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07/11/2017 | CEDH | N°001-178678

CEDH | CEDH, AFFAIRE CHEREDNICHENKO ET AUTRES c. RUSSIE, 2017, 001-178678


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CHEREDNICHENKO ET AUTRES c. RUSSIE

(Requêtes nos 35082/13 et 4 autres – voir liste en annexe I)

ARRÊT

STRASBOURG

7 novembre 2017

DÉFINITIF

05/03/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Cherednichenko et autres c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López

Guerra,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, gr...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE CHEREDNICHENKO ET AUTRES c. RUSSIE

(Requêtes nos 35082/13 et 4 autres – voir liste en annexe I)

ARRÊT

STRASBOURG

7 novembre 2017

DÉFINITIF

05/03/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Cherednichenko et autres c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent cinq requêtes (nos 35082/13, 63216/13, 31766/15, 35428/15 et 50645/16) dirigées contre la Fédération de Russie et dont cinq ressortissants de cet État, Mmes Irina Fedorovna Cherednichenko et Natalya Vladimirovna Polupanova et MM. Viktor Leonidovich Storozhenko, Radik Gilfanovich Khabibullin et Aleksandr Gennadyevich Smirnov (« les requérants »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté initialement par M. G. Matiouchkine, ancien représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, puis par M. M. Galperine, son représentant actuel.

3. Les requérants alléguaient en particulier que leur droit d’accès à un tribunal avait été méconnu.

4. Entre le 3 février 2015 et le 14 janvier 2016, le grief concernant l’accès à un tribunal a été communiqué au Gouvernement et la requête no 50645/16 a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Les faits se rapportant à la requête no 35082/13 introduite par Mme Cherednichenko

5. La requête no 35082/13 a été introduite le 29 mai 2013 par Irina Fedorovna Cherednichenko, née en 1959 et résidant à Krasnodar, région de Krasnodar.

6. La requérante poursuivit une société en raison de sa responsabilité civile. Le 6 août 2012, le tribunal du district Leninski de Krasnodar, statuant en présence de l’avocat de la requérante, débouta cette dernière de son action. Selon le Gouvernement, le tribunal prononça à l’audience le texte intégral de la décision. Selon la requérante, le tribunal ne prononça que le dispositif du jugement.

7. Le 22 août 2012, la requérante se plaignit au président du tribunal que le texte intégral de la décision n’était toujours pas rédigé. Le 23 août 2012, elle déposa une déclaration d’appel succincte auprès de la cour régionale de Krasnodar. Elle expliqua que, en l’absence du texte intégral de la décision du tribunal, elle n’était pas en mesure d’expliciter les motifs de son appel. Elle indiqua qu’elle déposerait les conclusions d’appel à la réception du jugement susmentionné. Le 5 septembre 2012, la cour régionale de Krasnodar retourna le dossier au tribunal.

8. Le 29 août 2012, le texte intégral de la décision fut rédigé. Le 30 août, la requérante en reçut la copie intégrale au greffe du tribunal.

9. Le 19 septembre 2012, le juge du tribunal enjoignit à la requérante de fournir, avant le 2 octobre 2012, les moyens et arguments à l’appui de son recours. Le 28 septembre 2012, la requérante reçut cette injonction par courrier.

10. Entre-temps, le 24 septembre 2012, elle avait envoyé, par pli recommandé, ses conclusions d’appel et une demande en relevé de forclusion. Le 16 octobre 2012, le greffe du tribunal réceptionna ce pli.

11. Entre-temps, le 8 octobre 2012, le juge avait estimé la déclaration d’appel irrecevable faute pour la requérante d’avoir remédié aux irrégularités constatées.

12. La requérante saisit le tribunal d’une demande en relevé de forclusion. Le 31 octobre 2012, le tribunal rejeta cette demande, en passant sous silence la réception, le 16 octobre 2012, des conclusions d’appel de la requérante. En application de cette décision, par une lettre du 2 novembre 2012, le juge retourna à la requérante ses conclusions d’appel.

13. La requérante contesta la décision du 31 octobre 2012. Le 18 décembre 2012, la cour régionale de Krasnodar, estimant que le laps de temps entre le 28 septembre, date de la réception de l’injonction, et le 2 octobre, le délai butoir, était un délai suffisant pour rédiger les conclusions d’appel et pour les déposer directement au tribunal, rejeta le recours formé par l’intéressée.

14. Le 15 avril 2013, la cour régionale rejeta le pourvoi en cassation de la requérante. Elle considéra que, d’après le procès-verbal de l’audience, la décision du tribunal avait été prononcée dans son intégralité le jour de la dernière audience, en présence de l’avocat de la requérante, et que le code de procédure civile ne prévoyait pas le dépôt d’une déclaration d’appel succincte.

B. Les faits se rapportant à la requête no 63216/13 introduite par Mme Polupanova

15. La requête no 63216/13 a été introduite le 11 septembre 2013 par Natalya Vladimirovna Polupanova, née en 1975 et résidant à Volgograd, région de Volgograd. La requérante a été représentée par Me V.R. Davtyan, avocat à Volgograd.

