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08/03/2018 | CEDH | N°001-181639

CEDH | CEDH, AFFAIRE POULIOU c. GRÈCE, 2018, 001-181639


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE POULIOU c. GRÈCE

(Requête no 39726/10)

ARRÊT

STRASBOURG

8 mars 2018

DÉFINITIF

08/06/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Pouliou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyun

yan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre d’accusation le 13 février 2018,

...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE POULIOU c. GRÈCE

(Requête no 39726/10)

ARRÊT

STRASBOURG

8 mars 2018

DÉFINITIF

08/06/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Pouliou c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre d’accusation le 13 février 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. Á l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 39726/10) dirigée contre la République hellénique et dont une ressortissante de cet Etat, Mme Elissavet Pouliou (« la requérante »), a saisi la Cour le 12 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me H. Mylonas, avocat à Athènes. Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») est représenté par les délégués de son agent, Mme F. Dedousi, assesseure auprès du Conseil juridique de l’Etat, et M. D. Kalogiros, auditeur auprès du Conseil juridique de l’Etat.

3. La requérante se plaint d’une violation des articles 5 § 3 et 5 § 4 de la Convention.

4. Le 25 mars 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante, avocate, est née en 1969 et réside à Athènes.

6. Le 22 juillet 2009, elle fut placée en détention provisoire. Elle était soupçonnée d’appartenir à une organisation criminelle, composée de quinze personnes, qui aurait commis entre 2008 et 2009 plusieurs crimes, parmi lesquels l’enlèvement d’un entrepreneur, un homicide volontaire, des préparations en vue de la commission d’assassinats, des infractions relatives aux explosifs et des vols de véhicules. Les soupçons la concernant étaient fondés sur l’enregistrement de ses conversations téléphoniques avec l’un de ses clients, P.V., qui était incarcéré.

7. Le mandat de placement en détention provisoire (no 36/2009) précisait que la requérante était soupçonnée d’avoir commis des infractions passibles des peines de réclusion et que si elle était remise en liberté, le risque existait qu’elle commît de nouvelles infractions. Plus particulièrement, le mandat précisait qu’il était reproché à la requérante d’avoir contribué à établir et d’avoir participé à une organisation criminelle, composée de seize personnes au moins, qui avait une activité intense et constante et visait à commettre des infractions d’une gravité particulière, comme des enlèvements, des homicides, des vols et des poses d’explosifs, pour s’approprier des sommes d’argent exorbitantes à partager entre les membres qui n’avaient, du reste, aucun scrupule concernant la vie et l’intégrité physique des victimes. En outre, la requérante agissait ainsi en abusant de sa qualité d’avocate et de sa position sociale.

8. La requérante n’usa pas du recours prévu par l’article 285 § 1 du code de procédure pénale contre le mandat de placement en détention provisoire, qu’elle aurait pu introduire dans un délai de cinq jours à compter de la date de son placement en détention.

9. Le 3 novembre 2009, la requérante déposa auprès du juge d’instruction près le tribunal correctionnel d’Athènes, sur le fondement de l’article 286 § 2 du code de procédure pénale, une demande tendant à sa remise en liberté sous condition. Elle soutenait que le seul élément à charge existant dans le dossier était les écoutes téléphoniques, illégales à ses yeux car réalisées sans décision judiciaire et dans le cadre de l’exercice de sa fonction d’avocate assumant la défense de P.V. Elle soulignait en outre qu’elle avait un domicile, tant personnel que professionnel, connu des autorités, qu’elle n’avait jamais tenté de fuir, qu’elle ne risquait pas de commettre des infractions, que son intégrité physique était en danger en prison car elle aurait été agressée par des codétenues, et que son état de santé avait décliné car, à la suite de cette agression, elle aurait été placée en isolement par mesure de protection.

10. Le 9 décembre 2009, le juge d’instruction, se fondant sur la proposition du procureur (déposée le 4 décembre 2009), rejeta la demande. Après avoir rappelé les infractions prétendument commises par l’organisation, il affirma que la requérante avait eu connaissance de celles-ci et qu’elle les avait approuvées. Il conclut qu’il existait des indices sérieux quant à la culpabilité de l’intéressée et qu’il était plausible qu’elle pût commettre de nouvelles infractions si elle était remise en liberté.

11. Plus particulièrement, le juge d’instruction souligna que ces indices sérieux ressortaient de conversations téléphoniques entre la requérante et l’un de ses clients, le chef probable de l’organisation. D’après le juge, ces conversations démontraient que deux des accusés, membres de l’organisation criminelle en question, avaient décidé d’assassiner trois personnes dans la salle d’un tribunal et qu’ils avaient demandé à la requérante de leur fournir des informations sur la salle en question, sur les personnes qui seraient présentes et sur l’emplacement des sorties du tribunal. En outre, d’après ces conversations, le chef lui aurait demandé de lui procurer des détonateurs et la requérante aurait introduit des téléphones mobiles dans la prison.

