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25/01/2018 | CEDH | N°001-180314

CEDH | CEDH, AFFAIRE SIDIROPOULOS ET PAPAKOSTAS c. GRÈCE, 2018, 001-180314


PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SIDIROPOULOS ET PAPAKOSTAS c. GRÈCE

(Requête no 33349/10)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 4 septembre 2018
conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

25 janvier 2018

DÉFINITIF

25/04/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Sidiropoulos et Papakostas c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en

une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
...

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE SIDIROPOULOS ET PAPAKOSTAS c. GRÈCE

(Requête no 33349/10)

ARRÊT

Cette version a été rectifiée le 4 septembre 2018
conformément à l’article 81 du règlement de la Cour.

STRASBOURG

25 janvier 2018

DÉFINITIF

25/04/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Sidiropoulos et Papakostas c. Grèce,

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

Kristina Pardalos, présidente,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Armen Harutyunyan,
Tim Eicke,
Jovan Ilievski, juges,
et de Abel Campos, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 décembre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 33349/10) dirigée contre la République hellénique et dont deux ressortissants de cet État, M. Georgios Sidiropoulos (« le premier requérant) et M. Ioannis Papakostas (« le second requérant »), ont saisi la Cour le 17 mai 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants ont été représentés par le Moniteur grec Helsinki, une organisation non gouvernementale ayant son siège à Glyka Nera (Athènes). Le gouvernement grec (« le Gouvernement ») a été représenté par les déléguées de son agent, Mme S. Charitaki, conseillère juridique auprès du Conseil juridique de l’État, et Mme A. Dimitrakopoulou, assesseure auprès du Conseil juridique de l’État.

3. Les requérants alléguaient en particulier une violation des articles 3, 6 § 1 et 13 de la Convention.

4. Le 21 avril 2016, les griefs concernant le volet procédural de l’article 3 de la Convention ainsi les articles 6 § 1 et 13 de la Convention ont été communiqués au Gouvernement et le grief concernant la violation du volet substantiel de l’article 3 de la Convention a été déclaré irrecevable conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Les requérants sont nés respectivement en 1985 et en 1982 et résident à Aspropyrgos.

A. La genèse de l’affaire

6. Les faits de la cause, tels qu’ils ont été établis par les juridictions internes, peuvent se résumer comme suit.

7. Dans la nuit du 13 au 14 août 2002, le policier C.E. était en service au commissariat de police d’Aspropyrgos.

8. Cette nuit-là, le premier requérant fut arrêté par deux autres policiers à Aspropyrgos. Il était soupçonné d’avoir conduit une motocyclette sans permis de conduire ni contrat d’assurance. Par ailleurs, il ne pouvait pas justifier être le propriétaire de ladite motocyclette, qu’il disait avoir trouvée dans un champ.

9. Le premier requérant fut amené, menotté, au commissariat de police d’Aspropyrgos. Il fut conduit dans le bureau du policier de service I.S., où ses données personnelles furent enregistrées. Par la suite, le policier D.K. amena le premier requérant dans un autre bureau à l’arrière du commissariat. Il l’y interrogea à plusieurs reprises au sujet de la motocyclette. Le premier requérant répéta sa version des faits. D.K. le frappa avec une matraque et le premier requérant tomba à genoux. C.E. entra dans la pièce, obligea D.K. à partir et exigea du premier requérant qu’il restât au sol. Le requérant, toujours à genoux, s’aperçut que C.E. tenait un appareil noir équipé d’un bouton et duquel sortaient deux fiches. C.E. demanda plusieurs fois au premier requérant où il avait trouvé la motocyclette ; l’intéressé répondit qu’il l’avait trouvée dans les champs. C.E. appliqua l’appareil à deux reprises et pendant un certain temps sur la partie supérieure de la poitrine du premier requérant. Ce dernier sentit un courant électrique le traverser et il éprouva une sensation de paralysie. C.E. appliqua ensuite l’appareil en cause sur la jambe gauche du premier requérant, près de ses parties génitales. L’intéressé ressentit des douleurs aiguës et une sensation de paralysie.

10. Le premier requérant fut ensuite amené à l’accueil (χώρος προσαγόμενων) du commissariat, tandis que C.E. sortait du bâtiment afin d’examiner la motocyclette.

11. La même nuit, le second requérant, qui n’aurait pas obéi aux consignes lors d’un contrôle de police, fut arrêté alors qu’il circulait en motocyclette. Il fut conduit, menotté, au commissariat de police d’Aspropyrgos. Au commissariat, C.E. lui demanda à plusieurs reprises pourquoi il ne s’était pas arrêté au contrôle de police. Le policier sortit ensuite du bâtiment et, lorsqu’il y revint, il tenait un appareil noir qui ressemblait à un téléphone portable. Il toucha deux fois l’omoplate droite du second requérant avec cet appareil, puis l’aine droite de l’intéressé, près des parties génitales. Ce dernier sentit un courant électrique le traverser et ressentit une douleur aiguë et constante. Il tomba au sol et fut incapable de se relever. Il fut ensuite amené à l’accueil du commissariat. Après qu’une plainte contre lui fut introduite au motif qu’il ne disposait pas de permis de conduire, il quitta le commissariat.

12. Le 14 août 2002, le second requérant dénonça les événements en cause lors d’une émission de la station de radio SKAI. Le même jour, la direction de la police de l’Attique de l’Ouest indiqua dans un communiqué de presse que les faits dénoncés par le second requérant faisaient l’objet d’une enquête administrative.

13. Toujours le 14 août 2002, le second requérant se rendit aux urgences de l’hôpital public « Tzaneio », où il déclara avoir subi des blessures en raison de chocs électriques. Les médecins constatèrent que l’intéressé avait quatre petites taches (κηλίδες) sous la clavicule droite, une sur le sein droit et cinq au niveau de l’aine.

14. Le 17 août 2002, C.E. remit au commissariat de police d’Aspropyrgos un émetteur-récepteur portatif noir. Il allégua que, lorsqu’il avait interrogé le second requérant, il n’avait que cet appareil dans les mains. Le même jour, une enquête au domicile de C.E. eut lieu. Aucun objet suspect ne fut trouvé.

15. L’émetteur-récepteur précité fut envoyé aux laboratoires de la direction des enquêtes criminelles pour examen. Il fut constaté qu’il ne pouvait pas provoquer de décharge électrique.

16. Le 19 août 2002, le second requérant fut examiné par le médecin légiste S.M., qui constata que l’intéressé présentait de petites blessures aux endroits où il se plaignait d’avoir subi des chocs électriques. Selon le rapport médicolégal, la cicatrisation ne permettait pas de connaître la cause des blessures en question.

17. Le 28 août 2002, le premier requérant fut également examiné par le médecin légiste S.M., qui constata que l’intéressé présentait deux griffures fraîchement cicatrisées. S.M. conclut que la cicatrisation ne permettait pas d’identifier la cause des blessures en question.

18. Par une décision du chef de la division d’organisation et des ressources humaines de la police hellénique du 29 janvier 2010, une mesure d’éloignement du service fut prise à l’encontre de C.E., conformément à sa demande. Cette décision a résulté à la promotion de C.E., de sergent (αρχιφύλακας) à commandant adjudant (ανθυπαστυνόμος).

19. Le 24 février 2010, C.E. fut retiré du service (διαγράφηκε από την υπηρεσία).

B. L’enquête administrative

20. Le 14 août 2002, le directeur adjoint de la direction de la police de l’Attique de l’Ouest ordonna au directeur K.A. de mener une enquête administrative « approfondie et minutieuse » sur les événements en cause.

21. Le 23 août 2002, la direction générale de la police de l’Attique ordonna la modification de l’enquête interne en enquête administrative (Ένορκη Διοικητική Εξέταση). Cette enquête fut attribuée à la sous-direction des enquêtes administratives (Υποδιεύθυνση Διοικητικών Εξετάσεων).

22. Par une décision du 8 juillet 2003, le chef de la division administrative de la police hellénique (Προϊστάμενος του Κλάδου Διοικητικού του Αρχηγείου της Ελληνικής Αστυνομίας) décida de classer l’affaire en ce qui concernait l’utilisation d’un appareil à décharge électrique. Il fut constaté que C.E. portait et utilisait pendant l’exercice de ses fonctions un émetteur-récepteur portatif sans la permission préalable du ministère des Transports et des Télécommunications et une amende de 100 euros (EUR) lui fut imposée à ce titre.

C. La procédure pénale

23. Le 17 août 2002, le second requérant identifia C.E. comme étant l’auteur des faits.

24. Le 27 août 2002, le premier requérant fit une déposition dans le cadre de l’instruction préliminaire. Il dénonça les actes que C.E. aurait commis à son encontre.

