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04/04/2018 | CEDH | N°001-181828

CEDH | CEDH, AFFAIRE CORREIA DE MATOS c. PORTUGAL, 2018, 001-181828


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE CORREIA DE MATOS c. PORTUGAL

(Requête no 56402/12)

ARRÊT

STRASBOURG

4 avril 2018

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Correia de Matos c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Helena Jäderblom,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,

Işıl Karakaş,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo

Pinto de Albuquerque,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Iulia Motoc,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Marko Bošnjak,...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE CORREIA DE MATOS c. PORTUGAL

(Requête no 56402/12)

ARRÊT

STRASBOURG

4 avril 2018

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Correia de Matos c. Portugal,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Helena Jäderblom,
András Sajó,
Nona Tsotsoria,

Işıl Karakaş,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Iulia Motoc,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Marko Bošnjak,
Lәtif Hüseynov, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière adjointe,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 8 février et 20 novembre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 56402/12) dirigée contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Carlos Correia de Matos (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 août 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par une décision du 14 novembre 2016, le président de la Grande Chambre a autorisé le requérant à présenter sa cause lui-même (articles 71 § 1 et 36 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.

3. Le requérant alléguait que les décisions par lesquelles les juridictions internes lui avaient refusé l’autorisation d’assurer lui-même sa défense dans la procédure pénale dirigée contre lui et lui avaient imposé d’être représenté par un avocat avaient emporté violation de l’article 6 § 3 c) de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la première section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 18 septembre 2014, elle a été communiquée au Gouvernement. Par la suite, elle a été attribuée à la quatrième section. Le 13 septembre 2016, une chambre de ladite section composée de András Sajó, président, Vincent A. De Gaetano, Paulo Pinto de Albuquerque, Krzysztof Wojtyczek, Iulia Motoc, Gabriele Kucsko-Stadlmayer et Marko Bošnjak, juges, ainsi que de Marialena Tsirli, greffière de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. La décision a par ailleurs été prise d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de la requête (article 29 § 1 de la Convention).

6. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 8 février 2017 (articles 71 et 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmeM.F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe, agente,
M.L.E. Pereira de Azevedo, procureur,conseiller ;

– pour le requérant
M.C. Correia de Matos,requérant.

La Cour a entendu Mme da Graça Carvalho et M. Correia de Matos en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1944 et réside à Viana do Castelo (Portugal).

A. La genèse de l’affaire

9. Le requérant est avocat de formation et commissaire aux comptes de profession. À partir de 1993, il ne fut plus autorisé à exercer en tant qu’avocat. Le 24 septembre 1993, le conseil de l’ordre des avocats, estimant que l’exercice concomitant des professions d’avocat et de commissaire aux comptes était incompatible, décida de suspendre l’inscription de l’intéressé au tableau des avocats. Cette décision fut publiée au Journal officiel en juin 2000. Lorsque le requérant cessa son activité de commissaire aux comptes en avril 2016, il demeura suspendu du barreau au moins jusqu’à la fin de 2016, étant sous le coup d’une sanction disciplinaire pour exercice non autorisé de la profession d’avocat.

10. Le 28 février 2008, dans le cadre d’une procédure civile où il intervenait néanmoins en qualité d’avocat, le requérant critiqua les décisions prises par le juge qui connaissait de l’affaire, déclarant que ces décisions n’étaient pas dignes d’un juge et qu’un juge ne pouvait ni mentir ni omettre la vérité dans l’exercice de sa charge. Le juge en question saisit le parquet d’une plainte pour outrage. Les éléments dont la Cour dispose ne permettent pas de déterminer sur quel fondement le requérant était intervenu dans cette procédure en tant qu’avocat malgré sa suspension du barreau.

B. La procédure litigieuse

1. L’instruction

11. Le 10 février 2010, le parquet près le tribunal de Baixo-Vouga versa au dossier les conclusions du ministère public au sujet du requérant, accusé d’outrage à magistrat. Le requérant n’ayant pas mandaté d’avocat, le parquet en désigna un sur le fondement de l’article 64 du code de procédure pénale (CPP) pour assurer la défense de l’intéressé.

12. Le 12 mars 2010, le requérant demanda au tribunal d’instruction criminelle de Baixo-Vouga d’ouvrir une instruction contradictoire (abertura de instrução – paragraphe 39 ci-dessous). Par ailleurs, il sollicita l’autorisation d’assurer lui-même sa défense à la place de l’avocat commis d’office.

13. Par une décision du 7 septembre 2010, le tribunal accepta d’ouvrir une instruction mais rejeta la demande tendant au remplacement de l’avocat commis d’office et à l’obtention par le requérant de l’autorisation d’assurer sa propre défense. Le tribunal indiqua que le requérant ne pouvait intervenir dans la procédure sans l’assistance d’un défenseur. Il exposa qu’en vertu des dispositions du droit portugais, en particulier l’article 32 de la Constitution et les articles 64 § 3 et 287 § 4 du CPP (paragraphes 28, 33 et 40 ci‑dessous), l’accusé avait le droit d’être représenté par un avocat indépendant, droit qui ne serait pas effectif si l’intéressé était autorisé à se défendre lui-même. Renvoyant à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel sur le sujet, le tribunal estima qu’un accusé qui était avocat de son état ne pouvait donc pas intervenir dans la procédure pour défendre sa propre cause.

14. Le requérant attaqua la décision du 7 septembre 2010 auprès de la cour d’appel de Coimbra, contestant le refus de l’autoriser à se défendre lui‑même dans le cadre de la procédure pénale.

15. Le 21 décembre 2010, la cour d’appel de Coimbra le débouta. Elle considéra que l’appel était recevable bien qu’introduit par le requérant en personne, dès lors qu’il concernait la question même de savoir si l’intéressé avait le droit, en tant qu’accusé, d’assurer lui-même sa défense. La cour d’appel observa que le droit portugais de la procédure pénale ne permettait pas de cumuler dans la même procédure la qualité d’accusé et celle de défenseur. Elle ajouta que, d’après le droit portugais, un accusé devait bénéficier de l’assistance d’un avocat lors de l’audience devant le juge d’instruction et au procès dans toute affaire susceptible d’aboutir à l’imposition d’une peine privative de liberté ou d’une ordonnance d’internement à des fins de protection de la sécurité publique. Elle précisa que cette règle reflétait le postulat selon lequel l’accusé était mieux défendu si sa défense était assurée par un professionnel du droit formé à la fonction d’avocat. Pour la cour d’appel, celui-ci n’était pas encombré par la charge émotionnelle pesant sur un accusé et en conséquence était à même d’assurer une défense lucide, dépassionnée et effective. Selon la juridiction d’appel, le droit de la procédure pénale n’avait donc pas pour but de limiter la défense de l’accusé, mais de contribuer à ce qu’il fût bien défendu.

16. Le 11 mai 2012, le Tribunal constitutionnel décida qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur le recours constitutionnel formé par le requérant lui‑même, qui se plaignait du refus des juridictions inférieures de l’autoriser à assurer sa propre défense. Il constata que le recours n’avait été ni signé ni approuvé par l’avocate commise d’office. Il ajouta que celle-ci n’avait pas répondu à la question de savoir si elle souscrivait au recours constitutionnel signé de la main du requérant, question posée par la haute juridiction le 11 avril 2012.

17. Le 20 septembre 2012, une audience (debate instrutório) dont la tenue avait été notifiée au requérant en personne se déroula devant le juge d’instruction de Baixo-Vouga. Précédemment, celui-ci avait refusé de reporter cette audience à la demande du requérant, estimant que la cour d’appel avait déjà rendu une décision définitive sur la requête de l’intéressé, qui souhaitait se défendre lui-même. L’avocate commise d’office se présenta à l’audience, mais non le requérant. Le juge d’instruction confirma l’accusation qui pesait sur l’intéressé et décida de renvoyer l’affaire en jugement (despacho de pronúncia) devant le tribunal pénal de Baixo‑Vouga.

2. Le procès

18. Le 12 décembre 2013, à l’issue d’une audience où, à nouveau, l’avocate commise d’office était présente mais non le requérant, le tribunal pénal de Baixo-Vouga jugea l’intéressé coupable d’outrage aggravé (paragraphe 50 ci-dessous) et le condamna à une peine de 140 jours-amende au taux journalier de 9 euros (EUR) ainsi qu’au paiement des frais de justice.

19. Le requérant, qui à aucun moment n’avait demandé l’assistance judiciaire pour couvrir les frais afférents à la procédure et au travail d’un avocat commis d’office ou d’un avocat de son choix, fut condamné notamment à payer des frais d’un montant de 150 EUR au titre de sa représentation par un avocat commis d’office. Il ne versa pas cette somme et, par la suite, l’exécution d’un ordre de paiement le visant fut suspendue faute d’avoirs susceptibles d’être saisis.

20. Le 1er mai 2014, le tribunal pénal de Baixo-Vouga déclara irrecevable un recours contre ce jugement formé par le requérant, au motif qu’il n’était signé ni par un avocat commis d’office ni par un avocat mandaté par l’intéressé. Il confirma que, comme cela avait déjà été jugé dans une décision définitive, le requérant, en tant qu’accusé, n’avait pas le droit de se défendre lui-même dans cette procédure.

21. Par une décision du 18 novembre 2014, la cour d’appel de Porto, agissant par l’intermédiaire de son président, rejeta un recours formé par le requérant lui-même contre la décision du tribunal pénal de Baixo-Vouga.

22. La cour d’appel réaffirma que, selon le droit et la jurisprudence constante, l’accusé dans une procédure pénale, même s’il est avocat, ne peut se défendre lui-même mais doit être assisté par un défenseur. Elle souligna que, comme le conseil général de l’ordre des avocats l’avait également observé dans son avis no E-21/97 (paragraphes 59-60 ci-dessous), la mise en œuvre d’une défense en matière pénale constituait un intérêt d’ordre public. La cour d’appel en conclut qu’il n’était pas possible de renoncer au droit d’être défendu, quand bien même cela impliquait d’imposer un avocat à l’accusé. Elle ajouta que, dans une procédure accusatoire, les pouvoirs que la loi conférait à la défense étaient en maintes situations incompatibles avec la position d’accusé. Pour la cour d’appel, tel était également clairement le cas au procès, eu égard par exemple aux places à occuper dans le prétoire, au port de la robe et au contre-interrogatoire des témoins.

23. La cour d’appel releva que le Tribunal constitutionnel avait confirmé à plusieurs reprises, en particulier dans les arrêts nos 578/2001 et 196/2007 (paragraphes 52-55 ci-dessous), que cette interprétation et la législation correspondante – notamment l’article 64 § 1 d) du CPP, qui dispose que seul un avocat peut former un recours (paragraphe 33 ci‑dessous) – étaient conformes à la Constitution. La cour d’appel indiqua de même que l’approche en question n’était pas contraire au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ou à la Convention. Elle exposa qu’au Portugal l’accusé disposait de tout un éventail de droits procéduraux qui allaient au-delà des normes minimales garanties par ces instruments internationaux.

24. La cour d’appel expliqua que le droit portugais de la procédure pénale conférait à l’accusé de larges possibilités de se défendre lui-même et que celui-ci jouissait d’un droit très complet d’intervenir en personne à tout moment de la procédure pour formuler des demandes, fournir des précisions, répondre, donner des explications ou faire des déclarations (voir, notamment, les articles 61 § 1 b), 98 § 1, 272 § 1, 292 § 2, 332, 341 a) et 343 §§ 1 et 2 du CPP – paragraphes 30, 42 et 44 ci-dessous). Elle ajouta que l’accusé avait également le droit d’être la dernière personne à s’adresser au tribunal, juste après les plaidoiries et avant le prononcé du jugement (voir l’article 361 § 1 du CPP – paragraphe 45 ci-dessous). Selon la cour d’appel, il y avait lieu de distinguer deux éléments, lesquels apportaient une double garantie : d’une part, l’obligation de mandater un avocat afin qu’il se charge des aspects « techniques » de la défense et, d’autre part, la possibilité pour l’accusé d’être présent et d’intervenir dans la procédure.

25. Enfin, la cour d’appel constata que le Portugal n’avait pas de raisons valables de s’écarter d’une interprétation ancrée dans la jurisprudence et la doctrine, et qu’en conséquence il n’avait pas modifié son droit en la matière, ni avant ni après l’adoption en 2006 des constatations du Comité des droits de l’homme des Nations unies (paragraphes 63 et suiv. ci-dessous).

26. Le requérant n’ayant pas mandaté d’avocat à la suite de son recours contre la décision du 18 novembre 2014, le jugement rendu le 12 décembre 2013 par le tribunal pénal de Baixo-Vouga devint définitif le 6 janvier 2015.

27. Selon les éléments dont la Cour dispose, à aucun stade de la procédure devant les juridictions nationales le requérant n’a remis en cause les qualifications ou la qualité de l’avocate commise d’office.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Dispositions relatives à la défense en matière pénale

1. La Constitution

28. En ses parties pertinentes, l’article 32 de la Constitution de la République portugaise, intitulé « Garanties de la procédure pénale », dispose :

« 1. La procédure pénale garantit tous les droits de la défense et comporte des voies de recours.

(...)

3. L’accusé a le droit de choisir un défenseur et d’être assisté par celui-ci pour tous les actes de la procédure. La loi précise les cas et les phases où l’assistance par un avocat est obligatoire. »

2. Le code de procédure pénale

a) Dispositions générales relatives à l’accusé et au défenseur

29. Les articles 57 et suivants du code de procédure pénale (CPP) contiennent des dispositions sur l’accusé et son défenseur. Les dispositions pertinentes, telles qu’en vigueur à l’époque pertinente, sont reproduites ci‑après.

30. L’article 61 du CPP, consacré aux droits et obligations d’ordre procédural, énonce :

« 1. Sauf disposition contraire de la loi, l’accusé jouit à tous les stades de la procédure des droits suivants :

a) être présent pour tous les actes de procédure qui le concernent directement ;

b) être entendu par le tribunal ou par le juge d’instruction chaque fois qu’ils rendent une décision qui le concerne personnellement ;

c) être informé des accusations portées contre lui avant de faire une déclaration devant une autorité ;

d) refuser de répondre à toute question posée par une autorité relativement aux accusations portées contre lui et à la teneur de ses déclarations à ce sujet ;

e) choisir un avocat ou demander au tribunal d’en désigner un pour le représenter ;

f) être assisté par un défenseur pour tout acte de procédure auquel il prend part (...) ;

g) participer à l’enquête et à l’examen de l’affaire, produire des éléments de preuve et demander toute mesure nécessaire ;

h) être informé de ses droits par l’autorité judiciaire ou l’autorité de police devant laquelle il est invité à se présenter ;

i) faire appel, en vertu de la loi, de toute décision qui lui est défavorable (...) ».

31. L’article 62 du CPP, qui concerne le défenseur, dispose :

« 1. L’accusé peut constituer avocat à tout stade de la procédure (...) ».

32. L’article 63 du CPP, qui porte sur les droits du défenseur, énonce :

« 1. Le défenseur exerce les droits de l’accusé découlant de la loi, à l’exception de ceux qui sont réservés à l’accusé lui-même.

2. L’accusé peut faire annuler toute mesure mise en œuvre pour son compte par son défenseur, à condition de le faire au moyen d’une déclaration expresse avant l’adoption d’une décision en rapport avec la mesure en question. »

33. Les règles sur l’assistance obligatoire d’un défenseur figurent à l’article 64 du CPP qui, avant d’être modifié par la loi no 20/2013 du 21 février 2013, se lisait comme suit :

« 1. L’assistance d’un défenseur est obligatoire :

a) lors de l’interrogatoire d’un accusé qui a été arrêté ou placé en détention ;

b) lors de l’audience devant le juge d’instruction (debate instrutório) et des débats devant le tribunal, sauf dans les procédures qui ne peuvent aboutir à une peine privative de liberté ou à une mesure de sûreté impliquant un internement (medida de segurança de internamento) ;

c) lors de tout acte procédural autre que l’acte d’accusation, et dans les cas où l’intéressé est atteint d’un trouble visuel, auditif ou de la parole, est analphabète, ne comprend pas le portugais ou est âgé de moins de vingt et un ans, ou lorsque la question de l’exclusion ou de l’atténuation de sa responsabilité pénale a été soulevée ;

d) en cas de recours ordinaire ou extraordinaire ; (...)

f) lorsque le procès se déroule en l’absence de l’accusé ;

g) dans les autres cas visés par la loi.

2. En dehors des cas susmentionnés, le tribunal peut désigner un défenseur, d’office ou à la demande de l’accusé, lorsque les circonstances particulières de l’affaire montrent qu’une assistance est nécessaire ou appropriée.

3. Sous réserve des dispositions des paragraphes précédents, si l’accusé n’est pas assisté par un avocat ou un défenseur commis d’office, la désignation d’un défenseur devient obligatoire à partir du moment où l’intéressé se trouve formellement accusé (...)

4. Dans les cas visés au paragraphe 3 ci-dessus, l’accusé est informé par l’acte d’inculpation que s’il est déclaré coupable il devra payer les honoraires de son défenseur, à moins qu’il n’ait été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, et qu’il peut remplacer son défenseur par un avocat de son choix. »

34. Depuis sa modification par la loi no 20/2013 du 21 février 2013, l’article 64 § 1 du CPP se lit ainsi :

« 1. L’assistance d’un défenseur est obligatoire :

a) lors de l’interrogatoire d’un accusé qui a été arrêté ou placé en détention ;

b) lors de l’interrogatoire par une autorité judiciaire ;

c) lors de l’audience devant le juge d’instruction et des débats devant le tribunal ;

d) (...) ».

Les alinéas d) à h) de l’article 64 § 1 modifié reprennent pour l’essentiel le texte des alinéas c) à g) de la version antérieure de cette disposition.

35. En ce qui concerne l’évolution des règles du droit portugais relatives à l’obligation d’être assisté par un défenseur, il ressort de l’article 22 § 1 du CPP de 1929 (adopté en vertu du décret-loi no 16489 du 15 février 1929) que, à cette époque déjà, l’assistance d’un avocat était obligatoire dans certaines situations. Après l’adoption de la Constitution portugaise en 1976, le CPP de 1987 (adopté en vertu du décret-loi no 78/87 du 17 février 1987, à la suite de la loi no 43/86 du 26 septembre 1986 ayant autorisé le Gouvernement à approuver un nouveau CPP), a établi la procédure pénale de type accusatoire et a renforcé la position juridique du parquet mais aussi celle de l’accusé, dans le but d’assurer une égalité des armes effective et d’éviter toute mesure susceptible de porter atteinte à la dignité personnelle de l’accusé (point III.10 du préambule du CPP de 1987 et point 3 de l’article 2 de la loi no 43/86). L’article 64 § 1 du CPP, tel que modifié en 1987, imposait aussi l’assistance d’un défenseur notamment lors du premier interrogatoire judiciaire de l’accusé, lors de l’audience devant le juge d’instruction et lors des débats devant le tribunal, excepté dans les procédures qui ne pouvaient aboutir à une peine privative de liberté ou à une mesure de sûreté impliquant un internement. L’assistance d’un défenseur était également obligatoire en appel. La loi no 59/98 du 25 août 1998 ainsi que la loi no 48/2007 du 29 août 2007 et la loi no 20/2013 du 21 février 2013 ont par la suite encore maintenu l’obligation d’être assisté par un défenseur en matière pénale et l’ont étendue à d’autres actes procéduraux (voir les paragraphes 33 et 34 ci-dessus ainsi que les paragraphes 36 et 37 ci‑dessous). Selon les informations dont la Cour dispose, à l’époque où l’article 64 du CPP a été examiné, en 2007, trois propositions différentes étaient soumises au Parlement, par le gouvernement et d’autres groupes politiques. La proposition du gouvernement, qui fut finalement approuvée par la majorité, indiquait que l’un des objectifs de la réforme était d’étendre l’obligation d’être représenté par un avocat.

36. L’article 1(10) de la loi du 24 août 2004 relative aux avocats (loi no 49/2004), qui était applicable à l’époque pertinente, énonçait par ailleurs :

« Dans les situations où le code de procédure pénale exige que l’accusé soit assisté d’un défenseur, cette fonction doit être exercée par un avocat conformément à la loi. »

37. Selon l’interprétation que les juridictions portugaises donnent de la loi no 49/2004 du 24 août 2004, un accusé qui est un avocat inscrit au barreau ne peut en aucun cas se défendre lui-même dans une procédure pénale et doit être représenté par un autre avocat inscrit au barreau. Les juridictions portugaises considèrent l’exercice de la fonction d’avocat comme incompatible avec toute obligation ou activité – comme celle résultant de la situation d’accusé dans une procédure pénale – qui est susceptible de porter atteinte à l’indépendance et à la dignité de la profession (voir, par exemple, l’arrêt de la Cour suprême du 1er juillet 2009 dans l’affaire no 279/96).

38. De plus, l’article 66 du CPP, qui traite du défenseur commis d’office, dispose :

« 1. Lorsqu’un défenseur est commis d’office, l’accusé en est informé s’il n’était pas présent au moment de la désignation (...)

3. Le tribunal peut à tout moment remplacer le défenseur commis d’office, sur demande dument motivée de l’accusé (...)

5. L’avocat commis d’office accomplit sa mission contre rémunération, le montant et les conditions de paiement de celle-ci étant déterminés par le tribunal dans les limites établies par le barème fixé par le ministère de la Justice (...) En fonction de l’affaire, le paiement est effectué par l’accusé, l’auxiliaire du ministère public (assistente), les parties civiles ou le ministère de la Justice. ».

39. Les dispositions relatives à l’instruction contiennent encore d’autres règles générales sur l’accusé et l’avocat. La phase de l’instruction (instrução) comprend le contrôle juridictionnel contradictoire par le juge d’instruction de l’enquête du parquet, comme l’explique l’article 286 du CPP, qui énonce :

« 1. La phase de l’instruction a pour but le contrôle juridictionnel de la décision d’inculper une personne (acusar) ou de mettre fin à une enquête (arquivar), et ce afin qu’il puisse être décidé s’il y a lieu de renvoyer l’affaire en jugement.

2. La phase de l’instruction est facultative (...) ».

40. L’article 287 du CPP définit des règles sur la demande d’ouverture d’une instruction. Son paragraphe 4 se lit ainsi :

« Lorsqu’il prend la décision d’ouvrir une instruction, le juge d’instruction désigne un défenseur dans les cas où l’accusé n’est pas représenté par un avocat ou un défenseur commis d’office. »

b) Autres dispositions pertinentes concernant le déroulement de la procédure pénale et les rôles respectifs de l’accusé et de l’avocat dans ce contexte

i. La position de l’accusé

41. Dans le cadre d’une procédure pénale, l’accusé peut à tout moment s’adresser au tribunal, soumettre des observations, des déclarations et des demandes aux fins de la protection de ses droits fondamentaux, et il peut être le dernier à prendre la parole devant le tribunal avant le délibéré de celui-ci (articles 61 § 1 b), 98 § 1, 272 § 1, 292 § 2, 332, 341 a), 343 §§ 1 et 2, et 361 § 1 du CPP). Les dispositions pertinentes, pour autant qu’elles n’ont pas été citées ci-dessus, sont exposées ci-après.

42. L’article 98 § 1 du CPP sur les observations, les déclarations et les demandes est ainsi libellé :

« À tout stade de la procédure, l’accusé (...) peut soumettre des observations, des déclarations et des demandes, même non signées par un avocat, dès lors qu’elles se rapportent à l’objet de la procédure ou visent à protéger ses droits fondamentaux. Ces observations, déclarations et demandes doivent toujours être versées au dossier. »

43. La jurisprudence des juridictions nationales indique que le droit visé à l’article 98 § 1 du CPP « est une expression concrète du droit de pétition consacré par l’article 52 de la Constitution » (voir l’arrêt no 2300/08 de la Cour suprême rendu le 25 septembre 2008, paragraphe I). Ce droit, toutefois, n’a pas pour objet de permettre à l’accusé de remplacer le défenseur. L’accusé doit être assisté par un défenseur pour tous les actes de procédure auxquels il participe, en particulier ceux qui requièrent une certaine rigueur juridique (voir, ci-dessus, l’arrêt no 2300/08 de la Cour suprême rendu le 25 septembre 2008, auquel a souscrit, par renvoi à la jurisprudence, l’arrêt no 2320/12.2TALRA-A.C1 de la cour d’appel de Coimbra rendu le 3 juin 2015).

44. Concernant le droit pour l’accusé de s’adresser au tribunal, l’article 272 § 1 du CPP dispose que lorsqu’une personne fait l’objet d’une instruction et qu’il y a des raisons de la soupçonner d’avoir commis une infraction pénale, cette personne doit être interrogée en tant qu’accusé. L’article 292 § 2 du CPP indique que le juge d’instruction doit interroger l’accusé dès qu’il l’estime nécessaire et chaque fois que ce dernier le demande. La présence de l’accusé est requise, excepté dans certaines situations exceptionnelles prévues par la loi (article 332 § 1 du CPP). Lors du procès, l’examen des preuves commence par les déclarations de l’accusé (article 341 a) du CPP). Le président de la formation de jugement informe l’accusé qu’il peut à tout moment du procès faire des déclarations dès lors qu’elles se rapportent à l’objet de la procédure et qu’il a le droit de garder le silence (article 343 § 1 du CPP). Si l’accusé accepte de faire des déclarations, le tribunal doit entendre l’intégralité de son récit, sous réserve des dispositions du paragraphe précédent (article 343 § 2 du CPP).

45. Après les conclusions du parquet et du défenseur en particulier, le président demande à l’accusé s’il souhaite faire d’autres déclarations pour sa défense et écoute ce que l’intéressé a à dire à sa décharge (article 361 § 1 du CPP ; pour l’interprétation de cette disposition par les juridictions nationales, voir le paragraphe 24 ci-dessus).

ii. La position du défenseur

46. Concernant le rôle du défenseur, l’article 302 §§ 2 et 4 du CPP relatif à la conduite de l’audience devant le juge d’instruction dispose que le juge donne au parquet, à l’avocat de l’assistente (auxiliaire du ministère public) et au défenseur la possibilité de demander l’administration de preuves complémentaires et de résumer leurs conclusions sur le caractère suffisant ou non des éléments de preuve recueillis et sur les questions de droit soulevées.

47. Le CPP indique que, lors du procès, l’énoncé des faits que la défense entend prouver pendant la procédure ne peut être présenté que par l’avocat de l’accusé (et non par l’accusé lui-même) (article 339 § 2). De plus, seul le défenseur peut demander l’audition de l’auxiliaire du ministère public (article 346 § 1) ou celle de la victime (article 347 § 1), et interroger les témoins (article 348) ou proposer des questions à poser à ces derniers (article 349) ou aux experts et conseillers techniques (article 350 § 1).

48. En outre, seul le défenseur est autorisé par le président à prendre la parole, en particulier après l’audition des témoins et l’intervention du parquet, pour exposer oralement au tribunal les conclusions de fait et de droit qu’il faut selon lui tirer des preuves produites (article 360 § 1 du CPP).

B. Le code pénal

49. Presque toutes les infractions prévues par le code pénal portugais emportent une peine privative de liberté, qui soit remplace l’amende soit se combine à celle-ci. Dans certains cas exceptionnels, les infractions mineures peuvent être punies d’une amende uniquement (par exemple la fabrication ou l’utilisation de faux cachets ou tampons, infraction visée à l’article 268 §§ 3 et 4 du code pénal, ou la simulation d’une infraction administrative, infraction visée à l’article 366 § 2 du code pénal).

50. En vertu des articles 181 § 1, 182 et 184, combinés avec l’article 132 § 2 (1) du code pénal, l’infraction d’outrage aggravé à l’encontre d’un juge dans l’exercice de ses fonctions est passible d’une peine maximum de quatre mois et quinze jours d’emprisonnement ou de 180 jours-amende.

C. Dispositions relatives à l’assistance judiciaire

51. L’octroi de l’assistance judiciaire (voir aussi le paragraphe 33 ci‑dessus) est régi par la loi no 34/2004 du 29 juillet 2004 (telle que modifiée par la loi no 47/2007 du 28 août 2007). L’article 8 § 1 de cette loi indique que l’assistance judiciaire est accordée à toute personne ne disposant pas des ressources financières nécessaires pour assumer les frais afférents à une procédure judiciaire civile ou pénale à laquelle elle est partie. Selon l’article 16 § 1, l’assistance judiciaire peut prendre notamment l’une des formes suivantes : 1) la désignation d’un représentant en justice et le paiement de ses frais, 2) le paiement des honoraires d’un défenseur préalablement désigné par un tribunal et/ou 3) l’exonération de tout ou partie des frais de justice et d’autres frais de procédure. Dans les affaires où l’assistance judiciaire consiste à mandater un représentant, le barreau est responsable du choix et de la désignation d’un avocat, conformément à son statut et à son règlement (articles 30 § 1 et 45 de la loi no 34/2004). Le bénéficiaire de l’assistance judiciaire peut dans toute procédure adresser au barreau une demande motivée en vue du remplacement du représentant ainsi mandaté (article 32 § 1 de la loi no 34/2004).

D. La pratique interne

1. La jurisprudence du Tribunal constitutionnel

a) Jurisprudence relative à l’obligation d’être représenté dans le cadre d’une procédure pénale

52. Dans son arrêt no 578/2001 du 18 décembre 2001, le Tribunal constitutionnel jugea, par trois voix contre deux, que la décision du législateur d’exiger que dans une procédure pénale un accusé fût représenté par un défenseur, même si l’accusé était un avocat dûment inscrit au barreau concerné, n’était pas incompatible avec la Constitution, et notamment son article 32 (paragraphe 28 ci-dessus).

53. Le Tribunal constitutionnel constata que les dispositions légales en cause (articles 61, 62 et 64 du CPP, cités aux paragraphes 30, 31 et 33 ci‑dessus), interprétées comme rendant obligatoire, dans le cadre d’une procédure pénale, la désignation d’un avocat, présentaient l’avantage de garantir une défense sereine des intérêts de l’accusé. La haute juridiction estima que l’accusé ne pouvait pas avoir l’approche désintéressée et dépassionnée qui était nécessaire à la bonne conduite de la procédure quand bien même il pensait, de son point de vue forcément subjectif, que sa défense serait mieux assurée s’il s’en chargeait personnellement en tant qu’« avocat défendant sa propre cause ». Le Tribunal constitutionnel évoqua en outre l’éventail des droits procéduraux que la loi accordait à l’accusé, notamment dans les articles 61 § 1 et 63 § 2 du CPP (paragraphes 30 et 32 ci-dessus) et il indiqua que cette dernière disposition donnait à l’accusé le pouvoir de faire annuler des mesures procédurales prises en son nom par son défenseur.

54. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et à la doctrine, le Tribunal constitutionnel constata en outre que l’article 6 § 3 c) de la Convention n’empêchait pas les États parties d’imposer à un accusé l’obligation légale d’être représenté par un avocat. Il estima qu’il appartenait aux États parties de choisir les moyens de défense d’un accusé.

55. Par la suite, le Tribunal constitutionnel confirma cette jurisprudence (voir, entre autres, l’arrêt no 461/2004 du 23 juin 2004, paragraphe 5, et l’arrêt no 196/2007 du 14 mars 2007, paragraphe 3). Dans d’autres décisions, la haute juridiction expliqua par ailleurs que l’obligation de mandater un avocat reposait sur des raisons matérielles impérieuses dont l’objet était non seulement la défense de l’ordre public, notamment l’intérêt que revêt la mise en œuvre de la justice et de la loi, mais aussi la protection des intérêts des personnes représentées par un avocat (arrêt no 252/97 du 18 mars 1997, paragraphe 11). Elle ajouta que la représentation par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale visait à garantir la participation de professionnels qualifiés capables d’assurer la préparation technique requise et le respect des principes déontologiques régissant la profession (arrêt no 461/2004, précité, paragraphe 5).

b) Jurisprudence relative à la représentation devant le Tribunal constitutionnel

56. Dans son arrêt no 599/2000 du 21 décembre 2000, le Tribunal constitutionnel déclara recevable le recours constitutionnel formé par un justiciable qui n’était pas représenté par un avocat mais était lui-même avocat de son état. La haute juridiction estima que les articles 61, 62, 63 et 64 du CPP n’étaient pas applicables aux recours constitutionnels et qu’aucune autre disposition ne permettait de soutenir que les avocats (advogados) ne pouvaient intervenir eux-mêmes (advogar em causa própria) dans le cadre d’un recours constitutionnel, dans lequel la représentation par un avocat était obligatoire.

2. La jurisprudence de la Cour suprême

57. Selon la jurisprudence constante de la Cour suprême, un individu poursuivi au pénal ne peut assurer sa propre défense, même s’il est avocat ou juge de son état. La Cour suprême a estimé que les dispositions légales autorisant les juges et les avocats à se défendre eux-mêmes devant les tribunaux étaient inapplicables en matière pénale (affaire no 1501/97, arrêt du 19 mars 1998 ; affaire no 3347/01, arrêt du 6 décembre 2001 ; voir également l’affaire no 7/14.0TAVRS.S1, arrêt du 20 novembre 2014, paragraphe IV). En outre, elle a dit que les règles du droit interne permettaient à l’accusé de préparer sa défense avec son avocat, et que par ailleurs l’accusé pouvait présenter des observations, des déclarations et des demandes ne soulevant pas de questions de droit (affaire no 7/14, précitée, paragraphe XI). La Cour suprême a souligné dans ce contexte que la conduite dépassionnée d’une affaire était une garantie supplémentaire nécessaire dans une procédure pénale (affaire no 7/14.0YGLSB.S1, arrêt du 12 juin 2014, paragraphe B.3). Elle a considéré que, dans les situations visées à l’article 64 § 1 du CPP, le législateur présumait que la défense personnelle de l’accusé était affaiblie, ce qui augmentait la nécessité d’une assistance technique, que l’accusé ne pouvait pas refuser (affaire no 3236/04, arrêt du 7 avril 2005, paragraphe IV). Pour la juridiction suprême, dans une procédure pénale les responsabilités du défenseur étaient incompatibles avec la qualité d’accusé (voir, par exemple, l’affaire no 3347/01, arrêt du 6 décembre 2001, paragraphe I).

3. La jurisprudence des cours d’appel

58. Plusieurs cours d’appel ont repris les motifs avancés par le Tribunal constitutionnel et la Cour suprême pour exiger qu’un accusé, même s’il était avocat de son état, fût représenté par un défenseur dans le cadre d’une procédure pénale (voir, par exemple, affaire no 0240116, arrêt du 5 juin 2002, cour d’appel de Porto, et affaire no 390/04-2, arrêt du 3 mai 2004, cour d’appel de Guimarães, paragraphes IV-VI).

4. L’avis de l’ordre des avocats portugais

59. Dans l’avis no E-21/97 du 4 mai 1999, rendu à la demande d’un avocat, le conseil général de l’ordre des avocats portugais déclara que le droit reconnu aux avocats de plaider pour eux-mêmes conformément aux dispositions du statut de l’ordre des avocats ne s’étendait pas aux procédures pénales dans lesquelles l’avocat était l’accusé.