16. La requérante assigna son ex-employeur en justice. Elle contestait son licenciement et demandait au tribunal de statuer en son absence. Le 19 avril 2012, le tribunal de Kogalym de la région de Khantys-Mansis rejeta l’action de l’intéressée. Le 23 avril 2012, il finalisa le texte intégral du jugement et, le 28 avril 2012, l’envoya par courrier. La requérante allègue avoir reçu la copie intégrale du jugement le 11 mai 2012.

17. Le 30 mai 2012, la requérante posta ses conclusions d’appel et présenta en même temps une demande en relevé de forclusion. Le 11 juillet 2012, le tribunal de Kogalym rejeta cette demande. Le tribunal indiqua que, d’après le procès-verbal de l’audience, le texte intégral du jugement avait été finalisé le 23 avril 2012. Il constata qu’une copie intégrale du jugement était parvenue à la requérante le 5 mai 2012, le cachet de la poste faisant foi. Il considéra que, de toute manière, le point de départ du délai d’appel était le lendemain de la rédaction de la copie intégrale du jugement, soit le 24 avril, et non le jour de sa réception par l’intéressée. Il conclut que la requérante disposait du temps suffisant, entre le 7 mai, premier jour ouvré après la réception de la décision, et le 23 mai, date butoir, pour introduire son appel. Par conséquent, il déclara celui-ci irrecevable pour tardiveté.

18. Le 31 juillet 2012, la requérante reçut cette décision par la poste. Le 9 août 2012, elle forma un recours contre celle-ci. Le 20 septembre 2012, le tribunal considéra que le délai de quinze jours imparti pour contester les décisions avant dire droit avait commencé à courir le lendemain du prononcé de la décision attaquée, à savoir le 12 juillet 2012, et non le jour de la réception de ladite décision par l’appelante. Le tribunal déclara donc son recours irrecevable pour forclusion, faute d’une demande pertinente.

19. Le 16 avril 2013, la cour régionale de Khantys-Mansis confirma, en appel, la décision du 20 septembre 2012, pour les mêmes motifs.

20. Le 28 octobre 2013, le juge de la cour régionale retourna le pourvoi de la requérante sans l’examiner, au motif que la décision attaquée ne faisait pas l’objet d’examen en appel, ce qui empêchait la saisine de l’instance de cassation.

C. Les faits se rapportant à la requête no 31766/15 introduite par M. Storozhenko

21. La requête no 31766/15 a été introduite le 14 juin 2015 par Viktor Leonidovich Storozhenko, né en 1953 et résidant à Vladivostok.

22. Le requérant demanda l’ouverture d’une enquête pénale au motif que son véhicule avait été endommagé. Non satisfait du résultat de cette enquête, il introduisit une action contre le gouvernement fédéral, le ministère des Finances et le ministère de l’Intérieur pour se faire indemniser du dommage que lui aurait causé l’enquête, selon lui inefficace.

23. Le tribunal du district Presnenski de Moscou inscrivit cette demande au rôle et convoqua le requérant à des audiences fixées au 10 octobre et au 11 novembre 2014. Le requérant demanda au tribunal de statuer en son absence. Le 17 janvier 2015, n’ayant reçu aucun document ni décision du tribunal, il demanda par écrit à celui-ci de lui envoyer un jugement. Le 9 mars 2015, il s’adressa au président du tribunal pour se plaindre. Il soutenait n’avoir reçu aucune réponse.

24. Après la communication de la requête au Gouvernement, ce dernier a informé la Cour que la demande avait été examinée et rejetée, le 11 novembre 2014. Selon lui, cette décision n’ayant pas été contestée par le requérant, elle était devenue définitive le 12 décembre 2014.

25. Selon le registre des envois postaux du tribunal du district Presnenski, le 28 novembre 2014, le greffe a envoyé la lettre en cause à l’adresse du requérant, laquelle était indiquée se trouver à Moscou et non pas à Vladivostok.

D. Les faits se rapportant à la requête no 35428/15 introduite par M. Khabibullin

26. La requête no 35428/15 a été introduite le 23 juin 2015 par Radik Gilfanovich Khabibullin, né en 1966 et résidant à Popovka, région de Perm. Le requérant a été représenté par Me Mariya Samorodkina, avocate à Moscou.

27. Le requérant assigna la Banque centrale de Russie en justice. Il demandait que celle-ci le déclare créateur d’un symbole graphique du rouble et lui verse les indemnités afférentes aux droits d’auteur.

28. Le 18 mars 2015, le tribunal du district Meshchanski de Moscou, statuant en présence du requérant, rejeta sa demande. Selon l’intéressé, seul le dispositif du jugement fut prononcé à l’audience.

29. Les 6 et 18 avril 2015, le requérant demanda au tribunal, par voie électronique, de lui envoyer une copie du jugement motivé.

30. Le 18 avril 2015, sans avoir reçu le texte du jugement et sans connaître les motifs du rejet de sa demande, le requérant déposa une déclaration d’appel.