25. Le Gouvernement soutient que le premier requérant avait déclaré lors de sa déposition initiale qu’il ne souhaitait pas introduire de poursuites pénales contre C.E. Il ajouta que l’intéressé n’avait raconté les événements en cause qu’à sa mère, qui lui aurait conseillé de ne rien dire à personne.

26. Le 22 novembre 2002, le premier requérant identifia C.E. comme étant l’auteur des faits.

27. Le 25 novembre 2002, le commissariat de police d’Aspropyrgos soumit au procureur du tribunal correctionnel d’Athènes un rapport contenant les allégations des requérants sur les événements en cause.

28. Le 3 février 2003, l’affaire fut attribuée à un procureur.

29. Le 20 avril 2003, des poursuites pénales furent engagées à l’encontre de C.E. pour violation des articles 137 A § 1α et 137 B § 1α du code pénal (CP). Le même jour, l’affaire fut transmise au juge d’instruction du tribunal de première instance d’Athènes pour mener une enquête judiciaire officielle (κύρια ανάκριση).

30. Le 17 novembre 2003, les requérants introduisirent une demande de constitution de partie civile.

31. Le 16 janvier 2004, l’enquête judiciaire officielle fut clôturée.

32. Le 6 février 2004, l’affaire fut attribuée au procureur compétent.

33. Par la proposition no ΕΓ 112-04/57/6 du 10 juin 2004, celui-ci transmit le dossier de l’affaire à la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes.

34. Le 13 octobre 2004, la chambre d’accusation du tribunal correctionnel d’Athènes renvoya C.E. en jugement (ordonnance no 4274/2004).

35. Le 12 novembre 2004, C.E. introduisit un appel contre l’ordonnance no 4274/2004.

36. Le 19 janvier 2006, la chambre d’accusation de la cour d’appel d’Athènes rejeta l’appel formé par C.E. (ordonnance no 1122/2006).

37. Le 10 février 2006, C.E. se pourvut en cassation contre l’ordonnance no 1122/2006.

38. Le 9 mars 2007, la chambre d’accusation de la Cour de cassation rejeta le pourvoi de l’intéressé (décision no 492/2007).

39. Le procès, fixé au 7 janvier 2008 devant la cour d’assises d’Athènes (Μικτό Ορκωτό Δικαστήριο Αθηνών) (« la cour d’assises »), fut ajourné à trois reprises, le 7 janvier 2008, le 17 décembre 2008 et le 16 novembre 2009, à cause de « l’impossibilité pour l’avocat de la défense de se présenter devant le tribunal », au motif qu’il devait se présenter devant d’autres tribunaux en dehors d’Athènes.

40. La procédure fut par la suite interrompue aux dates suivantes : le 27 novembre 2009, le 11 décembre 2009, le 22 décembre 2009, le 15 janvier 2010, le 28 janvier 2010, le 16 février 2010, le 23 février 2010, le 5 mars 2010, le 15 mars 2010, le 29 mars 2010, le 14 avril 2010, le 19 avril 2010, le 3 mai 2010 et le 2 février 2011. Il ressort du dossier que les requérants demandèrent l’ajournement de l’audience à deux reprises en raison d’une grève des avocats.

41. Entre-temps, le 3 mai 2010, les requérants soumirent à la cour d’assises une déclaration dans laquelle ils dénonçaient les ajournements de l’affaire et les retards dans la procédure. Se prévalant de la jurisprudence de la Cour, ils demandaient à la cour d’assises de veiller à ce que l’examen de l’affaire puisse continuer et de rejeter toute demande d’ajournement introduite par l’avocat de la défense.

42. Le procès eut lieu devant la cour d’assises du 11 novembre 2011 au 13 décembre 2011. Les requérants réclamèrent 44 euros (EUR) chacun à titre de dommages-intérêts.

43. Le 13 décembre 2011, la cour d’assises condamna C.E. pour avoir torturé les requérants en utilisant « des moyens techniques de torture systématique (choc électrique) » dans le but de briser la résistance des victimes (actes qui relevaient des paragraphes 1α et 2 de l’article 137 A et du paragraphe 1α de l’article 137 B du CP). Plus particulièrement, la cour d’assises jugea que C.E. avait infligé des tortures dans l’exercice de ses fonctions aux personnes se trouvant sous son autorité, dans le but d’obtenir des aveux. Lui reconnaissant la circonstance atténuante de l’article 84 § 2 e) du CP, à savoir le fait qu’il avait eu un bon comportement pendant une période relativement longue après avoir commis l’infraction qui lui était reprochée, elle le condamna à des peines d’emprisonnement de cinq ans pour les tortures infligées à chaque requérant, soit une peine d’emprisonnement totale de six ans avec sursis après la confusion des peines. Elle le priva également de ses droits politiques pour une durée de dix ans et le condamna à verser 44 EUR à chacun des requérants (arrêt no 649, 681, 682, 700, 700α, 715, 716, 717/13-12-2011).

44. Le 13 décembre 2011, C.E. interjeta appel contre cet arrêt.

45. Le 14 février 2014, la cour d’appel criminelle d’Athènes (Μικτό Ορκωτό Εφετείο Αθηνών) (« la cour d’appel ») confirma l’arrêt de la cour d’assises. La cour d’appel a reconnu à C.E. les circonstances atténuantes prévues à l’article 84 § 2 a) et e) du CP, à savoir que, avant de commettre l’infraction en cause, il avait mené une vie honnête et qu’il avait eu un bon comportement pendant une période relativement longue après avoir commis l’infraction. Elle a par la suite pris en compte la gravité des actes incriminés et la personnalité de l’accusé, conformément aux critères énoncés à l’article 79 §§ 2 et 3 du CP, et elle le condamna à une peine de quatre ans d’emprisonnement pour les tortures infligées à chaque requérant, soit une peine d’emprisonnement totale de cinq ans après la confusion des peines. Elle le priva également de ses droits politiques pour une durée de cinq ans et ordonna la confiscation définitive de l’appareil saisi. La peine imposée à C.E. fut convertie en sanction pécuniaire de 5 EUR par jour de détention. Le montant était payable en trente-six versements sur une période de trois ans. La cour d’appel considéra à cet égard que, étant donné la personnalité et la situation financière de C.E., la sanction pécuniaire suffisait à le dissuader de commettre d’autres infractions à l’avenir. Elle s’exprima ainsi à cet égard :

« (...) L’exécution de la peine imposée à l’accusé est absolument nécessaire pour le dissuader de commettre de nouvelles infractions à l’avenir car l’infraction (...) commise (...) était d’une indignité morale particulière (ιδιαίτερη ηθική απαξία) pour la civilisation légale (νομικός πολιτισμός) et la personnalité [des parties civiles] (...). Par ailleurs, la cour considère que la peine imposée doit être convertie en sanction pécuniaire car [celle-ci] peut dissuader l’accusé de commettre de nouvelles infractions de cette manière. Finalement, il a été prouvé que l’accusé, qui a, seul, la garde de ses parents très âgés, n’est pas en mesure de payer le montant en une fois, en raison de ses difficultés financières puisqu’il est salarié (μισθοσυντήρητος), et il doit lui être permis de le payer par des versements mensuels de même montant (...) »

Elle ordonna en outre à C.E. de verser 44 EUR à chacun des requérants (arrêt no 80, 81, 82/2014).

46. Cet arrêt fut mis au net le 5 mars 2014. Il ressort du dossier qu’aucun pourvoi devant la cour de Cassation ne fut introduit.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution

47. L’article 7 § 2 de la Constitution se lit comme suit :

« Les tortures, les sévices corporels, toute atteinte à la santé ou contrainte psychologique, ainsi que toute autre atteinte à la dignité humaine sont interdits et punis, comme il est prévu par la loi. »

B. Le code pénal

48. Les articles pertinents en l’espèce du CP disposent :

Article 79

« 1. Afin de déterminer la peine dans les limites prévues par la loi, le tribunal prend en considération : a) la gravité de l’acte incriminé et b) la personnalité de l’accusé.

2. En évaluant la gravité de l’acte incriminé, le tribunal prend en considération : a) le dommage ou le danger causé par le crime, b) la nature, le type et l’objet du crime, ainsi que toutes les circonstances dans lesquelles l’infraction a été préparée puis commise, (telles que) le moment, l’endroit, les moyens [par lesquels elle l’a été] et la manière [dont elle l’a été], c) l’intensité du dol et le degré de négligence de l’accusé.

