« arrêt » de la Cour au singulier et non pas à une pluralité d’arrêts à partir desquels un principe juridique pourrait être établi.

[200]. Déclaration de Brighton, précitée, paragraphe 18.

[201]. Déclaration de Brighton, précitée, paragraphe 26.

[202]. Déclaration de Brighton, précitée, paragraphe 29 a) i).

[203]. Parti communiste unifié de Turquie et autres c. Turquie, 30 janvier 1998, §§ 27 et suiv., Recueil des arrêts et décisions 1998‑I.

[204]. Voir mon opinion séparée dans Fabris, précité.

[205]. Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, § 75, série A no 310 ; voir également l’avis de la Cour sur la réforme du système de contrôle de la Convention, 4 septembre 1992, paragraphe I (5).

[206]. Dans Demicoli c. Malte, 27 août 1991, série A no 210, la Cour a conclu à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention par l’article 11 de la Constitution maltaise qui accordait à la Chambre des représentants la compétence pour connaître de l’infraction d’atteinte aux privilèges. Malte a modifié sa Constitution après le prononcé de l’arrêt. Sur la suite qui a été donnée à cette affaire, voir mon article « Plaidoyer for the European Court of Human Rights », précité, note 26 de l’article.

[207]. Après Open Door et Dublin Well Woman c. Irlande, 29 octobre 1992, série A no 246‑A, l’Irlande a modifié sa Constitution. Sur la suite qui a été donnée à cette affaire, voir mon article « Plaidoyer for the European Court of Human Rights », précité, note 26 de l’article.

[208]. Dans Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, CEDH 2009, la Cour a critiqué l’impossibilité pour les requérants, en vertu de la Constitution, de se porter candidats aux élections à la Chambre des peuples et à la présidence de l’État en raison de leur origine rom et juive, respectivement.

[209]. Dans Anchugov et Gladkov c. Russie, nos 11157/04 et 15162/05, 4 juillet 2013, la Cour a censuré l’article 32 § 3 de la Constitution russe qui interdisait aux détenus condamnés de voter.

[210]. Dans Baka c. Hongrie [GC], no 20261/12, CEDH 2016, la Cour a conclu à une violation de l’article 6 § 1 de la Convention en ce que l’article 11 § 2 des dispositions transitoires de la Loi fondamentale du 31 décembre 2011 avait entraîné pour le requérant l’interruption prématurée de son mandat de président de la Cour suprême et que cette disposition constitutionnelle ad hoc, ad hominem n’avait pas été examinée par un tribunal ordinaire ou par un autre organe exerçant des fonctions judiciaires, et elle ne pouvait pas l’être.

[211]. En termes pratiques, comme l’a déclaré un haut responsable du Conseil de l’Europe, « [l]orsque le Comité des Ministres (…) supervise l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, il ne prend jamais en compte le caractère soit moniste soit dualiste de l’État, ni le fait que celui-ci ait ou non incorporé les dispositions de la Convention européenne dans son droit interne » (A. Drzemczewski, « Les faux débats entre monisme et dualisme – droit international et droit français : l’exemple du contentieux des droits de l’homme » 1998 (51) Boletim da sociedade brasileira de direito internacional, 100 ; c’est l’original qui souligne).