12. Le 14 décembre 2009, la requérante introduisit un recours contre cette décision devant la chambre d’accusation du tribunal correctionnel. Elle soutenait que la détention provisoire était autorisée seulement dans des cas exceptionnels, lorsque la remise en liberté sous condition ne permettait pas d’assurer la comparution de l’accusé, et que la seule gravité de l’infraction ne suffisait pas pour l’ordonner. Elle prétendait qu’elle n’avait aucune raison de ne pas comparaître à l’audience qui représentait à ses yeux la seule possibilité de démontrer son innocence. Quant au risque de commettre de nouvelles infractions, elle indiquait qu’il devait découler d’éléments concrets du dossier ayant trait à la personnalité de l’accusé, à ses condamnations antérieures, à son environnement et à sa profession. Elle soulignait qu’elle avait une résidence connue, que son état de santé s’était détérioré en détention, qu’elle n’avait jamais été contumax par le passé et qu’elle avait comparu devant le juge d’instruction, et que le maintien en détention portait atteinte au principe de la présomption d’innocence.

13. Le 15 janvier 2010, la chambre d’accusation élargit la requérante sous condition : elle exigea que l’intéressée versât une caution de 10 000 euros et qu’elle se présentât au commissariat de police le 1er et le 16 de chaque mois. Elle assortit la libération d’une interdiction de sortie du territoire.

14. La chambre d’accusation releva qu’il existait des indices sérieux selon lesquels la requérante avait commis un crime puni d’une peine de réclusion pouvant atteindre dix ans. Elle nota toutefois que l’intéressée avait un domicile connu, qu’elle ne s’était jamais soustraite à la justice par le passé et qu’elle n’avait jamais tenté de fuir. Elle souligna en outre qu’elle s’était présentée devant le juge d’instruction pour assurer sa défense à la date fixée et qu’elle s’était à nouveau présentée ultérieurement, après avoir obtenu un délai supplémentaire pour préparer sa défense. Elle conclut que son comportement démontrait qu’elle n’avait pas l’intention de fuir et que, par conséquent, et à la suite de l’entrée en vigueur de la loi no 3811/2009 (paragraphes 18-19 ci-dessous), les conditions prévues à l’article 282 § 3 du code de procédure pénale pour une détention provisoire de la requérante ne se trouvaient pas réunies.

15. La requérante fut remise en liberté le même jour.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

16. Selon l’article 282 § 3 du code de procédure pénale, tel qu’il était en vigueur à l’époque du placement en détention de la requérante, les conditions pour imposer la détention provisoire à une personne mise en examen pour crime étaient les suivantes : a) que l’intéressé n’eût pas de domicile connu dans le pays, b) qu’il eût accompli des actes en vue de faciliter sa fuite, c) qu’il se fût soustrait à la justice ou qu’il eût été contumax par le passé, d) qu’il eût été jugé coupable d’évasion de détenu ou de violation d’assignation à résidence, e) qu’il fût considéré, de manière motivée, que, si l’accusé était remis en liberté, il était fort probable, au regard des circonstances de sa vie antérieure qui devaient être expressément mentionnées, ou des caractéristiques précises de l’acte dont il était accusé, qu’il risquait de commettre de nouvelles infractions. L’existence d’une seule de ces conditions suffisait pour que la détention provisoire puisse être ordonnée.

17. Le 18 décembre 2009, une loi no 3811/2009, modifiant entre autres l’article 282 § 3 du code de procédure pénale, est entrée en vigueur par l’effet de sa publication au Journal officiel. Désormais, pour qu’une personne accusée d’un crime passible d’une peine de réclusion pouvant aller jusqu’à dix ans soit placée en détention provisoire, il faut que soient réunies une ou plusieurs des conditions susmentionnées. En revanche, à la différence de l’ancien article 282 § 3, le nouvel article prévoit que le risque de commission de nouvelles infractions par l’accusé doit se fonder sur l’existence de condamnations définitives antérieures de celui-ci pour des actes similaires.