3. En évaluant la personnalité de l’auteur, le tribunal met en balance, en particulier, le degré de l’intention criminelle de l’auteur (...). Afin de le constater avec précision, il [le tribunal] examine : a) les raisons l’ayant conduit à commettre l’infraction, l’élément déclencheur et but poursuivi, b) son caractère et le degré de son développement personnel, c) les circonstances individuelles et sociales, ainsi que sa vie passée et d) son comportement pendant et après l’infraction : notamment le remord exprimé et la volonté de corriger les conséquences de son acte. (...) »

Article 82

« 1. (...) La peine privative de liberté supérieure à deux ans et inférieure à cinq [ans] est commuée en sanction pécuniaire, sauf si le tribunal, par un arrêt contenant une justification spéciale, considère que le fait de ne pas commuer la peine est nécessaire afin de dissuader l’auteur de commettre pareilles infractions à l’avenir.

2. Le montant de la commutation [de la peine] est déterminé par un arrêt contenant une justification spéciale, en tenant compte la situation personnelle et financière de l’auteur [de l’infraction]. Pour la détermination [de la sanction pécuniaire] sont pris en compte les revenus nets [de l’auteur] par jour de travail, ses autres revenus et ses possessions, ainsi que ses obligations familiales. D’autres obligations peuvent être prises en compte par le tribunal.

3. [Le calcul de] chaque jour d’emprisonnement [correspond à] un montant de cinq (5) à cent (100) euros (...).

4. Suite à la conversion d’une peine privative de liberté, le tribunal estime si le condamné peut verser immédiatement l’intégralité de la somme. Si l’impossibilité [pour le condamné] de verser immédiatement la somme ou l’impossibilité de verser une indemnité à la victime en raison du versement [de la somme] sont constatées, le tribunal fixe un délai de deux à trois ans permettant au condamné de payer le montant en cause en plusieurs versements, déterminés par le même tribunal. (...) »

49. Cette version de l’article 82 du CP, qui est entrée en vigueur le 12 novembre 2012, en vertu de la loi no 4093/2012, permet de commuer des peines inférieures à cinq ans en sanction pécuniaire. La version précédente de l’article 82, qui n’était pas en vigueur à l’époque des faits, permettait de commuer des peines privatives de liberté inférieures à trois ans.

Article 83

« Lorsque (...) une peine réduite est prévue sans aucune autre qualification, la peine à imposer est fixée comme suit : (...) b) au lieu de la peine de réclusion d’au moins dix ans, une [peine de] réclusion jusqu’à douze ans ou [une peine d’] emprisonnement d’au moins deux ans [est imposée] (...) »

Article 84

« 1. La peine est réduite (...) lorsque le tribunal compétent considère qu’il existe des circonstances atténuantes.

2. Sont considérées comme des circonstances atténuantes :

a) le fait que, avant de commettre l’infraction en cause, son auteur a mené une vie personnelle, familiale, professionnelle et en général sociale honnête ;

(...)

e) le fait que l’auteur a eu un bon comportement pendant une période relativement longue après avoir commis l’infraction. »

Article 94

« 1. Lorsque la personne [est] responsable de deux ou plusieurs crimes accomplis par deux actes ou plus et punis par la loi par des peines privatives de liberté temporaires (πρόσκαιρες στερητικές της ελευθερίας ποινές), (...) une peine globale est imposée, (...) composée de la peine concurrente la plus lourde, augmentée. Au cas où les peines concurrentes sont du même type et de même longueur, la peine totale [correspond à] l’une entre elles, augmentée. L’augmentation (...) ne peut pas être inférieure à :

a) quatre mois, si la peine concurrente dépasse les deux ans (...) »

Article 137 A

« 1. Un fonctionnaire ou un militaire dont les devoirs incluent soit les poursuites, l’interrogatoire ou l’enquête concernant des infractions pénales ou disciplinaires, l’exécution des sanctions ou la garde ou la surveillance de détenus, est puni d’une peine de réclusion si, dans l’exercice de ses fonctions, il soumet à la torture une personne qui est sous son autorité dans le but a) de lui extorquer ou d’extorquer d’un tiers un aveu, un témoignage, une information ou une déclaration par laquelle elle répudierait ou adhérerait à une idéologie politique ou autre ; b) de le « punir » ; c) de l’intimider, elle ou un tiers.

(...)

2. La torture consiste (...) en toute infliction planifiée (μεθοδευμένη) d’une douleur physique aigüe, d’un épuisement physique mettant en danger la santé d’une personne ou d’une souffrance mentale de nature à provoquer une lésion psychologique sévère, ainsi que tout usage illégal de substances chimiques, de drogues ou d’autres moyens naturels ou artificiels dans le but de fléchir la volonté de la victime.

3. Les blessures corporelles, l’atteinte à la santé, l’exercice illégal d’une violence physique ou psychologique et toute autre atteinte sérieuse à la dignité humaine (...) sont punies d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans (...). Sont considérées comme des atteintes à la dignité humaine notamment : a) l’usage d’un détecteur de mensonges, b) la mise en isolement prolongé, c) une atteinte sérieuse à la dignité sexuelle. »

Article 137 B

« 1. Les actes [mentionnés au] premier paragraphe de l’article précédent sont punis d’une peine de réclusion d’au moins dix ans :

a) si des moyens ou de méthodes de torture systématique sont utilisés, en particulier des coups sur la plante des pieds (falaqa), des chocs électriques, des simulations d’exécution ou des substances hallucinogènes.

(...) »

Article 137 C

« Une condamnation pour les actes [prévus] aux articles 137A et 137B entraîne la privation automatique des droits politiques, (...) pour au moins dix ans en cas [d’imposition] d’une peine de réclusion et au moins cinq ans au cas [d’imposition] d’une peine d’emprisonnement (...) »

Article 137 D

« (...)

4. La victime des actes cités aux articles 137 A et 137 B a le droit de demander de l’auteur et de l’État, qui sont conjointement responsables, une indemnité pour le dommage [matériel] subi et une compensation pour le (...) dommage [moral] subi. »

C. Le code de procédure pénale (CPP)

50. À l’époque des faits, les dispositions pertinentes en l’espèce du CPP disposaient que :

Article 63 – Constitution de partie civile

« La constitution de partie civile pour la réparation du préjudice résultant de l’infraction ou pour l’obtention d’une satisfaction pécuniaire pour dommage moral (...) peut être faite devant la juridiction pénale selon les dispositions du code civil. (...) »

Article 82

« 1. Celui qui a le droit de se constituer partie civile devant le tribunal pénal (article 63) peut déclarer qu’il se présente comme partie civile à la procédure pénale.

(...)

3. La déclaration de constitution de partie civile ne remplace pas la plainte, lorsque celle-ci est nécessaire pour la poursuite pénale (article 50). »

Article 108

« La partie civile a (...) les droits mentionnés aux articles 101, 104, 105 et 106 et peut les exercer à partir du moment où l’accusé est cité à comparaître ou un mandat d’arrestation ou de comparution forcée est émis à son encontre. »

D. Le décret présidentiel no 22/1996

51. Les dispositions pertinentes en l’espèce du décret présidentiel no 22/1996 relatif au droit disciplinaire du personnel de police en vigueur à l’époque des faits étaient ainsi libellées :

Article 3

« 1. Les peines disciplinaires suivantes, qui sont inscrites à leur dossier, sont imposées au personnel de la police :

a) réprimande ;

b) amende d’un montant [allant] jusqu’à trois salaires de base de la personne concernée ;

c) suspension et arrêt temporaire [des fonctions] d’une durée de 15 jours à 4 mois ;

d) suspension avec licenciement, d’une durée de 2 à 6 mois ;

e) licenciement (απόταξη).

2. La réprimande et l’amende sont les peines disciplinaires inférieures. Les suspensions et le licenciement sont les peines disciplinaires supérieures.

(...)

6. Les peines [citées au] paragraphe 1, sauf la réprimande, sont également imposées à ceux qui ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement du service pour quelque raison que ce soit (...). Exceptionnellement, les sanctions disciplinaires ci-dessus ne sont pas imposées à ceux qui ont fait l’objet d’une mesure d’éloignement du service en raison de [l’atteinte] de la limite d’âge ou d’une invalidité physique. »

Article 8 – Imposition et fixation de la peine

« Pour statuer sur une infraction disciplinaire, la peine qui doit être imposée et sa fixation sont déterminées :

1. par la gravité de l’infraction, pour l’évaluation de laquelle sont pris en compte notamment l’impact que l’infraction a eu sur le bon fonctionnement du service et sur le prestige de la force de la police, la nature, le type et l’objet de l’infraction, le degré du dommage ou du danger provoqué par celle-ci, ainsi que l’intensité de l’intention frauduleuse ou le degré de la négligence de l’auteur ;

2. par la personnalité de l’auteur, pour l’évaluation de laquelle sont pris en compte notamment le rang, l’expérience, le temps de service, le caractère, le comportement antérieur et en particulier la répétition de la même infraction disciplinaire, l’éducation, l’état mental de l’auteur, ainsi que les raisons l’ayant conduit à la commission de l’infraction, le but poursuivi, l’élément déclencheur, le remord exprimé et la volonté de corriger les conséquences de son acte ;

3. par les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise et notamment le moment, l’endroit, les moyens [par lesquels elle l’a été] et la manière [dont elle l’a été], ainsi que par le contexte de sa réalisation. »

Article 9 § 1

« Les infractions disciplinaires qui sont passibles d’un licenciement sont limitativement énumérées ci-dessous, indépendamment de leur caractère pénalement condamnable :

(...)

c. l’infliction de torture, de toute lésion corporelle ou de dommage à la santé, l’exercice de violence psychologique et toute autre action ou tout comportement qui constitue une atteinte grave à la dignité humaine, dans l’exercice des fonctions ou en dehors de celle-ci.