31. Le 27 juin 2015, le requérant reçut par la poste la copie du jugement et, le 1er juillet 2015, il déposa au greffe ses conclusions d’appel.

32. Le requérant reçut une convocation pour une audience fixée au 6 octobre 2015 à la cour de la ville de Moscou. Puisque son prénom était mal orthographié (les initiales de ses prénoms étant indiquées « R.R. » au lieu de « R.G. »), l’intéressé, estimant qu’il n’était pas concerné, décida de ne pas comparaître.

33. Le 20 octobre 2015, le requérant, consultant le site Internet de la cour de la ville de Moscou, apprit que, le 6 octobre 2015, la cour avait rejeté son appel.

E. Les faits se rapportant à la requête no 50645/16 introduite par M. Smirnov

34. La requête no 50645/16 a été introduite le 15 août 2016 par Aleksandr Gennadyevich Smirnov. Le requérant est né en 1966 et réside à Volgorechensk (région de Kostroma).

35. Le requérant introduisit une action civile contre une société de droit privé concernant l’exécution d’un contrat de vente. À l’audience du 22 juin 2015, le tribunal du district Nerekhtski de la région de Kostroma examina l’affaire et débouta le requérant. Il ne prononça que le dispositif du jugement.

36. Le 29 juin 2015, le greffe du tribunal avisa le requérant par téléphone que le jugement serait finalisé le lendemain, le 30 juin 2015.

37. Le 30 juin 2015, le requérant obtint la copie intégrale du jugement. Le texte du jugement comportait un sceau du greffe en certifiant la date de réception.

38. Le 30 juillet 2015, le requérant introduisit un appel.

39. Par une décision avant dire droit du 3 août 2015, le tribunal du district établit que le jugement avait été rendu dans sa forme intégrale le 27 juin 2015 et qu’il avait été communiqué au requérant le 30 juin 2015. Estimant que le point de départ du délai d’appel était le 27 juin 2015 et constatant l’absence de toute demande en relevé de forclusion, le tribunal retourna, sans l’examiner, sa déclaration d’appel au requérant.

40. Le requérant emprunta alors deux voies de recours. D’une part, il contesta la décision de retour sans examen de sa déclaration d’appel et, d’autre part, il introduisit une demande en relevé de forclusion, voie de recours prévue par l’article 112 du code de procédure civile.

1. La déclaration d’appel

41. Le 17 août 2015, le requérant contesta la décision du 3 août 2015. Il indiqua, entre autres, que, le jour de l’audience, le 22 juin 2015, le juge ne l’avait pas informé de la date de finalisation du texte. Il aurait en revanche précisé qu’il en serait avisé par téléphone. En effet, le 29 juin 2015, il fut informé par téléphone que le texte serait finalisé le lendemain, le 30 juin. En outre, selon le requérant, le jugement avait été finalisé à cette même date, c’est-à-dire imprimé et signé en sa présence. Pour prouver ses dires, le requérant invita la cour à consulter le texte de la décision qui n’indiquait pas la date de la finalisation du texte intégral. Il indiqua également que, faute d’une telle indication dans le texte du jugement, il avait pris pour point du départ du délai d’appel la date de la réception dudit texte au greffe. Il ajouta que le 27 juin 2015 était un jour férié et qu’il était donc impossible de le prendre comme point de départ du délai.

42. Le 9 septembre 2015, la cour régionale de Kostroma confirma, en appel, la décision du 3 août 2015. Elle modifia, cependant, cette décision indiquant que, en effet, le point du départ était le jour ouvrable suivant, le 29 juin. La cour statua aussi qu’il n’y avait pas de preuve que le texte avait été finalisé le 30 juin 2015.

2. La demande en relevé de forclusion

43. Le 10 août 2015, le requérant présenta une demande en relevé de forclusion en reprenant les mêmes motifs que ceux exposés dans son appel (paragraphe 41 ci-dessus). En outre, il indiqua que, le 30 juin 2015, la date de la réception du jugement était mentionnée dans le relevé d’information (информационный лист материалов дела) accompagnant son dossier constitué au greffe.

44. Par une décision avant dire droit du 26 août 2015, le tribunal du district rejeta cette demande. Il établit que le procès-verbal de l’audience indiquait que le texte du jugement serait finalisé dans un délai de cinq jours et que les parties pourraient en prendre connaissance après le 27 juin 2015. Il nota en outre que le relevé d’information prouvait que le texte intégral de la décision avait été finalisé le 27 juin, et ajouta que le requérant n’avait cité aucun motif rendant impossible ou difficile l’introduction de l’appel dans un délai d’un mois après cette date.

45. Le 7 octobre 2015, la cour régionale de Kostroma confirma, en appel, cette décision. Le 15 décembre 2015 et le 15 février 2016 respectivement, les juges uniques de la cour régionale de Kostroma et de la Cour suprême de Russie refusèrent d’examiner le pourvoi de cassation du requérant.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

46. Pour un résumé des dispositions pertinentes, il convient de se rapporter à l’arrêt Ivanova et Ivashova c. Russie (nos 797/14 et 67755/14, §§ 24-32, 26 janvier 2017).