[212]. Sur la protection à plusieurs niveaux des droits de l’homme en Europe et la création d’un jus commune europeaum des droits fondamentaux, voir B. Randazzo, « La tutela dei diritti fondamentali tra CEDU e Costituzione », Milan: Giuffrè, 2017, et « Giustizia costituzionale sovranazionale. La Corte europea dei diritti dell’uomo », Milan: Giuffrè, 2012 ; G. Amato et B. Barbisan, « Corte costituzionale e Corti europee. Fra diversità nazionali e visione comune », Bologne: Il Mulino, 2016 ; R. Conti, « Il sistema multilivello e l’interazione tra ordinamento interno e fonti sovranazionali », in Questione Giustizia, 4/2016 ; C. Padula (ed.), « La Corte europea dei diritti dell’uomo: quarto grado di giudizio o seconda Corte costituzionale? », Naples: Editoriale Scientifica, 2016 ; G. Martinico, « Constitutionalism, Resistance and Openness: Comparative law Reflections on Constitutionalism in Postnational Governance » (2016) 35 Yearbook of European Law 318 ; S. Sonelli, « La Cedu nel quadro di una tutela multilivello dei diritti e il suo impatto sul diritto italiano: direttrici di un dibattito », in S. Sonelli (ed.), « La Convenzione europea dei diritti dell’uomo e l’ordinamento italiano. Problematiche attuali e prospettive per il futuro », Turin: Giappichelli, 2015 ; E. Malfatti, « I ‘livelli’ di tutela dei diritti fondamentali nella dimensione europea », Turin: Giappichelli ; S. Gambino, « Vantaggi e limiti della protezione multilevel dei diritti e delle libertà fondamentali, fra diritto dell’Unione, convenzioni internazionali e costituzioni nazionali », in Forum di Quaderni costituzionali, 11 janvier 2015 ; M. Cartabia, « La tutela multilivello... », in Fundamental Rights and the Relationship among the Court of Justice, the National Supreme Courts and the Strasbourg Court, 50ème anniversaire de l’arrêt Van Gend en Loos : 1963-2013: actes du colloque, Luxembourg, 13 mai 2013, Luxembourg, 2013, 155-168 ; et « L’universalità dei diritti umani nell’età dei « nuovi diritti » » (2009), Quaderni costituzionali 537 ; E. Lamarque, « Le relazioni tra l’ordinamento nazionale, supranazionale e internazionale nella tutela dei diritti », in Diritto pubblico 3/2013 ; L. Cassetti (ed.), « Diritti, principi e garanzie sotto la lente dei giudici di Strasburgo », Naples: Jovene, 2012 ; L. Montanari, « La difficile definizione dei rapporti con la CEDU alla luce del nuovo art. 117 della Costituzione: un confronto con Francia e Regno Unito », in Diritto Pubblico Comparato ed Europeo, I/2008 ; G. Zagrebelsky, « Corti costituzionali e diritti universali », in Rivista trimestrale di diritto pubblico, 2/2006 ; et G. Silvestri, « Verso uno jus commune europeaum dei diritti fondamentali » (2006) Quaderni costituzionali 7.

[213]. Baka, précité.

[214]. Voir mon opinion séparée dans Muršić, précité.

[215]. Voir l’arrêt no 113/2011 de la Cour constitutionnelle sur la réouverture d’une procédure pénale à la suite d’un constat définitif de violation de l’article 6 par la Cour. Cet arrêt de principe est particulièrement louable en ce que la Consulta s’est montrée prête à renverser l’arrêt no 129/2008 qu’elle avait rendu peu de temps auparavant. Concernant ces arrêts, voir, entre autres, G. Grasso et F. Giuffrida, « L’incidenza sul giudicato interno delle sentenze della Corte Europea che accertano violazioni attinenti al diritto penale sostanziale », in DPC, 25 Mai 2015 ; A. Cerruti, « Considerazioni in margine alla sent. No. 113/2011: esiste una « necessità di integrazione » tra ordinamento interno e sistema convenzionale? », in Giurisprudenza italiana, 1/2012 ; « Gli effetti dei giudicati ‘europei’ sul giudicato italiano dopo la sentenza n. 113/2011 della Corte Costituzionale, Tavola rotonda con contributi di G. Canzio, R. Kostoris, A. Ruggeri », Rivista AIC 2/2011 ; R. Greco, « Dialogo tra Corti ed effetti nell’ordinamento interno. Le implicazioni della sentenza della Corte costituzionale del 7 aprile 2011, n. 113 » et T. Guarnier, « Un ulteriore passo verso l’integrazione CEDU: il giudice nazionale come giudice comune della Convenzione? », tous deux in Consulta online, 10 novembre 2011.

[216]. Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009.

[217]. Paragraphe 7.2 du cons. in dir. de l’arrêt no 210/2013 de la Cour constitutionnelle. Concernant cet arrêt, voir, entre autres, N. Perlo, « L’attribution des effets erga omnes aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme en Italie : la révolution est en marche » (2015) Revue française de droit constitutionnel, 887 ; et E. Lamarque et F. Viganò, « Sulle ricadute interne della sentenza Scoppola, Ovvero: sul gioco di squadra tra Cassazione e Corte costituzionale nell’adeguamento del nostro ordinamento alle sentenze di Strasburgo (Nota a C. Cost. n. 210/2013) », in Giurisprudenza italiana, no 2/2014.

[218]. Paragraphe 4.4 de l’arrêt no 170/213 de la Cour constitutionnelle, se référant à des arrêts prononcés contre la France, la Grèce et le Royaume-Uni : « Même s’ils n’ont pas été prononcés contre l’Italie, les derniers arrêts cités contiennent des déclarations générales que la Cour européenne elle-même juge applicables au-delà du cas d’espèce et que la présente Cour considère comme contraignantes pour l’ordre juridique italien ».

