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26/04/2018 | CEDH | N°001-182444

CEDH | CEDH, AFFAIRE ANDERSEN c. GRÈCE, 2018, 001-182444


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ANDERSEN c. GRÈCE

(Requête no 42660/11)

ARRÊT

STRASBOURG

26 avril 2018

DÉFINITIF

26/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Andersen c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Krzysztof Wojtyczek, président en exercice,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,


Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 ...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE ANDERSEN c. GRÈCE

(Requête no 42660/11)

ARRÊT

STRASBOURG

26 avril 2018

DÉFINITIF

26/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Andersen c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Krzysztof Wojtyczek, président en exercice,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Ksenija Turković,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 avril 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42660/11) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant norvégien, M. Ilyas Andersen (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me K. Tsitselikis, avocat au barreau de Thessalonique. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par la déléguée de son agent, Mme A. Magrippi, auditrice auprès du Conseil juridique de l’État. Le gouvernement norvégien n’a pas usé de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention).

3. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaignait d’une violation des volets matériel et procédural de cette disposition.

4. Le 2 septembre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1960 et réside à Malmö.

A. La genèse de l’affaire

6. Le 18 septembre 2008, le requérant fut arrêté par la police à Thessalonique.

7. Les parties présentent des versions différentes quant aux circonstances précises des évènements en cause.

1. La version du requérant

8. Le requérant relate que, le soir du 18 septembre 2008, un véhicule banalisé dépourvu de tout signe distinctif de la police s’est approché de lui et que quatre policiers en civil en sont sortis. Il expose que, ne comprenant pas ce qui se passait et effrayé par l’approche de ces inconnus, il s’est éloigné et que les policiers l’ont alors arrêté, immobilisé et fait monter par la force dans le véhicule, où se seraient trouvés également les ressortissants C.H. et M.A., respectivement albanais et bulgare. C.H. aurait communiqué en grec avec les policiers.

9. Le requérant expose que les policiers l’ont emmené dans le sous-sol de la direction de la police de Thessalonique, que plusieurs policiers l’ont tabassé à coups de pied et de poing au visage et aux pieds, et qu’ils lui ont assené des coups de matraque sur le genou droit et sur les chevilles. Il indique avoir protesté en anglais, disant aux policiers qu’il ne comprenait pas la raison de son passage à tabac, puis s’être mis à pleurer en raison du choc et de la douleur éprouvés. Les policiers auraient alors cessé de le frapper pour lui dire en anglais qu’ils savaient par C.H. qu’il parlait grec, puis ils auraient recommencé à lui infliger des coups de matraque pour qu’il leur parlât en grec.

10. À un moment donné, les policiers auraient demandé au requérant de leur présenter son passeport. Voyant qu’il était de nationalité norvégienne, ils auraient immédiatement arrêté de le frapper et de le harceler et l’auraient transféré, avec C.H. et M.A., au commissariat de police de Dendropotamos (Menemeni). Après s’être entretenus, les policiers et C.H. auraient fait leurs dépositions auprès des autorités de police de Menemeni.

11. Le même jour, le requérant fut transféré à l’hôpital AHEPA en raison de son diabète. Il dit qu’il a essayé de dénoncer les mauvais traitements qui lui auraient été infligés, en vain.

2. La version du Gouvernement

12. Le Gouvernement réplique que, le 18 septembre 2008, à 19 h 15, deux policiers en service de la police hellénique effectuaient des patrouilles à bord d’un véhicule dans la région de Thessalonique. Il expose que, apercevant une personne en train de poursuivre le requérant, ils se sont précipités vers les protagonistes en indiquant leur fonction et en présentant leur carte professionnelle pour les interroger sur l’incident. Il ajoute que le poursuivant, un certain C.H., a expliqué aux policiers que le requérant lui aurait proposé une montre en échange de 100 euros (EUR) et que, pendant la transaction, le requérant se serait emparé de 1 500 euros (EUR). Le Gouvernement indique encore qu’un certain M.A. s’était approché et que le requérant avait tenté de fuir. Les policiers, assistés par un autre collègue, se seraient lancés à la poursuite du requérant. Pendant la poursuite, le requérant aurait escaladé une clôture d’une hauteur de 2,50 m environ fermant l’accès à une voie de chemin de fer. Le requérant aurait attaqué les policiers à coups de poing. Il aurait été arrêté à 19 h 30. Un portefeuille contenant 1 500 euros (EUR) et une montre auraient notamment été trouvés en sa possession.

13. Le Gouvernement indique que le même jour, à 22 heures, le requérant a été transféré à l’hôpital AHEPA et qu’il s’est vu injecter l’insuline nécessaire à la régulation de son diabète.

14. Le requérant et M.A. auraient par la suite été conduits au commissariat de police de Menemeni, et le requérant y aurait passé la nuit.