60. Le conseil général de l’ordre des avocats argua que, selon la Constitution portugaise, la défense en matière pénale représentait un intérêt d’ordre public, au sens d’une garantie protégeant la dignité humaine de tous les citoyens, y compris les personnes accusées. Il indiqua qu’en conséquence il n’était pas possible de renoncer au droit à la défense et qu’un défenseur pouvait être imposé à l’accusé, dans l’intérêt exclusif de ce dernier. Il ajouta que, dans une procédure de type accusatoire, les pouvoirs que la loi conférait au défenseur étaient en maintes situations inconciliables avec la qualité d’accusé. Il conclut que, selon le droit portugais de la procédure pénale, un individu poursuivi au pénal, même s’il était avocat, devait être représenté par un avocat de son choix ou un défenseur commis d’office.

5. La pratique des juridictions nationales concernant l’autorisation de se défendre soi-même

61. Malgré la demande qu’elle avait formulée en ce sens, la Cour n’a reçu des parties aucun exemple d’affaire où une juridiction portugaise, postérieurement à l’entrée en vigueur du CPP en 1987, aurait autorisé un accusé à assurer sa propre défense dans une procédure pénale devant elle ; de même, elle n’a eu connaissance d’aucun exemple de ce type par d’autres sources. Il ressort des jugements des juridictions portugaises (voir en particulier les arrêts évoqués au paragraphe 57 ci-dessus) qu’un certain nombre de demandes tendant à l’obtention de telles autorisations ont été reçues et écartées par les tribunaux pénaux portugais ; la Cour ne dispose pas d’informations sur le nombre exact de demandes de cette nature que les juridictions nationales ont rejetées.

III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques

62. En ses parties pertinentes en l’espèce, l’article 14 § 3 du PIDCP est ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

(...)

d) À être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d’office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer (...) »

B. Communication no 1123/2002 soumise par le requérant au Comité des droits de l’homme des Nations unies (CDH) et Observation générale no 32 de cet organe

1. Les constatations adoptées par le CDH

63. Le 1er avril 2002, le requérant soumit au CDH, en vertu du premier Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, une communication (no 1123/2002) concernant le Portugal. Il alléguait que, dans le cadre d’une procédure pénale devant le tribunal de Ponte de Lima pour outrage à magistrat, en 1996, il n’avait pas été autorisé à assurer sa propre défense et s’était vu attribuer contre sa volonté un avocat chargé de le représenter ; il y voyait une violation de l’article 14 § 3 d) du PIDCP.

64. La communication reposait sur les mêmes faits que ceux en cause dans une requête précédemment introduite par le requérant auprès de la Cour européenne des droits de l’homme le 17 avril 1999. Dans sa décision du 15 novembre 2001 (Correia de Matos c. Portugal (déc.), no 48188/99, CEDH 2001-XII), une chambre avait déclaré la requête manifestement mal fondée, estimant qu’il n’y avait pas eu atteinte aux droits de la défense du requérant au regard de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention (pour plus de détails, voir les paragraphes 111-113 ci‑dessous).

65. Dans ses constatations adoptées le 28 mars 2006, le CDH déclara, par douze voix contre quatre, que le droit du requérant d’assurer sa propre défense au regard de l’article 14 § 3 d) du PIDCP n’avait pas été respecté. Il estima essentiellement que cette disposition, selon lui clairement formulée, indiquait que l’accusé pouvait assurer sa propre défense « ou » se faire défendre par un avocat de son choix, et qu’elle prenait comme point de départ le droit de se défendre. Le CDH expliqua que le droit d’assurer sa propre défense constituait une pierre angulaire de la justice et pouvait être enfreint lorsqu’un avocat était commis d’office à l’accusé alors que ce dernier n’en voulait pas et n’avait pas confiance en lui, et il observa qu’en pareille situation un accusé risquait de ne plus être capable de se défendre efficacement dans la mesure où cet avocat ne serait pas son assistant (paragraphe 7.3 des constatations du CDH).

66. Le CDH déclara que le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’était pas absolu et que l’intérêt de la justice pouvait commander l’imposition d’un avocat commis d’office, contre le gré de l’accusé, en particulier si celui-ci faisait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, s’il devait répondre d’une accusation grave mais était incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agissait de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes qu’il aurait pu leur causer en les interrogeant lui-même. Le CDH fit toutefois remarquer que toute restriction au souhait de l’accusé d’assurer sa propre défense devait avoir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver les intérêts de la justice (paragraphe 7.4 des constatations du CDH). Pour le Comité, il appartenait aux tribunaux compétents de déterminer si, dans une affaire donnée, la commission d’office d’un avocat était nécessaire dans l’intérêt de la justice (paragraphe 7.5 des constatations du CDH).

67. Concernant l’affaire dont il était saisi, le CDH releva que selon la législation portugaise et la jurisprudence de la Cour suprême un accusé ne pouvait en aucun cas être exempté de l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale, même s’il était lui-même avocat. Le Comité observa également que la loi ne prenait en compte ni la gravité des accusations ni le comportement de l’accusé. Il ajouta que le Portugal n’avait pas avancé de raisons objectives et suffisamment importantes pour expliquer en quoi, dans une affaire relativement simple comme celle examinée, l’absence d’avocat commis d’office aurait porté atteinte à l’intérêt de la justice (paragraphe 7.5 des constatations du CDH). Le CDH conclut que le Portugal devait modifier sa législation afin de la mettre en conformité avec l’article 14 § 3 d) du PIDCP (paragraphe 8 des constatations du CDH). La majorité du Comité ne se pencha pas expressément sur le raisonnement tenu par la Cour dans sa décision du 15 novembre 2001 sur la requête no 48188/99.

2. Observation générale no 32 du CDH

68. Le CDH réitéra ses constatations au sujet de la communication no 1123/2002 dans l’Observation générale no 32 intitulée « Article 14. Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable », adoptée lors de sa 90e session (9-27 juillet 2007) (document CCPR/C/GC/32, paragraphe 37).

69. Dans cette observation générale, renvoyant à la communication no 450/1991, I.P. c. Finlande (paragraphe 6.2 de la décision sur la recevabilité adoptée le 26 juillet 1993), le CDH déclara également que « le droit à l’égalité d’accès à un tribunal, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14, vis[ait] l’accès aux procédures de première instance et n’impliqu[ait] pas un droit de faire appel ou de disposer d’autres recours ».

3. Développements ultérieurs au Portugal

70. À ce jour, le législateur portugais n’a pas modifié la législation nationale sur la base des constatations du CDH afin de donner aux accusés la possibilité d’assurer eux-mêmes leur défense dans certaines circonstances. Dans leur quatrième rapport périodique présenté en janvier 2011 en vertu de l’article 40 du PIDCP, les autorités portugaises ont déclaré que la divergence entre la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la décision du CDH dans la même affaire « met[tait] le Portugal dans une situation difficile quant au respect de ses obligations internationales en matière de droits de l’homme » (document CCPR/C/PRT/4 du 25 février 2011, paragraphes 272-275).

71. Dans ses observations finales sur ledit rapport, adoptées lors de sa 106e session (15 octobre – 2 novembre 2012), le CDH a indiqué que le Portugal devait donner suite à la recommandation faite dans ses constatations concernant la communication no 1123/2002, assouplir la règle en vigueur imposant la représentation par un avocat et étudier la possibilité d’assurer de façon obligatoire le service d’un conseil auxiliaire pour les personnes qui assurent elles-mêmes leur défense (document CCPR/C/PRT/CO/4 du 23 novembre 2012, paragraphe 14).

72. La Cour suprême portugaise, dans son arrêt du 20 novembre 2014 (paragraphe 57 ci-dessus) adopté dans le cadre d’une autre procédure engagée par le requérant en l’espèce, a pris acte de la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans la requête no 48188/99 ainsi que des constatations du CDH au sujet de la communication no 1123/2002 (paragraphes 63-67 ci-dessus). Elle a considéré que la mise en œuvre du contenu desdites constatations par des modifications de la législation nationale qui empêchait les accusés de se défendre eux-mêmes dans une procédure pénale risquait de rompre avec une tradition juridique et de causer des perturbations innombrables et prévisibles. Pour la juridiction suprême, cela expliquait que la législation portugaise n’eût pas été adaptée de manière à donner effet aux constatations du CDH (paragraphes VI-IX de l’arrêt).

C. Règlements de juridictions pénales internationales

73. L’article 67 § 1 d) du Statut de la Cour pénale internationale (CPI) et l’article 21 § 4 d) du Statut du Tribunal pénal international pour l’ex‑Yougoslavie (TPIY) prévoient le droit pour un accusé de se défendre lui-même ou de se faire assister par le défenseur de son choix. Un certain nombre d’accusés, devant le TPIY en particulier, se sont prévalus du droit, tel qu’interprété par cette juridiction, d’assurer leur propre défense sans l’assistance d’un avocat. En 2008, le TPIY a adopté la règle 45ter du Règlement de procédure et de preuve, afin de codifier sa jurisprudence. La disposition pertinente énonce que la chambre de première instance peut, si elle estime que l’intérêt de la justice le requiert, ordonner au greffier de désigner un conseil pour défendre les intérêts de l’accusé.

D. Recommandation no R(2000)21

74. La Recommandation no R(2000)21 du Comité des Ministres aux États membres sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat, adoptée par le Comité des Ministres le 25 octobre 2000 lors de la 727e réunion des Délégués des Ministres, dispose en ses parties pertinentes :

« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe, (...)

Désirant promouvoir la liberté d’exercice de la profession d’avocat afin de renforcer l’État de droit, auquel participe l’avocat (...)

Principe III – Rôle et devoirs des avocats

1. Les associations de barreaux ou autres associations professionnelles d’avocats devraient établir des règles professionnelles et des codes de déontologie et devraient veiller à ce que les avocats défendent les droits et intérêts légitimes de leurs clients en toute indépendance, avec diligence et équité.

(...)

4. Les avocats devraient respecter l’autorité judiciaire et exercer leurs fonctions devant les tribunaux en conformité avec la législation et les autres règles nationales et la déontologie de la profession (...)

Principe V – Associations

(...)

4. Les barreaux ou les autres associations professionnelles d’avocat devraient être encouragées à assurer l’indépendance des avocats et, en particulier :

(...)

b. à défendre le rôle des avocats dans la société et à veiller notamment au respect de leur honneur, de leur dignité et de leur intégrité (...) »

75. Le Conseil des barreaux européens (CCBE) a adopté deux textes fondateurs : le Code de déontologie des avocats européens, qui remonte au 28 octobre 1988 et a été modifié à plusieurs reprises, et la Charte des principes essentiels de l’avocat européen, adoptée le 24 novembre 2006. La Charte énonce dix principes essentiels qui sont l’expression de la base commune à toutes les règles nationales et internationales qui régissent la profession d’avocat. Parmi ces principes figurent :

« (...) d) la dignité, l’honneur et la probité ;

(...)

h) le respect de la confraternité ;

i) le respect de l’État de droit et la contribution à une bonne administration de la justice ;

j) l’autorégulation de [la] profession [d’avocat]. »

IV. DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPÉENNE

76. Le deuxième alinéa de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui porte sur le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, dispose :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial (...) Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. »

Selon les explications relatives à la Charte mentionnées au paragraphe 7 de l’article 52 de la Charte, le deuxième alinéa de l’article 47 correspond à l’article 6 § 1 de la Convention et, à l’exception de leur champ d’application, les garanties offertes par la Convention s’appliquent de manière similaire dans l’Union.

77. Le paragraphe 2 de l’article 48 de la Charte des droits fondamentaux, relatif à la présomption d’innocence et aux droits de la défense, énonce :

« Le respect des droits de la défense est garanti à tout accusé. »

Selon les explications susmentionnées, l’article 48 correspond à l’article 6 §§ 2 et 3 de la Convention.

78. Le paragraphe 3 de l’article 52 de la Charte des droits fondamentaux, sur la portée et l’interprétation des droits et des principes, se lit comme suit :

« Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. »

79. La directive 2013/48/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2013 relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires, qui est entrée en vigueur en novembre 2013 (JO 2013 L 294, pp. 1 à 12) et devait être transposée dans le droit interne des États membres de l’UE au plus tard le 27 novembre 2016, énonce ce qui suit au considérant 53 :

« Les États membres devraient veiller à ce que les dispositions de la présente directive, lorsqu’elles correspondent à des droits garantis par la CEDH, soient mises en œuvre en conformité avec les dispositions de la CEDH, telles qu’elles ont été développées par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. »

80. Par ailleurs, la directive dispose en particulier :

Article 3

Le droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales

« 1. Les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies disposent du droit d’accès à un avocat dans un délai et selon des modalités permettant aux personnes concernées d’exercer leurs droits de la défense de manière concrète et effective.

(...)

4. (...) Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat, les États membres prennent les dispositions nécessaires afin que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont privés de liberté soient en mesure d’exercer effectivement leur droit d’accès à un avocat, à moins qu’ils n’aient renoncé à ce droit conformément à l’article 9. »

Article 9

Renonciation

« 1. Sans préjudice du droit national qui requiert obligatoirement la présence ou l’assistance d’un avocat, les États membres veillent, en ce qui concerne toute renonciation à un droit visé [à l’article] 3 (...), à ce que :

a) le suspect ou la personne poursuivie ait reçu, oralement ou par écrit, des informations claires et suffisantes, dans un langage simple et compréhensible, sur la teneur du droit concerné et les conséquences éventuelles d’une renonciation à celui‑ci ; et

b) la renonciation soit formulée de plein gré et sans équivoque.

(...) »

Article 14

Clause de non-régression

« Aucune disposition de la présente directive ne saurait être interprétée comme limitant les droits et les garanties procédurales conférés par la Charte, la CEDH ou d’autres dispositions pertinentes du droit international ou du droit de tout État membre qui offrent un niveau de protection supérieur, ni comme dérogeant à ces droits et à ces garanties procédurales. »

V. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT COMPARÉ

81. D’après les informations dont la Cour dispose, sur les trente-cinq États parties à la Convention qui ont été étudiés et qui ne comprenaient pas le Portugal, trente et un ont posé comme règle générale le droit pour un accusé d’assurer sa propre défense dans une procédure pénale (l’Allemagne, l’Albanie, l’Arménie, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Fédération de Russie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la République de Moldova, Monaco, le Monténégro, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Turquie et l’Ukraine). En revanche, quatre États interdisent en règle générale à l’accusé d’assurer lui-même sa défense (l’Espagne, l’Italie, la Norvège et Saint-Marin). Qu’ils autorisent ou interdisent à l’accusé de se défendre lui-même en règle générale, presque tous les États étudiés ont prévu un certain nombre d’exceptions.

82. Dans vingt-neuf États contractants sur les trente et un où, en principe, un accusé est autorisé à assurer lui-même sa défense, cette faculté est assortie de restrictions plus ou moins larges, fondées sur des critères concernant les circonstances particulières de l’affaire. Seules l’Irlande et la Pologne ne prévoient pas d’exceptions et autorisent les accusés à assurer eux‑mêmes leur défense s’ils le souhaitent, indépendamment de tout autre facteur. Les critères qui sont pris en compte individuellement ou globalement par la législation nationale et/ou les juridictions internes dans les vingt-neuf États membres en question pour restreindre le droit d’un accusé de se défendre lui-même sont les suivants : le degré de juridiction, la complexité de l’affaire, la gravité de l’infraction dont l’intéressé est accusé et la capacité de celui-ci à assurer lui-même sa défense (ce qui inclut des facteurs tels que la présence ou l’absence de l’accusé au procès, sa volonté de ne pas en perturber le bon déroulement, son âge – question de savoir s’il est mineur ou majeur –, sa santé mentale, ainsi que sa capacité ou son incapacité à parler la langue du procès). Dans ce groupe d’États, nombreux sont ceux qui prescrivent en particulier l’assistance obligatoire d’un défenseur devant les juridictions supérieures lorsque des arguments juridiques doivent être présentés et dans les affaires où l’intéressé est accusé d’une infraction suffisamment grave pour être passible d’une peine d’emprisonnement d’une certaine durée minimale.

83. Les quatre États membres qui interdisent en règle générale à un accusé de se défendre lui-même prévoient également des exceptions qui dépendent des facteurs, pris individuellement ou globalement, que sont le degré de juridiction, la complexité de l’affaire, la gravité de l’infraction dont l’intéressé est accusé et la capacité de celui-ci à assurer lui-même sa défense. L’Espagne et l’Italie, en particulier, autorisent les accusés à assurer leur propre défense dans les procédures pénales relatives à des infractions mineures.

84. Concernant l’existence de règles sur la possibilité pour les accusés ayant une formation juridique d’assurer leur propre défense dans une procédure pénale, il y a lieu de noter que vingt-neuf États membres sur les trente-cinq étudiés (c’est-à-dire tous sauf l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Pologne) n’ont pas pris de dispositions particulières pour cette catégorie de personnes. Sur les six États membres qui prévoient des règles spécifiques à cet égard, cinq laissent davantage de liberté dans la conduite de leur propre défense aux accusés qui sont des avocats habilités à plaider devant les tribunaux qu’aux accusés n’ayant pas de formation juridique ou relevant d’une autre profession juridique. Ainsi, l’Espagne, qui en règle générale interdit aux accusés d’assurer eux-mêmes leur défense, permet aux avocats de le faire. Au Luxembourg uniquement, le droit d’assurer sa propre défense est plus restreint pour les avocats que pour certains accusés relevant d’une autre profession juridique.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

85. Le requérant se plaint des décisions par lesquelles les juridictions internes lui ont refusé l’autorisation de se défendre lui-même dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui et lui ont imposé d’être représenté par un avocat. Il invoque l’article 6 § 3 c) de la Convention. L’article 6 est ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)

3. Tout accusé a droit notamment à :

(...)

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

(...) »

86. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Sur la recevabilité

87. Le Gouvernement soutient qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits de la défense garantis par l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention dans le cas du requérant et qu’en conséquence la requête est irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Le requérant combat cette thèse.

88. Eu égard aux éléments dont elle dispose, la Cour estime que la présente requête soulève au regard de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention une question concernant le respect par l’État défendeur du droit du requérant de se défendre lui-même. La requête n’est donc pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

89. Par ailleurs, la requête ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. La Cour rappelle dans ce contexte que la garantie offerte par l’article 6 §§ 1 et 3 s’applique à tout « accusé ». Il y a en particulier « accusation en matière pénale » dès lors qu’une personne est officiellement inculpée par les autorités compétentes (Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 249, CEDH 2016, et Simeonovi c. Bulgarie [GC], no 21980/04, §§ 110-111, CEDH 2017 (extraits), avec les références citées). En conséquence, aucune question ne se pose quant à l’applicabilité de l’article 6 en l’espèce, pour autant que le requérant se plaint d’une atteinte portée à ses droits de la défense, y compris pendant l’instruction.

90. En outre, la Cour observe que le Gouvernement n’a soulevé aucune autre exception d’irrecevabilité conformément aux articles 54 et 55 du règlement. Il convient donc de déclarer la requête recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Le requérant

91. Le requérant estime que les décisions litigieuses des juridictions portugaises lui ayant interdit d’assurer lui-même sa défense sans l’assistance d’un avocat dans la procédure pénale dirigée contre lui ont emporté violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

92. Il soutient que ces décisions sont contraires à l’article 6 §§ 1 et 3 c) pour deux raisons : premièrement, elles l’auraient empêché, en tant que citoyen, d’assurer lui-même sa défense ; deuxièmement, elles l’auraient empêché, en tant qu’avocat, de désigner dans le cadre de la procédure un défenseur de son choix, c’est-à-dire lui-même. Il considère à cet égard que sa suspension du barreau portugais depuis 1993, en raison de l’incompatibilité alléguée entre ses fonctions respectives d’avocat et de commissaire aux comptes, est nulle et non avenue.

93. Le requérant plaide que la jurisprudence de la Cour sur la possibilité d’assurer soi-même sa défense, en particulier la décision rendue sur la requête no 48188/99 dont il avait saisi la Cour (Correia de Matos, décision précitée ; voir aussi les paragraphes 111-113 ci-dessous), est incompatible avec le texte de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention. Il estime que la décision en question devrait donc être annulée. Selon lui, si la désignation par les tribunaux d’un défenseur était initialement destinée à fournir une assistance juridique, elle s’est transformée en un large pouvoir pour les tribunaux de nommer un avocat pour la défense de l’accusé. Or, pour lui, il faudrait laisser à celui-ci la liberté de choix en la matière.

94. Dans le système juridique portugais, le droit à l’assistance d’un défenseur aurait été converti en une obligation absolue d’être assisté par un avocat, obligation qui bafouerait le droit de se défendre soi-même. L’article 64 du CPP (paragraphe 33 ci-dessus) obligerait les personnes accusées d’avoir commis une infraction à être représentées par un avocat à tous les stades de la procédure, y compris l’instruction, sans qu’il soit nécessaire de justifier le refus d’autoriser l’intéressé à se défendre lui-même.

95. Partant de cet argument selon lequel le droit portugais n’impose pas de justifier pareille décision, le requérant argue que l’exclusion de la possibilité pour l’accusé de se défendre lui-même, exclusion qui du reste ne serait pas dans l’intérêt de tous les accusés, n’était pas fondée sur des motifs pertinents et suffisants – contrairement aux exigences de la jurisprudence de la Cour. Selon le requérant, une loi ne peut déterminer de manière générale et abstraite si, dans une affaire particulière, une défense est meilleure lorsque l’accusé s’en charge lui-même ou lorsqu’il est représenté par un avocat. Les juridictions portugaises n’auraient aucune marge d’appréciation à cet égard. Il y aurait lieu de considérer qu’un accusé avocat est capable d’apprécier correctement ses propres intérêts et de se défendre efficacement. Il serait inexplicable que, même dans une affaire simple, un avocat moins expérimenté et moins au fait du dossier fût jugé mieux placé pour assurer une défense efficace qu’un accusé formé au métier d’avocat qui a passé beaucoup de temps à préparer sa défense.

96. En ce qui concerne les possibilités que le droit portugais offre à un accusé de participer à son procès, le requérant indique qu’en théorie l’intéressé peut intervenir pendant la procédure et soumettre des déclarations ou des éléments de preuve et solliciter les mesures procédurales qu’il estime nécessaires (articles 61 § 1 g) et 98 § 1 du CPP – paragraphes 30 et 42-43 ci-dessus). Il ajoute cependant que les droits de l’accusé sont exercés par le défenseur (article 63 § 1 du CPP – paragraphe 32 ci-dessus) et qu’en conséquence les juridictions nationales ne donnent aucune suite aux déclarations et demandes de l’accusé si le conseil n’a pas approuvé les démarches en question. De plus, un accusé ne pourrait pas plaider (article 302 § 2 du CPP – paragraphe 46 ci-dessus) mais il pourrait uniquement ajouter des arguments à l’appui de sa défense après la plaidoirie de son avocat (article 361 § 1 du CPP – paragraphe 45 ci-dessus), à un stade où il serait déjà pratiquement condamné, et il ne pourrait former de recours qu’avec l’assistance d’un avocat (article 64 § 1 du CPP). Enfin, en vertu de l’article 64 du CPP, la personne condamnée devrait payer les honoraires du défenseur commis d’office, à moins d’avoir été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire.

97. Le requérant allègue que, dans la procédure pénale litigieuse devant les juridictions nationales, il n’a pas eu la possibilité de présenter sa défense. Il soutient que l’avocate commise d’office – qui, indique-t-il, venait d’un petit village, était probablement inexpérimentée et avait tenté de se soustraire à cette mission – l’a défendu contre sa volonté expresse, a omis lors du procès de présenter un document essentiel prouvant son innocence et n’a ni signé ni approuvé ses recours. Il estime qu’il n’était pas dans l’intérêt de la justice qu’il fût défendu par cette avocate – situation qui selon lui l’a empêché de conduire sa défense comme il le souhaitait – et qu’il eût à supporter les frais afférents à cette défense. Ce serait pour cette raison qu’il n’aurait pas communiqué avec son avocate commise d’office.

b) Le Gouvernement

98. Le Gouvernement est d’avis que la procédure pénale dirigée contre le requérant, dans laquelle celui-ci n’a pas été autorisé à assurer lui-même sa défense sans l’assistance d’un avocat, était conforme à l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

99. Selon lui, la Cour a déjà posé les principes applicables à une affaire telle que la présente espèce, en particulier dans sa décision sur la requête similaire introduite précédemment par le requérant (Correia de Matos, décision précitée) et dans la jurisprudence qui s’y trouve citée. Il n’y aurait pas de raisons impérieuses de modifier ces principes ; ceux-ci cadreraient avec le principe de subsidiarité. Il serait clair, eu égard à la formulation de l’article 6 § 3 c), qui donne à l’accusé le droit de « se défendre lui-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur de son choix », que l’accusé ne jouit pas d’un droit absolu d’assurer sa propre défense.

100. D’après la jurisprudence constante de la Cour relative à l’article 6 §§ 1 et 3 c), il relèverait de la marge d’appréciation des autorités nationales de définir la manière dont la procédure pénale doit encadrer la défense de l’accusé. Il appartiendrait à ces autorités de décider si, eu égard aux intérêts de la justice, la défense en matière pénale peut être assurée par l’accusé lui‑même, notamment lorsqu’il est avocat, ou s’il convient de désigner un avocat autre que l’accusé.

101. Le Gouvernement estime que les motifs justifiant l’obligation en droit portugais d’être représenté par un avocat à certains stades de la procédure pénale sont pertinents et suffisants, comme le commande la jurisprudence de la Cour. Il explique qu’en vertu de l’article 64 § 1 du CPP l’assistance d’un défenseur n’est pas obligatoire à tous les stades de la procédure mais qu’elle est requise uniquement pour les situations spécifiques et les actes procéduraux revêtant une importance particulière pour l’issue de l’instance, notamment lorsqu’une privation de liberté est en jeu, pour certains actes procéduraux, comme les recours, ayant un caractère technique marqué ou lorsque l’accusé est particulièrement vulnérable.

102. L’obligation que le CPP fait aux accusés d’être représentés par un conseil dans ces circonstances refléterait une tradition juridique nationale ancrée de longue date qui serait très largement acceptée par la doctrine, le barreau et la jurisprudence des juridictions portugaises, notamment du Tribunal constitutionnel. Elle viserait à garantir le droit fondamental de l’accusé à une défense effective. Elle servirait donc un intérêt public important, à savoir une bonne administration de la justice et un procès équitable protégeant le principe de l’égalité des armes ainsi que les intérêts de l’accusé. Elle contribuerait à assurer un déroulement objectif et dépassionné de la procédure, que l’accusé lui-même serait mal placé pour garantir. Par ailleurs, elle assurerait le respect de la dignité de l’accusé dans la procédure et permettrait de veiller à ce que tous les éléments favorables à la situation juridique de l’accusé fussent présentés au tribunal. En conséquence, le requérant ne pourrait pas renoncer à son droit à une assistance juridique dans les situations visées à l’article 64 § 1 du CPP. Le droit portugais ne restreindrait donc pas les droits de la défense de l’accusé ; il les protégerait tout au plus de manière excessive, ce qui ne serait pas de nature à porter atteinte au droit à un procès équitable.

103. En outre, le Gouvernement indique que le législateur a pris en compte des éléments spécifiques, pertinents pour la décision d’autoriser l’accusé de se défendre lui-même ou le lui interdire (la complexité de l’affaire et la gravité de ses conséquences pour l’accusé, la personnalité de celui-ci, sa vulnérabilité ou ses besoins particuliers, ou encore le stade de la procédure), lorsqu’il a établi, de façon générale et abstraite, les circonstances dans lesquelles il était interdit à un accusé d’assurer sa propre défense.

104. Le Gouvernement ajoute que, dans le droit portugais de la procédure pénale, le défenseur est non seulement le représentant de l’accusé mais aussi un organe autonome de l’administration de la justice ayant pour tâche d’assurer une bonne défense technique de l’accusé. Selon le Gouvernement, le statut et le rôle de défenseur, d’une part, et la qualité d’accusé, d’autre part, ne peuvent donc pas se confondre, quand bien même l’accusé serait avocat de profession.

105. Les actes techniques de défense réservés au défenseur, comprenant par exemple le contre-interrogatoire des témoins ou des experts et l’introduction de recours, coexisteraient avec la défense personnelle assurée par l’accusé lui-même. L’accusé aurait de larges possibilités d’intervenir en personne dans la procédure engagée contre lui. Il aurait le droit d’être présent à tous les stades de la procédure le concernant, de faire des déclarations ou de garder le silence quant au contenu des accusations ; il pourrait soumettre des observations, des déclarations et des demandes qui, ne nécessitant pas la signature d’un avocat, seraient versées au dossier (article 98 § 1 du CPP), pourrait faire annuler toute mesure mise en œuvre en son nom par l’avocat dans les conditions précisées à l’article 63 § 2 du CPP, et serait le dernier à prendre la parole devant le tribunal avant le prononcé du jugement (article 361 § 1 du CPP).

106. Le Gouvernement indique aussi que les dispositions du droit portugais qui imposent à une personne poursuivie au pénal d’être assistée par un défenseur à certains stades de la procédure n’ont pas été modifiées selon les constatations adoptées par le CDH le 28 mars 2006 sur la communication no 1123/2002 (paragraphes 63 et suiv. ci-dessus). Il explique que, face à deux décisions contradictoires rendues par deux organes internationaux de contrôle, il a pris acte du fait que seule la Cour avait des pouvoirs judiciaires et rendait des décisions revêtant l’autorité de la chose jugée. Or la Cour, dans sa décision sur la requête introduite par le même requérant et concernant les mêmes faits (Correia de Matos, décision précitée, paragraphes 111-113 ci-dessous), aurait estimé que l’approche juridique interne ne portait pas atteinte aux droits de la défense.

107. Concernant la défense du requérant dans la procédure pénale litigieuse, le Gouvernement estime que le fait que celui-ci ne s’est pas défendu lui-même est dû à son choix de ne pas être présent aux stades clés de la procédure. Il ajoute que l’article 6 §§ 1 et 3 c) n’impose pas d’autoriser l’accusé à gérer lui-même les aspects techniques de sa défense dès lors qu’il peut assurer sa défense personnelle aux côtés de son avocat, comme le permet le droit portugais.

108. En outre, pendant la procédure devant les juridictions portugaises, le requérant aurait refusé d’être défendu par un conseil et aurait ainsi démontré que l’approche objective et dépassionnée nécessaire à la conduite de sa propre défense lui faisait défaut.

2. Appréciation de la Cour

a) Remarques préliminaires concernant le contenu et le contexte du grief du requérant

109. La Cour observe d’emblée qu’il y a deux branches dans le grief que le requérant formule au sujet de la décision des juridictions internes de ne pas l’autoriser à se défendre lui-même dans la procédure pénale qui le visait et de lui imposer d’être représenté par un défenseur alors qu’il avait lui‑même une formation d’avocat. Le requérant se plaint principalement qu’en dépit de sa formation juridique il n’a pas été autorisé à assurer lui‑même sa défense, contrairement à ce que prévoit la première option de l’article 6 § 3 c), sans l’assistance d’un avocat. Par ailleurs, invoquant la seconde option contenue dans cette disposition, il soutient que dans la procédure pénale en question il n’a pas pu se défendre avec l’assistance d’un défenseur de son choix, c’est‑à-dire lui-même.

110. À la lumière des arguments des parties, la Cour considère que la présente affaire porte principalement sur l’étendue du droit, pour un accusé doté d’une formation juridique, d’assurer sa propre défense. Elle observe toutefois que l’inscription du requérant au tableau des avocats était suspendue à l’époque de la procédure litigieuse devant les juridictions nationales et que dès lors l’intéressé ne pouvait pas agir en qualité d’avocat dans sa propre cause, quelles qu’aient été les règles de la procédure pénale portugaise relatives à l’obligation d’être représenté (paragraphe 9 ci-dessus).

111. En outre, comme indiqué au paragraphe 64, le requérant avait précédemment introduit une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, après avoir été condamné au pénal par le tribunal de Ponte de Lima pour outrage à magistrat en 1998. Dans cette requête, introduite en 1999, il avait également allégué sous l’angle de l’article 6 § 3 c) qu’on lui avait refusé l’autorisation d’assurer sa propre défense et que, contre sa volonté, on avait désigné un avocat pour le représenter.

112. Par une décision du 15 novembre 2001 (Correia de Matos c. Portugal (déc.), no 48188/99, CEDH 2001-XII), une chambre de la Cour se prononça comme suit :

« (...) [E]n cette matière il est essentiel que l’intéressé soit en mesure de présenter sa défense d’une manière appropriée et conforme aux exigences d’un procès équitable. Toutefois, la décision de permettre à un accusé de se défendre lui-même ou de lui désigner un avocat rentre encore dans la marge d’appréciation des États contractants, qui sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense.

Il convient de souligner que les motifs invoqués pour exiger la représentation obligatoire par un avocat, lors de certaines phases de la procédure, sont, aux yeux de la Cour, suffisants et pertinents. Il s’agit en effet, notamment, d’une mesure dans l’intérêt de l’accusé et visant une défense efficace de ce dernier. Les juridictions nationales sont donc en droit d’estimer que les intérêts de la justice commandent la désignation obligatoire d’un avocat.

Le fait que l’accusé soit lui aussi avocat, comme c’est le cas en l’espèce, même si l’inscription du requérant au tableau de l’Ordre des avocats fait à l’heure actuelle l’objet d’une suspension, n’ébranle en rien les constatations qui précèdent. S’il est vrai qu’en règle générale les avocats peuvent agir en personne devant un tribunal, les juridictions compétentes peuvent néanmoins estimer que les intérêts de la justice commandent la désignation d’un représentant à un avocat qui est sous le coup d’une accusation pénale et qui peut donc, par ce motif même, ne pas être en mesure d’évaluer correctement les intérêts en jeu et dès lors d’assurer efficacement sa propre défense. Aux yeux de la Cour, on se trouve, là encore, dans les limites de la marge d’appréciation dont bénéficient les autorités nationales.

En l’espèce, la Cour estime que la défense du requérant a été assurée de manière appropriée. Elle relève à cet égard que le requérant n’a pas allégué avoir été dans l’impossibilité de présenter sa version personnelle des faits aux juridictions en cause et qu’il a été représenté par un avocat d’office lors de l’audience du 15 décembre 1998. »

113. Estimant qu’il n’y avait pas eu atteinte aux droits de la défense du requérant au regard de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, la chambre rejeta la requête pour défaut manifeste de fondement.

114. Les mêmes faits sont à l’origine de la communication concernant le Portugal qui fut par la suite soumise au CDH (examinée en détail aux paragraphes 63-67 ci-dessus).

b) Principes généraux

i. La nature et la portée de l’appréciation de la Cour

115. La Cour rappelle d’emblée que la Convention ne reconnaît pas l’actio popularis. Selon sa jurisprudence constante, dans une affaire issue d’une requête individuelle introduite en vertu de l’article 34 de la Convention, elle n’a pas pour tâche d’examiner le droit interne dans l’abstrait. Elle doit plutôt rechercher si la manière dont il a été appliqué au requérant ou l’a touché a donné lieu à une violation de la Convention (voir, entre autres, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC], no 47848/08, § 101, CEDH 2014, Perinçek c. Suisse [GC], no 27510/08, § 136, CEDH 2015 (extraits), et Roman Zakharov c. Russie [GC], no 47143/06, § 164, CEDH 2015, avec les références citées).