(...) »

Article 12 – Infractions entraînant une peine d’amende

« Les infractions disciplinaires qui entraînent une peine d’amende sont énumérées de manière indicative ci-dessous, indépendamment de leur caractère pénalement condamnable :

(...)

25. toute violation d’une obligation résultant des lois, des régulations et des ordres du Service. »

Article 49 – Rapport entre la procédure disciplinaire et la procédure pénale

« 1. Le procès disciplinaire est autonome et indépendant du procès pénal ou autre. Les faits dont l’existence ou l’inexistence a été constatée par une décision irrévocable d’une juridiction pénale sont pris en compte lors de la procédure disciplinaire de la même manière que lors de la procédure pénale. L’organe disciplinaire a, pour autant, la possibilité de rendre une décision différente de celle du tribunal pénal. Le procès pénal ne suspend pas la procédure disciplinaire. Celui qui exerce le pouvoir disciplinaire peut, par une décision librement révocable, suspendre les poursuites ou imposer une peine jusqu’à la publication de la décision de la juridiction pénale. (...)

2. Si la juridiction pénale prononce, par une décision irrévocable, la condamnation, et qu’une infraction disciplinaire entraînant une peine disciplinaire de licenciement (...) est constatée, et si une suspension et arrêt temporaire [des fonctions] ou une peine disciplinaire inférieure a été infligée, ou encore si aucune peine n’a été prononcée, la procédure disciplinaire est répétée, afin de déterminer si la peine de licenciement (...) doit être infligée.

(...) »

E. La loi d’accompagnement (Εισαγωγικός Νόμος) du code civil

52. Les articles 105 et 106 de la loi d’accompagnement du code civil se lisent comme suit :

Article 105

« L’État est tenu de réparer le dommage causé par les actes illégaux ou les omissions de ses organes lors de l’exercice de la puissance publique, sauf si l’acte ou l’omission a eu lieu en méconnaissance d’une disposition destinée à servir l’intérêt public. La personne fautive est solidairement responsable avec l’État, sous réserve des dispositions spéciales sur la responsabilité des ministres. »

Article 106

« Les dispositions des deux articles précédents s’appliquent aussi en matière de responsabilité des collectivités territoriales ou d’autres personnes morales de droit public pour le dommage causé par les actes ou omissions de leurs organes. »

53. Cette disposition établit le concept d’acte dommageable spécial de droit public, créant une responsabilité extracontractuelle de l’État. Cette responsabilité résulte d’actes ou omissions illégaux. Les actes concernés peuvent être non seulement des actes juridiques, mais aussi des actes matériels de l’administration, y compris des actes non exécutoires en principe. La recevabilité de l’action en réparation est soumise à une condition : la nature illégale de l’acte ou de l’omission.

F. La loi no 4239/2014

54. La loi no 4239/2014 relative à la satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable de la procédure devant les juridictions pénales, civiles et la Cour des comptes est entrée en vigueur le 20 février 2014. Elle a introduit, entre autres, un nouveau recours indemnitaire prévoyant l’octroi d’une satisfaction équitable en raison de la prolongation injustifiée d’une procédure devant les juridictions pénales. Son article 3 § 1 dispose que :

« Toute demande de satisfaction équitable doit être introduite devant chaque degré de juridiction séparément. Elle doit être présentée dans un délai de six mois après la publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure a été, selon le requérant, excessive (...) »

EN DROIT

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT CONCERNANT L’ENSEMBLE DE LA REQUÊTE

A. Exception tirée de l’absence de qualité de victime des requérants

55. En premier lieu, le Gouvernement invite la Cour à rejeter la requête pour défaut de qualité de victime des requérants. Il soutient que ceux-ci ont pu participer à la procédure pénale en tant que parties civiles et ajoute que les juridictions internes ont constaté « une violation des articles 137 A et 138 B du CP », qu’elles ont condamné l’auteur des faits et qu’elles lui ont ordonné de verser 44 EUR à chacun des requérants. Selon le Gouvernement, les autorités internes ont ainsi suffisamment réparé le « traitement contraire à l’article 3 de la Convention » que les requérants allèguent avoir subi. Le Gouvernement argue que la durée de la procédure et la peine infligée ne suffisent pas à elles seules pour considérer que les requérants ont la qualité de victime. Il indique que, dans l’affaire Zontul c. Grèce, no 12294/07, § 76, 17 janvier 2012, la Cour a également pris en compte le fait que le requérant n’avait pas été impliqué dans la procédure à un degré suffisant.

56. Les requérants rétorquent qu’ils ont toujours la qualité de victime et que la seule condamnation de C.E. n’est pas suffisante pour les priver de cette qualité. En effet, selon eux, il n’y a pas eu en l’espèce un redressement approprié en raison de la peine imposée à l’auteur des faits dénoncés et de la longueur de la procédure pénale en cause, qui s’est conclue plus de douze ans après les événements. Les requérants déclarent que soumettre une personne à des chocs électriques constitue de la torture et s’étonnent que le Gouvernement invoque l’affaire Zontul précitée, dans laquelle la Cour a rejeté les exceptions préliminaires du Gouvernement tirées de l’absence de qualité de victime et du non-épuisement des voies des recours internes.

57. La Cour considère que l’objection du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’aspect procédural de l’article 3 de la Convention (Zontul, précité, § 76). Elle décide par conséquent de la joindre au fond.

B. Exception tirée du non-respect du délai de six mois

58. En deuxième lieu, le Gouvernement est d’avis que la requête a été introduite plus de six mois après la clôture de l’enquête administrative, le 8 juillet 2003. Par conséquent, selon le Gouvernement, cette enquête ne peut pas faire l’objet d’un contrôle par la Cour.

59. Les requérants rétorquent que l’enquête administrative peut faire l’objet d’un contrôle par la Cour dans la mesure où les autorités compétentes n’ont pas procédé à la réouverture de cette procédure à la suite de la condamnation de l’auteur des faits par les juridictions pénales. Ils indiquent que, comme l’a considéré la cour d’appel, C.E. était à leurs yeux coupable d’infractions plus sérieuses que la simple utilisation d’un émetteur-récepteur portatif, qui avait été constatée par l’organe disciplinaire. Ils ajoutent que l’argument du Gouvernement selon lequel un nouvel examen de l’affaire par les organes disciplinaires est exclu par la loi démontre que la législation pertinente a pour but de « protéger les policiers plutôt que d’offrir [aux intéressés] une procédure disciplinaire équitable pour des infractions si sérieuses ».

60. La Cour considère que l’objection du Gouvernement est étroitement liée à la substance du grief énoncé par les requérants sur le terrain de l’aspect procédural de l’article 3 de la Convention. Elle décide donc de la joindre au fond.

C. Exceptions tirées du non-épuisement des voies des recours internes

61. En troisième lieu, le Gouvernement soulève deux exceptions tirées du non-épuisement des voies de recours internes.

1. Sur le caractère prématuré de la requête

62. Le Gouvernement soutient, d’une part, qu’un recours pénal est un recours approprié pour soumettre des griefs tirés de l’article 3 de la Convention. Il indique que les requérants ont cependant saisi la Cour le 17 mai 2010, soit avant la publication de l’arrêt de la cour d’assises, le 13 décembre 2011, et qu’ils n’ont pas attendu l’achèvement de la procédure pénale en deuxième instance pour évaluer si l’ensemble de celle-ci leur avait offert un redressement approprié. Il estime en outre que le fait que la procédure pénale a été conclue avant l’examen de la recevabilité par la Cour n’a aucune incidence sur ce point. Il ajoute que l’examen de la recevabilité d’une affaire se fait à la date à laquelle la Cour procède à son examen.

63. Les requérants répondent qu’ils ont introduit leur requête avant la fin de la procédure pénale car, huit ans après les événements en cause, celle-ci était toujours pendante. Ils soutiennent qu’ils estimaient alors que les juridictions internes n’avaient aucune intention de leur offrir un redressement approprié. À leurs yeux, sans l’introduction de leur requête devant la Cour, la procédure pénale se serait achevée beaucoup plus tard. Les requérants dénoncent en outre les retards dans la procédure, dont ils ont informé la Cour, considèrent que la peine imposée à l’auteur des faits était inadéquate et estiment, en tout état de cause, que l’arrêt interne définitif a été publié avant que la Cour ne se prononce sur la recevabilité de l’affaire. Selon eux, les retards dans la procédure suffiraient à eux seuls pour constater une violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.