B. Les poursuites judiciaires menées à l’encontre du requérant

15. Le 18 septembre 2008, C.H. ainsi que les policiers K.K. et Al.M. furent examinés en tant que témoins.

16. Le 19 septembre 2008, à la suite de leurs dépositions devant la police, le requérant et M.A. furent transférés devant le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique (« le tribunal correctionnel »), qui ordonna leur comparution immédiate du chef des délits de vol et de résistance. Le requérant allègue que, malgré ses demandes explicites auprès des autorités policières, il n’a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat jusqu’à sa comparution devant le procureur compétent, et qu’il a essayé de dénoncer les mauvais traitements subis au commissariat de police de Menemeni, sans succès.

17. Le même jour, le requérant et M.A. comparurent devant le tribunal correctionnel et, à leur demande, l’audience de l’affaire fut reportée au 23 septembre 2008. Le requérant fut par la suite libéré.

18. Le 7 juillet 2009, après plusieurs ajournements de l’affaire, le tribunal correctionnel condamna le requérant à une peine de six mois et dix jours d’emprisonnement avec sursis pour vol en réunion et pour désobéissance (décision no 12613/2009). Ni le requérant ni son représentant ne comparurent à l’audience. Le tribunal correctionnel considéra, entre autres, que le requérant avait repoussé avec ses mains les policiers K.K. et Al.M., et qu’il avait essayé de les frapper à coups de poing afin d’empêcher son arrestation.

19. Le 16 septembre 2009, le requérant interjeta appel contre l’arrêt no 12613/2009.

20. Il ressort du dossier que, à une date non précisée, il fut constaté que les actes incriminés avaient été prescrits en vertu de la loi no 4043/2012.

C. Les certificats médicaux

21. Le 19 septembre 2008, à la suite de l’ajournement de l’audience devant le tribunal correctionnel et de sa mise en liberté, le requérant fut examiné par un médecin à l’hôpital public G. Gennimatas. Selon le certificat médical no 12358/22-9-2008 délivré par cet hôpital le 22 septembre 2008, le requérant alléguait avoir subi des mauvais traitements vingt-quatre heures auparavant. Le rapport indiquait notamment que le requérant présentait une ecchymose au triceps gauche et une autre au triceps droit, une ecchymose à l’intérieur de la malléole droite avec douleur à la cheville, ainsi que des douleurs au tendon d’Achille et à l’articulation radio-carpienne en raison du port de menottes. Il indiquait encore que le requérant alléguait avoir subi des coups sur la tête et avoir perdu connaissance. Une évaluation complémentaire fut recommandée s’agissant des douleurs au tendon d’Achille.

22. Selon un certificat médical daté du 23 septembre 2008, délivré par un médecin exerçant à Kopervik, en Norvège, le requérant, diabétique et traité à l’insuline, avait été suivi en consultation jusqu’en février 2007.

23. Selon un certificat médical délivré le 2 décembre 2008 par l’hôpital Papageorgiou, le requérant s’était présenté aux urgences le 19 septembre 2008 à 21 h 17. Une évaluation orthopédique concluait qu’il présentait notamment une blessure sans fracture et des douleurs au muscle gastrocnémien droit. Toujours selon le certificat, le requérant avait reçu des instructions et une prescription médicamenteuse.

24. À une date non précisée, le requérant quitta la Grèce pour la Suède.

25. Après son arrivée en Suède, le requérant fut aussi examiné à l’hôpital de Södervärn, à Malmö. Selon un certificat médical, daté du 24 février 2009 et délivré par cet hôpital, le requérant avait une bosse sur la tête, présentait une sensibilité au toucher des jambes et des poignets, et souffrait de troubles psychologiques. Selon le même certificat, ces signes de violence physique pouvaient être le résultat des mauvais traitements allégués.

D. La saisine du médiateur de la République et l’enquête administrative relative aux allégations d’actes des policiers

26. À une date non précisée, le requérant saisit le médiateur de la République pour dénoncer les mauvais traitements qu’il alléguait avoir subis.

27. Le 9 janvier 2009, le médiateur de la République adressa une lettre à la direction de police de Thessalonique. Il invita notamment cette dernière à enquêter sur les allégations du requérant de manière effective.

28. Le 5 février 2009, le chef de la direction de la sécurité de Thessalonique ordonna l’ouverture d’une enquête au sujet des évènements du 18 septembre 2008.

29. Le 5 mars 2009, le requérant fut examiné en tant que témoin.

30. Le 6 mars 2009, le policier de la sous-direction de la lutte contre les drogues de la direction de la sécurité de Thessalonique chargé de l’enquête demanda au procureur du tribunal correctionnel de Thessalonique si le requérant avait introduit une plainte contre les policiers K.K. et Al.M. et le pria, le cas échéant, de lui faire parvenir une copie du dossier.