116. La Cour souligne ensuite le rôle fondamentalement subsidiaire du mécanisme de la Convention. Conformément au principe de subsidiarité, il incombe en premier lieu aux Parties contractantes de garantir le respect des droits et libertés définis dans la Convention et ses Protocoles, et elles disposent pour ce faire d’une marge d’appréciation soumise au contrôle de la Cour. Les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe et, ainsi que la Cour l’a affirmé à maintes reprises, se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur les besoins et contextes locaux (voir, entre autres, Hatton et autres c. Royaume‑Uni [GC], no 36022/97, § 97, CEDH 2003‑VIII, Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 98, 25 octobre 2012, et Garib c. Pays-Bas [GC], no 43494/09, § 137, 6 novembre 2017).

117. Lorsque le législateur bénéficie d’une marge d’appréciation, celle‑ci s’applique en principe tant à la décision de légiférer ou non sur un sujet donné que, le cas échéant, aux règles détaillées édictées pour veiller à ce que la législation soit conforme à la Convention et pour ménager un équilibre entre les intérêts publics et les intérêts privés en conflit. Les choix opérés et les solutions retenues par le législateur en la matière n’échappent pas pour autant au contrôle de la Cour. Il incombe à celle-ci d’examiner attentivement les arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues et de rechercher si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts de l’État ou du public en général et ceux des individus directement touchés par les solutions en question (voir, mutatis mutandis, S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 97, CEDH 2011, Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits), et Garib, précité, § 138).

118. Dans son examen du grief selon lequel les juridictions nationales ont refusé au requérant, en vertu du droit interne, l’autorisation de se défendre lui-même dans la procédure pénale dirigée contre lui, la Cour tiendra donc compte de sa jurisprudence constante sur l’étendue du droit d’assurer sa propre défense au regard de l’article 6 de la Convention, ainsi que de la marge d’appréciation que la Convention laisse habituellement aux États membres en la matière. Elle se penchera également sur le cadre législatif portugais qui fait obligation aux accusés d’être représentés dans presque toutes les procédures pénales et sur l’application concrète de cette législation en l’espèce, par les juridictions nationales, à la lumière de l’obligation de veiller à l’équité de la procédure dans son ensemble.

ii. L’étendue du droit de se défendre soi-même

119. Selon la jurisprudence constante de la Cour, le paragraphe 3 de l’article 6 renferme une liste d’applications particulières du principe général énoncé au paragraphe 1 : les divers droits qu’il énumère en des termes non exhaustifs représentent des aspects, parmi d’autres, de la notion de procès équitable en matière pénale. En veillant à son observation, il ne faut pas perdre de vue sa finalité profonde ni le couper du « tronc commun » auquel il se rattache. La Cour examine donc un grief tiré de l’article 6 § 3 sous l’angle des paragraphes 1 et 3 combinés (voir, entre autres, Meftah et autres c. France [GC], nos 32911/96 et 2 autres, § 40, CEDH 2002‑VII, avec les références citées).

120. Les droits minimaux énumérés à l’article 6 § 3, qui montre par des exemples ce qu’exige l’équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales, ne sont pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (Ibrahim et autres, précité, § 251, avec les références citées).

121. L’article 6 § 3 c) reconnaît à tout accusé le droit de « se défendre lui-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Malgré l’importance que revêt la relation de confiance entre un avocat et son client, ce droit n’est pas absolu. La Cour a dit qu’il est forcément sujet à certaines limitations en matière d’assistance judiciaire gratuite et aussi lorsqu’il appartient aux tribunaux de décider si les intérêts de la justice exigent de doter l’accusé d’un défenseur d’office (Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, § 79, CEDH 2015, avec les références citées).

122. D’après la jurisprudence bien établie de la Commission comme de la Cour, les paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 garantissent ainsi qu’une procédure ne sera pas conduite contre un accusé qui ne serait pas représenté adéquatement dans sa défense, mais ils ne donnent pas nécessairement à l’accusé le droit de décider lui-même de la manière dont sa défense doit être assurée (Correia de Matos, décision précitée, Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 65, 20 janvier 2005, Breukhoven c. République tchèque, no 44438/06, § 60, 21 juillet 2011). Le choix entre les deux options mentionnées à l’article 6 § 3 c), à savoir, d’une part, le droit pour l’intéressé de se défendre lui-même et, d’autre part, son droit à être représenté par un avocat, soit librement choisi, soit, le cas échéant, désigné par le tribunal, relève de la législation applicable ou du règlement de procédure du tribunal concerné (X. c. Norvège, no 5923/72, décision de la Commission du 30 mai 1975, Décisions et rapports (DR) 3, p. 44, Thorgeirson c. Islande, no 13778/88, décision de la Commission du 14 mars 1990, Correia de Matos, décision précitée, Mayzit, précité, § 65, Sakhnovskiy c. Russie [GC], no 21272/03, § 95, 2 novembre 2010, et Breukhoven, précité, § 60).

123. La décision d’autoriser un accusé à se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat ou de désigner un avocat pour le représenter relève de la marge d’appréciation des États contractants, qui sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense (voir, entre autres, Weber c. Suisse, no 24501/94, décision de la Commission du 17 mai 1995, Correia de Matos, décision précitée, avec les références citées ; pour un exemple plus récent, voir X c. Finlande, no 34806/04, § 182, CEDH 2012 (extraits)).

124. En outre, selon la jurisprudence de la Cour, la mesure consistant à imposer la représentation par un avocat inscrit au barreau est prise en faveur de l’accusé et vise à garantir une bonne défense de ses intérêts dans le cadre des poursuites. La Cour a déjà eu l’occasion de juger que les juridictions nationales étaient donc en droit d’estimer que les intérêts de la justice commandaient la désignation obligatoire d’un avocat (Correia de Matos, décision précitée, et X c. Finlande, précité, § 182). Pour parvenir à une telle conclusion, elle tient compte de la marge d’appréciation susmentionnée et peut également prendre en considération la teneur de la législation interne pertinente, qui peut habiliter ou obliger la juridiction compétente à désigner un avocat, fût-ce contre la volonté de l’accusé (comparer, mutatis mutandis, avec Croissant c. Allemagne, 25 septembre 1992, § 27, série A no 237‑B).

125. La Cour observe que ces principes généraux énoncés avant la décision sur la requête no 48188/99, appliqués dans l’affaire en question puis à nouveau par la suite (paragraphes 122-124 ci-dessus), reconnaissent donc la marge d’appréciation accordée aux États contractants pour déterminer la manière dont il convient d’assurer la défense d’un accusé souhaitant se défendre lui-même. Toutefois, comme sa jurisprudence constante le montre aussi, cette marge d’appréciation n’est pas illimitée.

126. La Cour a précisé que, dans l’exercice du choix que leur laisse l’article 6 §§ 1 et 3 c), les autorités nationales doivent tenir compte des souhaits de l’accusé quant à son choix de représentation en justice mais peuvent passer outre s’il existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent (Dvorski, précité, § 79, avec les références citées). Pour la Cour, cela implique de vérifier le caractère pertinent et suffisant des motifs qui ont été avancés par le législateur national, et également par les juridictions nationales lorsqu’elles ont appliqué les dispositions concernées du droit interne dans le cas particulier du requérant. Au niveau du législateur, les normes et évolutions juridiques au sein d’autres États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que du droit de l’Union européenne et du droit international plus généralement peuvent jouer un certain rôle. Concernant l’application de la législation interne litigieuse par les juridictions nationales, un examen portant sur la pertinence et la suffisance des raisons fournies fera partie intégrante de l’évaluation par la Cour de l’équité globale de la procédure pénale. En effet, comme la Cour l’a dit à maintes reprises, le but intrinsèque des droits minimaux garantis par l’article 6 § 3 est de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble, tâche principale de la Cour sur le terrain de l’article 6 § 1 (voir, à cet égard, Ibrahim et autres, précité, §§ 250-251, et Simeonovi, précité, § 113).

iii. Limites de la marge d’appréciation

127. La jurisprudence de la Cour fournit des exemples montrant que, dans le contexte de l’article 6 §§ 1 et 3 c), la marge d’appréciation des États n’est pas illimitée.

128. Le fait que les États ne puissent pas automatiquement passer pour avoir respecté les droits de la défense d’un accusé lorsqu’ils ont choisi l’une des deux options visées à l’article 6 §§ 1 et 3 c) est illustré notamment par d’autres précédents relatifs à l’article 6 § 1, tout particulièrement sur la validité de la renonciation d’un accusé à ses droits découlant de l’article 6. Pour entrer en ligne de compte sous l’angle de la Convention, une renonciation autorisée par le droit interne doit se trouver établie de manière non équivoque, ne se heurter à aucun intérêt public important et être entourée d’un minimum de garanties correspondant à sa gravité (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 86, CEDH 2006‑II, Dvorski, précité, §§ 100‑101, CEDH 2015, et Simeonovi, précité, § 115). La marge d’appréciation dont les États disposent pour autoriser l’accusé à assurer seul sa propre défense n’est donc pas illimitée dans ce contexte non plus ; les limites dont elle est assortie sont liées à la protection de l’accusé et aux intérêts publics en jeu.

129. Comme indiqué ci-dessus (paragraphe 118), la Cour a dit à maintes reprises que les choix opérés par le législateur n’échappent pas à son contrôle et a évalué la qualité de l’examen parlementaire et judiciaire de la nécessité d’une mesure donnée. Elle a considéré qu’il y avait lieu de tenir compte du risque d’abus que pouvait emporter l’assouplissement d’une mesure générale, et que ce risque était un facteur qu’il appartenait avant tout à l’État d’apprécier. Elle a déjà jugé qu’une mesure générale était un moyen plus pratique pour parvenir à l’objectif légitime visé qu’une disposition permettant un examen au cas par cas, pareil système étant de nature à engendrer un risque non négligeable d’incertitude, de litiges, de frais et de retards ou de discrimination et d’arbitraire. Cela étant, la manière dont une mesure générale a été appliquée aux faits d’une cause donnée permet de se rendre compte de ses répercussions pratiques et est donc pertinente pour l’appréciation de sa proportionnalité, de sorte qu’elle demeure un facteur important à prendre en compte (comparer avec Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 108, CEDH 2013 (extraits), avec les références citées).

130. Les Parties contractantes à la Convention peuvent certes choisir, dans le cadre de la marge d’appréciation que leur reconnaît la jurisprudence constante de la Cour (paragraphes 119-126 ci-dessus), s’il y a lieu de prévoir l’obligation d’être représenté par un avocat ; toutefois, lorsqu’elle vérifie si les motifs à l’origine d’un tel choix sont pertinents et suffisants et si l’État concerné est resté dans les limites de cette marge d’appréciation, la Cour peut tenir compte de la manière dont d’autres États ont effectué leur choix et des critères sur lesquels ils se fondent, ainsi que de l’évolution du droit international et, le cas échéant, du droit de l’Union européenne.

131. La Cour observe dans ce contexte que, selon les éléments de droit comparé dont elle dispose, les Parties contractantes à la Convention étudiées – qu’elles autorisent ou interdisent en règle générale à un accusé d’assurer sa propre défense – ont tendance à permettre de façon plus individualisée à l’accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat. Elles tiennent compte de facteurs tels que le degré de juridiction, la gravité de l’infraction et la capacité de l’intéressé à assurer lui-même sa défense (pour plus de détails, voir les paragraphes 81-84 ci-dessus).

132. La Cour relève qu’elle a pris en considération des facteurs similaires dans un contexte où elle recherchait si des mesures adoptées par un État étaient conformes aux autres exigences de l’article 6 § 3 c), notamment pour déterminer si les intérêts de la justice imposaient l’octroi à un requérant d’une assistance judiciaire gratuite. Elle doit se prononcer à cet égard à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce, compte tenu entre autres de la gravité de l’infraction en cause, de la sévérité de la peine encourue, de la complexité de l’affaire et de la situation personnelle du requérant (Quaranta c. Suisse, 24 mai 1991, §§ 32-36, série A no 205, Güney c. Suède (déc.), no 40768/06, 17 juin 2008, Zdravko Stanev c. Bulgarie, no 32238/04, § 38, 6 novembre 2012, Mikhaylova c. Russie, no 46998/08, § 79, 19 novembre 2015, et Jemeļjanovs c. Lettonie, no 37364/05, § 89, 6 octobre 2016).

133. En ce qui concerne le droit international public, la Cour rappelle que la teneur de l’article 14 § 3 d) du PIDCP correspond à celle de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dans son Observation générale no 32 adoptée en juillet 2007 (paragraphe 68 ci-dessus), qui reflète les constatations qu’il a adoptées en mars 2006 relativement à la communication no 1123/2002 soumise par le requérant (paragraphes 63-67 ci-dessus), le CDH a toutefois estimé qu’au regard de l’article 14 § 3 d) toute restriction au souhait de l’accusé d’assurer sa propre défense devait avoir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver les intérêts de la justice. Le CDH a dit également que l’intérêt de la justice pouvait commander la représentation obligatoire par un avocat si l’accusé faisait obstruction au bon déroulement du procès, s’il devait répondre d’une accusation grave mais était incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agissait de protéger des témoins vulnérables. Il a néanmoins précisé que la loi devait éviter toute interdiction absolue visant le droit d’assurer sa propre défense sans l’assistance d’un avocat en matière pénale, notamment dans les affaires relativement simples concernant des accusations de moindre gravité et où l’accusé est capable d’assurer convenablement sa propre défense.

134. La Cour observe à cet égard qu’en interprétant les dispositions de la Convention elle a à plusieurs reprises tenu compte de constatations adoptées par le CDH et de l’interprétation faite par celui-ci des dispositions du PIDCP (voir, entre autres, Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 114 et 124, CEDH 2005‑I, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, §§ 188 et 194, CEDH 2012, et Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie [GC], no 18030/11, §§ 140-141 et 143, CEDH 2016). La Convention, y compris son article 6, ne peut s’interpréter dans le vide mais doit autant que possible s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international concernant la protection internationale des droits de l’homme (comparer avec Fogarty c. Royaume‑Uni [GC], no 37112/97, § 35, CEDH 2001‑XI (extraits), Al‑Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001‑XI, et Magyar Helsinki Bizottság, précité, § 138). En effet, il découle de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités que la Convention doit autant que possible s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme.

135. Toutefois, même lorsque des dispositions de la Convention et du PIDCP sont presque identiques, les interprétations que le CDH et la Cour font d’un même droit fondamental peuvent ne pas toujours correspondre. En témoigne, par exemple, l’interprétation de l’étendue du droit d’accès à un tribunal donnée par le CDH et par la Cour respectivement. Le CDH considère que le droit d’accès à un tribunal découlant de l’article 14 § 1 du PIDCP vise l’accès aux procédures de première instance et n’implique pas un droit de faire appel (paragraphe 70 ci-dessus). Quant à la Cour, elle dit dans sa jurisprudence constante que si l’article 6 de la Convention n’oblige pas les États contractants à instituer des cours d’appel ou de cassation, lorsque de telles juridictions existent il faut se conformer aux garanties de l’article 6, par exemple en assurant aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux (voir, entre autres, Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, § 37, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII, et Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 97, CEDH 2009, avec les références citées).

136. Pour ce qui est du droit de l’Union européenne, la teneur de la Charte des droits fondamentaux, les explications qui l’accompagnent et la directive 2013/48/UE indiquent que les droits garantis par l’article 47, alinéa 2, et l’article 48, paragraphe 2, de la Charte correspondent à ceux énoncés dans l’article 6 §§ 1, 2 et 3 de la Convention. Concernant la directive, qui à ce jour ne paraît pas avoir fait l’objet d’une interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne, tant l’article 3, paragraphe 4 (« Nonobstant les dispositions du droit national relatives à la présence obligatoire d’un avocat (...) »), que l’article 9, paragraphe 1 (« Sans préjudice du droit national qui requiert obligatoirement la présence ou l’assistance d’un avocat (...) »), paraissent laisser à chaque État membre le choix d’opter ou non pour un système où la représentation par un avocat est obligatoire.

137. En résumé, la Cour estime que les normes adoptées par d’autres Parties contractantes à la Convention et l’évolution internationale (exposées ci-dessus) doivent être prises en considération à la fois par les Parties contractantes lorsqu’elles procèdent à l’examen parlementaire évoqué plus haut et par la Cour lorsqu’elle exerce son contrôle. Toutefois, compte tenu de la liberté considérable que la jurisprudence constante de la Cour reconnaît à ces États quant au choix des moyens propres à garantir que leurs systèmes judiciaires sont conformes aux exigences du droit de « se défendre [soi]-même ou [d’]avoir l’assistance d’un défenseur », visé à l’article 6 § 3 c) (paragraphes 123-126 ci-dessus), et étant donné que le but intrinsèque de cette disposition est de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (paragraphes 120 et 126 ci-dessus), ces normes ne sont pas déterminantes. En effet, si elles l’étaient, la liberté des États membres quant au choix des moyens et la marge d’appréciation qui leur est laissée dans l’exercice de ce choix s’en trouveraient réduites de manière excessive. La Cour observe qu’une interdiction absolue frappant le droit d’un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat en matière pénale peut, dans certaines circonstances, être excessive. Cela étant dit, s’il semble se dégager parmi les Parties contractantes à la Convention une tendance à reconnaître le droit pour un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat inscrit au barreau, il n’y a pas en la matière de consensus à proprement parler ; même entre les législations nationales qui ont prévu un tel droit, le moment et les circonstances où il entre en jeu varient considérablement.

iv. Le rôle des tribunaux et des avocats dans l’administration de la justice

138. La présente requête tirant son origine des poursuites dont le requérant a fait l’objet pour outrage à magistrat (paragraphe 10 ci-dessus), il convient de rappeler brièvement la jurisprudence de la Cour sur le rôle des tribunaux et des avocats dans l’administration de la justice.

139. La Cour réaffirme que les avocats jouent un rôle très important dans l’administration de la justice. Elle a souvent rappelé que le statut spécifique des avocats, intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux, leur fait occuper une position centrale dans l’administration de la justice, et elle a souligné que, pour croire en l’administration de la justice, le public doit également avoir confiance en la capacité des avocats à représenter effectivement les justiciables (Kyprianou c. Chypre [GC], no 73797/01, §§ 173-175, CEDH 2005‑XIII, Morice c. France [GC], no 29369/10, § 132, CEDH 2015, avec les références citées, et Jankauskas c. Lituanie (no 2), no 50446/09, § 74, 27 juin 2017).

140. De ce rôle particulier des avocats, professionnels indépendants, dans l’administration de la justice, découlent un certain nombre d’obligations, notamment dans leur conduite, qui doit être empreinte de discrétion, d’honnêteté et de dignité (Morice, précité, § 133, et Jankauskas (no 2), précité, § 75, avec les références citées).

141. Dans la Recommandation no R(2000)21 sur la liberté d’exercice de la profession d’avocat (paragraphe 74 ci-dessus), le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a souligné que la profession d’avocat devait être exercée de manière à renforcer l’État de droit. Par ailleurs, les principes applicables à la profession d’avocat renferment des valeurs telles que la dignité, l’honneur et la probité, le respect de la confraternité et la contribution à une bonne administration de la justice (Charte du CCBE, paragraphe 75 ci-dessus, et Jankauskas (no 2), précité, § 77).

142. Si selon la jurisprudence constante de la Cour la liberté d’expression est également applicable aux avocats, ceux-ci ne peuvent tenir des propos d’une gravité dépassant le commentaire admissible sans solide base factuelle (Karpetas c. Grèce, no 6086/10, § 78, 30 octobre 2012, et Morice, précité, § 139) ou proférer des injures (Coutant c. France (déc.), no 17155/03, 24 janvier 2008, et Morice, ibidem).

v. Le critère pertinent

143. En résumé, pour déterminer si les cas relatifs à l’obligation d’être représenté par un avocat dans le cadre d’une procédure pénale sont conformes à l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention, il convient d’appliquer les principes suivants : a) l’article 6 §§ 1 et 3 c) ne donne pas nécessairement à l’accusé le droit de décider lui-même de la manière dont sa défense doit être assurée ; b) le choix entre les deux options mentionnées dans cette disposition, à savoir d’une part le droit pour l’intéressé de se défendre lui-même et d’autre part son droit à être représenté par un avocat, soit librement choisi, soit, le cas échéant, désigné par le tribunal, relève en principe de la législation applicable ou du règlement de procédure du tribunal concerné ; c) pour effectuer ce choix, les États membres jouissent d’une marge d’appréciation, qui n’est toutefois pas illimitée. À la lumière de ces principes, la Cour doit tout d’abord vérifier si des raisons pertinentes et suffisantes ont été avancées à l’appui du choix législatif qui a été appliqué au cas d’espèce. Dans un second temps, et même si de telles raisons ont été présentées, il demeure nécessaire de rechercher, dans le contexte de l’appréciation globale de l’équité de la procédure pénale, si les juridictions nationales, en appliquant la règle litigieuse, ont également fourni des raisons pertinentes et suffisantes à l’appui de leurs décisions. Sur ce dernier point, il convient de vérifier si l’accusé s’est vu donner la possibilité concrète de participer de manière effective à son procès.

c) Application de ces principes au cas d’espèce

i. Examen portant sur la pertinence et la suffisance des fondements de la législation portugaise appliquée en l’espèce

144. Concernant la législation relative à l’obligation d’être représenté par un avocat qui a été appliquée en l’espèce par les juridictions nationales, la Cour observe que celles-ci ont fondé leur décision sur l’article 32 de la Constitution et l’article 64 du CPP tels qu’interprétés par la jurisprudence constante du Tribunal constitutionnel et de la Cour suprême (paragraphes 52-57 ci-dessus). D’après l’article 64 § 1 b) du CPP en particulier, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, l’assistance d’un défenseur était obligatoire lors de l’audience devant le juge d’instruction et lors des débats devant le tribunal, sauf si la procédure ne pouvait aboutir à une peine privative de liberté (paragraphes 15 et 33 ci-dessus). Or, en vertu du code pénal portugais, presque toutes les infractions sont en principe passibles d’une peine privative de liberté, car le code prévoit la possibilité d’imposer une peine de prison même pour la plupart des infractions mineures (paragraphe 49 ci-dessus). Eu égard aussi à la pratique des juridictions portugaises (paragraphe 61 ci-dessus), il apparaît que la représentation par un avocat est obligatoire à tous les stades cruciaux de la procédure pénale. Ainsi, aucun des facteurs retenus par de nombreuses Parties contractantes à la Convention (paragraphes 81-84 ci-dessus) indiquant la possibilité de se passer de l’assistance d’un défenseur dans une procédure pénale n’ont besoin d’être examinés par les juridictions internes lorsqu’elles appliquent la législation pertinente. Il est donc incontestable que le droit portugais de la procédure pénale est particulièrement restrictif en ce qui concerne la possibilité pour un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat s’il le souhaite. La question de savoir si le droit portugais est également strict s’agissant d’un accusé qui participe activement à sa propre défense est examinée ci-après (paragraphes 156‑159).

145. Comme indiqué plus haut (paragraphe 129), le caractère pertinent et suffisant des raisons avancées à l’appui de l’obligation d’être représenté par un avocat dépend aussi de la qualité de l’examen parlementaire et du contrôle juridictionnel effectués au Portugal. Ainsi qu’il ressort du préambule du CPP de 1987, les dispositions de ce nouveau code, notamment son article 64 § 1, visaient à renforcer la position juridique de l’accusé et à assurer une égalité des armes effective avec le ministère public, dont la propre position juridique était elle aussi renforcée (paragraphe 35 ci-dessus). En outre, il a été considéré que toute mesure susceptible de porter atteinte à la dignité personnelle de l’accusé devait être évitée (paragraphes 35 et 57 ci-dessus).

146. La Cour relève en outre que le législateur portugais a réexaminé certaines questions concernant l’obligation au regard de l’article 64 § 1 du CPP d’être assisté par un défenseur en matière pénale. Ainsi, lorsque cette disposition a été révisée, par la loi no 59/98 du 25 août 1998 puis la loi no 48/2007 du 29 août 2007, la décision du législateur en faveur de ce mécanisme de défense en justice est resté inchangée, dans le second cas après la confirmation par le Tribunal constitutionnel, en 2001, de sa compatibilité avec la Constitution et la Convention (paragraphes 35 et 52-55 ci-dessus).

147. Pour ce qui est de la qualité du contrôle juridictionnel relatif à l’obligation litigieuse, le Tribunal constitutionnel a jugé que le choix du législateur reflété par les articles 61, 62 et 64 du CPP d’exiger que dans une procédure pénale une personne accusée fût représentée par un défenseur, même si cette personne était un avocat dûment inscrit au barreau concerné, et a fortiori si elle ne l’était pas, n’était pas incompatible avec la Constitution portugaise. Ces règles visent à garantir une défense dépassionnée des intérêts de l’accusé. Du reste, elles sont contrebalancées par la faculté dont dispose l’accusé de faire annuler toute mesure mise en œuvre pour son compte par son défenseur, et s’accompagnent d’autres possibilités qui sont données à l’accusé d’intervenir en personne à tout stade de la procédure. Dans d’autres arrêts, le Tribunal constitutionnel a évoqué la nécessité de protéger la mise en œuvre de la justice et de la loi ainsi que les intérêts de l’accusé et la nécessité de garantir la participation de professionnels qualifiés capables d’assurer la préparation technique requise et le respect des principes déontologiques régissant la profession (paragraphes 52-55 ci-dessus).

148. Dans une série d’arrêts, la Cour suprême a par ailleurs exposé comme suit la philosophie sous-tendant la restriction de la possibilité pour un accusé d’assurer seul sa propre défense et les buts que visait la disposition relative à l’obligation de représentation par un avocat : la nécessité de garantir une pratique équitable qui permît à l’accusé de préparer sa défense avec son avocat tout en préservant le droit pour le premier de présenter des demandes, des observations écrites et des notes ne soulevant pas de questions de droit ; la nécessité d’assurer la conduite dépassionnée d’une affaire, en tant que garantie supplémentaire dans une procédure pénale ; la nécessité de veiller à ce que l’accusé bénéficiât d’une assistance technique de manière à ce que sa cause ne fût pas affaiblie ; l’existence d’une incompatibilité, procédurale ou autre, ou d’une tension, entre la qualité d’accusé et les responsabilités du défenseur (paragraphe 57 ci-dessus). En outre, la Cour suprême a évoqué les outils procéduraux dont disposait un accusé lors du procès, outils que la haute juridiction a considérés comme « une expression concrète du droit de pétition consacré par l’article 52 de la Constitution » (paragraphe 43 ci-dessus). Ces outils sont importants tant sous l’angle de l’examen de la pertinence et de la suffisance des raisons sous-tendant les choix législatifs opérés que dans l’optique de l’appréciation de l’équité de la procédure dans son ensemble (paragraphe 156 ci-dessous).

149. Dans leurs arrêts, les cours d’appel ont réitéré ces justifications à l’appui de la règle nationale litigieuse relative à l’obligation d’être représenté par un avocat (paragraphes 58 et 43 ci-dessus).

150. La Cour attache pour sa part un poids considérable à ces contrôles. Le législateur a plusieurs fois décidé de maintenir l’obligation faite à l’accusé d’être assisté par un avocat en matière pénale. Quant aux juridictions portugaises, notamment la Cour suprême et le Tribunal constitutionnel, elles ont justifié de façon complète dans leur jurisprudence abondante et constante sur la question leur position selon laquelle la règle relativement stricte de l’obligation de représentation par un avocat est conforme à la Constitution et nécessaire, dans l’intérêt de l’accusé et dans l’intérêt général.

151. La Cour souligne dans ce contexte que la question centrale s’agissant de la mesure litigieuse n’est pas de savoir s’il aurait fallu adopter des règles moins restrictives, ni même de savoir si l’État peut prouver que sans l’obligation de représentation par un avocat il est dans tous les cas impossible de garantir les droits de la défense d’un accusé. Il s’agit plutôt de déterminer si, du point de vue de la pertinence et de la suffisance des motifs avancés à l’appui du choix exercé, le législateur a agi dans le cadre de sa marge d’appréciation (paragraphes 118 et 129 ci-dessus).

152. La Cour observe en outre que les juridictions nationales concernées en l’espèce ont fidèlement tenu compte du raisonnement suivi de longue date par le Tribunal constitutionnel, la Cour suprême et les cours d’appel du Portugal (paragraphes 13, 15 et 20-25 ci-dessus). Elles ont souligné que les règles appliquées par elles relativement à l’obligation d’être assisté par un avocat dans une procédure pénale ne visaient pas à restreindre les actes de la défense mais à protéger l’accusé en lui garantissant une défense effective (paragraphe 15 ci-dessus). Elles ont déclaré par ailleurs que la défense de l’accusé au cours d’une procédure pénale répondait à l’intérêt général et qu’en conséquence il n’était pas possible de renoncer au droit à être défendu par un avocat (paragraphe 22 ci-dessus). Elles ont précisé que les dispositions pertinentes du CPP reflétaient le postulat selon lequel un accusé était mieux défendu par un professionnel du droit formé à la fonction d’avocat, et ont ajouté que celui-ci n’était pas encombré par la charge émotionnelle pesant sur l’accusé et en conséquence était à même d’assurer une défense lucide, dépassionnée et effective (paragraphes 15 et 53 ci‑dessus).

153. La décision par laquelle les juridictions portugaises ont imposé au requérant l’obligation d’être représenté par un défenseur résultait donc d’une législation complète visant à protéger les accusés en leur garantissant une défense effective dans les affaires où une peine privative de liberté pouvait être infligée. La Cour admet qu’un État membre puisse légitimement considérer qu’un accusé, en règle générale du moins, est mieux défendu s’il est assisté par un avocat qui a une approche dépassionnée et est préparé sur le plan technique, postulat que traduisent les dispositions pertinentes du droit portugais sur lesquelles reposent les décisions incriminées en l’espèce. La Cour reconnaît également que même un accusé formé à la profession d’avocat, comme le requérant, peut ne pas être capable – parce que les accusations le visent personnellement – de défendre sa propre cause de manière effective.

154. La légitimité de telles considérations s’impose avec d’autant plus de force que, comme en l’espèce, l’accusé se trouve être un avocat suspendu du barreau, qui, en conséquence, n’est pas dûment inscrit au barreau et n’a pas le droit de fournir une assistance juridique à des tiers. En outre, en ce qui concerne le requérant, il ressort clairement du dossier qu’il était intervenu dans une procédure en qualité de défenseur malgré sa suspension du barreau et qu’il avait déjà été inculpé d’outrage à magistrat dans cette procédure (voir la procédure judiciaire interne qui a fait l’objet de sa précédente requête (no 48188/99), évoquée ci-dessus). Compte tenu du rôle particulier des avocats dans l’administration de la justice, reconnu par la jurisprudence constante de la Cour, et des obligations qui dans ce contexte incombent aux avocats, particulièrement en matière de conduite (paragraphes 74-75 et 138-142 ci-dessus), il y avait des motifs raisonnables de considérer que le requérant n’avait peut-être pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite effective par un accusé de sa propre défense.

155. Par ailleurs, la Cour doit garder à l’esprit l’ensemble du contexte procédural dans lequel l’obligation de représentation devait être et a été imposée en l’espèce. Le caractère particulièrement restrictif de la législation portugaise, du point de vue d’un accusé comme le requérant, ne signifie pas que l’intéressé a été privé de toute possibilité de choisir la façon de conduire sa propre défense et de participer à celle-ci de manière effective. Si la procédure pénale portugaise réserve à l’avocat les aspects techniques de la défense juridique, la législation pertinente donnait à l’accusé plusieurs moyens de participer à la procédure et d’y intervenir en personne.

156. L’accusé avait le droit d’être présent à tous les stades de la procédure qui le concernaient, de faire des déclarations ou de garder le silence quant au contenu des accusations portées contre lui, et avait la possibilité de soumettre des observations, des déclarations et des demandes, dans lesquelles il pouvait aborder des questions de droit et de fait et qui, ne nécessitant pas la signature d’un avocat, étaient versées au dossier (paragraphes 30 et 41-45 ci-dessus). De plus, il pouvait faire annuler toute mesure mise en œuvre en son nom, dans les conditions précisées à l’article 63 § 2 du CPP (paragraphe 32 ci-dessus). En outre, le droit portugais prévoyait que l’accusé était la dernière personne à prendre la parole devant le tribunal après la fin des plaidoiries et avant le prononcé du jugement (article 361 § 1 du CPP, paragraphes 24 et 45 ci-dessus ; concernant l’appréciation de l’équité globale du procès, voir ci-dessous).

157. Enfin, si l’accusé n’était pas satisfait de son avocat commis d’office, il pouvait solliciter son remplacement sur demande dûment motivée (article 66 § 3 du CPP, paragraphe 38 ci-dessus). Par ailleurs, les dispositions pertinentes du droit portugais (voir en particulier l’article 64 § 4 du CPP, paragraphe 33 ci-dessus) donnaient à l’accusé la faculté de mandater un avocat de son choix, c’est-à-dire une personne en qui il avait confiance et avec laquelle il pouvait convenir d’une stratégie de défense dans sa cause. Il est vrai que si un accusé était condamné, il devait supporter le coût de la représentation obligatoire. Il pouvait toutefois demander l’assistance judiciaire s’il n’était pas en mesure de payer ces frais (paragraphes 33, 38 et 51 ci-dessus). La Cour observe à cet égard que le requérant a vu mettre à sa charge la somme relativement modeste de 150 EUR au titre de sa représentation par un avocat commis d’office (paragraphe 19 ci-dessus) et que cette somme n’a jamais été payée, l’exécution d’un ordre de paiement le visant ayant été suspendue faute d’avoirs susceptibles d’être saisis.

158. La Cour considère que malgré l’obligation d’être assisté par un avocat, un accusé tel que le requérant conservait en pratique une marge relativement ample lui permettant de peser sur la façon de conduire sa défense dans la procédure le concernant et de participer activement à cette défense (voir, de manière similaire, Croissant, précité, § 31).

159. À la lumière de ce qui précède, la Cour observe que la règle portugaise relative à l’obligation d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale vise essentiellement à garantir une bonne administration de la justice et un procès équitable respectant le droit de l’accusé à l’égalité des armes. Eu égard à l’ensemble du contexte procédural dans lequel cette obligation de représentation a été imposée et à la marge d’appréciation laissée aux États membres quant au choix des moyens à mettre en œuvre pour garantir la défense d’un accusé, la Cour estime que les raisons fournies à l’appui de l’obligation d’être assisté, en général et en l’espèce, étaient à la fois pertinentes et suffisantes.

ii. Équité globale du procès

160. Il reste à la Cour à rechercher si la procédure pénale ayant visé le requérant, dans laquelle les juridictions nationales ont appliqué la règle litigieuse de l’assistance obligatoire par un avocat, peut être tenue pour globalement équitable.

161. La Cour observe que la défense du requérant, lors des audiences devant le juge d’instruction et la juridiction de jugement, a été assurée par son avocate commise d’office.

