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13/02/2018 | CEDH | N°001-181118

CEDH | CEDH, AFFAIRE TSEZAR ET AUTRES c. UKRAINE, 2018, 001-181118


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TSEZAR ET AUTRES c. UKRAINE

(Requête nos 73590/14, 73593/14, 73820/14, 4635/15, 5200/15, 5206/15
et 7289/15)

ARRÊT

STRASBOURG

13 février 2018

DÉFINITIF

02/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tsezar et autres c. Ukraine,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaet

ano, président,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani,
Marko Bošnjak, juges,
et...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TSEZAR ET AUTRES c. UKRAINE

(Requête nos 73590/14, 73593/14, 73820/14, 4635/15, 5200/15, 5206/15
et 7289/15)

ARRÊT

STRASBOURG

13 février 2018

DÉFINITIF

02/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tsezar et autres c. Ukraine,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Ganna Yudkivska,
Faris Vehabović,
Iulia Antoanella Motoc,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani,
Marko Bošnjak, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 janvier 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent sept requêtes (nos 73590/14, 73593/14, 73820/14, 4635/15, 5200/15, 5206/15 et 7289/15) dirigées contre l’Ukraine et dont sept ressortissants de cet État, Mme Lyubov Nikolayevna Tsezar (« la première requérante »), M. Nikolay Vladimirovich Tsezar (« le deuxième requérant »), Mmes Svetlana Pavlovna Karlyuk (« la troisième requérante »), Kateryna Andrianivna Vanina (« la quatrième requérante »), Tetyana Kostyantynivna Chernovol (« la cinquième requérante »), Tetyana Anatoliyivna Vysla (« la sixième requérante ») et M. Anatoliy Leonidovych Vyslyy (« le septième requérant ») ont respectivement saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Les trois premiers requérants ont introduit leurs requêtes respectives le 10 novembre 2014. Les autres requérants ont déposé les leurs le 14 janvier 2015. En vertu de l’article 36 § 2 in fine du règlement de la Cour (« le règlement »), les sept requérants ont été autorisés à présenter eux-mêmes leur cause.

2. Le gouvernement ukrainien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. I. Lishchyna, du ministère de la Justice.

3. Les requérants se plaignaient que les autorités ukrainiennes eussent suspendu, d’une manière qu’ils jugeaient illégale et disproportionnée, le versement de pensions et d’autres prestations sociales (« les prestations sociales ») qu’ils auraient dû selon eux percevoir dans la ville de Donetsk, actuellement soustraite au contrôle du gouvernement. Ils alléguaient en outre qu’en raison du départ des tribunaux de l’est de l’Ukraine, ils n’avaient pu porter leurs griefs devant la justice. Enfin, les trois premiers requérants se plaignaient d’avoir subi une discrimination fondée sur leur lieu de résidence.

4. Le 15 juillet 2015, les requêtes ont été communiquées au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1954, en 1952, en 1964, en 1926, en 1952, en 1960 et en 1956 ; ils résident à Donetsk.

A. La genèse de l’affaire

6. Au début du mois d’avril 2014, des groupes armés commencèrent à s’emparer de bâtiments officiels dans les régions de Donetsk et de Lougansk et annoncèrent la création d’entités autoproclamées connues sous les noms de « République populaire de Donetsk » (ci-après « RDP ») et de « République populaire de Lougansk » (ci-après « RPL »).

7. Le 14 avril 2014, le gouvernement ukrainien, qui considère ces groupes armés comme des organisations terroristes, autorisa le recours à la force contre eux sous la forme juridique d’une « opération antiterroriste ».

8. En juin 2014, les groupes armés commencèrent à s’emparer de bâtiments de la Banque nationale d’Ukraine et d’autres institutions financières régionales situés dans les régions de Donetsk et de Lougansk.

9. Le 24 juillet 2014, en raison de fréquentes attaques menées par les groupes armés contre ses véhicules et ses employés, le service postal ukrainien Ukrposhta décida de suspendre ses opérations sur les territoires des régions de Donetsk et de Lougansk qui ne se trouvaient plus sous le contrôle du gouvernement.

10. Le 6 août 2014, la Banque nationale d’Ukraine suspendit toutes les transactions financières sur les territoires soustraits au contrôle du gouvernement (paragraphe 20 ci-dessous).