47. Selon l’article 108 du code de procédure civile, si le dernier jour d’un délai est un jour férié, le délai expire le jour ouvrable suivant (paragraphe 2). L’acte de procédure pour la réalisation duquel un délai est imparti doit être accompli avant 24 heures du dernier jour du délai. Si le recours ou les documents sont déposés au bureau de poste avant minuit du dernier jour du délai, celui-ci est considéré comme étant respecté (paragraphe 3).

EN DROIT

I. SUR LA JONCTION DES REQUÊTES

48. Compte tenu de la similitude de cinq requêtes quant aux faits et aux questions qu’elles posent, la Cour juge approprié de les joindre, en application de l’article 42 § 1 de son règlement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

49. Les requérants se plaignent d’une violation de leur droit d’accès à un tribunal au motif que leurs recours, par une application selon eux erronée des règles de procédure, ont été déclarés irrecevables pour tardiveté. Les requérants invoquent à cet égard l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente en l’espèce, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

A. Thèses des parties

50. Le Gouvernement conteste les thèses des requérants, soutenant que les décisions de justice ont été portées à leur connaissance dans des délais permettant l’introduction des conclusions d’appel. Il argue dès lors que le droit d’accès des requérants à l’instance d’appel n’a pas été enfreint et invite la Cour à rejeter ce grief pour défaut manifeste de fondement.

1. En ce qui concerne Mme Cherednichenko

51. Le Gouvernement allègue que le texte intégral de la décision a été prononcé le jour de l’audience, le 6 août 2012. Selon lui, les parties ont donc été informées des considérants de la décision, dont la copie intégrale aurait été remise à la requérante le 30 août 2012. Il ajoute que cette dernière s’était vu accorder un délai supplémentaire pour présenter ses conclusions d’appel, à savoir jusqu’au 2 octobre 2012, et que, faute de les avoir présentées avant cette date, le tribunal a prononcé la forclusion.

52. La requérante combat ces arguments. Elle soutient avoir introduit une déclaration d’appel succincte le 23 août 2012 et avoir posté ses conclusions d’appel le 24 septembre, soit bien avant le 2 octobre. Elle estime avoir respecté le délai imparti pour introduire son appel. Arguant que le fait pour le greffe du tribunal de n’avoir récupéré l’appel susmentionné au bureau de poste que le 16 octobre 2012 ne saurait lui être opposable, elle reproche à la justice ne pas avoir pris en compte cet élément pour accéder à sa demande en relevé de forclusion.

2. En ce qui concerne Mme Polupanova

53. Le Gouvernement reprend les circonstances de l’espèce telles qu’elles ont été présentées par la requérante et, sans faire de commentaires, invite la Cour à conclure au défaut manifeste de fondement du grief.

54. La requérante a maintenu son grief.

3. En ce qui concerne M. Storozhenko

55. Le Gouvernement relève que, selon le registre des envois postaux du tribunal du district Presnenski, la décision du 11 novembre 2014 a été envoyée aux parties au litige, dont le requérant.

56. Le requérant a maintenu son grief.

4. En ce qui concerne M. Khabibullin

57. Le Gouvernement assure que l’appel du requérant a été examiné par la cour de la ville de Moscou. Alléguant que l’intéressé a donc réalisé son droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention, il estime que le grief de l’intéressé est sans objet.

58. Le requérant indique également que son appel a été examiné et qu’il a eu le temps de déposer ses conclusions d’appel. Il déclare par ailleurs que la loi ne précise pas comment doivent agir les parties quand le juge n’indique pas les délais de la finalisation du texte intégral de la décision. Il expose que, contrairement aux tribunaux de commerce, les tribunaux de droit commun ne publient pas les textes de leurs décisions sur leur site Internet et que, par conséquent, les considérants des décisions ne sont pas connus des plaignants. En outre, selon le requérant, il n’y a aucun système permettant de fixer de manière objective la date de la finalisation du texte intégral de la décision ainsi que la date du dépôt au greffe où elle serait disponible aux parties, date qui déclenche le délai imparti pour interjeter appel. Aux yeux du requérant, ceci constitue un désavantage surtout pour les parties qui, résidant dans une région éloignée de celle du tribunal, ne peuvent pas attendre la finalisation de la décision et le dépôt de celle-ci au greffe.

5. En ce qui concerne M. Smirnov

59. Le Gouvernement allègue que, selon le procès-verbal de l’audience, le tribunal a informé le requérant que la décision serait finalisée cinq jours plus tard, c’est-à-dire le 27 juin 2015. Il indique en outre que le requérant a pris connaissance de ce procès-verbal le 13 juillet 2015. Selon le Gouvernement, le texte intégral était donc disponible au greffe du tribunal depuis le 27 juin 2015. Or, puisque cette date correspondait à un samedi, le délai aurait commencé à courir le jour ouvrable suivant, c’est-à-dire le 29 juin. Le Gouvernement estime que la réception du texte de la décision par le requérant le 30 juin 2015 n’était due qu’à l’inertie de celui-ci. Il expose que l’intéressé, ayant introduit son appel le 30 juillet 2015, l’a fait avec retard. Il indique que le texte intégral a été envoyé à la partie adverse, absente à l’audience, le 1er juillet 2015, et déclare à cet égard que l’envoi de la décision au requérant ne s’imposait pas au motif que l’intéressé avait récupéré le texte intégral au greffe. Le Gouvernement conclut que l’appel était tardif.