162. Le requérant quant à lui ne s’est pas présenté à ces audiences et a fait le choix délibéré de ne pas se prévaloir de la possibilité de participer de manière effective à sa défense aux côtés de son avocate. Il n’a pas communiqué avec celle-ci et n’a pas cherché à lui donner des instructions ni à définir avec elle la façon de conduire sa défense. Devant la Cour, il a expliqué qu’il n’avait pas de relation de confiance avec elle et qu’il la soupçonnait d’être inexpérimentée du fait qu’elle venait d’un petit village (paragraphe 97 ci-dessus). Il n’apparaît toutefois pas qu’il ait remis en cause les qualifications ou la qualité de l’avocate commise d’office devant les juridictions nationales. Il n’a pas non plus demandé à celles-ci de désigner un autre avocat pour le représenter, ainsi qu’il était en droit de le faire s’il avait pour cela des motifs valables (paragraphe 38 ci-dessus). De même, il n’a pas fait usage de la possibilité que lui donnait le droit interne de désigner un défenseur de son choix (paragraphe 33 ci-dessus), avec lequel il aurait pu arrêter une stratégie de défense lui laissant une ample marge d’intervention dans la procédure tout en étant assisté par un avocat.

163. De surcroît, et comme indiqué ci-dessus (paragraphes 30 et 41-45), le requérant avait le droit d’être présent et d’intervenir aux audiences, notamment de présenter aux juridictions nationales sa propre version des faits ayant conduit aux accusations portées contre lui ; or il ne s’est prévalu d’aucune de ces possibilités. Devant la Cour, il n’a jamais allégué s’être trouvé dans l’incapacité de présenter aux tribunaux sa propre version des faits ou sa propre interprétation des dispositions juridiques pertinentes.

164. Dans ces conditions, la Cour ne peut manquer de constater que le requérant a choisi de ne pas participer aux audiences devant le juge d’instruction et la juridiction de jugement alors même qu’il n’avait pas confiance dans la capacité de son avocate à le défendre convenablement, et elle prend note des raisons avancées par l’intéressé pour expliquer en quoi l’avocate n’aurait pas eu cette capacité. Il demeure que le requérant n’a pas fait état d’erreurs procédurales qu’aurait pu commettre son avocate. Le simple fait qu’elle n’a pas répondu à la demande du Tribunal constitutionnel relative à l’approbation et à la signature de l’acte de recours constitutionnel, rédigé par l’intéressé lui-même, ne saurait en soi être tenu pour une erreur.

165. De plus, le requérant était accusé pour la seconde fois d’outrage à magistrat. Compte tenu du rôle particulier des avocats dans l’administration de la justice, reconnu par la jurisprudence constante de la Cour (paragraphes 138-142 ci-dessus), pareille récidive, qui aurait pu valoir à l’intéressé une peine privative de liberté d’une durée de quatre mois et quinze jours, ne saurait passer pour mineure. Compte tenu des circonstances et de la nature de l’infraction dont le requérant était accusé, il n’était pas déraisonnable de la part des juridictions nationales de considérer que l’intéressé n’avait pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite par un accusé de sa propre défense.

166. Sur la base des éléments dont elle dispose, la Cour n’aperçoit aucune raison convaincante de douter que la défense du requérant par l’avocate commise d’office a été assurée convenablement dans les circonstances de l’affaire, ou de considérer que la conduite de la procédure par les juridictions nationales a été d’une quelconque manière inéquitable.

167. En effet, les observations du requérant et ses requêtes répétées auprès de la Cour concernant l’obligation d’être assisté dans une procédure pénale montrent que la principale préoccupation de l’intéressé n’était pas la procédure pénale particulière qui est à l’origine de la présente requête mais son souhait de défendre sa position de principe contre l’obligation en droit portugais d’être assisté par un avocat. Au-delà de son opposition générale à cette obligation, le requérant n’a pas avancé d’arguments valables indiquant que la procédure pénale dont il a fait l’objet aurait été entachée d’inexactitude ou d’inéquité.

168. Eu égard à ce qui précède, la Cour constate qu’aucun élément ne permet de conclure au caractère inéquitable de la procédure pénale ayant visé le requérant, dans laquelle les juridictions nationales ont appliqué l’obligation litigieuse d’être assisté par un avocat.

iii. Conclusion

169. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, par neuf voix contre huit, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 4 avril 2018.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
Greffière adjointePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion dissidente du juge Sajó ;

– opinion dissidente commune aux juges Tsotsoria, Motoc et Mits ;

– opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque, à laquelle se rallie le juge Sajó ;

– opinion dissidente commune aux juges Pejchal, et Wojtyczek ;

– opinion dissidente du juge Bošnjak.

G.R.
F.E.P.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

J’estime qu’en l’espèce les autorités nationales ont violé l’article 6 de la Convention. C’est pourquoi, avec tout le respect que je dois à la majorité, j’exprime cette opinion dissidente et me rallie à l’opinion du juge Pinto de Albuquerque. Je souscris également aux critiques formulées dans l’opinion dissidente des juges Wojtyczek et Pejchal concernant l’usage de la marge d’appréciation, ainsi qu’aux arguments de fond du juge Bošnjak, lequel justifie amplement le droit de se défendre soi-même. J’ai eu l’occasion d’exprimer mes réserves quant à l’application mécanique de l’approche relative à l’« équité globale du procès », qui semble avoir prévalu dans des arrêts assez récents de la Grande Chambre, au mépris d’une jurisprudence plus nuancée. Le présent arrêt, hélas, reflète tous les inconvénients de cette approche, alors que, comme le montre l’opinion dissidente commune aux juges Tsotsoria, Motoc et Mits, même une application étroite de ce critère d’équité globale récemment mis au point révèle une violation manifeste du droit à un procès équitable.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES TSOTSORIA, MOTOC ET MITS

(Traduction)

« Malgré mes préoccupations, j’étais parfois tenté d’intervenir et mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire. » En quelque sorte, on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se déroulait sans qu’on prenne mon avis. De temps en temps, j’avais envie d’interrompre tout le monde et de dire : « Mais tout de même, qui est l’accusé ? C’est important d’être l’accusé. » Albert Camus, L’Étranger

I. Remarques générales

1. À notre grand regret, nous ne pouvons nous associer au vote de la majorité car nous pensons qu’il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention. L’évolution de la jurisprudence de la Cour, la pratique des États membres et les développements du droit international public appellent à affiner les principes relatifs au droit de se défendre personnellement. Par conséquent, nous estimons que la marge d’appréciation est plus limitée que ne l’a admis la majorité et qu’elle ne l’était il y a près de dix-sept ans, lorsque la première décision a été rendue dans l’affaire Correia de Matos (Correia de Matos c. Portugal (déc.), no 48188/99, CEDH 2001‑XII).

2. Cette affaire a offert à la Grande Chambre l’occasion de contribuer à l’harmonisation du droit international des droits de l’homme en recherchant à l’intérieur du régime de la Convention comme en dehors des règles et des raisonnements juridiques qui sont consacrés par les normes universelles et européennes en matière de droits de l’homme. La coordination entre régimes régionaux et universels des droits de l’homme est essentielle si l’on veut assurer une mise en œuvre effective des droits de l’homme, en l’espèce le droit d’assurer sa propre défense. Du reste, le principe de l’interprétation harmonieuse est bien établi dans la jurisprudence de la Cour (pour quelques références, voir le paragraphe 7 ci-dessous) et il a vocation à assurer la cohérence du droit international (des droits de l’homme). La présomption d’absence de conflits normatifs potentiels est encore plus forte dans le domaine des droits de l’homme.

3. Dans notre opinion dissidente, nous commencerons par examiner les facteurs qui doivent être pris en compte lorsque qu’il s’agit d’établir l’étendue de la marge appréciation en l’espèce (chapitre II). Nous rechercherons quels critères la Cour a appliqués dans sa jurisprudence pour déterminer si les droits de la défense ont été respectés (chapitre III). Nous prendrons ensuite pour point de référence la pratique des États membres du Conseil de l’Europe (chapitre IV). Nous explorerons également les évolutions pertinentes du droit pénal international et du droit international des droits de l’homme (chapitre V). Enfin, nous appliquerons les principes identifiés aux faits de la cause (chapitre VI) et nous énoncerons notre conclusion (chapitre VII).

II. L’étendue de la marge d’appréciation

4. La question de savoir s’il faut autoriser un prévenu à se défendre personnellement ou au contraire lui assigner d’emblée un avocat pour le représenter a été interprétée par la Cour comme relevant de la marge d’appréciation de l’État. Les juridictions nationales sont en droit d’estimer que l’intérêt de la justice commande la désignation obligatoire d’un avocat (paragraphes 123-124 de l’arrêt). Dans la décision Correia de Matos de 2001, la Cour a conclu qu’il existait des motifs pertinents et suffisants pour exiger la représentation obligatoire et a recherché en principe si la défense du requérant résultant des moyens qui avaient été choisis par l’État avait été conduite de manière appropriée.

5. Dans la jurisprudence de la Cour a pris forme l’idée voulant que lorsque la Cour examine un grief soulevé sous l’angle de l’article 6 §§ 1 et 3 c), elle doit essentiellement déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable (voir, pour les précédents les plus récents, Dvorski c. Croatie [GC], no 25703/11, § 82, CEDH 2015, Schatschaschwili c. Allemagne [GC], no 9154/10, § 101, CEDH 2015, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 250, CEDH 2016). La Cour commence par rechercher si l’État a donné des motifs pertinents et suffisants pour justifier les moyens qu’il a choisis en vue d’assurer les droits de la défense des prévenus. Dès lors que l’existence de pareils motifs est établie, elle procède à un examen global de l’ensemble de la procédure de manière à déterminer si celle-ci a été équitable dans l’ensemble. En revanche, dès lors que l’existence de pareils motifs n’a pas été établie, la Cour doit évaluer l’équité du procès en opérant un contrôle très strict. L’incapacité du gouvernement défendeur à établir l’existence de motifs pertinents et suffisants pèse lourdement dans la balance lorsqu’il s’agit d’apprécier globalement l’équité du procès et elle peut faire pencher la balance en faveur d’un constat de violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) (pour un raisonnement similaire concernant l’article 6 §§ 1 et 3 d), voir Schatschaschwili, précité, § 113 ; et, concernant l’article 6 §§ 1 et 3 c), Ibrahim et autres, précité, §§ 263-265, et Dvorski, précité, § 82).

6. De plus, la Convention n’existe pas dans le vide. Lorsqu’elle apprécie l’étendue de la marge d’appréciation, la Cour doit tenir compte de l’évolution de la situation dans les États membres et réagir à tout consensus qui se fait jour. Partant, la présence ou l’absence d’un dénominateur commun aux systèmes juridiques des États contractants compte parmi les facteurs susceptibles de déterminer l’étendue de la marge d’appréciation (voir, par exemple, Glor c. Suisse, no 13444/04, § 75, CEDH 2009, et Sitaropoulos et Giakoumopoulos c. Grèce [GC], no 42202/07, § 66, CEDH 2012).

7. Concernant les normes juridiques et les développements du droit international public, la Cour a à de nombreuses reprises rappelé que la Convention ne saurait s’interpréter dans le vide et qu’elle doit tenir compte des règles pertinentes du droit international (Fogarty c. Royaume-Uni [GC], no 37112/97, § 35, CEDH 2001‑XI (extraits), et Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, § 55, CEDH 2001‑XI). En vertu de l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, l’interprétation d’un traité doit se faire en tenant compte non seulement du contexte, mais aussi de « toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties », en particulier de celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme (voir, entre autres, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 169, CEDH 2012, avec les références qui y sont citées). Il s’ensuit que la Convention doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles de droit international, dont elle fait partie intégrante, y compris celles relatives à la protection internationale des droits de l’homme.

8. Il en découle que pour répondre à la question de savoir si, en l’espèce, l’État n’a pas outrepassé sa marge d’appréciation au regard de l’article 6 §§ 1 et 3 c) lorsqu’il a restreint le droit du requérant d’assurer lui-même sa défense en lui imposant l’obligation d’être représenté par un avocat, il y a lieu d’apprécier si les motifs avancés par l’État défendeur étaient pertinents et suffisants et si la procédure pénale a été équitable dans son ensemble. Il faut pour cela tenir dûment compte de la jurisprudence de la Cour, de la pratique des États membres du Conseil de l’Europe et des développements du droit international public.

III. Les critères d’appréciation des moyens choisis par l’État pour assurer les droits de la défense

9. Lorsqu’il s’agit de rechercher si l’État a présenté des motifs pertinents et suffisants pour justifier son choix d’obliger le requérant à se faire représenter par un avocat, la jurisprudence de la Cour recèle des indicateurs qui se révèlent particulièrement utiles. Partant, il y a lieu de déterminer quels sont les critères que la Cour a examinés concernant les moyens choisis par l’État pour assurer les droits de la défense en vertu de l’article 6 §§ 1 et 3 c).

10. L’un de ces critères est le degré de juridiction concerné, pour lequel l’État défendeur a instauré des dispositions définissant comment les droits de la défense doivent être assurés ainsi que le type de questions (de fait et/ou de droit) qui sont soulevées pendant la procédure. La Cour s’est à de multiples occasions penchée sur cette question et a admis que l’exigence que l’auteur d’un pourvoi devant une juridiction de cassation soit représenté par un avocat ne saurait, en soi, être considérée comme contraire à l’article 6 (voir, par exemple, Omerović c. Croatie (no 2), no 22980/09, §§ 38-39, 5 décembre 2013).

11. La gravité de l’infraction en cause et la sévérité de la sentence en jeu (voir, par exemple, Galstyan c. Arménie, no 26986/03, § 91, 15 novembre 2007, et Jemeļjanovs c. Lettonie, no 37364/05, § 89, 6 octobre 2016) ainsi que la complexité de l’affaire ou de la procédure (voir, entre autres, Lagerblom c. Suède, no 26891/95, § 51, 14 janvier 2003, et Jemeļjanovs, précité, § 89) sont aussi à prendre en considération. Plus l’infraction en cause dans la procédure est grave et plus cette procédure est complexe, plus la représentation par un conseil sera préconisée dans l’intérêt de la justice.

12. En outre, la capacité du prévenu à conduire correctement sa propre défense constitue un autre critère valide lorsqu’il s’agit d’établir si l’État a avancé des motifs pertinents et suffisants. La situation personnelle du prévenu (voir, par exemple, McVicar c. Royaume-Uni, no 46311/99, §§ 50‑62 CEDH 2002‑III, and Jemeļjanovs, précité, § 89) et, en particulier, sa vulnérabilité (voir, entre autres, Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 23, série A no 237‑A et Blokhin c. Russie [GC], no 47152/06, §§ 205-210, CEDH 2016) ou sa formation juridique (Melin c. France, 22 juin 1993, §§ 24-25, série A no 261‑A, et McVicar, précité, § 51) peuvent ainsi entrer en ligne de compte lorsque l’on détermine si le prévenu peut ou non être dispensé de se faire représenter par un conseil.

13. De plus, peuvent également entrer dans l’analyse les frais que devra supporter l’accusé du fait des dispositions adoptées par l’État défendeur, en particulier en conséquence de la désignation d’un avocat commis d’office (comparer, par exemple, avec Croissant c. Allemagne, 25 septembre 1992, §§ 35-38, série A no 237‑B, et Lagerblom, précité, § 53).

14. La jurisprudence susmentionnée démontre que la Cour ne détermine pas dans l’abstrait si la mesure pertinente choisie par l’État pour mettre en œuvre les droits de la défense du requérant était conforme à l’article 6 §§ 1 et 3 c), mais qu’elle apprécie les circonstances propres à chaque cas d’espèce en étudiant un large éventail de critères.

IV. La pratique des États membres du Conseil de l’Europe

15. Les travaux de droit comparé montrent que sur les trente-cinq États membres étudiés, trente-et-un font du droit d’assurer sa propre défense un point de référence. Il importe de noter qu’à l’exception de quelques États membres qui autorisent les accusés à conduire eux-mêmes leur défense sans aucune restriction, tous les autres États – qu’ils autorisent en règle générale l’accusé à se défendre lui-même devant les juridictions internes ou le lui interdisent – permettent aux accusés de se défendre personnellement dans certaines circonstances (paragraphes 81 et 83 de l’arrêt).

16. Il y a lieu de s’intéresser tout particulièrement au droit anglais, dans lequel le contentieux en lui-même trouve ses racines. Le droit d’assurer sa propre défense a évolué en prenant la forme d’une proposition combinant le « droit naturel » et la conception égalitaire de l’être humain. Cette conception a inspiré le système juridique américain et s’est ensuite matérialisée dans le sixième amendement de la Constitution avant de trouver son expression devant la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Farreta v California, no 73-5772, 30 juin 1975[1].

17. Il ressort des éléments de droit comparé que les critères pertinents concernant l’imposition de restrictions au droit d’assurer soi-même sa propre défense sont le degré de juridiction concerné, la complexité de l’affaire, la gravité de l’infraction en cause et la capacité du prévenu à assurer lui-même sa défense (paragraphe 82 de l’arrêt). Ces critères se recoupent avec ceux examinés par la Cour dans sa jurisprudence (chapitre III ci-dessus).

18. On peut conclure qu’il existe une tendance manifeste parmi les États membres à autoriser les accusés à assurer eux-mêmes leur défense dans certaines circonstances, le plus souvent dans le cas d’infractions de moindre gravité relevant de la compétence des juridictions inférieures et d’accusés disposant de la pleine capacité de se défendre eux-mêmes. Il y a lieu de tenir compte de cette tendance manifeste lorsque l’on apprécie l’étendue de la marge d’appréciation. De son côté, l’arrêt indique qu’il y a peut-être une tendance parmi les États étudiés à reconnaître le droit pour un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat, mais sans qu’un consensus ne se dégage sur ce point, et que les normes adoptées par les États membres ainsi que les développements du droit international ne sont pas déterminants, car sinon, la marge d’appréciation se trouverait excessivement réduite (paragraphe 137 de l’arrêt). Cela conduit la majorité à conclure que la marge d’appréciation en l’espèce ne peut s’apprécier que sur la base de la « jurisprudence bien établie de la Cour » et que les autres développements pertinents ne peuvent pas être pris en considération s’ils réduisent de manière excessive la marge d’appréciation. Nous ne percevons pas ce qui pourrait justifier pareille approche.

V. Les développements du droit international

A. Le droit pénal international

19. Le paragraphe 73 de l’arrêt note que le Statut de la Cour pénale internationale (CPI) comme le Statut du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) prévoient le droit pour un accusé de se défendre lui-même et qu’un certain nombre d’accusés, devant le TPIY en particulier, se sont prévalus de ce droit.

20. Ainsi, dans le domaine spécialisé du droit international public, le point de départ est le même que dans la majorité absolue des États membres étudiés : c’est le droit de se défendre soi-même sans l’assistance d’un avocat. Si ce point mérite d’être pris en compte, le développement le plus important est toutefois intervenu dans le domaine du droit international des droits de l’homme et il appelle une attention toute particulière.

B. Le droit international des droits de l’homme

21. L’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte) garantit le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et le droit à un procès équitable. En particulier, l’article 14 § 3 d) de Pacte est ainsi libellé dans ses parties pertinentes :

« 3. Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes :

(...)

d) A être présente au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur de son choix (...). »

Le droit de se défendre soi-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix est énoncé dans des termes identiques à ceux utilisés par l’article 6 § 3 c) de la Convention.

22. Dans sa dernière observation générale en date sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, le Comité des droits de l’homme (CDH), qui contrôle la mise en œuvre du Pacte, a dit :

« 36. L’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14 comporte trois garanties distinctes. Premièrement, cette disposition exige que l’accusé ait le droit d’être présent à son procès (...)

37. Deuxièmement, le droit de toute personne accusée d’un crime de se défendre elle-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, et d’être informée de ce droit, comme prévu à l’alinéa d du paragraphe 3 de l’article 14, fait référence à deux types de défense qui ne sont pas incompatibles. Les personnes qui se font aider par un avocat ont le droit de donner des instructions à celui-ci sur la conduite de la défense, dans les limites de la responsabilité professionnelle, et de témoigner en leur nom propre. En même temps, le texte du Pacte est clair dans toutes les langues officielles, puisqu’il dispose que l’accusé peut se défendre lui-même « ou » avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, ce qui lui laisse la possibilité de refuser l’assistance d’un conseil. Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est cependant pas absolu. L’intérêt de la justice peut, dans certaines circonstances, nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé, en particulier si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer ou les manœuvres d’intimidation qu’il pourrait exercer contre eux en les interrogeant lui-même. Cependant, les restrictions du droit de l’accusé d’assurer sa propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice. Par conséquent, la législation interne devrait éviter d’exclure purement et simplement le droit d’assurer sa propre défense dans une procédure pénale, sans l’assistance d’un conseil. »

23. Le paragraphe 37 de cette observation générale repose sur le raisonnement avancé par le CDH dans l’affaire correspondant à la communication no 1123/2002 introduite par M. Correia de Matos contre le Portugal devant le CDH (paragraphes 63-67 de l’arrêt). Dans sa décision, le CHD a souligné que le texte du Pacte prévoyait clairement que l’accusé pouvait assurer sa propre défense ou se faire défendre par un défenseur de son choix, prenant comme point de départ le droit de se défendre soi-même. À cet égard, il a dit que le droit d’assurer sa propre défense, qui constituait une pierre angulaire de la justice, pouvait être enfreint lorsqu’un avocat était commis d’office à l’accusé, alors que ce dernier n’en voulait pas. Le CDH a néanmoins considéré que le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’était pas absolu et que l’intérêt de la justice pouvait nécessiter la commission d’office d’un avocat, contre le gré de l’accusé. Il a estimé toutefois que toute restriction au souhait de l’accusé d’assurer sa propre défense devait avoir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au-delà de ce qui était nécessaire pour préserver les intérêts de la justice. Le CDH a mentionné des exemples particulier de cas où l’intérêt de la justice pouvait dicter de désigner un avocat commis d’office contre le gré de l’accusé : lorsque l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou, s’il s’agit de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer en les interrogeant lui-même. En l’occurrence, le CDH a conclu que le Portugal n’avait pas avancé de raisons objectives et suffisamment importantes pour expliquer en quoi, dans cette affaire relativement simple, l’absence d’avocat commis d’office aurait porté atteinte à l’intérêt de la justice.

24. Avant la communication no 1123/2002, la jurisprudence du CDH relative à l’article 14 § 3 d) concernait principalement des griefs résultant de situations dans lesquelles l’accusé se voyait refuser le droit d’être représenté par un avocat de son choix, ne se voyait pas désigner d’avocat du tout ou bien ne recevait pas une assistance juridique adéquate de la part de l’avocat qui lui avait été assigné[2].

25. Après la communication no 1123/2002, dans ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Portugal adoptées le 23 novembre 2012 (paragraphes 70-71 de l’arrêt), le CDH a noté avec préoccupation que les particuliers n’avaient pas le droit d’assurer eux‑mêmes leur défense dans une procédure pénale puisque le ministère d’un avocat était obligatoire. Le CDH a répété les principes établis dans la communication no 1123/2002 et dit que le Portugal devait donner suite à la recommandation faite par le Comité dans ses constatations concernant la communication no 1123/2002, rendre la règle en vigueur moins rigide, et étudier la possibilité d’assurer de façon obligatoire le service d’un conseil auxiliaire pour les personnes qui assuraient elles-mêmes leur défense.

26. Ainsi, il existe en vertu de l’article 14 § 3 d) du Pacte une norme établie concernant le droit d’assurer soi-même sa défense qui va à l’évidence plus loin que celle qui est établie en vertu de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Si la majorité a reconnu que la Convention devrait autant que possible s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international dont elle fait partie, y compris celles concernant la protection internationale des droits de l’homme (paragraphe 134 de l’arrêt), la norme instaurée par le Pacte n’a pas été prise en compte dans l’interprétation de l’étendue des droits résultant de l’article 6 § 3 c) de la Convention au motif que si cela avait été le cas, la liberté des États membres quant au choix des moyens et la marge appréciation qui leur est laissée dans l’exercice de ce choix s’en seraient trouvées réduites de manière excessive (paragraphe 137 de l’arrêt).

VI. Application de ces principes au cas d’espèce

A. Motifs pertinents et suffisants

27. La Cour n’a point pour tâche de contrôler dans l’abstrait la législation pertinente. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le cas dont elle est saisie (Schatschaschwili, précité, § 109) et rechercher si la manière dont le droit et la pratique pertinents ont touché le requérant a enfreint la Convention (N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 56, CEDH 2002‑X). Partant, pour apprécier si les motifs invoqués ont été pertinents et suffisants, il est nécessaire d’examiner les décisions des juridictions nationales qui ont refusé au requérant l’autorisation de se défendre lui-même.

28. Les juridictions internes ont observé que le droit portugais de la procédure pénale imposait au requérant l’obligation de se faire représenter par un défenseur devant le juge d’instruction et pendant son procès. Elles ont précisé que ce droit n’avait pas été conçu à cet égard pour limiter l’action de la défense, mais pour protéger le prévenu en lui garantissant une défense effective. Elles ont considéré que la défense de l’accusé dans une procédure pénale servait l’intérêt public et que le droit à être défendu par un avocat ne pouvait faire l’objet d’une renonciation. Elles ont ajouté que les dispositions pertinentes du code de procédure pénale reflétaient le postulat selon lequel l’accusé était mieux défendu si sa défense était assurée par un professionnel du droit formé à la fonction d’avocat, qui n’était pas encombré par la charge émotionnelle pesant sur un accusé et pouvait donc assurer une défense lucide, dépassionnée et effective (paragraphes 15, 22 et 53 de l’arrêt).

29. Les motifs susmentionnés avancés par les juridictions nationales visaient à assurer une bonne administration de la justice et un procès équitable pour le requérant. On peut en conclure que ces motifs étaient pertinents.

30. Il convient dès lors d’établir si ces motifs étaient suffisants. Pour commencer, il y a lieu de noter que la procédure par laquelle le requérant a été accusé d’outrage à magistrat portait sur une infraction relativement mineure, que la sanction dans ce cas particulier n’était pas lourde et que la procédure ne semblait pas présenter de complexité factuelle ou juridique particulière. Néanmoins, le requérant, qui était lui-même avocat de profession, s’est vu contre son gré attribuer un avocat commis d’office.

31. La Cour a examiné tous les critères susmentionnés lorsqu’elle a été appelée à apprécier la conformité avec les droits de la défense tels que prévus à l’article 6 §§ 1 et 3 c) (chapitre III ci-dessus). Néanmoins, aucun de ces critères n’a été examiné par les juridictions internes dans l’affaire du requérant. Cela n’a du reste rien de surprenant puisque le droit interne n’habilitait pas les tribunaux à procéder à pareil examen.

32. En droit pénal portugais, en principe, toutes les infractions, même mineures, sont passibles d’une peine privative de liberté. Qui plus est, eu égard à la jurisprudence portugaise (paragraphes 37 et 57 de l’arrêt), la représentation par un avocat est obligatoire à tous les stades cruciaux de la procédure pénale, y compris pendant l’instruction (paragraphe 144 de l’arrêt). Cela signifie que de facto, les dispositions du code de procédure pénale telles qu’appliquées par les juridictions portugaises emportent une interdiction absolue d’assurer sa propre défense. À cet égard, le Portugal est celui des États membres étudiés qui est doté de la législation la plus restrictive (paragraphe 15 ci-dessus).

33. Il est vrai que le code de procédure pénale accordait au requérant plusieurs possibilités de participer activement à la procédure aux côtés de son avocate (paragraphes 156-157 de l’arrêt). Il est toutefois également vrai que tous les actes procéduraux essentiels, comme l’interrogation des témoins, la formulation des questions à poser aux experts, les plaidoiries orales et la formation des recours, étaient réservés au défenseur (paragraphes 33, 46-48 de l’arrêt). Conformément à la jurisprudence constante de la Cour suprême, le requérant ne pouvait que présenter des observations, des déclarations et des demandes ne soulevant pas de questions de droit (paragraphe 57 de l’arrêt) et il ne pouvait donc pas aborder tout seul des questions de droit (comparer avec le paragraphe 156 de l’arrêt)[3].

34. En pareilles circonstances, le requérant ne disposait que d’un volant de manœuvre limité pour assurer sa propre défense, laquelle dépendait du bon vouloir de son avocate, comme en témoigne le fait que celle-ci n’a pas signé, en particulier, la demande de recours constitutionnel rédigée par le requérant, qui a par conséquent été rejetée (paragraphe 164 de l’arrêt).

35. Le postulat qui a présidé aux décisions rendues par les juridictions internes est qu’un avocat, même s’il est désigné contre le gré de l’accusé, assurera toujours une meilleure défense que l’accusé lui-même, y compris si celui-ci est aussi avocat. Nous ne pouvons pas admettre un postulat aussi abstrait qui ne laisse aucune marge qui permettrait de l’apprécier en fonction des circonstances de l’espèce. S’il est accepté sans recevoir la moindre critique de la part de la Cour, pareil postulat peut même se révéler dangereux dans le contexte plus large de situations dans lesquelles, par exemple, la commission d’office d’un défenseur peut s’inscrire dans des limitations du droit à la liberté et à un procès équitable prévu par les articles 5 et 6 qui seraient imposées par les autorités à des fins autres que celles reconnues par la Convention, en violation de l’article 18.

36. Étant donné que des facteurs tels que la complexité de l’affaire, le degré de juridiction concerné, la formation du requérant, la gravité de l’infraction et la sévérité de la peine, qui étaient tous pertinents en l’espèce, n’ont pas été examinés, les motifs avancés par les juridictions nationales, qui reposaient sur des dispositions légales ne laissant aucune place à l’individualisation, ne sauraient être considérés comme suffisants.

B. L’équité globale du procès

37. Il y a lieu de rappeler que si un État ne fournit pas de motifs suffisants, ce manquement pèse lourdement dans la balance au moment où l’on apprécie l’équité globale du procès (paragraphe 5 ci-dessus). Qui plus est, dans ce cas particulier, la marge d’appréciation est limitée, comme l’ont notamment démontré la pratique de certains États membres ainsi que les évolutions du droit international des droits de l’homme. C’est dans ce cadre qu’il convient d’apprécier l’équité globale du procès.

38. Après qu’on lui a refusé l’autorisation de se défendre lui-même, le requérant n’a pas assisté à la procédure devant le juge d’instruction ni à son procès. Il avait expressément demandé à ne pas être défendu par l’avocate que le tribunal avait commise d’office, qu’il considérait comme inexpérimentée et dont il devait rémunérer les services. De plus, le requérant n’entretenait pas de relation de confiance avec l’avocate qui lui avait été désignée et ne communiquait pas avec elle. Or une relation de confiance entre l’accusé et son défenseur est indispensable à une défense effective. Lorsque la relation de confiance est rompue, la défense peut se trouver compromise et une représentation obligatoire échouera alors à servir les intérêts de la justice.

39. En l’espèce, vu l’absence de toute communication avec le requérant concernant les charges qui pesaient contre lui, la capacité de l’avocate à exposer tous les arguments devant les juridictions nationales s’est trouvée limitée, de même que la possibilité pour elle de conduire une défense effective. L’avocate n’a pas signé les demandes de recours introduites par le requérant (qui avait une formation juridique) contre sa condamnation par le tribunal de première instance et devant la Cour constitutionnelle (paragraphes 15 et 16 de l’arrêt).

40. Le fait que le requérant ne fût pas présent aux audiences devant le juge d’instruction et pendant son procès ne peut pas être retenu contre lui. Cette situation résulte de la législation portugaise et de son application par les juridictions nationales, qui ont donné lieu à la désignation obligatoire, contre le gré du requérant, d’un défenseur avec lequel l’intéressé n’entretenait pas de relation de confiance mais qui était le seul habilité à le défendre sur le fond.

41. En conséquence du refus d’autoriser le requérant à se défendre lui‑même, la défense dans le cadre de la procédure pénale dirigée contre lui n’a pas été menée de manière appropriée. L’État n’ayant pas avancé de motifs suffisants et la marge d’appréciation étant limitée dans ce domaine, on ne saurait considérer que le procès a été globalement équitable.

VII. Conclusion

42. Les décisions litigieuses prises par les juridictions nationales ont donc outrepassé la marge d’appréciation qui est laissée aux États dans le choix des mesures propres à garantir les droits des requérants. Partant, il y a eu violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

43. Nous estimons important de rappeler que la Convention n’existe pas dans le vide. La Convention autorise une approche intégrée des droits de l’homme qui soit fondée sur les actes librement consentis d’États ayant ratifié des traités incluant des dispositions comparables, et qui tienne également compte du contexte institutionnel ainsi que de la nécessité de se conformer à toutes les normes internationales. Il existe une présomption d’intégrité normative dans le droit international des droits de l’homme, qui se reflète dans une certaine mesure dans l’engagement commun à l’égard de la Déclaration universelle des droits de l’homme (voir le préambule de la Convention). Par conséquent, il y a lieu de faire un effort afin de veiller à l’harmonie dans l’application des normes relatives aux droits de l’homme. Ce constat est d’autant plus valide en l’espèce que le contenu normatif de la règle qui est contraignante pour le même et unique sujet de droit international est libellé en des termes identiques dans différents instruments internationaux.

44. Le principe de la subsidiarité et la marge appréciation constituent des outils de travail importants pour la Cour, mais ne sont pas en soi des mesures. Ils ne sont pas non plus statiques. La marge d’appréciation en particulier, qui est une notion qui s’est développée dans le contexte régional européen, doit être ouverte aux nouvelles évolutions pertinentes et en tenir compte.

45. Nous convenons que les circonstances particulières de l’espèce se prêtent à plusieurs interprétations différentes qui peuvent même conduire à des conclusions différentes concernant la violation ou non de la Convention. Mais nous ne pouvons pas accepter que la Cour limite son appréciation à la jurisprudence qu’elle a elle-même développée dans le passé. On peut déplorer qu’en l’espèce cette approche n’ait pas contribué à l’harmonisation du droit international des droits de l’homme sur la base de droits qui sont formulés en des termes identiques dans la Convention et dans le Pacte.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE SAJÓ

(Traduction)

Table des matières

I. Introduction (§§ 1-3)

Première partie – L’approche pro auctoritate de la majorité dans la présente affaire (§§ 4-54)

II. Une marge d’appréciation dépourvue de fondement (§§ 4-12)

A. L’argument de l’autorité la « mieux placée » (§§ 4-9)

B. Une Cour qui s’autolimite (§§ 10-12)

III. Les facteurs qui délimitent la marge d’appréciation (§§ 13-32)

A. La dénaturation du consensus européen (§§ 13-20)

B. La fragmentation du droit international (§§ 21-32)

IV. La perversion de la marge d’appréciation (§§ 33-54)

A. L’examen de l’interdiction générale (§§ 33-45)

B. L’examen de la décision prise en l’espèce (§§ 46-54)

Seconde partie – Une approche pro persona de l’affaire (§§ 55-80)

V. La jurisprudence pertinente de la Cour (§§ 55-61)

A. L’héritage incertain de Croissant (§§ 55-59)

B. Le critère de la nécessité « dans l’intérêt de la justice » (§§ 60-61)

VI. Un droit autonome au regard de la Convention (§§ 62-67)

A. L’interprétation littérale (§§ 62-64)

B. L’interprétation téléologique (§§ 65-67)

VII. Un droit non absolu au regard de la Convention (§§ 68-80)

A. L’interprétation systématique (§§ 68-76)

B. L’application des normes de la Convention en l’espèce (§§ 77-80)

VIII. Conclusion (§§ 81-82)

I. Introduction (§§ 1-3)

1. Je ne puis me rallier à la majorité car je considère que l’État défendeur a porté atteinte au droit du requérant d’assurer lui-même sa défense, tel que garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »). La présente opinion dissidente se divise en deux parties.