11. Les forces gouvernementales reprirent certains territoires des régions de Donetsk et de Lougansk mais une partie de ces régions échappe toujours au contrôle du gouvernement depuis cette époque. C’est notamment le cas de la ville de Donetsk.

12. Le 2 septembre 2014, à la suite de modifications introduites dans la législation, le ressort des juridictions situées dans les zones non contrôlées par le gouvernement fut transféré aux juridictions de même compétence qui se trouvaient établies dans les régions limitrophes sur lesquelles le gouvernement exerçait son contrôle (paragraphes 34 à 36 ci-dessous).

13. Le 11 novembre 2014, le versement des prestations sociales fut suspendu dans toutes les localités des régions de Donetsk et de Lougansk qui échappaient au contrôle du gouvernement (paragraphe 26 ci-dessous).

14. En décembre 2014, le tribunal administratif régional de Donetsk et la cour d’appel administrative régionale de Donetsk furent transférés dans les villes de Sloviansk et de Kramatorsk, qui se trouvaient sous le contrôle du gouvernement (paragraphes 37 et 38 ci-dessous).

B. La situation particulière des requérants

15. Les requérants étaient inscrits en tant que bénéficiaires de prestations sociales auprès de différents départements de la Caisse de retraite ukrainienne à Donetsk. Certains d’entre eux perçurent leurs prestations jusqu’au 30 juin 2014, les autres jusqu’au 31 août 2014.

16. Le 16 juin 2015, les deux premiers requérants s’inscrivirent auprès de la direction du travail et de la protection sociale du district de Krasnoarmiysk (correspondant à l’actuelle ville de Pokrovsk, dans la région de Donetsk), qui se trouvait contrôlé par le gouvernement. Le même jour, leurs prestations sociales furent rétablies, avec paiement rétroactif des sommes dues pour la période comprise entre le 1er juillet 2014 et le 16 juin 2015.

17. La sixième requérante était inscrite auprès de la direction du travail et de la protection sociale du district Obolonskiy de Kiev à la date du 9 septembre 2015 mais elle ne sollicita pas le rétablissement de ses prestations sociales.

18. Les autres requérants ne demandèrent pas non plus le rétablissement de leurs prestations sociales auprès des services sociaux compétents situés sur le territoire contrôlé par le gouvernement.

19. Le Gouvernement indique qu’après la suspension de leurs prestations sociales, la sixième requérante et le septième requérant quittèrent Donetsk pour gagner le territoire se trouvant toujours sous le contrôle des autorités de l’État. Il a produit un certificat des services douaniers ukrainiens attestant que les intéressés entrèrent sur ledit territoire le 31 octobre 2015, par un point de passage autorisé qui se trouvait établi à proximité de la ville de Zaitseve, où passait la ligne de front entre forces ukrainiennes et groupes armés de la « RPD ».

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le versement des prestations sociales sur le territoire soustrait au contrôle du gouvernement

1. La résolution no 466 du Conseil de la Banque nationale d’Ukraine du 6 août 2014 « sur la suspension des transactions financières »

20. Dans un but de protection de la vie et de la santé des employés des établissements bancaires et de leurs clients et de sauvegarde de la stabilité de l’ensemble du système bancaire ukrainien, toutes les transactions financières furent suspendues sur le territoire soustrait au contrôle du gouvernement.

2. La loi ukrainienne du 20 octobre 2014 « sur les mesures visant à garantir les droits et libertés des personnes déplacées à l’intérieur du pays »

21. Dans sa version antérieure aux modifications du 24 décembre 2015, l’article 1 § 1 de cette loi était ainsi libellé :

« Est considérée comme une personne déplacée à l’intérieur du pays tout citoyen ukrainien ayant sa résidence permanente en Ukraine qui a quitté son lieu de résidence de manière volontaire ou contrainte après avoir subi les conséquences négatives d’un conflit armé, d’une occupation temporaire, de manifestations de violence généralisée, de violations des droits l’homme commises à grande échelle ou de situations d’urgence liées à une catastrophe naturelle ou à des aléas anthropogéniques, ou pour éviter de subir pareilles conséquences. »

22. L’article 7 § 2 était ainsi libellé :

« L’Ukraine prend toutes les mesures possibles pour résoudre les problèmes relatifs à la protection sociale de ses ressortissants, notamment celui du rétablissement des prestations sociales dues aux personnes déplacées à l’intérieur du pays. »