31. Le 20 mars 2009, le policier chargé de l’enquête proposa de classer l’affaire. Il prit en compte, entre autres, les dépositions faites par le requérant, M.A. et les témoins lors de la procédure pénale contre eux, ainsi que les dépositions du requérant et de neuf policiers ayant comparu devant lui. Il constata que le requérant avait été transféré directement dans les locaux du commissariat de police de Menemeni et ajouta que les policiers examinés avaient soutenu que le comportement de tous les policiers au sein de ce commissariat avait été « impeccable et approprié ». En ce qui concernait les lésions corporelles du requérant, il précisa dans son rapport que le certificat médical établi à la suite de la visite du requérant à l’hôpital G. Gennimatas ne mentionnait pas l’heure à laquelle les évènements allégués se seraient déroulés, les circonstances exactes des faits dénoncés et le moyen employé pour infliger les lésions, et que ces éléments n’auraient pu être établis qu’à la suite d’un examen par un médecin légiste. Il ajouta qu’en tout état de cause ces lésions ne correspondaient pas aux allégations du requérant selon lesquelles il avait été tabassé pendant quarante-cinq minutes par trois personnes à coups de pied, de poing et de matraque, car, selon le rapport, dans pareil cas, les lésions auraient été multiples et plus graves. Il indiqua qu’il était possible d’attribuer l’origine des lésions corporelles soit à l’escalade puis au saut par le requérant du haut d’un mur de 2,50 m de hauteur pendant sa fuite, soit à l’affrontement du requérant avec les policiers et à la résistance qu’il aurait opposée à son arrestation, auquel cas, d’après le policier chargé de l’enquête, elles étaient justifiées par l’emploi d’une force nécessaire. Il précisa en outre que le requérant aurait pu dénoncer sans entraves les mauvais traitements allégués le 19 et le 23 septembre 2008, ou lors de sa comparution devant le tribunal correctionnel, le 1er octobre 2008. Or, d’après le policier chargé de l’enquête, le requérant n’aurait introduit sa plainte que trois mois après les évènements en cause, « à l’évidence en guise de représailles, pour briser le moral des policiers victimes, et probablement pour se constituer partie civile et introduire une demande en dommages-intérêts contre l’État grec ».

32. Le 28 mai 2009, le chef de la direction de la sécurité de Thessalonique conclut l’enquête administrative sur l’incident en cause en considérant qu’aucune responsabilité ne pouvait être imputée aux policiers impliqués. En particulier, il accepta les témoignages des policiers selon lesquels le requérant aurait chuté d’un mur lors de sa tentative de fuite. De plus, il constata que les policiers avaient déclaré que l’arrestation du requérant ne s’était pas déroulée en douceur, et qu’ils avaient dû avoir recours à la force, ce qui aurait provoqué « au plus une égratignure ».

E. La procédure pénale menée à l’encontre des policiers

33. Entre-temps, le 16 décembre 2008, le requérant avait déposé une plainte pénale. Dans cette plainte, il présentait sa version des faits et demandait l’engagement de poursuites pénales contre les auteurs présumés, y compris K.K. et Al.M., notamment pour blessures volontaires, abus de pouvoir, torture et manquement à ses fonctions. Il ajoutait que, lors de sa comparution devant le tribunal correctionnel le 23 septembre 2008, il n’avait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Il se référait au contenu du certificat médical du 22 septembre 2008, et il précisait qu’il était à la disposition des autorités pour identifier les autres auteurs et être confrontés aux policiers impliqués. Enfin, il proposait que M.A. fût entendu comme témoin.

34. Le 9 avril 2009, K.K. et Al.M. furent interrogés par le magistrat de Thessalonique (πταισματοδίκης). Ils nièrent avoir infligé des violences au requérant et soutinrent notamment qu’ils avaient dû contenir celui-ci en raison de sa résistance à son arrestation. Al.M. soutint en outre que le requérant s’était montré particulièrement violent à son encontre, au point qu’il lui aurait été difficile de briser sa résistance à l’arrestation, et qu’il était dès lors possible que leur lutte se fût soldée pour le requérant par « une égratignure ».

35. Le 8 mai 2009, un certain T.S., policier affecté au commissariat de Menemeni, déposa comme témoin devant le magistrat de Thessalonique. Il soutint notamment que K.K. et Al.M. n’avaient pas exercé de violence contre le requérant.

36. Le 10 octobre 2010, la plainte du requérant fut rejetée par le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique (ordonnance no 178/2010). En ce qui concerne les faits de l’affaire, le procureur mentionna en particulier ce qui suit :

« (...) [Le requérant] a été arrêté et condamné en première instance pour vol en réunion (...). De plus, des poursuites pénales ont été engagées à son encontre (...) pour résistance (article 167 du CP), car le plaignant-accusé (...) a repoussé avec ses mains et a essayé de frapper à coups de poing les policiers K.K. et Al.M. En effet, essayant de fuir, [le requérant] est monté sur (δρασκέλισε) un mur d’une hauteur de 2,50 m environ qui se trouve à proximité de rails de chemin de fer. Qui plus est, les lésions corporelles mentionnées dans le document no 12358/22-9-2008 de l’hôpital G. Gennimatas, à savoir l’ecchymose au triceps gauche, l’ecchymose au triceps droit, les douleurs au tendon d’Achille et à l’articulation radio-carpienne, sont compatibles avec le déroulement des évènements ci-dessus et peuvent être justifiées par la violence nécessaire exercée par les policiers (...) en raison de la résistance du plaignant contre son arrestation et par le port de menottes. En revanche, [les lésions corporelles] ne sont pas compatibles avec les allégations du plaignant selon lesquelles il a été brutalement battu, et ce à coups de matraque et de poing (χειροδικία) et [s’est vu] assener par des policiers des coups violents pendant un long moment, coups accompagnés d’insultes au motif qu’il ne parlait pas le grec. Il s’ensuit (...) qu’il n’y a pas d’indices suffisants pour engager des poursuites contre [les policiers] K.K. et Al.M. ou contre un autre policier (...) »

37. À une date non précisée, le requérant introduisit un recours contre l’ordonnance no 178/2010.