64. La Cour note que, dans leur requête initiale, les requérants se plaignaient d’une violation des articles 3, 6 § 1 et 13 de la Convention en raison, notamment, de la durée de la procédure pénale, et qu’ils dénonçaient en particulier que l’affaire était toujours pendante en première instance plus de huit ans après les faits en cause. Elle observe en outre que, le 23 septembre 2013, les requérants l’ont informée d’éléments nouveaux concernant leur affaire et qu’ils ont réitéré leurs griefs tirés des articles 3, 6 § 1 et 13 de la Convention.

65. À la suite de la fin de la procédure pénale, par une lettre datée du 26 septembre 2014, les requérants ont informé la Cour de la publication de l’arrêt no 80, 81, 82/2014 de la cour d’appel. La Cour note que, dans la même lettre, ils se plaignaient de la durée de la procédure et la peine imposée à l’auteur des faits, et soutenaient notamment que la peine en question était très disproportionnée aux actes incriminés. Les requérants invitaient à nouveau la Cour à constater une violation des articles 3, 6 § 1 et 13 de la Convention.

66. La Cour considère que, dans la mesure où la procédure devant les juridictions internes a été conclue avant l’examen par elle de la recevabilité de l’affaire, et eu égard au fait que les requérants ont introduit tous leurs griefs devant elle avant la communication de l’affaire au Gouvernement, cette exception du Gouvernement doit être rejetée (voir, mutatis mutandis, Eylem Baş c. Turquie, no 11435/07, § 26, 16 octobre 2012).

67. Elle rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

2. L’action en dommages-intérêts contre l’État sur le fondement de l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil

68. Le Gouvernement indique, d’autre part, que les requérants n’ont pas introduit d’action en dommages-intérêts contre l’État et ajoute que l’article 137 D § 4 du CP prévoit que, en tant que victimes des infractions des articles 137 A et 138 B, les intéressés avaient le droit de demander un dédommagement de la part de l’auteur des faits et de l’État pour le dommage qu’ils alléguaient avoir subi. Il soutient que ce recours aurait permis de constater la violation en cause et d’offrir un redressement approprié aux requérants. Il soumet à la Cour des arrêts des juridictions administratives par lesquels des victimes de violences policières ont été dédommagées.

69. Les requérants rétorquent qu’ils ont fait tout ce qui pouvait être raisonnablement exigé d’eux pour satisfaire à la condition de l’épuisement des voies de recours internes. Ils plaident que cet argument du Gouvernement a été rejeté par la Cour dans l’affaire Zontul précitée et arguent que les arrêts produits par le Gouvernement afin de démontrer que les voies de recours mentionnées étaient effectives n’ont pas offert un redressement approprié, n’étaient pas définitifs, ou avaient été adoptés suite à un arrêt de la Cour.

70. La Cour rappelle que l’article 35 de la Convention n’exige l’épuisement que des recours accessibles, adéquats et relatifs aux violations incriminées (Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 46, CEDH 2006‑II). Elle rappelle aussi sa jurisprudence constante selon laquelle il n’est pas satisfait aux obligations que l’article 3 de la Convention fait peser sur les États par le simple octroi de dommages-intérêts (voir, parmi d’autres, Kaya c. Turquie, 19 février 1998, Recueil 1998-I, p. 329, § 105, et McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 121, CEDH 2001‑III). En effet, pour se plaindre du traitement subi pendant une garde à vue, c’est la voie pénale qui constitue la voie de recours adéquate (voir, par exemple, Parlak et autres c. Turquie (déc.), nos 24942/94, 24943/94 et 25125/94, 9 janvier 2001).

71. La Cour rappelle en outre que celui qui a exercé un recours de nature à remédier directement– et non de façon détournée – à la situation litigieuse n’est pas tenu d’en épuiser d’autres éventuellement ouverts mais à l’efficacité improbable (Zontul, précité, § 73, et Manoussakis et autres, précité, § 33). Or elle note que l’objet du recours invoqué par le Gouvernement est le même que celui de la constitution de partie civile faite par les requérants : les deux actions permettent aux requérants d’obtenir une indemnité. Les requérants ont choisi la voie de la constitution de partie civile et la Cour ne saurait exiger qu’ils introduisent en sus une action fondée sur l’article 105 de la loi d’accompagnement du code civil. Par ailleurs, la Cour a déjà affirmé que l’obligation faite par l’article 3 de la Convention à un État de mener une enquête pouvant conduire à l’identification et au châtiment de ceux qui sont responsables de mauvais traitements serait illusoire si, en présence d’un grief tiré de cet article, le requérant était obligé d’épuiser une voie de recours qui ne peut aboutir qu’à l’octroi de dommages-intérêts (Parlak et autres, décision précitée, Okkalı c. Turquie, no 52067/99, § 58, CEDH 2006‑XII (extraits), et Taymuskhanovy c. Russie, no 11528/07, § 75, 16 décembre 2010).

72. La Cour rejette donc l’exception soulevée par le Gouvernement à ce titre.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

73. Les requérants se plaignent que les sanctions imposées à l’auteur des faits ont porté atteinte à l’article 3 de la Convention. Cet article est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

74. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

a) Les requérants

75. Les requérants soutiennent que la peine imposée et les modalités de son exécution ne constituent pas une réparation suffisante eu égard à la torture qu’ils allèguent avoir subie. Ils indiquent que l’article 137 B du CP prévoit une peine de réclusion d’au moins dix ans. Or, selon eux, s’il est vrai que des circonstances atténuantes ont été reconnues à l’auteur des faits, les juridictions internes ont toujours opté pour la peine minimale, à savoir six ans d’emprisonnement en première instance et cinq ans d’emprisonnement en seconde instance. Les requérants invitent la Cour à prendre en considération que, conformément aux dispositions du droit interne qu’ils estiment pertinentes en l’espèce, la peine globale aurait pu s’élever à 21 ans de réclusion. Ils allèguent que C.E. n’est même pas resté une journée en prison, car la peine à laquelle il avait été condamné en première instance avait un effet suspensif et la peine prononcée en seconde instance a été commuée. Ils ajoutent que le premier requérant était mineur à l’époque des faits.

76. Les requérants soutiennent en outre que, jusqu’en 2012, seules les peines privatives de liberté de moins de trois ans étaient commuées en sanctions pécuniaires. Il s’ensuit selon eux que, avant 2012, l’auteur des faits aurait été obligé d’exécuter sa peine privative de liberté. Or, le CP ayant été modifié en 2012, il est désormais possible de commuer des peines de moins de cinq ans en sanctions pécuniaires. Les requérants se plaignent également que le tribunal compétent ait commué la peine en amende de 5 EUR par jour d’emprisonnement, quand le montant maximum prévu par l’article 82 § 3 du CP est de 100 EUR par jour d’emprisonnement. Ils ajoutent que la possibilité offerte à C.E. de verser la somme due en trente‑six versements mensuels, soit 250 EUR par mois, ne constitue pas un redressement approprié.

77. Les requérants dénoncent en outre le fait que, contrairement aux allégations du Gouvernement, l’auteur des faits a fait l’objet d’une mesure d’éloignement de la police à la suite de sa propre demande et non en raison de l’infraction qu’il aurait commise. Selon eux, l’intéressé avait été promu en quittant le service et il était toujours inscrit au registre des réservistes. Invoquant la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Myumyun c. Bulgarie (no 67258/13, 3 novembre 2015), les requérants se plaignent que l’amende de 100 EUR imposée à C.E. dans le cadre de l’enquête administrative était manifestement disproportionnée à la gravité de l’infraction commise et qu’elle n’a aucun effet dissuasif sur les agents de l’État qui estimeraient ainsi pouvoir abuser en toute impunité des personnes se trouvant sous leur contrôle. De l’avis des requérants, le fait que la procédure administrative a conclu que C.E. portait un émetteur-récepteur, alors que les juridictions internes l’ont jugé coupable de torture par choc électrique, n’est pas la preuve d’un effort sérieux de faire la lumière sur les actes commis.

b) Le Gouvernement

78. Le Gouvernement soutient que l’enquête menée en l’espèce a satisfait aux exigences de l’article 3 de la Convention, que l’affaire a été examinée par les juridictions internes en profondeur et avec la diligence requise et que les requérants ne se plaignent pas de la peine imposée à C.E. Il allègue que les actes contraires à l’article 3 de la Convention sont sanctionnés par les articles 137 A et 137 B du CP et que, en l’espèce, l’auteur des faits a été condamné en vertu de ces dispositions. S’agissant du caractère adéquat et dissuasif de la sanction prononcée, il indique qu’il incombe aux juridictions internes de déterminer et d’imposer les peines disciplinaires et pénales, ce qui, selon lui, a été fait en l’espèce.