18. Le texte de cet article se lit ainsi :

« La détention provisoire peut être décidée à la place de la remise en liberté sous condition – s’il est prouvé que cette dernière n’est pas suffisante – lorsque les conditions du premier paragraphe sont réunies [indices sérieux de culpabilité] et si l’accusé est poursuivi pour un crime et n’a pas de domicile connu dans le pays ou s’il a essayé de faciliter sa fuite, ou s’il s’est par le passé soustrait à la justice ou s’il a pris la fuite (...) ou lorsqu’il ressort de ces éléments qu’il a l’intention de fuir ou qu’il y a des motifs sérieux de penser que, s’il est remis en liberté, il est probable, en raison des condamnations définitives antérieures pour des infractions similaires, qu’il commette de nouvelles infractions. (...) »

19. Le projet de loi a été introduit devant le Parlement le 6 décembre 2009 et a été voté le 9 décembre 2009.

20. Les autres articles pertinents du code de procédure pénale (285 à 287) sont transcrits dans les arrêts Tsitsiriggos c. Grèce (no 2), no 18230/09, § 15, 5 mars 2015 et Stergiopoulos c. Grèce, no 29049/12, § 19, 7 décembre 2017.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

21. La requérante se plaint d’avoir été détenue arbitrairement au motif que le juge d’instruction n’aurait pas motivé sa décision de rejet de sa demande de mise en liberté du 9 décembre 2009. Elle dénonce une violation de l’article 5 § 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

22. Le Gouvernement soutient que la requérante ne peut pas se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention. Il souligne qu’elle n’a pas contesté, comme elle en avait selon lui le droit, la légalité de sa détention provisoire au moment où celle-ci a été ordonnée et qu’elle a bénéficié de la modification de l’article 282 § 3 du code de procédure pénale. Il indique que, si sa demande de remise en liberté a eu une issue favorable, c’est à la suite de cette modification et non parce qu’il avait été constaté que la détention était illégale ou que les conditions justifiant la remise en liberté se trouvaient réunies. Il ajoute que, si la modification en question n’avait pas eu lieu, il aurait fallu examiner si les autres conditions posées par l’article 282 § 3 dans sa version en vigueur au moment de l’adoption du mandat de détention provisoire de la requérante étaient réunies.

23. La requérante ne présente pas d’observations à ce sujet.

24. La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur cette exception préliminaire du Gouvernement car elle considère que le grief est irrecevable pour les motifs exposés ci-dessous.

25. Elle note que, d’après le Gouvernement, la détention de la requérante était légale et parfaitement motivée. Elle note encore que, toujours selon le Gouvernement, il ne peut, d’après l’article 287 du code de procédure pénale, y avoir prolongation de la détention provisoire qu’après l’écoulement d’un délai d’un an à compter du placement en détention. Le rejet de la demande de remise en liberté de la requérante par le juge d’instruction le 9 décembre 2009, soit à un moment où l’instruction était encore en cours et où le premier délai de six mois (mentionné dans l’article 287) n’était pas encore écoulé, ne constituerait pas une prolongation de la détention. Aux dires du Gouvernement, une telle prolongation aurait exigé l’adoption d’une décision motivée et le constat de la réunion des circonstances exceptionnelles, conformément au paragraphe 2 de l’article 287. La chambre d’accusation aurait considéré que les conditions pour maintenir la requérante en détention n’étaient plus réunies non parce que la détention n’était pas légale mais parce que ces conditions avaient été modifiées par la loi.

26. La requérante soutient quant à elle que la décision du juge d’instruction n’était aucunement motivée, qu’elle renvoyait à la proposition du procureur – qui n’aurait, elle non plus, contenu aucune indication quant au risque de commission de nouvelles infractions – et qu’elle se serait référée de manière générale aux infractions commises par tous les coaccusés. La requérante indique que cette décision a été prise le 9 décembre 2009, date à laquelle le Parlement a voté la loi no 3811/2009 dont le contenu aurait été connu depuis le 20 novembre 2009 et accessible sur Internet. Elle précise que le rapport explicatif de la loi était déjà publié le 25 novembre 2009, et que le juge d’instruction a rejeté la demande en sachant que, dès l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, elle-même serait remise en liberté car son maintien en détention ne serait plus permis. L’intéressée ajoute que, à partir du 18 décembre 2009, tant le juge d’instruction que la chambre d’accusation avaient l’obligation d’appliquer d’office la loi no 3811/2009 et d’autoriser son élargissement.

27. La Cour relève d’emblée que, dans la présente affaire, la période visée par l’article 5 § 3 de la Convention a commencé le 22 juillet 2009, date du placement en détention provisoire de la requérante, et qu’elle a pris fin le 15 janvier 2010, avec la décision d’élargissement prise par la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes. Cette période a donc duré cinq mois et vingt-quatre jours.