[219]. Arrêts de la Cour constitutionnelle nos 404/88, 278/92 et 388/99.

[220]. Gaius, Institutiones, Commentarius Primus, 1. De Iure Civili et Naturali, 1.1 : « Tous les peuples qui sont régis par des lois ou par des coutumes font usage d’un droit qui en partie leur est propre et qui en partie est commun à tous les hommes ; car le droit que chaque peuple s’est donné lui-même lui est propre et s’appelle droit civil, c’est-à-dire droit propre de la cité ; mais à la vérité celui que la raison naturelle a établi entre tous les hommes, celui-là est également gardé chez tous les peuples et s’appelle droit des gens, c’est-à-dire droit dont usent toutes les nations. Le peuple romain suit donc un droit dont une partie lui est propre et une partie lui est commune avec tous les hommes. »

[221]. G. Raimondi, « La Convenzione europea dei diritti dell’uomo e le corti costituzionali e supreme europee », Forum di Quaderni costituzionali, 24 mars 2018, p. 10 : « la conformità alla costituzione di una determinata disposizione legislativa non ne garantisce la conformità alla Convenzione, le cui esigenze, in certi casi, possono essere più elevate di quelle della costituzione nazionale ».

[222]. Voir mon opinion séparée dans Hutchinson, précité.

[223]. Au cas où la chambre conclut à une violation et où son arrêt devient définitif ou au cas où la Grande Chambre décide après dessaisissement.

[224]. Au cas où la Grande Chambre conclut à une violation après un arrêt de chambre.

[225]. Pour reprendre les termes employés par Lord Rodger dans l’affaire AF v. Secretary of State for Home Department and Another (2009) UKHL 28, § 98.

[226]. Voir la deuxième question soulevée dans l’arrêt no 24/2017 de la Cour constitutionnelle.

[227]. Voir la troisième question soulevée dans l’arrêt no 24/2017 de la Cour constitutionnelle.

[228]. Voir la note de bas de page 67 ci-dessus.

[229]. Cour de justice de l’Union européenne, Grande Chambre, 5 décembre 2017, C-42/17. Pour une introduction à cet arrêt, voir Bassini et Pollicino, « Defusing the Taricco bomb through fostering constitutional tolerance: all roads lead to Rome », in verfassungsblog.de.

[230]. Arrêt no 388/1999 de la Cour constitutionnelle.

[231]. En effet, même le droit international relatif à la confiscation sans condamnation est contre une telle extension, comme le montre la recherche faite par la Cour (paragraphes 139 à 146 et 150 du présent arrêt). Dans tous les cas de confiscation sans condamnation, les infractions énumérées dans les documents internationaux mentionnés sont bien plus graves que celle de lotissement illicite.

[232]. La Cour a donné une indication sur cette primauté dans Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, §§ 98-99, CEDH 2015.

[233]. À cet égard, il n’y a aucune différence entre la Convention et la Charte des droits fondamentaux. Récemment, la Cour de Justice, dans l’affaire C-42/17, précitée, a également rappelé les obligations des juges italiens en tant que juges ordinaires de la Charte des droits fondamentaux et, de manière générale, du droit de l’Union européenne. Le lieu ne convient pas pour débattre de l’énigmatique obiter dictum contenu aux paragraphes 5.1 et 5.2 dans la partie en droit de l’arrêt no 269 rendu par la Cour constitutionnelle en 2017, qui traite de la relation entre la Cour constitutionnelle et les juges ordinaires dans l’application de la Charte. Sa compatibilité avec l’arrêt rendu par la Cour de Justice (Grande Chambre) le 22 juin 2010 dans l’affaire Melki et Abdeli, C-188 et 189/10 est une question ouverte au débat. En tout état de cause, cet obiter dictum ne suffit certainement pas à changer la position constante de la Cour sur la nature du mécanisme de contrôle de constitutionnalité en Italie (Parrillo, précité, §§ 101-104).

[234]. En dépit de ses caractéristiques particulières, le mécanisme consultatif du Protocole no 16 ne fera que renforcer cette constitutionnalisation.

[235]. Voir les « Explications relatives à la Charte des droits fondamentaux », 14 décembre 2017, 2007/C 303/02 : « La référence à la CEDH vise à la fois la Convention et ses protocoles. Le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de ces instruments, mais aussi par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et par la Cour de justice de l’Union européenne. » Voir également mon opinion séparée dans Al-Dulimi and Montana Management Inc., précité.