38. En vertu de l’ordonnance no 1/11, notifiée au requérant le 25 janvier 2011, le procureur près la cour d’appel confirma l’ordonnance no 178/2010. En particulier, il considéra que les blessures du requérant étaient justifiées par la violence nécessaire exercée lors de son arrestation. Il ajouta qu’il avait déjà été conclu lors de l’enquête administrative que les policiers K.K. et Al.M. n’avaient pas commis d’infraction disciplinaire. Dès lors, selon le procureur près la cour d’appel, il n’existait pas d’indice sérieux de culpabilité.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

39. L’article 137A du code pénal dispose :

« 1. Un fonctionnaire ou un militaire dont les devoirs incluent soit les poursuites, l’interrogatoire ou l’enquête concernant des infractions pénales ou disciplinaires, l’exécution des sanctions ou la garde ou la surveillance de détenus, est puni d’une peine de réclusion si, dans l’exercice de ses fonctions, il soumet à la torture une personne qui est sous son autorité dans le but a) de lui extorquer ou d’extorquer d’un tiers un aveu, un témoignage, une information ou une déclaration par laquelle elle répudierait ou adhérerait à une idéologie politique ou autre ; b) de le « punir » ; c) de l’intimider, elle ou un tiers.

(...)

2. La torture consiste (...) en toute infliction planifiée (μεθοδευμένη) d’une douleur physique aigüe, d’un épuisement physique mettant en danger la santé d’une personne ou d’une souffrance mentale de nature à provoquer une lésion psychologique sévère, ainsi que tout usage illégal de substances chimiques, de drogues ou d’autres moyens naturels ou artificiels dans le but de fléchir la volonté de la victime.

3. Les blessures corporelles, l’atteinte à la santé, l’exercice illégal d’une violence physique ou psychologique et toute autre atteinte sérieuse à la dignité humaine (...) sont punies d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans (...). Sont considérées comme des atteintes à la dignité humaine notamment : a) l’usage d’un détecteur de mensonges, b) la mise en isolement prolongé, c) une atteinte sérieuse à la dignité sexuelle. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

40. Le requérant se plaint d’une violation des volets matériel et procédural de l’article 3 de la Convention en raison des violences physiques dont il aurait été victime de la part des policiers impliqués dans son arrestation, et en raison de l’omission par les autorités administratives et judiciaires de mener une enquête complète, juste et impartiale sur l’incident en cause. L’article 3 de la Convention est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

41. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

42. Sensible à la nature subsidiaire de sa mission, la Cour reconnaît qu’elle ne peut sans de bonnes raisons assumer le rôle de juge du fait de première instance lorsque cela n’est pas rendu inévitable par les circonstances de l’affaire dont elle se trouve saisie. Par conséquent, elle se penchera tout d’abord sur le grief du requérant relatif à la non-réalisation d’une enquête effective au sujet de ses allégations de mauvais traitements (El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, §§ 155 et 181, CEDH 2012, Dzhulay c. Ukraine, no 24439/06, § 69, 3 avril 2014, Chinez c. Roumanie, no 2040/12, § 57, 17 mars 2015, Yaroshovets et autres c. Ukraine, nos 74820/10, 71/11, 76/11, 83/11, et 332/11, § 77, 3 décembre 2015, et Sadkov c. Ukraine, no 21987/08, § 90, 6 juillet 2017).

1. Quant à l’effectivité des investigations menées par les autorités nationales

a) Les arguments des parties

i. Le requérant

43. Le requérant allègue que l’enquête n’a pas été effective, que les juridictions internes et les autorités de la police se sont bornées à confirmer les arguments présentés par la police et qu’elles n’ont pas examiné ses arguments. Il ajoute que, bien qu’il eût déclaré son adresse au magistrat de Thessalonique, ni lui ni son avocat n’ont été convoqués à comparaître devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la procédure engagée contre lui et qu’il a ainsi été privé de la possibilité de prouver la fausseté des allégations des policiers impliqués. En ce qui concerne la procédure pénale menée à l’encontre les policiers K.K. et Al.M., le requérant se plaint de n’avoir pas été invité à témoigner, à soumettre des preuves supplémentaires et à faire un contre-interrogatoire des policiers impliqués. Il allègue de plus que le seul témoin oculaire, A.M., n’a pas été invité à déposer comme témoin. Il indique en outre que, dans sa décision no 1/11, le procureur de la cour d’appel a considéré qu’il avait commis l’infraction de résistance aux forces de l’ordre, alors qu’il aurait été condamné pour désobéissance. Il estime de surcroît que le procureur de la cour d’appel s’est borné à réitérer les arguments du procureur du tribunal correctionnel et à rejeter son appel par une motivation identique, sans répondre à ses arguments, y compris ceux relatifs à son état de santé.