28. La Cour rappelle ensuite que l’article 5 de la Convention consacre un droit fondamental de l’homme : la protection de l’individu contre les atteintes arbitraires par l’Etat à sa liberté. Elle réitère que la substance même du paragraphe 3 de cette disposition est le droit de rester libre dans l’attente d’un procès pénal. Cette disposition ne peut pas être comprise comme offrant aux autorités judiciaires une option entre la mise en jugement dans un délai raisonnable et une mise en liberté provisoire, fût-elle subordonnée à des garanties. L’objet de l’article 5 § 3 est essentiellement d’imposer la mise en liberté provisoire à partir du moment où le maintien en détention cesse d’être raisonnable. Dans cette perspective, la Cour considère que la détention provisoire doit apparaître comme la solution ultime qui se justifie seulement lorsque toutes les autres options disponibles se sont révélées insuffisantes. La Cour renvoie à ce sujet à la dernière phrase de l’article 5 § 3 de la Convention, dont il résulte que la libération provisoire de l’accusé doit être ordonnée s’il est possible d’obtenir de lui des garanties assurant sa comparution à l’audience lorsque la détention n’est plus justifiée que par le risque de le voir s’y soustraire par la fuite. Lorsqu’elles sont appelées à se prononcer sur le caractère raisonnable d’une détention au titre de l’article 5 § 1 c), les autorités compétentes ont l’obligation de rechercher s’il n’existe pas de mesures alternatives à la poursuite de la détention (Idalov c. Russie [GC], no 5826/03, § 140, CEDH 2012; Vafiadis c. Grèce, no 24981/07, § 50, 2 juillet 2009 et Lelièvre c. Belgique, no 11287/03, § 97, 8 novembre 2007).

29. En l’espèce, la Cour estime utile de rappeler l’essence des dispositions qui règlent la durée de la détention provisoire, le maintien de celle-ci et sa prolongation dans des cas exceptionnels. Ainsi, conformément à l’article 287 § 1 du code de procédure pénale, la détention provisoire peut durer jusqu’à six mois, après quoi la chambre d’accusation décide par décision motivée si l’accusé doit être élargi ou maintenu en détention. Si l’instruction se poursuit, le juge d’instruction doit, dans un délai de cinq jours avant la fin du délai de six mois, informer le procureur près la cour d’appel des raisons pour lesquelles l’instruction n’a pas été achevée et transmettre le dossier au procureur près le tribunal correctionnel. Ce dernier saisit la chambre d’accusation qui, après avoir entendu l’accusé ou son avocat et le procureur, décide, de manière définitive et par décision motivée, si l’accusé doit être élargi ou maintenu en détention. Le paragraphe 3 de l’article 287 prévoit que, si la détention provisoire n’est pas prolongée dans un délai de trente jours à compter de l’écoulement du délai de six mois prévu au paragraphe 1 du même article, le procureur doit ordonner l’élargissement de l’accusé.

30. Or la Cour note d’abord que la requérante n’a pas exercé, dans le délai de cinq jours prévu à cet effet, le recours mentionné à l’article 285 § 1 pour contester la légalité du mandat de placement en détention provisoire du 22 juillet 2009. Lorsque le juge d’instruction a rejeté, le 9 décembre 2009, la demande de la requérante, datée du 3 novembre 2009, l’instruction n’était pas encore achevée et le délai de six mois au-delà duquel une prolongation de la détention était possible n’avait pas encore été atteint. Dans sa décision du 15 janvier 2010, la chambre d’accusation a procédé à l’examen des conditions susceptibles de justifier le maintien en détention de la requérante et elle a estimé que ces conditions ne se trouvaient plus réunies en la personne de celle-ci, compte tenu également de la modification de l’article 282 § 3 par la loi no 3811/2009.

31. La Cour considère ensuite que, le 9 décembre 2009, date à laquelle le juge d’instruction a rejeté la demande de remise en liberté de la requérante, celui-ci n’aurait pas pu l’élargir au seul motif que la loi no 3811/2009 venait d’être votée par le Parlement le même jour. Cette loi n’est entrée en vigueur que le 18 décembre 2009 ; elle a été prise en compte par la chambre d’accusation lorsque celle-ci s’est prononcée, le 15 janvier 2010, sur le recours formé par la requérante le 14 décembre 2009.

32. En conclusion, la Cour estime que les motifs invoqués par le juge d’instruction pour maintenir la requérante en détention étaient pertinents et suffisants le 9 décembre 2009, compte tenu de la gravité des indices de culpabilité pesant sur elle et les autres membres de l’organisation criminelle ainsi que de la complexité de l’affaire, et qu’ils ne l’étaient plus le 15 janvier 2010, ce dont la chambre d’accusation a pris en considération pour élargir la requérante. Elle considère enfin que la période de détention, qui a duré moins de six mois, ne saurait passer pour incompatible avec l’exigence de célérité inscrite à l’article 5 § 3 de la Convention.