23. L’article 7 § 3 disposait :

« Les personnes âgées, les adultes ou enfants handicapés et autres personnes en difficulté enregistrées en tant que personnes déplacées à l’intérieur du pays peuvent bénéficier de prestations sociales selon les termes des dispositions légales en vigueur au lieu d’enregistrement de leur lieu de résidence effectif. »

24. La procédure d’établissement et de délivrance des attestations d’enregistrement en tant que personne déplacée à l’intérieur du pays fut définie le 1er octobre 2014 dans la résolution no 509 du conseil des ministres d’Ukraine « sur l’enregistrement des personnes déplacées à l’intérieur du pays en provenance du territoire d’Ukraine temporairement occupé et de la zone d’opération antiterroriste » (après l’adoption de diverses modifications « sur l’enregistrement des personnes déplacées à l’intérieur du pays »).

3. La résolution no 637 du conseil des ministres d’Ukraine du 5 novembre 2014 « sur le versement des prestations sociales aux personnes déplacées à l’intérieur du pays en provenance du territoire d’Ukraine temporairement occupé et de la zone d’opération antiterroriste » (après l’adoption de diverses modifications « sur le versement des prestations sociales aux personnes déplacées à l’intérieur du pays »)

25. L’article 1 de cette résolution disposait que les prestations sociales étaient accordées ou maintenues au bénéfice d’une personne déplacée à l’intérieur du pays en fonction de son lieu de résidence, lequel devait être confirmé par une attestation d’enregistrement en tant que personne déplacée à l’intérieur du pays, établie conformément à la résolution no 509 du conseil des ministres d’Ukraine (paragraphe 24 ci-dessus).

4. La résolution no 595 du conseil des ministres d’Ukraine du 7 novembre 2014 « sur diverses questions concernant le financement des institutions publiques, le versement des prestations sociales et l’apport d’un soutien financier à certaines entreprises et organisations dans les régions de Donetsk et de Lougansk »

26. L’article 3 de cette résolution était ainsi libellé :

« Les ministères et autres autorités publiques prennent toutes mesures nécessaires pour assurer le transfert d’ici au 1er décembre 2014 au plus tard des institutions, entreprises et organisations à financement public placées sous leur responsabilité du territoire hors du contrôle des autorités nationales vers des localités où les autorités nationales exercent pleinement leurs pouvoirs. »

27. La résolution approuvait une ordonnance provisoire « sur le financement des institutions publiques, le versement des prestations sociales et l’apport d’un soutien financier à certaines entreprises et organisations dans les régions de Donetsk et de Lougansk ».

28. L’article 2 de cette ordonnance était ainsi libellé :

« Dans les localités des régions de Donetsk et de Lougansk où les autorités nationales n’exercent pas pleinement leurs pouvoirs, les prestations financées par le budget de l’État, la caisse nationale de retraite et les autres caisses d’assurance sociale obligatoire ne seront versées que lorsque les autorités nationales auront recouvré le contrôle de ces territoires. »

29. La résolution est entrée en vigueur le 11 novembre 2014.

5. La résolution no 1085-p du conseil des ministres d’Ukraine du 7 novembre 2014 « approuvant la liste des localités situées sur le territoire qui se trouve temporairement hors du contrôle des autorités nationales ou dans lesquelles celles-ci n’exercent pas pleinement leurs pouvoirs »

30. La résolution dressait la liste des zones qui se trouvaient temporairement hors du contrôle du gouvernement, mentionnant parmi elles la ville de Donetsk.

B. Compétence des tribunaux administratifs et compétence matérielle sur les affaires administratives

31. L’article 17 § 2 du code de la justice administrative d’Ukraine dispose que les tribunaux administratifs ont compétence pour connaître des recours présentés par les personnes physiques ou morales contre les décisions (règlements ou actes juridiques individuels), actions ou omissions des autorités publiques.

32. L’article 18 § 1, 4), du même code prévoit que les tribunaux locaux de compétence générale connaissent des plaintes dirigées par les particuliers contre les autorités publiques relativement au calcul, à la réévaluation et au paiement de prestations sociales.

33. Selon l’article 18 § 2, 1), les tribunaux administratifs régionaux connaissent de toutes les plaintes déposées par les personnes physiques ou morales contre les autorités publiques, sauf dans les cas particuliers expressément mentionnés dans le code.