79. Le Gouvernement déclare à cet égard que la peine de cinq ans d’emprisonnement a été prononcée par la cour d’appel en application des articles 79, 84 et 94 du CP. Il soutient en particulier que le tribunal compétent a reconnu à l’auteur des faits des circonstances atténuantes conformément à l’article 84 § 2 du CP, qu’il a pris en compte la gravité des actes incriminés et la personnalité de l’accusé, conformément aux critères énoncés à l’article 79 §§ 2 et 3 du CP, et qu’il a considéré qu’une peine de quatre ans d’emprisonnement pour la torture infligée à chacun des requérants devait être prononcée. Le Gouvernement indique en outre que la cour d’appel a par la suite appliqué l’article 94 du CP et qu’elle a condamné C.E. à une peine d’emprisonnement de cinq ans au total. En ce qui concerne les circonstances atténuantes qui sont prises en compte lors du calcul de la peine à infliger, il expose que celles-ci sont liées au concept de « personnalisation de la peine » qui impose l’adaptation du traitement pénal à la personnalité du condamné. Toujours selon le Gouvernement, le concept de circonstances atténuantes vise à éviter l’imposition d’une peine excessivement stricte, lorsque la dangerosité réduite de l’auteur de l’infraction et les besoins de la prévention des crimes l’imposent. Quant à la détermination de la peine à imposer lorsque plusieurs infractions ont été commises, le Gouvernement allègue que le calcul des peines imposées de manière strictement cumulative a des effets indésirables. Il indique en particulier que la fixation d’une peine globale est justifiée car elle éviterait l’imposition d’une peine trop stricte et la sanction disproportionnée de l’auteur de l’infraction.

80. Le Gouvernement expose en outre que, selon l’article 82 § 2 du CP, une peine restrictive de liberté de deux à cinq ans est commuée en sanction pécuniaire, sauf si le tribunal compétent considère, par un arrêt contenant une motivation spéciale, que la peine ne doit pas être commuée afin de dissuader l’intéressé de commettre pareilles infractions à l’avenir. Il soutient que, en l’espèce, la cour d’appel a considéré, eu égard à la personnalité de l’auteur et aux autres circonstances de l’affaire, que la sanction pécuniaire était suffisante à cet égard. Il ajoute que, si tous les condamnés à une peine privative de liberté étaient placés en détention, il y aurait des effets négatifs tant sur la fonction préventive de la peine que sur l’encombrement des prisons. Il estime que la peine imposée à l’auteur des faits en l’espèce était suffisante, justifiée et à même de prévenir pareilles infractions à l’avenir et que, en tout état de cause, C.E. avait fait l’objet d’une mesure d’éloignement de la police hellénique.

81. Le Gouvernement considère que ses arguments sont conformes à la jurisprudence de la Cour et que, compte tenu de la gravité de l’infraction en cause et de la peine imposée, cette affaire ne présente pas de similitudes avec d’autres affaires dans lesquelles la Cour avait conclu à la violation de l’article 3 de la Convention. À titre d’exemple, il indique que, dans l’affaire Zontul précitée, la victime avait subi un viol, et qu’une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis commuée en amende de 4,40 EUR par jour avait été prononcée à l’encontre de l’auteur de l’infraction.

82. En troisième lieu, le Gouvernement allègue que, à la suite d’une enquête administrative pendant laquelle tous les éléments de preuve ont été évalués et considérés, une amende de 100 EUR a été imposée à C.E. Selon lui, cette sanction disciplinaire était « raisonnable » eu égard en particulier, en premier lieu, à la célérité avec laquelle elle avait été prononcée et, en second lieu, aux éléments de preuve recueillis lors de l’enquête, qui ne faisaient pas apparaître d’indices clairs selon lesquels C.E. aurait torturé les requérants. Le Gouvernement expose que la décision en cause précisait que, dans le cas d’une condamnation irrévocable, la procédure disciplinaire serait répétée afin que la sanction d’éloignement soit infligée. Or C.E. avait entre‑temps fait l’objet d’une mesure d’éloignement de la police hellénique, à sa propre demande. Le Gouvernement considère que les autorités ont fait preuve du sérieux, de la célérité et de l’objectivité requis et qu’elles n’ont pas essayé de dissimuler les actes commis par C.E.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

83. La Cour estime que le grief des requérants concerne principalement l’obligation positive de protéger l’intégrité physique et morale de la personne par la loi. Par conséquent, elle recherchera en l’espèce si l’obligation positive de l’État découlant de l’article 3 de la Convention, consistant à prendre des mesures propres à empêcher que les personnes placées sous son contrôle ne soient soumises à des tortures ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, a été respectée (Okkalı c. Turquie, no 52067/99, § 54, CEDH 2006‑XII (extraits)).

84. La Cour rappelle que les États contractants ont une obligation positive de mettre en place une protection dissuasive suffisante contre les violations du droit énoncé à l’article 3 de la Convention. Dans le système de la Convention, il est reconnu depuis longtemps que le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. C’est un droit absolu qui ne souffre aucune dérogation en aucune circonstance (Derman, précité, § 27).

85. La Cour rappelle que, en cas de mauvais traitement délibéré infligé par des agents de l’État au mépris de l’article 3 de la Convention, deux mesures s’imposent pour que la réparation soit suffisante. Premièrement, les autorités de l’État doivent mener une enquête approfondie et effective pouvant conduire à l’identification et – le cas échéant – à la punition des responsables (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 116, CEDH 2010 ; voir aussi Armani da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, § 233, CEDH 2016). Deuxièmement, le requérant doit le cas échéant percevoir une compensation (Vladimir Romanov, précité, § 79) ou, du moins, avoir la possibilité de demander et d’obtenir une indemnité pour le préjudice que lui a causé le mauvais traitement (comparer, mutatis mutandis, Nikolova et Velitchkova c. Bulgarie, no 7888/03, § 56, 20 décembre 2007, (concernant une violation de l’article 2), Çamdereli, précité, § 29, Yeter c. Turquie, no 33750/03, § 58, 13 janvier 2009, et Gäfgen, précité, § 116). Pour qu’une enquête soit effective en pratique, la condition préalable est que l’État ait promulgué des dispositions de droit pénal réprimant les pratiques contraires à l’article 3 de la Convention (comparer, mutatis mutandis, M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, §§ 150, 153 et 166, CEDH 2003‑XII, Nikolova et Velitchkova, précité, § 57, Çamdereli, précité, § 38, et Gäfgen précité, § 117).

86. Encore faut-il préciser que, en la matière, les exigences procédurales de l’article 3 de la Convention s’étendent au-delà du stade de l’instruction préliminaire lorsque, comme en l’espèce, celle-ci a entraîné l’ouverture de poursuites devant les juridictions nationales : c’est l’ensemble de la procédure, y compris la phase de jugement, qui doit satisfaire aux impératifs de l’interdiction posée par cette disposition. Ainsi, les instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas s’avérer disposées à laisser impunies des atteintes à l’intégrité physique et morale des personnes. Cela est indispensable pour maintenir la confiance du public et assurer son adhésion à l’État de droit ainsi que pour prévenir toute apparence de tolérance d’actes illégaux, ou de collusion dans leur perpétration (Okkalı, précité, § 65, et Derman, précité, § 27).

87. Pour déterminer si les autorités nationales avaient mené contre les responsables une enquête approfondie et effective conformément aux exigences qu’elle pose dans sa jurisprudence, la Cour a pris en compte, dans de précédentes affaires, plusieurs critères. D’abord, d’importants facteurs pour que l’enquête soit effective, et qui permettent de vérifier si les autorités avaient la volonté d’identifier et de poursuivre les responsables, sont la célérité avec laquelle elle est ouverte et la célérité avec laquelle elle est conduite. En outre, l’issue de l’enquête et des poursuites pénales qu’elle déclenche, y compris la sanction prononcée ainsi que les mesures disciplinaires prises, passent pour déterminantes. Elles sont essentielles si l’on veut préserver l’effet dissuasif du système judiciaire en place et le rôle qu’il est tenu d’exercer dans la prévention des atteintes à l’interdiction des mauvais traitements (Gäfgen, précité, § 121, et Zontul, précité, § 98).