44. Le requérant soutient enfin que ce n’est qu’après la lettre du médiateur de la République du 9 janvier 2009 que l’enquête administrative a débuté. Il reproche aux autorités de ne pas avoir fait preuve de la diligence requise, arguant que les dépositions n’ont pas été notées par écrit et qu’aucun contre-interrogatoire ou examen médical n’a été effectué.

ii. Le Gouvernement

45. Le Gouvernement expose que des organes indépendants et impartiaux ont effectué tous les actes d’enquête nécessaires et qu’une procédure disciplinaire a été ouverte contre les policiers dont l’implication aurait été alléguée. Il précise que les procureurs chargés d’affaires similaires peuvent prendre en compte les constats de l’enquête administrative et qu’ils examinent attentivement les allégations concernant les mauvais traitements. Il ajoute qu’en l’espèce tant le procureur près le tribunal correctionnel que le procureur près la cour d’appel ont examiné l’affaire conformément aux critères établis par la jurisprudence de la Cour et qu’ils ont considéré que la plainte du requérant était mal fondée, après avoir pris en compte tous les éléments du dossier, y compris le certificat médical fourni par le requérant, la déposition de son coaccusé A.M., et l’arrêt no 12613/2009 du tribunal correctionnel le condamnant pour vol et désobéissance. Il ajoute encore que, si le requérant n’a pas comparu devant le tribunal correctionnel, c’est de son propre fait. Il indique en outre que le requérant n’a fourni ni devant les juridictions internes ni devant la Cour de déposition susceptible de corroborer ses allégations, notamment celle de A.M.

46. En ce qui concerne la procédure disciplinaire engagée contre les policiers, le Gouvernement estime que celle-ci a été conduite en temps utile et conformément à la loi, que le policier chargé de l’enquête n’était pas subordonné aux policiers considérés comme impliqués, que tous les éléments de preuve ont été pris en considération et que le requérant a été examiné en tant que témoin.

b) L’appréciation de la Cour

i. Principes généraux

47. La Cour renvoie aux principes généraux tels qu’ils se trouvent énoncés notamment dans les arrêts Bouyid c. Belgique ([GC], no 23380/09, §§ 114-123, CEDH 2015), El-Masri (précité, §§ 182-185) et Mocanu et autres c. Roumanie ([GC], nos 10865/09, 45886/07 et 32431/08, §§ 316-326, CEDH (extraits)).

48. Il en ressort que, pour que l’interdiction générale de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants s’adressant notamment aux agents publics s’avère efficace en pratique, il faut qu’existe une procédure permettant d’enquêter sur les allégations de mauvais traitements infligés à une personne se trouvant entre leurs mains.

49. Ainsi, notamment, compte tenu du devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de « reconna[ître] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis [dans] la (...) Convention », les dispositions de l’article 3 de la Convention requièrent par implication qu’une forme d’enquête officielle effective soit menée lorsqu’un individu soutient de manière défendable avoir subi, de la part notamment de la police ou d’autres services comparables de l’État, un traitement contraire à l’article 3.

50. Il s’agit essentiellement, au travers d’une telle enquête, d’assurer l’application effective des lois qui interdisent la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants dans les affaires où des agents ou organes de l’État sont impliqués, et de garantir que ceux-ci aient à rendre des comptes au sujet des mauvais traitements survenus sous leur responsabilité.

51. D’une manière générale, pour qu’une enquête puisse passer pour effective, il faut que les institutions et les personnes qui en sont chargées soient indépendantes des personnes qu’elle vise. Cela suppose non seulement l’absence de lien hiérarchique ou institutionnel, mais aussi une indépendance concrète.

52. Quelles que soient les modalités de l’enquête, les autorités doivent agir d’office. De plus, pour être effective, l’enquête doit permettre d’identifier et de sanctionner les responsables. Elle doit également être suffisamment vaste pour permettre aux autorités qui en sont chargées de prendre en considération non seulement les actes des agents de l’État qui ont eu directement et illégalement recours à la force, mais aussi l’ensemble des circonstances les ayant entourés.

53. Bien qu’il s’agisse d’une obligation non pas de résultat mais de moyens, toute carence de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir les circonstances de l’affaire ou l’identité des responsables risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à la norme d’effectivité requise.

54. En outre, la victime doit être en mesure de participer effectivement à l’enquête.

55. L’enquête doit être approfondie, ce qui signifie que les autorités doivent toujours s’efforcer sérieusement de découvrir ce qui s’est passé et qu’elles ne doivent pas s’appuyer sur des conclusions hâtives ou mal fondées pour clore l’enquête. Qui plus est, l’enquête doit être propre à déterminer si le recours à la force était ou non justifié dans les circonstances particulières d’une affaire (Corsacov c. Moldova, no 18944/02, § 69, 4 avril 2006, et Grimailovs c. Lettonie, no 6087/03, § 106, 25 juin 2013).