C. Le transfert des tribunaux situés dans les territoires non contrôlés par le gouvernement

1. La loi du 12 août 2014 « sur l’administration de la justice et la conduite des procédures pénales en relation avec l’opération antiterroriste »

34. L’article 1 de cette loi modifiait la compétence territoriale dans les procédures judiciaires qui étaient du ressort des juridictions situées dans la zone de l’opération antiterroriste. Elle autorisait les juridictions supérieures spécialisées compétentes de l’Ukraine à désigner les juridictions habilitées à connaître des affaires qui auraient normalement dû être examinées par les juridictions qui étaient situées dans la zone où se déroulait l’opération antiterroriste et qui n’étaient plus en mesure d’exercer leurs fonctions.

2. L’ordonnance no 193 du président de la cour administrative supérieure d’Ukraine du 2 septembre 2014 « sur les mesures propres à garantir l’examen des affaires administratives relevant de la compétence des juridictions administratives situées dans la zone de l’opération antiterroriste »

35. L’article 1 de cette ordonnance attribuait l’examen des affaires relevant de la compétence des tribunaux administratifs situés dans la zone non contrôlée par le gouvernement aux juridictions suivantes :

– au tribunal administratif régional de Zaporizhzhia les affaires administratives relevant de la compétence du tribunal administratif régional de Donetsk ;

– à la cour d’appel administrative de Kharkiv les affaires administratives confiées au tribunal administratif régional de Donetsk pour réexamen.

3. L’ordonnance no 2710/38-14 de la Cour supérieure spécialisée d’Ukraine pour les affaires civiles et pénales « sur l’attribution de la compétence territoriale pour les affaires portées devant les tribunaux », avec les amendements subséquents

36. L’ordonnance prévoyait que les affaires administratives relevant des tribunaux de droit commun de la ville de Donetsk seraient examinées par certaines juridictions situées sur le territoire contrôlé par le gouvernement.

4. L’ordonnance no 262 de la Cour administrative supérieure d’Ukraine du 15 décembre 2014 « sur le transfert des opérations du tribunal administratif régional de Donetsk »

37. L’article 1 de cette ordonnance disposait que les opérations du tribunal administratif régional de Donetsk seraient transférées dans la ville de Sloviansk, territoire contrôlé par le gouvernement, à compter du 22 décembre 2014.

5. L’ordonnance no 252 du président de la Cour administrative supérieure d’Ukraine du 1er décembre 2014 modifiant l’ordonnance no 193 du président de la Cour administrative supérieure d’Ukraine du 2 septembre 2014 « visant à garantir l’examen des affaires administratives relevant de la compétence des juridictions administratives situées dans la zone de l’opération antiterroriste » (paragraphe 35 ci-dessus)

38. Cette ordonnance prévoyait le transfert dans la ville de Kramatorsk, territoire contrôlé par le gouvernement, des opérations du tribunal administratif régional de Donetsk.

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

39. Eu égard à la similarité d’objet des requêtes, la Cour juge approprié de procéder à leur jonction (article 42 § 1 du règlement).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

40. Invoquant l’article 6 § 1 et/ou l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1, les requérants se plaignent de s’être trouvés dans l’incapacité de contester la suspension de leurs prestations sociales devant les tribunaux, par suite du transfert des opérations de ces derniers hors des zones où se déroulaient les hostilités.

41. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (voir, parmi beaucoup d’autres, Guerra et autres c. Italie, 19 février 1998, § 44, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I), la Cour estime que ces griefs doivent être examinés sous le seul angle de l’article 6 § 1 de la Convention, qu’il convient d’envisager en l’espèce comme une lex specialis par rapport à l’article 13 (voir, mutatis mutandis, Frida, LLC c. Ukraine, no 24003/07, § 24, 8 décembre 2016).

42. En sa partie pertinente en l’espèce, l’article 6 § 1 de la Convention est ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

43. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

44. Le Gouvernement confirme que les juridictions de la ville de Donetsk sont à l’arrêt depuis août 2014. Il explique que les représentants de la « RPD » et de la « RPL » ­représentaient une menace pour les juges, les représentants de la force publique et les citoyens ayant besoin d’une protection judiciaire dans la zone qui n’était plus sous son contrôle, et qu’en conséquence, après que la loi eut été modifiée (paragraphe 34 ci-dessus), les tribunaux avaient été déplacés dans les régions voisines des zones de conflit.