60. Le requérant n’a pas présenté d’observations.

B. L’appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

61. La Cour constate que l’appel de M. Khabibullin a été examiné par la cour de Moscou et que le requérant a effectivement présenté ses conclusions d’appel eu égard aux considérants de la décision attaquée (paragraphes 31‑33 ci-dessus).

62. Il s’ensuit que la requête de M. Khabibullin doit être rejetée comme manifestement mal fondé, en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention.

63. En ce qui concerne tous les autres requérants, constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Principes généraux

64. La Cour réitère les principes exposés dans l’arrêt Ivanova et Ivashova précité :

« 41. La Cour rappelle que l’article 6 de la Convention n’astreint pas les États contractants à créer des cours d’appel ou de cassation. Néanmoins, lorsque de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s’y déroule doit présenter les garanties prévues à l’article 6 (Chatellier c. France, no 34658/07, § 35, 31 mars 2011).

42. Par ailleurs, le « droit à un tribunal », dont le droit d’accès constitue un aspect particulier, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours, car il appelle de par sa nature même une réglementation par l’État, lequel jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. Toutefois, ces limitations ne sauraient restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même ; enfin, elles ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles tendent à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi beaucoup d’autres, Edificaciones March Gallego S.A. c. Espagne, 19 février 1998, § 34, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, Mikulová c. Slovaquie, no 64001/00, § 52, 6 décembre 2005 et Kemp et autres c. Luxembourg, no 17140/05, § 47, 24 avril 2008).

43. En outre, le droit à un tribunal implique celui de recevoir une notification adéquate des décisions judiciaires, en particulier dans les cas où un appel doit être introduit dans un certain délai (Zavodnik c. Slovénie, no 53723/13, § 71, 21 mai 2015).

44. La réglementation relative aux délais à respecter pour former un recours vise à assurer une bonne administration de la justice et le respect, en particulier, du principe de la sécurité juridique. Les intéressés doivent s’attendre à ce que ces règles soient appliquées. Toutefois, la réglementation en question, ou l’application qui en est faite, ne devrait pas empêcher le justiciable de se prévaloir d’une voie de recours disponible (Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne, 28 octobre 1998, § 45, Recueil 1998‑VIII, et Georgiy Nikolayevich Mikhaylov c. Russie, no 4543/04, § 52, 1er avril 2010).

45. Le droit d’action ou de recours doit s’exercer à partir du moment où les intéressés peuvent effectivement connaître les décisions judiciaires qui leur imposent une charge ou pourraient porter atteinte à leurs droits ou intérêts légitimes. S’il en allait autrement, les cours et tribunaux pourraient, en retardant la notification de leurs décisions, écourter substantiellement les délais de recours, voire rendre tout recours impossible. La notification, en tant qu’acte de communication entre l’organe juridictionnel et les parties, sert à faire connaître la décision du tribunal, ainsi que les fondements qui la motivent, le cas échéant pour permettre aux parties de recourir (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 37, CEDH 2000‑I.

46. L’article 6 de la Convention ne saurait être entendu comme comprenant une garantie pour les parties d’être notifiées d’une manière particulière, par exemple, par une lettre recommandée (Bogonos c. Russie (déc.), no 68798/01, 5 février 2004). Toutefois, la manière dont la décision de justice est portée à la connaissance d’une partie doit permettre de vérifier la remise de la décision à la partie ainsi que la date de cette remise (Soukhoroubtchenko c. Russie, no 69315/01, §§ 49-50, 10 février 2005, et Strijak c. Ukraine, no 72269/01, § 39, 8 novembre 2005). »

65. Dans cet arrêt, la Cour a constaté l’absence d’un système de notification aux parties visant à les informer que le texte finalisé était disponible au greffe (Ivanova et Ivashova, précité, § 55). Ce système serait alors susceptible de fixer, de manière objective, le point de départ du délai d’appel. La Cour a considéré que ce défaut systémique comportait pour le requérant, même s’il avait entrepris toutes les démarches raisonnables pour obtenir le texte intégral de la décision, un risque élevé de forclusion. Elle a jugé qu’exiger l’introduction d’un recours dans un délai d’un mois à compter de la date d’établissement d’une copie intégrale de la décision par le greffe du tribunal revenait à faire dépendre l’écoulement de ce délai d’un élément qui échappait complètement au pouvoir du justiciable (ibidem, § 57).