33. Il s’ensuit que cette partie de la requête doit être déclarée irrecevable et rejetée comme étant manifestement mal fondée, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

34. La requérante allègue que ses demandes de remise en liberté n’ont pas été examinées dans un « bref délai ». Elle se plaint à cet égard d’une violation de l’article 5 § 4, qui dispose :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

35. Le Gouvernement indique d’abord que la majeure partie de la période qui s’est écoulée jusqu’à la prise de la décision par le juge d’instruction est due à la préparation de la proposition du procureur (jusqu’au 4 décembre 2009). Il affirme que ce délai était nécessaire au procureur pour examiner et se référer en détail à tous les éléments qui résultaient de l’enquête préliminaire et de l’instruction principale et qui pouvaient concerner la requérante. Il considère que, compte tenu du grand nombre des accusés, du nombre, du type et de la gravité des crimes commis ainsi que de la nécessité de vérifier le degré de participation de la requérante à ces crimes, cette période est d’une durée raisonnable. Il précise que tant le procureur que le juge d’instruction devaient faire preuve des plus grandes diligence et impartialité dans le cadre de l’examen de la réunion des conditions de l’article 282 § 3. Il soutient enfin que le délai nécessaire à l’examen du recours par la chambre d’accusation n’était pas non plus excessif.

36. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les procédures relatives à des questions de privation de liberté, au sens de l’article 5 § 4, requièrent une diligence particulière et que les exceptions au principe d’une constatation « à bref délai » de la conformité de la détention appellent une interprétation stricte (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 79, CEDH 2003-IV). Elle rappelle également que la question de savoir si le principe de la célérité de la procédure a été respecté s’apprécie non pas dans l’abstrait, mais dans le cadre d’une appréciation globale des données, en tenant compte des circonstances de l’espèce (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 64, série A no 181-A, Delbec c. France, no 43125/98, § 33, 18 juin 2002, et Luberti c. Italie, 23 février 1984, §§ 33 et 37, série A no 75), et en particulier à la lumière de la complexité de l’affaire, des particularités éventuelles de la procédure interne à suivre ainsi que du comportement du requérant dans celle-ci (Bubullima c. Grèce, no 41533/08, § 27, 28 octobre 2010). En principe, cependant, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’Etat doit faire en sorte que la procédure se déroule dans un minimum de temps (Fuchser c. Suisse, no 55894/00, § 43, 13 juillet 2006).

37. En l’espèce, la Cour note que, le 3 novembre 2009, la requérante a déposé auprès du juge d’instruction près le tribunal correctionnel d’Athènes, sur le fondement de l’article 286 § 2 du code de procédure pénale, une demande de mise en liberté sous condition. Le procureur a fait sa proposition quant à cette demande le 4 décembre 2009 et le juge d’instruction a rejeté la demande le 9 décembre 2009, soit trente-cinq jours plus tard.

38. La Cour estime que le laps de temps écoulé n’est pas compatible avec l’exigence d’un contrôle à bref délai aux fins de l’article 5 § 4 de la Convention. Á titre de comparaison, elle rappelle que, entre autres, dans les arrêts Rehbock c. Slovénie (no 29462/95, § 84, CEDH 2000‑XII), Butusov c. Russie (no 7923/04, § 34, 22 décembre 2009), Tsitsiriggos c. Grèce (no 29747/09, § 66, 17 janvier 2012) et Christodoulou et autres c. Grèce (no 80452/12, § 70, 5 juin 2014), elle a conclu à la violation de cet article pour des durées de vingt-trois, vingt, vingt-deux et quarante-sept jours respectivement.

39. La Cour considère que la durée en cause en l’espèce n’est pas compatible avec l’exigence du « bref délai » de l’article 5 § 4.

40. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de cette disposition sur ce point.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

41. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

42. La requérante réclame 10 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

43. Le Gouvernement estime que ce montant est excessif et qu’un éventuel constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

44. La Cour considère qu’il y a lieu d’octroyer à la requérante 3 300 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

45. La Cour note que la requérante ne présente aucune demande de remboursement de frais et dépens. Elle ne lui accorde donc aucune somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

46. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 4 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 300 EUR (trois mille trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 mars 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Abel CamposKristina Pardalos
GreffierPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (premiÈre section)
Numéro d'arrêt : 001-181639
Date de la décision : 08/03/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle à bref délai)

Parties
Demandeurs : POULIOU
Défendeurs : GRÈCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MYLONAS H.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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