45. Il expose par ailleurs que les requérants avaient la possibilité de rejoindre le territoire qu’il contrôlait. Il indique à cet égard que la première requérante, le deuxième requérant et la sixième requérante étaient enregistrés auprès des services de protection sociale sur ledit territoire (paragraphes 16 et 17 ci-dessus) et que la sixième requérante et le septième requérant avaient officiellement rejoint celui-ci le 31 octobre 2015 (paragraphe 19 ci-dessus). Il en conclut que les requérants avaient accès aux tribunaux situés sur le territoire qu’il contrôlait et qu’ils auraient donc pu les saisir de leurs griefs s’ils l’avaient souhaité.

46. Les requérants contestent cette thèse. Invoquant des problèmes de santé et un manque d’argent, la première requérante explique qu’elle n’était pas en mesure de se déplacer jusqu’aux tribunaux situés sur le territoire contrôlé par le gouvernement. Elle produit à l’appui des certificats médicaux, datés du 26 septembre 2015 et du 12 avril 2016, établis par une institution de la « RPD » et attestant qu’elle souffrait d’encéphalopathie dyscirculatoire (stade 2), de céphalées (maux de tête) et d’asthénie (faiblesse). Les autres requérants présentent des arguments similaires, sans préciser la nature de leurs problèmes de santé. Les requérants ajoutent que l’État n’avait pas pris de mesures propres, d’une part, à permettre un libre accès à son territoire et, d’autre part, à assurer leur sécurité durant le voyage.

2. Appréciation de la Cour

47. La Cour observe d’emblée que l’impossibilité pour les juridictions de la ville de résidence des requérants de statuer sur les griefs de ces derniers est une conséquence des hostilités affectant les zones soustraites au contrôle du gouvernement.

48. Par conséquent, il ne s’agit pas de savoir si les autorités de l’État défendeur ont intentionnellement « restreint » ou « limité » le droit d’accès à un tribunal des requérants (voir, a contrario, Omar c. France, 29 juillet 1998, §§ 34-44, Recueil 1998‑V). La question que la Cour doit trancher est plutôt de savoir si l’État défendeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour organiser son système judiciaire d’une manière apte à rendre effectifs en pratique les droits garantis par l’article 6 (voir, mutatis mutandis, Unión Alimentaria Sanders S.A. c. Espagne, 7 juillet 1989, § 38, série A no 157, et Davran c. Turquie, no 18342/03, § 45, 3 novembre 2009), à la lumière du principe établi de longue date voulant que la Convention garantisse des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37, et Ibrahim et autres c. Royaume-Uni [GC], nos 50541/08 et 3 autres, § 272, 13 septembre 2016). À cet égard, la Cour a conscience du contexte – celui des hostilités qui se déroulaient dans la région – dans lequel s’inscrit la présente affaire, et elle considère qu’il serait artificiel d’examiner les faits de l’espèce en faisant abstraction de cette donnée (Khlebik c. Ukraine, no 2945/16, § 71, 25 juillet 2017, et les références qui s’y trouvent citées).

49. Elle rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’article 6 § 1 de la Convention consacre le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès, à savoir le droit de saisir le tribunal en matière civile, ne constitue qu’un aspect (Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 36, série A no 18). L’effectivité du droit d’accès demande qu’un individu jouisse d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constitutif d’une atteinte à ses droits (Bellet c. France, 4 décembre 1995, § 36, série A no 333‑B, et Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, § 86, 29 novembre 2016).

50. La Cour observe qu’il est constant entre les parties que les juridictions de la ville de Donetsk n’ont plus d’activité depuis août 2014 au moins (paragraphe 44 ci-dessus). Par conséquent, à compter de ce moment, les requérants étaient dans l’impossibilité de déposer des recours devant les juridictions de la ville, en quoi la Cour voit une claire limitation de leur droit d’accès à un tribunal.

51. Elle rappelle que le droit d’accès aux tribunaux n’est pas absolu mais qu’il peut donner lieu à des limitations implicitement admises car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, réglementation qui peut varier dans le temps et dans l’espace en fonction des besoins et des ressources de la communauté et des individus (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 57, série A no 93, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 230, CEDH 2012). En élaborant pareille réglementation, les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation. S’il appartient à la Cour de statuer en dernier ressort sur le respect des exigences de la Convention, elle n’a pas qualité pour substituer à l’appréciation des autorités nationales une autre appréciation de ce que pourrait être la meilleure politique en la matière. Néanmoins, les limitations appliquées ne sauraient restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Cordova c. Italie (no 1), no 40877/98, § 54, CEDH 2003‑I, et Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres, précité, § 89).