2. Dans la première partie, j’analyserai le raisonnement de la majorité, en accordant une attention particulière à la confiance excessive qu’elle place dans la doctrine de la marge d’appréciation. Même dans l’hypothèse où une certaine marge de manœuvre aurait dû être accordée à l’État en l’espèce, les critères que la majorité affirme avoir pris en considération pour en définir l’étendue (droit international et consensus européen) auraient dû l’amener à conclure que cette marge d’appréciation était extrêmement limitée. La dernière partie de ma critique portera sur les effets de la marge d’appréciation dans le présent arrêt, sur les graves erreurs de fait qui entachent les conclusions auxquelles il aboutit et sur l’insuffisance des critères appliqués à l’examen des motifs invoqués pour justifier l’interdiction générale prévue en droit portugais et les décisions concrètes d’interdiction adoptées en l’espèce.

3. Dans la deuxième partie, j’esquisserai les contours du droit de se défendre soi-même dans une procédure pénale au regard de la Convention. J’analyserai d’abord la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme (« la Cour ») en la matière, avant d’indiquer en quoi ce droit est autonome et non absolu au regard de la Convention, pour des raisons littérales, téléologiques et systématiques. À ce stade, des éléments de procédure pénale comparée, de droit pénal international et de droit international des droits de l’homme seront étudiés pour conclure que le droit d’assurer soi-même sa défense ne peut être restreint que lorsque des motifs appropriés et suffisants le justifient. J’appliquerai enfin ce critère au présent cas d’espèce.

Première partie – L’approche pro auctoritate de la majorité dans la présente affaire (§§ 4-54)

II. Une marge d’appréciation dépourvue de fondement (§§ 4-12)

A. L’argument de l’autorité la « mieux placée » (§§ 4-9)

4. La majorité consacre une bonne partie de ses efforts d’argumentation à essayer de démontrer que l’État défendeur jouit d’une marge d’appréciation dans la conception de son système procédural et que la disposition litigieuse[4] ne l’a pas outrepassée. Ce raisonnement me semble insuffisant. La majorité accorde à l’État une marge d’appréciation pour des motifs inconsistants, sans en définir l’étendue ni apprécier les raisons sous‑jacentes à la restriction apportée au droit de se défendre soi-même. J’aborderai ces trois points successivement.

5. Une marge d’appréciation ne peut être reconnue que s’il existe une raison sérieuse de le faire, une raison qui laisse penser à la Cour que l’appréciation des autorités nationales sera meilleure que la sienne. Or la seule justification que la majorité apporte à la marge d’appréciation qu’elle accorde à l’État en l’espèce est la suivante :

« La décision d’autoriser un accusé à se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat ou de désigner un avocat pour le représenter relève de la marge d’appréciation des États contractants, qui sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense. »[5]

Même si la majorité cite deux décisions antérieures de la Cour concernant le droit d’assurer soi-même sa défense[6], son assertion reste insuffisante pour parvenir pleinement aux effets souhaités.

6. La Cour a dit à plusieurs reprises que les autorités nationales peuvent être « mieux placées » que la Cour pour se prononcer sur certains éléments de fait ou de droit (ou « plus à même » de le faire). Dès l’arrêt Handyside, concernant les restrictions apportées à la liberté d’expression par les lois contre l’obscénité, la Cour était parvenue à cette fameuse conclusion :

« Grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur le contenu précis [des] exigences [de la morale] comme sur la « nécessité » d’une « restriction » ou « sanction » destinée à y répondre. »[7]

7. Cette phrase est depuis lors devenue omniprésente et elle est parfois employée en vue de la reconnaissance d’une marge d’appréciation. Elle ne doit toutefois pas être considérée comme une carte blanche laissée aux autorités nationales qui reviendrait à entériner toute politique ou décision que celles-ci pourraient adopter. Il suffit, en effet, d’un tour d’horizon de l’emploi de cette phrase dans l’histoire de la Cour pour s’apercevoir que lorsqu’elle estime que les autorités nationales sont « mieux placées » qu’elle, la Cour explique généralement pourquoi. Le fait qu’en l’espèce la majorité se soit abstenue de toute explication de ce type laisse penser que rien ne justifiait de recourir à la marge d’appréciation dans cet arrêt. Un examen approfondi de la jurisprudence le démontrera.

8. La plupart des affaires dans lesquelles la Cour a jugé que les autorités nationales étaient « mieux placées » pour apprécier certains éléments portent sur de vastes questions politiques. Selon la formule habituelle de la Cour, « grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays », les autorités nationales « se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour se prononcer sur la situation et les besoins locaux » lorsqu’il s’agit de l’un des quatre domaines suivants : les questions d’ordre moral, éthique et religieux (a) ; le recours à la force publique et à d’autres mesures punitives ou préventives (b) ; les ressources et dépenses publiques (c) ; et l’organisation sociale en matière de biens, d’environnement et d’immigration (d). Les questions spécifiques relevant des quatre domaines susmentionnés peuvent être regroupées comme suit :

a) les « exigences de la morale », les « questions morales ou éthiques délicates » ou les « questions de société sur lesquelles de profondes divergences d’opinions peuvent raisonnablement régner dans un État démocratique », telles que l’obscénité[8], le blasphème[9], l’adoption par des homosexuels[10], la langue nationale[11], « les questions sur les rapports entre l’État et les religions » (par exemple le port du voile ou de symboles religieux dans les lieux publics)[12], le mariage[13], la chasse[14], l’avortement[15], la reproduction assistée[16] et l’inceste[17] ;

b) la responsabilité envers « la vie de la nation », en particulier les choix face à une menace de danger public[18], les « questions et choix complexes de stratégie sociale », tels que les choix concernant le droit pénal et pénitentiaire[19], la procédure pénale[20], et les autres mesures punitives ou préventives pour répondre aux « difficultés qu’impliquent l’établissement et la sauvegarde de l’ordre démocratique »[21] ;

c) « les politiques économiques et sociales » telles que le logement social[22], le bail spécialement protégé[23], les soins[24], les pensions et les prestations d’assurance sociale[25], la politique fiscale[26], les « lois pour établir l’équilibre entre les dépenses et les recettes de l’État » (dites « mesures d’austérité »)[27] et, de manière générale, les « priorités [à fixer] pour ce qui est de l’affectation des ressources limitées de l’État »[28] ;

d) « les questions de politique générale » telles que les « mesures impliquant des privations et restitutions de biens »[29] et les « mesures applicables dans le domaine de l’exercice du droit de propriété »[30], le contrôle du logement[31], l’urbanisme et l’aménagement du territoire[32], l’accessibilité des bâtiments publics aux personnes handicapées[33], les questions en matière d’environnement[34] et d’immigration[35].

9. Les autorités nationales ont aussi été jugées « mieux placées » que la Cour, voire « les mieux placées », pour apprécier des éléments de preuve[36] (concernant par exemple l’état de santé d’un requérant)[37] et pour interpréter le droit interne[38], le droit conventionnel en général[39] et le droit de l’Union européenne en particulier[40], un contrat privé[41] ou un testament[42]. Par extension, la même présomption en faveur des autorités nationales s’applique lorsque celles-ci sont amenées à se prononcer sur des éléments de fait et de droit interne étroitement liés pour déterminer, par exemple, si tel ou tel magistrat est à même d’examiner une affaire donnée[43], s’il est nécessaire d’agir face à un député dont le comportement perturberait le bon ordre des débats parlementaires[44], si un hébergement de remplacement est adapté[45], si la non-divulgation d’éléments couverts par une immunité d’intérêt public porterait préjudice au requérant[46], s’il est nécessaire de prolonger la garde à vue d’une requérante[47], ou pour apprécier la conformité de l’exécution de décisions de justice[48], l’« indemnisation adéquate » en cas d’expropriation ou d’autres préjudices[49], la « réponse appropriée » à des propos diffamatoires[50], l’intérêt supérieur de l’enfant[51] ou les mesures adaptées au maintien des liens familiaux[52].

B. Une Cour qui s’autolimite (§§ 10-12)

10. Au vu de ce qui vient d’être exposé, il ne fait aucun doute qu’il n’existe, dans le monde démocratique, aucune autre juridiction en matière de droits fondamentaux avec une telle retenue dans l’exercice de la compétence-compétence (Kompetenz-Kompetenz). Nous l’avons vu ci‑dessus, la Cour ne se sent pas à l’aise lorsqu’elle doit statuer sur d’importants domaines de la vie sociale. L’argument selon lequel les autorités nationales seraient « mieux placées » a été fondé sur leur « contact avec les forces vives du pays », mais également sur un élément aussi politique que la « légitimité démocratique directe »[53], aussi pratique que la connaissance de la langue nationale[54], ou aussi philosophique que « la force des choses »[55]. Il ne s’agit pas ici d’analyser les raisons de cette déférence qui sous-tend l’approche minimaliste que la Cour applique à son pouvoir juridictionnel, comme si l’importance de la juridiction internationale et du droit international était moindre que celle de leurs homologues internes.

11. Aux fins de la présente espèce, il suffit d’identifier les origines de cette jurisprudence, sa relation intime avec la doctrine de la marge d’appréciation et son impact pratique sur la limitation des fonctions judiciaires essentielles de la Cour et, par conséquent, sur la mission qui lui est assignée par la Convention, « d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (...) Convention et de ses Protocoles »[56]. Cette approche peut en particulier être observée dans des affaires où il s’agissait de « mettre en balance » des intérêts privés en conflit[57], des intérêts privés et publics opposés[58] ou des intérêts publics concurrents[59]. En pareilles circonstances, la Cour observe généralement que les autorités nationales sont mieux placées que le juge international pour apprécier l’existence d’un « besoin social impérieux »[60] qui justifierait les restrictions, voire les dérogations apportées aux droits fondamentaux[61]. Dans sa présentation de l’affaire, la Cour, ostensiblement pragmatique et volontairement minimaliste, n’annonce même pas qu’elle pourrait, à la façon de Salomon, partager le bébé en deux. Dès le départ, elle voue la cause du requérant à l’échec en souscrivant a priori à la position des autorités nationales ou, tout au moins, en en présumant la rationalité (absence d’arbitraire), voire la proportionnalité[62].

12. Cela étant, le cas d’espèce ne relève d’aucune des situations qui permettraient de juger les autorités nationales mieux placées que la Cour en l’espèce et la majorité ne démontre ni même n’argumente en quoi ces dernières étaient plus à même de se prononcer sur la question. Affirmer en style télégraphique au paragraphe 123 de l’arrêt que les États contractants « sont mieux placés que la Cour pour choisir les moyens propres à permettre à leur système judiciaire de garantir les droits de la défense » transforme en postulat ce qui reste à démontrer, à savoir que les autorités auraient choisi les moyens « appropriés » de garantir les droits de la défense. Ce raisonnement circulaire pro auctoritate reflète la perspective générale à partir de laquelle le cas d’espèce a été abordé. Une fois encore, la maxime de l’expérience se révèle exacte : une cour des droits de l’homme qui s’autolimite tend à devenir une juridiction pro auctoritate[63]. Le risque évident qui en découle est que cette retenue judiciaire dans le domaine des droits fondamentaux puisse aisément se transformer en un agnosticisme sur le plan des principes et des valeurs, en une indulgence politique et, enfin, en un abandon de toute responsabilité judiciaire.

III. Les facteurs qui délimitent la marge d’appréciation (§§ 13-32)

A. La dénaturation du consensus européen (§§ 13-20)

13. Avant de s’aventurer sur le terrain des « limites de la marge d’appréciation », la majorité ouvre la voie à son analyse en affirmant :

« [a]u niveau du législateur, les normes et évolutions juridiques au sein d’autres États membres du Conseil de l’Europe, ainsi que du droit de l’Union européenne et du droit international plus généralement peuvent jouer un certain rôle »[64].

Il semblerait donc que, selon la majorité, le consensus européen et le droit international en la matière devraient servir de guide pour définir les « limites » applicables à la marge d’appréciation. L’analyse suivante conclut cependant :

« En résumé, la Cour estime que les normes adoptées par d’autres Parties contractantes à la Convention et l’évolution internationale (exposées ci-dessus) doivent être prises en considération (...) Toutefois, (...), ces normes ne sont pas déterminantes. »[65]

14. Ce caractère « non déterminant » est troublant : comme cela sera démontré ci-dessous, tant le consensus européen que les évolutions du droit international des droits de l’homme vont dans une direction opposée aux conclusions de la majorité. Si aucun de ces facteurs n’est en fait « déterminant » pour définir les « limites » de la marge d’appréciation, nous en venons à nous demander ce qui peut l’être. Pour ajouter à l’obscurité de son raisonnement, la majorité ne donne au lecteur aucune indication quant à l’ampleur de la marge d’appréciation qu’elle accorde à l’État défendeur.

15. Elle commence par annoncer qu’il convient de « tenir compte » de la manière dont les États membres ont abordé la question litigieuse[66], avant d’affirmer avoir décelé une « tendance à permettre de façon plus individualisée à l’accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat »[67]. Mais elle s’abstient explicitement de qualifier cette « tendance » de « consensus » :

« s’il semble se dégager parmi les Parties contractantes à la Convention une tendance à reconnaître le droit pour un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat inscrit au barreau, il n’y a pas en la matière de consensus à proprement parler ; même entre les législations nationales qui ont prévu un tel droit, le moment et les circonstances où il entre en jeu varient considérablement »[68].

Cette assertion est incorrecte tant du point de vue descriptif que normatif.

16. Il suffit tout d’abord d’examiner le droit des États membres tel qu’il est exposé par la majorité pour comprendre combien cette « tendance » est importante et pour se demander s’il ne serait pas plus approprié de parler de consensus. Sur les trente-cinq États étudiés par la Cour, trente et un[69] ont posé comme règle générale le droit pour un accusé d’assurer sa propre défense. Même s’ils prescrivent en principe l’assistance obligatoire d’un défenseur, les quatre États restants prévoient de notables exceptions. L’Espagne et l’Italie autorisent les accusés à assurer leur propre défense dans les procédures pénales relatives à des infractions mineures. À Saint‑Marin, l’accusé peut interjeter lui-même appel. En Norvège, enfin, les juges peuvent procéder à un « examen global » pour autoriser un accusé à renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat[70].

17. S’il est vrai que les pratiques internes dans ces États « varient considérablement », un aspect demeure constant : aucun des trente-cinq États-membres étudiés n’impose d’interdiction générale comme le fait le Portugal. La question de savoir si cela suffit pour parler de consensus ou s’il faudrait également examiner la pratique des onze autres États membres est anecdotique. Le fait est que cela indique clairement que l’interdiction absolue du Portugal est une anomalie au sein du Conseil de l’Europe.

18. Parler de « tendance » plutôt que de « consensus » et espérer ainsi effacer les effets d’une vaste convergence au sein des pays du Conseil de l’Europe frôle le vœu pieux. L’absence d’unanimité n’empêche pas de reconnaître des conséquences normatives à une convergence transnationale globale ; qualifier ou non ce phénomène de « consensus » n’a jamais été primordial dans l’histoire de la Cour. Sur un sujet aussi controversé que la reconnaissance juridique de l’identité sexuelle perçue, la Grande Chambre a renversé sa jurisprudence face à « une tendance internationale continue (...) vers la reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels opérés »[71]. Il convient de souligner que sur cette question, la Cour a observé que « des trente-sept pays étudiés, quatre seulement (parmi lesquels le Royaume-Uni) n’autorisaient pas la modification de l’acte de naissance d’une manière ou d’une autre »[72]. Ces chiffres sont presque identiques en l’espèce mais ils ont pourtant abouti à des conclusions totalement différentes. On en vient à se demander pourquoi le Portugal est traité différemment du Royaume-Uni[73].

19. Dans l’arrêt Bayatyan c. Arménie, la Cour note de manière encore plus éloquente :

« la quasi-totalité des États membres du Conseil de l’Europe qui ont connu ou connaissent encore un service militaire obligatoire ont mis en place des formes de service de remplacement afin d’offrir une solution en cas de conflit entre la conscience individuelle et les obligations militaires. Dès lors, un État qui n’a pas encore pris de mesure en ce sens ne dispose que d’une marge d’appréciation limitée et doit présenter des raisons convaincantes et impérieuses pour justifier quelque ingérence que ce soit. En particulier, il doit faire la preuve que l’ingérence répond à un « besoin social impérieux » »[74].

Dans une autre affaire encore, la Cour a notamment observé :

« ces initiatives législatives pour supprimer entièrement l’usage des accords de monopole syndical au Danemark reflètent la tendance qui se dessine dans les États contractants »[75].

Il s’agit de l’un des facteurs principaux qui l’ont amenée à conclure :

« après avoir pesé l’ensemble des circonstances et des intérêts concurrents en présence, la Cour estime que l’État défendeur a manqué à protéger le droit syndical négatif des requérants »[76].

20. En conclusion, l’interdiction absolue de se défendre soi-même imposée par le Portugal représente une anomalie parmi les trente-six pays que la Cour a étudiés. Je n’hésiterais pas à parler de consensus mais cette terminologie est sans importance. Dans des affaires similaires, la Cour a toujours qualifié pareils phénomènes tout au moins de « tendance » significative ayant des conséquences normatives. En outre, le droit d’assurer soi-même sa défense ne semble pas susceptible de « susciter de délicates interrogations d’ordre moral et éthique » ni s’inscrire « dans un contexte d’évolution rapide de la science », circonstances qui auraient pu justifier que la Cour se montre prudente dans l’extension du consensus aux États récalcitrants[77]. En pareils cas, un soutien démocratique fort en faveur d’une solution contraire à une tendance européenne a pu être invoqué pour justifier qu’une ample marge d’appréciation puisse être accordée au pays[78]. Nul n’a toutefois prétendu que le cas d’espèce relèverait de l’une de ces hypothèses, ni que les avocats portugais présenteraient des particularités quant aux besoins de représentation en justice.

B. La fragmentation du droit international (§§ 21-32)

21. L’autre facteur que la majorité affirme prendre en considération est celui de « l’évolution du droit international »[79]. Elle observe :

« en interprétant les dispositions de la Convention [la Cour] a à plusieurs reprises tenu compte de constatations adoptées par le CDH [Comité des droits de l’homme des Nations unies] et de l’interprétation faite par celui-ci des dispositions du PIDCP [Pacte international relatif aux droits civils et politiques] ».

Elle nous dit par ailleurs :

« La Convention, y compris son article 6, ne peut s’interpréter dans le vide mais doit autant que faire se peut s’interpréter de manière à se concilier avec les autres règles du droit international concernant la protection internationale des droits de l’homme. »[80]

La majorité cite ainsi d’importants exemples de convergence effective entre la jurisprudence de la Cour et le droit international des droits de l’homme, qui ont même amené la Cour à s’écarter de sa jurisprudence antérieure[81]. Mais elle ne témoigne en réalité que d’un attachement de pure forme à son prétendu engagement en faveur de la concorde en droit international.

22. Aussi importantes que ces citations puissent être sur le plan des déclarations de principe, elles sont vides si elles ne s’accompagnent pas d’une cohérence effective avec la solution avancée par les autres organes de protection des droits de l’homme tels que le CDH, ou d’une forte motivation justifiant la décision de la Cour de ne pas se joindre à ses collègues au niveau international. Malheureusement, la majorité ne mentionne l’Observation générale no 32 du CDH[82] que pour expliquer qu’il est impossible de l’appliquer en l’espèce, sans toutefois le justifier de manière suffisante. Il est révélateur que ladite observation générale reprenne les constatations du CDH dans une affaire dont il avait été saisi par le même requérant que celui du cas d’espèce, après que la requête de ce dernier devant la Cour avait été déclarée irrecevable[83].

23. Rappelons ce que le CDH a affirmé :

« [L]e texte [de l’article 14 § 3 d)] du Pacte est clair dans toutes les langues officielles, puisqu’il dispose que l’accusé peut se défendre lui-même « ou » avoir l’assistance d’un défenseur de son choix, ce qui lui laisse la possibilité de refuser l’assistance d’un conseil. Le droit d’assurer sa propre défense sans avocat n’est cependant pas absolu. L’intérêt de la justice peut, dans certaines circonstances, nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé, en particulier si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer ou les manœuvres d’intimidation qu’il pourrait exercer contre eux en les interrogeant lui‑même. Cependant, les restrictions du droit de l’accusé d’assurer sa propre défense doivent servir un but objectif et suffisamment important et ne pas aller au‑delà de ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts de la justice. Par conséquent, la législation interne devrait éviter d’exclure purement et simplement le droit d’assurer sa propre défense dans une procédure pénale, sans l’assistance d’un conseil »[84].

24. Les propos du CDH ne laissent aucune place à l’ambiguïté. Dans son interprétation d’une disposition pour l’essentiel identique à l’article 6 § 3 c) de la Convention, le CDH a affirmé l’existence d’un droit d’assurer sa propre défense, qui ne peut être soumis à restriction que pour des raisons valables et dans la limite de ce qui est nécessaire pour préserver les intérêts de la justice, et il a souligné qu’il convient d’éviter les interdictions absolues telles que celle en vigueur en droit portugais. S’agissant de la seule source de droit international que la majorité cite sur la question litigieuse[85], on peut dire que sa décision est délibérément contraire à l’« évolution du droit international ».

25. La pratique constante de la Cour est toutefois plus ouverte au droit international que l’opinion de la majorité ne le laisse penser. Dans l’affaire Scoppola c. Italie (no 2)[86], par exemple, un consensus international a incité la Cour à s’écarter explicitement d’une décision antérieure de la Commission. Dans sa décision rendue dans l’affaire X c. Allemagne, celle-ci avait en effet déclaré que l’article 7 de la Convention ne garantissait pas le droit de bénéficier de l’application rétroactive de la loi pénale plus favorable[87]. Dans l’arrêt rendu dans l’affaire Scoppola, la Cour s’écarte explicitement de cette conclusion, observant qu’un « consensus » s’était progressivement formé en droit international des droits de l’homme après l’adoption de la décision X c. Allemagne :

« il s’impose de revenir sur la jurisprudence établie par la Commission dans l’affaire X c. Allemagne et de considérer que l’article 7 § 1 de la Convention ne garantit pas seulement le principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, mais aussi, et implicitement, le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce »[88].

Dans l’arrêt Bayatyan c. Arménie, la Cour s’est également livrée à des considérations similaires pour justifier son revirement de jurisprudence concernant l’applicabilité de l’article 9 aux objecteurs de conscience, question qui avait donné lieu à des solutions divergentes de la part de la Commission et d’autres organes tels que le CDH. La Cour affirme désormais :

« La Convention étant avant tout un mécanisme de protection des droits de l’homme, la Cour doit tenir compte de l’évolution de la situation dans les États contractants et réagir, par exemple, au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre (...) Par ailleurs, quand elle définit le sens des termes et des notions figurant dans le texte de la Convention, la Cour peut et doit tenir compte des éléments de droit international autres que la Convention et des interprétations faites de ces éléments par les organes compétents. »[89]

J’observe que dans ces deux affaires, le langage employé par la Cour est nettement impératif, indiquant que l’évolution du droit international a rendu nécessaire le revirement de jurisprudence de la Cour.

26. Comme le montrent ces affaires, la pratique de la Cour a toujours consisté non seulement à s’aligner sur le CDH, mais également à s’écarter, le cas échéant, de sa jurisprudence antérieure à cette fin. Comme il a été observé dans l’arrêt Bayatyan, les États membres ne peuvent considérer comme imprévisible un revirement de jurisprudence de la Cour qui fait suite à une évolution du consensus international, en particulier s’ils sont également parties au PIDCP[90], comme c’est le cas du Portugal en l’espèce.

27. La majorité prétend que « même lorsque des dispositions de la Convention et du PIDCP sont presque identiques, les interprétations que le CDH et la Cour font d’un même droit fondamental peuvent comporter des nuances »[91]. Elle ne cite qu’un exemple à l’appui de cette déclaration, celui de l’interprétation relative à l’étendue du droit d’accès à un tribunal, et affirme que le CDH « considère que le droit d’accès à un tribunal découlant de l’article 14 § 1 du PIDCP (...) n’implique pas un droit de faire appel » alors que pour la Cour, « lorsque [des cours d’appel ou de cassation] existent il faut se conformer aux garanties de l’article 6, par exemple en assurant aux plaideurs un droit effectif d’accès aux tribunaux »[92]. Cette analyse n’est pas convaincante, et ce pour plusieurs raisons.

28. Tout d’abord, la majorité surestime l’ampleur du désaccord entre le CDH et la Cour en la matière. Dans l’une des affaires citées par la majorité, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 6 concernant des restrictions apportées au droit de faire appel dans la procédure pénale espagnole[93]. Dans l’autre affaire mentionnée par la majorité, la Cour a conclu à une violation de l’article 6 du fait que la requérante n’avait pas pu assister à l’audience de la juridiction de cassation, et non pas parce qu’elle n’avait pas pu faire appel[94]. Selon la jurisprudence constante de la Cour, si un État se dote de cours d’appel ou de cassation, il « a l’obligation de veiller à ce que les justiciables jouissent auprès d’elles des garanties fondamentales de l’article 6 »[95]. Cela signifie qu’il n’existe pas de « droit de faire appel » en tant que tel, mais un droit de jouir des garanties de l’article 6 pendant toute la procédure : ne pas être arbitrairement privé d’un droit de faire appel prévu par la loi, ne pas subir d’inégalité des armes en appel ou en cassation, etc. Lue de cette manière, la jurisprudence de la Cour en la matière peut difficilement être considérée comme contraire à celle du CDH.

29. De fait, le CDH a seulement dit :

« Le droit à l’égalité d’accès à un tribunal, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14, vise l’accès aux procédures de première instance et n’implique pas un droit de faire appel ou de disposer d’autres recours. »[96]

Rien dans ces propos ne laisse penser que les droits découlant de l’article 14 du PIDCP ne seraient pas garantis pour les procédures en appel ni, par exemple, que le CDH accepterait que les États puissent accorder le droit de faire appel de manière discriminatoire ou y appliquer des règles arbitraires. En outre, la lecture des constatations concernant la communication no 450/1991, I.P. c. Finlande, que le CDH mentionne comme source directe de la citation ci-dessus, montre que la majorité aurait dû être plus prudente dans son interprétation des intentions du CDH. On peut en effet y lire :

« En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il a été privé de la possibilité de faire appel, même si ces questions relevaient ratione materiae du champ d’application de l’article 14, le droit de faire appel porte sur une accusation pénale qui ne se trouve pas ici en question. Cette partie de la communication est par conséquent irrecevable (...) »[97]

On peut donc aisément observer que le CDH a seulement dit que la possibilité de faire appel n’était pas garantie par l’article 14 du PIDCP dans le contexte de la procédure fiscale litigieuse, ce qui est totalement conforme à la jurisprudence de la Cour. En outre, l’interprétation du CDH portait sur l’article 14 § 5 du PIDCP qui accorde explicitement aux accusés en matière pénale le droit de faire appel, mais n’a aucun équivalent dans la Convention. Par ailleurs, rien dans le grief soulevé par l’auteur dans l’affaire I.P. c. Finlande ne laisse penser que celui-ci s’est vu privé de manière discriminatoire ou arbitraire du droit de faire appel. En somme, rien dans cette affaire n’indique que la réponse aurait été différente si la Cour en avait été saisie.

30. La dénaturation par la majorité des conclusions du CDH touche également un autre point important : la majorité reproche au CDH de ne pas s’être « expressément [penché] sur le raisonnement tenu par la Cour dans sa décision du 15 novembre 2001 sur la requête no 48188/99 »[98]. Par égard pour la courtoisie internationale, si ce n’est pour des raisons de rigueur analytique, il convient de souligner que l’affirmation de la majorité n’est pas totalement correcte. La décision du CDH du 26 mars 2006 s’est en effet penchée sur la décision de la Cour du 15 novembre 2001, et elle s’y réfère même expressément dans son § 3.2, de même qu’elle s’est précisément penchée dans son § 4.6 sur l’argument principal avancé par la Cour en 2001, et répété par le Gouvernement à Genève en 2006, selon lequel même si le requérant n’avait pu présenter de défense technique, il avait toutefois eu la possibilité de présenter une défense personnelle, non technique.

31. Il convient également de relever que l’Observation générale no 32 ne définit pas une ligne de démarcation stricte qui aurait obligé la Cour à d’impensables contorsions argumentatives pour être conforme au reste de sa jurisprudence. A minima, l’Observation générale no 32 pourrait être comprise en ce sens qu’elle s’oppose uniquement aux interdictions générales de l’exercice du droit de se défendre soi-même, plaçant ainsi la charge de la preuve sur l’État lorsqu’il décide d’y apporter des restrictions. À l’appui de cette analyse, on peut observer l’emploi des mots « en particulier » devant les circonstances que le CDH énumère comme pouvant justifier pareille restriction. La majorité n’essaie même pas de s’engager dans un dialogue avec le CDH, en arguant par exemple que cette liste devrait être élargie ou la charge de la preuve assouplie. En d’autres termes, la position de la majorité en faveur d’une fragmentation du droit international est une évolution regrettable, voire une régression, à laquelle je ne peux souscrire.

32. Une dernière considération aurait mérité d’être prise en compte par la majorité dans ses réflexions. Alors que la Cour « ne retient aucune requête individuelle introduite en application de l’article 34, lorsque (...) elle est essentiellement la même qu’une requête précédemment examinée par la Cour ou déjà soumise à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement (...) »[99], le CDH « n’examinera aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement »[100]. Cela signifie qu’une fois que la Cour a prononcé une décision ou un arrêt définitif concernant une requête, les requérants insatisfaits peuvent saisir le CDH de leur grief. Le requérant l’a déjà fait par le passé et il n’y a aucune raison de croire qu’il ne le fera plus. Il n’en découle aucune relation hiérarchique entre les deux organes mais la Cour devrait se montrer extrêmement prudente lorsque le niveau de protection des droits fondamentaux qu’elle assure est inférieur à celui du CDH.

IV. La perversion de la marge d’appréciation (§§ 33-54)

A. L’examen de l’interdiction générale (§§ 33-45)

33. La majorité déclare que le « critère pertinent » à appliquer pour déterminer si les autorités portugaises n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation est le suivant :

« la Cour doit tout d’abord vérifier si des raisons pertinentes et suffisantes ont été avancées à l’appui du choix législatif qui a été appliqué au cas d’espèce. Dans un second temps, et même si de telles raisons ont été présentées, il demeure nécessaire de rechercher, dans le contexte de l’appréciation globale de l’équité de la procédure pénale, si les juridictions nationales, en appliquant la règle litigieuse, ont également fourni des raisons pertinentes et suffisantes à l’appui de leurs décisions »[101].

Elle considère donc, tout comme je le fais, que tant la disposition générale que son application au cas particulier doivent s’appuyer sur des raisons pertinentes et suffisantes pour justifier une restriction du droit de se défendre soi-même telle que celle appliquée en l’espèce. Mais il me semble qu’elle n’a pas démontré que les autorités nationales avaient effectivement avancé de telles raisons.

34. La première étape du contrôle effectué par la majorité consiste à vérifier si le choix législatif de rendre obligatoire l’assistance d’un défenseur dans tous les cas est justifié :

« [La Cour] a considéré qu’il y avait lieu de tenir compte du risque d’abus que pouvait emporter l’assouplissement d’une mesure générale, et que ce risque était un facteur qu’il appartenait avant tout à l’État d’apprécier. Elle a déjà jugé qu’une mesure générale était un moyen plus pratique pour parvenir à l’objectif légitime visé qu’une disposition permettant un examen au cas par cas. »[102]

35. Le caractère général ou particulier d’une mesure est toutefois une question de perspective. Ainsi, une disposition qui n’accorderait le droit de se défendre soi-même qu’aux personnes ayant une formation juridique serait certainement plus spécifique que l’interdiction générale en vigueur au Portugal, mais elle serait plus générale qu’une disposition qui n’accorderait ce droit qu’aux avocats inscrits au barreau ou aux avocats ayant une expérience en matière de procédure pénale. Logiquement, on ne peut apprécier les bénéfices nets du caractère général d’une disposition sans identifier les types de situations en deçà ou au-delà de son champ d’application (over- or under-included). Ce n’est qu’alors qu’il est possible de mettre en balance les avantages de la règle générale et la potentielle iniquité de certaines de ses applications.

36. Bien entendu, il n’est pas toujours évident de déterminer les facteurs à prendre en compte pour apprécier si une disposition englobe trop de cas de figure. En l’espèce, toutefois, la majorité semble avoir une idée précise concernant au moins un facteur pertinent puisqu’elle a dès le début considéré que « la présente affaire porte principalement sur l’étendue du droit, pour un accusé doté d’une formation juridique, d’assurer sa propre défense »[103]. En d’autres termes, et toujours suivant le raisonnement de la majorité, la règle générale qui doit être justifiée en l’espèce n’est pas l’interdiction générale de se défendre soi-même dans une procédure pénale, mais la règle qui interdit aux accusés dotés d’une formation juridique d’assurer eux-mêmes leur défense. Par conséquent, la conséquence logique et nécessaire que la majorité aurait dû en tirer est que les autorités nationales ont considéré qu’elles avaient de bonnes raisons d’imposer une assistance juridique spécifiquement aux accusés ayant une formation juridique ou bien que les avantages d’une règle plus générale contre le droit de se défendre soi-même compensaient le préjudice potentiellement causé à certains accusés. Mais elles n’ont avancé ni l’un ni l’autre de ces motifs.

37. Par ailleurs, la majorité dit qu’« [i]l incombe à [la Cour] d’examiner attentivement les arguments dont le législateur a tenu compte pour parvenir aux solutions qu’il a retenues (...) »[104] et que « le caractère pertinent et suffisant des raisons avancées à l’appui de l’obligation d’être représenté par un avocat dépend aussi de la qualité de l’examen parlementaire et judiciaire effectué au Portugal »[105].

38. Mais elle ne tient pas ses promesses. En effet, au lieu d’un examen approfondi des raisons avancées au cours du débat, nous ne trouvons qu’une énumération très synthétique de certaines étapes législatives par lesquelles est passé le CPP. Apprécier « la qualité de l’examen parlementaire (...) »[106] suppose d’apprécier la qualité du débat qui s’est effectivement déroulé et non pas les raisons présumées qui auraient pu exister mais n’ont en pratique pas été avancées.

39. En effet, lorsque la Cour a été amenée par le passé à évaluer la qualité de l’examen parlementaire en vue d’accorder une marge d’appréciation plus large, elle s’est attachée à étudier le vrai débat. Dans les affaires où elle a jugé que le Parlement avait mis en balance des intérêts concurrents, elle a ainsi accordé à l’État plus de marge de manœuvre[107] que dans celles où les raisons invoquées n’avaient pas été explicitement mises en balance[108].