88. Certes, les autorités nationales disposent d’une marge d’appréciation, soumise au contrôle de la Cour, pour déterminer les peines applicables aux infractions pénales. De même, le caractère dissuasif d’une peine relève du pouvoir discrétionnaire de l’État. Cela étant, dans le cas où les juridictions nationales ont établi qu’un requérant a été torturé, comme en l’espèce, la Cour, dans son examen des décisions ou des mesures disciplinaires adoptées par les juridictions nationales contre les auteurs concernés, devra prendre en considération si de telles mesures constituent un redressement approprié et si elles peuvent être considérées comme ayant un effet dissuasif pour l’avenir (Zeynep Özcan c. Turquie, no 45906/99, § 42, 20 février 2007, et, mutatis mutandis, M.C. c. Bulgarie, précité, § 166). Dans ce contexte, la Cour rappelle que lorsque des agents de l’État sont inculpés d’infractions impliquant des mauvais traitements, il importe qu’ils soient suspendus de leurs fonctions pendant l’instruction ou le procès et en soient démis en cas de condamnation (Gäfgen, précité, § 125).

b) Application de ces principes en l’espèce

89. La Cour relève d’emblée qu’une procédure pénale et une enquête administrative ont été ouvertes contre le policier C.E. Elle note que les deux procédures auraient pu avoir des conséquences sur la situation pénale ou personnelle de l’auteur des faits en raison des actes incriminés. Dès lors, elle estime nécessaire de prendre en considération l’ensemble des procédures litigieuses afin de pouvoir se prononcer sur la question de savoir si, en l’espèce, des mesures de protection dissuasives et suffisantes contre la torture conformes aux exigences de l’article 3 de la Convention ont été prises.

90. En ce qui concerne la procédure pénale, la Cour constate que la culpabilité du policier C.E. quant aux actes qui lui étaient reprochés a été reconnue par les juridictions nationales. Cette procédure s’est conclue par un jugement de condamnation pour torture infligée par chocs électriques (paragraphes 43-45 ci-dessus).

91. S’agissant de la peine infligée au policier C.E., la Cour note d’emblée que le fait que le premier requérant était mineur à l’époque des faits n’a pas été pris en compte dans le cadre de l’imposition de la peine et que la cour d’appel, reconnaissant à C.E. des circonstances atténuantes, l’a condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans. Elle observe en outre que la peine imposée a été commuée en une sanction pécuniaire de 5 EUR par jour d’emprisonnement et que le montant était payable en trente-six versements sur une période de trois ans.

92. La Cour note à cet égard que l’article 137 B du CP, qui réprime les actes en cause, prévoit une peine de réclusion d’au moins dix ans. Or elle observe que la cour d’appel, en appliquant les articles 79, 84 et 94 du CP, a considéré que la peine de cinq ans au total était appropriée au vu de la torture infligée aux requérants. La Cour relève en outre qu’en vertu de l’article 83 du CP, lorsque le droit interne prévoit une peine réduite, une peine de réclusion initialement prévue d’au moins dix ans peut être convertie en une peine de réclusion allant jusqu’à douze ans ou à une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans. Toutefois, l’arrêt no 80, 81, 82/2014 de la cour d’appel ne comprenant aucune justification spécifique qui permettrait d’éclairer la divergence entre la peine applicable en principe et la peine finalement imposée, la Cour peut uniquement constater cette disparité et n’est pas en mesure de se prononcer sur les raisons de celle-ci.

93. La Cour observe en outre qu’en vertu de l’article 82 du CP, la peine privative de liberté qui est supérieure à deux ans et qui ne dépasse pas les cinq ans est commuée en sanction pécuniaire, sauf si le tribunal, par un arrêt contenant une justification spéciale, considère que le fait de ne pas commuer la peine est nécessaire afin de dissuader l’auteur de commettre pareilles infractions à l’avenir (paragraphe 48 ci-dessus). Elle souscrit à l’argument du Gouvernement selon lequel la commutation des peines restrictives de liberté en sanctions pécuniaires peut se révéler bénéfique pour le système pénitentiaire et, en particulier, peut permettre d’éviter ou de combattre la surpopulation carcérale. Elle considère cependant que cela n’exempte pas les autorités internes de respecter leur obligation de garantir le caractère adéquat et dissuasif de la sanction prononcée dans tous les cas de mauvais traitements infligés par des agents de l’État au mépris de l’article 3 de la Convention.

94. La Cour observe par ailleurs que, si la cour d’appel a considéré que l’infraction commise par le policier C.E. était d’une indignité morale particulière pour « la civilisation légale et la personnalité » des requérants, elle a pour autant commué la peine prononcée en une amende de 5 EUR par jour d’emprisonnement quand le maximum prévu par les dispositions du droit interne était de 100 EUR par jour d’emprisonnement. Certes, la Cour n’est pas compétente pour déterminer quelle peine aurait constitué un redressement approprié. Toutefois, elle observe que, en imposant la sanction pécuniaire précitée et en permettant son paiement en trente-six versements, la cour d’appel a uniquement pris en compte la situation financière du policier C.E. et la question de savoir si cette peine était capable d’empêcher ce dernier de commettre pareilles infractions à l’avenir.

95. De l’avis de la Cour, une telle sanction ne saurait ni être considérée comme propre à dissuader l’auteur des faits ou d’autres agents de l’État de commettre des infractions similaires ni être perçue comme juste par les victimes. Ceci d’autant plus que les actes incriminés ont en l’occurrence été qualifiés de torture. Or l’objet des dispositions du droit interne sanctionnant la torture infligée par des agents de l’État est de permettre une protection véritable des personnes, en particulier lorsque les intéressés sont placés, comme les requérants, sous le seul contrôle de la police – et d’inclure des mesures efficaces pour sanctionner et empêcher des mauvais traitements par les agents de l’État (voir, mutatis mutandis, Ciğerhun Öner c. Turquie (no 2), no 2858/07, § 100, 23 novembre 2010, Zeynep Özcan, précité, § 43, 20 février 2007, et Abdülsamet Yaman, précité, § 55).

96. En résumé, la Cour estime que la clémence de la sanction imposée au policier C.E. est manifestement disproportionnée eu égard à la gravité du traitement infligé aux requérants (voir Zontul, précité, § 108, Ali et Ayşe Duran, précité, § 54, Atalay, précité, § 44 et, mutatis mutandis, Derman, précité, § 28).

97. Elle relève ensuite qu’une enquête administrative a été ouverte contre le policier en cause. Par une décision du 8 juillet 2003, l’affaire a été classée en ce qui concernait l’utilisation d’un appareil à décharge électrique et C.E. a été condamné à une amende de 100 EUR pour avoir porté et utilisé un émetteur-récepteur portatif sans permission préalable. Cette procédure s’est conclue avant l’achèvement de la procédure pénale, lors de laquelle il a été constaté que C.E. avait torturé les requérants. Entre-temps, le policier avait quitté le service à sa propre demande. Toutefois, la Cour observe que les deux procédures sont parvenues à des conclusions substantiellement différentes et que C.E. n’a jamais eu à subir les conséquences de ses actes en tant que policier, ayant quitté le service de son propre chef. En effet, C.E. a servi au sein de la police pendant huit ans après les faits en cause, sans avoir à subir les conséquences de ses actes. Qui plus est, en raison de la durée de la procédure pénale, l’article 49 § 2 du décret présidentiel no 22/1996 qui prévoit la répétition de la procédure disciplinaire ne pouvait être appliqué, C.E. ayant entre-temps quitté le service (paragraphe 51 ci-dessus). De surcroît, en quittant le service, C.E. a bénéficié d’une promotion, avec toutes les implications morales et pécuniaires que cela comporte (paragraphe 18 ci‑dessus). Dans ce contexte, elle rappelle que le manque de rigueur dans l’application du système pénal et disciplinaire, comme en l’espèce, n’est pas de nature à dissuader les forces de l’ordre de commettre des actes illégaux tels que ceux dénoncés par les requérants (voir, en ce sens, Zeynep Özcan, précité, § 45, Okkalı, précité, §§ 76 et 78, et, mutatis mutandis, Abdülsamet Yaman, précité, § 55).

98. S’agissant de la célérité de l’enquête (voir paragraphe 87 ci-dessus), la Cour estime, dans les circonstances de l’espèce, qu’il est plus approprié d’examiner la question sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, qui garantit le droit à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable (paragraphes 101-118 ci-dessous).

c) Conclusion

99. La Cour estime en conséquence que le système pénal et disciplinaire, tel qu’il a été appliqué en l’espèce, s’est avéré loin d’être rigoureux et ne pouvait engendrer de force dissuasive susceptible d’assurer la prévention efficace d’actes illégaux tels que ceux dénoncés par les requérants. Dans les circonstances particulières de l’affaire, elle parvient ainsi à la conclusion que l’issue des procédures litigieuses contre le policier n’a pas offert un redressement approprié de l’atteinte portée à la valeur consacrée dans l’article 3 de la Convention (Zeynep Özcan, précité, § 45). Partant, il y a lieu de rejeter les exceptions du Gouvernement tirées du défaut de la qualité de victime et du non-respect du délai des six mois.