[236]. Sud Fondi, précité.

[237]. Paragraphe 252 du présent arrêt.

[238]. La Cour constitutionnelle a déjà donné par le passé des exemples notables de sa capacité à développer sa jurisprudence de manière à rester du côté des droits de l’homme, comme lorsqu’elle a changé de position entre l’arrêt no 129/2008 et l’arrêt no 113/2011.

[239]. « Réticence » est le terme employé par la Cour elle-même pour définir la réaction de la Cour constitutionnelle à Maggio et autres, précité (Document préparatoire au séminaire, « La mise en œuvre des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme : une responsabilité judiciaire partagée ? », Cour européenne des droits de l’homme, 2014). Sur la pression politique récemment exercée sur la Cour, voir P. Leach et A. Donald, « A Wolf in Sheep’s Clothing: Why the Draft Copenhagen Declaration Must be Rewritten », EJIL: Talk!, 21 février 2018 ; et « Copenhagen: Keeping on Keeping on. A Reply to Mikael Rask Madsen and Jonas Christoffersen on the Draft Copenhagen Declaration », EJIL: Talk!, 24 février 2018 ; et A. Follesdal et G. Ulfstein, « The Draft Copenhagen Declaration: Whose Responsibility and Dialogue? », EJIL: Talk!, 22 février 2018.

[240]. F. Viganò, « La Consulta e la tela di Penelope (…) », précité, p. 334.

[241] Sud Fondi srl et autres c. Italie (déc.), n° 75909/01, 30 août 2007.

[242] Nous relevons que le terme « sanction » est quelque peu ambigu. Il peut viser le châtiment d’une personne auteur d’un acte répréhensible, mais aussi une simple réaction à une situation illégale. C’est apparemment en ce dernier sens que les juridictions internes entendent ce terme.

[243] Sud Fondi srl et autres c. Italie, n° 75909/01, 20 janvier 2009.

[244] Nous regrettons que l’exposé du droit interne pertinent, en particulier au paragraphe 121 de l’arrêt, ne prête pas davantage attention à ces changements.

[245] Varvara c. Italie, n° 17475/09, 29 octobre 2013.

[246] Nous constatons que la version originale française emploie une expression large, tandis que la traduction anglaise emploie une expression plus stricte.

[247] Le second malentendu concerne l’autorité des arrêts de la Cour (§ 7 de l’arrêt de la Cour constitutionnelle).

[248] Nous tenons à faire observer que la confiscation en droit de l’urbanisme italien est assez différente de la confiscation dans d’autres domaines du droit (par exemple le blanchiment d’argent). Voir § 22 ci-dessous.

[249] Nous notons que, au paragraphe 121 de l’arrêt, on trouve une référence à deux arrêts de la Cour de cassation (n° 39078 de 2009 et n° 5857 de 2011), selon lesquels la confiscation n’est pas de nature « punitive », et à un arrêt de cette même juridiction (n° 21125 de 2007) selon lequel la fonction première de cette mesure est la dissuasion. Or, les deux premiers arrêts évoquent le caractère « punitif » au sens de l’article 7 de la Convention, suivant la jurisprudence de notre Cour. Quant au troisième arrêt, antérieur à la décision de la Cour dans l’affaire Sud Fondi, il parle d’un « élément de dissuasion important », mais sans faire le lien avec un quelconque caractère punitif que revêtirait la mesure. Il faut ajouter que la dissuasion n’est pas l’attribut des seules peines. Pour notre part, nous attachons davantage d’importance au fait que, dans d’autres décisions, postérieures aux arrêts Sud Fondi et Varvara et mentionnées dans le même paragraphe, la Cour constitutionnelle comme la Cour de cassation ont confirmé que la mesure de confiscation en cause devait être qualifiée de « sanction administrative » (Cour constitutionnelle, n° 49 de 2015 ; Cour de cassation, n° 42741 de 2008, et n° 4880 (plénière) de 2015).

[250] À ce même titre, nous estimons qu’il est peut-être quelque peu trompeur de se référer, dans la partie de l’arrêt consacrée aux sources pertinentes de droit international et de droit de l’Union européenne, à des instruments consacrés à la confiscation dans des domaines n’ayant rien à voir avec la protection de l’environnement ni avec le lotissement illicite.


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