56. Une exigence de célérité et de diligence raisonnable en découle implicitement. S’il peut y avoir des obstacles ou des difficultés empêchant l’enquête de progresser dans une situation particulière, une réponse rapide des autorités lorsqu’il s’agit d’enquêter sur des allégations de mauvais traitements peut généralement être considérée comme essentielle pour préserver la confiance du public dans le respect du principe de légalité et éviter toute apparence de complicité ou de tolérance relativement à des actes illégaux (Bouyid, précité, § 121).

ii. Application de ces principes en l’espèce

57. En l’espèce, la Cour note tout d’abord que, telles qu’exposées devant les autorités internes, les allégations du requérant d’après lesquelles des policiers lui ont infligé des traitements contraires à l’article 3 de la Convention étaient défendables. Cette disposition obligeait donc lesdites autorités à mener une enquête effective.

58. La Cour constate que les circonstances ayant entouré les évènements du 18 septembre 2008 ont fait l’objet d’une enquête administrative et qu’une procédure pénale a été menée à l’encontre des policiers K.K. et Al.M.

59. Reste à savoir si les procédures en cause ont satisfait aux exigences de l’article 3 de la Convention.

60. La Cour observe à cet égard qu’il existe des éléments de nature à entacher le caractère indépendant et approfondi des enquêtes en cause. En premier lieu, elle relève que les personnes chargées de l’enquête administrative étaient des collègues des policiers soupçonnés d’être impliqués et qu’ils n’étaient pas supervisés par une autorité indépendante. Les autorités chargées de l’enquête se sont fondées principalement sur les dépositions de neuf policiers, y compris celles des acteurs présumés, K.K. et Al.M (paragraphe 31 ci-dessus). Dans leurs dépositions, ces témoins ont notamment soutenu que le comportement de tous les policiers se trouvant dans le commissariat en même temps que le requérant était « impeccable et approprié », et que le requérant avait résisté à son arrestation. Quant aux allégations du requérant, les autorités chargées de l’enquête lui ont reproché de ne pas avoir dénoncé plus tôt les mauvais traitements allégués. Elles ont estimé que, en introduisant sa plainte, le requérant avait pour but de se venger des policiers et de tirer profit d’une éventuelle demande en dommages-intérêts. En considérant comme subjective la version du requérant et non pas celle des policiers, les autorités chargées de l’enquête ont ainsi appliqué en pratique des critères différents lors de l’évaluation des dépositions. Or la Cour estime que la crédibilité des dépositions des policiers aurait dû elle aussi être mise en question, d’autant plus que l’enquête en cause visait également à établir si les policiers étaient passibles de sanctions disciplinaires (Zelilof c. Grèce, no 17060/03, § 60, 24 mai 2007, et Ognyanova et Choban c. Bulgarie, no 46317/99, § 99, 23 février 2006).

61. La Cour relève en outre que les autorités chargées de l’enquête ont exprimé des doutes quant au certificat établi à la suite de la visite du requérant à l’hôpital G. Gennimatas, au motif que l’heure à laquelle les évènements allégués s’étaient déroulés, les circonstances exactes des faits dénoncés et le moyen employé pour infliger les lésions n’y étaient pas précisés et que ces éléments ne pouvaient être établis que par un médecin légiste. La Cour note qu’il ressort de manière claire de ce document que le requérant s’est rendu à l’hôpital G. Gennimatas le 19 septembre 2008, soit immédiatement après sa mise en liberté, dès qu’il a pu agir pour rassembler des preuves. Dans ces circonstances, la Cour considère que le certificat médical aurait dû au moins être attentivement évalué par les autorités chargées de l’enquête.

62. La Cour observe encore que, par la suite, les autorités se sont bornées à constater que, en tout état de cause, les lésions corporelles mentionnées dans le certificat médical, à savoir l’ecchymose au triceps gauche, l’ecchymose au triceps droit et l’ecchymose à l’intérieur de la malléole droit, ne correspondaient pas aux allégations du requérant au motif que, si les mauvais traitements allégués avaient effectivement été infligés quarante-cinq minutes durant, ses blessures auraient été multiples et plus graves. Or les autorités n’ont pas vérifié si les lésions corporelles qui existaient lors de la mise en liberté du requérant pouvaient correspondre aux allégations de l’intéressé selon lesquelles il avait été frappé de coups de pied, de poing et de matraque aux jambes et aux bras. Lesdites lésions ont été attribuées sans équivoque aux évènements antérieurs au placement du requérant en garde à vue.

63. La Cour observe à cet égard que, lors de son placement en garde à vue, le requérant n’a fait l’objet d’aucun examen médical. Or elle a maintes fois souligné l’importance d’un examen médical qui soit effectué avant le placement d’une personne en garde à vue. Un tel examen peut permettre non seulement de savoir si la personne en cause est à même de faire l’objet d’un interrogatoire, mais également, en cas d’allégation ultérieure de traitements contraires à l’article 3 de la Convention, de « décharger » les autorités de la preuve en ce qui concerne l’origine des blessures constatées (Ion Bălăşoiu c. Roumanie, no 70555/10, § 115, 17 février 2015, et Turkan c. Turquie, no 33086/04, § 42, 18 septembre 2008).