52. La Cour reconnaît que les autorités nationales peuvent parfois rencontrer des difficultés à assurer le bon fonctionnement du système judiciaire dans certaines régions, notamment lorsque des hostilités s’y déroulent. Elles lui paraissent toutefois devoir prendre certaines mesures pour remédier à ce problème, notamment, par exemple, en prévoyant expressément que des recours puissent être déposés devant les tribunaux d’une autre région de l’État (voir, mutatis mutandis, Khamidov c. Russie, no 72118/01, § 156, 15 novembre 2007).

53. La Cour observe qu’en l’occurrence l’État introduisit des modifications législatives, autorisant d’abord les juridictions des régions limitrophes à connaître d’affaires qui auraient normalement dû être examinées par des juridictions situées sur le territoire non contrôlé par le gouvernement et transférant ultérieurement les opérations des juridictions concernées vers le territoire contrôlé par le gouvernement (paragraphes 34 à 38 ci-dessus). En particulier, dès septembre 2014 – deux ou quatre mois avant le dépôt des présentes requêtes devant la Cour – les juridictions situées sur le territoire contrôlé par le gouvernement auraient légalement pu connaître des affaires de droit administratif des requérants si ceux-ci les en avaient saisies.

54. La Cour note que rien n’étaye les allégations des requérants selon lesquelles leurs situations personnelles les ont empêchés de se rendre sur le territoire abritant les juridictions compétentes afin d’introduire des recours devant elles ou autoriser un représentant à le faire en leur nom. En vérité, il ressort des documents fournis par les parties que quatre des requérants ont pu se rendre sur le territoire contrôlé par le gouvernement après le transfert des opérations des tribunaux (paragraphes 16, 17 et 19 ci-dessus). C’est en particulier le cas de la première requérante, qui, nonobstant ses problèmes de santé (paragraphe 46 ci-dessus), a pu se faire enregistrer auprès de la direction du travail et de la protection sociale du district de Krasnoarmiysk de la région de Donetsk (paragraphe 16 ci-dessus).

55. La Cour rappelle que dans la récente affaire Khlebik, précitée, elle a eu à apprécier si les autorités de l’État ukrainien avaient pris toutes les mesures possibles pour organiser le système judiciaire ukrainien de telle sorte que les droits garantis par l’article 6 soient effectifs dans la situation particulière d’un conflit persistant et a conclu qu’elles avaient fait tout ce qui était en leur pouvoir, dans les circonstances, pour répondre à la situation du requérant (§ 79). De la même façon, la Cour considère en l’espèce que les autorités nationales ont pris les mesures que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour garantir le bon fonctionnement du système judiciaire en le rendant accessible aux résidents de territoires qui ne se trouvaient plus sous le contrôle du gouvernement (voir, a contrario, Khamidov, précité, § 156). Faute d’éléments indiquant que la situation personnelle des requérants les empêchait de faire usage de ce système, la Cour conclut que dans les circonstances de l’espèce l’impossibilité dans laquelle les requérants se trouvaient de porter leurs griefs devant des tribunaux situés dans leur ville de résidence n’emportait pas atteinte à la substance même de leur droit d’accès à un tribunal. La limitation de ce droit résultait de l’existence objective d’un conflit dans les zones soustraites au contrôle du gouvernement (paragraphe 47 ci-dessus) et, eu égard aux obstacles objectifs auxquels les autorités ukrainiennes avaient à faire face, elle ne revêtait manifestement pas un caractère disproportionnée.

56. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

57. Les requérants voient dans la suspension des prestations sociales dont ils étaient bénéficiaires une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Thèses des parties

1. Le Gouvernement

58. Le Gouvernement explique qu’en raison des hostilités persistantes dans l’est de l’Ukraine, l’État a dû suspendre le versement de toutes les prestations sociales dans cette partie du territoire. Il expose que les autorités internes ont néanmoins introduit de nouvelles dispositions légales permettant aux bénéficiaires de prestations sociales résidant dans les territoires des régions de Donetsk ou de Lougansk soustraits à son contrôle de solliciter le rétablissement de leurs prestations auprès des services de protection sociale situés dans les territoires contrôlés par lui.