66. La Cour a donc considéré que, en règle générale, le droit de recours devait s’exercer à partir du moment où l’intéressé pouvait effectivement connaître la décision de justice en sa forme intégrale (Ivanova et Ivashova, précité, § 57, Aepi S.A. c. Grèce, no 48679/99, § 26, 11 avril 2002, et Georgiy Nikolayevich Mikhaylov, précité, § 55).

b) Application de ces principes aux cas d’espèce

67. La Cour relève que tous les requérants, à l’exception de M. Storozhenko, ont déposé leurs déclarations et/ou conclusions d’appel, lesquelles ont été déclarées tardives. La question qui prête à controverse entre les parties est le point de départ du délai d’appel, qui était différemment interprété au niveau national : il s’agissait soit de la date du prononcé de la décision en forme succincte à l’audience, soit de la date de la finalisation du texte intégral de la décision par le juge, soit de la date du dépôt de la décision finalisée au greffe du tribunal ou encore de date de réception de la décision par la poste. La tâche de la Cour consiste donc à établir les moments où les intéressés avaient effectivement pu connaître les décisions de justice dans leur version intégrale.

i. En ce qui concerne Mme Cherednichenko

68. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de trancher le point – qui fait controverse entre les parties – de savoir si le tribunal a prononcé à l’audience du 6 août 2012 le texte intégral de la décision ou uniquement son dispositif (voir, pour les observations des parties, les paragraphes 51 et 52 ci-dessus), car, de toute manière, la requérante a introduit son appel dans les délais impartis par les juridictions nationales. En effet, la Cour relève à cet égard que, le 30 août 2012, la requérante a pris connaissance de la version intégrale de la décision du 6 août 2012 au greffe du tribunal (paragraphes 6 et 8 ci-dessus). Elle note que, le 23 août 2012, l’intéressée avait introduit une déclaration d’appel sans avoir connaissance du texte intégral de la décision en cause (paragraphe 7 ci-dessus), indiquant qu’elle déposerait ses conclusions d’appel à la réception du texte intégral du jugement. La Cour observe que le tribunal lui a donné raison en fixant le nouveau délai pour déposer les conclusions d’appel au 2 octobre 2012 (paragraphe 9 ci-dessus). Elle remarque également que l’intéressée a posté ses conclusions d’appel le 24 septembre 2012, c’est-à-dire avant la date butoir du 2 octobre 2012 (paragraphe 10 ci-dessus). Le Gouvernement n’a pas réfuté ces informations (paragraphe 51 ci-dessus). Il ne soutient pas non plus que le texte intégral a été remis à la requérante le jour de l’audience, mais qu’il y a seulement été prononcé. La Cour réitère sa position selon laquelle, avant l’introduction de l’appel, les parties doivent avoir l’opportunité d’étudier le texte intégral de la décision (paragraphe 66 ci-dessus), ce qui serait impossible si la seule source de connaissance était la lecture de la décision donnée par le tribunal. Finalement, elle constate que la cour régionale, dans son raisonnement, a totalement ignoré le fait que la requérante avait présenté, le 24 septembre 2012, ses conclusions d’appel (paragraphe 14 ci-dessus).

ii. En ce qui concerne Mme Polupanova

69. La Cour relève que la requérante, absente à l’audience, a indiqué avoir pris connaissance du texte intégral de la décision à sa réception par la poste, le 11 mai 2012 (paragraphe 16 ci-dessus), et que le tribunal de Kogalym a déclaré que l’intéressée en avait eu connaissance le 5 mai 2012 (paragraphe 17 ci-dessus). La Cour n’estime pas nécessaire de départager les parties sur ce point, car la requérante a posté ses conclusions d’appel le 30 mai 2012 (paragraphe 17 ci-dessus), c’est-à-dire avant la fin du délai d’un mois à compter de la réception de la décision, que la fin dudit délai ait été le 5 ou le 11 juin 2012.

iii. En ce qui concerne M. Smirnov

70. La Cour relève que le requérant a pris connaissance du jugement du 22 juin 2015 dans sa version intégrale le 30 juin 2015 (paragraphe 37 ci-dessus). Elle précise que, comme la date de la finalisation de la décision n’était pas été indiquée dans le texte en question, l’intéressé a cru de bonne foi que la date de la réception au greffe était le point de départ du délai d’appel (paragraphes 34‑37 et 41 ci-dessus). Elle note qu’il a déposé ses conclusions d’appel le 30 juillet 2015, c’est-à-dire, si l’on admet sa propre version, dans le délai d’un mois après la réception du texte de la décision.

iv. En ce qui concerne M. Storozhenko

71. La Cour observe que, contrairement à tous les autres requérants, M. Storozhenko n’a jamais introduit son appel faute d’avoir reçu le texte de la décision du 11 novembre 2014 (paragraphe 24 ci-dessus). Elle relève que l’intéressé a pourtant entrepris des démarches raisonnables pour obtenir le texte de la décision (paragraphe 23 ci-dessus) mais que celles-ci ont été vaines. Elle constate que le greffe du tribunal a envoyé la décision à une adresse erronée, l’adresse du requérant étant indiquée se trouver à Moscou au lieu de Vladivostok (paragraphe 25 ci-dessus).