64. La Cour note ensuite que, en examinant la possibilité que les blessures du requérant se fussent produites pendant son arrestation, les autorités n’ont aucunement examiné l’argument du requérant selon lequel son état de santé ne lui permettait ni de courir ni de résister à son arrestation. Qui plus est, les circonstances exactes de l’affrontement présumé entre le requérant et les policiers, et, notamment, le comportement du requérant qui aurait nécessité l’utilisation de force, ainsi que l’origine exacte de ses blessures n’ont pas été précisés lors de l’enquête.

65. En ce qui concerne la procédure pénale contre K.K. et Al.M., la Cour relève que le procureur près le tribunal correctionnel de Thessalonique s’est borné à entendre les policiers soupçonnés d’avoir été impliqués ainsi qu’un certain T.S. Ce procureur n’a pas procédé à une confrontation entre les policiers en cause et le requérant, et il n’a entendu ni M.A., témoin proposé par le requérant, ni les médecins qui ont établi les certificats médicaux produits par l’intéressé. De telles mesures auraient pourtant pu contribuer à éclaircir les faits. La Cour note en outre que, en classant l’affaire le 10 octobre 2010, le procureur près le tribunal correctionnel a pris en considération la procédure pénale menée contre le requérant, et qu’il a constaté que l’intéressé avait repoussé les policiers et qu’il avait essayé de les frapper. À cet égard, la Cour ne perd pas de vue le fait que les policiers n’ont nullement soutenu devant les juridictions internes que le requérant leur aurait infligé de quelconques lésions corporelles. De plus, la Cour observe que, dans son ordonnance no 1/11, le procureur près la cour d’appel a reproduit la plupart des constats de l’enquête administrative et de la procédure pénale engagée contre le requérant.

66. En conséquence, compte tenu des éléments exposés ci-dessus, la Cour estime que le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective. Partant, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

2. Quant aux allégations de mauvais traitements

a) Les arguments des parties

i. Le requérant

67. Le requérant soutient que, à la suite de son arrestation, il a d’abord été emmené dans le sous-sol de la direction de police de Thessalonique, où il aurait subi des mauvais traitements. Il allègue que ladite direction dispose de salles d’interrogatoire et que les noms des détenus interrogés ne sont consignés dans aucun document officiel. Il ajoute que ces personnes sont par la suite transférées soit au troisième étage du bâtiment soit dans un commissariat de police. Il précise qu’il souffre de diabète, qu’il doit recevoir des injections d’insuline deux fois par jour et que cette maladie affecte son état physique, lequel ne lui permettrait pas de courir vite ou de sauter du haut d’un mur de 2,50 m de hauteur. Il ajoute que, dans la région où son arrestation a eu lieu, il existe non pas des murs bloquant l’accès aux voies de chemin de fer mais des passages permettant de franchir celles-ci.

68. Le requérant reproche en outre aux juridictions internes de ne pas avoir abordé la question des incohérences et des contradictions qui apparaissaient selon lui dans les dépositions des policiers impliqués. Il ajoute que le tribunal correctionnel l’a condamné non pas pour résistance, mais pour désobéissance, et que cette infraction n’implique pas l’usage de la violence physique. Dès lors, selon le requérant, les juridictions internes ont reconnu qu’il n’avait pas agressé les policiers pendant son arrestation. Or, toujours selon le requérant, les procureurs compétents n’ont pas pris ce constat en considération, mais se sont bornés à reprendre les dépositions des policiers. Le requérant ajoute que les policiers n’avaient pas de blessures ou d’autres signes montrant qu’ils auraient subi des violences. Il indique qu’il s’est rendu à l’hôpital G. Gennimatas juste après sa mise en liberté, le 19 septembre 2008, et que cette date ressort clairement du certificat médical du 22 septembre 2008. Il indique en outre que, le même jour, il s’est également rendu à l’hôpital Papageorgiou pour une évaluation orthopédique supplémentaire et que les constatations médicales correspondent aux photos qu’il a soumises à la Cour. Il ajoute qu’il lui a été impossible de dénoncer les mauvais traitements subis tant qu’il se trouvait sous la surveillance des policiers. Quant à la possibilité qu’il aurait eue, selon le Gouvernement, de se plaindre devant le procureur près le tribunal correctionnel et devant le tribunal correctionnel, le requérant indique qu’il ne bénéficiait pas de l’assistance d’un avocat ou d’un interprète et que le tribunal n’a fait que reporter son affaire. Enfin, il argue que, ne parlant pas le grec, souffrant de diabète et ayant été victime de violences, il se trouvait dans une situation de vulnérabilité particulière. Il aurait toutefois tenté de dénoncer les mauvais traitements subis, notamment à l’occasion de son transfert à l’hôpital AHEPA, en vain.