40. Rien de tel n’a été fait par la majorité dans le présent arrêt. Nous n’y trouvons qu’une référence générale au préambule du CPP et au point 2 de l’article 3 no 43/86 concernant certaines dispositions qui « visaient à renforcer la position juridique de l’accusé et à assurer une égalité des armes effective » et prévoyaient que « toute mesure susceptible de porter atteinte à la dignité personnelle de l’accusé devait être évitée »[109]. L’existence de trois propositions de loi déposées en 2007 est également mentionnée. C’est tout. Rien n’indique que le droit de se défendre soi-même ait réellement été pris en considération lors de la mise en balance des intérêts en jeu dans un code de plus de cinq cents articles, et encore moins qu’une attention particulière ait été accordée aux accusés ayant une formation juridique, que la majorité considère pourtant comme étant au cœur de la question soulevée en l’espèce. Si la majorité avait pris la peine de lire les travaux préparatoires pertinents[110], elle aurait dû conclure à l’absence de tout élément en ce sens pour la simple raison que ce débat n’a pas eu lieu.

41. La procéduralisation du droit des droits de l’homme est une valeur ajoutée louable à condition qu’elle complète le droit matériel. Si elle ne sert qu’à le remplacer, elle devient un abandon irresponsable par la Cour de ses pouvoirs de contrôle[111]. Alors même qu’il s’agit d’une frontière délicate à délimiter, l’approche suggérée par la majorité est de voir la justice procédurale comme une alternative (et non pas un complément) au contrôle matériel au niveau européen. Le processus décisionnel national se transforme ainsi en un fétiche et la Cour devient agnostique quant aux résultats. Le fait que des résultats inéquitables puissent découler d’un processus décisionnel national irréprochable est ignoré et finit par réduire le niveau d’exigence lors de la fixation de critères[112].

42. En l’espèce, la procéduralisation de la marge d’appréciation promeut un formalisme de façade injustifié. La majorité prend ici un raccourci. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette approche du débat législatif est extrêmement problématique. C’est une chose que de considérer que la Cour peut examiner l’intensité et la qualité du débat parlementaire ou d’autres formes de procédures internes pour chercher des indices de la « nécessité » d’apporter des restrictions à un droit garanti par la Convention. Mais c’en est une autre que de remplacer la protection des droits par une simple approbation de la procédure parlementaire. Quels que soient le Parlement et les circonstances de son adoption, une loi pourra difficilement être en deçà de la norme extrêmement basse que la majorité applique en l’espèce à l’examen de la procédure parlementaire. S’il suffit d’un tel examen pour exonérer les États de leurs obligations, la marge d’appréciation sera, en pratique, toujours illimitée.

43. Plus grave, la majorité affirme à tort que l’accusé avait le droit de soumettre des observations, des déclarations et des demandes, « dans lesquelles il pouvait aborder des questions de droit et de fait »[113]. En ce qui concerne les questions de droit, cette affirmation est tout simplement fausse. Les questions de droit soulevées par un accusé dans ses observations, même si ce dernier a une formation juridique, sont tout simplement ignorées par les juridictions portugaises. De fait, le requérant, comme tout autre accusé, s’est vu interdire de présenter sa propre défense technique. Il a dû se faire assister d’un avocat à tous les stades de la procédure. En vertu de l’article 302 §§ 2 et 4 du CPP, seul le défenseur a la possibilité de demander au juge d’instruction l’administration de preuves complémentaires et de résumer ses conclusions sur le caractère suffisant ou non des éléments de preuve recueillis et sur les questions de droit soulevées[114]. En vertu de l’article 360 § 1 du CPP, seul le défenseur est autorisé par le président à prendre la parole, en particulier après l’audition des témoins et l’intervention du parquet, pour exposer oralement au tribunal les conclusions de fait et de droit qu’il faut selon lui tirer des preuves produites[115]. En vertu de l’article 98 § 1 du CPP, l’accusé peut, à tout stade de la procédure, soumettre des observations, des déclarations et des demandes, même non signées par un avocat[116]. Mais il ne peut mener « sa propre défense technique », ce qui signifie qu’il ne peut soulever ou discuter aucun point de droit. Il s’agit d’une jurisprudence constante de la Cour suprême et des juridictions d’appel, dont la motivation est que le droit de pétition « n’a pas pour objet de permettre à l’accusé de remplacer le défenseur »[117]. Étonnamment, la majorité elle-même cite, aux paragraphes 57 et 148 de l’arrêt, la jurisprudence de la Cour suprême qui contredit son affirmation du paragraphe 156.

44. Mais ce n’est pas la seule assertion erronée concernant les faits. La majorité parle ainsi de l’obligation faite aux accusés d’être représentés « dans presque toutes les procédures pénales »[118]. Il s’agit une fois encore d’une grave dénaturation du droit et de la jurisprudence interne. La majorité elle-même cite, aux paragraphes 37 et 57 de l’arrêt, la jurisprudence de la Cour suprême selon laquelle un avocat ne peut « en aucun cas » se défendre lui-même dans une procédure pénale et qui déclare « inapplicables en matière pénale » les dispositions légales autorisant les juges et les avocats à se défendre eux-mêmes devant les tribunaux.

45. Il ne s’agit pas d’erreurs de plume mais de la description erronée d’éléments déterminants dans le raisonnement de la majorité. Il s’agit d’affirmations qui sont de la seule responsabilité de la Cour et ne peuvent être imputées aux parties, tout simplement parce que celles-ci n’ont jamais avancé de tels arguments. Ni le requérant ni le Gouvernement n’ont affirmé que les accusés pouvaient mener leur propre défense technique et soumettre des observations sur des questions de droit. Ils ont même tous deux avancé l’exact opposé, de manière claire et concordante[119]. Devant toute juridiction qui se respecte, des erreurs de cette importance suffiraient à justifier l’annulation de la décision rendue en ce qu’elle est fondée sur une description erronée ayant exercé une influence décisive sur l’issue de l’affaire. L’article 80 du règlement de la Cour est prévu précisément pour ce type d’erreurs graves. C’est la seule voie de droit qui permettrait de remédier aux erreurs mentionnées ci-dessus concernant le droit et la jurisprudence portugaise qui, aux fins de l’article 80, doivent être considérés comme des éléments de fait décisifs[120].

B. L’examen de la décision prise en l’espèce (§§ 46-54)

46. Après avoir jugé que l’interdiction générale de se défendre soi-même reposait sur des « raisons pertinentes et suffisantes », la majorité promet de « rechercher, dans le contexte de l’appréciation globale de l’équité de la procédure pénale, si les juridictions nationales, en appliquant la règle litigieuse, ont également fourni des raisons pertinentes et suffisantes à l’appui de leurs décisions »[121]. Mais elle ne tient pas non plus cette promesse.

47. Afin d’examiner « la qualité du contrôle juridictionnel »[122] en l’espèce, elle cite certaines décisions rendues par les juridictions internes dans des affaires concernant d’autres accusés que le requérant, en particulier une série d’arrêts dans laquelle la Cour suprême portugaise a « exposé (...) la philosophie sous-tendant la restriction de la possibilité pour un accusé d’assurer seul sa propre défense et les buts que visait la disposition relative à l’obligation de représentation par un avocat » tels que « la nécessité d’assurer la conduite dépassionnée d’une affaire », « la nécessité de veiller à ce que l’accusé bénéficiât d’une assistance technique » et « l’existence (...) d’une tension, entre la qualité d’accusé et les responsabilités du défenseur »[123].

48. Aucune des décisions citées ne concernait toutefois le requérant. La majorité elle-même ajoute que « [l]a Cour reconnaît également que même un accusé formé à la profession d’avocat, comme le requérant, peut ne pas être capable – parce que les accusations le visent personnellement – de défendre sa propre cause de manière effective »[124]. C’est d’ailleurs la seule partie du raisonnement où la majorité examine les raisons pour lesquelles un avocat pourrait ne pas être autorisé à conduire sa propre défense, alors même qu’il s’agit, selon elle, de la question sur laquelle « la présente affaire porte principalement »[125]. Quoi qu’il en soit, toutes les décisions rendues par les juridictions internes en l’espèce[126] sont plus une extension de l’analyse in abstracto de la législation qu’une analyse in concreto des circonstances particulières de la cause du requérant, et ce pour la simple raison que les juridictions internes ne pouvaient user de leur pouvoir d’appréciation de manière à éviter toute démesure dans un cas concret[127].

49. Il ressort clairement de l’exposé des faits présenté dans l’arrêt lui‑même que les juridictions internes n’ont pas avancé de raisons pertinentes et suffisantes pour justifier l’interdiction faite au requérant de se défendre lui-même. La majorité essaie toutefois de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation des circonstances particulières de l’espèce. Elle affirme par exemple que la légitimité des motifs de l’interdiction générale d’assurer soi-même sa défense s’impose « avec d’autant plus de force que, comme en l’espèce, l’accusé se trouve être un avocat suspendu du barreau, qui, en conséquence, n’est pas dûment inscrit au barreau (...) et qu’il avait déjà été inculpé d’outrage à magistrat »[128]. Ces raisons auraient pu être pertinentes pour justifier l’interdiction faite au requérant de se défendre lui-même, mais rien n’indique, dans la partie en fait de l’arrêt, que ce sont celles qui ont effectivement prévalu en l’espèce. Les juridictions internes n’en ont pas soufflé mot. Or, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier des faits en soi, comme le ferait une juridiction de première instance. Je préfère donc m’abstenir, comme aurait dû le faire la majorité, d’essayer de deviner ce que les juridictions internes auraient pu penser.

50. Pour analyser les conséquences de l’incapacité du requérant à se défendre lui-même sur l’« équité globale » de la procédure, la majorité exprime une série de présomptions et de déductions que les juridictions internes elles-mêmes n’ont pas mentionnées. Elle affirme par exemple qu’il « n’apparaît toutefois pas [que le requérant] ait remis en cause les qualifications ou la qualité de l’avocate commise d’office devant les juridictions nationales »[129], ce qu’elle juge important. La formule négative, dubitative, « il n’apparaît pas », est bien entendu employée parce que la majorité ne peut être sûre d’un élément que les juridictions internes n’ont pas établi.

51. De même, dans son appréciation des effets sur « l’équité globale » de la procédure, la majorité fait des déclarations contradictoires qui montrent combien il est difficile de se substituer aux juridictions internes dans l’évaluation des raisons pour lesquelles une décision a été prise. Elle dit ainsi que le requérant « n’a jamais allégué s’être trouvé dans l’incapacité de présenter aux tribunaux sa propre version des faits ou sa propre interprétation des dispositions juridiques pertinentes »[130]. Juste après, elle prétend que « [l]e simple fait qu’elle [l’avocate commise d’office] n’a pas répondu à la demande du Tribunal constitutionnel relative à l’approbation et à la signature de l’acte de recours constitutionnel, rédigé par l’intéressé lui‑même, ne saurait en soi être tenu pour une erreur »[131]. Il ne s’agissait évidemment pas d’une « erreur » mais d’un choix de l’avocate commise d’office qui ne révèle rien d’autre que le désaccord entre le requérant et cette dernière concernant la stratégie juridique à mettre en œuvre et qui, par ailleurs, a placé le requérant « dans l’incapacité de présenter (...) sa propre interprétation des dispositions juridiques pertinentes » au Tribunal constitutionnel. Ce choix de l’avocate commise d’office de ne pas souscrire au recours constitutionnel du requérant est au cœur du grief soulevé par ce dernier quant à l’incapacité pour lui de présenter sa propre interprétation des dispositions juridiques pertinentes parce qu’il n’a pas pu conduire sa propre défense technique.

52. Le plus grave, c’est que cela ne s’est pas produit qu’une fois, comme le prétend la majorité, mais deux puisque le recours formé par le requérant contre le jugement définitif fut également déclaré irrecevable au motif qu’il n’avait pas été signé par l’avocate commise d’office[132]. Le requérant n’a pas non plus pu présenter sa propre interprétation des dispositions juridiques pertinentes devant la cour d’appel.

53. Enfin, la figure stylistique la plus regrettable est employée pour présenter le requérant comme un fauteur de troubles qui « n’avait pas l’approche objective et dépassionnée qui était nécessaire selon le droit portugais à la conduite par un accusé de sa propre défense »[133]. Pour que la conclusion des juridictions internes n’apparaisse « pas déraisonnable », la majorité invoque les antécédents judiciaires du requérant et fustige son comportement dont elle estime que « pareille récidive aurait pu valoir à l’intéressé une peine privative de liberté d’une durée de quatre mois et quinze jours, [et] ne saurait passer pour mineure »[134], omettant de préciser que l’infraction reprochée au requérant était passible, alternativement, d’une simple peine de 180 jours-amende[135]. Ce langage tranchant qui a pour but de dénigrer le requérant est inadmissible. Cela va bien au-delà de ce que les juridictions internes ont pu dire sur lui. Si la figure stylistique a pour but de rendre le lecteur amateur de petites phrases hostile au requérant, elle n’y parvient pas. Comme cela a déjà été mentionné, ces faits ne sont établis à aucun moment dans les décisions des juridictions internes concernant le requérant[136]. Ces prétendues « considérations » des juridictions internes ne se trouvent absolument pas dans la partie en fait de l’arrêt rendu par la Cour. Ce que cette formule reflète réellement, c’est une technique de rédaction susceptible de se transformer en une évaluation directe de la personnalité du requérant, qui fausse le jeu au détriment de ce dernier.

54. Selon moi, le Gouvernement n’a pas fourni de « raisons pertinentes et suffisantes » pour justifier l’interdiction faite au requérant de se défendre lui-même ni la règle générale qui a entraîné cette interdiction. Non seulement la majorité n’a pas réussi à faire apparaître les raisons des autorités nationales, mais elle a tenté de manière inappropriée, et sans y parvenir, de les remplacer par ses propres motifs, comme si la Cour était une juridiction de première instance.

Seconde partie – Une approche pro persona de l’affaire (§§ 55-80)

V. La jurisprudence pertinente de la Cour (§§ 55-61)

A. L’héritage incertain de Croissant (§§ 55-59)

55. Après avoir rejeté l’approche de la majorité, je vais maintenant présenter mon opinion sur cette affaire, en commençant par analyser la jurisprudence pertinente de la Cour de Strasbourg. L’article 6 § 3 c) dispose que toute personne accusée d’une infraction pénale a « notamment » le droit de « se défendre [elle]-même ou [d’] avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Selon une jurisprudence ancienne de la Commission, il appartient à l’État de choisir entre les deux options mentionnées :

« La Commission a décidé en conséquence que l’article 6 § 3 c) interdit qu’une procédure pénale se déroule sans une représentation appropriée de la défense mais ne garantit pas pour autant à l’accusé le droit de décider lui-même de quelle manière sa défense sera assurée. La question de savoir si l’accusé se défendra lui-même ou s’il sera représenté par un avocat, soit librement choisi, soit, le cas échéant, désigné par le tribunal, relève de la législation ou du règlement de procédure du tribunal. »[137]

56. La majorité hésite entre la consolidation de cette interprétation « disjonctive » de l’article 6 § 3 c)[138] et son abandon :

« La Cour observe qu’une interdiction absolue frappant le droit d’un accusé de se défendre lui-même sans l’assistance d’un avocat en matière pénale peut, dans certaines circonstances, être excessive. »[139]

57. La seule affaire citée par la majorité qui concerne une interdiction absolue d’assurer soi-même sa défense est la décision d’irrecevabilité rendue dans l’affaire Correia de Matos[140]. Dans toutes les autres affaires mentionnées, l’assistance obligatoire d’un avocat n’était pas absolue mais dépendait des circonstances de l’espèce.

58. Dans l’affaire Croissant, la Cour a dit :

« La règle – dont on rencontre l’équivalent dans la législation d’autres États contractants – imposant à un accusé l’assistance d’un conseil à tous les stades de l’instance devant le tribunal régional (article 140 du code de procédure pénale [allemand](...)) ne saurait, aux yeux de la Cour, passer pour incompatible avec la Convention. »[141]

En dépit des termes apparemment généraux de cette affirmation, deux éléments méritent une attention particulière[142]. Tout d’abord, dans l’affaire allemande, le requérant était défendu par deux avocats de son choix mais il avait soulevé des objections contre la nomination, contre son gré, d’un troisième avocat par le tribunal. Il ne contestait pas le fait que le tribunal puisse nommer un avocat de manière générale, mais seulement la nomination, qu’il jugeait superflue, d’un troisième avocat dans son affaire. La Cour a en revanche estimé « pertinents et suffisants » les motifs sur lesquels les juridictions nationales s’étaient fondées pour nommer un troisième défendeur, eu égard à l’objet du procès, à la complexité des questions de fait et de droit en jeu et à la personnalité de l’accusé[143]. Ensuite, et surtout, le code allemand de procédure pénale consacrait, et consacre encore, le droit de se défendre soi-même comme règle générale, les cas de représentation obligatoire par un avocat, prévus à l’article 140, n’étant qu’une exception. La Cour ne devrait donc pas tirer de conclusions hâtives, comme elle l’a fait dans la décision d’irrecevabilité rendue dans l’affaire Correia de Matos[144], concernant le droit de se défendre soi-même sur la base de la jurisprudence Croissant.

59. Le même argument pourrait être avancé quant aux deux autres affaires citées par la majorité concernant la nomination d’un défenseur par une juridiction. Dans l’affaire X c. Finlande, un avocat (et tuteur) avait été nommé parce que la commission de psychiatrie criminelle de l’autorité médicolégale avait jugé que la requérante n’était pas en mesure de conduire sa propre défense[145]. Par ailleurs, il n’était pas obligatoire en Finlande d’être représenté par un avocat dans une procédure pénale, à l’exception de certains cas justifiés par des motifs particuliers[146]. Enfin, la décision rendue par la Commission dans l’affaire Weber c. Suisse[147] portait également sur une disposition du code genevois de procédure pénale qui n’imposait la représentation par un avocat que dans les affaires relevant de la compétence d’une cour d’assises, dans un contexte général d’assistance facultative par un défenseur[148].

B. Le critère de la nécessité « dans l’intérêt de la justice » (§§ 60-61)

60. Par ailleurs, s’il est vrai que la Cour a déclaré plus généralement que « [l]a règle (...) imposant à un accusé l’assistance d’un conseil [pendant le procès pénal] ne saurait, aux yeux de la Cour, passer pour incompatible avec la Convention », elle a toutefois assorti cette affirmation d’une réserve selon laquelle il ne peut être porté atteinte au droit consacré par l’article 6 § 3 c) que « s’il existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent »[149]. Trois conclusions principales peuvent être tirées de cette réserve cruciale. Tout d’abord, les « motifs pertinents et suffisants » qui permettent d’apporter des restrictions à un droit protégé par la Convention se réfèrent à la motivation apportée par la juridiction interne lorsqu’elle « juge ». Le choix des mots n’est pas anodin. Le mot-clé dans cette phrase est « commandent », qui correspond au critère de la nécessité que la juridiction doit appliquer lorsqu’elle statue. Ce critère fait partie intégrante du contrôle de proportionnalité[150]. Deuxièmement, lors de la mise en balance des intérêts concurrents en jeu, l’intérêt de la justice doit être placé sur l’un des plateaux de la balance et le choix de l’accusé quant à son mode de représentation sur l’autre plateau. Troisièmement, le contrôle de proportionnalité (qui inclut le critère de la nécessité) est une clause de limitation implicite et essentielle des deux droits consacrés par l’article 6 § 3 c) de la Convention, le droit de se défendre soi-même et le droit de se défendre avec l’assistance d’un défenseur, aucune raison ne justifiant de traiter le premier volet de l’alinéa c) différemment de son deuxième volet en termes de restrictions implicites applicables.

61. Au vu de la jurisprudence de la Cour, la majorité estime qu’une « interdiction absolue » de se défendre soi-même « peut (...) être excessive »[151]. Je ne qualifierai pas cette assertion : une interdiction absolue est excessive, ce qui dans ce contexte signifie qu’elle est contraire à la Convention. Je vais maintenant exposer les raisons littérales, téléologiques et systématiques pour lesquelles le droit de se défendre soi-même doit être reconnu comme un droit autonome dans la structure de la Convention.

VI. Un droit autonome au regard de la Convention (§§ 62-67)

A. L’interprétation littérale (§§ 62-64)

62. Toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit de « se défendre [elle]-même ou [d’] avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». Le libellé de l’article 6 § 3 c) définit un droit (celui de se défendre) et deux moyens de l’exercer (soi-même ou avec l’assistance d’un défenseur). Cela signifie que les accusés en matière pénale doivent pouvoir choisir le type de défense qu’ils souhaitent. La possibilité d’assurer soi‑même sa défense et de rejeter l’assistance d’un avocat doit être prévue au moins pour une catégorie d’affaires. Bien entendu, cette possibilité de choisir ne doit pas nécessairement être absolue et, dans certaines situations, la Cour a jugé raisonnables les restrictions qui y avaient été apportées[152].

63. Mais on ne peut estimer que l’article 6 § 3 c) est respecté lorsque l’accusé ne peut choisir que l’une de ces deux options, se défendre lui‑même ou avec l’assistance d’un défenseur. Le droit d’assurer soi‑même sa défense dans une procédure pénale est aussi absolu que celui d’être assisté du défenseur de son choix puisqu’il n’est soumis à aucune clause explicite de limitation, contrairement par exemple au droit à l’assistance judiciaire. Personne n’affirmerait que le droit à l’assistance d’un conseil serait respecté si un État refusait à une personne l’accès à un avocat mais lui accordait le droit de se défendre elle-même. Il serait difficile de s’en tenir à une lecture strictement disjonctive de l’article 6 § 3 c) dans un tel cas. Sur le plan grammatical, les deux volets de l’alinéa c) sont dans une position symétrique et il n’y a donc aucune raison d’adopter un point de vue différent par rapport au premier. Si tel n’était pas le cas, nous pourrions lire par exemple : « toute personne a le droit de se défendre elle-même à moins qu’elle ne soit assistée d’un défenseur de son choix ». Ce qui n’est évidemment pas ce que dit la Convention.

64. Du point de vue de la stricte interprétation littérale, il faut aller un peu plus loin. Trois éléments dans la disposition en cause mettent l’accent sur le rôle actif de l’accusé dans la conduite de sa défense et le choix des modalités de sa représentation. Tout d’abord, dans l’article 6 § 3 c), la possibilité de se défendre soi-même est citée avant celle de se faire assister par un avocat. Ensuite, si la défense est assurée par un avocat, ce dernier est un simple agent de l’accusé et il l’assiste sans le remplacer. C’est ainsi que l’on peut interpréter, dans la deuxième partie de la phrase, l’expression « avoir l’assistance d’un défenseur » (ou le mot through dans la version anglaise de la Convention). Enfin, l’emploi de la forme active souligne le rôle actif que doit jouer l’accusé dans le choix de la stratégie de défense et de la forme de représentation qu’il préfère.

B. L’interprétation téléologique (§§ 65-67)

65. Cela étant, mon analyse ne repose ni exclusivement ni même essentiellement sur un argument littéral, mais plutôt sur un argument téléologique : seule une interprétation du droit de se défendre soi-même en tant que droit autonome dans le contexte de la Convention est conforme à la conception fondamentale de l’accusé en tant que sujet et non pas objet de la procédure. Pareille interprétation pro persona de la procédure pénale, qui n’est autre que l’héritage de l’ouvrage de Cesare Beccaria Dei Delitti et delle Pene et de la révolution des Lumières qui a suivi dans le domaine du droit de la procédure pénale, aurait dû éclairer la réflexion de la Cour en l’espèce[153].

66. Dans une procédure pénale sous-tendue par la dignité humaine et la prééminence du droit, l’État doit démontrer à l’accusé, aux victimes et à la société dans son ensemble que l’accusé a agi de manière répréhensible. Les poursuites peuvent être vues comme une procédure par laquelle l’État essaie d’expliquer et de démontrer que les actes de la personne étaient contraires aux règles communes de la collectivité. L’action de la défense est la contre‑explication symétrique d’une personne qui essaie de démontrer qu’elle n’a pas fait ce que le parquet lui reproche ou que ce qu’elle a fait n’était pas contraire au droit de la communauté.

67. Le fait que ces arguments doivent être traduits dans le langage souvent obscur du droit ne devrait pas masquer le caractère dialogique de la procédure ni entraîner que l’accusé en soit exclu : le dialogue est, en principe, entre l’accusé et l’État. La seule interprétation compatible avec ce principe est que personne ne devrait pouvoir s’interposer entre l’accusé et l’État dans l’exercice des droits de la défense et que l’accusé devrait pouvoir choisir s’il préfère être assisté par une personne censée être plus compétente pour traduire ses allégations en langage juridique. Cette interprétation téléologique de la Convention découle aisément des trois caractéristiques grammaticales de la disposition en cause, qui ont été mentionnées ci-dessus. Au vu de cette interprétation littérale et téléologique concordante, on ne peut que conclure que le respect de l’autonomie de l’accusé en tant que sujet de droit est la raison d’être de l’article 6 § 3 c). L’autonomie de choisir, hors de toute pression indue de l’État ou de quiconque, une stratégie de défense et la forme de représentation la plus appropriée en tant que partie intégrante de cette stratégie se trouve au cœur du droit de se défendre soi-même[154].

VII. Un droit non absolu au regard de la Convention (§§ 68-80)

A. L’interprétation systématique (§§ 68-76)

68. L’interprétation de l’article 6 § 3 c) proposée ci-dessus semble d’autant plus plausible lorsque l’on prête attention au contexte juridique dans lequel évolue la Convention[155]. La pratique des États européens, du droit international des droits de l’homme et du droit pénal international converge vers une reconnaissance du droit de se défendre soi-même dans une procédure pénale. J’ai déjà démontré ci-dessus combien il est illogique que la majorité qualifie la pratique répandue au sein des États membres du Conseil de l’Europe de « tendance » plutôt que de « consensus ». Je vais maintenant brièvement approfondir la forme que revêt cette pratique dans les juridictions internes afin d’essayer, indépendamment de cette distinction terminologique, d’en dégager une base commune dont le Portugal s’écarte.

69. La Cour a examiné la législation de trente-cinq États membres autres que le Portugal. Trente et un d’entre eux ont posé comme règle générale le droit pour un accusé d’assurer sa propre défense, tandis que les quatre autres interdisent en règle générale à l’accusé d’assurer lui-même sa défense, tout en prévoyant des exceptions notables. L’interdiction absolue de se défendre soi-même, prévue par le Portugal, se situe à l’extrémité de cet éventail. La majeure partie des pays qui ont posé comme règle générale le droit de se défendre soi-même prévoient aussi des exceptions significatives. Seules l’Irlande et la Pologne ne prévoient aucune exception. À Malte, même si l’assistance d’un avocat n’est presque jamais obligatoire en tant que telle, les juridictions insistent généralement pour que l’accusé accepte d’être assisté par un défenseur. En République de Moldova, l’obligation d’être assisté d’un avocat est prévue dans certains cas mais l’accusé peut normalement demander à y renoncer volontairement, demande qui peut toutefois être rejetée par le juge ou le parquet.

70. D’autres pays sont plus précis dans les exceptions qu’ils prévoient au droit de se défendre soi-même. Par exemple, dix-neuf[156] des trente et un États qui acceptent en règle générale que l’accusé assure lui-même sa défense prévoient des exceptions en fonction du degré de juridiction ou du stade de la procédure. En général, plus le degré de juridiction est élevé, plus il est fréquent qu’une forme d’assistance obligatoire par un avocat soit prévue, surtout devant la Cour suprême ou constitutionnelle. Certains pays exigent l’assistance d’un avocat pour certains types de procédure comme la transaction pénale[157] ou l’extradition[158]. Dans vingt et un[159] de ces trente et un États, il est interdit aux accusés d’assurer eux-mêmes leur défense lorsque leur état de santé mentale s’y oppose. Dix-neuf[160] de ces trente et un États prescrivent une représentation obligatoire en fonction de la gravité de l’infraction. Dix[161] de ces trente et un États imposent l’assistance d’un avocat lorsque l’accusé n’est pas en mesure de parler la langue dans laquelle se déroule le procès. Enfin, certains pays prévoient l’assistance obligatoire d’un avocat lorsque l’accusé a été exclu de la salle d’audience ou a perturbé d’une manière quelconque le bon déroulement du procès[162].

71. Les quatre des trente-cinq États membres étudiés par la Cour qui interdisent en règle générale à un accusé de se défendre lui-même prévoient également des exceptions. L’Espagne et l’Italie, en particulier, autorisent les accusés à assurer leur propre défense dans les procédures pénales relatives à des infractions mineures. En Norvège, la règle est l’assistance par un défenseur, mais le juge peut accepter que l’accusé y renonce après avoir procédé à une « appréciation globale » qui prend en compte toutes les circonstances de l’affaire, telles que la gravité de l’infraction dont l’intéressé est accusé, la complexité des questions juridiques, la capacité de l’accusé à assurer lui-même sa défense et le degré de juridiction. Seul Saint‑Marin rejoint le Portugal quant à la rigueur de la règle, même si l’accusé peut faire lui-même certains actes de procédure comme interjeter appel.

72. La Cour a également étudié certains pays importants hors du Conseil de l’Europe. Le Canada et Hong Kong autorisent l’accusé à assurer lui-même sa défense dans tous les cas, alors que les États-Unis l’acceptent en règle générale, avec cependant quelques exceptions comme dans la procédure devant la Cour suprême[163].

73. Ce consensus s’étend également aux tribunaux pénaux internationaux, dont la pratique a montré que le droit non absolu d’assurer soi-même sa défense s’accompagne de la faculté de refuser un avocat commis d’office[164]. Dans l’affaire Milošević, la chambre d’appel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a ainsi estimé que l’article 21 § 4 d) de son statut – dont le libellé est pour l’essentiel identique à celui de l’article 6 § 3 c) de la Convention – garantit le droit de se défendre soi-même, droit qui ne peut être restreint que s’il est « guidé par un principe général de proportionnalité ». Elle a en effet considéré que la décision de désigner un avocat commis d’office contre le gré de l’accusé procédait « d’une erreur de droit fondamentale : la Chambre de première instance n’a pas reconnu que toute restriction apportée au droit de l’Accusé à se défendre lui-même ne devait pas dépasser les limites nécessaires pour protéger l’intérêt qu’a le Tribunal de garantir un procès raisonnablement rapide »[165]. Elle a donc jugé que les restrictions apportées à « un droit fondamental comme [celui] » de se défendre soi-même étaient « trop excessives »[166]. La chambre d’appel a confirmé cette interprétation dans les décisions rendues dans l’affaire Šešelj[167] et elle a étendu le droit d’assurer soi-même sa défense aux procédures d’appel dans l’affaire Krajišnik[168].

74. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a adopté une approche plus restrictive du droit d’assurer soi-même sa défense, sans toutefois remettre en question le principe selon lequel « l’article 17 § 4 d) [pour l’essentiel identique à l’article 6 § 3 c) de la Convention] garantit à un accusé, d’abord et avant tout, le droit de se défendre lui-même. Cela ressort clairement et littéralement du libellé de la disposition ». Il a néanmoins jugé que ce droit n’est pas absolu et que le tribunal peut imposer à l’accusé de se faire assister d’un conseil si l’intérêt de la justice l’exige. La chambre de première instance a ainsi identifié une liste de motifs qui justifiaient l’obligation imposée à l’accusé d’être représenté par un défenseur dans le cas d’espèce, en particulier le fait qu’il s’agissait d’un procès commun à plusieurs accusés[169]. Dans une autre affaire, la chambre d’appel du TSSL a confirmé l’assistance obligatoire par un conseil d’un accusé qui faisait obstruction à la procédure engagée contre lui[170].

75. Enfin, j’ai déjà évoqué ci-dessus les conclusions auxquelles est parvenu le CDH et les raisons pour lesquelles la Cour devrait être particulièrement attentive à établir un dialogue sérieux à ce propos. Je reprends ici ces considérations. La Cour aurait dû s’aligner sur le CDH et conclure, d’une part, qu’une interdiction générale de se défendre soi-même est totalement contraire à l’article 6 § 3 c) de la Convention et, d’autre part, que toute restriction apportée au droit d’assurer soi-même sa défense ne devrait pas « aller au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver les intérêts de la justice »[171]. Pareille interprétation serait conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour, comme cela a été exposé ci-dessus. La Cour a admis à plusieurs reprises que, pour justifier des restrictions au droit à l’assistance d’un défenseur de son choix, les juridictions internes doivent démontrer qu’il « existe des motifs pertinents et suffisants de juger que les intérêts de la justice le commandent »[172]. Cette clause de limitation implicite et essentielle de l’article 6 § 3 c) est également applicable au droit d’assurer soi-même sa défense dans une procédure pénale. En d’autres termes, toute atteinte audit droit doit respecter le noyau dur du droit de chacun de se défendre et le principe de proportionnalité. La question primordiale à cet égard est précisément celle du poids des intérêts concurrents en jeu, à savoir d’une part l’autonomie personnelle de l’accusé et d’autre part les motifs d’intérêt général invoqués par les autorités nationales pour limiter cette autonomie. Dans cette analyse de la proportionnalité, l’État doit préférer les instruments les moins intrusifs, en sauvegardant autant que possible le noyau dur du droit en jeu.

76. Le CDH mentionne trois raisons qui peuvent justifier d’imposer un défenseur à un accusé : 1) si l’accusé fait de manière persistante gravement obstruction au bon déroulement du procès, 2) si l’accusé doit répondre à une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt, ou 3) s’il s’agit, le cas échéant, de protéger des témoins vulnérables contre les nouveaux traumatismes que l’accusé pourrait leur causer ou les manœuvres d’intimidation qu’il pourrait exercer contre eux en les interrogeant lui-même. La deuxième raison pourrait, en particulier, être interprétée de manière à imposer l’assistance d’un défenseur dans des affaires particulièrement complexes au plan juridique ou lorsque les peines encourues sont suffisamment sévères. Je dois ajouter que ces raisons ne sont pas exclusives et que les États peuvent avoir d’autres motifs sérieux d’imposer l’assistance d’un défenseur, toujours sous le contrôle de la Cour.

B. L’application des normes de la Convention en l’espèce (§§ 77-80)

77. Au vu de ce qui vient d’être exposé, les faits et le cadre juridique de l’espèce ne laissent aucune place au doute. En vertu de l’article 287 § 4 du CPP, lorsqu’il prend la décision d’ouvrir une instruction, le juge d’instruction doit toujours désigner un défenseur dans les cas où l’accusé n’est pas représenté par un avocat ou un défenseur commis d’office. Un accusé lui-même avocat doit être représenté par un défenseur, à peine de nullité de la procédure (articles 119 c), 62 et 64 d) du CPP).

78. Avant l’entrée en vigueur de la loi no 49/2004 du 24 août 2004, un accusé exerçant la profession d’avocat pouvait assurer lui-même sa défense si l’infraction qui lui était reprochée n’était pas passible d’une peine privative de liberté (article 64 § 1 b) du CPP). Toutefois, presque toutes les infractions prévues en droit portugais emportent une peine privative de liberté, qui soit remplace l’amende soit se combine à celle-ci. Les infractions passibles uniquement d’une amende (sans emprisonnement) étaient extrêmement rares en 2004 et elles le sont plus encore aujourd’hui. 292 infractions sont prévues par le code pénal, dont seulement trois ne sont passibles que d’une amende (sans emprisonnement). En outre, en vertu de l’article 49 du code pénal, une peine d’amende qui n’a pas encore été exécutée peut à tout moment être remplacée par une peine d’emprisonnement.