59. Il prend pour exemple de l’efficacité du nouveau système mis en place pour le versement des prestations sociales le fait que les deux premiers requérants, qui s’étaient inscrits auprès des services sociaux de la ville de Pokrovsk (anciennement Krasnoarmiysk) placée sous son contrôle, perçoivent leurs prestations sociales depuis le 1er juillet 2014 (paragraphe 16 ci-dessus).

60. Il argue par ailleurs que dès lors que les deux premiers requérants ont fait usage du nouveau mécanisme pour obtenir le rétablissement de leurs prestations sociales, ils ne peuvent être considérés comme ayant été victimes d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1.

61. Il ajoute que les autres requérants n’ont pas sollicité le rétablissement de leurs prestations sociales auprès des services sociaux compétents. Il indique par ailleurs que tous les requérants auraient pu contester la suspension de leurs prestations sociales devant les tribunaux administratifs situés sur le territoire contrôlé par le gouvernement. Il en conclut que, contrairement à ce qu’exige l’article 35 § 1 de la Convention, les requérants n’ont pas épuisé les voies de recours internes effectives avant de soulever leurs griefs devant la Cour.

62. Enfin, il plaide subsidiairement que les griefs des requérants sont manifestement mal fondés.

2. Les requérants

63. Les requérants contestent cette thèse. Ils réaffirment qu’ils ne pouvaient se rendre sur le territoire contrôlé par le gouvernement, alléguant des problèmes de santé, des risques que le voyage aurait présentés pour leur sécurité et un manque d’argent. Ils estiment qu’en conséquence les recours internes évoqués par le Gouvernement leur étaient inaccessibles.

64. Les deux premiers requérants confirment qu’ils ont pu faire rétablir leurs prestations sociales sur le territoire contrôlé par les autorités. Ils contestent toutefois la thèse du Gouvernement selon laquelle ils n’ont pas été victimes d’une violation de la Convention. Ils indiquent que le montant des prestations sociales qui leur sont versées n’est pas correct et que les services de protection sociale ne leur ont pas remboursé les frais qu’ils disent avoir dû engager pour se rendre sur le territoire contrôlé par le gouvernement. Ils expliquent également que pour recevoir leurs prestations sociales, ils ont dû donner de fausses informations aux autorités compétentes et déclarer qu’ils résidaient sur le territoire contrôlé par le gouvernement en tant que personnes déplacées à l’intérieur du pays, alors qu’ils vivaient en fait toujours à Donetsk. En raison de ces fausses déclarations, ils vivraient en permanence dans la crainte de voir le versement de leurs prestations sociales suspendu.

65. Enfin, les trois premiers requérants indiquent qu’ils ignoraient l’existence de la loi du 12 août 2014 « sur l’administration de la justice et la conduite des procédures pénales en relation avec l’opération antiterroriste » (paragraphe 34 ci-dessus). Ils expliquent que les médias ukrainiens avaient cessé d’assurer leurs services à Donetsk le 24 juillet 2014 et qu’ils n’avaient donc pu être informés du transfert des tribunaux vers les régions voisines.

B. Appréciation de la Cour

66. À la lumière des observations des parties, la Cour constate que les deux premiers requérants touchent leurs prestations sociales et qu’ils ont d’ailleurs perçu celles qui leur étaient dues pour la période comprise entre le 1er juillet 2014 et le 16 juin 2015. Elle note toutefois que ces mêmes requérants ne sont pas d’accord avec les montants qui leur sont versés, qu’ils se plaignent de ne pas avoir été remboursés des frais qu’ils disent avoir dû engager pour se rendre sur le territoire contrôlé par le gouvernement et qu’ils contestent à d’autres égards l’efficacité du système de versement des prestations sociales (paragraphe 64 ci-dessus).

67. Cela étant, même à supposer que les requérants en question aient conservé la qualité de victime, le grief formulé sur le terrain de l’article 1 du Protocol no 1 à la Convention est en tout état de cause irrecevable pour les raisons exposées ci-dessous.

68. La Cour relève d’abord qu’aucun des requérants n’a contesté la décision de suspension de ses prestations devant les juridictions internes, chacun d’eux estimant qu’il ne pouvait accéder à ces dernières.

69. Elle rappelle à cet égard que l’exigence selon laquelle une personne doit utiliser les recours offerts par l’ordre juridique interne avant de saisir la Cour constitue un aspect important du mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention, lequel est subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de protection des droits de l’homme (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 65, Recueil 1996‑IV). Les principes généraux relatifs à l’épuisement des voies de recours internes se trouvent résumés dans l’arrêt Vučković et autres c. Serbie ((exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, §§ 69-77, 25 mars 2014).