ii. Le Gouvernement

69. Le Gouvernement soutient que la date précise de l’examen médical du requérant à l’hôpital G. Gennimatas ne ressort pas du dossier. Il admet qu’il n’y a pas d’éléments lui permettant de contester l’authenticité du certificat médical daté du 22 septembre 2008. Toutefois, il indique que ce certificat a été délivré non pas le jour de la mise en liberté du requérant mais trois jours après celle-ci, que l’heure exacte de l’examen n’y est pas précisée, que le requérant ne fournit aucune explication concernant son retard dans la demande du certificat en question et qu’il n’a pas porté ce certificat à l’attention des autorités immédiatement. Dès lors, de l’avis du Gouvernement, il n’est pas établi que l’état clinique du requérant, tel qu’il est décrit dans le certificat en cause, avait pour origine sa détention. Le Gouvernement estime qu’il en va de même pour le certificat délivré par l’hôpital Papageorgiou, qui a été, à ses dires, présenté pour la première fois avec les observations du requérant. Il indique en outre que le requérant ne s’est pas plaint de mauvais traitements le 18 septembre 2008, lorsqu’il a été transféré à l’hôpital AHEPA par les policiers, ni le 19 septembre 2008, lorsqu’il a été présenté devant le procureur compétent et devant le tribunal correctionnel.

70. Le Gouvernement ajoute que le requérant était responsable de ses blessures au motif qu’il était tombé d’un mur d’une hauteur de 2,50 m qu’il aurait escaladé et qu’il s’en est pris physiquement aux policiers afin d’empêcher son arrestation. Il indique que le tribunal correctionnel de Thessalonique a condamné le requérant pour désobéissance après avoir constaté que celui-ci avait repoussé les policiers avec ses mains et qu’il avait essayé de les frapper à coups de poing. Il s’ensuit, selon le Gouvernement, que, indépendamment de la qualification de l’infraction commise par le requérant, il ne fait aucun doute que le requérant a effectivement utilisé la force contre les policiers et que l’utilisation de la force physique par les policiers à son encontre était justifiée et rendue nécessaire par son comportement. Le Gouvernement expose qu’en tout état de cause le seuil de gravité requis pour que les traitements infligés au requérant soient qualifiés de traitements dégradants n’a pas été atteint et que le requérant cherche à remettre en cause l’appréciation des faits.

b) L’appréciation de la Cour

71. La Cour rappelle que la prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants est absolue, quels que soient les agissements reprochés à la victime (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 79, Recueil des arrêts et décisions 1996-V).

72. Elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle, pour l’établissement des faits allégués, elle se sert du critère de la preuve « au‑delà de tout doute raisonnable », une telle preuve pouvant néanmoins résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 121, CEDH 2000-IV).

73. En l’espèce, la Cour note que les rapports médicaux ne sont pas concluants quant à l’origine possible des blessures que présentait le requérant et que les éléments du dossier ne permettent pas d’avoir une certitude suffisante, au-delà de tout doute raisonnable, sur la cause des lésions constatées. À cet égard, elle tient toutefois à souligner que cette impossibilité découle en grande partie de l’absence d’une enquête approfondie et effective par les autorités nationales (B.S. c. Espagne, no 47159/08, § 55, 24 juillet 2012, Lopata c. Russie, no 72250/01, § 125, 13 juillet 2010, et Gharibashvili c. Géorgie, no 11830/03, § 57, 29 juillet 2008).

74. Eu égard à ses conclusions sous le volet procédural de l’article 3 de la Convention, la Cour considère qu’il n’existe pas en l’espèce d’éléments suffisants permettant de conclure au-delà de tout doute raisonnable que le requérant a fait l’objet des traitements allégués.

75. À la lumière de ce qui précède, la Cour ne peut conclure à une violation matérielle de l’article 3 s’agissant des mauvais traitements allégués par le requérant.

76. Dès lors, il n’y a pas eu de violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

77. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

78. Le requérant réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral. Il invite la Cour à verser cette somme directement sur le compte de son représentant.

79. Le Gouvernement répond que la somme demandée est excessive et injustifiée, en raison, d’une part, des circonstances particulières de l’affaire et, d’autre part, de la situation financière actuelle de la Grèce. Il est d’avis qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

80. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour admet que le requérant a subi un préjudice moral que le constat de violation ne saurait réparer. Statuant en équité, elle alloue au requérant 10 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

81. Le requérant demande également 2 000 EUR pour les frais et dépens qu’il aurait engagés devant la Cour.

82. Le Gouvernement met en doute la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable des frais en question. Il ajoute que le requérant ne produit aucun élément de nature à justifier le niveau de cette prétention.

83. La Cour observe que la prétention au titre des frais et dépens n’est pas accompagnée des justificatifs nécessaires. Partant, il y a lieu d’écarter la demande du requérant.

C. Intérêts moratoires

84. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet matériel ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 avril 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKrzysztof Wojtyczek
GreffierPrésident en exercice


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-182444
Date de la décision : 26/04/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Enquête effective) (Volet procédural);Non-violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant) (Volet matériel)

Parties
Demandeurs : ANDERSEN
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : TSITSELIKIS K.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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