79. Depuis l’entrée en vigueur de la loi no 49/2004 du 24 août 2004, un accusé qui exerce la profession d’avocat ne peut en aucun cas se défendre lui-même, à aucun stade de la procédure pénale, en vertu d’une jurisprudence unanime de la Cour constitutionnelle, de la Cour suprême et des cours d’appel[173].

80. En l’espèce, la procédure interne s’est déroulée entre 2013 et 2015. Le droit et la jurisprudence internes applicables au moment des faits sont toujours en vigueur aujourd’hui et sont très clairs : il était absolument interdit au requérant, avocat de profession, d’assurer lui-même sa défense à tout stade de la procédure pénale et de présenter son affaire devant les tribunaux. En bref, le requérant n’a jamais pu faire entendre sa cause devant un tribunal car on ne l’a jamais écouté.

VIII. Conclusion (§§ 81-82)

81. Lorsque la lettre et l’esprit de l’article 6 § 3 c) de la Convention coïncident aussi exactement que dans le cas du droit d’assurer soi-même sa défense, on comprend mal pourquoi une juridiction devrait se lancer dans des contorsions pour contrarier l’un et l’autre. Cet exercice de contorsionniste est par ailleurs discrédité dès lors que la Convention est lue à la lumière du consensus qui prévaut au niveau du droit international et des pratiques internes des États membres.

82. Cette affaire s’est révélée plus sujette à controverse qu’elle ne le semblait à première vue. Une Cour littéralement divisée a choisi la voie de la moindre résistance et confirmé la position du gouvernement défendeur. Mais cette division au sein de la Cour reflète deux perspectives radicalement différentes par rapport à la procédure pénale et aux droits de la défense. De ce point de vue, cet arrêt annonce un retour vers les penchants d’un passé sombre et tourmenté de l’Europe où les accusés étaient considérés comme des objets aux mains d’États tout-puissants qui pouvaient leur imposer, même contre leur gré, ce qu’ils jugeaient être dans leur intérêt.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES PEJCHAL ET WOJTYCZEK

(Traduction)

1. Avec tout le respect que nous devons à nos collègues, nous sommes en désaccord avec leur avis selon lequel il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

2. L’affaire soulève la question de l’objectif des garanties procédurales. À ce sujet, la majorité exprime le point de vue suivant (paragraphe 120 de l’arrêt) :

« Les droits minimaux énumérés à l’article 6 § 3, qui montre par des exemples ce qu’exige l’équité dans les situations procédurales qui se produisent couramment dans les affaires pénales, ne sont pas des fins en soi : leur but intrinsèque est toujours de contribuer à préserver l’équité de la procédure pénale dans son ensemble (Ibrahim et autres, précité, § 251, avec les références citées). »

Nous estimons nous aussi que le droit procédural est instrumental par rapport au droit matériel et qu’il est l’outil permettant de mettre en œuvre les règles juridiques matérielles. L’un des buts principaux de toute procédure judiciaire est d’aboutir à un résultat qui soit juste du point de vue matériel. Le rôle du droit procédural ne se limite toutefois pas à garantir la justice matérielle. Le droit procédural comporte aussi des buts autonomes et sert les valeurs indépendantes que sont en particulier la dignité humaine, l’intégrité physique, la liberté, l’autonomie personnelle et la justice procédurale.

Il est évident que le droit d’assurer sa propre défense est un aspect essentiel du procès équitable. Toutefois, l’objectif de ce droit n’est pas uniquement d’influer sur le dénouement du procès pénal. Les droits consacrés par la Convention doivent être considérés comme un système, et non comme des garanties autonomes pouvant être appliquées isolément les unes des autres. L’article 6 § 3 doit se lire non seulement dans le contexte des autres paragraphes de l’article 6 mais aussi à la lumière d’autres dispositions de la Convention, en particulier les articles 3, 5 et 8.

Le droit d’assurer sa propre défense, c’est aussi le droit de se défendre contre des mesures préventives adoptées pendant une enquête, notamment la détention provisoire et d’autres restrictions de la liberté individuelle. L’un des buts de ce droit est de réduire à un minimum l’ampleur et l’intensité des mesures préventives – par exemple la détention provisoire – prises avant et pendant le procès. Les droits garantis en vertu de l’article 6 § 3 sont donc intimement liés aux droits garantis par les articles 5 et 8. Une personne inculpée d’une infraction pénale peut également être exposée à un risque de mauvais traitements et peut avoir à se défendre contre cette menace. Dans ce contexte, le droit d’assurer sa propre défense et le droit d’accès à un avocat dès le premier interrogatoire par les autorités d’enquête constituent également une garantie importante contre les mauvais traitements par des agents de l’État, en particulier la police et les autorités pénitentiaires. Ce droit doit donc être considéré comme faisant partie intégrante des obligations qui incombent aux États en vertu de l’article 3. Il peut également s’avérer nécessaire de se défendre contre la presse, qui peut être tentée de stigmatiser l’accusé en le tenant pour coupable, et ainsi porter atteinte à sa réputation et à sa vie privée. Dans ce contexte, les restrictions au droit de se défendre soi-même doivent être évaluées non seulement du point de vue de l’article 6 mais aussi sous l’angle d’autres dispositions de la Convention, plus particulièrement les articles 3, 5 et 8.

3. L’article 6 § 1 énonce les principes de justice procédurale en employant les termes de « cause entendue équitablement » dans la version française et de « fair hearing » dans la version anglaise. Cette exigence générale de justice procédurale est précisée au sujet des poursuites pénales aux paragraphes 2 et 3 de l’article 6, et elle englobe le droit de se défendre soi-même ou d’avoir l’assistance d’un défenseur de son choix.

Un procès équitable et le droit de se défendre soi-même présupposent le droit d’être entendu, qui signifie non seulement le « droit de s’exprimer » mais aussi le « droit d’agir » dans la procédure. L’accusé a le droit de présenter sa propre version des faits mais également le droit de participer activement et d’accomplir des actes qui produisent des effets juridiques dans le cadre de la procédure. La subjectivité juridique d’une personne est la première condition indispensable à l’équité procédurale. En d’autres termes, l’équité procédurale implique la reconnaissance de la personne concernée en tant que sujet de droit, et toute personne jouissant de ses facultés mentales doit bénéficier de la pleine capacité juridique dans la procédure. Un procès ne peut pas être équitable si l’accusé n’est qu’un objet de la procédure au lieu d’être un sujet actif capable non seulement de présenter son point de vue mais aussi de s’impliquer activement en exerçant lui-même ses droits procéduraux.

Bien souvent, la défense, dans le cadre d’un procès, implique des choix fondamentaux : plaider coupable, pour tout ou partie des chefs d’inculpation, plaider non coupable, ou entrer dans le marchandage de plaidoyers ; dire la vérité ou mentir, et de quelle manière ; contester l’impartialité des juges, etc. Ces choix, qui présupposent une évaluation attentive des valeurs en conflit et des différents risques, peuvent avoir un impact déterminant sur l’avenir de l’accusé. Un avocat peut aider la personne concernée en identifiant les stratégies de défense possibles, leurs chances de succès et les risques encourus, mais il ne supportera pas lui‑même les conséquences du choix. C’est l’accusé qui en supporte toutes les conséquences et il ne doit donc jamais être privé de la liberté de décider de son propre avenir. Nous déplorons que la majorité ait décidé de ne pas examiner du tout ces questions fondamentales.

4. Récemment, la Cour a développé sa jurisprudence relative à l’article 8 en soulignant l’importance de l’autonomie personnelle protégée par cette disposition (voir, par exemple, les arrêts dans les affaires Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 61, CEDH 2002‑III, et Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, § 70, CEDH 2017 (extraits)). L’autonomie personnelle doit être protégée dans tous les contextes, y compris celui de la procédure pénale. Le droit de se défendre soi-même, qui est garanti par l’article 6, et le droit à l’autonomie individuelle, protégé par l’article 8, se recoupent en partie et se renforcent mutuellement. Ces deux droits exigent que l’accusé soit à même de déterminer librement la façon dont il souhaite se défendre dans une procédure pénale. La Cour, maîtresse de la qualification juridique des faits, aurait dû communiquer le grief sous l’angle non seulement de l’article 6 mais aussi de l’article 8 de la Convention.

Relevons dans ce contexte que la Cour suprême des États-Unis a exprimé le point de vue suivant (Faretta v. California, (1975) no 73-5772, 30 juin 1975, avis de la Cour suprême, rendu par le juge Stewart, auquel les juges Douglas, Brennan, White, Marshall et Powell se sont ralliés) :

« Dans la longue histoire du droit pénal britannique, il y a un seul tribunal qui ait jamais adopté une pratique consistant à imposer dans une procédure pénale l’assistance d’un défenseur à un accusé qui ne la souhaitait pas. Il s’agit de la Chambre étoilée (...)

Il est indéniable que, dans la plupart des procédures pénales, les accusés peuvent mieux se défendre avec l’aide d’un avocat que par leurs propres efforts non qualifiés. Mais lorsque l’accusé n’accepte pas de son plein gré d’être représenté par un avocat, l’avantage potentiel lié à la formation et à l’expérience d’un avocat ne peut se concrétiser que de manière imparfaite, voire pas du tout. Imposer un avocat à un accusé ne peut que conduire celui-ci à penser que la loi est contre lui. Par ailleurs, il n’est pas inconcevable que, dans de rares cas, l’accusé puisse en fait présenter sa cause de manière plus efficace en assurant lui-même sa défense. Les libertés individuelles ne sont pas ancrées dans la loi des moyennes. Le droit de se défendre est personnel. C’est l’accusé, et non pas son avocat ou l’État, qui supportera les conséquences personnelles d’une condamnation. C’est donc l’accusé qui doit être libre, personnellement, de décider si dans sa cause particulière l’assistance d’un avocat est à son avantage. Et même si en fin de compte il risque d’assurer sa défense à son propre détriment, son choix doit être accepté en vertu de « ce respect de l’individu qui est l’élément vital du droit ». Illinois v. Allen, 397 U.S. 337, 350-351 (juge Brennan, opinion concordante) [422 U.S. 806, 835]. »

Nous souscrivons à cette approche.

5. L’interprétation de la Convention doit respecter les règles coutumières d’interprétation des traités qui ont été codifiées dans la Convention de Vienne sur le droit des traités. Le point de départ est la lettre de la Convention. Il est vrai que la formulation de l’article 6 § 3 n’est pas dénuée d’équivoque. Cette disposition garantit à toute personne le droit de « se défendre ». Le droit à la défense peut être exercé par l’intéressé « lui-même ou [avec] l’assistance d’un défenseur ». L’objet du droit consacré par l’article 6 § 3 c) est défini en ces termes : « se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix ». À cet égard, nous tenons à souligner que la formulation contenue dans cette disposition n’est pas une disjonction logique avec deux droits en tant qu’opérandes. Le texte ne dit pas « le droit de se défendre lui-même ou le droit de se défendre avec l’assistance d’un défenseur de son choix ». Le libellé dont il est question définit l’objet (le contenu) d’un droit unique et présente ses modalités d’exercice possibles : c’est le droit de se défendre selon les différentes manières évoquées dans cette disposition.

Nous relevons en outre que les conjonctions de coordination de la langue naturelle ne peuvent pas être assimilées à des connecteurs logiques. La conjonction « ou » en français (« or » en anglais) n’impose pas la conclusion selon laquelle il appartiendrait à l’État de choisir la manière dont la défense peut être mise en œuvre. On ne peut pas dire d’un État qu’il remplit ses obligations au regard de l’article 6 § 3 s’il accorde simplement soit le droit de se défendre soi-même soit le droit d’avoir l’assistance d’un défenseur.

Le fait que la formule « se défendre lui-même/defend himself in person » soit placée devant l’expression « avoir l’assistance d’un défenseur/through assistance of a lawyer » met l’accent sur l’autonomie personnelle et la subjectivité juridique de l’accusé. L’usage de l’infinitif à la voix active souligne en outre le rôle actif de l’accusé.

Le noyau essentiel du droit de se défendre englobe le droit de déterminer la manière dont la défense doit être assurée. Il s’agit bien du droit de se défendre, et non pas simplement du droit d’être défendu. Si l’accusé ne peut pas définir lui-même sa ligne de défense, son droit perd tout son sens et le procès ne peut pas être tenu pour équitable. L’État doit reconnaître le droit de se défendre de manière effective, mais la défense peut être exercée en personne ou avec l’assistance d’un défenseur. Toutes ces considérations donnent à penser que le choix des modalités de la défense est laissé à l’accusé, et non à l’État. La personne accusée d’une infraction peut choisir soit de se défendre elle-même ou avec l’assistance d’un défenseur, soit de se défendre elle-même et en même temps avec l’assistance d’un défenseur. En outre, si une personne accusée d’une infraction choisit d’« avoir l’assistance d’un défenseur de son choix », celui-ci doit agir dans les limites des instructions que lui donne l’accusé.

6. Nous estimons nous aussi que le droit d’assurer sa propre défense n’est pas absolu et que certaines restrictions à ce droit peuvent être justifiées. Dans certaines circonstances, des restrictions visant la décision de désigner ou non un avocat peuvent être légitimes. La législation peut également exiger que certains actes de procédure soient accomplis par des juristes qualifiés. Les restrictions imposées doivent toutefois préserver le contenu essentiel du droit en question et respecter l’exigence de proportionnalité.

La majorité s’exprime comme suit (paragraphe 122 de l’arrêt) :

« D’après la jurisprudence bien établie de la Commission comme de la Cour, les paragraphes 1 et 3 c) de l’article 6 garantissent ainsi qu’une procédure ne sera pas conduite contre un accusé qui ne serait pas représenté adéquatement dans sa défense, mais ils ne donnent pas nécessairement à l’accusé le droit de décider lui-même de la manière dont sa défense doit être assurée (Correia de Matos, décision précitée, Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 65, 20 janvier 2005, Breukhoven c. République tchèque, no 44438/06, § 60, 21 juillet 2011). »

Nous sommes en désaccord total avec cette approche. Une situation dans laquelle un accusé qui jouit de ses facultés mentales n’a pas le droit de décider lui-même de la manière dont sa défense doit être assurée porte atteinte à la substance du droit de se défendre, expliquée ci-dessus, et est incompatible avec l’exigence d’un procès équitable visée à l’article 6. Nous estimons que la jurisprudence de la Cour devrait être alignée sur la Convention.

7. Nous observons que la disposition en question parle de l’ « assistance d’un défenseur/legal assistance ». La Convention ne se réfère pas à la représentation par un avocat. Le rôle du défenseur est d’assister son client, non de le remplacer. L’avocat doit conseiller son client et accomplir des actes juridiques dans le respect et dans les limites des instructions données par le client. Ce rôle de l’avocat est souligné de manière particulièrement forte dans la version française de la Convention. Si la loi peut prévoir l’obligation d’être assisté par un avocat, elle ne doit pas instaurer un monopole de l’avocat, qui accomplirait tous les actes juridiques liés à la procédure. L’accusé doit en principe avoir la faculté d’accomplir les actes juridiques s’il le souhaite ; seuls certains actes particulièrement importants, comme le pourvoi en cassation, peuvent être réservés à l’avocat, dès lors que pareille restriction est proportionnée au but poursuivi et ne porte pas atteinte à la substance du droit en question.

Au paragraphe 156 de l’arrêt, la majorité énumère les droits procéduraux de l’accusé. Nous tenons ici à rectifier un point qui n’est pas exact dans ce paragraphe. La Cour suprême portugaise a estimé que les règles du droit interne permettaient à l’accusé de préparer sa défense avec son avocat, et que par ailleurs l’accusé pouvait présenter des observations, des déclarations et des demandes ne soulevant pas de questions de droit (affaire no 7/14.0TAVRS.S1, arrêt du 20 novembre 2014, paragraphe XI – paragraphe 57 de l’arrêt).

La majorité parle d’« être assisté par un défenseur » et de « l’obligation d’être assisté par un avocat » (voir, par exemple, les paragraphes 153 et 158). Nous observons dans ce contexte que les droits pour l’accusé d’assurer sa propre défense sont fort limités en droit portugais. Tous les actes qui produisent des effets juridiques doivent être accomplis par un avocat, à l’exception du droit de faire annuler les mesures mises en œuvre par l’avocat. Dès lors, la présente espèce ne concerne pas l’assistance obligatoire d’un avocat dans une procédure pénale mais l’incapacité de l’accusé dans une procédure pénale. L’accusé est davantage un objet passif de la procédure obligé de supporter les conséquences du choix de son avocat qu’un sujet de droit actif capable d’affirmer son autonomie et de décider de son destin. C’est là manifestement un aspect paternaliste et restrictif de l’ordre juridique de l’État défendeur.

8. La majorité exprime ce point de vue (paragraphe 153) :

« La Cour admet qu’un État membre puisse légitimement considérer qu’un accusé, en règle générale du moins, est mieux défendu s’il est assisté par un avocat qui a une approche dépassionnée et est préparé sur le plan technique, postulat que traduisent les dispositions pertinentes du droit portugais sur lesquelles reposent les décisions incriminées en l’espèce. La Cour reconnaît également que même un accusé formé à la profession d’avocat, comme le requérant, peut ne pas être capable – parce que les accusations le visent personnellement – de défendre sa propre cause de manière effective. »

Nous estimons nous aussi que l’assistance d’un avocat est d’ordinaire bénéfique à l’accusé en ce qu’elle peut permettre un dénouement plus favorable à l’intéressé dans le cadre d’une procédure pénale. L’avocat aborde l’affaire avec la distance nécessaire pour pouvoir choisir la meilleure stratégie de défense, et il agit sans être en proie au stress personnel qu’engendre un risque de condamnation. La présente affaire soulève toutefois la question fondamentale de savoir si l’État peut limiter les droits d’une personne afin de la protéger contre son propre comportement irrationnel. Une telle approche s’appelle le paternalisme. Nous n’excluons pas la possibilité que l’État puisse imposer de telles restrictions. À notre avis, les intérêts de l’accusé ne peuvent justifier une restriction de son autonomie personnelle aussi large que ce que prévoit le droit portugais. En suivant la logique de la majorité, on pourrait admettre l’idée que les citoyens sont peut-être mieux protégés lorsque, au lieu de participer eux‑mêmes à la vie politique et d’exercer leurs propres droits politiques, ils laissent cette tâche aux personnes qui ont une attitude dépassionnée et qui sont préparées sur le plan technique.

9. Aux paragraphes 117 et 129, la majorité renvoie à l’arrêt Animal Defenders International c. Royaume-Uni ([GC], no 48876/08, CEDH 2013 (extraits)), qui énonce les principes suivants :

« 108. Il ressort de cette jurisprudence que, pour déterminer la proportionnalité d’une mesure générale, la Cour doit commencer par étudier les choix législatifs à l’origine de la mesure (James et autres, précité, § 36). La qualité de l’examen parlementaire et judiciaire de la nécessité de la mesure réalisé au niveau national revêt une importance particulière à cet égard, y compris pour ce qui est de l’application de la marge d’appréciation pertinente (voir, par exemple, Hatton et autres, § 128, Murphy, § 73, Hirst, §§ 78-80, Evans, § 86, et Dickson, § 83, tous précités) (...)

114. (...) Le maintien de l’interdiction est donc l’aboutissement d’un examen exceptionnel, effectué par les organes parlementaires, de tous les aspects culturels, politiques et juridiques de cette mesure, qui s’inscrivait dans le cadre plus large de la réglementation de la liberté d’expression sur des sujets d’intérêt public à la radio et à la télévision au Royaume-Uni. Au cours de cet examen, tous les organes consultés ont estimé que l’interdiction litigieuse constituait une restriction nécessaire des droits garantis par l’article 10. »

L’arrêt Animal Defenders International relie l’analyse de la proportionnalité avec le caractère démocratique et la qualité du processus à travers lequel les valeurs et intérêts en conflit sont soigneusement appréciés et mis en balance. Le « pedigree » démocratique d’une disposition législative est considéré comme un argument qui plaide en faveur de sa compatibilité avec la Convention. Nous ne sommes pas convaincus que la qualité du processus législatif puisse justifier des mesures disproportionnées, mais la question du « pedigree » démocratique ou autoritaire d’une mesure législative peut être pertinente du point de vue de l’interprétation de la Convention, en particulier lorsqu’il s’agit d’établir l’existence d’un « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » ou de traiter des questions relatives à l’existence d’un « consensus européen ».

Nous remarquons à cet égard que les dispositions litigieuses ont été introduites au Portugal en 1924, pendant une période de régime non démocratique. Il est vrai qu’elles ont été conservées après l’instauration de la démocratie constitutionnelle, mais le principe de l’obligation d’être représenté dans une procédure pénale n’a jamais été examiné au Parlement, et sa nécessité n’a pas davantage été étudiée par les députés ou par des experts désignés dans le cadre du processus législatif. Aucun argument pour ou contre n’a été avancé dans le processus législatif. Aucun choix législatif délibéré n’a été opéré. La qualité de l’examen parlementaire de la mesure litigieuse ne peut être tenue pour satisfaisante (comparer avec le paragraphe 146 de l’arrêt). La Cour se penche ici sur un vestige d’une période non démocratique, qui sert les intérêts économiques d’un groupe professionnel particulier.

Nous tenons ici à souligner que le préambule de la Convention évoque notamment « un régime politique véritablement démocratique », « une conception commune et un commun respect des droits de l’homme » et « un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit. Il est problématique d’admettre que des restrictions aux droits mises en place à l’époque d’un régime autoritaire ou totalitaire font partie de ce patrimoine et doivent être prises en compte lorsqu’il s’agit d’apprécier l’existence ou l’absence de ce que l’on appelle « consensus européen ».

10. La majorité insiste sur la marge d’appréciation dont jouissent les Hautes Parties contractantes en vertu de la Convention. Nous approuvons le point de vue selon lequel les États doivent bénéficier d’une ample marge d’appréciation dans la mise en œuvre de la Convention. Cette marge d’appréciation doit être respectée en particulier dans le processus qui consiste à mettre en balance les valeurs en concurrence afin d’évaluer la proportionnalité d’une mesure. Cette marge s’arrête toutefois là où commence le noyau essentiel d’un droit.

11. Nous observons que le Comité des droits de l’homme des Nations unies a reconnu que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques garantit le droit de se défendre sans avocat (Comité des droits de l’homme des Nations unies, Correia de Matos c. Portugal, communication no 1123/2002, U.N. Doc. A/61/40, paragraphes 7.3, 7.4 et 7.5., et Observation générale no 32 intitulée « Article 14. Droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable », CCPR/C/GC/32, paragraphe 37). Si nous souscrivons à ce point de vue, nous déplorons qu’il ne soit pas étayé par un argument juridique plus précis et, en particulier, que la raison d’être et les valeurs qui sous-tendent ce droit n’aient pas été exposées par le Comité, car cette omission prive l’avis exprimé de sa force de persuasion. Il aurait été utile d’accompagner la position exprimée au regard du Pacte par un raisonnement plus complet expliquant les choix opérés par le Comité en matière d’interprétation.

Nous nous trouvons ici face à une situation paradoxale dans laquelle il existe une norme universelle bien supérieure à la norme régionale qui ressort de la jurisprudence de la Cour. Quoi qu’il en soit, l’État défendeur est tenu d’adapter sa législation interne au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et le dénouement de la présente affaire ne change rien à cette obligation. La majorité a décidé de défier le Comité des droits de l’homme, négligeant les dispositions de la Convention et s’engageant dans une lutte pour la préservation de la marge d’appréciation qui découle de la Convention, dans un domaine où ladite marge a de toute façon été considérablement réduite par l’entrée en vigueur du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le résultat final n’est rien d’autre qu’une fragmentation accrue du droit international des droits de l’homme.

12. En conclusion, les restrictions imposées à l’accusé dans la présente espèce ont empêché celui-ci de déterminer la manière de conduire sa défense et ont donc porté atteinte à la substance du droit de se défendre garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention. De plus, prise dans son ensemble, la procédure pénale contre le requérant a été manifestement inéquitable et a emporté violation du droit à un procès équitable consacré par l’article 6 § 1 de la Convention. Nous regrettons que la majorité ait décidé d’admettre une mesure paternaliste qui réduit le droit fondamental de se défendre soi-même au droit à être défendu. Une approche aussi restrictive n’est pas dénuée de conséquences. Le présent arrêt ouvre la voie à une large acceptation des éléments paternalistes que l’on peut trouver dans les systèmes juridiques.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE BOŠNJAK

(Traduction)

1. Je ne puis malheureusement partager avec la majorité en l’espèce le constat de non-violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

2. Dans cette affaire particulière, la Grande Chambre est invitée à revenir sur la jurisprudence de la Cour relative au droit pour l’accusé de se défendre lui-même dans son procès pénal, garanti par l’article 6 § 3 c) de la Convention. Dans une affaire antérieure dont les faits étaient très similaires, le même requérant se vit refuser l’autorisation de le faire et, au lieu de cela, un avocat fut désigné pour le représenter. Une chambre de la Cour rejeta sa requête pour défaut manifeste de fondement, au motif que la question de savoir s’il fallait autoriser l’accusé à se défendre lui-même ou lui désigner un avocat relevait de la marge d’appréciation de l’État[174]. Par la suite, le requérant introduisit une communication fondée sur ces mêmes faits devant le Comité des droits de l’homme de l’ONU (« le CDH »), dans laquelle il alléguait une violation de son droit analogue énoncé à l’article 14 § 3 d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans ses constatations adoptées le 28 mars 2006, le CDH dit, par douze voix contre quatre, que ce droit n’avait pas été respecté à l’égard du requérant[175].

3. S’il est important d’assurer une cohérence dans la protection internationale des droits de l’homme, la Cour n’est pas liée par la position du CDH ni censée adapter sa jurisprudence en raison de telle ou telle divergence de vues entre les deux organes. À mes yeux, cependant, la position adoptée par la chambre concernant la requête no 48188/99 est incompatible avec certains principes fondamentaux des droits de l’homme applicables à la procédure pénale. Ces principes se dégagent clairement de la jurisprudence existante de la Cour sur différentes questions relevant de l’article 6. La Grande Chambre a donc la possibilité d’harmoniser la jurisprudence de la Cour sur des questions de principe.

4. J’estime que, à la lumière des principes fondamentaux tenant à l’équité du procès, énoncés eux aussi à l’article 6 de la Convention, le procès pénal s’entend par la résolution d’un différend juridique entre deux parties, l’une étant le procureur, qui affirme que l’accusé est l’auteur d’une infraction pénale engageant sa responsabilité pénale, et l’autre étant l’accusé, qui se défend face à la thèse de l’accusation. L’accusé doit donc être regardé comme un sujet autonome du procès, une situation qui est loin d’être évidente historiquement. Souvent, l’accusé était considéré comme l’objet d’un examen ou une source d’information, ses aveux étant la « reine des preuves ».

5. Cette conception de l’équité procédurale se reflète clairement aussi dans la jurisprudence de la Cour. Ainsi, la Cour a dit que, même s’ils ne sont pas expressément mentionnés dans le texte de l’article 6 de la Convention, le droit de garder le silence, le droit de ne pas témoigner contre soi-même et le principe de l’égalité des armes font partie intégrante des garanties offertes par l’article 6[176]. Pour que le procès puisse passer pour équitable, l’accusé ne saurait être transformé en un objet de la procédure ni être contraint de s’incriminer. Le droit de ne pas témoigner contre soi-même se trouve au cœur de la notion de procès équitable relevant de l’article 6[177]. Une situation dans laquelle l’accusé passerait de l’état de sujet du procès à celui d’objet du procès serait foncièrement inéquitable.

6. En tant que sujet autonome du procès pénal, l’accusé peut, du moins en principe, décider de la manière dont il souhaite être défendu. Il peut dès lors dire s’il a besoin ou non d’une assistance juridique pour assurer sa défense.[178] Selon le cas d’espèce, son choix pourra paraître contre-productif, irrationnel ou tout simplement incompatible avec ce qu’un observateur indépendant regarderait comme l’intérêt supérieur de l’accusé. Or, dans une société démocratique, le justiciable est en principe habilité à opérer de tels choix, et ce pour différentes raisons. Avant tout, l’État n’est pas omniscient. Il ne pourra peut-être pas forcément comprendre la logique sous-jacente à l’action de l’accusé et ne sera pas nécessairement le mieux placé pour savoir ce qui sera bon pour la position de ce dernier dans tel ou tel procès pénal. De plus, il n’interviendra pas forcément de bonne foi. Il pourrait s’immiscer dans la défense de manière à imposer ses propres intérêts dans le cadre du procès en question. Enfin, l’autonomie est en elle-même incompatible avec toute immixtion extérieure. Tout comme un patient peut en principe refuser une assistance médicale, l’accusé peut refuser une assistance juridique. Le droit de choisir son défenseur implique aussi le droit de n’en choisir aucun[179].

7. Aussi suis-je fondamentalement en désaccord avec l’opinion de la majorité selon laquelle l’article 6 §§ 1 et 3 c) ne donne pas à l’accusé le droit de décider lui-même de quelle manière sa défense doit être assurée et que la décision d’autoriser l’accusé à se défendre lui-même ou de lui désigner un avocat relève de la marge d’appréciation des États contractants. Une approche aussi paternaliste, refusant toute autonomie à l’accusé dans le choix de sa défense, est à mes yeux incompatible avec l’équité procédurale.

8. Tout comme n’importe quel principe de droit, l’autonomie de l’accusé dans le choix de sa défense peut avoir des limites et le tribunal conduisant le procès pénal peut être appelé à intervenir, par exemple en désignant un avocat pour assister l’accusé contrairement au souhait exprimé par celui-ci d’assurer lui-même sa défense. Pareille intervention peut se justifier par différentes raisons convaincantes voire impérieuses. Tout d’abord, a) l’autonomie de l’accusé peut être atténuée dans les faits, par exemple en raison d’une maladie[180], d’un handicap ou de l’âge[181]. De même, b) elle peut être considérablement limitée selon les circonstances de l’espèce. Il peut se trouver dans une situation de vulnérabilité particulière, par exemple lorsqu’il y a privation de liberté s’ajoutant à une première comparution ou interrogation, et que la déposition recueillie dans ce cadre sera utilisée au procès[182] ou lors d’une transaction pénale. En pareil cas, l’avocat pourra raisonnablement servir de tampon empêchant l’État et ses agents de tirer avantage de la qualité de sujet de l’accusé. La vulnérabilité est d’autant plus évidente lorsque l’accusé est passible d’une peine d’emprisonnement de longue durée ou d’une autre lourde sanction[183]. De la même manière, la représentation par un avocat peut s’avérer obligatoire au vu de la complexité juridique et factuelle d’une affaire[184]. Par ailleurs c), le juge peut établir que l’accusé conduit sa défense d’une manière manifestement irrationnelle. Enfin d), il sera peut-être nécessaire au juge d’intervenir si l’accusé abuse de son droit de se défendre lui-même afin de saper l’autorité du tribunal ou de nuire aux intérêts de ses coaccusés à ce que le procès soit conduit avec célérité[185]. La liste n’est pas limitative – d’autres circonstances qui varieront selon le cas d’espèce ou l’accusé en question pourront justifier une assistance juridique obligatoire.

9. Il va sans dire que les Hautes Parties contractantes sont mieux placées que la Cour pour établir si, dans tel ou tel cas d’espèce, des raisons impérieuses justifient une immixtion dans le choix par l’accusé de conduire lui-même sa défense. À ce titre, elles jouissent d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, c’est à elles qu’il revient d’exposer ces raisons dans le cadre de la procédure devant la Cour si un contentieux naît à ce sujet. Ces raisons doivent être concrètes et se rapporter à l’affaire en question. Elles doivent aussi être compatibles avec le principe de l’équité, englobant les garanties découlant de l’article 6 de la Convention.

10. En l’espèce, le requérant s’est vu désigner un avocat au seul motif que la loi imposait la représentation si une peine d’emprisonnement était possible, aussi éloignée cette éventualité pût-elle être au vu des circonstances. Il ne pouvait obtenir l’autorisation de se représenter lui‑même, le droit national ne prévoyant aucune exception. Dans ses observations devant la Grande Chambre, le gouvernement défendeur soutenait que les intérêts primordiaux de la justice et de la défense effective de l’accusé légitimaient les dispositions du code de procédure pénale sur le caractère obligatoire de la représentation par un avocat, qui étaient applicables en l’espèce. Or, il n’a nulle part précisé quel intérêt de la justice était pertinent en la présente affaire ni, en particulier, pourquoi le requérant devait être considéré comme incapable de se défendre effectivement lui‑même. En outre, la désignation d’un avocat pour le requérant était manifestement futile : l’avocat n’a accompli aucun acte pour le compte de la défense, tandis que le requérant n’a rien pu faire pour assurer sa propre défense. Bref, il est clair qu’en l’espèce l’immixtion dans le droit du requérant de se défendre lui-même n’a servi aucun intérêt de quelque type que ce soit.

11. Dans ces conditions, je ne puis que conclure que l’immixtion dans l’autonomie dont jouissait le requérant pour assurer sa défense dans son procès pénal n’avait aucune justification raisonnable et concrète et n’était pas équitable au vu des circonstances. Voilà pourquoi j’estime que la Grande Chambre aurait dû conclure à la violation de l’article 6 §§ 1 et 3 c) de la Convention.

* * *

[1]. Le juge Stewart, qui faisait partie de la majorité, a déclaré : « (…) pendant des siècles, la chambre étoilée (Star Chamber) a symbolisé le mépris des droits individuels fondamentaux. La chambre étoilée ne s'est pas contentée d'autoriser, mais elle a exigé que les accusés aient un défenseur. La réponse d'un prévenu à un acte d’accusation n'était pas acceptée tant qu'elle n'était pas signée par un défenseur. Lorsque le défenseur refusait de signer la réponse, pour quelque raison que ce fût, le prévenu était réputé être passé aux aveux. » Lire également le paragraphe 4 de l'opinion dissidente commune aux juges Pejchal et Wojtyczek.

[2]. Voir, par exemple, Delia Saldías de López c. Uruguay, communication no 52/1979, U.N. Doc. CCPR/C/OP/1, 88 (1984), § 13, Domukovsky et autres c Géorgie, communications du CDH 623/1995, 624/1995, 626/1995, 627/1995, UN Docs CCPR/C/62/D/623/1995 (1998), CCPR/C/62/D/624/1995 (1998), CCPR/C/62/D/626/1995 (1998) et CCPR/C/62/D/627/1995 (1998), § 18.9, et Glenford Campbell c. Jamaïque, CCPR/C/44/D/248/1987 (1992) § 6.6.

[3]. Voir également le paragraphe 41 de l'opinion dissidente du juge Pinto de Albuquerque.

[4]. Article 64 du Code de procédure pénale portugais (« le CPP »).

[5]. Paragraphe 123 de l’arrêt.

[6]. X c. Finlande, no 34806/04, CEDH 2012 (extraits), et Correia de Matos v. Portugal (déc.), no 48188/99, CEDH 2001‑XII.

[7]. Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, § 48, série A no 24.

[8]. En sus de l’arrêt de principe précité, Handyside, voir Müller et autres c. Suisse, 24 mai 1988, § 35, série A no 133.

[9]. Otto-Preminger-Institut c. Autriche, 20 septembre 1994, § 56, série A no 295‑A, et Wingrove c. Royaume-Uni, 25 novembre 1996, § 58, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V.