c) Conclusion

72. La Cour réitère que le problème soulevé par les présentes requêtes résulte d’un défaut systémique dû à l’absence, sur le plan interne, d’un système uniforme permettant de fixer de manière objective la date à partir de laquelle le texte intégral de la décision est disponible pour les parties au litige, dans la mesure où cette date déclenche le délai d’appel. Ce problème a auparavant été identifié dans l’arrêt Ivanova et Ivashova (précité). Le règlement de ce défaut dans le droit procédural par les autorités nationales contribuerait à remédier au défaut systémique identifié. Par ailleurs, la Cour rappelle que ce n’est pas son rôle de procéder systématiquement à l’établissement des faits. Néanmoins, en l’absence d’un tel système, la Cour sera amenée, en vue d’une bonne administration de la justice, à retenir comme point de départ du délai d’appel les dates indiquées par les requérants, à moins que le Gouvernement prouve le contraire.

73. Elle considère dès lors que trois des requérants, Mmes Cherednichenko et Polupanova et M. Smirnov, ont exercé leur droit de recours dans le délai imparti, à compter de la date où ils ont effectivement pris connaissance des décisions de justice dans leur version intégrale (paragraphe 67 ci‑dessus).

74. La Cour considère que, en rejetant leurs appels pour tardiveté, les juridictions internes ont procédé à une interprétation excessivement formaliste du droit interne qui a eu pour conséquence de mettre à la charge des requérants une obligation que ceux-ci n’étaient pas en mesure de respecter, même en faisant preuve d’une diligence particulière. Compte tenu de la gravité de la sanction qui a frappé les requérants pour non-respect des délais ainsi calculés, la Cour estime que la mesure contestée n’a pas été proportionnée au but de garantir la sécurité juridique et la bonne administration de la justice. Partant, elle conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit des requérants d’avoir accès à un tribunal (Ivanova et Ivashova, précité, §§ 57-58).

75. En ce qui concerne M. Storozhenko, la Cour juge que la non‑notification du texte de la décision au requérant l’a privé de son droit d’accès à l’instance d’appel. Elle conclut à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention au regard du droit du requérant d’avoir accès à un tribunal.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

76. Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, Mme Polupanova se plaint de l’issue du procès, de l’appréciation selon elle erronée des faits par les tribunaux et de l’application du droit interne.

77. Eu égard au contenu du dossier, la Cour estime que ce grief ne révèle pas de violations des droits consacrés par la Convention et ses Protocoles. Il s’ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

78. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

79. Les requérants ont présenté des demandes pour dommages moral et matériel, exposées dans l’annexe II à l’arrêt. Ils indiquent que ces sommes correspondent notamment à la valeur des salaires impayés et au manque à gagner dont ils s’estiment victimes, et qu’elles leur auraient certainement été conférées s’il n’y avait pas eu de violation de l’article 6 de la Convention en l’espèce.

80. Le Gouvernement considère qu’il n’y a aucun lien entre le dommage matériel prétendument subi et la violation alléguée de la Convention. S’agissant du dommage moral, il estime que les sommes réclamées sont excessives et que la demande doit être rejetée au motif que, à ses yeux, le grief en question est dénué de tout fondement.

81. La Cour rappelle qu’elle a conclu en l’espèce à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention à raison de l’absence d’accès à un tribunal. En ce qui concerne le préjudice matériel allégué, elle ne saurait spéculer sur le résultat auquel les juridictions nationales auraient abouti si elles avaient examiné les recours sur le fond. Par conséquent, elle rejette la demande relative au dommage matériel.

82. Quant au préjudice moral allégué, la Cour considère que les intéressés ont en effet connu une frustration et un sentiment d’injustice qui ne sauraient être réparés par le seul constat de violation. Elle estime toutefois que les sommes réclamées sont excessives. Eu égard à l’ensemble des éléments dont elle dispose, elle considère qu’il y a lieu d’allouer 2 500 euros (EUR) à chaque requérant au titre du préjudice moral (Ivanova et Ivashova, précité, § 64).

En ce qui concerne M. Smirnov

83. Le requérant n’a pas présenté de demande de satisfaction équitable.

B. Frais et dépens

1. Les thèses des parties

84. Mmes Cherednichenko et Polupanova demandent également des sommes, indiquées dans l’annexe II, pour les frais et dépens qu’elles disent avoir engagés devant les juridictions internes et devant la Cour.

85. En ce qui concerne Mme Cherednichenko, le Gouvernement expose que ces demandes ne sont pas documentées, les documents confirmant ces frais n’ayant pas été versés au dossier. Il ajoute que le reçu de 30 000 roubles (RUB) n’est pas pertinent au motif qu’il ne confirmerait que les frais engagés au niveau national et non devant la Cour.

86. En ce qui concerne Mme Polupanova, le Gouvernement allègue que la demande n’est pas documentée, le contrat entre la requérante et son avocat n’étant pas versé au dossier. En outre, il avance que les frais de représentation devant les instances nationales ne sont pas pertinents pour l’examen de la requête par la Cour. Il estime que rien ne doit être alloué à la requérante à ce titre.