70. La Cour note qu’au mois de septembre 2014 les autorités ont transféré toutes les juridictions situées dans les zones soustraites à leur contrôle vers des régions limitrophes contrôlées par elles (paragraphe 53 ci‑dessus). Renvoyant par ailleurs à ses conclusions relatives aux griefs énoncés par les requérants sur le fondement de l’article 6 (paragraphe 55 ci‑dessus), elle réaffirme que dans le contexte particulier qui a donné naissance à la cause, aucun des requérants n’a subi une restriction disproportionnée de son droit d’accès à un tribunal garanti par cette disposition.

71. Aussi la Cour conclut-elle que, faute d’avoir formulé leurs griefs devant les juridictions internes, les requérants n’ont pas donné aux autorités nationales l’occasion que l’article 35 de la Convention a pour finalité de ménager en principe aux États contractants : celle de prévenir ou redresser dans leur ordre juridique interne les violations de la Convention alléguées contre eux (voir, mutatis mutandis et parmi beaucoup d’autres, Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200, et Vučković et autres, précité, § 90). Dès lors, il y a lieu d’accueillir l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

72. Il s’ensuit, par application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, que ce grief doit être rejeté.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION COMBINÉ AVEC L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION ET/OU AVEC L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

73. Invoquant l’article 14 combiné avec l’article 6 de la Convention et/ou avec l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, les trois premiers requérants se plaignent d’avoir subi dans la jouissance de leur droit d’accès à un tribunal et de leur droit de propriété une discrimination fondée sur leur lieu de résidence.

L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

74. Le Gouvernement plaide que le transfert des tribunaux hors des zones soustraites à son contrôle n’était pas discriminatoire et n’avait pas pour objectif de restreindre les droits des résidents de ces territoires. Il explique qu’il s’agissait au contraire de garantir aux habitants des zones où se déroulaient les hostilités le respect des droits consacrés par la loi. Il invite donc la Cour à rejeter pour défaut manifeste de fondement les griefs exposés ci-dessus.

75. La Cour observe qu’il y a violation du droit garanti par l’article 14 de ne pas subir de discrimination dans la jouissance des droits reconnus par la Convention lorsque les États font subir sans justification objective et raisonnable un traitement différent à des personnes se trouvant dans des situations analogues (Thlimmenos c. Grèce [GC], no 34369/97, § 44, CEDH 2000‑IV).

76. Elle relève d’emblée que les trois premiers requérants comparent leur situation à celle des résidents des territoires ukrainiens qui se trouvent sous le contrôle du Gouvernement.

77. Elle considère que la principale différence entre ces deux situations est que les trois premiers requérants résident dans une ville où le gouvernement n’exerce pas ses pouvoirs (paragraphe 47 ci-dessus). Il appert que cet état de fait restreint fortement, voire réduit à néant, la capacité de l’État à maintenir concrètement l’activité judiciaire et à assurer le versement des prestations sociales sur le territoire en question. L’élément objectif que constituent les hostilités persistantes dans la région où résident les trois premiers requérants a contraint le gouvernement à adopter des mesures correctives qui n’étaient pas requises dans les parties du pays restées sous son contrôle. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que les trois premiers requérants ne se trouvent pas dans une situation « analogue » à celle des personnes résidant sur le territoire contrôlé par le gouvernement.

78. En conséquence, le grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

V. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

79. Enfin, les trois premiers requérants allèguent, sans donner de précisions, que la situation existante, en tant qu’elle serait responsable de leur faible niveau de vie, porte atteinte à leur droit à la vie garanti par l’article 2 § 1 de la Convention.

80. Indépendamment d’autres motifs d’irrecevabilité, la Cour n’aperçoit aucune raison de s’écarter de sa conclusion énoncée ci-dessus selon laquelle les requérants disposaient au plan interne de recours effectifs pour obtenir le redressement de leurs griefs. Elle considère que les intéressés auraient dû user de ces recours avant de la saisir de leurs requêtes (paragraphe 71 ci‑dessus).

81. Il s’ensuit, par application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention, que cette partie des requêtes doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare le grief formulé sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention recevable et les requêtes irrecevables pour le surplus ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 13 février 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliVincent A. De Gaetano
GreffièrePrésident


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