[10]. Fretté c. France, no 36515/97, § 41, CEDH 2002‑I.

[11]. Mentzen c. Lettonie (déc.), no 71074/01, CEDH 2004‑XII, Kuharec alias Kuhareca c. Lettonie (déc.), no 71557/01, 7 décembre 2004, et Boulgakov c. Ukraine, no 59894/00, § 43, 11 septembre 2007.

[12]. Leyla Şahin c. Turquie [GC], no 44774/98, § 121, CEDH 2005‑XI, S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, §§ 129-130, CEDH 2014 (extraits), et İzzettin Doğan et autres c. Turquie [GC], no 62649/10, § 112, CEDH 2016.

[13]. B. et L. c. Royaume-Uni, no 36536/02, § 36, 13 septembre 2005.

[14]. Friend et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 16072/06, § 50, 24 novembre 2009.

[15]. A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 232, CEDH 2010.

[16]. S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011.

[17]. Stübing c. Allemagne, no 43547/08, § 60, 12 avril 2012.

[18]. Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 207, série A no 25, confirmé par Brannigan et McBride c. Royaume-Uni, 26 mai 1993, § 43, série A no 258‑B, Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, et A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, § 173, CEDH 2009.

[19]. Depuis les arrêts Handyside et Müller et autres, précités, qui portaient tous deux sur la pénalisation de l’obscénité, la Cour a fait preuve d’une certaine retenue sur d’autres aspects du droit pénal et pénitentiaire en recourant à l’argument de l’autorité la « mieux placée ». Voir Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, § 78, CEDH 2007‑V, Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, §§ 120-121, CEDH 2015, et Meier c. Suisse, no 10109/14, § 78, CEDH 2016.

[20]. Un exemple significatif en est l’affaire Armani Da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, §§ 265-268, CEDH 2016, concernant le critère de la présence d’éléments suffisants en vue d’engager ou non des poursuites pour une infraction donnée.

[21]. Ždanoka c. Lettonie [GC], no 58278/00, § 134, CEDH 2006‑IV.

[22]. Costache c. Roumanie (déc.), no 25615/07, § 23, 27 mars 2012, Strzelecka c. Pologne (déc.), no 14217/10, § 52, 2 décembre 2014, et Kashchuk c. Ukraine (déc.), no 5407/06, § 58, 10 mai 2016.

[23]. Berger-Krall et autres c. Slovénie, no 14717/04, § 192, 12 juin 2014.

[24]. L’arrêt qui fait dorénavant autorité est Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, CEDH 2017, qui revient en la matière à un raisonnement très spécifique de la jurisprudence découlant des affaires Sentges c. Pays-Bas (déc.), no 27677/02, 8 juillet 2003, Pentiacova et autres c. Moldova (déc.), no 14462/03, CEDH 2005‑I, Gheorghe c. Roumanie (déc.), no 19215/04, 22 septembre 2005, Wiater c. Pologne (déc.), no 42290/08, § 39, 15 mai 2012, et McDonald c. Royaume-Uni, no 4241/12, § 54, 20 mai 2014.

[25]. L’arrêt de principe est Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, §§ 52 et 63, CEDH 2006‑VI. Voir, parmi beaucoup d’autres, Pearson c. Royaume-Uni, no 8374/03, § 24, 22 août 2006, Walker c. Royaume-Uni, no 37212/02, § 33, 22 août 2006, Barrow c. Royaume-Uni, no 42735/02, § 35, 22 août 2006, Andrejeva c. Lettonie [GC], no 55707/00, § 83, CEDH 2009, Cichopek et autres c. Pologne (déc.), no 15189/10, §§ 132, 134 et 143, 14 mai 2013, Béláné Nagy c. Hongrie [GC], no 53080/13, § 113, CEDH 2016, et Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 115, CEDH 2017 (extraits).

[26]. N.K.M. c. Hongrie, no 66529/11, § 49, 14 mai 2013, Gáll c. Hongrie, no 49570/11, § 48, 25 juin 2013, et R.Sz. c. Hongrie, no 41838/11, § 46, 2 juillet 2013.

[27]. Koufaki et ADEDY c. Grèce (déc.), nos 57665/12 et 57657/12, §§ 37 et 39, 7 mai 2013. Voir aussi Da Conceição Mateus et Santos Januário c. Portugal (déc.), nos 62235/12 et 57725/12, § 22, 8 octobre 2013, et Da Silva Carvalho Rico c. Portugal (déc.), no 13341/14, § 37, 1 septembre 2015.

[28]. O’Reilly et autres c. Irlande (déc.), no 54725/00, 28 février 2002, et Wilk c. Pologne (déc.), no 64719/09, § 49, 17 octobre 2017.

[29]. L’arrêt de principe est James et autres c. Royaume-Uni, 21 février 1986, § 45, série A no 98. Voir, parmi des affaires notables, Ex-roi de Grèce et autres c. Grèce [GC], no 25701/94, § 87, CEDH 2000‑XII, Malama c. Grèce, no 43622/98, § 46, CEDH 2001‑II, Zvolský et Zvolská c. République tchèque, no 46129/99, § 67, CEDH 2002‑IX, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 149, CEDH 2004‑V, Bäck c. Finlande, no 37598/97, § 53, CEDH 2004‑VIII, Bečvář et Bečvářová c. République tchèque, no 58358/00, § 66, 14 décembre 2004, Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99 et 2 autres, § 91, CEDH 2005‑VI, et Draon c. France [GC], no 1513/03, § 75, 6 octobre 2005.

[30]. Hutten-Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 165, CEDH 2006‑VIII.

[31]. Gillow c. Royaume-Uni, 24 novembre 1986, § 56, série A no 109.

[32]. Chapman c. Royaume-Uni [GC], no 27238/95, §§ 90-91, CEDH 2001‑I, Beard c. Royaume-Uni [GC], no 24882/94, § 102, 18 janvier 2001, Gorraiz Lizarraga et autres c. Espagne, no 62543/00, § 70, CEDH 2004‑III, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 98, 25 octobre 2012.

[33]. Gherghina c. Roumanie [GC] (déc.), no 42219/07, § 114, 9 juillet 2015.

[34]. L’arrêt de principe est Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 97, CEDH 2003‑VIII.

[35]. Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, §§ 90-91, CEDH 2007‑I, et El Majjaoui et Stichting Touba Moskee c. Pays-Bas (radiation) [GC], no 25525/03, § 32, 20 décembre 2007.

[36]. L’argument de l’autorité « mieux placée » a d’abord été employé concernant l’appréciation d’éléments de preuve dans l’arrêt X c. Royaume-Uni, 5 novembre 1981, § 43, série A no 46, en application du raisonnement suivi dans l’affaire Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 40, série A no 33. Dans Wilhelm c. Allemagne (déc.), no 34304/96, 20 avril 1999, et Johnson c. Royaume-Uni (déc.), no 42246/98, 29 novembre 2001, la Cour a jugé que les autorités nationales étaient « les mieux placées ». Pour des affaires plus récentes, voir Vaas c. Allemagne, no 20271/05, § 68, 26 mars 2009, Gorgievski c. l’ex‑République yougoslave de Macédoine, no 18002/02, § 53, 16 juillet 2009, Tali c. Estonie, no 66393/10, § 77, 13 février 2014, et Poletan et Azirovik c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, nos 26711/07 et 2 autres, § 66, 12 mai 2016.

[37]. Witek c. Pologne, no 13453/07, § 46, 21 décembre 2010, Biziuk c. Pologne (no 2), no 24580/06, § 47, 17 janvier 2012, et Koski c. Finlande (déc.), no 53329/10, § 34, 19 novembre 2013.

[38]. L’arrêt qui fait le plus autorité est Kotov c. Russie [GC], no 54522/00, § 122, 3 avril 2012, dans le droit fil de la jurisprudence Quinn c. France, 22 mars 1995, § 47, série A no 311, Pekinel c. Turquie, no 9939/02, § 53, 18 mars 2008, et Kuokkanen et Johannesdahl c. Finlande (déc.), no 38147/12, § 27, 2 juin 2015.

[39]. Slivenko c. Lettonie [GC], no 48321/99, § 105, CEDH 2003‑X.

[40]. Bosphorus Hava Yolları Turizm ve Ticaret Anonim Şirketi c. Irlande [GC], no 45036/98, § 143, CEDH 2005‑VI, qui fait également référence aux organes judiciaires de la Communauté européenne.

[41]. De Diego Nafría c. Espagne, no 46833/99, § 39, 14 mars 2002, et Transado‑Transportes Fluviais do Sado, S.A. c. Portugal (déc.), no 35943/02, CEDH 2003‑XII.

[42]. Pla et Puncernau c. Andorre, no 69498/01, § 46, CEDH 2004‑VIII.

[43]. Šilih c. Slovénie [GC], no 71463/01, § 210, 9 avril 2009.

[44]. Karácsony et autres c. Hongrie [GC], nos 42461/13 et 44357/13, § 143, CEDH 2016 (extraits).

[45]. Garib c. Pays-Bas [GC], no 43494/09, § 161, CEDH 2017.

[46]. Atlan c. Royaume-Uni, no 36533/97, § 45, 19 juin 2001.

[47]. Steel et autres c. Royaume-Uni, 23 septembre 1998, § 105, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII, et Mangouras c. Espagne [GC], no 12050/04, § 85, CEDH 2010.

[48]. Stolboushkin c. Russie (déc.), no 11511/03, 6 juillet 2010, Sobol et autres c. Russie (déc.), no 11373/03, 24 juin 2010, et Elinna Shevchenko c. Russie (déc.), no 1250/05, 14 octobre 2010.

[49]. L’arrêt de principe est Lithgow et autres c. Royaume-Uni, 8 juillet 1986, série A no 102. Pour des affaires plus récentes, voir Musci c. Italie [GC], no 64699/01, § 95, CEDH 2006‑V (extraits), Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, §§ 65-70, CEDH 2009, Altintas c. Turquie (déc.), 31866/09, 24 août 2010, Olymbiou c. Turquie (satisfaction équitable), no 16091/90, § 26, 26 octobre 2010, Kirins c. Lettonie, no 34140/07, § 91, 12 janvier 2017, Stamova c. Bulgarie, no 8725/07, § 67, 19 janvier 2017, et Petrovi c. Bulgarie, no 26759/12, §39, 2 février 2017.

[50]. Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 48, série A no 316‑B.

[51]. A.L. c. Pologne, no 28609/08, § 72, 18 février 2014, et Nekvedavicius c. Allemagne (déc.), no 46165/99, 19 juin 2003.

[52]. Gnahoré c. France, no 40031/98, § 63, CEDH 2000‑IX.

[53]. Handyside, précité, § 48, James et autres, précité, § 46, Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 117, CEDH 2005‑IX, et Fábián, précité, § 124.

[54]. Gündüz c. Turquie, no 35071/97, § 49, CEDH 2003‑XI, et Stjerna c. Finlande, 25 novembre 1994, § 42, série A no 299‑B.

[55]. Winterwerp, précité, § 46.

[56]. Article 19 de la Convention.

[57]. Palomo Sánchez et autres c. Espagne [GC], nos 28955/06 et 3 autres, § 54, CEDH 2011, et Bédat c. Suisse [GC], no 56925/08, § 54, CEDH 2016.

[58]. Casado Coca c. Espagne, 24 février 1994, § 55, série A no 285‑A, Lindner c. Allemagne (déc.), no 32813/96, 9 mars 1999, Lešník c. Slovaquie, no 35640/97, § 55, CEDH 2003‑IV, et Mouvement raëlien suisse c. Suisse [GC], no 16354/06, § 63, CEDH 2012 (extraits).

[59]. P4 Radio Hele Norge ASA c. Norvège (déc.), no 76682/01, CEDH 2003‑VI, et Szima c. Hongrie, no 29723/11, § 26, 9 octobre 2012.

[60]. Chassagnou et autres c. France [GC], nos 25088/94 et 2 autres, § 113, CEDH 1999‑III, et Refah Partisi (Parti de la prospérité) et autres c. Turquie [GC], nos 41340/98 et 3 autres, § 100, CEDH 2003‑II.

[61]. Irlande c. Royaume-Uni, précité, § 207, et la jurisprudence ultérieure citée ci-dessus.

[62]. On en trouve un exemple éloquent dans l’affaire Friend et autres, décision précitée, § 50. Dans Ždanoka, précité, § 134, les deux critères sont mis sur le même plan.

[63]. Pour un autre exemple flagrant, voir Muršić c. Croatie [GC], no 7334/13, CEDH 2016.

[64]. Paragraphe 126 de l’arrêt, répété au paragraphe 130.

[65]. Paragraphe 137 de l’arrêt.

[66]. Paragraphe 130 de l’arrêt.

[67]. Paragraphe 131 de l’arrêt.

[68]. Paragraphe 137 de l’arrêt.

[69]. L’Albanie, l’Allemagne, l’Arménie, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la République de Moldova, Monaco, le Monténégro, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, la Turquie et l’Ukraine.

[70]. Voir ci-dessous pour une description plus détaillée de la pratique au sein du Conseil de l’Europe.

[71]. Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, §§ 84-85, CEDH 2002‑VI (les italiques sont de moi).

[72]. Ibidem, § 55.

[73]. Voir l’opinion dissidente commune aux juges Ziemele, Sajó, Kalaydjiyeva, Vučinić et De Gaetano dans l’affaire Animal Defenders International c. Royaume-Uni [GC], no 48876/08, § 10, CEDH 2013 (extraits) : « il ne peut y avoir deux poids et deux mesures, en matière de protection des droits de l’homme, selon l’« origine » de l’ingérence ». Cet argument y est précisément avancé pour critiquer la dénaturation d’un consensus européen.

[74]. Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 123, CEDH 2011.

[75]. Sørensen et Rasmussen c. Danemark [GC], nos 52562/99 et 52620/99, § 70, CEDH 2006‑I.

[76]. Ibidem, §76.

[77]. S.H. et autres c. Autriche [GC], précité, § 97.

[78]. Ibidem, § 96 (reconnaissant que l’existence d’une tendance claire « ne peut restreindre de manière décisive la marge d’appréciation de l’État » dans une affaire concernant l’autorisation de certaines formes de reproduction assistée). Toutefois, dans Société de conception de presse et d’édition et Ponson c. France, no 26935/05, 5 mars 2009, la Cour a jugé que compte tenu de l’existence d’un consensus européen incontesté, l’interdiction générale de la publicité en faveur du tabac n’était pas disproportionnée. Aucun consensus de ce type n’a pu être trouvé dans la présente affaire.

[79]. Paragraphe 130 de l’arrêt.

[80]. Paragraphe 134 de l’arrêt.

[81]. Dans l’affaire Mamatkoulov et Askarov c. Turquie ([GC], nos 46827/99 et 46951/99, §§ 123-124, CEDH 2005‑I), la Cour a explicitement fondé sa décision concernant des mesures provisoires sur les conclusions d’autres organes de protection des droits de l’homme tels que le CDH, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et le Comité des Nations unies contre la torture. Dans l’affaire Nada c. Suisse ([GC], no 10593/08, §§ 81, 170 et 197, CEDH 2012), elle a jugé que lorsqu’un État se trouve face à deux obligations divergentes découlant de différents engagements internationaux, il doit autant que possible les harmoniser. Enfin, dans l’affaire Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie ([GC], no 18030/11, §§ 140-143, CEDH 2016), elle s’est fortement appuyée sur un consensus international pour dégager de l’article 10 de la Convention un droit au libre accès à l’information.

[82]. CDH, Observation générale no 32, 23 août 2007.

[83]. CDH, Communication no 1123/2002, Correia de Matos c. Portugal, §§7.4-7.5.

[84]. CDH, Observation générale no 32, précitée, § 37.

[85]. La majorité ne cite aucune des évolutions des juridictions pénales internationales en faveur de la reconnaissance du droit de se défendre soi-même, à l’exception d’une brève référence qu’elle leur consacre au paragraphe 73 de l’arrêt mais dont elle ne tient pas compte dans son raisonnement.

[86]. Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, 17 septembre 2009.

[87]. X c. Allemagne, no 7900/77, décision de la Commission du 6 mars 1978, Décisions et rapports (DR) 13.

[88]. Scoppola, précité, §109 (les italiques sont de moi). Ce consensus a été révélé par l’adoption de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et du statut de la Cour pénale internationale (ibidem, §§ 105-106).

[89]. Bayatyan, précité, §102 (les italiques sont de moi).

[90]. Bayatyan, précité, §108.

[91]. Paragraphe 135 de l’arrêt.

[92]. Ibidem.

[93]. Brualla Gómez de la Torre c. Espagne, 19 décembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VIII. L’Espagne n’avait pas encore ratifié le Protocole no 7 à la Convention qui prévoit le droit à un double degré de juridiction en matière pénale.

[94]. Andrejeva, précité.

[95]. Delcourt c. Belgique, 17 janvier 1970, § 25, série A no 11.

[96]. CDH, Observation générale no 32, précitée, § 12.

[97]. CDH, Communication no 450/1991, I.P. c. Finlande, § 6.2.

[98]. Paragraphe 67 de l’arrêt.

[99]. Article 35 § 2 b) de la Convention.

[100]. Article 5 § 2 a) du Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, ratifié par le Portugal.

[101]. Paragraphe 143 de l’arrêt.

[102]. Paragraphe 129 de l’arrêt.

[103]. Paragraphe 110 de l’arrêt.

[104]. Paragraphe 117 de l’arrêt.

[105]. Paragraphe 145 de l’arrêt.

[106]. Paragraphe 145 de l’arrêt.

[107]. James et autres, précité, § 48, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 86, CEDH 2007‑I, Animal Defenders International, précité, §§ 114-116, et Shindler c. Royaume-Uni, no 19840/09, § 117, 7 mai 2013.

[108]. Hirst c. Royaume-Uni (no 2) [GC], no 74025/01, §§ 79-80, CEDH 2005‑IX, Dickson, précité, § 78, et Alajos Kiss c. Hongrie, no 38832/06, § 41, 20 mai 2010.

[109]. Paragraphe 145 de l’arrêt.

[110]. Je me réfère aux travaux préparatoires du code lui-même et des lois no 59/88 et no 48/2007, citées au paragraphe 146 de l’arrêt. Les travaux préparatoires susmentionnés sont consultables en ligne.

[111]. Voir l’opinion dissidente commune aux juges Ziemele, Sajó, Kalaydjiyeva, Vučinić et De Gaetano dans Animal Defenders International, précité, § 9.

[112]. Voir les critiques de l’ancienne vice-présidente de la Cour, la juge Tulkens, dans les Conclusions générales de Le principe de la subsidiarité au sens du droit de la Convention européenne des droits de l’Homme, Frédéric Sudre, Collectif, Anthemis, p. 406 : « Le danger de la procéduralisation est que le contrôle de la Cour s’épuise dans le constat qu’il est satisfait aux impératifs procéduraux et ne comporte plus d’aspect substantiel. La procéduralisation risque alors d’être un alibi d’un contrôle sur le fond et pourrait faire le jeu de ceux qui veulent alléger la surveillance de la Cour sur les décisions étatiques. » Pour la doctrine récente sur cette question, voir Saul, « The European Court of Human Rights’ Margin of Appreciation and the Processes of National Parliaments » (2015) Human Rights Law Review, 745-774 ; Gerards et Brems (éds.), Procedural Review in European Fundamental Rights Cases, CUP, 2017 ; et Arnadóttir, « The ‘procedural turn’ under the European Convention on Human Rights and presumptions of Convention compliance » (2017) International Journal of Constitutional Law, 9-35.

[113]. Paragraphe 156 de l’arrêt.

[114]. Paragraphe 46 de l’arrêt.

[115]. Paragraphe 48 de l’arrêt.

[116]. Paragraphe 42 de l’arrêt.

[117]. Paragraphe 43 de l’arrêt. Voir aussi l’arrêt du 25 septembre 2008 de la Cour suprême de justice dans l’affaire n° 2300/08, l’arrêt du 9 janvier 2017 de la cour d’appel de Guimarães dans l’affaire no 228/14.6JABRG-A.G1, l’arrêt du 3 juin 2015 de la cour d’appel de Coimbra dans l’affaire no 2320/12.2TALRA-A.C1, l’arrêt du 24 septembre 2013 de la cour d’appel d’Evora dans l’affaire no 599/09TAOLH.

[118]. Paragraphe 118 de l’arrêt.

[119]. Paragraphes 105 et 107 de l’arrêt en ce qui concerne la position du Gouvernement et paragraphes 94 et 96 pour ce qui est de la position du requérant. L’argumentation de la majorité n’est même pas en accord avec les observations du Gouvernement.

[120]. Voir la jurisprudence de la Cour concernant la dénaturation des arguments de fait et de droit avancés par les parties ayant exercé une influence décisive sur l’issue de l’affaire, Baumann c. Autriche (révision), no 76809/01, 9 juin 2005. Sur la condition d’un « fait nouveau » pour obtenir la révision d’un arrêt, E.P. c. Italie (révision), no 31127/96, 3 mai 2001, Pupillo c. Italie (satisfaction équitable), no 41803/98, 18 décembre 2001, Viola c. Italie (révision), no 44416/98, 7 novembre 2002, Perhirin et autres c. France (révision), no 44081/98, 8 avril 2003, Karagiannis et autres c. Grèce (révision), no 51354/99, 8 juillet 2004, Sabri Taş c. Turquie (révision), no 21179/02, 25 avril 2006, Davut Mıçooğulları c. Turquie (révision), no 6045/03, 16 décembre 2008, Fonyódi c. Hongrie (révision), no 30799/04, 7 avril 2009, Hertzog et autres c. Roumanie (révision), no 34011/02, 14 avril 2009.

[121]. Paragraphe 143 de l’arrêt.

[122]. Paragraphe 147 de l’arrêt.

[123]. Paragraphe 148 de l’arrêt.

[124]. Paragraphe 153 de l’arrêt.

[125]. Paragraphe 110 de l’arrêt.

[126]. Paragraphe 152 de l’arrêt.

[127]. Voir, cependant, Gillow, précité, § 56, et Ždanoka, précité, § 128, et l’exigence d’un « degré d’individualisation suffisant » lorsqu’une loi interdit à une catégorie de personnes d’exercer un droit garanti par la Convention.

[128]. Paragraphe 154 de l’arrêt.

[129]. Paragraphe 162 de l’arrêt.

[130]. Paragraphe 163 de l’arrêt.

[131]. Paragraphe 164 de l’arrêt.

[132]. Comparer les paragraphes 16 et 20 de l’arrêt.

[133]. Paragraphe 165 de l’arrêt.

[134]. Paragraphe 165 de l’arrêt. Dans les termes de l’opinion en partie dissidente des juges Sajó, Lazarova-Trajkovska et Vučinić, à laquelle s’est ralliée la juge Turković, dans l’affaire Simeonovi c. Bulgarie ([GC], no 21980/04, CEDH 2017 (extraits)) : « L’analyse de l’équité globale telle qu’effectuée en l’espèce risque de remplacer l’évaluation de l’équité d’un procès par celle de la plausibilité d’une condamnation. »

[135]. Paragraphe 50 de l’arrêt.

[136]. Les juridictions internes se sont bornées à considérer que « le requérant ne pouvait intervenir dans la procédure sans l’assistance d’un défenseur » (paragraphe 13 de l’arrêt). Elles n’ont à aucun moment affirmé qu’il était atteint de troubles mentaux ou qu’il « n’avait pas » la capacité mentale de se défendre lui-même. Voir le paragraphe 165 de l’arrêt.

[137]. X c. Norvège, no 5923/72, décision de la Commission du 30 mai 1975, DR 3, p. 44.

[138]. Paragraphe 122 de l’arrêt.

[139]. Paragraphe 137 de l’arrêt.

[140]. Correia de Matos, décision précitée.

[141]. Croissant c. Allemagne, 25 septembre 1992, § 27, série A no 237‑B.

[142]. Croquet, « The right of self-representation under the European Convention on Human Rights: what role for the limitation analysis? » (2012)3, European Human Rights Law Review 292-308, qui critique à juste titre l’insécurité juridique créée par l’interprétation erronée de l’arrêt Croissant dans la première décision rendue par la Cour dans l’affaire Correia de Matos.

[143]. Ibidem, §§ 28 et 30.

[144]. Correia de Matos, décision précitée.

[145]. X c. Finlande, précité, § 182.

[146]. Ibidem, §§124-126 et 190.

[147]. Weber c. Suisse, no 24501/94, décision de la Commission du 17 mai 1995, non publiée.

[148]. Voir l’article 29 du code de procédure pénale genevois.

[149]. Voir, parmi d’autres, Lagerblom c. Suède, no 26891/95, §§ 50 et 54, 14 janvier 2003, et Mayzit c. Russie, no 63378/00, § 66, 20 janvier 2005, à la suite de l’arrêt Croissant, précité, § 29.

[150]. Sur les trois stades du contrôle de proportionnalité, voir mon opinion jointe à l’arrêt Mouvement raëlien suisse, précité.

[151]. Paragraphe 137 de l’arrêt.

[152]. Voir, par exemple, Croissant, précité, § 29.

[153]. Pour étayer cet argument, une étude de l’histoire européenne aurait pu montrer que les dictatures privent généralement les accusés du choix de leur forme de représentation et leur imposent l’assistance d’un défenseur. Voir l’exemple de telles restrictions dans l’Allemagne et l’Autriche nazies, d’abord devant les juridictions pénales spéciales (Sondergerichten), puis devant toutes les juridictions pénales ordinaires : Verordnung der Reichsregierung über die Bildung von Sondergerichten vom 21. März 1933, § 10; Verordnung über die Zuständigkeit der Strafgerichte vom 1. Februar 1940, § 32; Verordnung zu Durchführung der Verordnung über die Zuständigkeit der Strafgerichte vom 13. März 1949, § 18; Verordnung zur weiteren Anpassung der Strafrechtspflege an die Erfordernisse des totalen Kriegs vom 13. Dezember 1944, § 12.

[154]. Sur le noyau dur du droit dans une affaire relative à l’article 6, voir mon opinion jointe à l’arrêt Károly Nagy c. Hongrie [GC], no 56665/09, CEDH 2017.

[155]. Sur l’importance de l’interprétation systématique, voir mon opinion jointe à l’arrêt Al‑Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, §§ 17-24, CEDH 2016.

[156]. L’Albanie, l’Allemagne, l’Arménie, la Bulgarie, la Croatie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie, le Luxembourg, Monaco, la République de Moldova, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Russie, la Slovaquie et l’Ukraine.

[157]. La Croatie, la France, la Géorgie, la Lettonie, le Monténégro et l’Ukraine.

[158]. La Lituanie et la Slovaquie.

[159]. L’Albanie, l’Allemagne, l’Arménie, l’Autriche, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, la France, la Géorgie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la République de Moldova, le Monténégro, la Roumanie, la Russie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine.

[160]. L’Autriche, l’Allemagne, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Estonie, la Finlande, la Géorgie, la Grèce, la Hongrie, la Lituanie, la République de Moldova, le Monténégro, la Roumanie, la Russie, la Slovénie, la Suède, la Turquie et l’Ukraine.

[161]. L’Arménie, l’Autriche, la Bulgarie, la Géorgie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la République de Moldova, la Russie et l’Ukraine.

[162]. Par exemple, la Croatie, la Géorgie et Malte.

[163]. Voir Faretta v. California, 422 U. S. 806 (1975).

[164]. Voir Ambos, « Treatise on International Criminal Law », 2016, III, 165-167 ; Boas et autres, « International Criminal Procedure », Cambridge University Press, 2011, Volume III, 156-163 ; Abeke, « The right to self-representation in International Criminal Jurisdictions », Tilburg University, 2011 ; Zahar, « Legal aid, self-representation and crisis at the Hague Tribunal » (2008) 19 Criminal Law Forum 241 ; Scharf, « Self‑representation versus assignment of defence counsel before international criminal tribunals » (2006) 4 Journal of International Criminal Justice 31 ; Temminck Tuinstra, « Assisting an accused to represent himself: Appointment of amici curiae as the most appropriate option » (2006) 4 Journal of International Criminal Justice 47 ; et Jørgensen, « The problem of self‑representation at International Criminal Tribunals: striking a balance between fairness and effectiveness » (2006) 4 Journal of International Criminal Justice 64.

[165]. Le Procureur c. Slobodan Milošević, affaire no IT-02-54-AR73.7, Décision relative à l’appel interlocutoire formé contre la décision de la chambre de première instance relative à la commission d’office des conseils de la défense, 1er novembre 2004, § 17.

[166]. Ibidem, §18.

[167]. Le Procureur c. Vogislav. Šešelj, affaire no IT-03-67-PT, Décision relative à la requête de l’accusation aux fins d’une ordonnance portant désignation d’un conseil pour Vojislav Šešelj, 9 mai 2003, et Le Procureur c.Vogislav Šešelj, affaire no IT-03-67-AR73.3, Decision on Appeal Against the Trial Chamber’s Decision on Assignment of Counsel (Décision relative à l’appel interjeté contre la décision de la chambre de première instance portant commission d’office d’un conseil), 20 octobre 2006 (la décision n’existe qu’en anglais).

[168]. Le Procureur c. Krajišnik, affaire no IT-00-39-T, Reasons for Oral Decision Denying Mr. Krajišnik’s Request to Proceed Unrepresented by Counsel (Motifs de la décision orale relative au rejet de la requête de M. Krajišnik aux fins d’assurer sa défense sans l’assistance d’un conseil), 18 août 2005 (la décision n’existe qu’en anglais).

[169]. Le Procureur c Norman, Fofana et Kondewa, affaire no SCSL-04-14-T, Decision on the Application of Samuel Hinga Norman for Self-Representation under Article 17(4)(d) of the Statute of the Special Court (Décision relative à la requête de Samuel Hinga Norman de se défendre lui-même en vertu de l’article 17 § 4 d) du statut du Tribunal spécial), 8 juin 2004 (la décision n’existe qu’en anglais).

[170]. Le Procureur c Sesay, Kallon et Gbao, affaire no SCSL-04-15-T, Decision on Application for Leave to Appeal: Gbao – Decision on Application to Withdraw Counsel (Décision relative à l’autorisation d’interjeter appel : Gbao – Décision relative à la demande de dessaisissement d’un défenseur), 4 août 2004 (la décision n’existe qu’en anglais).

[171]. CDH, Observation générale no 32, précitée, § 37. Cela ne signifie pas que la Cour devrait suivre aveuglément le CDH, en particulier si ce dernier adopte une position plus restrictive à ce sujet.

[172]. Lagerblom, précité, §§ 50 et 54.

[173]. Arrêt de la Cour constitutionnelle no 196/07 ; arrêt de la Cour constitutionnelle no 461/2004 ; arrêt de la Cour suprême de justice du 20 novembre 2014 dans l’affaire no 7/14 ; arrêt de la Cour suprême de justice du 12 juin 2014 dans l’affaire no 7/14 ; arrêt de la Cour suprême de justice du 1er juillet 2009 dans l’affaire no 279/96.0TAALM.S1 ; arrêt de la Cour suprême de justice du 7 avril 2005 dans l’affaire no 3236/04 ; arrêt de la Cour d’appel de Porto du 12 octobre 2011 dans l’affaire no 1997/08.8TAVCD-A.P1 ; arrêt de la Cour d’appel de Coimbra du 3 juin 2015 dans l’affaire no 2320/12.2TALRA-A.C1 ; arrêt de la Cour d’appel de Coimbra du 13 juin 2007, dans l’affaire no 910/06.1TBCTR.C1.

[174]. Correia de Matos c. Portugal (déc.), n° 48188/99, CEDH 2001-XII.

[175]. Carlos Correia de Matos c. Portugal, Constatations, Comité des droits de l’homme de l’ONU, Quatre-vingt-sixième session: CCPR/C/86/D/1123/2002, adoptées le 28 mars 2006.

[176]. Voir, par exemple, l’arrêt John Murray c. Royaume-Uni, 8 février 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-I, dans lequel la Cour a souligné que la raison d’être du droit de garder le silence et du droit de ne pas témoigner contre soi-même est de garantir le résultat voulu par l’article 6 et de protéger l’accusé des autorités de manière à éviter les erreurs judiciaires. Dans l’arrêt Kress c. France [GC], n° 39594/98, CEDH 2001-VI, la Cour a rappelé que le principe de l’égalité des armes veut que chaque partie se voie accorder la possibilité de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à la partie adverse.

[177]. Weh c. Autriche, n° 38544/97, 8 avril 2004.

[178]. Du point de vue du droit comparé, la Cour suprême des États-Unis d’Amérique a vu dans l’autonomie un motif justifiant le droit de refuser d’être représenté (Faretta v. California, 422 U. S. 806 (1975)). Elle a tiré du sixième Amendement le droit d’assurer soi-même sa défense, avec comme fondement l’attachement à la liberté de choix.

[179]. Etienne Vergès, « Les droits de celui qui décide de se défendre seul et le principe d’égalité » (Cons. Const. 23. nov. 2012), Rev. Pén . Dr. Pén. 2012, p. 917.

[180]. Voir TPIY, Le Procureur c. Slobodan Milošević, affaire n° IT-02-54-AR73.7, décision relative à l’appel interlocutoire formé contre la décision de la chambre de première instance relative à la commission d’office des conseils de la défense, 1er novembre 2004. L’accusé a exercé son droit de se défendre lui-même dès le début du procès. À la suite d’une seconde demande de l’accusation, le TPIY a désigné un avocat en raison de la détérioration de l’état de santé de l’accusé. Cependant, ce dernier avait toujours le droit de se défendre lui-même dès que sa santé le lui permettait.

[181]. Voir, par exemple, l’arrêt rendu dans l’affaire Lloyd et autres c. Royaume-Uni, nos 29798/96 et 37 autres, 1er mars 2005, où deux requérants âgés de moins de 21 ans ne s’étaient pas acquittés de taxes locales ni d’amendes judiciaires et avaient été emprisonnés sans avoir été représentés au cours du procès.

[182]. Voir, par exemple, les arrêts rendus dans les affaires Dikme c. Turquie, n° 20869/92, CEDH 2000-VIII, et Kolu c. Turquie, n° 35811/97, 2 août 2005.

[183]. Voir, par exemple, l’arrêt rendu dans l’affaire Granger c. Royaume-Uni, 28 mars 1990, série A n° 174, où le requérant était passible d’une peine d’emprisonnement de cinq ans.

[184]. Voir, par exemple, l’arrêt rendu dans l’affaire Benham c. Royaume-Uni, 10 juin 1996, Recueil 1996-III, où le procès pénal soulevait des questions complexes en fait et en droit.

[185]. Dans l’affaire Samuel Hinga Norman, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL) a dit que six éléments doivent être pris en compte pour décider s’il faut limiter le droit d’un accusé à se défendre lui-même. Il a notamment mis en avant l’intérêt public à l’achèvement rapide du procès et le conflit éventuel entre l’autorisation donnée à l’accusé pour qu’il se défende lui-même et le droit des coaccusés à un procès équitable et rapide (voir l’affaire Prosecutor v. Samuel Hinga Norman, n° SCSL-04-14-T, Décision du 8 juin 2004 sur la demande formulée par Samuel Hinga Norman tendant à ce qu’il assure lui-même sa défense en vertu de l’article 17 § 4 d) du Statut du Tribunal spécial.


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