100. Dès lors, il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

101. Les requérants allèguent que la durée de la procédure pénale a été excessive. Ils se plaignent également de l’absence d’un recours effectif à cet égard. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont libellées comme suit :

Article 6 § 1

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. La procédure devant la cour d’appel

102. Le Gouvernement invite la Cour à rejeter cette partie des griefs pour non-épuisement des voies des recours internes. Il déclare que les requérants auraient pu introduire le recours indemnitaire prévu par la loi no 4239/2014.

103. La Cour observe qu’il ressort du dossier que l’arrêt no 80, 81, 82/2014 de ladite juridiction a été publié le 14 février 2014. Il s’ensuit que ladite procédure entre dans le champ d’application de la loi no 4239/2014, entrée en vigueur le 20 février 2014 et relative, entre autres, à la satisfaction équitable au titre du dépassement du délai raisonnable d’une procédure devant les juridictions pénales (paragraphe 54 ci‑dessus). Cette loi a établi un nouveau recours permettant de se plaindre de la durée de chaque instance devant les juridictions pénales, dans un délai de six mois à compter de la date de publication de la décision définitive de la juridiction devant laquelle la durée de la procédure est alléguée avoir été excessive. Partant, la Cour estime que les requérants pouvaient exercer le recours prévu par ladite loi pour se plaindre de la durée de la procédure en cause, étant donné que l’arrêt no 80, 81, 82/2014 a été publié le 14 février 2014, soit dans les six mois avant l’entrée en vigueur de ladite loi. À la lumière de sa jurisprudence dans l’affaire Xynos c. Grèce (no 30226/09, 9 octobre 2014), et notamment de ses considérations sur l’effectivité du recours indemnitaire en cause (ibidem, §§ 40-51), elle conclut que les requérants étaient tenus par l’article 35 § 1 de la Convention d’utiliser ce recours (ibidem, §§ 57-58). Par ailleurs, elle note qu’aucune circonstance exceptionnelle de nature à dispenser les requérants de l’obligation d’épuiser cette voie de recours n’a été décelée en l’espèce.

104. Par conséquent, le grief des requérants sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la durée de la procédure devant la cour d’appel doit être rejeté pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

105. Quant au grief tiré de l’article 13 de la Convention concernant la procédure devant la cour d’appel, eu égard à l’affaire Xynos précitée (§ 59), ainsi qu’aux considérations précédentes (paragraphe 102 ci-dessus), la Cour juge qu’il est manifestement mal fondé et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

B. La procédure devant la cour d’assises

1. Sur la recevabilité

106. Le Gouvernement soutient que la procédure litigieuse n’entre pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention. Il allègue en particulier que les demandes de constitution de partie civile des requérants ne visaient pas à protéger ni à réparer leurs droits à caractère civil, mais tendaient à réclamer la sanction pénale et la condamnation de C.E. Il ajoute que le montant de 44 EUR sollicité par les requérants pour dommage moral est négligeable, que, dans leur demande de constitution de partie civile, les intéressés ont réservé leur droit de saisir les juridictions civiles et que, en tout état de cause, les juridictions pénales ont accédé à leur demande.

107. Les requérants rétorquent que la procédure litigieuse entre dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention. Ils invoquent à cet égard la jurisprudence de la Cour dans les affaires Stefanou c. Grèce (no 2954/07, 22 avril 2010) et Galotskin, précité).

108. La Cour rappelle que le système juridique grec prévoit que l’intéressé qui dépose une plainte avec constitution de partie civile entame en principe des poursuites judiciaires afin d’obtenir des juridictions pénales une déclaration de culpabilité et, en même temps, une réparation, fût-elle minime (Perez c. France [GC], no 47287/99, §§ 70-71, CEDH 2004-I, et Diamantides c. Grèce (déc.), no 71563/01, 20 novembre 2003). Dans la présente affaire, il est à noter que les sommes réclamées par les requérants dans leur demande de constitution de partie civile confirment le caractère indemnitaire de leur démarche (paragraphe 42 ci-dessus). Il s’ensuit que l’article 6 de la Convention est applicable en l’espèce sous son volet civil. Il convient donc de rejeter l’exception d’irrecevabilité pour incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement.

109. Constatant par ailleurs que cette partie du grief n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Arguments des parties

110. Les requérants estiment que la procédure devant la cour d’assises a été excessivement longue.

111. Le Gouvernement procède à une analyse chronologique de la procédure pénale en cause et estime que l’affaire a été jugée dans des délais raisonnables et justifiés eu égard notamment à la complexité de l’affaire et à la nécessité tant de garantir à l’accusé tous les droits de défense que d’examiner l’affaire en profondeur.

b) Appréciation de la Cour

i. Période à prendre en considération

112. La période à considérer a débuté le 17 novembre 2003, avec la demande de constitution de partie civile introduite par les requérants, et s’est terminée le 13 décembre 2011, date à laquelle la cour d’appel d’Athènes a rendu son arrêt no 649, 681, 682, 700, 700α, 715, 716, 717/13‑12-2011. Elle a donc duré environ huit ans pour une instance.

ii. Durée raisonnable de la procédure

113. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres, Michelioudakis c. Grèce, no 54447/10, §§ 42-43, 3 avril 2012).

114. La Cour a traité à maintes reprises d’affaires soulevant la question de la durée excessive des procédures pénales avec constitution de partie civile et a constaté la violation de l’article 6 § 1 de la Convention (voir l’arrêt pilote Michelioudakis, précité, et les références citées aux paragraphes 68‑70).

115. Après avoir examiné tous les éléments qui lui ont été soumis, elle considère que le Gouvernement n’a pas exposé de faits ou d’arguments pouvant justifier la durée de la procédure. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention, applicable dans son volet civil, à cet égard.

116. Quant au grief tiré de l’article 13 de la Convention, la Cour rappelle que cet article garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1 de la Convention, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

117. Elle rappelle aussi avoir déjà eu l’occasion de constater que l’ordre juridique hellénique n’offrait pas aux justiciables un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention leur permettant de se plaindre de la durée d’une procédure civile (Michelioudakis, précité, § 54, et les références qui s’y trouvent citées).

118. Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure à la violation de l’article 13 de la Convention en raison, à l’époque des faits, de l’absence en droit interne d’un recours qui aurait permis aux requérants d’obtenir la sanction de leur droit à voir leur cause entendue dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

119. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

120. Les requérants réclament 60 000 EUR chacun au titre du préjudice moral qu’ils estiment avoir subi, dont 50 000 EUR pour la violation alléguée de l’article 3 de la Convention et 10 000 EUR pour la violation alléguée des articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

121. Le Gouvernement répond que les sommes demandées sont excessives et injustifiées, en raison, d’une part, des circonstances particulières de l’affaire, notamment du fait que le policier C.E. a été condamné par les juridictions internes, et, d’autre part, de la situation financière actuelle de la Grèce. Il est d’avis qu’un constat de violation constituerait une satisfaction équitable suffisante.

122. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour admet que les requérants ont subi un préjudice moral que le constat des violations ne saurait réparer. Statuant en équité, elle alloue à chacun des requérants 26 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

123. Les requérants demandent également 3 000 EUR au titre des frais et dépens qu’ils disent avoir engagés devant la Cour. Ils évaluent le temps de travail de leurs représentants sur cette affaire à trente heures, et indiquent que le tarif horaire de ces derniers est de 100 EUR. Ils produisent à cet égard un document détaillant le temps que leurs représentants ont consacré à la rédaction des différents mémoires et observations déposés devant la Cour. Ils demandent que la somme qui leur serait éventuellement accordée soit directement versée sur le compte de leurs représentants.

124. Le Gouvernement met en doute la réalité, la nécessité et le caractère raisonnable des frais en question. Il ajoute que la somme demandée est excessive, eu égard, en particulier, à l’absence de tenue d’une audience.

125. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. À la lumière des documents dont elle dispose et compte tenu de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder conjointement aux requérants la somme de 2 000 EUR. Elle accueille également leur demande concernant le versement direct de cette somme sur le compte bancaire de leurs représentants.

C. Intérêts moratoires

126. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond les exceptions préliminaires tirées de l’absence de qualité de victime des requérants et du non-respect du délai de six mois soulevées par le Gouvernement et les rejette ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et aux griefs tirés des articles 6 § 1 et 13 de la Convention concernant la durée de la procédure devant la cour d’assises et l’absence de recours effectif à cet égard, et irrecevable pour le surplus ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la durée de la procédure devant la cour d’assises ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention en raison de l’absence d’un recours effectif afin de se plaindre de la durée de la procédure devant la cour d’assises ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 26 000 EUR (vingt-six mille euros), à chacun des requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser sur le compte bancaire de leur représentant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

7. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 janvier 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Abel CamposKristina Pardalos
GreffierPrésidente


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