2. L’appréciation de la Cour

87. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, la Cour rappelle que, selon l’article 60 § 2 de son règlement, toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi elle peut rejeter la demande, en tout ou en partie (Negrepontis‑Giannisis c. Grèce (satisfaction équitable), no 56759/08, § 34, 5 décembre 2013). Elle ajoute que les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).

a) En ce qui concerne Mme Polupanova

88. Le dossier comporte cinq reçus confirmant le paiement de respectivement 30 000 RUB (24 mai 2012 – pour « la consultation et la rédaction des documents pour le tribunal de Khanty-Mansy et à la CEDH »), 25 000 RUB (le 20 mars 2013 – pour « la consultation et la rédaction des documents pour le tribunal de Khanty-Mansy et à la CEDH »), 25 000 RUB (19 février 2015 – pour « la consultation et la rédaction de la lettre d’accompagnement à la CEDH), 90 000 RUB (12 novembre 2013 – pour « la consultation et l’introduction de la requête à la CEDH »), 20 000 RUB (29 janvier 2016 – pour « la consultation et la rédaction des documents de procédure pour la CEDH »).

89. Or il ressort des documents fournis par l’intéressée que celle-ci n’a pas été représentée devant les instances judiciaires nationales par un avocat. Il ressort en outre du texte de son appel du 30 mai 2012 que la requérante demandait le remboursement de « frais juridiques » à hauteur de 500 RUB, alors que, devant la Cour, ce chiffre a été multiplié par 60 pour atteindre 30 000 RUB. La requérante n’a pas expliqué cet écart.

90. La Cour ne doute pas que la requérante a engagé certains frais. Elle trouve cependant excessives les sommes totales revendiquées à ce titre. Eu égard aux éléments dont elle dispose et aux critères exposés ci‑dessus, elle juge raisonnable d’allouer à la requérante 200 EUR pour frais et dépens au titre des frais d’avocat.

b) En ce qui concerne Mme Cherednichenko

91. S’agissant des frais d’avocat, la Cour observe que la requérante n’a pas été représentée devant elle par un professionnel. Quant aux frais engagés au niveau national, elle relève que le montant des frais d’avocat indiqué par la requérante n’est pas ventilé par rubrique. Elle ne doute pas, cependant, que la requérante a engagé certains frais. Eu égard aux éléments dont elle dispose et aux critères exposés ci‑dessus, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 100 EUR, à savoir la somme réclamée pour frais et dépens au titre des frais d’avocat.

92. Pour le reste, la Cour estime que la demande de remboursement de la taxe judiciaire payée par la requérante pour l’examen de son action en justice est dénuée de tout fondement. Elle note que la taxe est à payer de toute manière et qu’elle ne se rapporte donc pas à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention constatée par elle. S’agissant des frais postaux, elle observe, comme le Gouvernement, que ceux-ci ne sont pas documentés. Partant, elle rejette cette partie de la demande.

c) En ce qui concerne M. Storozhenko et M. Smirnov

93. Les requérants n’ont présenté aucune demande à ce titre. Partant, la Cour ne leur accorde rien.

C. Intérêts moratoires

94. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;

2. Déclare la requête no 35428/15 irrecevable ;

3. Déclare recevables les requêtes nos 35082/13, 31766/15 et 50645/16 ; recevable la requête no 63216/13 quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement :

i. à Mme Irina Fedorovna Cherednichenko, à Mme Natalya Vladimirovna Polupanova et à M. Viktor Leonidovich Storozhenko, 2 500 EUR (deux mille cinq cents euros) chacun, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii. pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû par les requérants à titre d’impôt :

– 100 EUR (cent euros) à Mme Irina Fedorovna Cherednichenko ;

– 200 EUR (deux cents euros) à Mme Natalya Vladimirovna Polupanova ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente

Annexe I

1. 35082/13Cherednichenko c. Russie
2. 63216/13Polupanova c. Russie. La requérante a été représentée par Me V.R. Davtyan, avocat à Volgograd
3. 31766/15Storozhenko c. Russie
4. 35428/15Khabibullin c. Russie. Le requérant a été représenté par Me Mariya Samorodkina, avocate à Moscou
5. 50645/16Smirnov c. Russie

Annexe II

No

|

Requête no

|

Nom

|

Dommage matériel (demande)

|

Dommage moral (demande)

|

Frais et dépens

---|---|---|---|---|---

1.

|

35082/13

|

Cherednichenko

|

2929860 RUB (manque à gagner)

|

100 000 RUB

|

450, 200 et 22849 RUB (taxe judiciaire payée pour l’examen du litige) ;

30000 RUB (frais d’avocat) ;

2000 RUB (frais postaux)

2.

|

63216/13

|

Polupanova

|

8 125 EUR (le salaire impayé)

|

15 000 EUR

|

2260 EUR

3.

|

31766/15

|

Storozhenko

|

-

|

80 000 RUB

|

-

4.

|

50645/16

|

Smirnov

|

-

|

-

|

-


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